PSAUME CIX
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DISCOURS SUR LE PSAUME CIX.

SERMON AU PEUPLE.

LES PROMESSES DU SEIGNEUR.

 

L’Ancien Testament était le temps des promesses, le Nouveau est celui de l’accomplissement. Ces promesses toutefois ne sont point pour l’homme qui reste dans le péché, s’imaginant que Dieu ise prend aucun soin de nos actions, lui qui a compté nos cheveux. Le garant de ces promesses, c’est le Christ prophétisé dans notre psaume, comme Seigneur de David. Il est fils de David selon l’Evangile et selon saint Paul ; et quand il passait sur le grand chemin, les aveugles, comprenant que ses actes comme fils de David sont transitoires, l’invoquèrent sous ce nom et virent la lumière. Il est Seigneur de David comme Verbe de Dieu, et Verbe fait chair pour nous donner l’espérance. Les Juifs pouvaient répondre que la Vierge doit mettre au monde Emmanuel, que cet Emmanuel est Seigneur de David, mais le fils de la vierge, fils de David. Ce Christ fils de David ayant été élevé en gloire, est devenu par là même Seigneur de David; et Dieu lui a donné un nom au-dessus de tout nom. Voilà ce qu’il nous faut croire sans le comprendre, autrement notre foi n’aurait pas de mérite. Le principal péché des Juifs est de n’avoir point cru en lui; de là vient que leurs péchés subsistent, puisque nulle faute ne peut être effacée que par la foi au Christ; et comme l’objet de la foi doit être invisible, voilà que le Fils de Dieu s’est dérobé à nos regards par l’ascension, afin de former en nous la justice par la foi. Si nous ne voyons pas le Christ assis à la droite de son Père, nous voyons ses ennemis sous ses pieds, soit par le coup de sa justice, soit par le coup de sa miséricorde. En dépit des nations révoltées, le Seigneur les donnera à son Christ. C’est à partir de Sion que le Seigneur a commencé son règne par la prédication de l’Evangile. Il règne au milieu de ses ennemis, Juifs, infidèles, hérétiques, à qui l’on prêche la rémission des péchés, jusqu’à ce que toutes les nations soient entrées dans I’Eglise. Les disciples ont vu le Christ montant au ciel, nous le voyons régnant ssr tous les peuples. Quant à la forme de l’esclave, l’impie l’a vue, et il verra aussi celui qu’il a percé, mais non la forme divine. Alors nouas comprendrons que le principe est avec lui, Ou plutôt qu’il est en son Père, et sua Père en lui, quand les saints apparaîtront dans leur gloire pour la vie éternelle. Aujourd’hui nous croyons au Christ que Dieu engendre dans le secret de sa gloire, et avant le temps. David pouvait dire aussi: je vous ai engendré du sein de la vierge, et pendant la nuit que bénirent les bergers. Le Christ ne peut être prêtre que selon l’ordre de Melchisédech, puisque le sacerdoce d’Aaron a cessé avec le temple et l’holocauste. Le Seigneur à votre droite, et le prêtre à la droite de son Père; il doit briser sur la terre les têtes rebelles et orgueilleuses , car il est la pierre de Sion écrasant tout incrédule. Maintenant il juge, mais sans éclat; au dernier jour, il jugera ostensiblement; il ruine aujourd’hui ce qui est du vieil homme, pour le réédifier dans la gloire; et lui qui a bu l’eau du torrent par une vie rapide, relèvera la tête dans sa splendeur.

 

l. Autant que nous le permettra le Seigneur, qui nous a établi ministre de sa parole et de ses sacrements pour vous servir dans l’effusion de sa miséricorde; avec le secours de ce même Dieu, qui vous rend si attentifs et qui voudra bien nous en rendre capable, nous entreprenons de sonder et de vous exposer le psaume que nous venons de chanter. li contient peu de paroles, mais on y trouve de grandes pensées. Que votre âme soit donc toujours fervente et en éveil devant Dieu, qui a ses temps pour faire des promesses, et ses temps aussi pour les accomplir. Le temps des promesses était celui des Prophètes jusqu’à Jean-Baptiste; depuis Jean-Baptiste jusqu’à la fin, c’est le temps de les accomplir. C’est un Dieu fidèle qui veut bien se constituer notre débiteur, non point qu’il reçoive quelque chose de nous, mais bien parce qu’il nous tait de si grandes promesses. C’était peu pour lui que la promesse, il a voulu la faire écrire; il nous a fait en quelque sorte le billet de ses

promesses, afin que quand il viendrait à les accomplir, nous pussions voir dans ces mêmes écrits l’ordre qu’il devait garder. Le temps de la prophétie était donc, nous l’avons dit souvent, le temps des promesses. Dieu nous a promis la vie éternelle, la vie bienheureuse et sans fin avec les anges, l’héritage incorruptible, la gloire toujours durable, la douce contemplation de sa face, la demeure dans les tabernacles célestes, la résurrection d’entre les morts, sans craindre la mort désormais. Telle est, en quelque sorte, la promesse finale, où tendent nos désirs ; et quand nous y serons arrivés, nous n’aurons plus rien à demander, plus rien à désirer. Mais Dieu, en faisant ces promesses, a daigné nous préciser dans quel ordre nous pourrons y arriver. Il a promis aux hommes la divinité, à de simples mortels l’immortalité, à des pécheurs la justification, et aux humiliés la gloire. Toutes ces promesses, il les a faites àdes indignes, afin ne ses promesses ne

 

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parussent point la récompense des oeuvres, mais bien une grâce accordée gratuitement, comme l’indique son nom. Vivre en effet dans la justice, autant qu’un homme peut vivre de la sorte, ce n’est point l’effet de son mérite, mais d’un bienfait de Dieu. Car nul ne mène une vie juste, s’il n’a été justifié, c’est-à-dire fait juste; et l’homme ne peut devenir juste que par Celui qui ne peut être injuste. De même qu’une lampe ne saurait s’allumer elle-même, ainsi l’âme de l’homme ne saurait se donner la lumière ; mais elle crie au Seigneur : « C’est vous, ô Dieu, qui ferez luire ma  lampe 1 ».

2. Lorsqu’on promet donc le royaume des cieux aux pécheurs, ce n’est point à ceux qui demeurent dans le péché, mais à ceux qui sont délivrés du péché, pour servir dans la justice; et, pour cela, il leur faut, avons-nous dit, le secours de la grâce c’est celui qui est toujours juste qui les justifie. Il semblait néanmoins incroyable que Dieu eût tant de bonté pour les hommes, et aujourd’hui, ceux qui désespèrent de la grâce divine, ceux qui ne veulent point quitter leur vie dépravée et se tourner vers Dieu, et recevoir de lui la justification, afin que, leurs péchés une fois couverts du pardon, ils puissent commencer une vie juste en Celui qui n’a jamais vécu dans l’injustice; ceux-là, dis-je, s’entretiennent dans la corruption par cette funeste pensée qui leur fait dire que Dieu n’a aucun souci des choses humaines, et que Celui qui a créé le monde, qui le dirige, ne peut considérer quelle est ici-bas la vie d’un mortel. Ainsi l’homme fait par Dieu, s’imagine qu’il échappe à l’oeil de Dieu. S’il nous était permis de nous adresser à cet. homme; si notre parole pouvait atteindre son oreille d’abord et ensuite son coeur; si son obstination ne décourageait point celui qui le cherche, tout perdu qu’il est; s’il se laissait retrouver, nous pourrions lui dire : O homme, comment Dieu te négligerait-il, maintenant que tu es créé, lui qui a pris soin de te créer? Pourquoi t’imaginer que tu n’es point au rang des créatures? Loin de toi toute séduction t Tes cheveux sont comptés par le Créateur 2. Telle est, en effet, la parole que Jésus donnait à ses Apôtres, dans l’Evangile, les rassurant contre la crainte de la mort, et leur ôtant la pensée que rien d’eux pût périr par la mort. Ils redoutaient la

 

2. Ps. XVII, 29.— 3. Matth. X, 30.

 

mort pour leur âme, et il les rassure à propos du moindre de leurs cheveux. L’âme, en effet, peut-elle périr, quand un cheveu ne périt point? Toutefois, mes frères, comme il paraissait incroyable que Dieu pût accomplir ce qu’il promettait aux hommes, de les tirer de cette mortalité, de cette abjecte corruption, de cette faiblesse, de la cendre et de la poussière, pour les égaler aux anges de Dieu, non-seulement le Seigneur leur a donné en garantie les saintes Ecritures, mais il leur a donné, pour médiateur de sa promesse, non plus un prince quelconque, non plus un ange, ou un archange, mais son Fils unique, afin de nous montrer et de nous donner, en la personne de ce même Fils, cette voie par laquelle il doit nous conduire à la fin qu’il nous promet. C’était peu, en effet, pour Dieu, de nous donner son Fils pour guide ; il en a fait la voie elle-même, afin que nous puissions aller à Celui qui nous conduit, et marcher en lui.

3. Il nous adonc promis que nous arriverions à lui, c’est-à-dire à cette ineffable immortalité, à l’égalité avec les anges: combien nous en étions éloignés! Quelle élévation en lui! quelle bassesse en nous! Quelle supériorité en lui! et, en nous, quelle abjection profonde et désespérante! Nous étions dans une langueur mortelle, sans pouvoir guérir: Dieu nous a envoyé un médecin que le malade ne connaissait point: « Car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 1». Mais ce qui a servi à la guérison, c’est que le malade ait tué son médecin. Il était venu pour visiter ce malade, on l’a fait mourir, afin qu’il donnât la guérison. Il fit comprendre à ses fidèles qu’il était Dieu et homme; Dieu par qui nous avons été formés, homme par qui nous sommes reformés. Autre était ce qui paraissait en lui, et autre ce qui était caché; et ce qui était caché était bien supérieur à ce que l’on voyait; mais ce qui était supérieur demeurait invisible. Le malade était guéri par ce qu’ily avait de visible, afin qu’il devînt capable de voir celui qui se dérobait un instant, mais qui ne devait point se refuser à jamais. Que le Fils unique de Dieu viendrait chez les hommes, qu’il prendrait notre chair, qu’il deviendrait homme par cette chair qu’il aurait prise, qu’il mourrait, qu’il ressusciterait,

 

1. I Cor, II, 8.

 

qu’il monterait au ciel pour s’asseoir à la droite de son Père, accomplissant ainsi ses promesses à l’égard des Gentils, et qu’après l’accomplissement de ses promesses à l’égard des Gentils, il exécuterait encore ce qu’il avait dit; qu’il viendrait, et se ferait rendre compte de ses grâces, afin de faire le discernement des vases de colère, et des vases de miséricorde, pour accomplir ses menaces à l’égard de l’un pie, ses promesses à l’égard du juste voilà ce qu’il fallait prophétiser, ce qu’il fallait annoncer, l’avènement qu’on devait prêcher, afin qu’il ne causât aux hommes ni frayeur ni surprise, mais qu’il fût attendu avec foi. Parmi ces promesses, il faut compter notre psaume, qui annonce Jésus-Christ Notre-Seigneur d’une manière claire et évidente; en sorte qu’il est indubitable pour nous que ce psaume est une prophétie du Christ, car nous sommes chrétiens, et nous en croyons à l’Evangile. Un jour que le Seigneur et Sauveur Jésus-Christ demandait aux Juifs de qui, selon eux, le Christ était fils, et qu’ils répondaient de David; il leur répliqua aussitôt « Comment donc David nous dit-il par l’Esprit-Saint: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à s ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied? Si donc David, parlant par e l’Esprit-Saint, l’appelle son Seigneur, comment est-il son Fils 1?» C’est par ce verset même que commence le psaume.

4. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied 2 ». C’est donc par cette question que pose aux Juifs Notre-Seigneur, qu’il nous faut commencer l’explication du psaume. Que l’on nous demande en effet si nous confirmons, ou si nous contredisons la réponse des Juifs ; loin de nous de la contredire. Si l’on nous demande : Le Christ est-il filé de David, ou ne l’est-il point? Répondre non, c’est contredire l’Evangile; car saint Matthieu commence de cette manière le récit évangélique : « Livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David 3 ». L’Evangéliste proclame donc qu’il écrit le livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David, Les Juifs eurent donc raison de répondre au Christ, qui leur demandait de qui ils croyaient que le Christ était fils, que c’était de David. Cette

 

1. Matth. XXII, 42-45. — 2. Ps. CIX, 1 — 3. Matth. I, 1.

 

réponse est d’accord avec l’Evangile. C’est ce qu’établit non-seulement l’opinion des Juifs, mais la foi des chrétiens. Je trouve aussi d’autres preuves. L’Apôtre dit de Jésus-Christ qu’ « il est né, selon la chair, de la race de David 1 »; et, s’adressant à Timothée : «Souvenez-vous »,lui dit-il, « que Jésus-Christ de la race de David est ressuscité des morts, selon  l’Evangile que je prêche ». Et que dit-il à propos de cet Evangile? « Pour lequel je souffre jusqu’à être chargé de chaînes, comme un malfaiteur; mais la parole de Dieu n’est point enchaînée 2 », L’Apôtre souffrait donc jusqu’à être chargé de chaînes pour son Evangile, c’est-à-dire pour la dispensation de cet Evangile qu’il prêchait aux peuples, qu’il répandait parmi les nations. Lui qui le matin avait enlevé les dépouilles, et le soir partagé le butin 3, souffrait donc jusqu’à être enchaîné pour la bonne nouvelle. Quelle bonne nouvelle? « Que le Christ, fils de « David, est ressuscité d’entre les morts » .C’est pour cette nouvelle que souffrait l’Apôtre, et néanmoins c’est à ce sujet que le Sauveur interrogeait les Juifs; et quand ils répondaient ce que prêchait l’Apôtre, il releva cette réponse comme pour la contredire: « Comment donc David, parlant dans l’Esprit de Dieu, l’appelle-t-il son Seigneur? » Et il cita en preuve cet endroit du psaume : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur. Si donc, dans l’Esprit de Dieu, il l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils? » Cette question imposa silence aux Juifs : ils ne trouvèrent aucune réponse, mais ils ne cherchèrent point à l’avoir pour Seigneur, parce qu’ils ne le reconnaissaient point pour le fils de David. Pour nous, mes frères, croyons et parlons: « Car c’est dans le coeur qu’est la foi qui justifie, et dans la bouche la confession qui sauve 4 ». Croyons, dis-je, et proclamons que le Christ est fils de David et Seigneur de David. N’allons point rougir du fils de David, afin de n’irriter point le Seigneur de David.

5. C’est de ce nom que l’appelèrent, quand il passait, ces aveugles qui méritèrent de recouvrer la vue. Jésus passait, et ces aveugles qui entendaient passer une troupe, connurent de l’oreille Celui qu’ils ne pouvaient voir des yeux, et poussèrent de grands cris en disant:

« Ayez pitié de nous, fils de David 5». Or, la

 

1. Rom. I, 3.— 2. II Tim. II, 8 , 9.— 3. Gen, XLIX, 27.— 4. Rom,  X, 10. — 5. Matth. XX, 29-34.

 

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foule les menaçait pour les fajre taire; et eux, néanmoins, dans leur désir de voir le jour, surmontant les contradictions de la foule, continuaient de crier; ils retinrent celui qui passait, et méritèrent qu’il les touchât et leur rendît la vue. « Ayez pitié de nous, fils de David », criaient-ils à celui qui passait, et il s’arrêta ; et comme ils dominaient l’opposition du peuple : « Que voulez-vous que je vous fasse?» leur dit-il. Et eux: « Seigneur, faites que nous voyions ». Il toucha leurs yeux qu’il ouvrit, et ils virent présent celui qu’ils avaient entendu passer. Il y a donc des oeuvres que le Seigneur fait en passant, d’autres qui sont plus stables. Oui , dis-je, parmi les oeuvres du Seigneur, les unes sont transitoires, les autres stables. L’oeuvre passagère du Seigneur, est l’enfantement de la Vierge, l’incarnation du Verbe, l’accroissement des années, les miracles visibles, les souffrances de sa passion, sa mort, sa résurrection, son ascension au ciel; tout cela fut transitoire. Car aujourd’hui il n’y a plus pour le Christ, ni naissance, ni mort, ni résurrection, ni ascension au ciel. Ne comprenez-vous pas que tous ces faits sont accomplis, ont eu leur temps, et ont montré à ceux qui voyagent ici-bas, quelque chose qui s’en va, afin qu’ils ne demeurassent point en chemin, mais qu’ils courussent vers la patrie? Enfin ces aveugles étaient assis près du chemin, c’est là qu’ils entendirent le passant divin, et l’arrêtèrent par leurs cris. C’est donc dans la voie de ce siècle que le Seigneur a fait quelque chose de passager, et cet acte passager est l’oeuvre du Fils de David. De là vient qu’à son passage, ils s’écrièrent : « Ayez pitié de nous, Fils de  David». Comme s’ils disaient: Nous reconnaissons dans celui qui passe le Fils de David; ce passage nous fait comprendre qu’il a été Fils de David. Reconnaissons donc, nous aussi, et proclamons qu’il est Fils de David, afin de mériter qu’il nous éclaire. Nous sentons dans Celui qui passe le Fils de David: puisse le Seigneur de David nous éclairer!

6. Voilà donc le divin Maître qui interroge les Juifs, et ils ne répondent point, parce qu’ils ne veulent pas être ses disciples; si maintenant il nous interrogeait, que répondrions-nous? Cette interrogation mit les Juifs en défaut, qu’elle profite aux chrétiens; loin de se troubler, qu’ils s’instruisent. Ce n’est point pour s’instruire que le Seigneur nous interroge, mais il interroge en docteur. Ces malheureux Juifs devaient lui répondre, c’est à vous de nous l’apprendre. Ils aimèrent mieux se taire dans un dépit orgueilleux, que s’instruire par une humble confession. Que le Maître nous parle donc, et voyons ce que nous répondrons à cette question. « Que vous semble-t-il du Christ? De qui est-il Fils? » Répondons ce que répondirent les Juifs, mais sans nous arrêter où ils s’arrêtèrent. Rappelons-nous cet Evangile que nous croyons. « Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David 1 ». Que la question que l’on nous adresse ne nous fasse point oublier que le Christ est Fils de David, ainsi que nous le rappelle saint Paul. Courage donc, ô chrétien; « souviens-toi que le Christ Jésus, Fils de David, est ressuscité d’entre les morts 2 ». Que l’on nous interroge donc, et répondons. « Que vous semble-t-il du Christ? De qui est-il Fils?» Que toutes les bouches chrétiennes redisent eu plein accord: « De David ». Que le Maître continue, et nous dise: « Comment donc David, parlant par l’Esprit-Saint, l’appelle-t-il son Seigneur? Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied » .Comment pourrons-nous répondre, si vous ne nous l’apprenez? Maintenant que nous l’avons appris, nous disons: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; toutes choses ont été faites par vous ». Voilà le Seigneur de David. Mais à cause de l’infirmité de notre chair, parce que nous n’étions qu’une chair sans espoir: «Le Verbe s’est fait chair et a demeuré parmi nous»; voilà le Fils de David. Assurément, Seigneur, ayant la nature divine, vous n’avez pas cru qu’il y eût usurpation à vous dire semblable à Dieu; aussi êtes-vous le Seigneur de David; mais, vous vous êtes abaissé jusqu’à prendre la forme de l’esclave 3: voilà le Fils de David. Aussi, dans votre question, quand vous demandez: « Comment est-il son Fils? » vous n’avez point nié que vous fussiez son Fils, mais seulement demandé comment cela pouvait se faire. David l’appelle son Seigneur,dites-vous; de quelle manière donc est il son Fils? Sans le nier, je vous demande comment, pour eux, avec cette Ecriture qu’ils lisaient sans la comprendre, s’ils eussent voulu à cette

 

1. Math.  I, 1. — 2. II Tim. II, 8.— 3. Philipp. II, 7.

 

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demande se rappeler cette manière, ils eussent répondu: Pourquoi nous interroger? « Voilà que la Vierge concevra et mettra au monde un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie : Dieu avec nous 1 ». Donc, la Vierge concevra, et cette Vierge, de la race de David, mettra au monde un fils, qui sera Fils de David. Car Joseph et Marie étaient de la maison, et de la famille de David 2. Donc, cette Vierge enfanta, en sorte que son Fils est le Fils de David. Mais au Fils qu’elle a mis au monde, « on donnera le nom d’Emmanuel, ou Dieu avec nous ». Voilà comment nous avons le Seigneur de David.

7. Peut-être ce psaume lui-même nous dira-t-il en quelque manière comment le Christ est fils de David, et Seigneur de David. Ecoutons-le donc et développons-en les mystères; frappons avec piété, arrachons par la charité, David lui-même nous le dit donc, et il ne lui était pas permis de contredire son Seigneur : « David, parlant par l’Esprit-Saint, nous dit qu’il est son Seigneur ». Que dit David à propos du Christ? Car le psaume est à David lui-même. C’est là tout le titre, sans embarras de figure, sans aucune difficulté. Que dit donc David? « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de vos ennemis l’escabeau de vos pieds». Qu’est-ce à dire : «L’escabeau de vos pieds?» C’est-à-dire qu’ils seront sous vos pieds, car c’est sous les pieds que l’on met l’escabeau des pieds. « Le Seigneur », dit le Prophète, « a dit à mon Seigneur ». Voilà ce que David a entendu, et il l’a entendu en esprit. Où et quand l’a-t-il entendu, c’est ce que nous ne savons pas; mais nous le croyons quand il dit et écrit qu’il a entendu. Il l’a donc entendu certainement, il l’a entendu dans quelque sanctuaire de la vérité, dans quelque figure mystérieuse, où tous les Prophètes ont ouï dans le secret ce qu’ils ont divulgué au grand jour; c’est là que David a entendu ce qu’il proclame avec une grande confiance : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez- vous à ma droite jusqu’à ce que je vous fasse un marchepied de vos ennemis ». Nous savons que, après la résurrection, le Christ monta au ciel pour s’asseoir à la droite de Dieu. C’est là un fait; nous ne l’avons pas

 

1. Ps. VII, 14; Matth. I, 23.— 2. Luc, II, 27, 32; II,4,5.

 

vu, mais nous le croyons: nous l’avons lu dans les Livres saints, nous l’avons entendu prêcher, nous y adhérons par la foi. Mais dès lors que le Christ était fils de David, il était aussi Seigneur de David. Car ce qui est né de la race de David, a été élevé en gloire au point d’être Seigneur de David. Mes paroles vous étonnent, comme si cela était sans exemple parmi les hommes. S’il arrivait que le fils d’un particulier devînt un roi, ne serait-il pas le Seigneur de son père? Chose plus étonnante encore! ne peut-il pas se faire non seulement que le fils d’un particulier devienne roi, et ainsi seigneur de son père; mais que le fils d’un laïque devienne évêque, et alors père de son père? Donc le Christ, en prenant une chair, en mourant dans cette chair, pour ressusciter également avec cette chair, puis monter aux cieux, et s’asseoir à la droite de son Père, est devenu dans cette même chair, ainsi élevée, ainsi glorifiée, ainsi transformée dans une splendeur toute céleste, et fils de David, et Seigneur de David. C’est au point de vue de ces transfigurations du Christ, que l’Apôtre a dit aussi : « C’est pourquoi Dieu l’a ressuscité des morts, et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel,sur la terre et dans les enfers 1». « Dieu », dit l’écrivain sacré, « lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom », c’est-à-dire au Christ devenu homme, au Christ qui est mort selon la chair, qui est ressuscité, monté aux cieux. « Dieu lui a donné un nom supérieur à tout nom, en sorte qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers ». Où donc sera David, pour que le Christ ne soit point son Seigneur? Qu’il soit dans le ciel, qu’il soit sur la terre, qu’il soit dans les enfers, il aura toujours pour Seigneur celui qui est Seigneur du ciel, de la terre et des enfers. Que David se réjouisse donc avec nous, lui que relève la naissance d’un tel fils, et qui est délivré par un tel Seigneur; qu’il dise dans sa joie, et qu’on écoute avec les mêmes ravissements: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je vous fasse de vos ennemis un marche pied».

8. « Asseyez-vous », non-seulement sur une éminence, mais aussi dans le secret: en haut

 

1. Philipp. II, 9, 10.

 

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pour la domination, dans le secret pour stimuler la foi. Quelle récompense mériterait la foi, si l’objet de la foi n’était caché? Or, la récompense de la foi sera de voir celui en qui nous avons cru avant de le voir. Mais, comme l’a dit l’Ecriture : « Le juste vit de la foi 1». Il n’y aurait donc aucune justice dans la foi, si l’objet que l’on nous prêche et que nous croyons n’était invisible, et si la foi ne nous méritait de le voir. « Quelle ineffable douceur, ô mon Dieu, vous avez cachée pour « ceux qui vous craignent! » Donc vous l’avez cachée, en sont-ils demeurés privés? Loin de là, « elle est parfaite pour ceux qui espèrent en vous 2 ». Ce mystère admirable du Christ, assis à la droite de Dieu, a donc été caché afin d’être l’objet de la foi; il nous a été dérobé afin de stimuler notre espérance. « Nous sommes, en effet, sauvés par l’espérance. Or, l’espérance que l’on voit n’est pas une espérance ; comment espérer ce que l’on voit? » Ainsi, dit l’Apôtre, vous le connaissez, je vous le rappelle seulement. Que dit donc l’Apôtre? « C’est l’espérance qui nous sauve »,dit-il; «or, l’espérance qu’on verrait ne serait pas une espérance. Comment espérer ce que l’on voit déjà? Si nous espérons ce que nous n’avons pas encore, nous l’attendons par la patience 3 ». Comme donc l’espérance qu’on verrait ne serait plus espérance, «Vous avez caché votre douceur à ceux qui vous craignent. Car nous espérons ce que nous ne voyons pas, et nous l’attendons par la patience: vous l’avez rendue parfaite pour ceux qui vous craignent». Enfin, mes frères, écoutez attentivement ce que je vais vous dire : c’est que notre justice nous vient de la foi, que la foi purifie nos coeurs, afin que nous puissions voir ce que nous aurons cru. L’un et l’autre nous est enseigné : « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 4 » ; et encore: « C’est par la foi qu’il purifie leurs coeurs 5 ». Comme donc la justice de la foi consiste à croire ce que l’on ne voit pas, afin que le mérite de la foi nous conduise à la claire vue quand le temps sera venu : le Seigneur, en promettant l’Esprit-Saint, nous dit dans l’Evangile : « Il convaincra le monde de péché, de justice et de jugement 6». De quel péché? de quelle justice? de quel jugement?

 

1. Rom. II, 17. — 2. Ps. XXX, 20. — 3. Rom. VII, 24,25.— 4. Matth. V, 8.— 5. Act. XV, 9.—  6. Jean, XVI, 9.

 

Le Seigneur nous l’explique aussitôt, et n’admet point les conjectures des hommes. « Du péché», dit-il, « parce qu’ils n’ont point cru en moi 1 ». Combien d’autres péchés avaient encore les Juifs? Et néanmoins, comme s’ils n’avaient que celui-là, le Seigneur dit qu’«il les convaincra de péché, parce qu’ils n’ont pas cru en lui ». Tel est le péché dont il a dit ailleurs : « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucune faute 2».Qu’est-ce à dire : « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucune faute?» En venant donc vers les justes, ô Dieu, en avez-vous fait des pécheurs? Le Seigneur semble ici omettre tous les péchés dont on peut obtenir la rémission par la foi, et ne désigne que ce péché, sans lequel tous les autres seraient remis. «De péché », nous dit-il, « parce qu’ils n’ont pas cru en moi ». Et ailleurs: « Si je n’étais pas venu, ils n’auraient aucun péché ». Par cela même qu’il est venu, en effet, et qu’ils n’ont point cru en lui, ils sont tombés dans le péché; et s’ils n’étaient tombés dans ce péché, tous les autres eussent pu leur être pardonnés, effacés par ce pardon que leur eût obtenu la foi. « De péché donc, parce qu’ils n’ont pas cru en moi; de la justice, parce que je vais à mon Père, et que désormais vous ne me verrez plus 3 ». Telle est donc la justice, ô Dieu, que vous alliez à votre Père , et que désormais vos disciples ne vous verront plus. Telle est la justice qui vient de la foi. « Car c’est de la foi que vit le juste 4 »; et il vit de la foi, précisément quand il ne voit point ce qu’il croit. Comme donc c’est la vie de la foi qui nous justifie, et que nul ne vit de la foi que quand il ne voit point ce qu’il croit; afin de former cette justice parmi les hommes, c’est-à-dire de les porter à croire ce qu’ils ne voient point, le Saint-Esprit, dit le Sauveur, convaincra les hotu mes de la justice, « parce que je vais à mon Père, et que désormais vous ne me verrez plus ». Comme s’il disait: La justice pour vous consistera à croire en Celui que vous ne voyez point, afin que, purifiés par la foi, vous puissiez voir au jour de la résurrection celui en qui vous croyez.

9. Donc le Christ est assis à la droite de Dieu, le Fils est invisible à la droite du Père. Croyons en lui. Le Prophète nous annonce en effet deux choses, et que Dieu a dit : « Asseyez-vous à ma droite »; et qu’il ajoute : «Jusqu’à ce que

 

1. Jean, XVI, 9.— 2. Id. XV, 22.— 3. Id. XVI, 8-10.— 4. Rom. I, 17.

 

je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds », c’est-à-dire qu’ils soient sous vos pieds. Tu ne vois pas le Christ assis à la droite du Père, mais tu peux déjà voir comment ses ennemis lui sont un marchepied. Quand un point est si visiblement accompli , crois à celui qui demeure caché. Quels ennemis sont mis sous ses pieds? Ceux qui méditaient des choses vaines, et à qui il est dit : « Pourquoi ces frémissements des nations, et ces vains complots des peuples? Les rois de la terre sont debout, les princes se sont rassemblés comme un seul homme contre le Seigneur et contre son Christ. Ils ont dit : brisons leurs chaînes et rejetons leur joug bien loin de nous 1». Qu’ils ne dominent point sur nous, qu’ils ne nous assujettissent point au joug. « Celui qui habite les cieux se rira d’eux ». Tu étais son ennemi, tu seras sous ses pieds, ou adopté, ou vaincu par lui. Vois comment tu veux être sous les pieds du Seigneur ton Dieu, car tu y seras nécessairement, soit par le coup de sa grâce, soit par le coup de sa justice. Il est donc assis à la droite de Dieu, jusqu’à ce que ses ennemis soient placés sous ses pieds comme un escabeau. Voilà ce qui se fait, ce qui s’accomplit, peu à peu à la vérité, mais sans interruption. Que les nations frémissent, que les peuples tiennent de vains complots, que les rois de la terre se soulèvent, que les chefs des nations se rassemblent contre le Seigneur et contre son Christ; est-ce donc par ces frémissements, par ces vains complots, par ces soulèvements contre le Christ qu’ils empêcheront cette parole de s’accomplir : « Je vous donnerai les nations en héritage, et pour domaine les confins de la terre ? » Cette parole s’accomplira donc en dépit de leur fureur, de leurs projets impuissants: « Je vous donnerai les nations en héritage, et votre domaine embrassera les confins de la terre ». Ils sont donc vains, tous leurs complots. Quant à l’accomplissement de celte promesse : « Je vous donnerai toutes les nations en héritage, et la terre entière pour domaine » ; ce n’est point un homme sans portée, mais bien le Seigneur qui me l’a faite. De même, dans notre psaume, nous pouvons raisonner ainsi : « Il a dit », non point un homme quelconque, mais « c’est le Seigneur qui a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis

 

1. Ps. II, 1-8.

 

un escabeau sous vos pieds ». Qu’ils frémissent, qu’ils trament de vains complots, qu’ils se soulèvent en tumulte , empêcheront-ils cette parole de s’accomplir? « Leur mémoire a péri avec le bruit». C’est un autre psaume qui l’a dit, mais non pas un autre esprit: « Leur mémoire périt avec le bruit, et le Seigneur demeure éternellement 1 ». Celui-là donc qui demeure éternellement, quand leur mémoire périt avec le bruit, celui-là « a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite ». Et voilà qu’il est assis à la droite de son Père, jusqu’à ce qu’il mette ses ennemis comme escabeau sous ses pieds.

10. Que dit ensuite le Prophète? « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance 2 ». Il est de toute évidence, mes frères, que le Prophète ne parle point de ce règne que le Christ partage avec son Père, Seigneur de toutes choses qu’il a créées par lui. Quand n’a-t-il point régné, ce Verbe qui est Dieu et en Dieu dès le commencement ? Il est dit en effet: « Au roi des siècles, au Dieu qui est l’immortel, l’invisible, l’unique, honneur et gloire dans les siècles des siècles 4. Au roi des siècles, honneur et gloire dans tous les siècles ». Quel est « ce roi des siècles, invisible, incorruptible? » Le Christ, parce qu’il est avec son Père, invisible, incorruptible; parce qu’il est Verbe de Dieu, Vertu de Dieu, Sagesse de Dieu, parce qu’il est Dieu et en Dieu, par qui tout a été fait, est le roi des siècles : mais, à le considérer dans cette oeuvre transitoire par laquelle il a bien voulu, au moyen de sa chair, nous appeler à l’éternité, son règne commence par les chrétiens, et ce règne sera sans fin. Ses ennemis sont donc l’escabeau de ses pieds, tandis qu’il est assis à la droite de son Père; ils y sont placés comme il est dit, cela se fait et s’accomplira absolument jusqu’à la fin. Qu’on ne vienne point nous dire qu’on ne mènera point à bonne fin ce qui est commencé. Pourquoi désespérer de cet accomplissement? C’est le Tout-Puissant qui a commencé, et le Tout-Puissant a promis d’accomplir ce qu’il a commencé. Par où a-t-il commencé? «Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ». Cette Sion, c’est Jérusalem. Ecoute le Seigneur lui-même. «Il fallait que le Christ souffrît et ressuscitât le troisième jour 5 ».

 

1. Ps. IX, 7, 8,—  2. Id. CIX, 2.— 3. Jean, I, 3.— 4. I Tim.  I, 17.— 5. Luc, XXIV, 46.

 

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C’est de là, qu’après sa résurrection, il s’est assis à la droite de son Père, où il était auparavant. Mais qu’arriva-t-il depuis qu’il est assis à la droite de Dieu ? Par quel moyen ses ennemis sont-ils réduits à lui servir de marchepied? Ecoutez ce qu’il nous enseigne lui-même en nous l’exposant: « On prêchera en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, en commençant par Jérusalem 1» : car « le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ». « Le sceptre de votre puissance », c’est-à-dire le règne de votre force; « car vous les gouvernerez avec un sceptre de fer 2 : le Seigneur le fera sortir de Sion », car « on commencera par Jérusalem ».

11. Qu’arrivera-t-il, quand le Seigneur aura fait sortir de Sion le sceptre de votre vertu ? « Vous dominerez au milieu de vos ennemis 2». Tout d’abord « vous régnerez au milieu de  vos ennemis », au milieu des nations frémissantes. Quand en effet les saints seront eu possession de leur gloire,et les méchants sous le coup de leur condamnation, est-ce encore au milieu de ses ennemis que régnera le Christ? Qu’y a-t-il d’étonnant qu’il domine alors, puisque les justes régneront avec lui, et que les impies seront dans les flammes éternelles? Commuent s’étonner qu’il règne alors? Maintenant donc c’est au milieu de vos ennemis, maintenant dans le cours des siècles qui passent, dans la reproduction et la succession de l’humaine mortalité, pendant que le temps s’écoule comme un torrent, votre sceptre est sorti de Sion pour établir votre domination sur vos ennemis. Régnez donc, oui régnez sur les païens, sur les Juifs, sur les hérétiques, sur les faux frères. Régnez, régnez, fils de David, Seigneur de David, régnez au milieu des païens, au milieu des Juifs, au milieu des faux frères. « Règnez au milieu de vos ennemis ». Nous ne comprenons ce verset qu’en le voyant s’accomplir dès maintenant. Asseyez-vous donc à la droite de Dieu, tenez-vous caché, afin que l’on croie en vous, jusqu’à ce que le temps des nations soit accompli. Car voici ce qui est écrit: « Le ciel devait le recevoir jusqu’à ce que fût accompli le temps des nations 4». Vous n’êtes mort que pour ressusciter, ressuscité que pour monter au ciel, monté au ciel que pour vous asseoir à la droite de Dieu ; c’est donc pour vous asseoir à la droite de

 

1. Luc, XXIV, 47.— 2. Ps. II, 9.— 3. Id. CIX, 2.—  4. Act. III, 21.

 

votre Père que vous êtes mort. La mort amène ainsi la résurrection, le résurrection l’ascension, et l’ascension vous fait asseoir à la droite de Dieu. Tout cela commence à la mort. Cette ineffable splendeur a pour base l’humilité. C’est donc pendant que vous siégez à la droite de votre Père, que s’accomplissent les temps des nations, et que vos ennemis sont l’escabeau de vos pieds : afin qu’un si grand ouvrage s’achève, dominez d’abord au milieu de vos ennemis. C’est pour cela en effet que « le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance » ; puisque c’est pour amener votre mort, et par votre mort effacer la cédule de nos péchés 1, afin que la pénitence et la rémission des fautes soit prêchée dans toutes les nations 2 à partir de Jérusalem; c’est pour cela que les Juifs sont tombés dans l’aveuglement. L’aveuglement des uns devient la lumière des autres. « L’aveuglement donc est tombé sur une partie d’Israël, afin que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé 3 » . « Cet aveuglement sur une partie d’Israël » a causé votre mort ; une fois mort vous êtes ressuscité, pour laver dans votre sang les péchés des nations; assis à la droite de votre Père, vous avez recueilli de toutes parts ceux qui souffraient et cherchaient en vous un refuge. « Donc l’aveuglement est tombé sur une partie d’Israël, jusqu’à ce que la plénitude des nations entrât, et qu’ainsi tout Israël fût sauvé », et que tous vos ennemis fussent l’escabeau de vos pieds. Voilà ce qui s’accomplit aujourd’hui, que sera-ce plus tard?

12. « Avec vous est le commencement au  jour de votre puissance 4 ». Quel est pour le Christ ce jour de sa puissance? Quand le commencement sera-t-il avec lui ? Quel commencement, ou de quelle manière le commencement sera-t-il avec lui, puisqu’il est lui-même le commencement? Que Dieu me soit en aide, afin qu’il n’y ait rien d’obscur ni pour moi qui explique, ni pour vous qui écoutez. Je vois ce qui est déjà fait, je le vois avec vous des yeux de la foi : les yeux du corps me montrent ce qui se fait maintenant, et les yeux de la foi me font espérer dans l’avenir. Qu’est-ce donc qui est déjà fait? qu’est-ce qui s’accomplit maintenant? que doit-il arriver un jour? Le Christ a souffert, il est

 

1. Coloss. II, 14. — 2. Luc, XXIV, 47. — 3. Rom. XI, 25. — 4. Ps. CIX, 3.

 

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mort, il est ressuscité le troisième jour, il est monté aux cieux, quarante jours après, comme nous savons, et il est assis à la droite de son Père. Voilà ce qui est accompli, ce que nous n’avons pas vu, mais ce que nous croyons. Qu’est-ce qui s’accomplit aujourd’hui ? II domine au milieu de ses ennemis, depuis que le sceptre de sa puissance est sorti de Sion:

voilà pour le présent. Les serviteurs du Christ qui l’ont vu présent, ont vu la forme de l’esclave ; les serviteurs y croient aujourd’hui qu’elle nous est dérobée. Au sujet de cette forme de l’esclave, nous croyons ce que nous en pouvons comprendre, tant que nous sommes serviteurs nous-mêmes. C’est le lait des petits enfants, qu’il proportionne à notre faiblesse, nous faisant passer le pain solide au moyen de la chair, Car ce pain des anges était au commencement le Verbe 1 ; et pour que l’homme pût manger le pain des anges 2, le Créateur s’est fait homme. C’est ainsi que le Verbe incarné s’est proportionné à notre faiblesse; car nous n’aurions pu le recevoir si le Fils égal à Dieu ne se fût humilié en prenant la forme de l’esclave, pour devenir semblable aux hommes, et être reconnu homme par tout ce qui paraissait de lui 3. Afin donc que nous pussions comprendre en quelque manière Celui que des mortels ne pouvaient comprendre, l’immortel est devenu mortel; afin que par sa mort il nous rendit immortels, et nous donnât ainsi quelque chose à considérer, quelque chose à croire, quelque chose à voir un jour. Il offre à nos regards la forme de l’esclave que nous pouvons non-seulement voir des yeux, mais encore toucher de nos mains. Et quand cette forme s’éleva au ciel, il nous ordonna de croire ce qu’il avait fait voir aux disciples. Mais nous aussi nous avons de quoi voir. Pour eux ils ont vu le sceptre de la puissance qui sortait de Sion, et à nous il est accordé de le voir dominer au milieu de ses ennemis. Tout cela, mes frères, tient à l’économie de la forme d’esclave, que les esclaves tolèrent aujourd’hui, et qui aiguillonne l’amour de ceux qui seront un jour délivrés. Car c’est l’immuable vérité, qui est le Verbe de Dieu, Dieu en Dieu, par qui tout a été fait, qui renouvelle toutes choses en demeurant en elle-même 4. Pour voir cette Vérité, il nous faut une grande, une parfaite pureté

 

1. Jean, I, 1.— 2. Ps. LXXVII, 25.— 3. Philipp. III, 6, 7. — 4. Sag. VII, 27.

 

de coeur, qui nous vient parla foi. Après nous avoir montré la forme de l’esclave, le Christ a différé de nous montrer la forme divine. Car en disant, dans cette même forme d’esclave, à ses serviteurs : « Celui qui m’aime, garde mes commandements, et celui qui m’aime, sera aimé de mon Père, et moi je l’aimerai, et me montrerai à lui 1», il leur promettait de se manifester à eux. Que voyaient-ils donc? Et lui, que promettait-il? Eux voyaient la forme de l’esclave, et lui, leur promettait de leur montrer la forme de Dieu. « Je me montrerai à lui », dit-il. Telle est la lumière à laquelle doit arriver ce royaume, qui se rassemble dans le cours des siècles il aboutit à cette ineffable vision que les impies ne mériteront point de partager. Du reste, quand la forme de l’esclave était ici-bas, elle fut vue des impies: les uns la virent pour croire au Christ, les autres la virent pour le mettre à mort. La voir n’était donc point un privilège, puisque ses amis et ses ennemis la voyaient également, quelques-uns qui la voyaient l’omit fait mourir, quelques autres qui ne la voyaient pas ont cru en lui. Cette forme donc de l’esclave qu’ont vue ici-bas dans son humilité les hommes pieux et les impies, les pieux et les impies la verront au jour du jugement. En effet, comme il montait au ciel en présence de ses disciples, la voix des anges se fit entendre, et leur dit: « Hommes de Galilée, pourquoi vous tenir là debout, en regardant le ciel? Ce même Jésus viendra un jour de la même manière que vous l’avez vu montant au ciel 2 ». Il viendra donc, il viendra dans cette même forme, dont il est dit que les impies «verront Celui qu’ils auront percé 3 ». Ils verront comme juge Celui qu’ils insultèrent quand il fut jugé. Cette forme donc de l’esclave sera au jugement visible pour le juste et pour l’injuste, pour le bon et pour le méchant, pour les fidèles et pour les incrédules. Qu’est-ce donc que ne verront pas les impies? Car ceux dont il est dit : « Ils verront Celui qu’ils ont percé », sont les mêmes dont il est dit aussi : « Qu’on bannisse l’impie, et qu’il ne voie point la clarté du Seigneur 4». Qu’est-ce que tout cela, mes frères ? Examinons, discutons. Voilà qu’on aiguillonne l’impie afin qu’il voie ; et qu’on bannit l’impie afin qu’il ne voie point. Ce qu’il doit voir, nous l’avons

 

1. Jean, XIV, 21.— 2. Act. I, 11.— 3. Zach. XII, 10. — 4. Isa. XXVI, 10.

 

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montré dans cette forme dont il est dit : « C’est ainsi qu’il viendra 1 ». Qu’est-ce donc qu’il ne doit point voir? « C’est moi-même que je lui montrerai 2 ». Qu’est-ce à dire, « moi-même?» Non plus la forme de l’esclave. Qu’est-ce donc « moi -même ? » Cette forme de Dieu, dans laquelle j’ai cru, sans usurpation, être égal à Dieu 3. Qu’est-ce que « moi-même?» « Nous sommes les enfants de Dieu, mes bien-aimés, et ce que nous serons un jour ne paraît point encore: nous savons que quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel qu’il est 4 ». C’est là cette clarté de Dieu, lumière ineffable, source de lumière qui est sans changement, vérité sans défaut, sagesse demeurant en elle-même, quand elle renouvelle toutes choses 5. Telle est la substance de Dieu. L’impie sera donc banni afin qu’il ne voie pas la gloire du Seigneur. « Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu 6 ».

13. Il me semble donc, mes frères, autant que Dieu m’a fait capable de comprendre cette expression, qu’il s’agit ici du temps, si toutefois on peut l’appeler un temps, et néanmoins c’est dans le temps que nous devons arriver à ce point que le temps ne mesure plus; c’est de ce temps, me semble-t-il, qu’il est question ici, et toutefois, je parle sans préjudice de ce qu’un autre pourra dire de mieux, de plus clair, de plus probable: voilà, ce me semble, ce que signifie « Avec vous est le commencement, au jour de votre puissance ». Il me semble enfin que le verset suivant nous donne une clarté suffisante. Il est question en effet de cette puissance, qui a imposé le joug du Christ aux nations, qui les a mises sous ses pieds, non avec le fer, mais avec le bois; et bien que cela ait lieu dans sa chair, ait lieu dans son humilité, ait lieu même dans la forme de l’esclave; on comprend néanmoins quelle était l’étendue de cette force, car ce qui est faible en Dieu, est plus fort que tous les hommes 7. Comme il est donc ici question de cette force qui nous est signaléd par ces paroles : « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance ; dominez au milieu de vos ennemis » : et quelle force en effet que celle qui domine au milieu de ces ennemis frémissants contre lui d’une

 

1. Act, I, 11. — 2. Jean, XIV, 25.— 3. Philipp. III, 6, 7.— 4. I Jean, III, 2. — 5. Sag. VII, 27. — 6. Matth. V, 8. — 7. I Cor, II, 25.

 

rage impuissante, et disant chaque jour: « Quand son nom périra-t-il 1? » tandis que sa gloire s’étend sur tous les peuples, que toutes les nations sont soumises à son nom, qu’à cette vue le pécheur frémit, grince les dents et sèche de dépit 2, comme c’est là, dis-je, l’effet de sa puissance, et que le Prophète veut nous signaler un autre effet de sa force, et envisager le Christ comme vertu de Dieu, comme sagesse de Dieu dans les rayons de celte lumière éternelle, de cette immuable vérité; vision a laquelle nous sommes réservés, vision maintenant différée, vision pour laquelle nous sommes purifiés par la foi, vision dont l’impie est exclu, parce qu’il ne verra point la splendeur du Seigneur; voilà pour quel motif le Prophète s’écrie: « Avec vous est le commencement au jour de votre puissance ». Qu’est-ce à dire : « Avec vous est le commencement ? » Entendez par là ce qu’il vous plaira. Si vous entendez le Christ, il vaudrait mieux dire C’est vous qui êtes le commencement; et non: «Avec vous est le commencement ». Répondant aux Juifs, qui lui demandaient : « Qui êtes-vous? » « Je suis », dit-il, « le commencement, et c’est pour cela que je vous parle 3 ». Car le Père, de qui est engendré le Fils unique, est aussi le commencement, et c’est dans ce commencement qu’était le Verbe, parce que le Verbe était en Dieu 4. Quoi donc! si le Père est le commencement, si le Fils est le commencement, y a-t-il deux commencements? Loin de là. Si le Père est Dieu en effet, le Fils est Dieu aussi, et le Père et le Fils ne sont point deux dieux, mais un seul Dieu : de même le Père est commencement, le Fils est commencement, et le Père et le Fils ne sont point deux commencements, mais un seul principe. « Avec vous est le commencement ». Alors on verra de quelle manière le commencement est avec vous. Ce n’est pas que le commencement ne soit point avec vous ici-bas. N’avez-vous pas dit en effet: « Voilà que vous allez chacun de votre côté, et me laissez seul; mais je ne suis point seul, car mon Père est avec moi 5? » Ici-bas, donc, « avec vous est le principe ». Vous avez dit ailleurs aussi « C’est mon Père qui demeure en moi, fait ces oeuvres qui sont les siennes 6 ». Avec

 

1. Ps. XL, 3.—  2. Id. CXI, 10.— 3. Jean, VIII, 25.— 4. Id. I, 1.—  5. Id. XVI, 32. — 6. Id. XIV, 10

 

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vous est le principe, et le Père n’a jamais été séparé de vous. Mais quand il apparaîtra que le principe est avec vous, il se manifestera à tous ceux qui seront devenus semblables à vous, puisqu’ils vous verront tel que vous êtes 1. Philippe vous voyait réellement ici-bas, et néanmoins il voulait voir le Père 2. Alors on verra ce que l’on croit maintenant. Alors le commencement sera avec vous, sous les yeux des saints,sous les yeux des justes, et les impies seront bannis, afin qu’ils ne voient point la gloire du Seigneur.

14. Croyons donc maintenant, mes frères, ce que nous verrons alors. Car il fit un reproche à Philippe, de demander à voir le Père, et de ne point reconnaître le Père dans le Fils : « Depuis si longtemps que je suis avec vous, ne me reconnaissez-vous pas encore? Philippe, quiconque m’a vu a vu aussi mon Père 3 ». Mais seulement « celui qui me voit », non celui qui voit en moi la forme de l’esclave. « Quiconque dès lors m’a vu » , tel que je me suis réservé pour ceux qui me craignent, tel que je me dois montrer à ceux qui espèrent en moi 4, « a vu mon Père ». Mais comme cette vision est pour l’avenir, que devons-nous avoir en attendant? Voyons ce qu’il dit à Philippe. Après lui avoir dit « Celui qui me voit, voit aussi mon Père », comme si Philippe eût répondu en lui-même: Comment vous verrai-je, si l’on doit vous voir autrement que dans la forme de l’esclave? ou comment verrai-je le Père, moi, homme faible, cendre et poussière? se tournant alors vers lui, différant de se montrer à lui, et lui commandant la foi , après lui avoir dit : « Quiconque me voit, voit aussi mon Père »; parce que c’était là beaucoup pour Philippe, et qu’il était loin encore de voir le Père; « Ne croyez-vous pas», lui dit Jésus, « que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi 5? » Ce que tu ne saurais voir encore, crois-le, et mérite ainsi de le voir. Quand donc sera venu pour nous le temps de voir, alors nous verrons que « le commencement est avec vous, au jour de votre puissance » . « De votre puissance », et non de cette puissance qui a éclaté dans votre faiblesse, car il y avait là aussi une puissance, mais « au jour de votre vertu » ; les hommes ont aussi leurs vertus dans la foi, l’espérance, la charité, les

 

1. 1 Jean, III, 2. — 2. Id. XIV, 8. — 3. Id. 9. — 4. Ps. XXX, 20.— 5. Jean, XIV, 10.

 

bonnes oeuvres; mais ils doivent aller de vertu en vertu 1. « Avec vous est le principe», on vous verra avec le Père, dans le Père, comme le Père. « Avec vous est le principe au jour de votre vertu », de cette vertu que l’impie ne saurait voir. Car ce qui est faible en vous, est plus fort que tous les hommes 2; puisqu’en vous « est le principe au jour de votre force ».

15. Marquez-nous maintenant quelle est cette force; car ici, nous l’avons déjà vu, il a été question de cette puissance, quand sortait de Sion le sceptre de votre force, pour dominer au milieu de vos ennemis. De quelle vertu parlez-vous? « Dans la splendeur des saints ». Oui, dit-il, « dans la splendeur des saints». Il parle donc de sa vertu, quand les saints seront dans la splendeur, et non point tandis qu’ils traînent encore une chair terrestre dans un corps mortel, tandis qu’ils gémissent dans une corruption qui appesantit l’âme, et que cette habitation terrestre abaisse l’esprit malgré le nombre de ses pensées 3 ; comme les pensées nous sont invisibles, ce n’est point encore « dans la splendeur des saints».Qu’est-ce à dire, « dans la splendeur des saints?» « Jusqu’à ce que vienne le Seigneur qui doit éclairer les ténèbres les plus cachées, mettre à nu les pensées des coeurs, et alors chacun recevra de Dieu la louange  qui lui est due 4 ». Telle est « la splendeur des saints », car « alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père ». Ecoutez donc ce que signifie «dans la splendeur des saints» .«Viendra la moisson», dit le Sauveur, « viendra la fin du siècle; et le Père de famille enverra ses anges, et ils arracheront de son royaume tous les scandales qu’ils jetteront dans la fournaise du feu ; alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père 5 ». Dans quel royaume? Voyez s’il nous est réservé une autre vision que celle dont il est

dit: « Avec vous est le principe ». Dans quel royaume ? Assurément dans la vie éternelle. Car voici ce qu’il doit dire à ceux qui seront à sa droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde 6 ». Puis, quand les impies seront damnés, séparés de ces justes qui auront reçu des louanges,

 

1. Ps. LXXXIII, 8.— 2. I Cor. II, 25.— 3. Sag. IX, 15.— 4. I Cor. IV, 5. — 6. Matth. XIII, 39-43. — 7. Id. XXV, 34.

 

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comment nomme-t-il ensuite ce qu’il avait  appelé un royaume à recevoir ? « Alors les impies iront dans les flammes éternelles, et les justes dans la vie éternelle 1». Ce qui est donc appelé « royaume », se nomme ici « vie éternelle » dont ne jouiront pas les impies. Voyez encore si cette vie éternelle ne consisterait pas dans une vision. « Or, la vie éternelle est de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé 2 ». Dès lors que « le commencement est avec vous au jour de votre puissance ; le commencement sera donc avec vous au jour de votre puissance dans les splendeurs des saints ».

16. Mais ce bonheur est différé, cette gloire est pour l’avenir: qu’est-ce donc maintenant? « Je vous ai engendré de mes entrailles avant l’aurore ». Qu’est-ce à dire? Si Dieu a un Fils, a-t-il encore un sein ? Il n’a ni sein ni corps charnels ; et toutefois il est dit : « Celui qui est dans le sein du Père nous l’a raconté lui-même 3 ». Ces entrailles ont la même signification que le sein, et sein et entrailles désignent ici un lieu secret. Qu’est-ce à dire dès lors « de mon sein? » Du secret, du mystérieux, de ma substance, de moi-même: voilà ce que signifie « de mon sein »; « qui en effet racontera sa génération 4?» C’est donc ici le Père qui ditau Fils: « Je t’ai engendré de mon sein avant l’étoile du matin ». Qu’est-ce donc « avant l’étoile du matin? » Cette étoile est prise ici pour tous les astres, comme la partie se prend, dans l’Ecriture, pour le tout, et toutes les étoiles par la plus brillante. Mais pourquoi ces astres sont-ils créés ? « Pour servir de signes, pour marquer les temps, les jours, les années 5». Si donc les astres sont des signes qui marquent les temps, et si l’étoile du matin désigne ici les astres, ce qui est avant cette étoile précède aussi les astres, et ce qui est avant les astres est encore avant les temps ; et ce qui est avant les temps est donc de toute éternité: ne demandez plus quand; il n’y a point de quand dans l’éternité. Quand et quelquefois sont des expressions qui désignent le temps. Or, le Père n’est point né dans le temps, lui par qui les temps ont été faits. Le Prophète, comme il y était contraint, a donc eu recours à des expressions figuratives, prophétiques, a dit le sein pour désigner une substance mystérieuse, et

 

1. Matth. XXV, 46.— 2. Jean, XVII, 3.— 3. Id. I, 18.— 4. Isa. LIII, 8. — 5. Gen. X, 14.

 

Lucifer au lieu des temps. Voulez-vous recourir à David lui-même, qui appelle son fils son Seigneur? Pour parler ainsi, il a entendu son Seigneur même, il a entendu Celui qui ne saurait le tromper, et il l’a appelé son Seigneur, car « c’est le Seigneur », dit-il, « qui a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite ». C’est le Prophète qui parle, c’est en quelque sorte sa parole qui est écrite. Si donc c’est lui qui parle, il a pu dire sans doute: « Je t’ai engendré de mon sein avant l’étoile du matin ». Le sein de la Vierge, « tel est le sein d’où je t’ai tiré avant l’aurore ». Si cette Vierge en effet est issue de la race de David, sortir du sein de cette Vierge, c’est en quelque sorte sortir du sein de David. « Du sein » dont nul homme n’a jamais approché ; « du sein », à proprement parler, puisque le Christ est seul, pour être né uniquement du sein d’une vierge. Aussi David, qui l’appelle son Seigneur, nous dit-il: « C’est  du sein que je t’ai engendré avant l’étoile du matin ». Et cette expression, « avant Lucifer », nous est donnée comme un signe, comme une expression accomplie à la lettre. Car ce fut la nuit que le Seigneur sortit du chaste sein de la Vierge Marie 1, comme on le voit par le témoignage des bergers qui veillaient sur leurs troupeaux. « Je t’ai engendré du sein avant l’étoile du matin ». O vous, Seigneur mon Dieu, qui êtes assis à la droite de mon Seigneur, comment seriez-vous mon fils, si je ne vous avais engendré du « sein avant l’étoile du matin ? »

17. Mais pourquoi est-il né? « Le Seigneur l’a juré, et ne s’en repentira point : Tu es prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech 2 ». C’est pour être prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech, que vous êtes sorti du sein avant l’étoile du matin. Naître du sein, c’est naître de la Vierge; avant l’étoile du matin, la nuit, comme l’atteste l’Evangile; c’est là sans aucun doute qu’il est sorti du sein, avant l’étoile du matin, pour être dans l’éternité prêtre, selon l’ordre de Melchisédech. Car, en le considérant comme engendré du Père, Dieu en Dieu, coéternel à celui qui l’engendre, il n’est point prêtre; mais il est prêtre à cause de cette chair qu’il s’est appropriée, de la mort qu’il a dû subir, et qu’il a acceptée afin de l’offrir pour nous. « Le Seigneur l’a donc juré». Quel est ce serment

 

1. Luc, II, 7, 8. — 2. Ps. CIX, 4.

 

du Seigneur? Il jure donc, lui qui défend à l’homme de jurer 1 ? Ou peut-être n’a-t-il défendu à l’homme de jurer que pour lui éviter le parjure. tandis que Dieu peut jurer, lui qui ne saurait être parjure ? Il est bon en effet d’interdire le serment à l’homme, que l’habitude du serment peut conduire au parjure; car l’homme est d’autant plus éloigné du parjure qu’il l’est du serment. L’homme qui jure, en effet, peut assurer le faux et le vrai; mais, celui qui ne jure point du tout, n’affirme rien de faux, puisqu’il ne fait aucun serment. Pourquoi donc le Seigneur ne jurerait-il point, puisque son serment ne saurait être que l’attestation de sa promesse? Qu’il jure, alors. Et toi, homme, que fais-tu dans ton serment? Tu prends Dieu à témoin; car c’est dans l’appel au témoignage de Dieu que consiste le serment, et le fâcheux serait d’appeler Dieu en témoignage d’une fausseté. Si donc jurer, pour toi, c’est en appeler au témoignage de Dieu, pourquoi Dieu, en jurant, n’en appellerait-il pas à lui-même ? « Vive moi, dit le Seigneur», tel est le serment de Dieu. Ainsi jura-t-il quant à la postérité d’Abraham. « Vive moi, dit le Seigneur, parce que tu as entendu ma parole, et que tu n’as point épargné ton fils unique à cause de moi, je te bénirai et je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est au bord de la mer, et en ta race seront bénies toutes les nations 2». Or, la postérité d’Abraham c’est le Christ, et ce rejeton d’Abraham, prenant une chair dans la lignée d’Abraham, sera prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech. C’est donc à propos de ce sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech que le Seigneur a fait un serment dont il ne se repentira point. Qu’adviendra-t-il du sacerdoce selon l’ordre d’Aaron ? Dieu a-t-il donc du repentir à la manière des hommes? lui arrive-t-il d’agir malgré lui, ou de tomber par surprise, et d’avoir ensuite àse repentir de sa faute? Dieu connaît ce qu’il fait, il sait jusqu’à quel point il s’avance; et comme il dirige souverainement, tout changement est en son pouvoir. Mais le repentir est un signe de changement; et de même qu’en toi le repentir est la douleur d’avoir agi comme tu l’as fait, de même Dieu du qu’il se repent quand il agit contre l’attente des hommes, c’est-à-dire quand il

 

1. Matth. V, 34. — 2. Gen. XXII, 16-18.

 

change les événements d’une autre manière qu’ils ne se promettaient. C’est ainsi qu’il se repent de nos souffrances quand nous nous repentons de notre vie désordonnée. « Le  Seigneur l’a donc juré », oui juré, assuré par serment ; « et il ne s’en repentira point », son dessein ne changera point. Qu’a-t-il juré? « Vous êtes prêtre pour l’éternité ». Et pour l’éternité, parce qu’il ne se repentira point. Mais prêtre en quel sens? Est-ce pour offrir ces hosties, ces victimes qu’offraient les patriarches sur des autels ensanglantés? Est-ce encore le tabernacle, et tous ces rites de l’Ancien Testament? Loin de là. Rien de tout cela n’est plus, le temple est renversé, le sacerdoce détruit, il n’y a plus pour eux ni victimes ni sacrifice. Tout a cessé chez les Juifs. ils voient que le sacerdoce, selon l’ordre d’Aaron, n’est plus, et ils ne reconnaissent point le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech. « Vous êtes prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech ». C’est aux fidèles que je m’adresse. Si mes paroles sont intelligibles pour les catéchumènes, qu’ils sortent de leur négligence, et se hâtent de connaître. Il n’est donc pas besoin d’exposer nos mystères ; c’est à l’Ecriture de vous dire ce qu’est le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech.

18. « Le Seigneur est à votre droite ». Le Seigneur avait dit : « Asseyez-vous à ma  droite », et maintenant ce Seigneur est à la droite, comme si les places étaient changées. Ou plutôt ces paroles: « Le Seigneur l’a juré, et il ne s’en repentira point : Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech » , ne s’adresseraient-elles point au Christ? « Vous êtes prêtre pour l’éternité, le Seigneur l’a juré ». Quel Seigneur? Celui qui « a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite; celui-là en a fait serment : Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech »; et à ce même Seigneur qui a juré, s’adresserait alors cette parole: « Le Seigneur est à votre droite». O Seigneur, qui avez juré et qui avez dit : Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech; ce prêtre pour l’éternité, c’est le Seigneur qui est à votre droite; oui; ce même prêtre au sujet duquel vous avez fait serment,

« est le Seigneur à votre droite »; car c’est à ce même Seigneur que vous avez dit: « Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je

 

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 fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds ». C’est ce même Seigneur qui est à votre droite, et au sujet duquel vous avez juré, et à qui vous avez juré en disant: «Vous êtes pour l’éternité prêtre selon l’ordre de Melchisédech » ; c’est lui qui « brisera les rois au jour de sa colère». Ce Christ donc, ce Seigneur qui est à votre droite, à qui vous avez fait un serment sans repentir, que fait-il comme prêtre éternel? Que fait-il, lui qui est à la droite de Dieu, et qui intercède pour nous 1, qui entre comme prêtre dans l’intérieur, ou dans le Saint des saints, dans le secret des cieux, lui seul qui est sans péché, et qui dès lors nous purifie facilement de nos péchés 2? Ce Christ, à votre droite, « brisera les rois au jour de sa colère ». Quels rois, me diras-tu? As-tu donc oublié que: « Les rois de la terre se sont levés, que les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ 3?» Tels sont les rois qu’il a brisés sous le poids de sa gloire, que le poids de son nom a réduits à la faiblesse, en sorte qu’ils ont échoué dans leur entreprise, ils ont tenté de gigantesques efforts pour effacer de la terre le nom chrétien, sans pouvoir y parvenir: « Quiconque, en effet, heurtera cette pierre, en sera brisé 4». C’est donc en se heurtant contre cette pierre de scandale, qu’ils se sont brisés, ces rois qui disent: Qui est le Christ? Je ne sais quel juif, ou quel galiléen, un supplicié, un homme mort sur la croix. Telle est la pierre, jetée devant tes pieds, comme un objet méprisable; tu viens t’y heurter avec dédain, et ce choc te renverse, et tu es brisé dans ta chute. Si donc telle est la colère du Christ, qui se tient caché, que sera-ce quand il se manifestera pour juger? Vous avez entendu sa colère, quand il se cache, car un psaume a pour titre: « Pour les secrets du Fils »; c’est le neuvième psaume, s’il m’en souvient bien, qui est intitulé : « Pour les secrets du Fils», et qui nous montre les effets secrets d’une colère qui se dérobe. Ils ont allumé la colère de Dieu, ceux qui viennent se heurter contre cette pierre, et s’y briser. Et à quoi viennent aboutir leurs meurtrissures? Ecoutez l’Evangile sur le jugement à venir : « Celui qui se heurtera contre la pierre, en sera brisé, elle écrasera celui sur qui elle tombera 5 ». Quand on heurte cette

 

1. Rom. VIII, 34. — 2. Hébr. IX, 12. — 3. Ps, II, 2. — 4. Matth. XXI, 44. — 5. Luc, XX, 18.

 

pierre, elle est en quelque sorte couchée à terre, et c’est alors qu’elle meurtrit; mais quand elle écrasera, elle tombera d’en haut. Voyez comme ces deux paroles, meurtrir et écraser, distinguent bien les temps, l’un de l’humilité, l’autre de la splendeur du Christ, l’un d’une peine secrète, l’autre du jugement à venir; on se meurtrit d’abord, puis la pierre écrase. Elle n’écrasera point à son avènement celui qu’elle n’aura point meurtri quand elle était couchée. Et cette expression couchée, signifie ici méprisable en apparence. Car le Christ est à la droite de Dieu, et du haut du ciel il poussa ce grand cri: « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous 1? » Et toutefois il ne dirait pas du haut du ciel, où l’on ne saurait l’atteindre: « Pourquoi me persécuter? » s’il n’était assis dans le ciel, à la droite de son Père, de manière néanmoins à être encore en quelque sorte caché sur la terre. « Le Seigneur à votre droite brisera les rois au jour de sa colère ».

19. « Il jugera parmi les nations ». Maintenant il juge « dans le secret », alors son jugement se fera dans l’éclat. « Il jugera parmi les nations ». Maintenant s’accomplit cette parole : « Leur mémoire périt avec le bruit 2». Ainsi dit ce psaume « pour les secrets. Leur mémoire s’est éteinte avec le bruit, et le Seigneur demeure éternellement; il a préparé son trône pour le jugement , et il jugera l’univers entier dans l’équité ». C’est encore là qu’il est dit : « Vous avez menacé les nations, et l’impie a péri, et vous avez effacé son nom pour jamais » : voilà ce qui s’accomplit secrètement. « Au jour de sa vengeance il brisera les rois, quand il jugera parmi les nations ». Comment? Ecoute ce qui suit: « Il multipliera les ruines ». Maintenant son jugement chez les nations, par les ruines; mais quand il jugera au dernier jour, il condamnera les ruines. Aujourd’hui donc « il multiplie les ruines ». Quelles ruines? Celui qui craint au sujet de son nom tombera; et quand il sera tombé, il sera détruit dans ce qu’il était, afin d’être édifié en ce qu’il n’était point. « Il jugera parmi les nations, et multipliera les  ruines ». O toi, qui t’élèves contre le Christ, tu as élevé dans les airs une tour qui tombera.  Il te conviendrait mieux de t’abaisser, de devenir humble, de te prosterner aux pieds de

 

1. Act. IX, 4. — 2. Ps. IX, 6-9.

 

celui qui est assis à la droite de son Père, d’être en ruine, afin que Dieu te relève. Car en persistant dans cette élévation criminelle, tu seras jeté à terre, et l’on ne bâtira rien en toi. C’est en effet de ces hommes que l’Ecriture dit ailleurs : « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus ». Assurément le Prophète ne dirait point de quelques-uns: « Détruisez-les, et vous ne les reconstruirez plus 1» ; si Dieu n’en détruisait d’autres pour les reconstruire. C’est ce qui a lieu maintenant, que le Christ juge parmi les nations, de manière à multiplier les ruines. « Il brisera sur la terre les têtes de plusieurs ». C’est ici, « sur la terre», en cette vie, qu’il brisera bien des têtes. Les orgueilleux,il les rend humbles; et j’ose le dire, mes frères, il est mieux de marcher ici-bas, humblement et la tête brisée, que de lever fièrement la tête pour tomber au jugement dans la mort éternelle. Il brisera bien des têtes, en faisant des ruines, mais il comblera ces ruines en réédifiant.

20. « Il boira en chemin l’eau du torrent, et pour cela relèvera la tête 2 ». Voyons comme il boit en chemin l’eau du torrent. D’abord qu’est-ce que le torrent ? L’écoulement de la mortalité humaine. Un torrent se forme par les eaux des pluies, se gonfle, mugit, se précipite, et dans son impétuosité cesse de courir, c’est-à-dire achève sa course; tel est le cours de tout ce qui est mortel. L’homme naît, vit, et meurt, et quand celui-ci meurt, celui-là vient au monde; et après celui-là

 

1. Ps. XXVII, 5.— 2. Id. CIX, 7.

 

d’autres viendront encore. Les hommes donc se succèdent, viennent, s’en vont, et ne demeurent point. Qu’est-ce qui demeure ici-bas? Qu’est-ce qui ne s’en va point? Qu’est-ce qui ne s’en va point dans l’abîme comme l’eau des pluies? Comme le fleuve, en effet, que forment tout à coup les pluies, les gouttes de rosée, se jette dans la mer et ne reparaît plus, et ne paraissait même point avant que la pluie l’eût formé; ainsi le genre humain se forme dans le secret de Dieu, puis s’écoule, puis rentre par la mort dans l’invisible ; entre ces deux invisibles, il fait quelque bruit et passe. C’est donc à ce torrent qu’a bu le Christ, à ce torrent qu’il n’a pas dédaigné de boire. Boire à ce torrent, c’était pour lui, naître et mourir. La naissance et la mort, voilà tout ce torrent. Le Christ s’y est assujetti; il est né, et il est mort; c’est ainsi qu’il a bu en chemin l’eau du torrent. Il a bondi comme le géant, pour fournir sa carrière 1. Il a donc bu en chemin l’eau du torrent, parce qu’il ne s’est pas arrêté dans le chemin des pécheurs 2. Donc parce qu’il a bu l’eau du torrent il a élevé la tête: c’est-à-dire, parce qu’il a été humilié, parce qu’ « il a été soumis jusqu’à la mort, et la mort de la croix, voilà que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, et lui a donné un nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de  Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que Notre-Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu son Père 3 ».

 

1. Ps. XVIII, 6. — 2. Id. I,1.— 3. Philipp. II, 8-11.

 

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