ACTES VII

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HOMÉLIE VII. A CES PAROLES ILS FURENT TOUCHÉS AU FOND DE LEUR COEUR, ET ILS DIRENT A PIERRE ET AUX AUTRES APÔTRES : FRÈRES, QUE FERONS-NOUS ? (CHAP. II, 37, JUSQU'A LA FIN.)

 

ANALYSE. 1. L'Orateur montre, par les sentiments de componction que font paraître les Juifs, le succès de la méthode que saint Pierre a suivie, et développe la réponse de cet apôtre : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé. — Ici saint Chrysostome trace le tableau de cette vie si admirable des premiers fidèles , et nous les représente persévérant dans la prière, la fraction du pain et la communauté des biens.

2. A l'égard de ce merveilleux désintéressement, il observe qu'ils faisaient de leurs biens un sage et utile usage, et ne les dédaignaient point, comme quelques philosophes, par vanité et arrogance. — Il appuie également sur le tact avec lequel saint Pierre leur propose le baptême sans s'étendre sur la passion et la mort de Jésus-Christ, parce qu'il voulait ménager ici, comme précédemment, leur trop grande susceptibilité.

3. L'Orateur revient ensuite sur le spectacle qu'offraient les premiers fidèles, et exalte leur charité qui- enfantait pour tous la joie pure de l'âme, et l'abondance des biens célestes. — II rehausse ensuite magnifiquement leur simplicité, et prouve que la prudence qui accompagne toujours cette vertu, ainsi que la confiance en Dieu, finissent par réussir.

4. Ces premiers fidèles étaient ardents à se mortifier, et les chrétiens de nos jours ne recherchent que les délices ; ils se dépouillaient de leurs biens, et nous prétendons conserver les nôtres avec affection ; ils descendaient nus dans l'arène, et nous nous présentons au combat pompeusement parés : la lutte ne peut donc être égale. — C'est pourquoi nous devons, à leur exemple, retrancher toute cupidité , et, par un désintéressement vrai et sincère, nous assurer la victoire sur le démon, et la possession des biens éternels.

 

1. Considérez ici les avantages inestimables de la douceur. Elle pénètre dans les coeurs plus avant que la violence, et les perce plus profondément. Le fer qui ouvre un abcès dur et compact ne produit qu'une légère douleur; mais si des émollients ont rendu cet abcès tendre et impressionnable, la douleur devient vive et forte. C'est ainsi que l'apôtre devait amollir d'abord les esprits, et puis les piquer. Or ce résultat s'obtient par la douceur, et non par la colère, les reproches violents et les injures. Car l'emportement augmente le mal, et la douceur le diminue. Aussi voulez -vous amener celui qui vous a insulté à reconnaître sa faute, reprenez-le avec une extrême douceur. Telle est la conduite de l'apôtre. Il rappelle à ses auditeurs le souvenir de leur crime; et sans y ajouter aucun reproche, il s'étend sur les dons de Dieu à l'égard des Juifs, et sur les preuves des faits qui se sont accomplis parmi eux.

C'est pourquoi ils surent gré à l'apôtre de sa douceur , parce qu'il ne faisait entendre à ceux qui avaient crucifié son Dieu, et qui voulaient la mort de ses disciples, que le langage d'un père et d'un maître affectionné. Mais bientôt ils joignirent à ces sentiments de reconnaissance les remords d'une conscience coupable, et ils comprirent toute l'énormité de leur crime. Car Pierre ne permit point qu'ils s'abandonnassent aux fureurs du désespoir, ni que leurs âmes fussent enveloppées de ténèbres. Il se hâta donc de dissiper, par l'humilité de sa parole, les nuages de l'indignation, et puis il leur représenta la grièveté de leur faute. Chaque jour l'expérience justifie une semblable conduite. Quand nous disons à un injuste agresseur qu'il nous a blessé , il s'efforce de nous prouver le contraire. Mais si nous lui soutenons que, loin d'avoir été atteint par ses. traits, c'est nous qui l'avons percé, il se récrie et se déclare invulnérable. Aussi, voulez-vous fortement embarrasser votre ennemi , ne l'accusez pas, mais prenez sa défense, et il s'accusera lui-même. Car l'homme aime naturellement la contradiction. Pierre ne l'ignorait pas; (9) c'est pourquoi il évite de les reprendre avec aigreur, et s'efforce, autant qu'il peut, de les excuser tout doucement. Aussi parvint-il à toucher leurs esprits. Eh ! qui atteste ce succès ? Leurs propres paroles , car ils disent : « Frères, que ferons-nous? »

Voyez-vous comme ils appellent frères ces mêmes hommes qu'ils nommaient séducteurs? Ce n'est point qu'ils s'égalent à eux, et ils ne veulent que s'attirer leur bienveillance et leur amitié. Observez encore qu'après les avoir appelés frères, et avoir dit: « Que ferons-nous ? » ils n'ajoutent pas : Nous ferons donc pénitence , mais : qu'ils s'abandonnent à leur conduite. C'est ainsi que dans un naufrage imminent, ou dans une grave maladie, tous laissent agir le pilote ou le médecin, et lui obéissent docilement. Et de même ces Juifs reconnaissent hautement qu'ils sont en un péril extrême, et qu'il ne leur reste plus aucune espérance de salut. Aussi ne disent-ils point: Comment serons-nous sauvés? mais: « Que ferons-nous? » Ils s'adressaient à tous les apôtres; mais Pierre seul répond. Et que dit-il? « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Il ne dit pas encore: Croyez; mais : « Que chacun de vous soit baptisé » , parce qu'ils devaient recevoir la foi avec le baptême; et pour leur en montrer les avantages il ajoute: « En rémission de vos péchés; et vous recevrez le don du Saint-Esprit ». N'était-ce pas leur dire : Pourquoi différer ce baptême qui vous apportera la rémission de vos péchés et la plénitude des dons célestes ?

Bien plus, afin de rendre sa parole plus persuasive encore, il ajoute: « Car la promesse », celle dont il avait parlé précédemment, « est faite à vous , et à vos enfants ». Ainsi le don de l'Esprit-Saint est d'autant plus excellent qu'ils pourront le laisser en héritage à leurs enfants. « Et à tous ceux qui sont éloignés » ; à plus forte raison à vous qui êtes proches « et à tous les hommes que le Seigneur notre Dieu appelle ». Observez que l'apôtre ne parle de « ceux qui sont éloignés » que quand il voit ses auditeurs rentrer en eux-mêmes et se condamner eux-mêmes. Car de semblables dispositions empêchaient qu'ils ne fussent jaloux des gentils. « Et par plusieurs autres discours il rendait témoignage et les exhortait en ces termes ». Voyez comme Pierre parle toujours brièvement, sans faste et sans ostentation - « Il rendait témoignage et les exhor« tait en ces termes ! » La doctrine parfaite sait également inspirer la crainte et l'amour. « Sauvez-vous de cette génération perverse ». S'il parle du présent plutôt que de l'avenir, c'est que rien ne nous touche plus vivement. Aussi leur prouve-t-il que sa parole les délivrera des maux présents et futurs.

« Ceux donc qui reçurent sa parole furent baptisés, et il y eut en ce jour environ trois mille personnes qui se joignirent aux disciples ». Ne pensez-vous pas que tout autre miracle eût moins réjoui les apôtres que ces nombreuses conversions ? « Or ils persévéraient dans la doctrine des apôtres et dans la communion ». Ici l'écrivain sacré note spécialement deux vertus : la persévérance et l'union; des esprits; et il nous fait ainsi entendre que les apôtres continuèrent longtemps encore à les instruire. « Ils persévéraient donc dans la communion, et dans la fraction du pain, et dans la prière ». En outre, dit saint Luc, tout était commun entre eux, et ils se soutenaient dans ces saintes dispositions. « Et la crainte était dans les âmes, et les apôtres opéraient beaucoup de merveilles et de miracles ». Je ne m'en étonne pas. Car ce n'étaient pas des hommes ordinaires. Ils n'envisageaient plus les choses sous un aspect tout profane; et ils étaient tout embrasés des feux de l'Esprit-Saint. Mais parce que Pierre, dans son discours , avait entremêlé les promesses et les menaces, le présent et l'avenir, les esprits étaient d'autant plus frappés de crainte que les prodiges confirmaient les paroles. Ainsi aux jours de la Pentecôte comme en ceux du Sauveur, les prodiges précédaient la doctrine et les miracles l'accompagnaient.

« Or tous ceux qui croyaient vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ». Voyez quels progrès rapides ! Car à l'union de la prière et de la doctrine, ils ajoutaient celle de la vertu. « Ils vendaient leurs terres et leurs biens et les distribuaient à tous selon que chacun en avait besoin ». Voyez encore quelle crainte dominait les esprits ! « Et ils les distribuaient », c'est-à-dire, en faisaient un sage partage, « selon que chacun en avait besoin ». Ce n'était donc pas cette prodigalité de certains philosophes qui abandonnaient leur patrimoine ou jetaient leur or dans la mer, plutôt par folie et déraison que par un véritable mépris des richesses. Car toujours le (10) démon s'est étudié à corrompre l'usage des créatures que Dieu a faites, comme si l'on ne pouvait user sagement de l'or et de l'argent.

2. « Et tous les jours ils étaient ensemble dans le temple ». Ces paroles nous apprennent quels fruits produisit immédiatement la prédication des apôtres; et admirez avec quel zèle ces Juifs oubliaient le soin de toute affaire temporelle et se rendaient assidûment au temple. Car leur respect pour ce lieu sacré croissait avec leur ferveur; et les apôtres ne les en éloignaient pas encore par bonté et par condescendance. « Et ils rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de coeur, louant Dieu et agréables à tout le peuple ». Je crois que, par cette expression : Rompant le pain , l'écrivain sacré a voulu désigner les jeûnes et l'abstinence que pratiquaient ces premiers chrétiens, puisque leur nourriture était frugale et ennemie de, toute recherche. Apprenez donc ici, mes frères, que le bonheur de la vie accompagne la frugalité bien plus que les délices de la table; et la pratique de la sobriété nous est une source de joie, tandis que l'intempérance du festin est un principe de tristesse. La parole de Pierre fit donc éclore la sobriété chrétienne qui produisit à son tour un pur et saint contentement.

Et comment ? me direz-vous. Parce que leurs aumônes « les rendaient agréables à tout le peuple ». Car il faut faire moins attention aux prêtres qui s'élevaient contre eux par esprit d'une basse jalousie, qu'au peuple qui les accueillait avec faveur. « Or le Seigneur augmentait chaque jour ceux qui devaient être sauvés dans l'Eglise ; et tous ceux qui croyaient vivaient ensemble ». Tant l'union et la concorde sont bonnes en toutes choses !

Cependant Pierre « rendait témoignage par d'autres discours ». Cette remarque de saint Lue nous fait entendre que l'apôtre donna quelque développement à ses premières paroles, ou qu'après avoir amené ses auditeurs à croire en Jésus-Christ, il laissa aux autres apôtres le soin de leur. expliquer la pratique de cette croyance. Il évite aussi de leur parler de la croix, et dit seulement : « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ». Pourquoi dont ne leur parle-t-il point fréquemment de la croix? Par ménagement et pour éviter tout reproche ; aussi se borne-t-il à dire : « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Ainsi, au tribunal de la religion, les choses se passent tout autrement que dans celui de la justice humaine : car l'aveu de sa faute assure le salut du pécheur.

Observez encore avec quel tact Pierre insiste sur un point bien important. Après avoir signalé la grâce du baptême, il ajoute immédiatement : « Vous recevrez le don de l'Esprit-Saint » ; et en présence des prodiges qui s'opéraient sous leurs yeux, les Juifs ne pouvaient pas ne point croire à cette promesse. Au reste, l'apôtre se contente de leur révéler ce qu'il y avait de plus facile, et qui, par la communication des dons célestes, les pouvait conduire au salut. Car il savait bien qu'à l'occasion la saveur de ces premiers biens les enflammerait d'un nouveau zèle. Mais parce qu'il voyait en ses auditeurs le désir de connaître ce point capital de son discours, il leur apprit que. cette connaissance était un don de l'Esprit-Saint. Aussi voyez avec quelle attention ils l'écoutent et comme ils louent une parole qui les remplit de crainte et de frayeur ! Bien plus, ils croient et demandent le baptême.

Mais reprenons l'explication des premiers versets de notre texte : « Ils persévéraient », dit saint Luc, « dans la doctrine ». Nous pouvons évidemment conclure de ces paroles que les apôtres instruisirent ces néophytes non-seulement pendant un, deux ou trois jours, mais tout le temps que demandait leur conversion. « Et tous étaient dans une grande frayeur ». « Tous », c'est-à-dire même ceux qui ne croyaient pas. Et il est vraisemblable que, dans ces derniers, cette frayeur venait ou du changement prodigieux qu'ils voyaient, ou peut-être des miracles qui s'opéraient sous leurs yeux. Saint Luc dit aussi qu'ils vivaient « dans une intime union » , expression plus forte que l'adverbe « ensemble », parce qu'on peut vivre avec des personnes dont on ne partage pas les sentiments. Enfin il ajoute que Pierre les exhortait par ses discours, et sans en rien rapporter, il se borne .à cette sommaire indication. Mais elle suffit pour nous apprendre que les apôtres présentèrent d'abord à ces néophytes, comme à de tendres enfants, le lait et le miel de- la doctrine évangélique, et qu'en peu de temps ceux-ci atteignirent une perfection tout angélique.

« Et ils distribuaient à tous leurs biens, selon que chacun en avait besoin ». Ces nouveaux (11) disciples voyaient qu'entre eux les dons spirituels étaient communs et que tous en étaient également favorisés ; aussi en vinrent-ils promptement à l'idée d'en faire autant pour les biens de la terre. « Or, tous ceux qui « croyaient , vivaient ensemble ». Mais ils n'habitaient pas la même maison, comme le prouvent ces autres paroles : « Et ils avaient tout en commun ». Ainsi l'égalité était parfaite sans que l'un eût plus, et l'autre moins, et ils formaient comme une société d'esprits célestes, puisque chacun ne possédait, rien en propre. Cette pauvreté volontaire coupait donc jusque dans ses racines le principe de tous les maux, et ces nouveaux disciples prouvaient par là qu'ils avaient compris la doctrine évangélique.

Or, Pierre leur disait : « Sauvez-vous de cette génération perverse; et il y eut en ce jour environ, trois mille personnes qui se joignirent aux disciples». Parce qu'ils étaient trois mille, ils ne craignaient point de se produire au dehors, et chaque jour ils montaient au temple, où ils se rendaient assidûment. C'est aussi ce que firent peu après les apôtres Pierre et Jean, car tout d'abord ils ne changèrent rien à la loi de Moïse. Au reste l'honneur rendu au temple rejaillissait sur le Maître du temple. Voyez aussi quels rapides progrès faisait en eux l'esprit de piété ! Ils se dépouillaient avec joie de leurs biens terrestres, et ils s'en réjouissaient d'autant plus qu'ils estimaient davantage leurs richesses spirituelles. L'orgueil et la jalousie, le faste et le mépris étaient inconnus parmi eux, c'étaient des enfants qui ne voulaient qu'être instruits; et ils avaient la candeur d'un enfant nouveau-né.

Direz-vous que je trace un tableau d'imagination? mais rappelez-vous le dernier.tremblement de terre dont le Seigneur a épouvanté cette ville. Quel n'était pas l'effroi et la consternation générale ! qui songeait alors à tromper son frère, ou à médire de lui ! ce que faisait parmi nous la terreur et l'effroi, la charité l'opérait parmi les premiers chrétiens : ils ne connaissaient point cette froide parole , « le mien » et « le tien » ; aussi s'asseyaient-ils pleins de joie à une table commune. L'un ne pensait point qu'il faisait les frais du festin , et l'autre qu'il était nourri gratuitement, quoique cela nous paraisse aujourd'hui une véritable énigme. Mais c'est que chacun se regardait comme propriétaire des biens de la communauté, en même temps qu'il les considérait comme appartenant à tous les frères. Ainsi le pauvre ne rougissait point de sa pauvreté, et le riche ne s'enorgueillissait point de ses richesses. De là naissait une joie vraie et sincère, parce que dans l'un le sentiment de la reconnaissance, et dans l'autre celui d'une bonne oeuvre resserrait entre tous les liens d'une fraternelle unanimité. Mais parce que, même dans l'aumône, il peut se glisser quelque orgueil, quelque vanité ou quelque hauteur, l'apôtre nous dit : « qu'il ne faut point la faire avec tristesse, et comme par force». Qu'il est donc beau le témoignage que saint Luc rend à ces premiers chrétiens! il atteste leur foi sincère, leur vie irréprochable, et leur persévérance dans la doctrine , la prière, la frugalité et la joie.

3. Deux choses cependant pouvaient les attrister : le jeûne et l'abandon de leurs biens. Mais ils y trouvaient un double sujet de joie; et à la vue de semblables dispositions, chacun les aimait comme son père. Nul ne songeait à molester son frère, et ils s'abandonnaient entièrement à la grâce divine. Aussi étaient-ils généreux et intrépides au milieu des dangers. Mais cette confiante simplicité attestait tout l'héroïsme de leur vertu, plus encore que le mépris des richesses, le jeûne et la persévérance dans la prière. Ils louaient donc le Seigneur en esprit et en vérité ; et ce sont là les seules louanges qu'il demande. Eh ! voyez comme ils en sont immédiatement récompensés  ! car la faveur dont le peuple les entoure prouve combien ils étaient aimables et savaient se faire aimer. Et en effet, qui ne loue et qui n'admire un homme simple dans ses moeurs , et qui . ne se lie volontiers avec un homme franc et sincère? Mais n'est-ce point à eux qu'appartiennent le salut et tous les dons du ciel?

Les bergers n'ont-ils pas été les premiers appelés à l'Evangile? et Joseph n'était-il pas admirable de simplicité , lui qui, même en soupçonnant une faute, ne s'arrête à aucune mesure rigoureuse. Est-ce que Dieu n'a point toujours choisi des hommes simples et francs? « Toute âme simple » , dit l'auteur des Proverbes, « sera bénie » ; et encore : « Celui qui marche avec simplicité, marche avec sécurité». (Prov. II, 25; X,9.) Je l'avoue, me direz-vous; mais il faut y joindre la prudence. Eh ! la (12) simplicité n'est-elle pas inséparable de la prudence? Vous ne soupçonnez pas le mal; vous ne le commettez donc point: vous ne vous offensez de rien; pourriez-vous donc conserver le souvenir d'une injure? on a cherché à vous humilier et vous n'en avez eu aucun ressentiment; on a parlé contre vous, et vous n'y avez fait aucune attention ; on vous jalouse , et vous restez calme et impassible. La simplicité nous conduit ainsi à la vraie sagesse; et l'âme n'est jamais plus belle que quand elle est simple. Et en effet le chagrin, l'accablement et le vague des pensées altèrent la beauté du visage, tandis que la joie et le sourire en augmentent les charmes; et de même un esprit fourbe et menteur corrompt toutes les bonnes qualités qu'il possède, au lieu qu'un esprit simple et franc les pare et les embellit. Avec un tel homme l'amitié est fidèle, et une réconciliation devient facile. Il ne faut pour cela ni chaînes, ni prison, et la plus grande sécurité règne entre lui et ses amis.

Mais qu'arrivera-t-il, direz-vous, si ce juste tombe entre les mains des méchants ? Le Seigneur, qui nous commande d'être simples, nous tend une main protectrice. Qui se montra plus simple que David et plus rusé que Saül? Et néanmoins qui fut vainqueur? Que n'eut pas à souffrir Joseph? Il agissait envers sa maîtresse en toute simplicité : et celle-ci usait de ruse à son égard : mais en devint-il la victime? Qui fut plus simple qu'Abel, et plus méchant que Caïn? Et pour en revenir à Joseph, ne se conduisit-il pas toujours envers ses frères avec une entière simplicité? et le rang élevé où il parvint, n'eut-il point pour principe la franchise de ses paroles et la malignité de ses frères? Il leur avait raconté ses deux songes, et sans aucune défiance de sa part, il leur apportait des vivres , se confiant pour toutes choses au Seigneur. C'est ainsi que plus ils le regardaient comme un ennemi, et plus il les traitait comme des frères. Sans doute Dieu pouvait empêcher qu'il ne tombât entre leurs mains; mais il le permit pour faire éclater la vertu de Joseph, et montrer qu'il triompherait de tous leurs mauvais desseins.

Concluons que si le juste est quelquefois éprouvé, le coup vient des autres et non de lui-même. Le méchant, au contraire, se blesse le premier et n'atteint point son adversaire, en en sorte qu'il est son propre ennemi. Son âme est toujours pleine d'un noir chagrin, et ses pensées troublées et confuses. Il ne saurait rien entendre, ni rien dire qu'il ne tourne tout en mal, et qu'il ne critique tout. Entre des hommes de ce caractère, l'amitié et l'union sont impossibles; ils ne savent que se disputer, se haïr et se contrarier; bien plus, ils se suspectent les uns les autres, ils ne connaissent ni les douceurs du sommeil, ni celles de la vie ; et s'ils sont mariés, hélas ! hélas ! ils n'aiment personne, et détestent tout le monde. Enfin mille jalousies les consument, et une crainte continuelle les agite. Aussi disons-nous que « mauvais » dérive de « mal » ; et en effet, l'Ecriture joint toujours ces deux mots : « Le mal et le travail», dit-elle, « résident sous la langue des mauvais » ; et encore : « Il ne reste aux mauvais que le mal et la douleur ». (Ps. IX, 7 et LXXXIX, 10).

Et maintenant si l'on s'étonne que les chrétiens aient été si parfaits au commencement, lors qu'aujourd'hui on les voit si imparfaits, je répondrai que cette perfection reposait sur le principe de la pauvreté volontaire, et que cette pauvreté était pour eux l'oracle de la sagesse et la mère de la piété; car en se dépouillant de leurs biens, ils tarissaient la source de toute iniquité. Je l'avoue , me direz-vous ; mais, souffrez que je vous le demande: pourquoi tant de vices parmi nous? A la parole des apôtres, trois mille hommes d'abord, et puis cinq mille embrassèrent soudain la vertu, et devinrent véritablement philosophes, tandis qu'aujourd'hui à peine ces premiers chrétiens comptent-ils un imitateur. D'où vient encore, qu'ils étaient si unis ensemble? si prompts et si agiles au service de Dieu? et quel feu sacré les embrasait? C'est qu'ils se convertissaient sincèrement, qu'ils ne recherchaient pas les- honneurs comme on le fait aujourd'hui, et que, dégagés de toute affection terrestre., ils élevaient leurs pensées vers les biens célestes. Le propre d'une âme ardente est de se plaire dans les souffrances, et c'est en cela que. ces premiers fidèles faisaient consister le christianisme. Nous, au contraire, nous ne recherchons qu'une vie molle et délicate. Aussi dans l'occasion, combien nous sommes loin de les imiter ! Ils disaient, en s'accusant eux-mêmes : « Que ferons-nous » ? Nous disons également: que ferons-nous? mais dans un sens tout contraire, car nous nous vendons au inonde, et nous nous estimons profondément sages. Ils (13) accomplissaient strictement leurs devoirs, et nous, nous négligeons les nôtres. Ils se condamnaient eux-mêmes, et craignaient pour leur salut ; aussi devinrent-ils des saints, et ils reconnurent toute l'excellence du don qu'ils avaient reçu.

4. Mais comment leur ressembleriez-vous, vous qui faites tout le contraire? Dès la première prédication, ils demandèrent le baptême, et n'alléguèrent point ces froides excuses qu'aujourd'hui nous mettons en avant. Ils ne cherchèrent ni retards, ni prétextes, quoiqu'ils ne connussent pas encore l'ensemble de la religion, et qu'ils n'eussent entendu que cette parole : « Sauvez-vous de cette génération perverse ». Ils ne furent donc pas lâches et négligents, mais ils crurent à la parole des apôtres, et prouvèrent leur foi par leurs oeuvres. Ils se montrèrent donc tels qu'ils étaient, et à peine entrés dans la lice, ils se dépouillèrent de leurs vêtements. Nous, au contraire, nous les conservons, même en nous présentant au combat. Aussi notre adversaire nous renverse-t-il sans grands efforts, car, par tout ce vain attrait, nous lui facilitons notre chute.

Nous agissons comme l'athlète qui, voyant son antagoniste nu et couvert de poussière, noirci par le soleil, frotté d'huile et tout ruisselant de sueur, de boue et de sable, se hâterait de parfumer sa chevelure, de revêtir un vêtement de soie, de chausser des brodequins dorés, de relever une robe longue et traînante, et de ceindre une couronne d'or, et puis engagerait la lutte. Non-seulement cette superbe parure gênerait ses mouvements, mais le soin qu'il prendrait pour ne la point salir ou déchirer occasionnerait promptement sa défaite, et il tomberait bientôt blessé, comme il le craignait, dans les principales parties du corps. Or, voilà l'heure du combat, et vous vous couvrez d'un vêtement de soie ? Voilà le moment de la lutte et de la course, et vous vous parez avec une ridicule recherche? Pouvez-vous espérer la victoire? Il ne s'agit pas ici de combats extérieurs, mais d'une lutte intestine. Car lorsque l'âme est enchaînée par les soucis et les préoccupations des biens terrestres, elle ne nous permet ni de lever le bras, ni de frapper l'ennemi, tant elle nous rend mous et efféminés. Ah ! puissions-nous briser ces liens, . et vaincre ce tyrannique ennemi !

C'est pourquoi, comme si ce n'était pas assez de renoncer à nos richesses, Jésus-Christ nous dit encore : « Vendez tout ce que vous possédez, et le donnez aux pauvres; et venez,  et suivez-moi ». (Marc, X, 21.) Ainsi le renoncement aux biens de la terre ne suffit pas toujours pour nous établir dans une parfaite sûreté, et il faut y joindre mille précautions. - Mais, à plus forte raison, si nous retenons ces biens , deviendrons-nous incapables de tout héroïsme , et prêterons-nous à rire aux spectateurs et à notre cruel ennemi. Au reste, quand même le démon n'existerait point, et que nul ne nous attaquerait, l'amour des richesses. multiplierait pour nous les chemins (le l'enfer. Où sont donc aujourd'hui ceux qui disent : Pourquoi le démon a-t-il été créé? Car ici l'action du démon est nulle, et c'est nous qui faisons tout. Ce langage pourrait être permis à ces anachorètes qui vivent sur les montagnes, qui ont embrassé la sainte virginité, et qui ont méprisé l'argent et tous les biens de la terre, et qui ont quitté généreusement maison et champ, père, femme et enfants. Mais ils se taisent, et laissent ces blasphèmes à ceux qui ne devraient jamais les prononcer.

La passion de l'argent est comme une arène où le démon nous provoque, et il ne mérite pas que nous y descendions. Mais c'est lui, me direz-vous, qui allume en nous cette ardente cupidité. Fuyez donc, ô homme ! et éteignez ces feux dangereux. Si vous voyiez un homme secouer d'un lieu élevé un vêtement couvert de poussière, et un autre assis au-dessous recevoir tranquillement ces immondices; vous ne plaindriez point ce dernier, et même vous diriez dans votre indignation qu'il n'a que ce qu'il mérite. Tous les passants lui diraient également : Ne soyez donc pas si imbécile ! et ils blâmeraient plus celui qui reçoit l'outrage que celui qui en est l'auteur. Or, maintenant vous ne pouvez ignorer que le démon n'excite en nous la soif des richesses, et qu'il est à notre égard la cause d'épouvantables malheurs. Vous le voyez préparer, comme une fange immonde, les pensées les plus honteuses, et vous ne comprenez pas qu'il vous les jette au visage, quand il ne faudrait qu'un peu vous éloigner pour les éviter. L'imbécile dont je parlais tout à l'heure n'aurait qu'à changer de place, et il s'épargnerait tout désagrément; et vous aussi n'accueillez pas ces pensées, et vous éviterez le péché.

Réprimez donc en vous la cupidité. Eh ! comment y parviendrai-je, me direz-vous? (14) Si vous étiez païen, et si, comme tel, vous n'étiez touché que des biens de la terre, cela vous serait peut-être difficile , quoique des païens l'aient fait. Mais vous espérez le ciel et les biens- éternels, et vous dites : Comment réprimer la cupidité? Si je volis tenais un langage tout contraire, le doute vous serait permis; et si je vous disais : Désirez les richesses, vous me répondriez avec raison Comment puis-je les désirer en voyant tout ce que je vois? Si je vous disais encore, en vous offrant de l'or et des pierres précieuses Donnez la préférence à une masse de plomb, hésiteriez-vous à me répondre : Eh ! puis-je le faire? S'il ne fallait, au contraire, que mépriser le plomb, rien ne vous serait plus facile. En vérité, j'admire moins qu'on méprise les richesses que je ne m'étonne qu'on les puisse rechercher. Car c'est le caractère d'une âme basse, qui n'a aucune élévation dans la pensée, et qui, semblable à un vil insecte, rampe à terre, et se complaît dans la boue et la fange. Etrange langage ! vous prétendez à l'héritage de la vie éternelle, et vous dites: Comment mépriserai-je la vie présente? Est-ce que ces deux vies peuvent être comparées? on vous offre la pourpre impériale, et vous dites Comment rejetterais-je ces sales haillons? on va vous introduire dans le palais du prince, et vous dites : Comment abandonnerais-je cette humble cabane? Certes, nous sommes toujours nous-mêmes la cause et le principe de tous nos malheurs, parce que nous ne secouons jamais une coupable indolence. Car tous ceux qui l'ont réellement voulu y sont parvenus avec ferveur et facilité. Ah ! puissent mes paroles convaincre vos esprits , en sorte que votre conduite soit vraiment chrétienne , et que vous deveniez les imitateurs de ces premiers héros du christianisme, par la grâce et la miséricorde du Fils unique de Dieu, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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