PSAUME CXVIII-XXV
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VINGT-CINQUIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CXVIII.

LA PRÉVARICATION.

 

Tous les pécheurs de la terre sont prévaricateurs, dit le Prophète, non pas tous contre la loi mosaïque, puisque tous ne l’ont pas reçue; mais comme cette loi n’est qu’un développement ou une restauration de la loi naturelle, les Juifs qui la violent sont plus coupables , et les Gentils, violateurs de la loi naturelle sont coupables à leur tour. Donc tout pécheur est violateur au moins de la loi naturelle. Quelques-uns ont voulu condamner sans remède ceux qui ont vécu en dehors de la loi, et simplement à être jugés ceux qui ont péché sous la loi. Erreur! Le Christ est la base de toute sanctification, et les Juifs incrédules seront jugés plus sévèrement. Au nombre des pécheurs mettons les enfants, puisqu’ils ont la tache originelle, et que tous dès lors ont besoin de la grâce de Dieu ceux qui ont la raison doivent agir, non par la crainte servile qui laisse le désir du péché, mais par la crainte de la charité, oui redoute simplement de déplaire à Dieu.

 

1. Cherchons, si Dieu nous fait la grâce de le trouver, comment il nous faut comprendre dans ce long psaume ce qui est dit de « ceux qui ont violé», ou plutôt de ceux qui  « violent la loi », car le grec porte parabainontas, au participe présent, et non parabatas, au passé. Nous cherchons donc la manière de comprendre : « J’ai regardé comme prévariquant tous les pécheurs de la terre ». L’Apôtre nous dit : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Mais il parlait ainsi pour établir une distinction entre la loi et les promesses. Pour rétablir en effet le sens plus complet d’après ce qui précède : « Ce n’est point par la loi », dit-il, « mais par la justice de la foi, que s’accomplit la promesse faite à Abraham, ou à sa postérité, d’avoir le monde pour héritage. En effet, si ceux qui appartiennent à la loi sont les héritiers, la foi devient vaine, et les promesses sont abolies. Parce que la loi produit la colère, où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication. Ainsi c’est par la foi que nous sommes héritiers, afin que nous le soyons par la grâce, et que la promesse demeure ferme pour toute la postérité d’Abraham, non-seulement pour ceux qui ont reçu la loi, mais encore pour ceux qui suivent la foi d’Abraham, le père de nous tous 1». Pourquoi ce langage de l’Apôtre, sinon pour nous montrer que sans la promesse de la grâce, non-seulement la loi n’ôte point le péché, mais ne fait que l’augmenter? De là cet autre mot de saint Paul: « La loi est entrée, en sorte que le péché a abondé 2 ». Mais comme la grâce nous remet toutes nos

 

1. Rom. IV, 13-16. — 2. Id. V, 20.

 

fautes, non-seulement celles que l’on a commises sans la loi, mais aussi celles que l’on a commises avec la loi, l’Apôtre ajoute : « Mais où le péché a abondé, a surabondé la grâce». L’Apôtre n’appelle donc pas prévaricateurs tous les pécheurs, mais il ne donne ce nom de prévaricateurs qu’aux violateurs de la loi. « Là où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». D’où il suit que, d’après l’Apôtre, tout prévaricateur est un pécheur, puisqu’il pèche contre la loi qu’il a reçue; mais tout pécheur n’est pas prévaricateur, puisqu’il en est qui pèchent sans la loi : « Or, où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Mais si nul ne péchait sans la loi, l’Apôtre ne dirait point: « Quiconque a péché sans la loi, périra sans la loi ». Si donc, selon notre psaume, tous les pécheurs de la terre sont prévaricateurs, il n’est aucun péché sans prévarication; or, il n’y a point de prévarication sans la loi, donc il n’est aucun péché sans la loi. Celui donc qui dit ici: « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre » , ne veut sans doute regarder comme pécheurs que ceux qui ont transgressé la loi, et il est en désaccord avec celui qui a dit : « Ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi ? ». Car selon lui il en est qui sont pécheurs sans être prévaricateurs, c’est-à dire qui ont péché sans la loi : « Où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication » ; et selon le Psalmiste, il n’est aucun pécheur sans prévarication, puisqu’il regarde comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre. Donc, selon lui, nul n’a péché sans la loi, car: « Où n’est ias la loi, il n’y a point de prévarication » (710). Nous faudra-t-il dire qu’à la vérité sans loi il n’y a pas de prévarication, mais qu’il n’est pas vrai que plusieurs aient péché sans loi; ou bien, qu’il est vrai que plusieurs ont péché sans loi, mais qu’il n’est pas vrai qu’il n’y ait pas de  prévarication là où n’est pas la loi? Mais l’Apôtre a dit l’un et l’autre, donc l’un et l’autre sont vrais, puisque c’est la Vérité qui le dit par sa bouche. Comment donc sera vrai ce que la même Vérité nous dit indubitablement dans ce psaume: « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre ? ».Car on nous répondra: Quels sont donc ceux qui, selon l’Apôtre, ont péché sans la loi? Puisque l’on ne saurait mettre aucun d’eux au rang des prévaricateurs; car, selon le même Apôtre, il n’y a pas de prévarication où n’est pas la loi.

2. Mais quand l’Apôtre disait: « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi », il parlait de cette loi que Dieu a donnée au peuple d’Israël par son serviteur Moïse.

Voilà ce que prouvent les paroles du contexte. L’Apôtre parlait des Juifs, puis des Grecs ou

des Gentils qui n’appartenaient point à la circoncision, mais qui étaient incirconcis; et il

dit que ces derniers sont sans la loi, parce qu’ils n’avaient point reçu cette loi dont les

Juifs se glorifiaient, ainsi qu’il le leur reproche: « Mais toi qui portes le nom de Juif, qui te reposes sur la loi, et te glorifies en Dieu ». Voyons toutefois comment il en vient à cette conclusion: « Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi » . « Colère», dit-il, «et indignation, tribulation et angoisse pour l’âme de tout homme qui fait le mal, du Juif premièrement, puis du Gentil. Mais gloire, honneur et paix à tout homme qui fait le bien, au Juif d’abord, puis au Gentil. Car Dieu ne fait acception de personne ». Puis il ajoute ce qui a soulevé notre difficulté : « Ainsi tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi, et tous ceux qui ont péché dans la loi seront jugés dans la loi 1 ». Par les uns il veut assurément désigner les Juifs, et par les autres les Gentils, car c’est d’eux qu’il est question ; il montre que tous sont soumis au péché, afin qu’ils confessent les uns et les autres qu’ils ont besoin de la grâce ; c’est pourquoi il ajoute: « Il n’y a point de distinction, tous ont péché, et ont besoin de la grâce de Dieu

 

1. Rom, II, 8-17.

 

ils sont justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui vient de Jésus-Christ 1 ». Mais de qui l’Apôtre dit-il que tous ont péché, sinon des Juifs et des Gentils, et dont il avait

dit : « Il n’y a nulle différence ? » Car c’est d’eux qu’il disait un peu auparavant: « Nous avons convaincu les Juifs et les Gentils d’être tous dans le péché 2 ». Ainsi « tous ceux qui ont péché sans la loi », c’est-à-dire sans cette loi dont se glorifient les Juifs, « périront sans la loi; et tous ceux qui ont péché sous la loi », c’est-à-dire les Juifs, « seront jugés par la loi »; ce qui ne les empêchera pas de périr, s’ils ne croient en Celui qui est venu chercher ce qui a péri 3.

3. Quelques auteurs, même catholiques, peu attentifs aux paroles de l’Apôtre, leur ont donné un sens qu’elles ne comportent pas, en disant que ceux-là périront qui ont péché sans la loi, et que ceux qui ont péché sans la loi seront simplement jugés, mais ne périront pas: comme si nous devions croire qu’ils seront purifiés par des peines passagères, comme celui dont il est dit: « Quant à lui il sera sauvé, mais comme par le feu 4 ». Mais il est clair que celui dont l’Apôtre parlait alors ne devait être sauvé que par le mérite du fondement qui est le Christ: « Comme un sage architecte, j’ai posé le fondement, un autre bâtit. Que chacun prenne garde à ce qu’il construit. Car nul ne saurait établir u de fondement autre que celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ 5»; et le reste, jusqu’à cet endroit où l’Apôtre dit qu’il sera sauvé,mais comme par le feu, celui qui aura bâti sur ce fondement, non avec de l’or, de l’argent, ou des pierres précieuses, mais avec du bois, du foin ou de la paille, et qui ne refuse point de recevoir ce fondement divin, ou qui ne l’abandonne pas après l’avoir reçu; qui le préfère à tous les plaisirs terrestres, quand se présente l’alternative ou de les abjurer, ou d’abjurer Jésus-Christ; s’il ne préférait alors le Christ, il n’aurait plus de fondement, car ce fondement doit toujours venir avant toute autre partie de l’édifice. Je ne pense pas qu’ils se soient imaginé que ceux-là ne périront point dont il est dit : « Ils seront jugés par la loi », à moins qu’ils n’aient le Christ pour fondement. Ils ont donc peu examiné ce que nous venons de démontrer: et l’Ecriture elle-

 

1. Rom. III, 22.— 2. Id. 9.— 3. Luc, XIX, 10.— 4. I Cor. III, 15.— 5. Id. 10, 11.

 

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même nous dit bien clairement que l’Apôtre parle ainsi des Juifs qui n’ont pas le Christ pour base. Or, où est le chrétien qui ne condamnerait point à périr, mais seulement à êtrejugé, tout Juif qui ne croit point au Christ? quand le Christ lui-même nous affirme qu’il est venu chez ce peuple afin de sauver les brebis qui ont péri 1; et que Sodome, qui a péché sans la loi, sera traitée avec plus de douceur au jour du jugement que les cités juives qui n’ont pas cru en lui quand il faisait tant de miracles 2.

4. Si donc saint Paul entendait parler de la loi que Dieu donna par Moïse au peuple d’Israël, mais non aux autres peuples, quand il a dit que ces autres peuples étaient sans la loi 3; que devons-nous comprendre lorsque le psaume nous dit: « J’ai regardé comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre », sinon qu’il est une loi que Moïse n’a point donnée, et d’après laquelle sont prévaricateurs tous les pécheurs des autres peuples? Car « où n’est pas la loi, il n’y a point de prévarication ». Or, quelle est cette loi, sinon peut-être celle dont l’Apôtre a dit: «Les Gentils qui n’ont pas la loi font naturellement ce que la loi commande; n’ayant point de loi, ils sont à eux-mêmes la loi 4?» Ainsi donc d’après cette parole : Ils n’ont point la loi, ils ont péché sans la loi, et ils périront sans la loi; mais d’après cette autre : Ils sont à eux-mêmes la loi, ce n’est point sans raison que le Prophète regarde comme prévaricateurs tous les pécheurs de la terre. Car nul ne fait injure à un autre sans être fâché qu’on lui fasse injure; et dès lors il est violateur de la loi naturelle qu’il ne saurait ignorer, en faisant ce qu’il ne veut point qu’on lui fasse. Mais cette loi naturelle n’était-elle point aussi pour Israël ? Assurément, puisque les Israélites étaient hommes. S’ils avaient pu être en dehors du genre humain, ils n’auraient point eu cette loi naturelle. A plus forte raison ils sont devenus prévaricateurs après avoir reçu cette loi divine, qui rétablissait, ou développait, ou confirmait cette loi naturelle.

5. Si donc, comme il est très-possible, dans ces pécheurs de la terre on entend aussi les enfants, à cause des liens du péché originel, qui les atteint comme la transgression d’Adam 5, nous pouvons dire qu’ils ont part aussi à cette

 

1. Matth. XV, 24 — 2. Id. XI, 23, 24.— 3. Rom. II,14.— 4. Id. XV, 15. — 5. Id. V, 14.

 

prévarication, qui fut commise contre la loi donnée dans le paradis 1; et dès lors, sans aucune exception tous les pécheurs de la terre peuvent être envisagés comme des prévaricateurs. « Car tous ont péché, tous ont besoin de la gloire de Dieu 2 ». La grâce de Jésus-Christ n’a donc trouvé sur la terre que des prévaricateurs, les uns plus, les autres moins. Plus en effet est grande la connaissance de la loi, moins la faute est excusable ; et moins le péché est excusable, plus la prévarication est manifeste. Nous n’avions donc nulle ressource que dans la justice, non de chacun de nous, mais dans la justice de Dieu, et cette justice nous est donnée. De là ce mot de l’Apôtre: « C’est par la loi que l’on connaît le péché »; non point qu’on l’efface, mais qu’on le connaît. « Au lieu que maintenant», nous dit-il, « la justice de Dieu nous est donnée sans la loi, affirmée par la loi et par les Prophètes 3 ». C’est pourquoi l’interlocuteur ajoute : « Et dès lors j’ai aimé vos témoignages». Comme s’il disait : Puisque la loi, soit intimée dans le paradis, soit gravée naturellement dans le coeur, soit promulguée dans les saintes Ecritures, a rendu prévaricateurs tous les pécheurs de la terre : « c’est pour cela que j’ai aimé vos témoignages», qui sont dans votre loi et qui concernent votre grâce; en sorte que ce n’est point ma justice, mais la vôtre qui est en moi. Car la loi est utile en ce qu’elle nous envoie à la grâce. Non-seulement par le témoignage qu’elle rend à la manifestation future de la justice de Dieu qui est au-dessus de la loi, mais par cela même qu’elle tait des prévaricateurs, et que la lettre tue, elle nous frappe de crainte et nous force à recourir à l’esprit qui vivifie 4, seul capable d’effacer nos fautes, de nous inspirer l’amour du bien: « C’est pour cela », dit le Prophète, « que j’ai aimé vos témoignages ». Dans certains exemplaires, on lit semper, «toujours o; d’autres ne l’ont pas. Mais s’il faut mettre « toujours », on doit l’entendre tant que l’on vit ici-bas. C’est ici-bas en effet que nous avons besoin que les témoignages de la loi et des Prophètes nous viennent garantir cette justice de Dieu qui nous justifie gratuitement; c’est ici-bas encore que nous avons besoin de ces témoignages, pour lesquels les martyrs ont donné avec joie la vie de ce monde.

6. Après nous avoir fait connaître la grâce

 

1. Gen. III, 6.— 2. Rom. III, 13 — 3. Id. 20, 21.— 4. II Cor. III, 6.

 

713

 

de Dieu, qui seule nous délivre du péché où nous fait tomber la connaissance de la loi, le Prophète continue par cette prière: « Que votre crainte soit comme des aiguillons qui percent ma chair 1 ». C’est ainsi qu’ont traduit les Latins, pour donner plus d’expression à ce que les Grecs ont exprimé en un seul mot, katheloson . D’autres l’ont rendu par confige, percez, sans ajouter clavis, «avec des clous»; et dès lors en voulant rendre le mot grec par un seul mot latin, ils ont affaibli la pensée; car dans le mot confige, les clous ne sont point rendus, tandis qu’il est impossible de séparer de ces aiguillons le mot katheloson, que l’on ne saurait dès lors exprimer en latin sans ces deux mots confige clavis, percez de clous. Qu’est-ce à dire, sinon comme le demandait saint Paul: « A Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon en la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde 2? » Et encore: « Je suis », dit-il, « attaché à la croix avec le Christ, je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi 3 ? » Qu’est-ce à dire encore, sinon qu’elle n’est plus en moi cette justice qui venait de la loi, et cette loi m’a rendu prévaricateur; mais c’est la justice de Dieu, c’est-

à-dire celle qui me vient de Dieu 4, et non de moi? C’est ainsi que ce n’est pas moi, mais le

Christ qui vit en moi : « Lui qui nous a été donné de Dieu, comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification, notre rédemption, afin que selon qu’il est écrit : Que celui qui se glorifie le fasse dans le Seigneur 5 ». C’est lui qui dit encore : « Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair, avec ses passions et ses convoitises 6 ». Or, ici il est dit qu’ils ont crucifié leur chair, et dans notre psaume le Prophète prie Dieu qu’il la perce lui-même de sa crainte, comme avec des aiguillons; afin que nous comprenions que tout le bien que nous faisons doit

être attribué à la grâce de Dieu, « qui opère en nous le vouloir et le faire, selon sa bonne volonté 7 ».

7. Mais après avoir dit: « Que votre crainte perce ma chair, comme des aiguillons », pourquoi ajouter : « J’ai craint vos jugements? » Que signifie : « Pénétrez-moi de votre crainte, car j’ai craint ? » S’il avait

 

1. Ps. CXVIII, 120. — 2. Gal. VI, 14. — 3. Id. II, 19, 20. — 4. Philipp. III, 9. — 5. I Cor. I, 30, 31.— 6. Gal, V, 24. — 7. Philipp. II, 13.

 

craint déjà, ou s’il craignait, pourquoi demandait-il à Dieu de crucifier sa chair? Voulait-il que Dieu augmentât cette crainte et la rendit si forte qu’elle fût suffisante pour crucifier sa chair, c’est-à-dire ses convoitises avec ses affections charnelles; comme s’il eût dit: perfectionnez en moi votre crainte, car je redoute vos jugements? Mais il est un sens plus relevé, que l’on peut, avec le secours de Dieu, tirer des entrailles mêmes de ce passage. « Que votre crainte pénètre ma chair, comme des aiguillons; car j’ai craint vos commandements » ; c’est-à-dire, qu’une crainte chaste, qui demeure éternellement 1 , vienne coin primer en moi les désirs charnels; car j’ai craint vos jugements, sous la menace de cette loi qui ne pouvait me donner la justice. Mais la charité parfaite bannit cette crainte qui redoute seulement la peine; elle nous rend libres, non par la crainte du châtiment, mais par l’amour de la justice. Car cette crainte qui nous fait, non point aimer la justice, mais redouter le châtiment, est une crainte servile et charnelle, qui ne crucifie pas la chair. Elle laisse vivre en nous la volonté du péché, qui se manifeste quand nous comptons sur l’impunité; qui demeure cachée, mais vivante néanmoins, quand elle compte sur la peine qui suivra. Elle voudrait se donner, elle regrette qu’elle ne se puisse donner ce que la loi défend; elle n’a aucun goût pour le bien que promet cette loi, mais elle craint vivement la peine dont elle menace. La charité, au contraire, qui bannit cette crainte, a pourtant une crainte chaste du péché; elle ne croit pas qu’une faute soit impunie, puisque l’amour de la justice lui fait du péché même un châtiment. Telle est la crainte qui crucifie notre chair; parce que le goût des biens spirituels surmonte l’amour des biens charnels que la lettre de la loi nous défend sans nous les faire éviter, et que cette victoire devenant complète en nous, éteint ces vains plaisirs. Donc, ô mon Dieu, « que votre crainte perce ma chair comme des aiguillons, car j’ai redouté vos jugements ». C’est-à-dire, donnez-moi cette crainte chaste, que la crainte servile de cette loi m’a conduit, comme un maître, à vous demander, en me remplissant de frayeur à l’idée de vos jugements.

 

1. Ps. XVIII, 10.

 

 

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