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PREMIER SERMON
POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.
(seconde
rédaction) (a).
Omnia vestra
sunt, vos autem Christi.
Tout est à vous, et vous êtes à
Jésus-Christ, dit le grand Apôtre, parlant aux justes. I Cor., III, 22,
23.
Si nous employions à penser aux
grandeurs du ciel la moitié du temps que nous donnons inutilement aux vains
intérêts de ce
(a) RÉSUMÉ DU SERMON, PAR BOSSUET.
Félicité des saints,
accomplissement de l'œuvre de Dieu.
Gloire de Jésus-Christ et
l'amour du Père sur eux. Ego claritatem quam dedisti mihi,
dedi eis (Joan., XVII, 22). Dilectio quâ
dilexisti me in ipsis sit, et ego in eis (Joan., XVII, 26).
Dieu étendra les âmes pour les
rendre capables d'une félicité plus haute, d’une joie surnaturelle. Advocavit
cœlum desursùm et terram discernere populum suum (Psal. XLIX, 4).
(Voir la note du sermon
précédent).
19
monde, nous ne vivrions pas comme nous faisons dans un
mépris si apparent des affaires de notre saint. Mais tel est le malheur on nous
avons été précipités par notre péché : il ne s'est pas contente de nous faire
perdre le royaume dans l'espérance duquel nous avions été élevés; il nous a
tellement ravalé le courage, que nous n'oserions quasi plus aspirer à sa
complète, quelque secours qu'on nous offre pour y rentrer. A peine nous en
a-t-il laissé un léger souvenir ; et s'il nous en reste quelque vieille idée qui
ait échappé à cette commune ruine, cette idée, Messieurs, n'a pas assez de force
pour nous émouvoir; elle nous touche moins que les imaginations de nos songes.
Cela fait que nous ne concevons qu'à demi ce qui regarde l'autre vie; ces
vérités ne tiennent point à notre âme déjà préoccupée des erreurs des sens. En
quoi nous sommes semblables aux insensés, qui sans prendre garde aux grands
desseins que Dieu avait conçus dès l'éternité pour ses saints, s'imaginaient
qu'ils fussent enveloppés dans le même destin que les impies, parce qu'ils les
voyaient sujets à la même nécessité de la mort : Videbunt finem sapientis, et
non intelligent quid cogitaverit de eo Dominus (1). Souffrirez-vous pas
bien. Messieurs, pour nous délivrer de ce blâme, que nous nous entretenions sur
cet desseins si admirables de Dieu sur les bienheureux, en ce jour où l'Eglise
est occupée à les congratuler sur leur félicité? Certes, je l'oserai dire, si la
joie abondante dans laquelle ils vivent leur permet de faire quelque différence
entre les avantages de leur élection, c'est par là qu'ils estiment le plus leur
bonheur, et c'est cela aussi qui nous doit plus élever le courage. Parlons donc,
Messieurs, de ces desseins admirables. Nous en découvrirons les plus grands
secrets dans ce peu de paroles de l'Apôtre, que j'ai alléguées pour mon texte,
et tout ce discours sera pour expliquer la doctrine de ces quatre ou cinq mots.
Nous y verrons comme Dieu a mis les saints au-dessus de tous ses ouvrages, et
qu'il se les est proposés dans toutes ses entreprises : Omnia vestra.
Elles nous
1 Sap., IV, 17.
20
donneront sujet d'expliquer par quel artifice Dieu les a si
bien attachés à la personne de son Fils : Vos autem Christi. Après cela,
que restera-t-il, sinon de conclure en considérant tant soit peu l'exécution de
ces grands desseins de Dieu. Implorons pour cela, etc.
PREMIER POINT.
Dieu étant unique et
incomparable dans le rang qu'il tient, et ne voyant rien qui ne soit infiniment
au-dessous de lui, ne voit rien aussi qui soit digne de son estime que ce qui le
regarde, ni qui mérite d'être la fin de ses actions que lui-même. Mais bien
qu'il se considère dans tout ce qu'il fait, il n'augmentera pas pour cela ses
richesses. Et si sa grandeur l'oblige à être lui seul le centre de tous ses
desseins, c'est parce qu'elle, fait qu'il est lui seul sa félicité (a).
Ainsi, quoi qu'il entreprenne de grand, quelques beaux ouvrages que produise sa
toute-puissance, il ne lui en revient aucun bien que celui d'en faire aux
autres. Il n'y peut rien acquérir que le titre de bienfaiteur; et l'intérêt de
ses créatures se trouve si heureusement conjoint avec le sien, que comme il ne
leur donne que pour l'avancement de sa gloire, aussi ne saurait-il avoir de plus
grande gloire que de leur donner. C'est ce qui fait que nous prenons la liberté
de lui demander souvent des faveurs extraordinaires; nous osons quelquefois
attendre de lui des miracles, perce que (b) sa gloire se rencontre dans
notre avancement, et qu'il est lui-même d'un naturel si magnifique qu'il n'a
point de plus grand plaisir que de faire largesse. Cela nous est marqué dans le
livre de la Genèse, lorsque Dieu, après avoir fait de si belles
créatures, se met à les considérer les unes après les autres. Certes si nous
voyions faire une action pareille à quelque autre ouvrier, nous jugerions sans
doute qu'il ferait cette revue pour découvrir les fautes qui pourraient
être échappées à sa diligence. Mais pour ce qui est de Dieu, nous n'oserions
seulement avoir eu cette pensée. Non, Messieurs, il travaille sur un trop bel
original et avec une main trop assurée, pour avoir besoin de repasser sur ce
qu'il a
(a) Var.: Sa grandeur, qui fait qu'il est
lui-même le centre où aboutissent tons ses desseins, fait aussi qu'il est lui
seul sa félicité. — (b) D'autant que.
21
fait. Aussi voyons-nous qu'il n'y trouve rien à
raccommoder. Il reconnaît que ses ouvrages sont très-accomplis : Et erant
valdè bona (1). De sorte que s'il nous est permis de pénétrer dans ses
sentiments, il ne les revoit de nouveau que pour jouir du plaisir de sa
libéralité. Il est donc vrai, et nous pouvons l'assurer après un si grand
témoignage, qu'il n'y a rien de plus digne de sa grandeur ni de plus conforme à
son inclination, que de se communiquer à ses créatures.
Cela étant ainsi, pourrions-nous
douter qu'il n'ait préparé à ses saints de grandes merveilles? Lui qui a eu tant
de soin des natures privées de raison et de connaissance, qui leur a donné sa
bénédiction avec tant d'affection, qui a attaché à leur être de si belles
qualités, qu'aura-1-il réservé à ceux pour lesquels il a bâti tout cet univers?
Car enfin je ne puis croire qu'il ait pris plaisir à répandre ses trésors sur
des créatures qui ne peuvent que recevoir, et qui ne sont pas capables de
remercier, ni même de regarder la main qui les embellit. S'il y a du plaisir et
de la gloire à donner, il faut que ce soit à des personnes qui ressentent tout
au moins la grâce que l'on leur fait. Il est vrai qu'il y a des propriétés
merveilleuses dans les créatures les plus insensibles, et c'est cela même qui me
persuade qu'il les a si bien travaillées pour en faire présent à quelqu'autre.
Il n'y a que les natures intelligentes qui en connaissent le prix, ce n'est qu'à
elles qu'il a donné l'adresse d'en savoir user, elles seules en peuvent bénir
l'auteur. Sans doute ce ne peut être que pour elles qu'elles sont faites.
L'ordre de sa Providence nous fait assez voir cette vérité, parce que (a)
la première chose qu'il s'est proposée, c'est la manifestation de son nom. Cela
demandait qu'il jetât d'abord les yeux sur quelques natures à qui il se put
faire connaître ; et puisque c'était par elles qu'il commençait ses desseins, il
fallait qu'il formât tous les autres sur ce premier plan, afin que toutes les
parties se rapportassent. Ainsi donc, après avoir résolu de laisser tomber sur
elles un rayon de cette intelligence première qui réside en lui, il a imprimé
sur une infinité d'autres créatures divers caractères de sa bonté, afin que les
unes
1 Genes., I, 31.
(a) Var. : D'autant que.
22
sont de tous côtes la matière des louanges et les autres
leur prêtant leur intelligence et leur voix, il se fit un accord de tous les
êtres qui composent ce grand monde pour publier jour et nuit les grandeurs de
leur commun maître. Pour achever ce dessein, il prépare à ses saints une vie
tranquille et immortelle, de peur qu'aucun accident ne puisse interrompre le
sacrifice de louanges qu'ils offriront continuellement à sa majesté. Alors il
leur parlera lui-même de sa grandeur sans l'entremise de ses créatures, pour
tirer de leur bouche des louanges plus dignes de lui. Et afin que ses intérêts
demeurent éternellement confondus avec ceux de ses élus, en même temps qu'il
leur apparaîtra tel qu'il est, pour leur imprimer de hauts sentiments de sa
majesté, il les rendra heureux par la contemplation de sa beauté infinie. Que
dirai-je davantage? Il les élèvera par-dessus tout ce que nous pouvons nous
imaginer, pour tirer ainsi plus de gloire de leur estime. Si c'est peu de chose
que d'être loué par des hommes, il en fera des dieux et s'obligera par là à
faire cas de leurs louanges. Notre Dieu enfin, pour contenter l'inclination
qu'il a d'établir son honneur par la magnificence, se fera tout un peuple sur
lequel il régnera plus par ses bienfaits que par son pouvoir, auquel il se
donnera lui-même pour n'avoir plus lien à donner de plus excellent.
Après cela je pense qu'il n'est
pas bien difficile de se persuader que Dieu a tout fait pour la gloire de ses
saints. N'y aurait-il que l'honneur qu'ils ont de lui appartenir de si près, il
faudrait que font le reste se soumit à leur empire. Et quelque grand que cet
avantage nous paraisse, ce n'est pas une chose à refuser aux bienheureux que de
commander à toutes les créatures, puisqu'ils ont le bonheur d'être nés pour
posséder Dieu. Aussi n'ont-elles point toutes de plus véhémente inclination que
de les servir; tout l'effort que font les causes naturelles, selon ce que dit
l'Apôtre, ce n'est que pour donner au monde les enfants de Dieu. C'est pourquoi
il nous les dépeint « comme dans les douleurs de l'enfantement : » Omnis
creatura parturit (1). Elles se plaignent sans cesse du désordre du péché,
qui leur a caché les vrais héritiers de leur maître en les confondant avec les
vaisseaux de sa colère. Tout ce
1 Rom., VIII, 22.
23
qu'elles peuvent faire, c'est d'attendre que Dieu en fasse
la découverte à ce grand jour du jugement : Omnis creatura ingemiscit et
parturit usque adhuc, revelationem filiorum Dei expectans (1). Et à Ce jour,
Messieurs, Dieu qui leur a donné ce mouvement, afin que tout ce qu'il y a dans
le monde sentit l'affection qu'il porte à ses saints, « appellera le ciel et la
terre au discernement de son peuple : » Advocabit cœlum desursùm et terram
discernere populum suum (2). Ils ne manqueront pas d'y accourir pour
combattre avec lui contre les insensés (3), mais plutôt encore pour rendre leur
obéissance à ses enfants. Que si, dans cet intervalle, il y en a quelques-uns
qui portent plus visiblement sur leur front la marque du Dieu vivant, les bêtes
les plus farouches se jetteront à leurs pieds, les flammes se retireront de peur
de leur nuire, et je ne sais quelle impatience fera éclater en mille pièces les
roues et les chevalets destinés pour les tourmenter. Enfin que pourrait-il y
avoir qui ne fût fait pour leur gloire, puisque leurs persécuteurs les
couronnent , leurs tourments sont leurs victoires ? Ce n'est que dans la
bassesse qu'ils sont honorés, la seule infirmité les rend puis-sans. Et « les
instruments mêmes de leur supplice sont employés à la pompe de leur triomphe : »
Transeunt in honorem triumphi etiam instrumenta supplicii (4). Pour cela
le Fils de Dieu, dans cette dernière sentence qui déterminera à jamais l'état
dernier de toutes les créatures, les appelle au royaume qui leur est préparé dès
la constitution du monde. Que nous marquent ces paroles? Car il dit bien aux
damnés que les flammes leur sont préparées, mais il n'ajoute pas : Dès la
constitution du monde. Et cependant l'enfer a été aussitôt fait que le paradis,
d'autant qu'il y a eu aussitôt des damnés que des bienheureux.
Sans doute notre juge ne nous
veut apprendre autre chose, sinon que la création du monde n'était qu'un
préparatif du grand ouvrage de Dieu, et que la gloire des saints en serait le
dernier accomplissement. Comme s'il disait : Venez, les bien-aimés de mon Pèse,
il a tout fait pour vous; «à peine posait-il les premiers fondements de cet
univers, » qu'il commençait déjà à songer à
1 Rom.,
VIII, 19, 22. — 2 Psal. XLIX, 4. — 3 Sap., V, 21. — 4 S. Leo,
Serm. LXXXIII, cap. IV.
24
votre gloire : à constitutione mundi (1), et il ne
faisait alors que vous préparer votre royaume : Venite, benedicti Patris mei
(2). Il me semble, Messieurs, qu'il y a là de quoi inciter les âmes les moins
généreuses. Que jugez-vous de cet honneur? Est-ce peu de chose à votre avis
d'être l'accomplissement des ouvrages de Dieu, le dernier sujet sur lequel il
emploiera sa toute-puissance, et qu'il se repose après toute l'éternité? Il y
aura de quoi contenter celte nature infinie. Lui qui a jugé que la production de
cet univers n'était pas une entreprise digne de lui, se contentera après avoir
consommé le nombre de ses élus. Toute l'éternité il ne fera que leur dire :
Voilà ce que j'ai fait; voyez, n'ai-je pas bien réussi dans mes desseins?
Pouvais-je me proposer une fin plus excellente ?
Vous me direz peut-être :
Comment se peut-il faire que tous les desseins de Dieu aboutissent aux
bienheureux ? Jésus-Christ n'est-il pas le premier-né de toutes les créatures?
N'est-ce pas en lui qu'a été créé tout ce qu'il y a de visible et d'invisible?
Il est la consommation de tous les ouvrages de Dieu. Et sans aller plus loin,
les paroles de mon texte nous font assez voir que les saints ne sont pas la fin
que Dieu s'est proposée dans tous ses ouvrages, puisqu'eux-mêmes ne sont que
pour Jésus-Christ : Vos autem Christi (3). Tout cela est très-véritable,
Messieurs; mais il n'y a rien à mon avis qui établisse plus ce que je viens de
dire. Le même Apôtre qui a dit que tout est pour Notre-Seigneur, a dit aussi que
tout est pour les élus. Et non-seulement il l'a dit; il nous a donné de plus une
doctrine admirable pour le comprendre. Il nous apprend que Dieu, afin de pouvoir
donner cette prérogative à son Fils sans rien déroger à ce qu'il préparait à ses
saints, a trouvé le moyen d'unir leurs intérêts avec tant d'adresse, que tous
leurs avantages et tous leurs biens sont communs (4). C'est ce qui me reste à
expliquer en peu de mots. Que si Dieu me fait la grâce de pouvoir dire quelque
chose qui approche de ces hautes vérités, il y aura de quoi nous étonner de
l'affection qu'il a pour les saints et des grandeurs où il les appelle.
1 Matth., XXV, 34. — 2 Ibid.— 3 I
Cor., III, 23.— 4 Rom., VIII, 28.
23
SECOND POINT.
Le Père éternel ayant rempli son
Fils de toutes les richesses de la divinité, a voulu qu'en lui toutes les
nations fussent bénies. Et comme il lui a donné les plus pures de ses lumières,
il a établi cette loi universelle, qu'il n'y eût point de grâce qui ne fût un
écoulement de la sienne. De là vient que le Fils de Dieu dit à son Père qu'il a
donné aux justes la même clarté qu'il avait reçue de lui : Ego claritatem
quant dedisti mihi, dedi eis (1). Où, comme vous voyez, il compare la
sainteté à la lumière , pour nous faire voir qu'elle est une et indivisible, et
que tout de même que les rayons du soleil venant à tomber sur quelque corps, lui
donnent véritablement un éclat nouveau et une beauté nouvelle, mais qui n'est
qu'une impression de la beauté du soleil et une effusion de cette lumière
originelle qui réside en lui ; ainsi la justice des élus n'est autre chose que
la justice de Notre-Seigneur, qui s'étend sur eux sans se séparer de sa source,
parce qu'elle est infinie ; de sorte qu'ils n'ont de splendeur que celle du Fils
de Dieu, ils sont environnés de sa gloire, ils sont tout couverts, pour parler
avec l'Apôtre, et tout revêtus de Jésus-Christ. L'esprit de Dieu, Messieurs, «
cet esprit immense qui comprend en soi toutes choses, » hoc quod continet
omnia (2), se repose sur eux pour leur donner une vie commune. Il va
pénétrant le fond de leur âme; et là, d'une manière ineffable, il ne cesse de
les travailler jusqu'à tant qu'il y ait imprimé Jésus-Christ. Et comme il a une
force invincible, il les attache à lui par une union incomparablement plus
étroite que celle que peuvent faire en nos corps des nerfs et des cartilages,
qui au moindre effort se rompent ou se détendent.
C'est cette liaison miraculeuse
qui fait que « Jésus-Christ est toute leur vie : » Christus vita vestra
(3). Ils sont « son corps et sa plénitude, » corpus ejus et plenitudo
(4), comme parle l'apôtre saint Paul; comme s'il disait qu'il manquerait quelque
perfection au de Dieu, qu'il serait mutilé, si l'on séparait de lui les élus.
C’est pourquoi notre bon maître, dans cette oraison admirable qu’il fait pour
ses saints, en saint Jean, XVII, les recommande à
1 Joan., XVII, 22. — 2 Sap., I,
7. — 3 Coloss., III, 4. — 4 Ephes., I, 23.
26
son Père non plus comme les siens, mais comme lui-même.
«J'entends, dit-il, que partout où je serai, mes amis y soient avec moi : »
Volo, Pater, ut ubi sum ego, et illi sint mecum (1). Vous diriez qu'il ne
saurait se passer d'eux, et que son royaume ne lui plairait pas, s'il ne le
possédait en leur compagnie et s'il ne leur en faisait part. Il ne veut pas même
que son Père les divise de lui dans son affection. Il ne cesse de lui
représenter continuellement qu'il est en eux et eux en lui, qu'il faut qu'ils
soient mêlés et confondus avec lui, comme il fait lui-même avec son Père une
parfaite unité. Il semble qu'il ait peur qu'il n'y mette quelque différence :
Ego in eis et tu in me, ut sint consummati in unum, ut sciat mundus quia
dilexisti eos sicut et me dilexisti (2). Et un peu après : Dilectio quel
dilexisti me in ipsis sit, et ego in eis (3). Je suis en eux et vous en moi,
afin que tout se réduise à l'unité, et que le monde sache que vous ne faites
point de distinction entre nous, que vous les aimez et que vous en avez soin
comme de moi-même.
A ces paroles, Messieurs, qui
serait l'insensible qui ne se laisserait émouvoir ? Certes elles sont si
avantageuses pour nous, que je les croirais injurieuses à notre Maître, si
lui-même ne les avait prononcées. Mais qui peut douter de ce prodige? Et
quoique d'abord cela nous semble incroyable, est-ce trop peu de sa parole pour
nous en assurer? Tenons-nous hardiment à cette promesse, et laissons ménager au
Père éternel les intérêts de son Fils; il saura bien lui donner le rang qui est
dû à sa qualité et à son mérite, sans violer cette unité que lui-même lui a si
instamment demandée. Comme une bonne mère qui tient son cher enfant entre ses
bras, porte différemment ses caresses sur diverses parties de son corps, selon
que son affection la pousse; il y en a quelques-unes qu'elle orne avec plus de
soin, qu'elle conserve avec plus d'empressement ; ce n'est toutefois que le même
amour qui l'anime : de même le Père éternel, sans diviser cet amour qu'il doit
en commun à son Fils et à ses membres, saura bien lui donner la prééminence du
chef. Et s'il y a quelque différence en cet exemple, c'est, Messieurs, que
l'union des saints avec Jésus-Christ est bien plus étroite, parce qu'il
emploiera pour la faire et sa main
1 Joan., XVII, 24. — 2 Ibid., 23.— 3 Ibid.,
26.
27
toute-puissante, et cet esprit unissant que les Pères ont
appelé le lien de la Trinité.
Dites-moi tout ce qu'il vous
plaira de la grandeur, des victoires, du sacrifice de notre Maître; j'avouerai
tout cela, Messieurs, et j'en avouerai beaucoup davantage : car que
pourrions-nous dire qui approchât de sa gloire ? Mais je ne laisserai pas de
soutenir que celui qui n'aspire pas au même royaume, qui ne porte pas son
ambition jusqu'aux mêmes honneurs, qui n'espère pas la même félicité, n'est pas
digne de porter le nom de chrétien, ni d'être lavé de son sang, ni d'être animé
de son esprit. Pour qui a-t-il vaincu, si ce n'est pour nous? N'est-ce pas pour
nous qu'il s'est immolé? Sa gloire lui appartenait parle droit de sa naissance;
et s'il avait quelque chose à acquérir, c'était les fidèles qu'il appelle le
peuple d'acquisition. Pensons-nous pas qu'il sache ce qui est dû à ses
victoires? Et cependant écoutons comme il parle dans l’ Apocalypse : «
J'ai vaincu, dit-il ; je suis assis comme un triomphateur à la droite de mon
Père, et je veux que ceux qui surmonteront en mon nom soient mis dans le même
troue que moi : » Qui vicerit, dabo ei ut sedeat in throno meo (1).
Figurez-vous, si vous pouvez, une plus parfaite unité. Ce n'est pas assez de
nous transporter au même royaume, ni de nous associer à l'empire; il veut que
nous soyons placés dans son trône, non pas qu'il le quitte pour nous le donner (
les saints n'en voudraient pas à cette condition), mais il veut que nous y
régnions éternellement avec lui. Et comment cela se peut-il expliquer, qu'en
disant que nous sommes le même corps, et qu'il ne faut point mettre de
différence entre lui et nous?
Après de si grands desseins de
la Providence sur les bienheureux, après que Dieu s'est intéressé lui-même à
leur grandeur, et s’y est intéressé par ce qu'il aime le plus, prenez garde,
chrétiens, lorsqu'on vous parlera du royaume céleste, de ne vous le pas
représenter à la façon de ces choses basses qui frappent nos sens, ou de ces
plaisirs périssables qui trompent plutôt notre imagination qu’ils ne la
contentent. Tout nous y semblera nouveau, nous n'aurons jamais rien vu de
semblable : Nova facio omnia (2). Comme Dieu,
1 Apoc., III, 21. — Isa., XLIII, 19 ; Apoc.,
XXI, 5.
28
sans avoir égard à ce qu'il a fait des choses, ne
considérera plus que ce qu'il en peut faire; comme il ne suivra plus leur
disposition naturelle et ne prendra loi que de sa puissance et de son amour, ce
ne serait pas une moindre témérité de prétendre concevoir ce qu'il fait dans les
bienheureux, que si nous voulions comprendre sa toute-puissance. Mettre les
choses dans cet état naturel où nous les voyons, cela était bon pour commencer
les ouvrages de Dieu. Mais s'il veut faire des saints quelque chose digne de
lui, il faut qu'il travaille in manu potenti et brachio extento (1); il
faut, dis-je, qu'il étende son bras; il faut qu'il les tourne de tous côtés pour
les façonner entièrement à sa mode, et qu'il n'ait égard à leur disposition
naturelle qu'autant qu'il faudra pour ne leur point faire de violence. Ce sera
pour lors qu'il donnera ce grand coup de maître qui rendra les saints à jamais
étonnés de leur propre gloire. Ils seront tellement embellis (a) des
présents de Dieu, qu'à peine L'éternité leur suffira-t-elle pour se reconnaître.
Est-ce là ce corps autrefois sujet à tant d'infirmités ? est-ce là cette âme qui
avait ses facultés si bornées? Ils ne pourront comprendre comment elle était
capable de tant de merveilles. La joie y entrera avec trop d'abondance, pour y
passer par les canaux ordinaires. Il faudra que la main de Dieu ouvre les
entrées et qu'il leur prête pour ainsi dire son esprit, comme il les fera jouir
de sa félicité. Je vous prie de considérer un moment avec moi ce que c'est que
cette béatitude.
Notre âme dans cette chair
mortelle ne peut rien rencontrer qui la satisfasse; elle est d'une humeur
difficile, elle trouve à redire partout. Quelle joie d'avoir trouvé un bien
infini, une beauté accomplie , un objet qui s'empare si doucement de sa liberté,
qui arrête à jamais toutes ses affections, sans que son bonheur (b)
puisse être troublé ou interrompu par le moindre désir ! Mais que peut-elle
concevoir de plus grand que de posséder celui qui la possède, et que cet objet
qui la maîtrise soit à elle ? Car il n'y a rien qui soit plus à elle que ce qui
est sa récompense, d'autant que la récompense est attachée à une action de
laquelle le domaine lui appartient. Comme elle loue Dieu de l'avoir si bien
conduite,
1 Deut., V, 15.
(a) Var. : Enrichis. — (b)
Ravissement.
29
d'avoir opéré en elle tant de merveilles, cependant que (a)
son Dieu même la loue! Là. Seigneur, toujours on chantera vos louanges ; on n'y
parlera, ne s'entretiendra que de vos merveilles; jamais on ne se lassera d'y
parler de la magnificence de votre royaume : Magnificentiam gloriœ
sanctitatis tuœ loquentur, et mirabilia tua narrabunt (1). Mais vous ne vous
lasserez non plus de leur dire qu'ils ont bien fait, vous leur parlerez de leurs
travaux avec une tendresse de père, et ainsi de part et d'autre l'éternité se
passera en des congratulations perpétuelles. Oh ! que la terre leur paraîtra
petite ! Comme ils se riront des folles joies de ce monde !
En est-ce assez, Messieurs, ou
s'il faut encore quelque chose pour nous exciter? Que restait-il à faire au Père
éternel pour nous attirer à lui ? Il nous appelle au royaume de son Fils unique,
nous qui ne sommes que des serviteurs, et des serviteurs inutiles. Il ne veut
rien avoir de secret ni de réservé pour nous. L'objet qui le rend heureux, il
nous l'abandonne. Il nous fait les compagnons de sa gloire, cendre et pourriture
que nous sommes ; et il ne nous demande pour cela que notre amour et quelques
petits service qui lui sont déjà dus par une infinité d'obligations que nous lui
avons, et qui ne seraient que trop bien payés des moindres de ses faveurs.
Cependant, qui le pourrait croire, si une malheureuse expérience ne nous
l'apprenait? l'homme insensé ne veut point de ces grandeurs; il embrasse avec
autant d'ardeur des plaisirs mortels que s'il n'était pas né pour une gloire
éternelle; et comme s'il voulait être heureux malgré son créateur, il prend pour
trouver la félicité une route toute contraire à celle qu'il lui prescrit et n'a
point de contentement qu'en s'opposant à ses volontés. Encore si cette vie avait
quelques charmes qui fussent capables de le contenter, sa folie serait en
quelque façon pardonnable. Mais Dieu, comme un bon père qui connaît le faible de
ses enfants et qui sait l’impression que font sur nous les choses présentes, a
voulu exprès quelle fût traversée de mille tournions, pour nous faire porter
plus haut nos affections. Que s'il y a mêlé quelques petites douceurs, ç’a été
pour en tempérer l'amertume, qui nous aurait
1 Psal. CXLIV, 5.
(a) Pour : pendant que.
30
semblé insupportable sans cet artifice. Jugez par là ce que
c'est que cette vie. Il faut de l'adresse et de l'artifice pour nous en cacher
les misères; et toutefois, ô aveuglement de l'esprit humain! c'est elle qui nous
séduit, elle qui n'est que trouble et qu'agitation, qui ne tient à rien, qui
fait autant de pas à sa fin qu'elle ajoute de moments à sa durée, et qui nous
manquera tout à coup cornu le un faux ami, lorsqu'elle semblera nous promettre
plus de repos. A quoi est-ce que nous pensons ?
Où est cette générosité du
christianisme, qui faisait estimer aux premiers fidèles moins que de la fange
toute la pompe du monde, existimavi sicut stercora (1) ; qui leur faisait
dire avec tant de résolution : Cupio dissolvi et esse cum Christo (2);
qui dans un état toujours incertain, dans une vie continuellement traversée,
mais dans les tourments les plus cruels et dans la mort même, les tenait
immobiles par une ferme espérance, spe viventes (3)? Mais, hélas! que je
m'abuse de chercher parmi nous la perfection du christianisme! Ce serait
beaucoup si nous avions quelque pensée qui fût digne de notre vocation et qui
sentit un peu le nouvel homme. Au moins, Messieurs, considérons un peu
attentivement quelle honte ce nous sera d'avoir été appelés à la même félicité
que ces grands hommes qui ont planté l'Eglise par leur sang, et de l'avoir
lâchement perdue dans une profonde paix, au lieu qu'ils l'ont gagnée parmi les
combats et malgré la rage des tyrans, et des bourreaux, et de l'enfer. Heureux
celui qui entend ces vérités et qui sait goûter la suavité du Seigneur! «
Heureux celui qui marche innocemment dans ses voies, qui passe les jours et les
nuits à contempler la beauté de ses saintes lois (4)! Il fleurira comme un arbre
planté sur le courant des eaux. Le temps viendra qu'il sera chargé de ses fruits
; il ne s'en perdra pas une seule feuille ; le Seigneur ira recueillant toutes
ses bonnes œuvres et fera prospérer toutes ses actions. Ah! qu'il n'en sera pas
ainsi des impies! Il les dissipera dans l'impétuosité de sa colère, comme la
poudre est emportée par un tourbillon (5). » Cependant les justes se réjouiront
avec lui; « il les remplira de l'abondance de sa maison, il les enivrera du
torrent
1 Philipp., III, 8. — 2 Ibid., I,
23. — 3 Rom., XII,
12. — 4 Psal. I, 1. — 5 Ibid., vers. 2, 3, etc.
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de ses délices (1). » Ah! Seigneur, qu'il fait beau dans
vos tabernacles! Je ne suis plus à moi quand je pense à votre palais; mes sens
sont ravis et mon âme transportée, quand je considère que je jouirai de vous
dans la terre des vivants. Je le dis encore une fois et ne me lasserai jamais de
le dire : « Il est plus doux de passer un jour dans votre maison, que d'être
toute sa vie dans les voluptés du monde (2). » Seigneur, animez nos cœurs de
cette noble espérance.
Et vous, âmes bienheureuses,
pardonnez-nous si nous entendons si mal votre grandeur, et ayez agréables ces
idées grossières que nous nous formons de votre félicité durant l'exil et la
captivité de cette vie. Vous avez passé par les misères où nous sommes ; nous
attendons la félicité que vous possédez; vous êtes dans le port ; nous louons
Dieu de vous avoir choisis, de vous avoir soutenus parmi tant de périls, de vous
avoir comblés d'une si grande gloire. Secourez-nous de vos prières, afin que
nous allions joindre nos voix avec les vôtres, pour chanter éternellement les
louanges du Père qui vous a élus, du Fils qui vous a rachetés, du Saint-Esprit
qui vous a sanctifiés. Ainsi soit-il à jamais.
1 Psal. XXXV, 9. — 2 Psal. LXXXIII, 1, 2, 10
et 11.
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