Apocalypse XIX
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Explication

CHAPITRE XIX.

 

Les Saints louent Dieu et se réjouissent de la condamnation de Babylone. Le Verbe paraît avec ses Saints. Avec eux il défait les impies. La bête, le faux prophète et tous les méchants sont éternellement punis.

 

1.  Après cela j'entendis dans le ciel un bruit (a) comme d'une grande troupe, qui disait : Alléluia : Salut, gloire et puissance à notre Dieu (b) !

2.  Parce que ses jugements sont véritables et justes ; parce qu'il a condamné la grande prostituée qui a corrompu la terre par sa prostitution, et qu'il a vengé le sang de ses serviteurs que ses mains ont répandu.

3.  Et ils dirent une seconde fois : Alléluia. Et la fumée de son embrasement s'élève dans les siècles des siècles.

i. Alors les vingt-quatre vieillards et les quatre animaux se prosternèrent, et adorèrent Dieu qui était assis sur le trône, en disant : Amen, Alléluia.

5. Et il sortit du trône une voix qui dit : Louez notre Dieu, vous tous qui êtes ses serviteurs et qui le craignez, petits et grands.

 

(a) Grec : Un grand bruit.—  (b) Honneur et puissance au Seigneur notre Dieu.

 

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6.  Et j'entendis un bruit comme d'une grande troupe, comme le bruit de grandes eaux, et comme de grands coups de tonnerre qui disaient : Alléluia, parce que le Seigneur notre Dieu, le Tout-Puissant règne.

7.  Réjouissons-nous, soyons dans la joie, et donnons-lui gloire parce que les noces de l'Agneau sont venues, et que son épouse s'y est préparée.

8.  Et il lui a été donné de se vêtir d'un fin lin net et blanc (a) ; et ce fin lin est la justice des Saints.

9.   L'ange me dit alors : Ecrivez : Heureux ceux qui ont été appelés au souper des noces de l'Agneau ! Et il ajouta : Ces paroles de Dieu sont véritables.

10.  Aussitôt je me jetai à ses pieds pour l'adorer; mais il me dit : Gardez-vous bien de le faire : je suis serviteur comme vous et comme vos frères, qui ont rendu témoignage à Jésus : adorez Dieu, car l'esprit de prophétie est le témoignage de Jésus.

11.  Je vis alors le ciel ouvert, et il parut un cheval blanc : celui qui était dessus s'appelait le Fidèle et le Véritable, qui juge et qui combat justement.

12.  Ses yeux étaient comme une flamme de feu : il avait plusieurs diadèmes sur sa tête, et un nom écrit que nul ne connaît que lui.

13.  Il était vêtu d'une robe teinte de sang, et il s'appelle le Verbe de Dieu.

14. Les armées qui sont dans le ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues d'un lin blanc et pur.

15.  Et il sort de sa bouche une épée à deux tranchants pour en frapper les nations ; car il les gouvernera avec un sceptre de fer : et c'est lui qui foule la cuve du vin de la fureur et de la colère de Dieu tout-puissant.

16. Et il porte (b) écrit sur son vêtement et sur sa cuisse : Le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs.

17. Et je vis un ange debout dans le soleil, qui cria à haute voix, en disant à tous les oiseaux qui volaient par le milieu de l'air : Venez , et assemblez-vous au grand souper de Dieu,

 

(a) Grec : Net et éclatant. — (b) Ce nom écrit.

 

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18. Pour manger la chair des rois, la chair des officiers de guerre, la chair des forts, la chair des chevaux et des cavaliers, la chair de tous les hommes libres et esclaves, petits et grands.

19. Et je vis la bête et les rois de la terre, et leurs armées assemblées pour faire la guerre à celui qui était monté sur le cheval et à son armée.

20. Mais la bête fut prise, et avec elle le faux prophète qui avait fait les prodiges en sa présence, par lesquels il avait séduit ceux qui avaient reçu le caractère de la bête et qui avaient adoré son image : et les deux furent jetés vifs dans l'étang brûlant de feu et soufre.

21. Les autres furent tués par l'épée qui sortait de la bouche de celui qui était monté sur le cheval ; et tous les oiseaux se soûlèrent de leurs chairs.

 

EXPLICATION  DU  CHAPITRE  XIX.

 

Les jugements de Dieu connus aux Saints ; l'adoration refusée par l'ange.

 

1. Après cela j'entendis... Les Saints invités à louer Dieu, XVIII, 20, le font ici avec un grand éclat ; et saint Jean selon sa coutume , après les spectacles les plus affreux, en représente de plus doux.

7. Réjouissons-nous!... les noces de l'Agneau sont venues. A l'occasion de la ruine de l'idolâtrie et de la gloire de l'Eglise, il parle de la gloire éternelle, et ensuite dans le verset 17 du jugement et du supplice éternel.

10. Je me jetai à ses pieds. Ou il prit cet ange pour Jésus-Christ même, et il lui voulut rendre un honneur divin ; ou bien s'il lui voulut rendre un honneur convenable à la nature angélique, et tel que les Saints de l'Ancien Testament le rendaient aux anges qui leur apparaissaient, l'ange refuse de le recevoir d'un apôtre. Aussi saint Jean crut si peu avoir manqué, qu'après l'avertissement de l'ange, il lui rend encore le même honneur, que l'ange refuse de nouveau, XXII, 8, pour égaler le ministère apostolique et prophétique à l'état angélique, Greg., hom. VIII, in Evang. (Edit. Benedict., lib. I in Evang., hom. VIII, n. 2, tom. I, p. 1462 et seq.)

 

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11. Je vis... le ciel ouvert. On voit ici une peinture admirable de Jésus-Christ, pour montrer que c'est lui qui a fait tout ce qu'on vient de voir, et qui va achever de détruire les impies dans son dernier jugement.

12.   Un nom... que nul ne connaît que lui: son nom est le Verbe de Dieu, 13. Nul autre que lui ne comprend la dignité de ce nom.

13.  D'une robe teinte de sang. Il semble qu'il parle ici du sang de ses ennemis, comme en Isaïe, LXIII, 1, 2, 3 , d'où est pris encore ce qui est dit ici verset 15 : Il foule la cuve du vin, quoiqu'on puisse dire aussi que la robe de Jésus-Christ, c'est-à-dire son humanité, est teinte de son sang.

17. Et je vis un ange... dans le soleil. C'est ici la grande et éclatante destruction de ceux qui ont fait la guerre à Dieu durant tout le cours des persécutions.

18.  Pour manger la chair des rois. Ezéchiel, XXXIX, 17.

19.  Et je vis la bête... C'est une récapitulation et répétition abrégée de ce qui a été représenté au long dans les visions précédentes.

20.  Ces deux furent jetés... C'est après la vengeance sur la terre, le supplice éternel de l'autre vie. Remarquez ici l'effet le plus terrible du dernier , où par des malheurs extrêmes on est précipité dans l'enfer. Remarquez encore qu'il n'y a ici que la bête et le faux prophète qui y soient jetés : le dragon qui les animait n'y est jeté qu'au chapitre XX, 9, dont nous dirons alors la raison.

21. Tués par l’épée qui sortait de sa bouche, comme il a été dit ci-dessus, I, 16.

 

Objections des protestant contre l'interprétation précédente.

 

Nous avons avec la grâce de Dieu conduit les prédictions de saint Jean, depuis les temps de Trajan et d'Adrien jusqu'à la destruction de Rome, qui était comme le terme de sa prophétie. Que si les protestants doutent encore que ce ne soit à ce grand événement qu'elle se termine, j'ai encore à leur opposer ce raisonnement tiré de leurs propres principes : car ils sont tous demeurés

 

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d'accord que le démembrement de l'Empire romain était marqué dans les dix rois du chapitre XVII : donc la ruine de Rome, qui suit incontinent après dans le chapitre XVIII, est la ruine qui accompagne ce démembrement, c'est-à-dire la ruine causée par Alaric; autrement il n'y aura plus ni suite, ni enchaînement dans la prophétie ; et pour en faire le commentaire, il n'y aura qu'à jeter en l'air tout ce qu'on voudra. Par conséquent il faut croire que saint Jean a eu en vue cet événement, et les protestants ne l'ont pu nier sans se démentir eux-mêmes. Mais parce qu'ils prétendent avoir des raisons pour montrer que cette prise de Rome par Alaric et les Goths ne répond pas suffisamment à ce que dit saint Jean de la chute de cette ville, les voici en peu de mots, comme on les trouve ramassées par ordre de tous les auteurs protestants dans la Synopse d'Angleterre (1).

1ère Objection. La chute dont parle saint Jean est une chute dernière et irréparable.

Réponse. Au contraire nous avons fait voir que c'est une chute semblable à celle de Babylone, qui resta encore longtemps avec gloire. Voyez chapitre XVIII, verset 2.

2e Objection. Saint Jean dénonce sa perte à une Rome idolâtre et prostituée, et non pas à une Rome devenue chrétienne.

Réponse. Nous avons fait voir comment Rome était encore la prostituée, Hist. abr., n. 13,14, et sur le chapitre XVII, verset 6. Il faut aussi se souvenir que pendant même que les empereurs étaient chrétiens, l'idolâtrie dominait dans le sénat, et qu'on y regardait la religion chrétienne comme la dévotion particulière des princes, mais l'idolâtrie comme la religion de l'Empire , ibid.

Je passe ici la troisième et la cinquième objection, que je mettrai à la fin comme les plus fortes, et que je détruirai, s'il plaît à Dieu, avec la dernière évidence.

Mais, dit-on pour quatrième raison, les Saints sont avertis de sortir de Babylone. Il est vrai : mais visiblement cet ordre du ciel ne signifie autre chose, sinon que Rome était une ville encore pleine d'impiété, et qu'elle allait être saccagée ; de sorte qu'il en

 

1 In cap. XVIII Apoc., vers. 16, p. 1960.

 

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fallait sortir, pour éviter les malheurs qui accompagnent le sac d'une ville ; et s'il y a quelque chose de plus à entendre dans cet ordre venu du ciel, nous l'avons suffisamment expliqué sur le verset 4 du chapitre XVIII.

Pour sixième raison, l'on objecte que cette chute de Rome est une des plaies envoyées à la bête.

Réponse. Qui en doute ? La question est de savoir ce que signifie cette bête : nous avons vu que c'est l'idolâtrie dans Rome maîtresse du monde ; et pour la connaître tant dans sa première vigueur que depuis qu'elle est ressuscitée, il n'y a qu'à voir ce qui en est dit sur les chapitres XIII et XVII. Que si l'on veut que ce soit ici la victoire de Jésus-Christ sur l'Antéchrist, je réponds « qu'il y a plusieurs Antéchrists, » selon saint Jean, I Joan., n , 18 ; et pour ce qui regarde le dernier, savoir jusqu'à quel point on le peut trouver dans la bête à sept têtes, je le laisse à déterminer par les principes posés, Préf., n. 16, et par les remarques sur le chapitre suivant.

Mais voici deux dernières raisons que nous avions réservées comme les plus apparentes. On dit donc que la chute de Rome dans l'Apocalypse est attribuée aux Saints, que ce sont eux qui la saccagent et se vengent des injures qu'ils en ont reçues : ce qu'on prouve par le verset 6 du chapitre XVIII. Mais qu'on lise bien ce passage, on n'y trouvera pas un mot des Saints. « Rendez-lui, dit-on aux vengeurs, comme elle vous a rendu, et faites-lui le traitement qu'elle vous a fait. » Je reconnais ici des vainqueurs cruels, qui sont ravis de détruire celle qui les avait détruits : mais jamais on ne verra dans l’Apocalypse qu'on ait donné aux Saints un tel caractère, ni qu'on leur donne contre Rome, leur persécutrice, d'autres armes que celles de la patience. « Je connais, dit-on, ton travail et ta patience, » II, 2. Et ailleurs : « Tu as gardé la parole de ma patience, » III, 10. Et enfin jusqu'à deux fois : « C'est ici la patience des Saints, » XIII, 10; XIV, 12.

Quand les protestants nous disent ici que les Goths n'avaient reçu des Romains aucun mauvais traitement, c'est que leurs fades allégories leur font oublier les faits historiques les plus constants que nous leur avons rapportés sur le verset 6 du XVIIIe chapitre.

 

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Ils ajoutent que du moins les Saints se sont réjouis de la perte de Rome; ce qui ne convient pas aux Saints du temps d'Alaric, qui pleuraient avec tous les autres la perte de leur commune patrie. J'avoue que les chrétiens, qui étaient pour la plupart sujets de l'Empire, n'avaient garde de se réjouir de la victoire des Goths ni d'Alaric. Aussi ne vois-je dans saint Jean aucune marque de leur joie. Il est vrai que les Saints sont invités à se réjouir de la chute de leur persécutrice, mais ce sont les Saints qui sont dans le ciel : « O Ciel, dit-on (1), réjouissez-vous, et vous saints apôtres, et vous saints prophètes ! » C'est là manifestement une voix adressée aux âmes saintes qui sont dans la gloire. Aussi entends-je dans la suite une grande joie, un Amen, un Alléluia (1), mais dans le ciel, où l'on se réjouit toujours des jugements de Dieu. Pour les Saints qui sont sur la terre, ils en tremblent, ils les adorent ; mais loin de s'en réjouir, ils ont souvent à les déplorer, parce qu'en un certain sens, et à ne regarder que le dehors, ils peuvent y être compris avec les impies. C'est ce que firent les Saints, comme on a pu voir dans la ruine de Rome; et saint Jean qui le prévoyait, ne marquait point de joie sur la terre.

C'est aussi ce qui fait voir dans ce saint apôtre des idées bien différentes de celles des protestants : car les protestants veulent voir une Rome détruite par les chrétiens, et les chrétiens ravis de sa perte : mais saint Jean a expressément évité cette idée, en ne nous montrant la joie que dans le ciel; ce qui seul pouvait démontrer aux protestants la fausseté de leur système.

Mais sans rapporter ici toutes les raisons qui en montrent la vanité, n'est-ce pas assez que les protestants ne trouvent dans la ruine de Rome, que saint Jean explique avec tant de soin, aucune marque d'une église chrétienne qui doive être ruinée et abattue ? Nous n'y voyons au contraire que ce qui peut faire sentir le débris d'une grande ville : ce n'est donc pas d'une église que saint Jean décrivait la chute, comme le prétendent les protestants ; mais d'une ville puissante, d'un empire purement temporel, comme aussi nous l'avons fait voir dans la Préface, n. 9.

Enfin qu'on jette les yeux sur la chute de la véritable Babylone,

 

1 Apoc., XVIII, 20. — 2 Apoc., XIX, 1, 2, 3.

 

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on n'y verra rien qui soit plus marqué dans les prophètes que la destruction de ses temples et le brisement de ses idoles. « Bel est brisé, Nabo est en pièces : leurs idoles ont été chargées sur des bêtes de somme, qu'elles ont accablées parleur pesanteur et n'ont pu sauver ceux qui les portaient, » Isa., XLVI, t 2. Saint Jean, qui a peint la chute de Rome sur ce divin original, s'il avait voulu nous y représenter le débris d'une nouvelle idolâtrie, ne nous aurait-il pas fait voir les nouvelles idoles à bas, la sainte Eucharistie d'un côté, quelque saint de l'autre, la croix même de Jésus-Christ la plus exposée de toutes ces idoles prétendues, brisée la première de toutes et paraissant de tous côtés dans le débris ? Ainsi rien ne manquerait au spectacle, et les protestants comme les païens auraient eu le plaisir de voir tant de monuments, et presque toutes les marques extérieures de la religion chrétienne méprisées par un apôtre.

On pourrait m'objecter ici que je suis pris dans mes propres paroles : car si c'est à l'ancienne Rome et à son idolâtrie que saint Jean en voulait encore dans ce chapitre, pourquoi n'en fait-il pas voir les idoles abattues ? Mais c'est ici que me paraît une des merveilles de sa prédiction, en ce que du temps d'Alaric et de la destruction de Rome, les temples et les idoles étaient déjà renversés pour la plupart. Car, sans parler des grands coups que les fausses divinités avaient reçus sous Constantin, sous Gratien et sous Théodose le Grand, saint Augustin nous apprend un fait mémorable du règne d'Honorius. Les païens s'étaient vantés d'un oracle qui prédisait la ruine du christianisme en l'an 360 depuis la mort de Jésus-Christ, qui est environ l'an 398 de notre ère. Que les protestants remarquent en passant dans quelle boutique sont forgées les prophéties qui prédisent la ruine de l'Eglise. Mais cette année 366, « qui devait être fatale au christianisme, » le fut, dit saint Augustin, à l'idolâtrie, « puisque les temples y furent renversés et les idoles brisées l'année d'après (1). » Saint Jérôme nous représente aussi « le Capitole abandonné et tout son or terni, tous les temples de Rome couverts d'ordures et de toiles d'araignées; et encore depuis peu d'années, un des Gracques, dont le nom seul

 

1 De Civit., lib. XVIII, cap. LIII, LIV.

 

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faisait entendre ce que Rome avait de plus noble, renversant, brisant et brûlant l'antre de Mitras et toutes ses idoles avec leurs figures monstrueuses (1). » Ainsi saint Jean n'a plus eu besoin en décrivant la chute de Rome de peindre celle des idoles, puisque le grand coup dont elles devaient être brisées avait déjà été frappé; et comme il a été dit sur le chapitre XVI, verset 16, la corruption subsistait plus dans les désirs de la prostituée que dans l'effet.

 

Récapitulation de ce qui a été dit depuis le chapitre IV jusqu'au chapitre XX, et notamment des trois Vae.

 

On peut maintenant entendre toute la suite de la prédiction de saint Jean, depuis le chapitre IV jusqu'à la fin du XIXe, et il est bon de se la remettre sous les yeux.

L'ouvrage de Dieu est accompli : Jésus-Christ est victorieux; l'Eglise est vengée; les Juifs qui, malgré leur chute, continuaient à la persécuter, ont reçu les derniers coups, et on voit que rien n'est capable d'abattre l'Eglise., quoique Satan emploie contre elle toute sa séduction et toute sa violence. Sa séduction paraît principalement dans les hérésies, et sa violence dans la cruauté qu'il inspire à l'Empire persécuteur. Ce mauvais esprit remue tout, et tous ses efforts sont inutiles, chapitres vu, vin.

Là paraissent  ces trois grands (2), c'est-à-dire ces trois grands malheurs, qui font voir la liaison de tout cet ouvrage et la suite des attaques de Satan ; car il y est expressément marqué dans tous les trois; dans tous les trois il travaille à perdre entièrement les hommes. Tout aboutit à ôter l'Eglise de dessus la terre, parce que c'est elle seule qui empêche que tout le monde ne l'adore, et que Dieu ne lui abandonne tout le genre humain; mais il est vaincu partout, et l'Agneau triomphe de lui. Par un premier (3), ce mauvais esprit soulève les hérésiarques ; et il tâche en éteignant la lumière de l'Evangile, d'envelopper tout l'univers dans une éternelle nuit; car c'était là, comme disait le saint vieillard Siméon, « la lumière pour éclairer les nations, » Luc., II, 32.

 

1 Epist. VII, nunc Epist, LXII. — 2 Chap. VIII, 13. — 3 Chap. IX, 1, 12.

 

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Et les enfants de l'Eglise « luisent comme des luminaires dans le monde, » Phil., n, 15; de sorte qu'obscurcir l'Eglise, c'était cacher la lumière de tout l'univers dans les ténèbres. La vérité les dissipe. Par un second , le malin esprit suscite de grandes guerres, où ses devins promettent la victoire à ceux qui répandront le plus de sang chrétien (1). En même temps il anime les persécuteurs, et on dirait que par leur moyen il aille engloutir l'Eglise (2). L'Empire persécuteur n'agit que par lui : « le dragon donne à cet empire sa grande puissance (3); » mais plus il redouble ses efforts, plus sa défaite est manifeste. L'Eglise triomphe sous Constantin, l'idolâtrie reçoit le coup mortel. Cette puissance malfaisante que Satan avait donnée aux persécuteurs leur est funeste, puisqu'elle avance leur supplice en augmentant leur crime. Enfin par un troisième , il ressuscite l'idolâtrie, qui avait reçu une blessure mortelle, et il lui donne de nouveau sa puissance (4). On l'adore comme l'auteur de cette résurrection de l'idolâtrie qui paraît miraculeuse. Par les prestiges et les faux miracles de ses devins et de ses enchanteurs, il aveugle Julien l'Apostat, qui devait être l'instrument de sa malice, et il éblouit les peuples. Le monde est replongé dans l'idolâtrie avec un aveuglement d'autant plus criminel, qu'il est sans comparaison plus mauvais de la relever de sa chute que de la conserver dans sa puissance. Malgré les empereurs chrétiens qui vinrent après Julien, Satan règne dans le cœur de la prostituée, qui ne cesse d'aimer ses idoles, quoiqu'abattues et brisées; et après le comble du crime où il la jette, il lui attire aussi le comble de la peine et le dernier coup de foudre par lequel son empire, qui était aussi celui de l'idolâtrie et du démon, étant renversé sur la terre, elle est encore précipitée dans les enfers.

Voilà l'histoire des trois . Si le premier est durèrent des deux qui le suivent, en ce qu'il représente, à l'égard de l'Eglise, une persécution spirituelle, et même à l'égard du siècle une plaie qu'on n'y sent pas, c'est-à-dire la diminution de la lumière dont il devait être éclairé, c'est que le Saint-Esprit a voulu montrer à saint Jean toutes les sortes de juge mens que Dieu avait résolu

 

1 Chap. IX., 13 et seqq.; XVI, 13, 14, 16. —  2 Chap. XII, 4, 13, 15. — 3 Chap. XIII, 3.— 4 Ibid., 4, 11.

 

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d'exercer sur les infidèles, et ensemble toutes les sortes de victoires que l'Agneau devait remporter sur le démon et le monde. Les deux autres font voir le crime plus sensiblement puni, et tout enfin se termine au feu éternel.

Le dernier ne paraît clairement marqué qu'à la chute de Rome, comme on a vu (1); mais il faut rapporter tout ce qui suit après le second. Or le second se termine à l'endroit où les deux témoins montent au ciel (2); où la persécution cesse, où l'Eglise paraît en grande gloire, où enfin le règne des impies est ébranlé, et ensemble Dieu glorifié par le nombre infini des conversions (3). Ce temps concourt manifestement avec celui où le dragon est vaincu, où l'idolâtrie est abattue, où la bête reçoit la plaie mortelle et paraît tout à fait morte (4). Là se termine le second ; et par conséquent le troisième commence à l'endroit où la bête est ressuscitée et où l'idolâtrie revient en triomphe sous Julien l'Apostat (5). A ce appartient donc tout ce qui suit jusqu'à la chute de Rome ; et si saint Jean ne marque pas le commencement ni la fin de ce aussi clairement que des autres, outre la raison commune de diversifier le style, c'est qu'il doit être aisé à un lecteur déjà instruit de trouver ce qui regarde le troisième par l'analogie des deux autres qu'il vient de voir.

Le temps des trois est maintenant aisé à déterminer. Le premier commence à Sévère, et finit au commencement des malheurs de Valérien. Le second, qui commence là, est poussé jusqu'à la défaite de Maxence et des autres persécuteurs, par où l'idolâtrie est abattue et le règne de l'Eglise établi. Le dernier comprend tous les attentats depuis l'idolâtrie ressuscitée par Julien l'Apostat, avec tout ce qui est arrivé jusqu'à la fin pour les punir.

Il ne faut pas oublier ici qu'une vision répète souvent sous une figure ce qu'on aura déjà vu représenter sous une autre : car le lecteur serait accablé des merveilles d'une vision, si ou lui représentait tout en même temps. On soulage donc son attention, et on lui inculque davantage une vérité en la lui proposant sous diverses

 

1 Chap. XVIII, 10, 16, 19. — 2 Chap. XI, 12, 13. — 3 Chap. XII, 9 et suiv. — 4 Chap. XIII, 3 et suiv. — 5 Ibid.

 

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formes : en même temps il est consolé, parce qu'un endroit lui explique l'autre, et qu'on ne cesse de lui découvrir toujours de nouveaux caractères de la chose qu'on avait dessein de lui montrer : comme il paraît à l'égard de la persécution de Dioclétien, dans les chapitres XI, XII, XIII, XVIII, et par la chute de Rome dans les chapitres XIV, XVII et XVIII.

Il arrive aussi quelquefois, notamment au chapitre XVI, que saint Jean reprend les choses de plus haut que dans les derniers chapitres précédents, pour faire mieux voir la liaison des causes préparatoires avec les effets, ainsi qu'il a été remarqué sur ce chapitre : mais après tout dans le fond, la suite de la prophétie est manifeste. Les sept sceaux sont engagés dans les sept trompettes; les trois , qui lient les trompettes entre elles, les unissent aussi avec ce qui suit, où sont comprises les sept coupes avec la ruine de Rome. Tous les temps marqués dans la prophétie se touchent, et vont pour ainsi dire de proche en proche. C'est pourquoi saint Jean dit toujours que tout doit venir bientôt, parce que lorsqu'il écrivait sa prophétie, tout ce qu'il devait prédire dans un ordre si bien lié, allait commencer. Ainsi en lisant cette prophétie, quand on en tient la clef, on croit lire une histoire. Cependant à Dieu ne plaise qu'on s'imagine que par cette explication, quelque suivie qu'elle paroisse, on ait épuisé tout le sens d'un livre si profond ! Nous ne doutons pas que l'esprit de Dieu n'ait pu tracer dans une histoire admirable une autre histoire encore plus surprenante, et dans une prédiction une autre prédiction encore plus profonde : mais j'en laisse l'explication à ceux qui verront venir de plus près le règne de Dieu, ou à ceux à qui Dieu fera la grâce d'en découvrir le mystère. Cependant l'humble chrétien adorera ce secret divin et se soumettra par avance aux jugements de Dieu, quels qu'ils doivent être et dans quelque ordre qu'il lui plaise de les développer : seulement il demeurera aisément persuadé qu'il y aura quelque chose qui n'est point encore entré dans le cœur de l'homme. Quoi qu'il en soit, il désirera en tremblant de voir arriver bientôt le règne parfait de Jésus-Christ, et il vivra dans cette attente.

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