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SECOND SERMON
POUR LE IIe DIMANCHE DE L’AVENT.
SUR LA VÉRITÉ DE LA RELIGION (a).

 

Caeci vident, claudi ambulant, leprosi mundantur, etc.; et un peu après : Beatus qui non fuerit scandalizotus in me! Matth.. XI, 5 et 6.

 

Jésus-Christ interrogé dans notre évangile par les disciples de saint Jean-Baptiste s'il est ce Messie que l'on attendait, et ce Dieu qui devait venir en personne pour sauver la nature humaine : Tu es qui venturus es? «Etes-vous celui qui devez venir? » leur dit pour toute réponse qu'il fait des biens infinis au monde, et que le monde cependant se soulève unanimement contre lui. Il leur raconte d'une même suite les bienfaits qu'il répand et les contradictions qu'il endure, les miracles qu'il fait et les scandales qu'il cause à un peuple ingrat ; c'est-à-dire qu'il donne aux hommes pour marque de divinité en sa personne sacrée, premièrement ses bontés, et secondement leur ingratitude.

En effet, chrétiens, il est véritable que Dieu n'a jamais cesse d'être bienfaisant, et que les hommes de leur côté (b)  n'ont jamais cessé d'être ingrats ; tellement qu'il pourrait sembler, tant notre méconnaissance est extrême, que c'est comme un apanage de la

 

(a)  Prêché devant la Cour, en présence de la reine Marie-Thérèse, le deuxième dimanche de Carême 1665.

Bossuet a prêché deux Avents à la Cour : celui de 1665, et celui de 1669. Or en 1669, le deuxième dimanche d'Avent tomba le 8 décembre, fête de la Conception, et Bossuet prêcha sur ce mystère. En 1665, le dimanche dont on vient de parler se trouva le 6 décembre, et Bossuet suivit l'évangile du jour. Notre date est dont incontestable; d'ailleurs la Gazette de France dit : « Le dimanche 6 décembre 1665, la reine entendit au Louvre la prédication de l'abbé Bossuet. »

Le sermon qu'on va lire renferme à la fin du premier point un passage infiniment remarquable : « je vois un autre malheur bien plus universel..... C'est une extrême négligence de tous les mystères, » etc. Bossuet prédit dans ces paroles l’indifférence en matière de religion.

(b)   Var. : Les hommes aussi.

 

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nature divine d'être infiniment libérale aux nommes, et de ne trouver toutefois dans le genre humain qu'une perpétuelle opposition à ses volontés et un mépris injurieux de toutes ses grâces.

Saint Pierre a égalé (a) en deux mots les éloges des plus fameux (b) panégyriques, lorsqu'il a dit du Sauveur « qu'il passait en bien faisant et guérissant tous les oppressés : » Pertransiit benefaciendo et sanando omnes oppressos (1). Et certes il n'y a rien de plus magnifique et de plus digne d'un Dieu (c) que de laisser partout où il passe des effets de sa bonté ; que de marquer tous ses pas (d) par ses bienfaits ; que de parcourir les bourgades, les villes et les provinces non par ses victoires, comme on a dit des conquérants, car c'est tout ravager et tout détruire, mais par ses libéralités.

Ainsi Jésus-Christ a montré aux hommes sa divinité comme elle a accoutumé de se déclarer, à savoir par ses grâces et par ses soins paternels ; et les hommes l'ont traité aussi comme ils traitent la divinité, quand ils l'ont payé selon leur coutume d'ingratitude et d'impiété : Et beatus est qui non fuerit scandalizatus in me !

Voilà en peu de mots ce qui nous est proposé dans notre évangile ; mais pour en tirer les instructions, il faut un plus long discours, dans lequel je ne puis entrer qu'après avoir imploré le secours d'en haut. Ave.

 

Cœci vident, claudi ambulant, leprosi mundantur : et beatus est qui non fuerit scandalizatus in me ! « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et bienheureux est celui qui n'est point scandalisé en moi ! » Ce n'est plus en illuminant les aveugles, ni en faisant marcher les estropiés, ni en purifiant les lépreux, ni en ressuscitant les morts, que Jésus-Christ autorise sa mission et fait connaître aux hommes sa divinité. Ces choses (e) ont été faites durant les jours de sa vie mortelle, et il les a continuées dans sa sainte Eglise tant qu'il a été nécessaire pour poser les fondements de la foi naissante. Mais ces miracles sensibles, qui

 

1 Act., X, 38.

(a) Var. : Surpassé. — (b)  Pompeux. — (c) Car qu'y a-t-il de plus digne d'un Dieu. — (d) Toute sa route. — (e) Ces miracles ont été faits.....

 

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ont été faits par le Fils de Dieu sur des personnes particulières et pendant un temps limité, étaient les signes sacrés d'autres miracles spirituels qui n'ont point de bornes semblables ni pour les temps, ni pour les personnes, puisqu'ils regardent également tous les hommes et tous les siècles.

En effet ce ne sont point seulement des particuliers aveugles , estropiés et lépreux, qui demandent au Fils de Dieu le secours de sa main puissante ; mais plutôt tout le genre humain, si nous le savons comprendre (a), est ce sourd et cet aveugle qui a perdu la connaissance de Dieu et ne peut plus entendre sa voix. Le genre humain est ce boiteux qui n'ayant aucune règle des mœurs, ne peut plus ni marcher droit ni se soutenir. Enfin le genre humain est tout ensemble et ce lépreux et ce mort qui, faute de trouver quelqu'un qui le retire du péché, ne peut ni se purifier de ses taches (b), ni éviter sa corruption. Jésus-Christ a rendu l'ouïe à ce sourd et la clarté à cet aveugle, quand il a fondé la foi; Jésus-Christ a redressé ce boiteux, quand il a réglé les mœurs ; Jésus-Christ a nettoyé ce lépreux et ressuscité ce mort, quand il a établi dans sa sainte Eglise la rémission des péchés. Voilà les trois grands miracles par lesquels Jésus-Christ nous montre sa divinité, et en voici le moyen.

Quiconque fait voir aux hommes une vérité souveraine et toute-puissante, une droiture (c) infaillible, une bonté sans mesure, fait voir en même temps la divinité. Or est-il que le Fils de Dieu nous montre en sa personne une vérité souveraine par l'établissement de la foi, une équité infaillible par la direction des mœurs, une bonté sans mesure par la rémission des péchés : il nous montre donc sa divinité. Mais ajoutons, s'il vous plaît, pour achever l'explication de notre évangile, que tout ce qui prouve la divinité de Jésus-Christ prouve aussi notre ingratitude. Beatus qui non fuerit scandalizatus in me ! Tous ses miracles nous sont un scandale ; toutes ses grâces nous deviennent (d) un empêchement. Il a voulu, chrétiens, dans la foi que les vérités fussent hautes ; dans la règle des mœurs, que la voie fût droite ; dans la rémission des péchés,

 

(a) Var. : Si nous l'entendons. — (b) Ordures, immondices. — (c) Une équité. — (d) Nous sont.

 

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que le moyen fût facile. Tout cela était fait pour notre salut; cette hauteur pour nous élever, cette droiture pour nous conduire, cette facilité pour nous inviter à la pénitence. Mais nous sommes si dépravés que tout nous tourne à scandale, puisque la hauteur des vérités de la foi fait que nous nous soulevons contre l'autorité de Jésus-Christ, que l'exactitude de la règle qu'il nous donne nous porte à nous plaindre de sa rigueur, et que la facilité du pardon nous est une occasion d'abuser de sa patience.

 

PREMIER  POINT.

 

La vérité est une reine qui habite en elle-même et dans sa propre lumière, laquelle par conséquent est elle-même son trône, elle-même sa grandeur, elle-même sa félicité. Toutefois pour le bien des hommes elle a voulu régner sur eux, et Jésus-Christ est venu au monde pour établir cet empire par la foi qu'il nous a prêchée. J'ai promis, Messieurs, de vous faire voir que la vérité de cette foi s'est établie en souveraine, et en souveraine toute-puissante; et la marque assurée que je vous en donne, c'est que sans se croire obligée d'alléguer aucune raison et sans être jamais réduite à emprunter aucun secours, par sa propre autorité, par sa propre force elle a fait ce qu'elle a voulu et a régné dans le monde. C'est agir, si je ne me trompe, assez souverainement; mais il faut appuyer ce que j'avance.

J'ai dit que la vérité chrétienne n'a point cherché son appui dans les raisonnements humains; mais qu'assurée d'elle-même, de son autorité suprême et de son origine céleste, elle a dit, et a voulu être crue ; elle a prononcé ses oracles, et a exigé la sujétion.

Elle a prêché une Trinité, mystère inaccessible par sa hauteur ; elle a annoncé un Dieu-Homme, un Dieu anéanti jusqu'à la croix, abîme impénétrable par sa bassesse. Comment a-t-elle prouvé? Elle a dit pour toute raison qu'il faut que la raison lui cède, parce qu'elle est née sa sujette. Voici quel est son langage : Hœc dicit Dominus : « Le Seigneur a dit. » Et en un autre endroit : Il est ainsi, « parce que j'en ai dit la parole : » quia verbum ego locutus sum, dicit Dominus (1). Et en effet, chrétiens, que peut ici opposer la

 

1 Jerem., XXXIV, 5.

 

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raison humaine? Dieu a le moyen de se faire entendre ; il a aussi le droit de se faire croire. Il peut par sa lumière infinie nous montrer, quand il lui plaira, la vérité à découvert ; il peut par son autorité souveraine nous obliger à nous y soumettre, sans nous en donner l'intelligence. Et il est digne de la grandeur, de la dignité, de la majesté de ce premier Etre, de régner sur tous les esprits, soit en les captivant par la foi, soit en les contentant par la claire vue.

Jésus-Christ a usé de ce droit royal dans l'établissement de son Evangile; et comme sa sainte doctrine ne s'est point fondée sur les raisonnements humains, pour ne point dégénérer d'elle-même, elle a aussi dédaigné le soutien (a) de l'éloquence. Il est vrai que les saints apôtres qui ont été ses prédicateurs, ont abattu aux pieds de Jésus la majesté des faisceaux romains, et qu'ils ont fait trembler dans leurs tribunaux les juges devant lesquels ils étaient rites, (b)  Ils ont renversé les idoles, ils ont converti les peuples. « Enfin ayant affermi, dit saint Augustin, leur salutaire doctrine, ils ont laissé à leurs successeurs la terre éclairée par une lumière céleste : » Confirmatà saluberrimâ disciplina, illuminatas terras posteris reliquerunt (1). Mais ce n'est point par l'art du bien dire, par l'arrangement des paroles, par des figures artificielles, qu'ils ont opéré tous ces grands effets. Tout se fait par une secrète vertu qui persuade contre les règles, ou plutôt qui ne persuade pas tant qu'elle captive les entendements; vertu qui venant du ciel, sait se conserver tout entière dans la bassesse familière (c) de leurs expressions et dans la simplicité d'un style qui paraît vulgaire : comme on voit un fleuve rapide qui retient coulant dans la plaine cette force violente et impétueuse qu'il a acquise aux montagnes d'où ses eaux sont précipitées (d).

Concluons donc, chrétiens, que Jésus-Christ a fondé son saint Evangile d'une manière souveraine et digne d'un Dieu ; et ajou-

 

1 S. August., De Verd relig., n. 4.

(a) Var. : Le secours. — (b) Note marg. : Disputante illo de justitiâ, et castitate, et judicio futuro. Quoiqu'infidèle.  Nous écoutons sans être émus. Lequel est le prisonnier ? lequel est le juge? Tremefactus Felix respondit : Quod nunc attinet, vade ; tempore opportuno accersam te (Act., XXIV, 25).  Ce n'est  plus l’accusé qui en demande du délai à son juge, c'est le juge effrayé qui en demande  à son criminel. — (c) Var. : Modeste. — (d) D'où il tire son origine.

 

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ajoutons, s'il vous plaît, que c'était la plus convenable aux besoins de notre nature. Nous avons besoin parmi nos erreurs, non d'un philosophe qui dispute, mais d'un Dieu qui nous détermine dans la recherche de la vérité. La voie du raisonnement est trop lente et trop incertaine : ce qu'il faut chercher est éloigné, ce qu'il faut prouver est indécis. Cependant il s'agit du principe même et du fondement de la conduite, sur lequel il faut être résolu d'abord; il faut donc nécessairement en croire quelqu'un. Le chrétien n'a rien à chercher, parce qu'il trouve tout dans la foi. Le chrétien n'a rien à prouver, parce que la foi (a) lui décide tout, et que Jésus-Christ lui a proposé de sorte les vérités nécessaires, que s'il n'est pas capable de les entendre, il n'est pas moins disposé à les croire(b) : Talia populis persuadent, credenda saltem, si percipere non volerent (1). Ainsi par même moyen Dieu a été honoré, parce qu'on l'a cru, comme il est juste, sur sa parole; et l'homme a été instruit par une voie courte, parce que sans aucun circuit de raisonnement l'autorité de la foi l'a mené (c) dès le premier pas à la certitude.

Mais continuons d'admirer l'auguste souveraineté de la vérité chrétienne. Elle est venue sur la terre comme une étrangère, inconnue et toutefois haïe et persécutée durant l'espace de quatre cents ans par des préjugés iniques. Cependant, parmi ces fureurs du monde entier conjuré contre elle, elle n'a point mendié de secours humain. Elle s'est fait elle-même des défenseurs intrépides et dignes de sa grandeur, qui dans la passion qu'ils avaient pour ses intérêts, ne Bâchant que la confesser et mourir pour elle, ont couru à la mort avec tant de force qu'ils ont effrayé leurs persécuteurs, qu'à la fin ils ont fait honte par leur patience aux lois qui les condanmaient au dernier supplice, et ont obligé les princes à les révoquer. Orando, patiendo, cum piâ securitate moriendo, leges quitus damnabatur christiana religio, erubescere compulerunt, mutatique fecerunt, dit éloquemment saint Augustin (2).

C'était donc le conseil de Dieu et la destinée de la vérité, si je puis

 

1 S. Augusrt., De Verâ relig., n. 3.— 2 De Civit. Dei., lib. VIII, cap. XX.

 

(a) Var. : L'Evangile. — (b) Que lors même qu'il ne pont les entendre, il est néanmoins tout prêt à les croire. — (c) Conduit.

 

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parler de la sorte, qu'elle fût entièrement établie malgré Les rois de la terre, et que dans la suite des temps elle les eût premièrement pour disciples, et après pour défenseurs. Il ne les a point appelés quand il a bâti son Eglise. Quand il a eu fondé immuablement et élevé jusqu'au comble ce grand édifice, il lui a plu alors de les appeler, (a) Il les a donc appelés, non point par nécessité, mais par grâce. Donc l'établissement de la vérité ne dépend point de leur assistance, ni l'empire de la vérité ne relève point de leur sceptre(b) ; et si Jésus-Christ les a établis défenseurs de son Evangile, il le fait par honneur et non par besoin ; c'est pour honorer leur autorité et pour consacrer leur puissance. Cependant sa vérité sainte se soutient toujours d'elle-même et conserve son indépendance. Ainsi lorsque les princes défendent la foi, c'est plutôt la foi qui les défend ; lorsqu'ils protègent la religion, c'est plutôt la religion qui les protège et qui est l'appui de leur trône. Par où vous voyez clairement que la vérité se sert des hommes, mais qu'elle n'en dépend pas; et c'est ce qui nous paraît dans toute la suite de son histoire. J'appelle ainsi l'histoire de l'Eglise ; c'est l'histoire du règne de la vérité. Le monde a menacé, la vérité est demeurée ferme; il a usé de tours subtils et de flatteries, la vérité est demeurée droite. Les hérétiques ont brouillé, la vérité est demeurée pure. Les schismes ont déchiré le corps de l'Eglise, la vérité est demeurée entière. Plusieurs ont été séduits, les faibles ont été troublés, les forts mêmes ont été émus; un Osius, un Origène, un Tertullien, tant d'autres qui paraissaient l'appui de l'Eglise, sont tombés avec grand scandale; la vérité est demeurée toujours immobile. Qu'y a-t-il donc de plus souverain et de plus indépendant que la vérité, qui persiste toujours immuable, malgré les menaces et les caresses, malgré les présents et les proscriptions, malgré les schismes et les hérésies, malgré toutes les tentations et tous les scandales, enfin au milieu de la défection de ses enfants infidèles et dans la chute funeste de ceux-là mêmes qui semblaient être ses colonnes?

Après cela, chrétiens, quel esprit ne doit pas céder à une autorité si bien établie? Et que je suis étonné quand j'entends des hommes profanes qui dans la nation la plus florissante de la chrétienté,

 

(a) Note marg. : Et nunc reges, maintenant. — (b) Var. : Trône.

 

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s'élèvent ouvertement contre l'Evangile! Les entendrai-je toujours et les trouverai-je toujours dans le monde, ces libertins déclarés, esclaves de leurs passions et téméraires censeurs des conseils de Dieu; qui tout plongés qu'ils sont dans les choses basses, se mêlent de décider hardiment des plus relevées (a)? Profanes et corrompus, lesquels, comme dit saint Jude, «blasphèment ce qu'ils ignorent, et se corrompent dans ce qu'ils connaissent naturellement : » Quœcumque quidem ignorant, blasphemant; quœcumque autem naturaliter tanquam muta animantia norunt, in his corrumpuntur (1). Hommes deux fois morts, dit le même apôtre; morts premièrement parce qu'ils ont perdu la charité, et morts secondement parce qu'ils ont même arraché la foi : Arbores infructuosœ, eradicatœ, bis mortuœ (2) : « Arbres infructueux et déracinés,» qui ne tiennent plus à l'Eglise par aucun lien. O Dieu ! les verrai-je toujours triompher dans les compagnies et empoisonner les esprits par leurs railleries sacrilèges?

Mais, hommes doctes et curieux, si vous voulez discuter la religion, apportez-y du moins et la gravité et le poids que la matière demande. Ne faites point les plaisants mal à propos dans des choses si sérieuses et si vénérables. Ces importantes questions ne se décident pas par vos demi-mots et par vos branlements de tête, par ces fines railleries que vous nous vantez, et parce dédaigneux souris. Pour Dieu, comme disait cet ami de Job (3), ne pensez pas être les seuls hommes et que toute la sagesse soit dans votre esprit, dont vous nous vantez la délicatesse. Vous qui voulez pénétrer les secrets de Dieu, ça ! paraissez, venez en présence, développez-nous les énigmes de la nature; choisissez ou ce qui est loin ou ce qui est près, ou ce qui est à vos pieds ou ce qui est bien haut suspendu sur vos tètes ! Quoi ! partout votre raison demeure arrêtée ! partout ou elle gauchit, ou elle s'égare, ou elle succombe ! Cependant vous ne voulez pas que la foi vous prescrive ce qu'il faut croire. Aveugle, chagrin et dédaigneux, vous ne voulez pas qu'on vous guide et qu'on vous tende la main. Pauvre voyageur égaré et présomptueux, qui croyez savoir le chemin, qui vous

 

1 Jud., vers. 10.— 2 Ibid., 12. — 3 Job, XII, 2.

 

a) Var. : Décident hardiment des hautes.

 

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refusez la conduite, que voulez-vous qu'on vous fasse ? Quoi ! voulez-vous donc qu'on vous laisse errer? Mais vous vous irez engager dans quelque chemin perdu (a); vous vous jetterez dans quelque précipice- Voulez-vous qu'on vous fasse entendre clairement toutes les vérités divines? Mais considérez où vous êtes et en quelle basse région du monde vous avez été relégué. Voyez cette nuit profonde, ces ténèbres épaisses qui vous environnent, la faiblesse, l'imbécillité, l'ignorance de votre raison. Concevez que ce n'est pas ici la région de l'intelligence. Pourquoi donc ne voulez-vous pas qu'en attendant que Dieu se montre à découvert ce qu'il est, la foi vienne à votre secours et vous apprenne du moins ce qu'il en faut croire?

Mais, Messieurs, c'est assez combattre ces esprits profanes et témérairement curieux. Ce n'est pas le vice le plus commun, et je vois un autre malheur bien plus universel dans la Cour (b); ce n'est point cette ardeur inconsidérée de vouloir aller trop avant, c'est une extrême négligence de tous les mystères. Qu'ils soient ou qu'ils ne soient pas, les hommes trop dédaigneux ne s'en soucient plus et n'y veulent pas seulement penser; ils ne savent s'ils croient ou s'ils ne croient pas, tout prêts à vous avouer ce qu'il vous plaira, pourvu que vous les laissiez agir à leur mode et passer la vie à leur gré : « Chrétiens en l'air, dit Tertullien, et fidèles si vous voulez : » Plerosque in ventum, et si placuerit, christianos (1). Ainsi je prévois que les libertins et les esprits forts pourront être décrédités, non par aucune horreur de leurs sentiments, mais parce qu'on tiendra tout dans l'indifférence, excepté les plaisirs et les affaires. Voyons si je pourrai rappeler les hommes de ce profond assoupissement, en leur représentant dans mon second point la beauté incorruptible de la morale chrétienne.

 

SECOND POINT.

 

Grâce à la miséricorde divine, ceux qui disputent tous les jours témérairement de la vérité de la foi, ne contestent pas au christianisme la règle des mœurs, et ils demeurent d'accord de la pureté et de la perfection de notre morale. Mais certes ces deux grâces

 

1 Lib. Scorp., n. 1.

(a) Var.: Dans des détours infinis. — (b) Dans le monde.

 

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sont inséparables. Il ne faut point deux soleils non plus dans la religion que dans la nature ; et quiconque nous est envoyé (a) de Dieu pour nous éclairer dans les mœurs, le même nous donnera la connaissance certaine des choses divines qui sont le fondement nécessaire de la bonne vie. Disons donc que le Fils de Dieu nous montre beaucoup mieux sa divinité en dirigeant sans erreur la vie humaine, qu'il n'a fait en redressant les boiteux et faisant marcher les estropiés. Celui-là doit être plus qu'homme, qui à travers (b) de tant de coutumes et de tant d'erreurs, de tant de passions compliquées et de tant de fantaisies bizarres, a su démêler au juste et fixer précisément la règle des mœurs. Réformer ainsi le genre humain, c'est donner à l'homme la vie raisonnable ; c'est une seconde création, plus noble en quelque façon que la première. Quiconque sera le chef de cette réformation salutaire au genre humain, doit avoir à son secours la même sagesse qui a formé l'homme la première fois. Enfin c'est un ouvrage si grand que si Dieu ne l'a voit pas fait, lui-même l'envierait à son auteur.

Aussi la philosophie l'a-t-elle tenté vainement. Je sais qu'elle a conservé de belles règles et qu'elle a sauvé de beaux restes du débris des connaissances humaines ; mais je perdrais un temps infini si je voulais raconter toutes ses erreurs. Allons donc rendre nos hommages à cette équité infaillible qui nous règle dans l'Evangile. J'y cours, suivez-moi, mes frères; et afin que je vous puisse présenter l'objet d'une adoration si légitime, permettez que je vous trace une idée et comme un tableau raccourci de la morale chrétienne.

Elle commence par le principe. Elle rapporte à Dieu, auquel elle nous lie par un amour chaste, l'homme tout entier, et dans sa racine, et dans ses branches, et dans ses fruits ; c'est-à-dire dans sa nature, dans ses facultés, dans toutes ses opérations. Car comme elle sait, chrétiens, que le nom de Dieu est un nom de père , elle nous demande l'amour; mais pour s'accommodera notre faiblesse, elle nous y prépare par la crainte. Ayant donc ainsi résolu de nous attacher à Dieu par toutes les voies possibles, elle nous apprend que nous devons en tout temps et en toutes choses révérer son

 

(a) Var. : Nous sera envoyé... — (b) Au milieu.

 

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autorité, croira à sa parole, dépendre de sa puissance, nous confier en sa bonté, craindre sa justice, nous abandonner à sa sagesse espérer son éternité.

Pour lui rendre le culte raisonnable que nous lui devons elle nous apprend, chrétiens, que nous sommes nous-mêmes ses victimes ; c'est pourquoi elle nous oblige à dompter nos passions emportées et à mortifier nos sens, trop subtils séducteurs de notre raison. Elle a sur ce sujet des précautions inouïes, (a). Elle va éteindre jusqu'au fond du cœur l'étincelle qui peut causer un embrasement. Elle étouffe la colère, de peur qu'en s'aigrissant elle ne se tourne en haine implacable. Elle n'attend pas à ôter l'épée à l'enfant après qu'il se sera donné un coup mortel, elle la lui arrache des mains dès la première piqûre. Elle retient jusqu'aux yeux, par une extrême jalousie qu'elle a pour garder le cœur. Enfin elle n'oublie rien pour soumettre le corps à l'esprit et l'esprit tout entier à Dieu; et c'est là, Messieurs, notre sacrifice.

Nous avons à considérer sous qui nous vivons et avec qui nous vivons. Nous vivons sous l'empire de Dieu, nous vivons en société avec les hommes. Après donc cette première obligation d'aimer Dieu comme notre souverain plus que nous-mêmes, s'ensuit le second devoir d'aimer l'homme notre prochain en esprit de société comme nous-mêmes. Là se voit très-saintement établie sous la protection de Dieu la charité fraternelle, toujours sacrée et inviolable malgré les injures et les intérêts; là l'aumône, trésor de grâces; là le pardon des injures, qui nous ménage celui de Dieu; là enfin la miséricorde préférée au sacrifice, et la réconciliation avec son frère irrité nécessaire préparation pour approcher de l'autel. Là, dans une sainte distribution des offices de la charité, on apprend à qui on doit le respect, à qui l'obéissance, à qui le service, à qui la protection, à qui le secours, à qui la condescendance, à qui de charitables avertissements ; et on voit qu'on doit la justice à tous , et qu'on ne doit faire injure à personne non plus qu'à soi-même.

Voulez-vous que nous passions à ce que Jésus-Christ a institue pour ordonner les familles? Il ne s'est pas contenté de conserver au mariage son premier honneur ; il en a fait un sacrement de la

 

(a) Var. : Merveilleuses.

 

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religion et un signe mystique de sa chaste et immuable union avec son Eglise. En cette sorte il a consacré l'origine (a) de notre naissance. Il en a retranché la polygamie, qu'il avait permise un temps en faveur de l'accroissement de son peuple, et le divorce qu'il avait souffert à cause de la dureté des cœurs. Il ne permet plus que l'amour s'égare dans la multitude ; il le rétablit dans son naturel en le faisant régner sur deux cœurs unis, pour faire découler de cette union une concorde inviolable dans les familles et entre les frères. Après avoir ramené les choses à la première institution, il a voulu désormais que la plus sainte alliance du genre humain fût aussi la plus durable et la plus ferme, et que le nœud conjugal fût indissoluble, tant par la première force de la foi donnée que par l'obligation naturelle d'élever les enfants communs, gages précieux d'une éternelle correspondance. Ainsi il a donné au mariage des fidèles une forme auguste et vénérable, qui honore la nature, qui supporte la faiblesse, qui garde la tempérance, qui bride la sensualité.

Que dirai-je des saintes lois qui rendent les enfants soumis et les parents charitables, puissants instigateurs à la vertu, aimables censeurs des vices qui répriment la licence « sans abattre le courage? » Ut non pusillo animo fiant (1). Que dirai-je de ces belles institutions par lesquelles et les maîtres sont équitables, et les serviteurs affectionnés ; Dieu même, tant il est bon et tant il est père, s'étant chargé de les récompenser de leurs services (b). (c) Qui a mieux établi que Jésus-Christ l'autorité des princes (d) et des puissances légitimes? Il fait un devoir de religion de l'obéissance qui leur est due. Ils règnent sur les corps par la force, et tout au plus sur les cœurs par l'inclination. Il leur érige un trône dans les consciences, et il met sous sa protection leur autorité et leur personne sacrée. C'est pourquoi Tertullien disait autrefois aux ministres des empereurs : Votre fonction vous expose à beaucoup de haine et beaucoup d'envie ; « maintenant vous avez moins d'ennemis à cause de

 

1 Coloss., III, 21.

(a) Var.: La source. — (b) De leur tenir compte de leurs services fidèles. — (c) Note marg. : .Maîtres, vous avez un maître au ciel (Coloss., IV, 1). « Serviteurs, servez comme à Dieu; car votre récompense vous est assurée » (Ibid., III, 24 . — (d) Var. : Des magistrats.

 

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la multitude des chrétiens : » Nunc enim pauciores hostes habetis prœ multitudine christianorum (1). Réciproquement il enseigne aux princes que le glaive leur est donné contre les méchants, que leur main (a) doit être pesante seulement pour eux, et que leur autorité doit être le soulagement du fardeau des autres (b).

Le voilà, Messieurs, ce tableau que je vous ai promis; la voilà représentée au naturel et comme en raccourci, cette immortelle beauté de la morale chrétienne. C'est une beauté sévère, je l'avoue; je ne m'en étonne pas, c'est qu'elle est chaste. Elle est exacte; il le faut, car elle est religieuse. Mais au fond quelle plus sainte morale ! quelle plus belle économique! quelle politique plus juste! Celui-là est ennemi du genre humain qui contredit de si saintes lois. Aussi qui les contredit, si ce n'est des hommes passionnés, qui aiment mieux corrompre la loi que de rectifier leur conscience ; et, comme dit Salvien, « qui aiment mieux déclamer contre le précepte que de faire la guerre au vice? » Mavult quilibet improbus execrari legem, quàm emendare mentem, mavult prœcepta odisse quàm vitia (2).

Pour moi, je me donne de tout mon cœur à ces saintes institutions. Les mœurs seules me feraient recevoir la foi. Je crois en tout à celui qui m'a si bien enseigné à vivre. La foi me prouve les mœurs ; les mœurs me prouvent la foi. Les vérités de la foi et la doctrine des mœurs sont choses tellement connexes et si saintement alliées, qu'il n'y a pas moyen de les séparer, (c) Jésus-Christ a fondé les mœurs sur la foi ; et après qu'il a si noblement élevé (d) cet admirable édifice, serai-je assez téméraire pour dire à un si sage architecte qu'il a mal posé les fondements? Au contraire ne jugerai-je pas par la beauté manifeste de ce qu'il me montre, que la même sagesse a disposé ce qu'il me cache?

Et vous, que direz-vous, ô pécheurs? En quoi êtes-vous blessés, et quelle partie voulez-vous retrancher de cette morale? Vous avez do grandes difficultés : est-ce la raison qui les dicte, ou la passion qui les suggère? Hé! j'entends bien vos pensées; hé! Je

 

1 Apolog., n. 37. — 2 Salv., lib. IV Advers. Avar., p. 312.

(a) Var. : Bras. — (b) Et qu'ils doivent autant qu'ils peuvent soulager le fardeau des autres. — (c) Note marg. : Exemple. — (d) Var., Si bien élevé.

 

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vois de quel côté tourne votre cœur. Vous demandez la liberté. Hé ! n'achevez pas (a), je vous entends trop. Cette liberté que vous demandez, c'est une captivité misérable de votre cœur. Souffrez qu'on vous affranchisse et qu'on rende votre cœur à un Dieu à qui il est, et qui le redemande avec tant d'instance. Il n'est pas juste, mon frère, que l'on entame la loi en faveur de vos passions, mais plutôt qu'on retranche de vos passions ce qui est contraire à la loi. Car autrement que serait-ce? Chacun déchirerait le précepte : Lacerata est lex (1). Il n'y a point d'homme si corrompu à qui quelque péché ne déplaise (b). Celui-là est naturellement libéral ; tonnez, fulminez tant qu'il vous plaira contre les rapines, il applaudira à votre doctrine. Mais il est fier et ambitieux; il lui faut laisser venger cette injure et envelopper ses ennemis ou ses concurrents dans cette intrigue dangereuse. Ainsi toute la loi sera mutilée; et nous verrons, comme disait le grand saint Hilaire dans un autre sujet, «une aussi grande variété dans la doctrine que nous en voyons dans les mœurs, et autant de sortes de foi qu'il y a d'inclinations différentes : » Tot nunc fides existere quot voluntates, et tot nobis doctrinas esse quot mores (2).

Laissez-vous donc conduire à ces lois si saintes, et faites-en votre règle. Et ne me dites pas qu'elle est trop parfaite et qu'on ne peut y atteindre. C'est ce que disent les lâches et les paresseux. Ils trouvent obstacle à tout, tout leur paraît impossible; et lorsqu'il n'y a rien à craindre, ils se donnent à eux-mêmes de vaines frayeurs et des terreurs imaginaires. Dicit piger : Leo est in via et leœna in itineribus (3). Dicit piger : Leo est foris, in medio platearum occidendus sum (4) : « Le paresseux dit : Je ne puis partir, il y a un lion sur ma route; la lionne me dévorera sur les grands chemins. » Il trouve toujours des difficultés, et il ne s'efforce jamais d'en vaincre aucune. En effet vous qui nous objectez que la loi de l'Evangile est trop parfaite et surpasse les forces humaines, avez-vous jamais essayé de la pratiquer? Contez-nous donc vos efforts, montrez-nous les démarches que vous avez faites. Avant que de vous

 

1 Habac., I, 4. — 2 S. Hilar., lib. II Ad Constant., n. 4. — 3 Prov., XXVI, 13. — 4 Ibid., XXII, 13.

 

(a) Var. : Ne parlez pas davantage. — (b) Il n'y a pas d'homme assez corrompu qu'il n'y ait quelque péché qui ne lui déplaise.

 

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plaindre de votre impuissance, que ne commencez-vous quelque chose? Le second pas, direz-vous, vous est impossible; oui, si vous ne faites jamais le premier. Commencez donc à marcher, et avancez par degrés. Vous verrez les choses se faciliter, et le chemin s'aplanir manifestement devant vous. Mais qu'avant que d'avoir tenté, vous nous disiez tout impossible; que vous soyez fatigué et harassé du chemin sans vous être remué de votre place, et accablé d'un travail que vous n'avez pas encore entrepris, c'est une lâcheté non-seulement ridicule, mais insupportable. Au reste comment peut-on dire que Jésus-Christ nous ait chargés par-dessus nos forces, lui qui a eu tant d'égards à notre faiblesse, qui nous offre tant de secours, qui nous laisse (a) tant de ressources; qui non content de nous retenir sur le penchant parle précepte, nous tend encore la main dans le précipice par la rémission des péchés qu'il nous présente?

 

TROISIÈME POINT.

 

Je vous confesse, Messieurs, que mon inquiétude est extrême dans cette troisième partie, non que j'aie peine à prouver ce que j'ai promis au commencement, c'est-à-dire l'infinité de la bonté du Sauveur. Car quelle éloquence assez sèche et assez stérile pourrait manquer de paroles? Qu'y a-t-il de plus facile, et qu'y a-t-il, si je puis parler de la sorte, de plus infini et de plus immense que cette divine bonté, qui non-seulement reçoit ceux qui la recherchent et se donne tout entière à ceux qui l'embrassent, mais encore rappelle ceux qui s'éloignent et ouvre toujours des voies de retour à ceux qui la quittent? Mais les hommes le savent assez, ils ne le savent que trop pour leur malheur. Il ne faudrait pas publier si hautement une vérité de laquelle tant de monde abuse. Il faudrait le dire tout bas aux pécheurs affligés de leurs crimes, aux consciences abattues et désespérées. Il faudrait démêler dans la multitude quelque âme désolée, et lui dire à l'oreille et en secret : «Ah! Dieu pardonne sans fin et sans bornes : » Misericordiœ ejus non est numerus (1). Mais c'est lâcher la bride à la licence, que de mettre devant les

 

1 Orat. Miss, pro gratiar. act.

(a) Var. : Donne.

 

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veux des pécheurs superbes cette honte qui n'a point de bornes; et c'est multiplier les crimes, que de prêcher ces miséricordes qui sont innombrables : Misericordiœ ejus non est numerus.

Et toutefois, chrétiens, il n'est pas juste que la dureté et l'ingratitude des hommes ravissent à la honte du Sauveur les louanges qui lui sont dues. Elevons donc notre voix, et prononçons hautement que sa miséricorde est immense. L'homme devait mourir dans son crime; Jésus-Christ est mort en sa place. Il est écrit du pécheur que son sang doit être sur lui ; mais le sang de Jésus-Christ et le couvre et le protège. O homme, ne cherchez plus l'expiation de vos crimes dans le sang des animaux égorgés. Dussiez-vous dépeupler tous vos troupeaux par vos hécatombes, la vie des bêtes ne peut point payer pour la vie des hommes. Voici Jésus-Christ qui s'offre, homme pour les hommes, homme innocent pour les coupables, Homme-Dieu pour des hommes purs et pour de simples mortels. Vous voyez donc, chrétiens, non-seulement l'égalité dans le prix, mais encore la surabondance. Ce qui est offert est infini ; et afin que celui qui offre fût de même dignité, lui-même qui est la victime, il a voulu aussi être le pontife. Pécheurs, ne perdez jamais l'espérance. Jésus-Christ est mort une fois, mais le fruit de sa mort est éternel; Jésus-Christ est mort une fois, mais « il est toujours vivant afin d'intercéder pour nous, » comme dit le divin Apôtre  (1).

Il y a donc pour nous dans le ciel une miséricorde infinie; mais pour nous être appliquée en terre, elle est toute communiquée à la sainte Eglise dans le sacrement de pénitence. Car écoutez les paroles de l'institution : «Tout ce que vous remettrez sera remis, tout ce que vous délierez sera délié (2). » Vous y voyez une bonté qui n'a point de bornes. C'est en quoi elle diffère d'avec le baptême. «Il n'y a qu'un baptême, » dit le saint Apôtre, et il ne se répète plus, (a) Les portes de la pénitence sont toujours ouvertes. Venez dix fois, venez cent fois : venez mille fois, la puissance de l'Eglise n'est point épuisée. Cette parole sera toujours véritable : Tout ce que vous pardonnerez sera pardonné (3). Je ne vois ici ni terme prescrit,

 

1 Hebr., VII, 25. — 2 Matth., XVI, 19. — 3 Joan., XX, 23.

 

(a) Note marg. : Unus Dominus, una fides, unum baptisma (Eph. IV, 5).

 

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ni nombre arrêté, ni mesure déterminée. Il y faut donc reconnaître une bonté infinie (a). La fontaine du saint baptême est appelée dans les Ecritures, selon une interprétation, «une fontaine scellée, » fons signatus (1). Vous vous y lavez une fois; on la referme, on la scelle; il n'y a plus de retour pour vous. Mais nous avons dans l'Eglise une autre fontaine, de laquelle il est écrit dans le prophète Zacharie : « En ce jour, au jour du Sauveur, en ce jour où la bonté paraîtra au monde, il y aura une fontaine ouverte à la maison de David et aux habitants de Jérusalem pour la purification ou pécheur : » In die illâ erit fons patens domui David et habitantibus Jérusalem in ablutionem peccatoris (2). Ce n'est point une fontaine scellée qui ne s'ouvre qu'avec réserve, qui n'est point permise à tous, parce qu'elle exclut à jamais ceux qu'elle a une fois reçus : fons signatus. Celle-ci est une fontaine non-seulement publique, mais toujours ouverte, erit fons patens ; et ouverte indifféremment à tous les habitants de Jérusalem, à tous les enfants de l'Eglise. Elle reçoit toujours les pécheurs; à toute heure et à tous moments les lépreux peuvent venir se laver dans cette fontaine du Sauveur, toujours bienfaisante et toujours ouverte.

Mais c'est ici, chrétiens, notre grande infidélité ; c'est ici que l'indulgence multiplie les crimes, et que la source des miséricordes devient une source infinie de profanations sacrilèges. Que dirai-je ici, chrétiens, et avec quels termes assez puissants déplorerai-je tant de sacrilèges qui infectent les eaux de la pénitence ? « Eau du baptême , que tu es heureuse, disait autrefois Tertullien ; que tu es heureuse, eau mystique , qui ne laves qu'une fois ! » Felix aqua quœ semel abluit ; « qui ne sers point de jouet aux pécheurs ! » Felix aqua quœ semel abluit, quœ ludibrio peccatoribus non est (3) ! C'est le bain de la pénitence toujours ouvert aux pécheurs , toujours prêt à recevoir ceux qui retournent ; c'est ce bain de miséricorde qui est exposé au mépris par sa facilité bienfaisante, dont les eaux servent contre leur nature à souiller les hommes : quos abluit inquinat, parce que la facilité de se laver fait qu'ils ne craignent point de salir leur conscience (b). Qui ne se plaindrait,

 

1 Cant., IV, 12.— 2 Zach., XIII, 1. — 3 De Bapt., n. 15.

(a) Var : Et c'est pourquoi nous y comprenons une bonté infinie.— (b)  Leur âme.

 

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chrétiens, de voir cette eau salutaire si étrangement violée, seulement à cause qu'elle est bienfaisante ? Qu'inventerai-je, où me tournerai-je pour arrêter les profanations des hommes pervers qui vont faire malheureusement leur écueil du port ?

Les pécheurs savent bien dire qu'il ne faut que se repentir pour être capable d'approcher de cette fontaine de grâce. En vain nous disons à ceux qui se confient si aveuglément à ce repentir futur : Ne voulez-vous pas considérer que Dieu a bien promis le pardon au repentir, mais qu'il n'a pas promis de donner du temps pour ce sentiment nécessaire ? Cette raison convaincante ne fait plus d'effet, parce qu'elle est trop répétée. Considérez, mes frères, quel est votre aveuglement : vous rendez la bonté de Dieu complice de votre endurcissement. C'est ce péché contre le Saint-Esprit, contre la grâce de la rémission des péchés. Dieu n'a plus rien à faire pour vous retirer du crime. Vous poussez à bout sa miséricorde. Que peut-il faire que de vous appeler, que de vous attendre , que de vous tendre les bras , que de vous offrir le pardon ? C'est ce qui vous rend hardis dans vos entreprises criminelles. Que faut-il donc qu'il fasse? Et sa bonté étant épuisée et comme surmontée par votre malice, lui reste-t-il autre chose que de vous abandonner à sa vengeance ? Hé bien ! poussez à bout la bonté divine : montrez-vous fermes et intrépides à perdre votre âme : ou plutôt insensés et insensibles, hasardez tout, risquez tout; faites d'un repentir douteux le motif d'un crime certain (a) ; mais ne voulez-vous pas entendre combien est étrange, combien insensée, combien monstrueuse cette pensée de pécher pour se repentir ? Obstupescite, cœli, super hoc (1) : « O ciel, ô terre, étonnez-vous d'un si prodigieux égarement! » Les aveugles enfants d'Adam ne craignent pas de pécher, parce qu'ils espèrent un jour en être fâchés ! J'ai lu souvent, dans les Ecritures, que Dieu envoie aux pécheurs l'esprit de vertige et d'étourdissement ; mais je le vois clairement dans vos excès. Voulez-vous vous convertir quelque jour, ou périr misérablement dans l'impénitence? Choisissez, prenez parti.

 

1 Jerem., II, 12.

 

(a) Var. : Hasardez votre âme, risquez votre éternité : quelle fermeté ! quel courage ! quelle insensibilité prodigieuse ! quelle stupidité insensée !

 

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Le dernier est le parti des démons. S'il vous reste donc quelque sentiment du christianisme, quelque soin de votre salut, quelque pitié de vous-même, vous espérez vous convertir ; et si vous croyiez que cette porte vous fût fermée, vous n'iriez pas au crime avec l'abandon où je vous vois. Se convertir, c'est se repentir : vous voulez donc contenter cette passion, parce que vous espérez vous en repentir ! Qui jamais a ouï parler d'un tel prodige ? Est-ce moi qui ne m'entends pas, ou bien est-ce votre passion qui vous enchante? Me trompé-je dans ma pensée? ou bien êtes-vous aveugle et troublé de sens dans la vôtre ? Quand est-ce qu'on s'est avisé de faire une chose, parce qu'on croit s'en repentir quelque jour? C'est la raison de s'en abstenir sans doute. J'ai bien ouï dire souvent : Ne faites pas cette chose, car vous vous en repentirez. Le repentir qu'on prévoit n'est-il pas naturellement un frein au désir et un arrêt à la volonté ? Mais qu'un homme dise en lui-même : Je me détermine à cette action, j'espère d'en avoir regret, et je m'en retirerais sans cette pensée ; qu'ainsi le regret prévu devienne contre sa nature, et l'objet de notre espérance, et le motif de notre choix, c'est un aveuglement inouï , c'est confondre les contraires, c'est changer l'essence des choses. Non, non, ce que vous pensez n'est ni un repentir ni une douleur ; vous n'en entendez pas seulement le nom, tant vous êtes éloignés d'en avoir la chose. Cette douleur qu'on désire, ce repentir qu'on espère avoir quelque jour, n'est qu'une feinte douleur et un repentir imaginaire. Ne vous trompez pas, chrétiens, il n'est pas si aisé de se repentir. Pour produire un repentir sincère, il faut renverser son cœur jusqu'aux fondements, déraciner ses inclinations avec violence , s'indigner implacablement contre ses faiblesses, s'arracher de vive force à soi-même. Si vous prévoyiez un tel repentir, il vous serait un frein salutaire. Mais le repentir que vous attendez n'est qu'une grimace, la douleur que vous espérez une illusion et une chimère; et vous avez sujet de craindre que par une juste punition d'avoir si étrangement renversé la nature de la pénitence, un Dieu méprisé et vengeur de ses sacrements profanés ne vous envoie en sa fureur, non le peccavi d'un David, non les regrets d'un saint Pierre, non la douleur amère d'une Madeleine ; mais le

 

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regret politique d'un Saül, mais la douleur désespérée d'un Judas, mais le repentir stérile d'un Antiochus; et que vous ne périssiez malheureusement dans votre fausse contrition et dans votre pénitence impénitente.

Vivons donc, mes frères, de sorte que la rémission des péchés ne nous soit pas un scandale. Rétablissons les choses dans leur usage naturel. Que la pénitence soit pénitence, un remède et non un poison ; que l'espérance soit espérance, une ressource à la foi-blesse et non un appui à l'audace; que la douleur soit une douleur ; que le repentir soit un repentir, c'est-à-dire l'expiation des péchés passés et non le fondement des péchés futurs. Ainsi nous arriverons par la pénitence au lieu où il n'y a plus ni repentir ni douleur, mais un calme perpétuel et une paix immuable. Au nom, etc.

 

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