III Avent Frg.
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FRAGMENTS D'UN SERMON POUR
LE   IIIe  DIMANCHE   DE  L'AVENT (a).

 

« Une voix crie dans le désert : Préparez les voies du Seigneur, aplanissez les sentiers de notre Dieu; pour cela il faut combler toutes les vallées et abattre toutes les montagnes (2); » c'est-à-dire qu'il faut relever le courage des consciences abattues par le désespoir,

 

1 Joan., VIII, 21. — 2 Luc., III, 5.

(a) Le sermon dont on va lire d'importants fragments a été prêché probablement en 1669, à Paris, chez les Nouveaux Convertis.

Ces fragments se rapportent au sermon précédent, car ils renferment les mêmes textes et les mêmes idées fondamentales; ils ont été écrits bientôt après vraisemblablement dans la semaine qui suivit le dimanche où Bossuet avait prêché à la Cour.

La maison des Nouveaux Convertis, située rue de Seine-Saint-Victor, recevait les juifs et les protestants qui venaient d'embrasser la vraie foi. C'est là que prononça le sermon dont nos fragments firent partie ; on le verra par un passage commençant par ces mots : « C'est pour cette maison qu’il (le divin Maître) parlait. Vous le dirai-je à la honte de l'Eglise? Non; ces pauvres catholiques n’ont pas d’habit, ils n’ont pas de nourriture, » etc. Les calvinistes, et un écrivain catholique après eux, disent que Bossuet n'a jamais élevé la voix en faveur des malheureux. Le sermon qu’on va lire suffirait, à lui seul, pour réfuter cette calomnie.

 

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et abattre sous la main de Dieu par la pénitence les pécheurs superbes et opiniâtres qui s'élèvent contre Dieu, etc.

L'Eglise fera bientôt le premier, lorsqu'elle dira aux pécheurs : Consolamini, consolamini (1)... Gaudium magnum..., quia natus est vobis hodie Salvator (2). Mais devant que de relever leur courage, il faut premièrement abattre leur arrogance : Jam enim securis (3), etc. Pour cela il faut des paroles inspirées d'en haut. Ave.

Deux coups : celui du péché, celui de la justice divine. L'un ôte la vie, l'autre l'espérance : le coup du péché, la vie ; le coup de la justice, l'espérance. Chose étrange et incroyable, Messieurs ! après la perte de la vie, peut-il rester de l'espérance? Oui, parce que Dieu est puissant pour ressusciter les morts, et « qu'il peut, dit notre évangile, faire naître des enfants d'Abraham de ces pierres (4) » insensibles et inanimées; et sa miséricorde infinie lui faisant faire tous les jours de pareils miracles, ceux qui ont perdu la vie de la grâce n'ont pas néanmoins perdu l'espérance, etc.

Faut traiter le second point et dire par quels degrés Dieu abat l'appui et le fondement de cette espérance mal fondée. Ce coup n'est pas toujours sensible. Il dessèche l'arbre et la racine en retirant ses inspirations.

Ainsi je ne m'étonne pas si les pécheurs convertis regardent l'état d'où ils sont sortis avec une telle frayeur et ne se sentent pas moins obligés à Dieu, que s'il les avait tirés de l'enfer. Posuerunt me in lacu inferiori (5). Eruisti animam meam ex inferno inferiori (6). Deux choses font l'enfer : la peine du damné, séparation éternelle d'avec Jésus-Christ : Nescio vos (7). A la sainte table , il ne nous connaît plus. Elle est éternelle de sa nature. Le feu, la peine du sens. Il n'est pas encore allumé , mais nous en avons en nous le principe. En effet d'où pensez-vous, chrétiens, que Dieu fera sortir, etc.

Le moment que Dieu a marqué pour donner ce coup irrémédiable qui enverra les pécheurs au feu éternel, par une juste disposition de sa providence, ne leur doit pas être connu. C'est un

 

1 Isa., XL, 1.— 2 Luc., II, 10, 11.— 3 Ibid., III, 9. — 4 Ibid., 8.— 5 Psal. LXXXVII, 7. —  6 Psal. LXXXV, 13. — 7 Matth., XXV, 12.

 

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secret que Dieu se réserve et qu'il nous cache soigneusement, afin que nous soyons toujours en action et que jamais nous ne cessions de veiller sur nous. Néanmoins le pécheur s'endort dans les longs délais qu'il lui donne , l'attendant à la pénitence ; et pendant qu'il dort à son aise au milieu des prospérités temporelles, il s'imagine que Dieu dort aussi : « Il dit dans son cœur : Dieu l'a oublié, » il ne prend pas garde à mes crimes : Dixit enim in corde suo : Oblitus est Deus (1) ; et parce qu'il ne songe pas à se convertir et que Dieu ne lui fait pas sentir sa fureur, il croit que Dieu ne songe pas à le punir. Pour lui ôter de l'esprit cette opinion dangereuse , tâchons aujourd'hui de lui faire entendre une vérité chrétienne qui nous est représentée dans notre évangile, et que je vous prie de comprendre; c'est que la justice divine qui semble dormir, qui semble oublier les pécheurs, les laissant prospérer longtemps en ce monde, est toujours en armes contre eux, toujours en action, toujours vigilante, toujours prête à donner le coup qui les coupera par la racine pour ne leur laisser aucune ressource.

Mais afin de bien comprendre cette vérité, il est nécessaire, Messieurs , de vous expliquer plus profondément ce que j'ai déjà touché en peu de paroles touchant la contrariété infinie qui est entre le pécheur et la justice de Dieu. Je suivrai encore le grand Augustin et les ouvertures admirables qu'il nous a données pour l'éclaircissement de cette matière en son épitre quarante-neuvième (2). Il remarque donc en ce lieu qu'il y a cette opposition entre le pécheur et la loi, que comme le pécheur détruit la loi autant qu'il le peut, la loi réciproquement détruit le pécheur ; tellement qu'il y a entre eux une inimitié qui jamais ne peut être réconciliée; et quoique cette vérité soit très-claire, vous serez néanmoins bien aises, Messieurs, d'entendre une belle raison par laquelle saint Augustin l'a prouvée. Elle tombera sans difficulté dans l'intelligence de tout le monde, parce qu'elle est établie sur le principe le plus connu de l'équité naturelle : « Ne fais pas ce que tu ne veux pas qu'on te fasse : » In quâ mensurà mensi fueritis, remetietur vobis (2). Pécheur, qu'as-tu voulu faire à la loi de

 

1 Psal. X, H, 11. — 2 Epist. CII, al. XLIX — 3 Luc., VI, 38.

 

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Dieu ? N'as-tu pas voulu la détruire et anéantir son pouvoir ? Oui, certainement, chrétiens. « Les hommes qui ne veulent pas être justes souhaitent qu'il n'y ait point de vérité, et par conséquent point de loi qui condamne les injustes : » Qui dùm nolunt esse justi, nolunt esse veritatem que damnentur injusti (1).

Et c'est pour cela, chrétiens, que Moïse descendant de la montagne, entendant les cris des Israélites qui adoraient le veau d'or, laisse tomber les tables sacrées où la loi était écrite et les brise : Vidit vitulum et choros, et projecit tabulas, et fregit eas (2). Et cela, pour quelle raison, si ce n'est pour représenter ce que le peuple faisait alors? Ah ! ce peuple ne mérite point d'avoir de loi, puisqu'il la détruit entière en ce moment qu'on la lui porte de la part de Dieu. Qu'a fait cette loi pour être brisée? Détruisez les pécheurs, faites-les mourir. Il le fera en son temps, mais en attendant il nous montre ce que nous faisons à la loi.

C'est pourquoi il brise les tables où le doigt de Dieu était imprimé ; et remarquez, s'il vous plaît, Messieurs, que le peuple ne pèche que contre l'article qui défendait d'adorer les idoles : Non faciès tibi sculptile (3). Mais qui pèche en un seul article, il détruit autant qu'il peut la loi tout entière. C'est pourquoi il laisse tomber et il casse ensemble toutes les deux tables, pour nous faire entendre, mes frères, que par une seule transgression toute la loi divine est anéantie. Mais comme les pécheurs détruisent la loi, il est juste aussi qu'elle les détruise ; il est juste qu'ils soient mesurés selon leur propre mesure, et qu'ils souffrent justement ce qu'ils ont voulu faire injustement. Car si cette règle de justice doit être observée entre les hommes, de ne faire que ce que nous voulons qu'on nous fasse, combien plus de l'homme avec Dieu et avec sa loi éternelle ! Et c'est pourquoi dans l'histoire que j'ai racontée, le même Moïse qui brisa la loi fit aussi briser le veau d'or et mettre à mort tous les idolâtres, dont l'on fit un sanglant carnage, nous montrant par le premier ce que le pécheur veut faire à la loi, qui est de l'anéantir et de la rompre effectivement, et nous faisant voir par le second ce que fait la loi au pécheur, qui est de le perdre et le mettre en pièces. « Ainsi, dit saint

 

1 S. August., Tract. XC in Joan., n. 3. — 2 Exod., XXXII, 19. — 3 Ibid., I, 14.

 

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Augustin, ce que le pécheur a fait à la loi à laquelle il ne laisse point de place en sa vie, la loi de son côté le fait au pécheur en lui ôtant la vie à lui-même : » Quod peccator facit legi quam de suâ vitâ abstulit, hoc ei facit lex ut auferat eum de hominum vitâ quam regit (1).

Voilà donc une éternelle opposition entre le pécheur et la loi de Dieu, c'est-à-dire par conséquent entre le pécheur et la justice divine. De là vient que la justice divine nous est représentée dans les Ecritures toujours armée contre le pécheur :« Toutes ses flèches sont aiguisées , nous dit le prophète, tous ses arcs sont bandés et prêts à tirer : » Sagittœ ejus acutœ, et omnes arcus ejus extenti (2). Que s'il retarde par miséricorde à venger les crimes, sa justice cependant souffre violence : « Cela m'est à charge, dit-il, et j'ai peine aie supporter : » Facta sunt mihi molesta, laboravi sustinens (3). Mais pourquoi rechercher ailleurs ce que je trouve si clairement dans mon évangile? Que ne puis-je vous représenter et vous faire appréhender vivement le tranchant épouvantable de cette cognée appliquée à la racine de l'arbre? A toute heure, à tous moments elle veut frapper, parce qu'il n'y a heure, il n'y a moment où la justice divine irritée ne s'anime elle-même contre les pécheurs. Il est vrai qu'elle retarde à frapper, mais c'est que la miséricorde arrête son bras. Elle tâche toujours de gagner le temps ; elle pousse d'un moment à l'autre, nous attendant à la pénitence. Pécheurs, ne sentez-vous pas quelquefois le tranchant de cette justice appliqué sur vous? Lorsque votre conscience vous trouble, qu'elle vous inquiète, qu'elle vous effraie, qu'elle vous réveille en sursaut, remplissant votre esprit des idées funestes de la peine qui vous suit de près, c'est que la justice divine commence à frapper votre conscience criminelle ; elle crie, elle vous demande secours, elle se trouble, elle est étonnée. Mais, ô Dieu! quel sera son étonnement, lorsque la justice divine laissera aller tout à fait la main! Que si elle demeure insensible, si elle ne s'aperçoit pas du coup qui la frappe, ah ! c'est qu'il a déjà donné bien avant, que l'esprit de vie ne coule plus; et de là vient que le sentiment est tout offusqué. Mais soit que vous sentiez ce tranchant, soit que vous ne sentiez

 

1 Epist. CII, n. 24. — 2 Isa., V, 28. — 3 Ibid., I, 14.

 

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pas le coup qu'il vous donne, il touche, il presse déjà la racine, et il n'y a rien entre deux.

O pécheur, ne trembles-tu pas sous cette main terrible de Dieu, qui non-seulement est levée, mais déjà appesantie sur ta tête? Jam enim securis ad radicem arboris posita est. Elle ne s'approche pas pour ébranler l'arbre, ni pour en faire tomber les fruits ni les feuilles ; elle n'en veut pas même aux branches, à la santé, à la vie du corps; elle le fait quelquefois, mais ce n'est pas là maintenant . où elle touche : (a) « Elle est à la racine, » dit saint Chrysostome : Apposita est ad radicem. Il n'y a plus rien entre deux ; et après ce coup dernier, qui nous menace à toute heure, il n'y a plus que le feu pour nous, et encore un feu éternel. Représentez-vous, chrétiens, un homme à qui son ennemi a ôté les armes, qui le presse l'épée sur la gorge : Demande la vie, demande pardon ; il commence à appuyer de la pointe sur la poitrine à l'endroit du cœur. C'est ce que Dieu fait dans notre évangile ; il n'enfonce pas encore le coup (b), ce sont les mots de saint Chrysostome, mais aussi ne retire-t-il pas encore la main. Il ne retire pas, de peur que tu ne te relâches et ne t'enfles ; et il n'avance pas (c) tout à fait, de peur que tu ne périsses. En cet état il te dit dans notre évangile : Ou résous-toi bientôt à la mort, ou demande promptement pardon : Omnis arbor non faciens fructum, excidetur. Ne désespère pas, ô pécheur, il n'a pas encore frappé ; tremble néanmoins, car il est tout prêt, et le coup sera sans remède. Peut-être va-t-il frapper dans ce moment même ; peut-être sera-ce la dernière fois qu'il te pressera à la pénitence.

— Mais je suis en bonne santé. — Epargne-t-il la jeunesse? épargne-t-il la naissance ? épargne-t-il la modération, qui semble un des plus puissants appuis de la vie? Mais en un moment il renverse tout. Et puis quand il te voudrait prolonger la vie, il sait bien nous frapper d'une autre manière. Peut-être qu'il ne laissera pas de frapper en retirant pour jamais les dons de sa grâce. S'il les retire, arraché ou desséché, c'est la même chose; le coup est

 

(a) Note marg.: Plaisirs, richesses, les biens de fortune, biens externes qui ne tiennent pas à notre personne; il ne faut pas un si grand effort; il ne faut pas... la racine, il ne faut que secouer l'arbre. — (b) Var. : La main. — (c) Il ne frappe pas.

 

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donné, la racine est coupée, l'espérance est morte. Que tardons-nous donc, malheureux, à lui donner les fruits qu'il demande ? Et quoi ! si vite, si promptement, et si près du coup de la mort! Oui, m, s frères; en ce moment même faites germer ces fruits salutaires ; ces fruits peuvent croître en toute saison, et ils n'ont pas besoin du temps pour mûrir. Nathan menace David de la part de Dieu; voilà la cognée à la racine. En même temps, sans aucun délai : « J'ai péché, » dit-il au Seigneur; voilà le fruit de la pénitence. Et au même instant qu'il paraît, le tranchant de la cognée se retire : Dominus transtulit peccatum tuum (1). Ne demande donc pas un long temps pour accomplir un ouvrage qui ne demande jamais qu'un moment heureux. Il suffit de vouloir, dit saint Chrysostome (2) ; et aussitôt le germe de ce fruit paraît ; et la cognée se retirera sitôt qu'elle verra paraître, je ne dis pas le fruit, mais la fleur ; je ne dis pas la fleur, mais le nœud, mais le moindre rejeton qui témoignera de la vie. Ah! s'il est ainsi, chrétiens, malheureux et mille fois malheureux celui qui sortira de ce lieu sacré sans donner à Dieu quelque fruit ! Si vous ne pouvez lui donner une entière conversion, une repentance parfaite, ah! donnez-lui du moins quelques larmes pour déplorer votre aveuglement. Ah ! si vous ne pouvez lui donner des larmes, ah ! laissez du moins aller un soupir qui témoigne le désir de vous reconnaître ; et si la dureté de vos cœurs ne vous permet pas un soupir, battez-vous du moins la poitrine, jetez du moins un regard à Dieu pour le prier de fléchir votre obstination, donnez quelque aumône à cette intention et pour obtenir cette grâce. Ce n'est pas moi, mes frères, qui vous le conseille, c'est la voix du divin Précurseur qui vous y exhorte dans notre évangile. C'est lui qui excite aujourd'hui les peuples à faire des fruits de pénitence. C'est lui qui, pour les presser vivement, leur représente la cognée terrible de la vengeance divine toute prête à décharger le dernier coup, s'ils ne produisent bientôt ces bons fruits. Là-dessus le peuple : Quid faciemus ? « Quel fruit produirons-nous ? » Qui habet duas tunicas det non habenti, et qui habet escas similiter faciat (3). C'est pour cette maison qu'il parlait. Vous dirai-je la honte de l'Eglise? Non ; ces

 

1 II Reg. XII, 13.— 2 Homil. XI in Matth. — 3 Luc., III, 10, 11.

 

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pauvres catholiques n'ont pas d'habit, ils n'ont pas de nourriture. Ne dites pas : Je l'ignorais. Je vous le déclare; ne croyez pas que nous inventions. Ce n'est pas ici un théâtre où nous puissions inventer à plaisir des sujets propres à émouvoir et à exciter les passions. Que de profusions dans les tables ! que de vanités sur les habits ! que de somptuosité dans les meubles! mais quelle rage et quelle fureur dans le jeu! Le désespoir !... Nous rendrons compte de ces âmes.

Quand il lâchera le dernier coup, etc. Moment que Dieu a réservé à sa puissance. Le dernier coup après les grandes miséricordes, après l'abondante effusion, l’épanchement des grandes grâces. Preuve par notre évangile : Jam enim securis : déjà, depuis la venue du Sauveur, Dieu s'était irrité contre sou peuple qui avait méprisé les prophètes : (a) « Ils ont, dit-il, appesanti leurs oreilles, ils ont endurci leur cœur comme un diamant, pour ne point écouter les paroles que je leur ai envoyées en la main de mes serviteurs les prophètes; et il s'est élevé une grande indignation, une commotion violente dans le cœur du Seigneur Dieu des armées: » Et facta est indignatio magna à Domino exercituum (1). Pour venger le mépris de ses saints prophètes, Dieu a secoué la nation judaïque comme un grand arbre, il en a fait tomber les fruits et les feuilles, la gloire de ce peuple, la couronne et le sceptre de ses rois entre les mains des rois d'Assyrie. (b) Il a frappé les branches, les tribus : une partie au delà du fleuve, une autre en quelque partie de l'empire des Assyriens; cependant encore une souche en Israël, encore une racine en Jacob. Le temple, les sacrifices, le conseil de la nation, l'autorité des pontifes, enfin une forme d'empire, de république. Jésus est venu, Jésus a prêché, etc. Jam securis ad radicem; l'arbre a été coupé par le pied, ou plutôt déraciné tout à fait, (c)  Le temple renversé, le sacrifice

 

1 Zach., VII, 11, 12.

 

(a) Note marg. : Il avait commencé à s'ennuyer : Coepit Dominus taedere. Dégoût de Dieu, quand on passe si facilement au crime à la pénitence et de la pénitence au crime.— (b) Il jette les sceptres comme un roseau : quand il lui plaît, un roseau est un sceptre et un sceptre est un roseau. — (c) Tite vient bientôt après Jésus-Christ : le vengeur suit de près le Sauveur. Ils n'ont pas connu le temps de leur visite : Dieu les visite à main armée. L'aigle romaine vient fondre sur eux et les enlever, malgré les forteresses dans lesquelles ils avaient mis leur confiance. Tite se reconnaît l'instrument de la vengeance de Dieu. Sans savoir le crime, il reconnaît la vengeance  tant le caractère de la main de Dieu paraissait de toutes parts. — Ce qui est écrit dans la Vie d'Apollonius de Tyane.

 

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aboli, toute la nation dispersée, le jouet et la dérision de tous les peuples du monde : Omnia in figura contingebant illis (1). Ce peuple dans ses bénédictions, figure de nos grâces; dans ses malédictions, figure de la vengeance que Dieu exerce sur nous, etc. Le baptême, la pénitence ; le pain des anges, viande céleste. Dieu s'approche de l'arbre, non pour faire tomber les fruits et les feuilles. Il n'en veut ni à votre bien, ni à vos fortunes. Il ne faut pas la cognée, il ne faut pas la racine. Les biens externes tiennent si peu qu'il ne faut que secouer l'arbre légèrement, et après le moindre vent les emporte. Il n'en veut pas aux branches, à la santé, à la vie; ad radicem, au fond de l’âme. Arbre infructueux où il ne trouve aucun fruit, quœ non facit fructum bonum. Parabole du figuier, Luc., XIII, tout au long.

Je suis venu depuis trois ans : trois ans, c'est un terme immense pour l'attente de notre Dieu. Comptons vingt ans, trente ans, cinquante ans. Songez à votre âge, je n'entreprends pas de faire ce dénombrement; et il n'a pas encore trouvé de fruit. Les autels de notre Dieu n'ont pas encore vu vos prémices. Il faut couper : Ut quid enim terram occupat ? « Pourquoi occupe-t-il la terre inutilement? » Il occupe le soin de mes ministres, qui travailleraient plus utilement sur des âmes mieux disposées. Il fait ombre à ma vigne et empêche que mes nouveaux plants ne prennent le soleil, ou que leur fruit ne mûrisse. « Donnez encore un an. » Voyez un terme préfix et un terme assez court; car l'Eglise qui intercède sait qu'il ne faut pas abuser de la patience d'un Dieu. Trois ans, une longue attente ; un an, une longue surséance. « Et s'il rapporte du fruit, à la bonne heure; sinon vous le couperez. » Elle consent. Appliquez à l’âme : vous avez eu la pluie, vous avez eu le soleil, vous avez eu la culture; vous n'avez ni profité ni porté de fruits : vous n'avez plus rien à attendre que la cognée et le feu. Portez des fruits, fructum bonum, au goût de Dieu; dignos fructus, dignes du changement que vous méditez, dignes des mauvaises oeuvres que vous avez faites. Changement total au dedans et au

 

1 Cor., X, 11.

 

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dehors. Proportion avec les mauvaises œuvres. Maximes des Pères, tous sans exception : qui s'est abandonné aux choses défendues doit s'abstenir des permises. Autant qu'il s'est abandonné, autant doit-il s'abstenir : Dignos. Mes frères, je ne veux rien exagérer; Dieu m'est témoin, je désire sincèrement votre salut, et je ne veux ni élargir ni étrécir les voies de Dieu. Voilà les maximes qui ont enfanté les vrais pénitents; les autres, à la perdition éternelle. Faites-vous des fruits dignes de pénitence? Ces gorges et ces épaules découvertes étalent à l'impudicité la proie à laquelle elle aspire. Est-ce pour réparer le temps que vous le consumez au jeu? Lier les parties, les exécuter, les reprendre, l'inquiétude de la perte, l'amorce du gain, l'ardeur, etc. Et quand vous étalez cette parure et tous ces ornements de la vanité, faites-vous des fruits dignes, etc.? Vous n'humiliez pas la victime; non, vous parez l'idole. Faites des fruits dignes; mais pressez-vous, car le règne de Dieu approche, comme saint Jean vous presse et ne vous laisse aucun repos; pas un mot qui ne vous presse : Appropinquat. Tant mieux. C'est un règne de douceur. Jésus, etc. La justice après. A la suite des grâces, un grand attirail de supplices : Jam securis ad radicem. Je n'ai dit que ce qui est.

Pour comprendre solidement combien est grande la colère de Dieu contre les pécheurs qui ne l'apaisent pas par la pénitence, il faut supposer deux principes dont la vérité est indubitable. Le premier principe que je suppose, c'est que plus celui qui gouverne est juste, plus les iniquités sont punies. Le second, c'est que la peine pour être juste doit être proportionnée à l'injustice qui est dans le crime. Ces principes étant connus par la seule lumière de la raison, il faut tirer cette conséquence que n'y ayant rien de plus juste que Dieu, rien de plus injuste que le péché, ces deux choses concourant ensemble doivent attirer sur tous les pécheurs le plus horrible de tous les supplices. Que Dieu soit infiniment juste, ou plutôt qu'il soit la justice même, c'est ce qui paraît manifestement, parce qu'il est la loi immuable par laquelle toutes choses ont été réglées ; ce qu'il vous sera aisé de comprendre, si vous remarquez que la justice consiste dans l'ordre; toutes les choses sont équitables sitôt qu'elles sont ordonnées. Or ce qui met l'ordre dans les

 

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choses, c'est la volonté du souverain Etre. Car de même que ce qui fait l'ordre d'une armée, c'est que les commandements du chef sont suivis; et ce qui fait l'ordre d'un concert et d'une musique, c'est que tout le monde s'accorde avec celui qui bat la mesure : ainsi l'ordre de cet univers, c'est que la volonté de Dieu soit exécutée. C'est pourquoi le monde est conduit avec un ordre si admirable, parce que et les astres, et les éléments, et toutes les autres parties qui composent cet univers conspirent ensemble d'un commun accord à suivre la volonté de Dieu, suivant ce que dit le prophète : « Votre parole, ô Seigneur, demeure immuablement dans le ciel; vous avez fondé la terre, et elle est toujours également stable. C'est par votre ordre que les jours durent, parce que toutes choses vous servent  (1). » Si la justice de Dieu est infinie, il est aussi infiniment juste que tous ses ordres soient accomplis et que les hommes n'outrepassent jamais son commandement. Rien ne résiste à la volonté de Dieu que la volonté des pécheurs. La justice et l'injustice opposées. La justice infinie. Il n'y a qu'une injustice infinie qui soit capable de s'opposer à la justice infinie de Dieu, d'autant plus que celui qui attaque la volonté de Dieu, la choque nécessairement en tout ce qu'elle est dans toute son étendue, suivant ce que dit l'apôtre saint Jacques (2). Et la raison en est évidente, parce que par une seule contravention l'autorité de la loi est anéantie. L'injustice infinie, le supplice est infini dans son étendue.

Après avoir compris quelle doit être la grandeur de la peine par l'injustice du crime, vous l'entendrez beaucoup mieux encore par la justice de Dieu. Car puisqu'elle est infinie, il faut qu'elle règne et qu'elle prévale. Péché, désordre, rébellion. Ou nous nous rangeons, ou Dieu nous range par l'obéissance, par le supplice ; ou nous faisons l'ordre, ou nous le souffrons. Dieu répare l'injustice de notre crime par la justice de notre peine.

Il n'est pas malaisé de prouver que Dieu accuse les pécheurs. Il a gravé en eux la loi éternelle, c'est la conscience; c'est cette loi qui nous accuse : Accusantibus aut defendentibus (3). En cette vie elle nous accuse intérieurement; mais le sentiment n'en est pas

 

1 Psal. CXVIII, 89, 90, 91. — 2 Jacob., II, 10. — 3 Rom., II, 15.

 

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bien vif, parce que nous l'étouffons par nos crimes, parce que notre âme est comme endormie, charmée par les faux plaisirs de la terre et par une certaine illusion des sens. Et toutefois sa force paraît en ce que nous ne pouvons l'arracher; elle ne laisse pas de se faire entendre. En l'autre vie elle agira dans toute sa force : la force de l'accusateur est dans le jugement. En ce monde il suffit qu'elle nous avertisse; en l'autre il faudra qu'elle nous convainque. Les consciences sont les livres qui seront ouverts : Manifestabimur, apparebimus. Nous y serons découverts par cette lumière infinie qui pénètre le secret des cœurs. Là paraîtra cette méchanceté, cette perfidie pour laquelle tu ne croyais pas pouvoir rencontrer des ténèbres assez épaisses. Là seront exposées en plein jour tes honteuses et criminelles passions, tes abominables plaisirs. Cet accusateur inflexible exagérera l'horreur de ton crime. Ta conscience parlera contre toi devant Dieu, devant les anges et devant les hommes. Comment pourras-tu te défendre contre un accusateur si sincère? La honte née du désordre, établie contre le désordre. Sacrifie à Dieu la honte que tu avais immolée au diable. Dieu, pour montrer qu'il ne nous abandonnait pas à nos passions, nous a donné la honte pour retenir leur emportement.

 

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