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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME CI.
PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.
LES GÉMISSEMENTS DE L’ÉGLISE.

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CI.
DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.
LES CONSOLATIONS DE L’ÉGLISE.

 

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME CI.

PREMIÈRE PARTIE DU PSAUME.

LES GÉMISSEMENTS DE L’ÉGLISE.

 

C’est un pauvre qui parle, et ce pauvre est Jésus-Christ, lequel a fait les richesses matérielles, les richesses de l’intelligence, les richesses de la vertu. S’il est pauvre, c’est qu’il s’est fait chair, et dès lors, revêtu de notre pauvreté; c’est donc nous qui parlons en lui dans notre psaume ; et dans le chef on doit reconnaître les membres. Que Dieu soutienne toujours ses membres, puisqu’il en est qui sont toujours dans l’angoisse. Mes jours se sont évanouis, parce que dans mon orgueil j’ai oublié de manger mon pain, ce pain du juste descendit du ciel. Mais par compassion les os, dans l’Eglise, s’attachent à la chair, ou les forts s’inclinent vers les faibles. La prédication de la vérité se fait parfois chez un peuple où le Christ est inconnu, c’est le pélican au désert; ou chez un peuple qui est retombé, c’est le hibou , dans les ténèbres et les masures; ou chez de vrais chrétiens, c’est le passereau sur le toit : ou bien encore le Christ serait le pélican qui rend, dit-on, la vie à ses petits qu’il arrose de son sang, et dans la solitude, parce que seul le Christ est né d’une vierge ; il serait le hibou par sa passion, qui eut lieu dans les ténèbres des Juifs, et le passereau sur le toit par sa résurrection. On reproche au Christ de manger avec les pécheurs, comme aux chrétiens d’encourager le vice par la promesse du pardon : comme si le désespoir n’était pas plus corrupteur encore, et comme si l’incertitude de la mort n’était pas un contre-poids. Dieu punit en effet l’homme pécheur, et non la créature qu’il n’a point faite à son image, qui ne craint rien, n’espère rien. Le Seigneur n’oublie rien, et de la poussière de Sion il fait sortir l’Eglise primitive. Hâtons-nous d’entrer dans la construction de Sion; quand elle sera achevée, il sera trop tard.

 

1. Voici un pauvre qui prie, et qui ne prie pas en silence. On peut donc entendre ce qu’il dit, et voir qui il est. C’est peut-être de ce pauvre que saint Paul dit: «Il s’est fait pauvre

 

1. Premier sermon prêché après les lois portées contra les Donatistes, en l’année 405.

 

« pour nous, lui qui était riche, afin de nous enrichir par sa pauvreté » .Mais si c’est lui,

comment est-il pauvre ? Car sa richesse, qui ne la voit point? Qu’est-ce qui fait la richesse des hommes? L’or, l’argent, de nom

 

2. II Cor. VIII, 9.

 

nombreux domestiques, de grandes terres: mais stout cela est fait par lui 1». Or, quoi de plus riche que celui qui a fait les richesses, et même celles qui ne sont point de véritables richesses? C’est de lui, en effet, que nous viennent ces richesses intérieures, le génie, la mémoire, la conduite, la santé, la vivacité des sens, la conformation des membres. Avec ces biens un homme est déjà riche, fût-il pauvre d’ailleurs. C’est de Dieu encore que viennent les richesses bien plus précieuses, comme la foi, la piété, la justice, la charité, la chasteté, les moeurs pures. Car nul ne peut les tenir que de celui qui justifie l’impie 2. Incalculables richesses ! Quel est en effet le plus riche, ou l’homme qui a ce qu’il désire, par celui qui a tout fait, ou celui qui fait ce qu’il veut, pour en laisser le bénéfice à un autre? Assurément le plus riche est celui qui a fait ce que tu possèdes, puisqu’il a aussi ce que tu n’as pas. Quelles richesses encore une fois ! Et dans celui qui est si riche comment retrouver cette parole : « Je mangeais la cendre comme du pain, et je mêlais mes larmes à mon breuvage 3?» Est-ce là que se bornent tant de richesses? Quelle élévation d’une part ! quel abaissement d’autre part ! Que faire ? Comment allier tant de grandeur avec tant de bassesse ? Quelle distance de l’une à l’autre! Je ne reconnais point ce pauvre; sans doute c’est un autre, cherchons encore. Ce qui nous fait croire que ce n’est point lui, c’est que nous ne pouvons l’interroger, sans nous extasier devant ses richesses : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était sen Dieu, et le Verbe était Dieu. Voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 4». Celui qui a parlé de la sorte, était riche déjà pour tenir ce langage, et combien l’était davantage Celui dont il disait : « Au commencement était le Verbe », non point un Verbe quelconque, mais « le Verbe Dieu »; non point quelque part, mais en Dieu»; non point oisif, mais: « Toutes choses ont été faites par lui». A-t-il donc mangé son pain comme la cendre, mêlé ses larmes à son breuvage? Craignons que notre pauvreté ne fasse injure à tant de richesses. Cherche cependant s’il ne serait point lui-même ce pauvre, « lui qui s’est fait chair pour habiter parmi nous 5 ». Ecoute

 

1. Jean, I, 3. — 2. Rom. IV, 5, — 3. Ps. CI, 10.— 4. Jean, II, 1-3.— 5. Id. 14.

 

cette parole : « C’est moi votre serviteur, elle fils de votre servante 1». Souvenez-vous de cette chaste servante, vierge et mère tout ensemble, C’est en elle qu’il s’est revêtu de notre pauvreté, qu’il a revêtu la forme de l’esclave, en s’anéantissant lui-même, de peur que sa richesse ne t’effrayât et ne t’empêchât de t’approcher de lui à cause de ton extrême pauvreté. C’est là, dis-je, qu’il a pris la forme de l’esclave, là qu’il s’est revêtu de notre pauvreté, qu’il s’est fait pauvre, là qu’il nous n enrichis. Nous commençons donc à comprendre qu’il s’agit de lui dans ce passage; toutefois ne nous prononçons pas avec témérité c’est le fruit d’une vierge, c’est la pierre détachée de la montagne, sans le secours d’aucun homme 2, nul homme n’a eu part dans cette oeuvre, nulle transfusion de concupiscence, mais la foi s’alluma et la chair du Verbe fut conçue. Il sortit du sein virginal; les cieux chantèrent sa gloire, les anges l’annoncèrent aux bergers 3, l’étoile attira les mages, qui adorèrent ce nouveau roi 4. Siméon, plein de l’Esprit-Saint, reconnut l’Enfant-Dieu dans les bras de sa mère. L’âge fit grandir, non sa divinité, mais son corps, et d’ineptes vieillards admirent avec stupéfaction la sagesse d’un enfant de douze ans 5. Et quand même ces vieillards eussent été habiles qu’est-ce que cette habileté auprès du Verbe de Dieu ? Qu’est-ce que cette habileté auprès de la Sagesse de Dieu? Les habiles eux-mêmes ne seraient-ils pas réduits au néant, si le Verbe ne les soutenait ? Son corps grandit encore, et il vient au fleuve pour être baptisé ; celui qui le baptise le reconnaît pour Dieu, et se proclame indigne de délier les cordons de ses souliers 6. Dès lors la lumière est rendue aux aveugles, l’oreille des sourds est ouverte, les muets parlent, les lépreux sont guéris, les paralytiques affermis, les malades recouvrent la santé, les morts ressuscitent 6.

2. A la vérité, en comparant tout cela aux richesses de ce Verbe, je n’y vois que pauvreté: mais combien est-ce encore loin de la cendre et du breuvage mêlé aux larmes! Je n’ose encore dire : C’est lui, et néanmoins je le voudrais. Il y a ici des choses qui me forcent à le dire, et d’autres qui me forcent à craindre. C’est lui, et ce n’est pas lui. Déjà il a la forme

 

1. Ps. CXV, 16. — 2. Dan, II, 31. — 3. Luc, II, 7—14. — 4. Matth. II, 1, 2.— 5. Luc, II, 25-47. — 6. Marc, I, 7. — 8. Marc, I, 11. — 9. Matth. XI, 5.

 

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de l’esclave, il porte une chair fragile et mortelle, il vient pour mourir, et néanmoins on ne le comprend pas encore dans cette pauvreté : « Je mangeais la cendre comme le pain, et je mêlais mes pleurs à mon breuvage ». Qu’il ajoute alors pauvreté à pauvreté, qu’il identifie à lui-même le corps de notre humilité 1 : qu’il soit notre chef, que nous soyons ses membres, soyons deux dans une même chair. D’abord pour être pauvre, il a pris la forme de l’esclave 2, et a quitté son Père: après avoir pris naissance d’une vierge, qu’il abandonne aussi sa mère, et qu’ils soient deux dans une même chair 3; ils n’auront plus alors qu’une même voix, et dans cette voix unique, nous ne serons plus surpris de retrouver la nôtre : « Je mangeais la cendre comme du pain, et mêlais mes pleurs à mon breuvage ». Il a donc daigné nous agréer pour ses membres. Or, dans ses membres, il y a des pénitents, car ils ne sont pas exclus ni séparés du corps de son Eglise; et il ne peut se joindre à cette épouse que par ces paroles : « Faites pénitence, parce que le royaume des cieux approche 4 ». Ecoutons ce que demandent ici la tête 5 et le corps, l’Epoux et l’Epouse 6, le Christ et l’Eglise, dans l’ineffable unité : mais le Verbe et la chair ne sont pas un, tandis que le Père et le Verbe sont un : le Christ et l’Eglise sont un, un homme parfait, dans sa forme la plus complète : « Jusqu’à ce que nous parvenions tous, dans l’unité de foi, dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état de l’homme parfait, à la mesure de l’âge de la plénitude du Christ 7». Mais jusqu’à ce que nous arrivions, nous rencontrons ici-bas notre pauvreté, nous rencontrons le labeur et le gémissement. Grâces soient rendues à sa miséricorde. D’où viendrait le labeur et le gémissement au Verbe par qui tout a été fait? S’il a daigné prendre sur lui notre mort, ne nous donnera-t-il pas la vie? Il nousa donné une grande espérance, et c’est dans cette espérance que nous gémissons. Car il y a un gémissement de tristesse, et un gémissement qui a bien sa joie. Il me semble que Sara, longtemps stérile, eut un gémissement de joie quand elle devint mère. Et nous aussi, Seigneur, c’est avec votre crainte que nous avons enfanté l’esprit de salut 8, Ecoutons donc le

 

1. Philip. III, 21.— 2. Id. II, 7.— 3. Ephés. V, 31,32.— 4. Matt. III, 2.— 5. Ephés. IV, 15.— 6.  Jean, III, 29.— 7. Ephés,  IV, 13.— 8. Isa. XXVI, 18.

 

Christ pauvre en nous et avec nous, et pour nous. Car le titre nous indique ici un pauvre. Si vous croyez, mes frères, que de moi-même j’ai soupçonné quel est ce pauvre, écoutons sa prière et connaissons enfin sa personne; ne te laisse point surprendre, si tu entends une parole qui ne puisse s’adapter à ce chef auguste: j’ai jeté ces préliminaires, afin que si tu rencontres quelque chose de semblable, tu te souviennes que c’est le corps qui parle dans son infirmité, et que tu reconnaisses dans le chef la voix des membres. « Prière du pauvre », tel est le titre. « Quand il était dans l’angoisse, il répandait sa prière, en présence de Dieu 1 ». Tel est le pauvre qui dit ailleurs: « Des confins de la terre, j’ai crié vers vous, quand mon âme était dans l’angoisse 2 ». Tel est notre pauvre, parce que c’est lui qui est le Christ, lui qui, chez les Prophètes, s’est appelé époux et épouse. « Il m’a mis une couronne », dit-il, « comme au jeune époux; et il m’a ornée comme une jeune épouse 3 ». C’est à lui-même qu’il donne le nom d’Epoux et aussi bien celui d’Epouse; pourquoi, sinon parce que le chef alors serait l’époux, et le corps l’Epouse? Ecoutons ses paroles, ou plutôt écoutons les nôtres, et si nous nous trouvons en dehors, travaillons à entrer bientôt.

3. « Seigneur, écoutez ma prière, et que mes cris viennent jusqu’à vous 4 ». Or, « Seigneur, exaucez ma prière », revient à dire: « Que mes cris arrivent jusqu’à vous ». Ce redoublement est une véhémence de sentiment dans la prière. « Ne détournez point de moi votre face 5 ». Quand est-ce que Dieu détourna sa face de son Fils? Le Père de son Christ? Mais à cause de la pauvreté des membres : « Ne détournez point de moi votre face, au jour de mes tribulations; inclinez vers moi votre oreille ». C’est ici-bas que je suis dans l’angoisse, et vous, Seigneur,vous êtes en haut des cieux. Si je m’élève, vous êtes loin de moi; si je m’abaisse, vous inclinez votre oreille vers moi. Mais qu’est-ce à dire, « au jour de mes tribulations? » N’ est-il point maintenant dans l’angoisse? Et parlerait-il de la sorte, s’il n’était dans l’épreuve? Il aurait donc suffi de dire: Inclinez votre oreille vers moi, parce que je suis dans l’angoisse. « En quelque jour que je sois dans l’angoisse, inclinez votre oreille vers moi ». Telle est ta

 

1. Ps. CI, 1. — 2. Id. IX, 3. — 3. Isa. LXI, 10. — 4. Ps. CI, 2. — 5. Id.3.

 

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prière de tout le corps, et si un membre souffre, tous les membres souffrent aussi 1. Tu es donc aujourd’hui dans l’affliction, j’y suis avec toi. Un autre y sera demain, j’y serai avec lui; et après cette génération, ceux qui succéderont à nos descendants, y seront aussi, j’y serai avec eux; quiconque de mes membres peut être dans la tribulation, jusqu’à la fin des siècles, j’y suis avec lui. « En quelque jour que je sois dans la tribulation, inclinez votre oreille vers moi; en quelque jour que je vous invoque, exaucez-moi sans retard ». Ce qui est la même pensée. Maintenant donc je vous invoque: mais « au jour où je vous invoquerai, hâtez-vous de me secourir ». Pierre a prié, Paul a prié, les autres Apôtres ont prié; dans ces mêmes temps les fidèles ont prié, les fidèles ont prié dans les temps qui ont suivi, les fidèles ont prié au temps des martyrs, les fidèles prient dans les temps où nous sommes, les fidèles prieront encore dans l’avenir: « En quelque jour que je vous invoque, hâtez-vous de me secourir ». « Hâtez-vous de me secourir »; car je demande ce que vous voulez accorder. Ce n’est point l’homme terrestre désirant les biens de la terre; mais racheté de la captivité primitive, j’espère au royaume des cieux. « Exaucez-moi sans délai » ; car ce n’est qu’à ceux qui ont de semblables désirs, que vous avez dit: « Tu parleras encore, quand je répondrai: Me voici 2. En quelque jour que je vous invoque, exaucez-moi sans retard ». D’où vient ton invocation? De quelle tribulation? De quelle pauvreté? O pauvre, couché devant la porte d’un Dieu si riche, quel désir te fait mendier? Quel besoin te fait crier vers lui? Quelle indigence te fait frapper et demander que l’on ouvre? Parle, afin que nous entendions ta pauvreté, que nous nous y reconnaissions nous-mêmes, et que nous sollicitions avec toi. Ecoute et reconnais-toi, si tu le peux.

4. « Car mes jours se sont évanouis comme la fumée 3». O jours! s’ils sont bien des jours; car nommer le jour est dire lumière. Mais « voilà que mes jours se sont évanouis comme la fumée » . « Mes jours » ou le temps de ma vie: pourquoi « comme la fumée », sinon à cause de l’orgueil qui s’élève? Tels furent les jours que mérita l’orgueilleux Adam, d’où Jésus-Christ a tiré sa chair. Donc le Christ était en Adam, et Adam aussi dans

 

1. I Cor, XII, 26. — 2. Isa. LVIII, 9. — 3. Ps. CI, 4.

 

le Christ. Assurément il nous a délivrés de ces jours de fumée, Celui qui a daigné prendre la voix de ces jours qui s’évanouissent comme la fumée. « Voilà que mes jours disparaissent comme la fumée ». Voyez cette fumée si semblable à l’orgueil, elle s’élève, grossit, et puis disparaît; elle s’évapore donc et ne demeure point. « Voilà que mes jours se sont évanouis comme la fumée; mes os se sont desséchés comme la pierre du foyer ». Mes os, qui sont ma force, ne sont point sans tribulation, sans brûlure. Dans le corps du Christ, les os sont la force, et quelle force est supérieure à celle des Apôtres? Et néanmoins, vois comme ces os se dessèchent. « Qui est scandalisé sans que je brûle », dit saint Paul 1 les forts, ce sont les fidèles qui comprennent et qui prêchent la parole de Dieu, qui mettent leur vie d’accord avec leurs paroles, et leurs paroles avec ce qu’ils entendent: assurément ils sont forts, mais tous ceux qui souffrent le scandale sont pour eux un foyer brûlant. Car c’est en eux qu’est la charité, principalement dans les os. Ils sont plus intérieurs que la chair, et en deviennent les soutiens. Mais si quelqu’un souffre scandale, si son âme est en péril; les os en sont desséchés à proportion de leur charité. Que la charité manque, et nul os ne dessèche; mais s’il y a charité, si un membre compatit quand un membre souffre, combien seront desséchés ceux qui supportent tous les membres 2? « Mes os se sont desséchés comme la pierre du foyer ».

5. « Mon coeur a été frappé comme l’herbe, et s’est desséché 3». Vois en Adam, tige du genre humain. Quel autre que lui est la source de nos misères? De quel autre que lui nous est venue cette pauvreté héréditaire? Maintenant donc qu’il est incorporé au Christ, qu’il dise avec espérance, lui qui, en se regardant lui-même, ne pouvait que désespérer « Mon coeur a été frappé comme l’herbe, et s’est desséché ». Et cela bien justement, car toute chair est une herbe 4. Et toutefois d’où te vient cet état? « C’est que j’ai oublié de manger mon pain ». Car Dieu lui avait donné le pain d’un précepte. Qu’est-ce eu effet que le pain de l’âme, sinon la parole de Dieu? Or, à la suggestion du serpent, et devant la prévarication de la femme, il toucha au fruit défendu 5, et oublia le précepte. Ce fut donc

 

1. II Cor. XI, 29. —  2. Id. XII, 20.— 3. Ps. CI, 5. — 4. Isa. XL, 6.— 5. Gen. III, 6.

 

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justement que son coeur fut frappé comme l’herbe, et se dessécha, parce qu’il avait oublié de manger son pain. Oubliant de manger ce pain, il avala ce poison; et son coeur fut frappé et se dessécha comme le foin. C’est de cet homme frappé que Dieu parle en Isaïe, et à qui il dit : « Je ne serai pas irrité éternellement : c’est de moi que vient l’esprit, c’est moi qui ai créé tout ce qui respire. A cause de son péché, je l’ai quelque peu contristé et frappé, j’ai détourné de lui mon visage». C’est donc avec raison que cet homme dit ici: « Ne détournez pas de moi votre visage », de cet homme frappé, dont vous avez dit : « Je l’ai frappé » ; dont vous avez dit aussi : « J’ai vu ses voies, et je l’ai guéri 1. Mon coeur a été frappé comme l’herbe, et s’est desséché, parce que j’ai oublié de manger mon pain ». Mange maintenant ce pain oublié. Ce pain est venu lui-même; et, incorporé à lui, tu peux te souvenir de cette parole de l’oubli, crier dans ta pauvreté, afin de recevoir ses richesses. Mange, maintenant que tu es incorporé à celui qui a dit : « Je suis le pain de vie descendu du ciel 2 » .Tu avais oublié de manger ton pain, mais depuis qu’il est cloué à la croix, tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur, et se convertiront à lui 3. Qu’après l’oubli vienne enfin le souvenir; que l’on mange ce pain du ciel, et que l’on vive; qu’on mange, non point la manne, comme ceux qui en mangèrent et qui moururent 4, mais ce pain dont il est dit : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 5».

6. « A la voix de mes gémissements, ma chair s’est attachée à mes os 6 ». A cette voix que je comprends, à cette voix que je connais : « A la voix de mon gémissement », non pas aux gémissements de ceux qui ont ma compassion. Beaucoup gémissent en effet, et moi-même je gémis, et je gémis parce qu’ils ne savent gémir. Tel a perdu de l’argent, et il gémit; il a perdu la foi et n’en gémit pas. Je pèse l’argent et la foi, et je trouve que j’ai bien plus à gémir de ceux qui ne savent gémir, ou qui ne gémissent point du tout. On a fait un larcin, et on en tressaille. Quel gain d’une part, quelle perte de l’autre! Acquérir de l’argent et perdre la justice! Voilà ce qui fait gémir celui qui sait gémir,

 

1. Isa. LVII, 16-18. — 2. Jean, VI, 41.— 3. Ps. XXI, 28.— 4. Jean, VI, 49.— 5. Matth. V, 6. — 6. Ps, CI, 6.

 

celui qui est uni à son chef, qui est incorporé étroitement au corps du Christ. Mais l’homme charnel, au lieu d’en gémir, fait gémir sur lui-même, parce qu’il n’en gémit point: et néanmoins, bien qu’ils ne sachent point comme il faut gémir, ou ne gémissent point du tout, nous ne pouvons les mépriser. Nous voulons en effet les corriger, nous voulons les redresser, nous voulons les guérir : et quand cela nous est impossible, nous gémissons, et en gémissant sur eux, nous sommes loin de nous en séparer. « A la voix de mes gémissements, mes os se sont attachés à ma chair ». Les forts se sont attachés aux faibles, et les valides aux infirmes. Comment s’y sont-ils attachés? Par la force de leurs propres gémissements, et non par la force des gémissements des faibles. En s’y attachant, ils ont cédé à la loi; à quelle loi, sinon à celle qui a fait dire: « Nous qui sommes forts, nous devons supporter la faiblesse des faibles 1? « Mes os se sont attachés à ma chair ».

7. « Je suis devenu comme le pélican, qui habite la solitude, comme le hibou dans les masures. J’ai veillé et je suis comme le passereau sur un toit ». Voilà trois oiseaux, et trois habitations: puisse le Seigneur m’aider à en expliquer le sens, et vous, à entendre, pour votre profit, ce que l’on vous dit pour votre salut. Quel est le sens de ces trois oiseaux, et des trois habitations? Quels oiseaux d’abord? Le pélican, le hibou, le passereau; les trois habitations sont la solitude, le creux d’un mur et un toit. Le pélican est dans la solitude, le hibou dans les masures, le passereau sur un toit. Exposons d’abord ce qu’est le pélican, car les contrées qu’il habite ne nous permettent pas de le connaître. li nait dans les déserts, principalement dans ceux du Nil, en Egypte. Quel que soit cet oiseau, voyons ce que le Prophète a voulu nous en dire. « Il habite la solitude », nous dit-il. A quoi bon nous enquérir de sa forme, de ses membres, de sa voix, de ses moeurs? Ce que te Prophète nous en dit, c’est qu’il habite la solitude. Le hibou est un oiseau qui aime la nuit. On appelle masures ce que nous appelons vulgairement ruines, des murailles sans toiture, sans habitants : c’est la demeure du hibou. Vomis connaissez le passereau et le toit. Je me figure donc un homme incorporé à Jésus-Christ, qui prêche sa parole, qui

 

1. Rom. XV, 1.

 

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compatit aux faibles, qui cherche les intérêts du Christ, qui se souvient que son maître doit venir, et qui craint qu’on ne lui dise : « Méchant et lâche serviteur, que n’as-tu mis mon argent chez les banquiers 1 ?» Cherchons trois choses dans l’oeuvre de ce dispensateur. Qu’il vienne dans un lieu où il n’y n nul chrétien, ce sera le pélican dans la solitude; qu’il vienne chez ceux qui ont été chrétiens, et ne le sont plus, c’est le hibou dans les masures, car il n’abandonne pas les ténèbres de ceux qui habitent la nuit, et s’applique à les gagner; qu’il vienne chez des chrétiens qui habitent dans la maison, qui ne sont point de ceux qui n’ont jamais embrassé la loi, ou ne l’ont point gardée après l’avoir embrassée, mais qui rie font qu’avec tiédeur les oeuvres de la foi : c’est un passereau qui leur crie, non point de la solitude, puisqu’ils sont chrétiens, non point des masures, puisqu’ils ne sont point tombés, mais sont sur le toit, ou plutôt sous le toit, puisqu’ils sont sous la chair. Ce passereau se fait entendre au-dessus de la chair, puisqu’il ne garde point le silence sur les préceptes de Dieu, qu’il ne devient point charnel, et qu’il n’est point sous le toit. « Que celui qui est sur le toit n’en descende pas pour prendre quelque chose dans sa maison 2 » ; et: « Ce que vous entendez de l’oreille, prêchez le sur le toit 3». Voilà donc trois oiseaux et trois habitations. Un seul homme peut faire ce que figurent ces trois oiseaux, de même que trois hommes peuvent le faire aussi : et ces trois lieux différents, sont trois genres d’auditeurs; car cette solitude, cette masure, ce toit, ne peuvent figurer que trois sortes d’hommes.

8. Mais pourquoi nous étendre à ce sujet? Jetons les yeux sur le maître, et voyons si ce n’est pas lui, s’il ne nous apparaîtra pas mieux dans le pélican au désert, le hibou dans les masures, le passereau solitaire sur un toit. Qu’il nous parle, ce pauvre qui est notre chef; que ce pauvre de gré parle aux pauvres de nécessité. Disons tout ce que l’on a dit ou dont au sujet de cet oiseau, c’est-à-dire du pélican ; n’affirmons rien avec témérité, mais n’omettons rien de ce qu’ont voulu dire et faire lire ceux qui en ont écrit. Pour vous, écoutez de manière à vous y arrêter, si cela est vrai; à le laisser, s’il est faux. On dit que ces oiseaux frappent leurs petits à coups de

 

1. Matth. XXV, 26, 27. — 2. Id. XXIV, 17. — 3. Id. X, 27.

 

bec, et après es avoir tués, les pleurent dans leur nid pendant trois jours, que la mère se fait une large blessure, et arrose ses petits de son sang qui les rend à la vie. Est-ce vrai, est-ce faux? Si cela est vrai, voyons le rapport de celte figure avec ce qu’a fait pour nous Celui qui nous n rendu la vie par son sang. Ce rapport consiste en ce que c’est la mère qui donna la vie à ses petits par son sang. Cela est évident ; et lui-même s’est comparé à une poule qui échauffe ses poussins « Jérusalem, Jérusalem, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as point voulu 1 ? » Le Christ en effet a toute l’autorité d’un père, et toute la tendresse d’une mère ; de même que Paul il est père, il est mère ; non par lui-même sans doute, mais par l’Evangile : père, quand il nous dit : « Eussiez-vous dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n’avez pas néanmoins beaucoup de pères, c’est moi qui vous ai engendrés à Jésus-Christ par l’Evangile 2 »; mère, quand il dit : « Mes petits enfants, que j’enfante de nouveau, jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous 3 ». Si donc ce que l’on dit du pélican est véritable, il a une grande ressemblance avec la chair du Christ, dont le sang nous a donné la vie. Mais quelle ressemblance y a-t-il avec Jésus-Christ, à tuer ses enfants? Pourtant cela n’est-il pas d’accord avec cette parole : « Je donnerai la mort, et je donnerai la vie; je frapperai et je guérirai  4? » Saul le persécuteur fût-il mort, s’il n’eût été frappé du haut du ciel 5; et se serait-il relevé prédicateur, s’il n’eût été vivifié par le sang du Christ ? Toutefois c’est l’affaire de ceux qui ont écrit ces choses, et nous ne devons pas baser nos interprétations sur l’incertitude. Voyons plutôt cet oiseau dans la solitude : c’est là que notre psaume l’a placé : « Le pélican dans la solitude ». Je crois qu’il nous désigne ici le Christ né d’une vierge. Il est en effet le seul de là vient la solitude ; il est né dans la solitude, parce que seul il est né de cette manière. Après sa naissance vient sa passion. Qui l’a crucifié? Ceux qui se tenaient debout? Ceux qui pleuraient? On peut donc dire que ce fut pendant la nuit de l’ignorance, et comme dans les masures de leurs propres ruines.

 

1. Matth. XXIII, 57. — 2. I Cor. IV, 15. — 3. Gal. IV, 19. — 4. Deut. XXXII, 39. — 5. Act. IX, 4.

 

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C’est là le hibou qui habite les masures, qui aime la nuit. S’il ne les aimait, comment dirait-il : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 1? » Né dans la solitude, parce que seul il est né de cette manière, il a souffert de la part des Juifs, dans leurs ténèbres, c’était la nuit; dans leur prévarication, c’était leur ruine. Qu’est-il arrivé ensuite? « Je me suis éveillé ». Vous aviez donc dormi dans les murailles, et vous aviez dit: « J’ai dormi ». Qu’est-ce à dire « j’ai dormi? » J’ai dormi parce que je l’ai voulu ; j’ai dormi parce que j’aimais la nuit mais il dit aussitôt : « Et je me suis levé 2 ». Donc là aussi « j’ai veillé ». Mais après avoir veillé, qu’a-t-il fait? Il est monté aux cieux, et dans son vol ou dans son ascension, il a été « semblable au passereau, seul sur un toit», c’est-à-dire dans le ciel. Il est donc le pélican dans sa naissance, le hibou dans sa mort, le passereau dans sa résurrection : dans l’une il est solitaire, puisqu’il est unique; dans l’autre il est dans les ruines, puisqu’il est mis à mort par ceux qui ne pouvaient se tenir debout; enfin dans la dernière il s’éveille, prend son vol par-dessus les toits, et intercède pour nous 3. Ce passereau est notre chef, la tourterelle est son corps. « Car le passereau a trouvé une demeure pour lui ». Quelle demeure ? Il est dans le ciel, intercédant pour nous. « La tourterelle qui se trouve un nid où reposer ses petits 4 », c’est l’Eglise qui se compose des bois de la croix un nid pour ses enfants. « Je me suis éveillé, et j’étais comme le passereau solitaire sur un toit ».

9. « Pendant tout le jour, mes ennemis me couvraient d’opprobre, ceux qui me louaient  faisaient des voeux contre moi 5». Leur bouche me louait, leur coeur me préparait des embûches. Ecoute leurs louanges : « Maître, nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, et ne faites acception de personne : est-il permis de payer le tribut à César 6 ? » C’est louer celui qu’on veut faire tomber. Pourquoi ? sinon parce que « ceux qui me louaient faisaient des voeux contre moi ? » D’où me vient cet opprobre, sinon de ce que je suis venu m’incorporer les pécheurs, afin que devenus mes membres, ils fissent pénitence? De là cette ignominie, de là ces persécutions : « Pourquoi votre maître

 

1. Luc, XXIII, 34.— 2. Ps. III, 6.— 3. Rom. VIII, 34.— 4. Ps. LXXXIII, 4. — 5. Id. CX, 9.— 6. Matth. XXXI, 16, 17.

 

mange-t-il avec les pécheurs et les publicains? Parce que le malade seul a besoin du médecin, et non celui qui se porte bien 1 » Plût à Dieu que vous connussiez combien vous êtes malades, et que vous eussiez recours au médecin! vous ne le tueriez point, dans votre orgueil, en vous croyant follement la santé.

10. D’où vient que « mes ennemis me couvraient d’opprobre pendant tout le jour? » D’où vient que « ceux qui me louaient formaient des voeux contre moi?» « C’est que je mangeais la cendre comme le pain, et que je mêlais mes pleurs à mon breuvage 2 ». Parce qu’il a voulu mettre ces hommes parmi ses membres, afin de les guérir et de les délivrer, telle est la cause de l’opprobre. Aujourd’hui, quelles sont les injures que nous prodiguent les païens? Que croyez-vous qu’ils disent, de nous? Vous pervertissez les hommes, nous disent-ils, vous corrompez les moeurs dans le genre humain. Dis-moi, accusateur, quelle preuve en as-tu? Qu’avons-nous fait? Vous offrez aux hommes le remède de la pénitence, vous leur promettez l’impunité de tous les crimes; et les hommes s’enhardissent au mal, parce qu’ils sont assurés qu’au jour où ils se convertiront, tout leur sera pardonné. Voilà le sujet des opprobres : « Parce que je mangeais la cendre comme un pain, et je mêlais mes pleurs à mon breuvage ». O toi, qui insultes, c’est à ce pain que je te convie. Tu n’oserais point dire que tu n’es point pécheur. Examine ta conscience; monte sur le tribunal de ta conscience, discute sans ménagement, laisse parler la moelle de ton coeur, et vois si tu oseras bien te dire innocent. Un tel homme, en s’examinant, sera troublé; et s’il ne se flatte point, il avouera ses fautes. Que feras-tu donc, misérable pécheur, s’il n’y a pas un port où tu puisses trouver l’impunité? Si tu n’as que la liberté de pécher, sans espoir de pardon, que deviendras-tu? où iras-tu? C’est assurément pour toi que ce pauvre a mangé la cendre comme son pain, et mêlé ses pleurs à son breuvage. Un tel festin n’aura-t-il donc pour toi aucun attrait? Mais, répond-il, l’espérance du pardon augmente le nombre des fautes. Il s’augmente. rait bien davantage par le désespoir du pardon. Ne vois-tu pas combien est licencieuse la vie des gladiateurs? Pourquoi cette licence,

 

1. Matth. IX, II, 12. — 2. Ps. CI, 10.

 

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sinon parce que, destinés au glaive comme des victimes, ils veulent assouvir leurs convoitises tmvant de répandre leur sang. Et toi, ne diras-tu pas à ton tour : Me voilà pécheur, injuste, sous le coup de la damnation, sans espoir de pardon, pourquoi donc ne point faire ce qu’il me plaît, en dépit de la défense? Pourquoi ne pas satisfaire mes appétits, autant que je le puis, si je ne puis au-delà de cette vie attendre que des tourments? Ne tiendrais-tu pas ce langage, et le désespoir ne te jetterait-il point dans la dépravation ? C’est donc pour te redresser qu’on te promet le pardon, et qu’on te dit : « Prévaricateurs, rentrez en vous-mêmes 1. Je ne veux point la mort de l’impie, mais qu’il se corrige et qu’il vive 2». A la vue de ce port, l’iniquité baisse les voiles, tu retournes la proue du vaisseau, tu vogues sers la justice; et dans l’espoir de trouver la vie, tu ne négliges point le remède. Dès lors m’accuse plus le Seigneur de donner la sécurité aux pécheurs, en leur promettant le pardon. De peur que le désespoir ne les déprave encore, il leur ouvre le port de l’indulgence; et de peur que l’espérance du pardon ne les entretienne dans le péché, il veut que le jour de leur mort soit incertain : accordant avec sagesse, et la bonté qui accueille ceux qui reviennent à lui, et la menace qui effraie les retardataires. Mange donc la cendre comme un pain, et mêle tes pleurs à ton breuvage: ce festin te conduira à la table du Seigneur. Loin de toi tout désespoir, le pardon t’est promis. Dieu soit béni de cette promesse, me dira-t-on, je la tiens enfin. Oui, mais commence à bien vivre. Demain, dit-on, je le ferai. Dieu t’a promis le pardon, sans doute, mais nul ne t’a promis un lendemain. Si jusqu’ici tu as mal vécu, commence à bien vivre dès aujourd’hui. « Cette nuit même, ô insensé, mon va te redemander ton âme ». Je ne dis point : « A qui appartiendra ce que tu as amassé 3? » mais bien : Où te conduira la vie que tu as menée? Corrige-toi donc, entre dans le corps du Christ, afin de dire ce que tu entends volontiers, si je ne me trompe : « Je u mangeais la cendre comme un pain, et je mêlais mes pleurs à mon breuvage ».

11. « A cause de votre colère et de votre indignation, après m’avoir élevé, vous m’avez précipité 4 ». Telle fut, ô mon Dieu,

 

1. Isa. XLVI, 8.— 2. Ezéch. XXXIII, 11.— 3. Luc, XXI, 20.— 4. Ps CI,11.

 

votre colère en Adam; votre colère dans laquelle nous sommes nés, qui nous a enveloppés à notre naissance, votre colère contre la transfusion de l’iniquité, contre la masse du péché; selon cette parole de l’Apôtre: « Nous avons été, nous aussi, enfants de colère, comme le reste des hommes 1 » ; et cette autre du Sauveur: « La colère de Dieu pèse sur quiconque ne croit pas au Fils unique de Dieu 2 » . Il ne dit pas: La colère de Dieu viendra sur lui ;mais bien : « pèse sur lui », parce qu’elle ne lui a pas été enlevée depuis sa naissance. Pourquoi donc cette parole et que veut-elle dire: « Après m’avoir élevé, vous m’avez précipité? » Il n’est point dit: Parce que vous m’avez élevé et précipité; mais bien: « Parce que vous m’avez élevé, vous m’avez précipité ». Mon élévation a été la cause de ma ruine. Comment cela? L’homme, étant en honneur, a été fait à l’image de Dieu. Elevé à cet honneur, tiré de la poussière, tiré de la terre, il a reçu une âme raisonnable; la lumière de sa raison lui a fait donner le sceptre sur les animaux, sur le bétail, sur les oiseaux, sur les poissons 3. Qu’y a-t-il en eux qui ait la lumière de la raison? Nul d’entre eux n’a été fait à l’image de Dieu. Mais comme nul n’a cet honneur, nul aussi ne ressent notre misère. Quel animal pleure son péché? Quel oiseau craint la violence des flammes éternelles? Comme il n’a nulle part à la vie éternelle, il ne ressent point l’aiguillon de nos misères. Mais l’homme qui est fait pour la vie bienheureuse, s’il vit saintement, n’aura qu’une vie de misères, si sa vie est dépravée. Donc, « parce que vous m’aviez élevé, vous m’avez précipité »; et je suis en butte à la peine, parce que vous m’avez donné le libre arbitre. Car si vous ne m’aviez donné ni le libre arbitre, ni cette raison qui me rend supérieur aux animaux, mon péché ne serait point suivi d’une juste condamnation. Donc vous m’avez élevé par le libre arbitre, et précipité par le jugement de votre justice.

12. « Mes jours ont décliné comme l’ombre 4». Tes jours auraient pu ne point décliner, si toi-même tu n’eusses décliné du jour véritable tu t’en es détourné, et tes jours ont décliné. Qu’y aurait-il d’étonnant que tes jours fussent semblables à toi-même? Ce sont des jours qui déclinent, comme tu as décliné; des jours de fumée, parce que tu t’es

 

1. Ephés. XI, 3.— 2. Jean, III, 86.—  3. Gen. I, 26.— 4. Ps. CI, 12.

 

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élevé. Le Prophète avait dit plus haut : « Mes jours se sont évanouis comme la fumée »; et maintenant il dit : « Mes jours ont décliné comme l’ombre», il nous faut dans cette ombre connaître le jour, et dans cette ombre voir la lumière, de peur qu’une pénitence tardive et sans fruit ne nous fasse dire: « De quoi nous a servi notre orgueil? Que nous a rapporté l’ostentation de nos richesses? Tout cela a passé comme l’ombre 1 ». Dès maintenant, tout cela passera comme l’ombre, mais toi, ne passe point comme cette ombre. « Mes jours ont décliné comme l’ombre, et moi je me suis desséché comme le foin ». Il avait dit plus haut : « Mon coeur a été frappé comme l’herbe et il s’est desséché ». Mais arrosé par le sang du

Sauveur, le foin reverdira. « Pour moi, je me suis desséché comme le foin ». Moi, homme,

ô mon Dieu, après cette grande prévarication, j’ai ressenti votre juste jugement: mais vous,

Seigneur?

13. « Mais vous, Seigneur, vous demeurez éternellement 2 ». Mes jours ont décliné comme l’ombre, tandis que vous demeurez éternellement: que celui qui est éternel, sauve l’homme de quelques jours. Ce n’est point parce que je décline que vous vieillirez aussi; car votre force doit me délivrer, comme votre force m’a humilié. « Mais vous, Seigneur, vous demeurez éternellement, et votre mémoire passe de race en race ». «Votre mémoire», car il n’y a rien d’oublié, « de race en race », et non dans une foule, mais « de génération en génération ». Nous avons la promesse de la vie présente et de la vie à venir 3.

14. « Vous vous lèverez pour prendre en pitié Sion, car il est temps d’en avoir pitié 4 ».

Quel temps? « Lorsque le temps fut accompli, Dieu envoya son Fils, formé d’une femme et assujetti à la loi ». Où est Sion? « Afin de racheter ceux qui étaient sous la loi 5 ». Les Juifs donc tout d’abord; de là vinrent les Apôtres, de là plus de cinq cents frères 6; de là cette multitude qui n’avait plus en Dieu qu’un coeur et qu’une âme 7. Donc « vous vous lèverez, et vous prendrez Sion en pitié; il est venu, le temps de la clémence; il est venu, « le temps marqué ». Quel temps? «Voici maintenant le temps propice, voici les jours de salut 8 ». Qui parle ainsi? Le serviteur

 

1. Sag. V, 8, 9.— 2. Ps. CI, 13.— 3. Tim. IV, 8.— 4. Ps. CI, 14.— 5. Gal. IV, 4, 5.— 6. I Cor, XV, 6.— 7. Act. IV, 32.— 8. II Cor. VI, 2.

 

travaillant à l’édifice de Dieu, et qui disait: « Vous êtes l’édifice du Seigneur » ; qui disait encore: « Comme un architecte sage: j’ai posé le fondement»; et : «Nul ne posa une base autre que celle qui est posée, et qui est le Christ Jésus 1. »

15. Que dit ensuite le psaume? « Vos serviteurs en ont aimé les pierres 2». Les pierres de quoi? Les pierres de Sion; mais il en est là aussi qui ne sont point des pierres. Des pierres de quoi? Ecoutons ce qui suit: «Ils prendront en pitié sa poussière».Reconnaissons-le donc, il y a en Sion des pierres, et en Sion de la poussière. Le Prophète ne dit point qu’on aura pitié des pierres; mais que dit-il? « Vos serviteurs en ont aimé les pierres, et ils prendront sa poussière en pitié ». L’amour pour les pierres, la pitié pour la poussière. Par les pierres de Sion, j’entends tous les Prophètes: c’est là que la parole des prédicateurs a retenti d’abord, de là que furent tirés les ouvriers évangéliques, et par leur prédication le Christ fut connu. Donc vos serviteurs ont fait leurs délices des pierres de Sion; mais les prévaricateurs, qui se sont retirés de Dieu, qui ont irrité le Créateur par leurs actions détestables, sont retournés dans la terre d’où ils avaient été tirés. ils sont devenus poussière, et sont tombés dans l’impiété. C’est d’eux qu’il est dit: « Il n’en est pas ainsi, non pas ainsi de l’impie; il est comme la poussière que le vent chasse de la surface de la terre 3 ». Mais, Seigneur, attendez, attendez, ô mon Dieu, prenez patience; défendez au vent de souffler, et d’emporter l’impie de la surface de la terre. Qu’ils viennent, vos serviteurs, qu’ils viennent et qu’ils reconnaissent dans vos pierres votre parole, qu’ils prennent en pitié la poussière de Sion, qu’ils reforment l’homme à votre image 4 : que la poussière dise, afin de ne point périr: « Souvenez-vous que nous sommes poussière, et ils auront pitié de sa poussière » : voilà ce qui regarde Sion.  N’étaient-ils point poussière, ceux qui ont crucifié le Seigneur? Et même plus, une poussière sortie des débris d’une masure. C’était donc une poussière, et néanmoins ce n’était pas en vain qu’il était dit, à propos de cette poussière : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font 6». C’est de cette poussière qu’est sortie cette muraille de tant

 

1. I Cor. III, 9-11. — 2. Ps. CI, 15. — 3. Id. I, 4.— 4. Gen. I, 28.— 5. Ps. CII, 14. — 6. Luc, XXXII, 31.

 

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de milliers de croyants, qui apportaient aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens. C’est donc de cette poussière qu’est sortie l’humanité réformée et embellie. Qui a fait rien de semblable parmi les Gentils? Combien peu en trouvons-nous, si nous les comparons à tant de milliers de Juifs? Trois mille d’abord, puis cinq mille, et tous vivent comme un seul, et tous viennent apporter aux pieds des Apôtres le prix de leurs biens, afin qu’il fût distribué à chacun selon ses besoins, et ils n’avaient tous en Dieu qu’un coeur et qu’une âme 1. Qui a pu tirer ce parti de cette poussière, sinon celui qui a fait Adam de la poussière 2? Ceci donc regarde Sion, mais ne s’est pas accompli seulement en Sion.

16. Que dit en effet le Prophète? « Et toutes les nations redouteront votre nom, ô mon Dieu, et les rois de la terre votre gloire 3 ». Puisque déjà vous avez eu pitié de Sion, que vos serviteurs ont mis leurs délices dans ses pierres, en y retrouvant le fondement des Apôtres et des Prophètes; puisqu’ils ont pris en pitié sa poussière, en formant, ou plutôt en reformant de cette poussière l’homme plein de vie; puisque c’est de là que la prédication des Gentils a pris de l’accroissement; que les Gentils alors craignent votre nom, et tous les rois de la terre votre gloire; qu’il vienne du côté des Gentils une autre muraille; qu’on reconnaisse la pierre angulaire 4; que là s’unissent les deux murailles, venant de différentes directions, mais n’ayant plus des sentiments opposés.

17. « Car c’est le Seigneur qui a bâti Sion 5 ». C’est l’oeuvre d’aujourd’hui. Accourez, ô pierres vivantes, venez former l’édifice, et non le détruire. On bâtit Sion, prenez garde aux masures; éditions une tour, éditons une arche, évitons le déluge. Travaillez maintenant, « parce que le Seigneur construira Sion ». Mais quand Sion sera bâtie, qu’arrivera-t-il? « Alors on le verra dans sa gloire ». Pour bâtir Sion, pour être le fondement de Sion, le Christ s’est montré à Sion, mais non dans sa gloire. « Et nous l’avons vu, et il n’avait ni apparence ni beauté 6». Mais quand, avec ses anges, il viendra pour juger, quand les nations seront toutes rassemblées devant lui, quand les brebis seront placées à sa droite et les boucs à sa gauche 7,

 

1. Act. XI, 41; IV, 4, 32.— 2. Gen. II, 7— 3. Ps. CI, 16.— 4. Ephés. — 5. Ps. CI, 17. — 6. Isa. LIII, 2. — 7. Matth. XXV, 31-33.

 

ne verront-ils point Celui qu’ils ont percé 1? Alors une confusion tardive couvrira ceux qui auront repoussé une prompte et salutaire pénitence. « Le Seigneur bâtira Sion, et sera vu dans sa gloire » ; lui qui s’est montré tout d’abord dans son infirmité.

18. « Il a entendu favorablement la prière des humbles, et n’a point dédaigné leurs soupirs 2 ». Voilà ce qui se passe aujourd’hui dans la construction de Sion; ceux qui la construisent gémissent et prient; ce pauvre unique personnifie mille pauvres, comme ces milliers de toutes les nations ne forment qu’un seul homme, dans l’unité de la paix de 1’Eglise. Cet homme est un et multiple; un à cause de la charité, multiple à cause de l’étendue. C’est donc maintenant que l’on prie, maintenant que l’on court; quiconque a vécu d’autre manière , a nourri d’autres sentiments, doit maintenant manger la cendre comme un pain, et mêler ses pleurs à son breuvage. C’est le moment de le faire, quand on bâtit Sion; c’est maintenant que les pierres entrent dans l’édifice; une fois l’édifice achevé et la maison dédiée, à quoi bon courir, pour arriver trop tard, supplier en vain, frapper sans résultat, et demeurer dehors avec tes cinq vierges folles 3? Cours donc maintenant. « Le Seigneur a écouté la prière des humbles, et n’a point dédaigné leurs soupirs ».

19. « Que ceci soit écrit pour la génération qui doit venir 4 ». Quand le Prophète écrivait ces choses, elles étaient moins utiles à ceux parmi lesquels il les écrivait; car Dieu les faisait consigner pour prophétiser la nouvelle alliance parmi ces mêmes hommes, qui vivaient selon l’ancienne. C’était Dieu néanmoins qui avait donné cette alliance, et qui avait placé son peuple dans la terre promise. Mais « parce que votre souvenir passe de race en race », non chez les impies, mais chez les justes; la première génération appartient à l’ancienne alliance, et la seconde génération à la nouvelle. Ceci donc était une prophétie, et le Psalmiste y prédit le Nouveau Testament: «Que ceci soit écrit pour la génération suivante; et le peuple qui sera créé louera le Seigneur »: non point le peuple qui a été créé, mais « le peuple qui sera créé ». Quoi de plus évident, mes frères? Voilà qu’est prédite cette créature dont saint Paul a dit : «Si donc nous sommes dans le Christ une créature

 

1. Zach. XII, 10.— 2. Ps. CI, 18.— 3. Matth. XXV, 12. — 4. Ps. CI, 19.

 

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nouvelle, le passé n’est plus, tout a été renouvelé et tout vient de Dieu 1». Qu’est-ce

à dire : « Tout vient de Dieu? » Et ce qui est ancien et ce qui est nouveau, car votre souvenir passe de génération en génération. « Et

 

1. II Cor. V, 17, 18.

 

le peuple qui sera créé bénira le Seigneur. « Car il a regardé du haut de son sanctuaire 1».

Il a regardé d’en haut, afin de venir vers les humbles; d’élevé qu’il était, il s’est fait

humble, afin d’élever les humbles.

 

1. Ps. CI, 20.

 

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DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME CI.

DEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.

LES CONSOLATIONS DE L’ÉGLISE.

 

Ceux qui ont les fers aux pieds, sont ceux que retient la crainte du Seigneur; or, le Seigneur écoute leurs gémissements; il délivre par sa grâce les fils des martyrs. Alors le nom du Seigneur fut annoncé en Sion ; l’homme comprit son avenir, tons les peuples bénirent le vrai Dieu ; la vie pure des hommes, la sainteté en Jérusalem a été le fruit de cette prédication. C’est par là que l’Eglise n répondu au Christ dans sa force, ou après la résurrection, et en rassemblant tes peuples dans l’unité. L’Eglise, nous dit l’hérésie, n’est plus celle de toutes les nations, cette Eglise a péri. Pourtant Jésus-Christ devait être avec elle jusqu’à la consommation des siècles; et si cette Eglise demande aujourd’hui de connaître ses jours peu nombreux, c’est que ces jours qui doivent se prolonger jusqu’à la fin des siècles, alors que l’Evangile sera prêché à tous les peuples, ne sont rien en comparaison de l’éternité, de ces années de Dieu, sans passé, sans avenir, qui ne s’écoulent point, car elles sont elles-mêmes Celui qui est. Ces années de Dieu passent de génération en génération, c’est-à-dire qu’elles sont le partage des saints de chaque génération, en Adam d’abord, puis chez les patriarches, puis chez les nations chrétien. nes, tandis que la terre doit finir ainsi que les cieux. Déjà ont péri par le déluge les cieux inférieurs; les cieux supérieurs ou les saints périront d’une manière corporelle, pour être revêtus d’immortalité, tandis que Dieu ne passera point. Ces cieux donc habiteront avec Dieu, et ces fils de ses serviteurs, sont nos bonnes oeuvres qui doivent nous préparer la véritable vie.

 

1. Hier, nous avons entendu un pauvre prier et gémir ; nous avons reconnu en lui celui qui étant riche’ est devenu pauvre, ainsi que les membres qui lui sont unis et qui parlent en la personne de leur chef. Car nous sommes là aussi, nous l’avons vu, si toutefois, par sa grâce, nous sommes quelque chose. Or, les paroles de gémissements cessaient pour faire place aux paroles de consolation, mais il nous était impossible hier de vous les exposer plus longuement. Ecoutons dans ce qui nous reste à traiter, non plus le pauvre qui gémit, mais le pauvre qui tressaille, et qui tressaille parce qu’il espère, et qui espère parce qu’il ne présume point de lui-même. Il avait annoncé dans les divines Ecritures le bonheur dont peuvent jouir les hommes, et il ajoute : « Que ceci soit écrit pour la génération à venir, et le peuple qui croira, bénira le Seigneur, parce qu’il a regardé du

 

1. II Cor. VIII, 9.

 

haut de son sanctuaire 1 ». C’est jusque-là que se prolongea hier notre discours, voyons la suite.

2. « Des hauteurs du ciel le Seigneur a jeté les yeux sur la terre pour écouter les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds, et délivrer les enfants de ceux qu’on a égorgés 2». Nous trouvons dans un autre psaume « Que les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds s’élèvent jusqu’à vous 3 »; et le psaume qui parle ainsi s’entend des martyrs. Comment les martyrs ont-ils les fers aux pieds? Leurs membres n’étaient-ils pas chargés de chaînes, plutôt que leurs pieds entravés ? Nous lisons en effet qu’on enchaînait les saints martyrs de Dieu, et qu’on les traînait derrière des juges de province en province, nous ne lisons pas qu’ils avaient les fers aux pieds. Nous connaissons aussi les entraves de la discipline et de la crainte de Dieu,

 

1. Ps. CI, 19, 20.— 2. Id. 21.— 3. Id. LXXVIII, 11.

 

dont il est dit : « La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse 1 ». C’est à cause de cette crainte que les serviteurs de Dieu n’ont point redouté ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l’âme : ils craignaient alors celui qui a le pouvoir de jeter le corps et l’âme au feu éternel 2. Si les martyrs, en effet, n’eussent eu les pieds retenus par les entraves de cette crainte, comment eussent-ils pu endurer de la part de leurs persécuteurs des tourments si rigoureux quand ils étaient libres de faire ce qu’on les contraignait de faire, et d’échapper aux tortures qu’ils enduraient? Mais Dieu leur avait mis ces entraves salutaires, entraves dures et pénibles pour un temps, à la vérité, mais supportables en vue des promesses de Celui à qui il est dit : « A cause des paroles de vos lèvres, j’ai marché dans la voie douloureuse 3». On doit gémir dans ces entraves, sans doute, afin d’obtenir la divine miséricorde ; aussi les martyrs ont-ils dit dans un autre psaume: « Que le gémissement de ceux qui ont les entraves aux pieds s’élève jusqu’à vous »; mais il ne faut point éviter ces entraves, pour convoiter une liberté pernicieuse, pour rechercher la douceur si courte d’une vie passagère, qui serait suivie d’une amertume sans fin. Aussi, de peur que nous ne repoussions les entraves de la sagesse, l’Ecriture nous en parle-t-elle ainsi: « Ecoute, mon fils, reçois ma pensée, et ne rejette point mon conseil. Mets tes pieds dans ses entraves, engage ton cou dans ses chaînes : baisse ton épaule et porte-la ; ne te fatigue point de ses liens. Approche-toi d’elle de tout ton coeur, et garde ses voies de toutes tes forces : cherche-la, mets-toi en peine de la trouver, et elle te sera manifestée ; une fois que tu l’auras embrassée, ne la quitte point. Car au dernier jour c’est en elle que tu trouveras le repos, et elle se changera pour toi en délices, et ses fers deviendront  pour toi une protection, et ses chaînes un vêtement de gloire. Car elle a la beauté de l’or, et ses liens sont des fils d’hyacinthe tu te revêtiras d’elle comme d’une robe de gloire, tu la mettras sur ta tête comme une couronne de joie 4 ». Qu’ils crient donc tandis qu’ils ont les entraves aux pieds, tandis qu’ils sont enchaînés par la discipline du Seigneur qui a exercé les martyrs, et leurs fers

 

1. Eccli. II, 16 — 2. Matth. X, 28.— 3. Ps. XVI, 4.— 4. Eccli. VI, 24-32.

 

seront brisés, et ils s’envoleront, et ces fers eux-mêmes deviendront leur ornement et leur gloire. Voilà ce qui est arrivé aux martyrs. Qu’ont fait leurs persécuteurs en les égorgeant, sinon briser leurs chaînes, qui se sont changées en couronnes?

3. « Le Seigneur a donc regardé du haut du ciel, afin d’entendre les gémissements de ceux qui ont les fers aux pieds, et de délivrer les fils de ceux qu’on a égorgés ». Ce sont les martyrs que l’on a fait mourir; mais quels sont les fils de ceux que l’on a fait mourir, sinon nous-mêmes? Or, comment nous délier, sinon en disant à Dieu : « Seigneur, vous avez brisé mes liens ; je vous offrirai un sacrifice de louange 1? » Car chaque fidèle est délivré soit des chaînes de ses appétits déréglés, soit des liens du péché. Lui remettre son péché, c’est en effet le délier. Qu’aurait servi à Lazare de sortir vivant du tombeau, sans cette parole : « Déliez-le, et laissez-le aller 2 ? » A la vérité, le Christ le fit sortir à sa voix du sépulcre, lui rendit la vie par son cri puissant, put vaincre ce monceau de terre dont il était couvert, et Lazare sortit encore tout garrotté; il ne sortit donc point par la force de ses pieds, mais par la force de celui qui le ressuscitait. Voilà ce qui s’opère dans le coeur d’un pénitent. Ecoute un homme qui se repent de ses fautes, il est ressuscité; écoute-le découvrir sa conscience par la confession, il est déjà sorti du tombeau, mais pas encore délié. Quand le sera-t-il? Par qui le sera-t-il? « Tout ce que vous délierez sur la terre », dit le Sauveur, « sera délié aussi dans le ciel 3 ». C’est avec raison que nos péchés sont déliés par l’Eglise: mais un mort ne peut ressusciter que par le cri intérieur de Jésus-Christ: c’est Dieu qui agit ainsi au dedans de nous. Nous vous parlons à l’oreille, mais comment savoir ce qui se passe dans vos coeurs? Or, ce qui se passe intérieurement est l’oeuvre de Dieu, et non la nôtre.

4. Dieu donc « a jeté les yeux pour délier les fils de ceux qu’on a égorgés». Vous connaissez maintenant ces hommes égorgés, vous connaissez leurs enfants. Quelle est la suite? « Afin que le nom du Seigneur soit annoncé dans Sion » . L’Eglise était d’abord opprimée, quand ou égorgeait ceux qui avaient les entraves aux pieds: et après ces persécutions, le

 

1. Ps. CXV, 16, 17. — 2. Jean, XI, 44. — 3. Matth. XVI, 19.

 

482

 

nom du Seigneur est prêché dans Sion avec une grande liberté, c’est-à-dire dans l’Eglise même qui est Sion, non point ce lieu de la terre si orgueilleux d’abord et réduit ensuite à l’esclavage; mais dans cette Sion dont l’ancienne était une figure,et qui signifie spéculation. Placés en effet dans la chair, nous voyons ce qui devant nous en nous étendant, non plus vers ce qui est du présent, mais vers les choses de l’avenir. De là cette spéculation. Quiconque est en spéculation ou au guet étend sa vue au loin; et l’on appelle guet l’endroit où l’on pose des gardes. Or, on établit un guet sur des rochers, sur des montagnes, sur des arbres, afin que de cette hauteur on puisse voir de plus loin. Sion est donc un guet, et l’Eglise est un guet. Pourquoi un guet? Etre au guet, c’est voir de loin. « Il n’y a devant moi que labeur, jusqu’à ce que j’entre dans le sanctuaire de Dieu, et que je comprenne la fin des méchants 1 ». Qu’est-ce que voir, comprendre la fin? Traverser la mer eu voyant, non plus en naviguant, et habiter les bords de la mer 2, c’est-à-dire mettre son espérance dans ce qui doit durer après l’écoulement des temps. Si donc l’Eglise est un guet, c’est là qu’on annonce désormais le nom du Seigneur. Et non-seulement le nom du Seigneur est annoncé dans cette Sion, mais « sa louange», dit le Prophète, « est publiée dans Jérusalem ».

5. Comment publiée? « Alors que les peuples et les royaumes se réuniront, pour servir le Seigneur 3». D’où vient cette merveille, sinon du sang de ceux qu’on a mis à mort? D’où vient cette merveille, sinon des gémissements de ceux qui ont les entraves aux pieds? Dieu donc les a écoutés, sous le pressoir et dans l’humiliation, afin qu’en un jour l’Eglise fût élevée à cet éclat de gloire que nous voyons, et que les puissances qui persécutaient alors servissent maintenant le Seigneur.

6. « Elle lui a répondu dans la voie de sa force 4». A qui a-t-elle répondu, sinon au Seigneur? Qui a répondu? Voyons ce qui précède. « Et sa louange », dit-il, « sera chantée en  Jérusalem, quand les peuples et les rois s’uniront pour servir le Seigneur. Elle lui a répondu dans la voie de sa force ». Quelle est celle ou quel est celui qui a répondu dans la voie de sa force? Cherchons tout d’abord celui qui a répondu, et nous saurons par là

 

1. Ps. LXXII, 16, 17.— 2. Id. CXXXVIII, 9.— 3. Id. CI, 23.— 4. Id. 24.

 

quel est le chemin de sa force. D’après les paroles précédentes, on pourrait croire que c’est la gloire de Dieu ou Jérusalem qui lui a répondu; car le Prophète avait dit plus haut : « Et sa louange sera en Jérusalem; quand se réuniront les peuples et les royaumes pour servir le Seigneur». «Elle lui a répondus, nous ne pouvons point parler ainsi des royaumes, car alors le Prophète eût dit: Ils lui ont répondu. « Elle lui a répondu», ne peut avoir pour sujet les peuples, car le Prophète eût dit encore: Ils lui ont répondu. Donc puisque répondre est au singulier, nous ne pouvons lui trouver dans ce qui précède, d’autre sujet que la louange du Seigneur, et Jérusalem. Et comme il est douteux si c’est la louange de Dieu ou Jérusalem, exposons l’un et l’autre sens. Comment sa louange lui a-t-elle répondu? Quand ceux que Dieu daigne appeler lui rendent grâces. Car c’est Dieu qui nous appelle, et nous lui répondons, non par la voix, mais bien par la foi; non par la langue, mais par la vie. Si Dieu en effet t’appelle, et t’ordonne de mener une vie pure, tu ne réponds point à son appel par une vie de désordre, il ne vient de toi aucune louange qui lui réponde; car ta vie est plutôt un blasphème contre lui qu’une louange en son honneur. Mais quand nous vivons de manière à faire louer le Seigneur, sa louange alors lui répond. Jérusalem lui a aussi répondu dans la personne des saints que Dieu appelait. Car Jérusalem fut appelée, et tout d’abord Jérusalem refusa d’écouter, et il lui fut dit: «Voilà que vos maisons seront désertes. Jérusalem, Jérusalem », (il crie alors et l’on ne répond point), « combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l’as point voulu 1 ». Nulle réponse alors : nouvelle pluie et pour tout fruit des épines. Mais quant à la Jérusalem dont il est dit : « Réjouis-toi, stérile, qui n’enfantes pas : chante des cantiques de louanges, et pousse des cris de joie, toi qui n’avais pas d’enfants : l’épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux ; celle-ci lui a répondu». Qu’est-ce à dire qu’elle a répondu?» Elle n’a pas méprisé celui qui l’appelait. Qu’est-ce à dire qu’ « elle a répondu? » il l’a arrosée, et elle a donné du fruit.

7. « Elle lui a donc répondu », mais où?

 

1. Matth. XXIII, 37, 38.— 2. Isa. LIV, 1; Gal. IV, 27.

 

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« Dans le chemin de sa force ». Cette force vient-elle d’elle-même? Que serait-elle en elle-même, quelle voix aurait-elle en elle-même et d’elle-même, autre que la voix du péché, que la voix de l’iniquité ? Examinez cette voix, qu’y trouverez-vous? Tout au plus cette réponse : « J’ai dit, Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme parce que j’ai péché contre vous 1». Si Dieu l’a justifiée, « elle lui a répondu», non par ses propres mérites,mais par des oeuvres qui viennent de lui. Où? « Dans la voie de sa force ». C’est là le Christ, lui qui a dit: « Je suis la voie, la vérité, la vie 2». Mais avant la résurrection, le peuple ne le connaissait point ; ce fut principalement lors de sa mort sur la croix, que son infirmité cacha ce qu’il était 3, jusqu’à ce qu’il parut dans sa force par sa résurrection. Donc l’Eglise n’a point répondu au Fils de Dieu dans le chemin de son infirmité, mais bien quand il a fait éclater sa force dans sa résurrection. L’Eglise ne lui a point répondu quand il était dans la vie de son infirmité, mais bien quand il était « dans la voie de sa force » : car ce fut après sa résurrection qu’il appela son Eglise de tous les confins de la terre, non plus dans l’infirmité de la croix, mais dans toute la force du ciel. La gloire du chrétien, en effet, n’est pas de croire à la mort du Christ, mais bien plutôt à la résurrection du Christ. Car le païen croit qu’il est mort; et s’il te fait un reproche, c’est de croire à un mort. Où donc est ta gloire? C’est de croire à la résurrection du Christ, et d’espérer que tu ressusciteras par le Christ: telle est la gloire de ta foi. « Si tu crois en ton coeur que Jésus est le Seigneur, et si ta bouche confesse que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé 4». L’Apôtre ne dit point: Si tu confesses que Dieu l’a livré à la mort; mais: « Si tu confesses que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauve; car, c’est par le coeur que l’on croit pour devenir juste, et l’on confesse de bouche pour obtenir le salut 5». Pourquoi donc croire à sa mort? Parce que nous ne pouvons croire àsa résurrection sans croire à sa mort. Qui peut ressusciter, si d’abord il ne meurt? Qui se réveille sans avoir dormi? « Mais celui qui a  dormi,ne s’éveillera-t-il donc point 6? » Telle est la foi des chrétiens. Telle est la toi qui a uni l’Eglise, et dans laquelle « cette Epouse

 

1. Ps. XI, 5.— 2. Jean, XIV, 6.— 3. II Cor. XIII, 4.— 4. Rom. X, 9. — 5. Id.10.— 6. Ps. XI,9.

 

abandonnée a plus d’enfants que celle qui a un mari 1; et lui répond », en lui chantant

des louanges selon ses préceptes; « dans la voie de sa force », et non dans la voie de son infirmité.

8. Déjà nous avons entendu cette réponse: « C’est en rassemblant les peuples et les royaumes dans l’unité, afin qu’ils servent le Seigneur 2». Telle est donc sa réponse, l’unité, et quiconque n’est pas dans l’unité, ne lui répond point. Car le Christ est un, l’Eglise est unité. L’unité seule répond à Celui qui est un. Mais il en est qui disent : Voilà ce qui est fait : l’Eglise des quatre coins du monde a répondu au Christ, en lui donnant plus de fils que celle qui avait un époux; « elle lui a répondu dans la voie de sa force »; elle a cru que le Christ est ressuscité; toutes les nations ont cru en lui. Mais cette Eglise, qui fut l’Eglise de toutes les nations, ne l’est déjà plus; elle a péri. Telle est le langage de ceux qui n’en sont pas. O insolence! Elle n’est pas l’Eglise, parce que tu n’en es pas? Prends garde de n’être plus par cela même; car elle subsistera, bien que tu n’en sois point. Celte voix abominable, détestable, pleine de présomption et de fausseté, qui n’a pour base aucune vérité, qui n’est éclairée par aucune sagesse, ni pondérée par aucune prudence, qui est vaine, qui est téméraire, qui est précipitée, qui est pernicieuse, a été prévue par l’Esprit de Dieu, et il semble la combattre en prédisant l’unité contre ses adeptes: « En rassemblant dans l’unité les peuples et les rois, afin qu’ils servent le Seigneur ». Et quand l’Apôtre ajoute, qu’elle lui a répondue, c’est sa louange, c’est la Jérusalem notre mère, qui sera enfin rappelée de son exil, elle qui est féconde, et qui a plus d’enfants que celle qui avait un époux; elle dont les adversaires devaient dire: Elle a été, mais elle n’est plus. « Faites-moi connaître l’exiguïté de mes jours 3 ». Quels sont ces murmures que j’ignore, et que profèrent contre moi ceux qui s’en éloignent? Comment des hommes perdus soutiennent-ils que je suis perdue? Ils publient hardiment que je ne suis plus, et que j’ai été : « Faites-moi connaître le nombre restreint de mes jours ». Je ne vous demande point des jours éternels: ceux-là sont sans fin, et je les obtiendrai ; je ne vous les demande point ; je m’enquiers des jours du temps,

 

1. Gal. IV, 27. — 2. Ps. CI, 23. — 3. Id. 24.

 

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indiquez-moi les jours du temps: « Faites-moi connaître l’exiguïté », et non l’éternité « de mes jours ». Indiquez-moi le temps que je dois passer en cette vie, à cause de ceux qui disent: Elle était, elle n’est plus; à cause de ceux qui disent : Voilà que les Ecritures sont accomplies, les nations ont embrassé la foi, mais l’Eglise est tombée dans l’apostasie, elle a disparu du milieu des nations. Qu’est-ce à dire : « Annoncez-moi l’exiguïté de mes jours ? » Dieu la lui a fait connaître, et cette prière n’est pas vaine. Qui donc me l’a dit, sinon Celui qui est la vie? Commuent l’a- t-il dit? « Voici que je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles 1».

9. Mais ils sont ici, et ils disent: « Je suis avec vous», dit le Sauveur, « jusqu’à la consommation des siècles » ; parce qu’il nous avait en vue, et qu’il savait que le parti de

Donat serait un jour sur la terre. Est-ce bien ce parti qui a dit : « Faites-moi connaître l’exiguïté de mes jours? » Où n’est-ce point plutôt cette Eglise qui parlait plus haut et

qui disait: « Je rassemblerai les peuples et  les rois, qui doivent servir le Seigneur ? »

Pourquoi voire coeur est-il affligé ? Parce que les empereurs proposent des lois contre les hérétiques, et justifient l’oracle, que « les rois s’uniront pour servir le Seigneur? » Ce n’est point vous en effet qui êtes les fils de ces hommes égorgés, dont le Seigneur a exaucé la voix, quand ils étaient dans les entraves. Loin de là. Vos actions ne le disent point, votre vanité, votre orgueil ne vous rendent point ce témoignage : Vous n’avez point la sagesse, et vous êtes au dehors; vous êtes un sel affadi, et foulé aux pieds par les hommes 2. Ecoutez donc ce que dit l’Eglise, et quelle Eglise? Celle qui a rassemblé les « peuples dans l’unité». Quelle Eglise? Celle qui a rassemblé « les rois, afin qu’ils servent le Seigneur ». Ebranlée par vos cris et vos erreurs, elle demande à Dieu qu’il lui. fasse connaître l’exiguïté de ses jours, et elle entend cette parole du Seigneur : « Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles ». A ce propos, c’est de vous qu’il parle, dites-vous, c’est nous qui sommes, et qui serons jusqu’à la consommation des siècles. Qu’on interroge le Christ, à qui il est dit: « Montrez-moi le petit nombre de mes jours. Cet Evangile », nous répond-il, « sera prêché dans l’univers entier, en témoignage

 

1. Matth. XXVIII, 20. — 2. Id. V, 13.

 

à toutes les nations, et alors viendra la fin 1 ». Où est maintenant votre allégation: L’Eglise était, elle n’est plus ? Ecoute le Seigneur, qui annonce cette exiguïté de jours. « Cet Evangile. sera prêché », dit-il. Où? « Dans l’univers entier». A qui? « En témoignage à toutes les nations ». Qu’arrivera-t-il ensuite ? « Ensuite viendra la fin ». Ne vois-tu pas qu’il y a beaucoup de nations encore qui n’ont pas entendu l’Evangile? Donc, puisqu’il faut que soit accomplie la parole du Seigneur, prédisant à l’Eglise la brièveté de ses jours, puisqu’il faut que l’Evangile soit prêché dans toutes les nations, avant la fin; pourquoi dire que l’Eglise a disparu du milieu des nations auxquelles on prêche cet Evangile, afin qu’elle étende son empire sur tous les peuples? Donc, jusqu’à la fin des siècles, l’Eglise subsistera parmi les nations; et si ses jours sont peu nombreux, c’est qu’il y a brièveté dans tout ce qui a une fin, et qu’à cette brièveté doit succéder l’éternité. Que les hérétiques périssent, qu’ils péris. sent dans ce qu’ils sont, afin qu’ils deviennent ce qu’ils ne sont point. Cette brièveté des jours s’étendra jusqu’à la fin des siècles; et si elle s’appelle brièveté, c’est que tout le temps, je ne dis pas depuis ce jour jusqu’à la fin des siècles, mais tout le temps qui s’écoulera depuis Adam jusqu’à. la. fin des siècles, n’est qu’une goutte d’eau en comparaison de l’éternité.

10. Les hérétiques n’ont donc point à s’applaudir contre moi, parce que j’ai parlé de « la brièveté de mes jours », comme si je ne devais point subsister jusqu’à la fin des siècles. Qu’ajoute le Prophète? « Ne me rappelez point au milieu de mes jours 2 ». N’agissez point avec moi, selon les prétentions des hérétiques. Conduisez-moi, non point au milieu de mes jours, mais jusqu’à la fin des siècles, dispensez-moi ces jours rapides, mais de manière à me donner ensuite les jours éternels. Pourquoi donc cette inquiétude au sujet des jours si rapides? Pourquoi? veux-tu l’entendre? « Vos années sont de génération en génération ». Si je vous supplie au sujet de mes jours si restreints, c’est que ces jours, bien. qu’ils doivent durer jusqu’à la fin des siècles, ne sont rien en comparaison de vos jours: « Vos années sont de génération en génération ». Pourquoi ne dit-il pas: Vos années remplissent les siècles des siècles, puisque

 

1. Matth. XXIV, 14.— 2. Ps. CI, 25.

 

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telle est la manière de désigner l’éternité dans les saintes Ecritures; pourquoi dire : « Vos années sont de génération en génération? » Mais quelles sont « vos années», ô mon Dieu? Oui, quelles sont vos années, sinon celles qui ne viennent point, qui ne passent point? Quelles années, sinon celles qui ne viennent point, afin précisément de ne point passer? Tout jour de cette vie ne vient que pour n’être plus; ainsi des heures, ainsi des mois, ainsi des années,rien ne demeure;avant qu’il soit venu, chaque moment n’était pas; est-il une fois venu qu’il n’est déjà plus. Vos années, Seigneur, sont donc des années éternelles, des années qui ne changent point, mais qui seront « de génération en génération ». Il y a une certaine génération des générations, c’est en elle que seront vos années. Quelle est-elle? Elle existe, et si nous la connaissons bien, c’est en elle que nous devons être, et les années de Dieu seront en nous. Comment seront-elles en nous? Comme Dieu lui-même sera en nous selon cette parole : « Afin que Dieu soit tout en tous ». Car les années de Dieu ne sont autres que lui-même: or, ces années sont l’éternité de Dieu ; et l’éternité de Dieu, c’est la substance de Dieu jui n’a rien de changeant; en lui il n’y a rien de ce passé qui ne serait déjà pins, ni de cet avenir qui ne serait point encore, il n’y a en lui rien autre que Il est; il n’y a ni Il fut, ni Il sera; car ce qui fut n’est plus, ce qui sera n’est point encore: mais en Dieu tout Est. C’est avec raison qu’il envoya autrefois son serviteur Moïse avec cette parole. Moïse demanda le nom de celui qui l’envoyait ; il le demanda et l’entendit, car le Seigneur ne frustra point ce désir pieux, qui ne venait point d’une curieuse présomption, mais de la nécessité d’accomplir un ministère. «Que répondrai-je», dit-il, «aux fils d’Israël, s’ils me disent : Qui t’a envoyé vers nous 2? » Et alors s’inclinant vers sa créature, lui Créateur, lui Dieu vers l’homme, lui immortel vers celui qui est mortel, lui éternel vers celui qui est du temps: « Je suis», dit-il, « celui qui suis 3 ». Pour toi, tu dirais C’est moi. Qui? Gaïus; un autre : Lucius; un autre: Marc. Pourrais-tu dire autre chose que ton nom? Voilà ce que Moïse attendait de Dieu, ce qu’il lui avait demandé. Quel est votre nom? Que répondre à ceux qui me demanderont par qui je suis envoyé? « Je suis».

1. I Cor. XV, 28. — 2. Exod. III, 13. — 3. Id. 14.

 

Qui? « Celui qui suis ». Est-ce donc là votre nom ? Est-ce là tout? Et serait-ce là bien votre nom, si tout ce qui existe n’est véritablement pas dès qu’on le compare à vous? Ceci est votre nom, exprimez-le mieux encore : « Allez», dit le Seigneur, « et dites aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous. Je suis celui qui suis; celui qui est m’a envoyé vers vous». « Etre», grandeur ! « Etre », sublime expression! Après cela, qu’est-ce que l’homme ? En face de ce grand « Etre », qu’est-ce que l’homme dans tout son être? Qui comprendra cet «Etre» sublime ? Qui pourra y avoir part? Qui pourra le désirer? y aspirer ? Qui pourra se promettre d’y arriver un jour? Ne désespère point, ô homme, ô faible créature. « Je suis »,dit-il, «le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de  Jacob 1 ». Tu as entendu ce que je suis en moi-même, écoute ce que je suis pour toi. Telle est donc l’éternité qui vous appelle, et le Verbe est sorti de l’éternité. Voilà déjà l’éternité, voilà déjà le Verbe, et le temps n’est-il point encore? Pourquoi le temps n’est-il pas? Parce que le temps même a été fait. Comment le temps a-t-il été fait? « Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 2 » O Verbe, avant le temps ! Verbe, par qui les temps ont été faits! Verbe, qui êtes la vie éternelle, qui appelez à vous les hommes du temps pour leur donner l’éternité ! Telle est la génération des générations: une génération s’en va, une autre génération vient 3. Il en est des hommes comme des feuilles d’un arbre, feuilles de l’olivier, du laurier, ou de tout arbre qui conserve toujours son manteau de verdure. Ainsi la terre porte les hommes, comme un de ces arbres porte des feuilles; elle est couverte d’hommes dont les uns meurent, dont les autres naissent pour leur succéder. L’arbre a toujours sa robe éclatante de verdure; mais vois au-dessous combien de feuilles sèches tu foules aux pieds.

11. Il y eut donc une génération pour Adam, et elle a passé. De là sortirent quelques hommes qui durent avoir part à l’éternité de Dieu, même en ce temps-là. De là sortirent Abel, et Seth, et Enoch 4. Cette génération n passé, puis est tenu le déluge, n’épargnant qu’une famille. Cette génération nouvelle en donna quelques-uns à son tour, comme Noé, ses trois fils et ses trois brus, et dans cette

 

1. Exod. III, 15.—  2. Jean, I, 3.— 3. Eccl. I, 4.— 4. Gen. VI, 17, 18.

 

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famille, composée de huit personnes, il n’y eut qu’un seul pécheur 1: elle s’ajouta à la génération précédente. Des trois fils de Noé, comme des trois mesures de froment de l’Evangile, toute la terre fut ensuite peuplée. Dieu se choisit Abraham, Isaac et Jacob, saints personnages, illustres patriarches, qui plurent au Seigneur. Cette génération en produisit d’autres, qui en donnèrent d’autres à leur tour, les saints Prophètes, les hérauts de Dieu. Est venu enfin Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui a jeté le levain dans ces trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout fût fermenté 2. Lorsqu’il était encore ici- bas, dans sa chair, il y eut des Apôtres, il y eut des saints, et après eux, d’autres saints; et c’est au nom du Christ qu’il y a maintenant des saints, qu’il y en aura après nous, et de même jusqu’à la fin des siècles. Dans tant de générations, vous choisirez, Seigneur, tous les saints de chaque génération, pour en faire une génération unique, Et c’est dans cette génération des générations que subsisteront vos années, c’est-à-dire que votre éternité sera dans cette génération tirée de toutes les autres, et réunie en une seule; celle-là donc participera à votre éternité. Les autres générations ne sont que pour remplir le temps qui enfante cette génération destinée à l’éternité; vous la changerez, Seigneur, et elle aura une vie nouvelle; elle sera capable de vous porter, parce que vous lui en donnerez les forces. « Vos années sont dans la génération des générations ».

12. « Au commencement, Seigneur, vous avez fondé la terre ». Je sais que vous

êtes éternel, et dès lors avant toutes choses: « Au commencement, Seigneur, vous avez  fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de vos mains. Ils périront, mais vous demeurez: tous vieillissent comme un vêtement; vous les changerez comme on change un manteau, et ils seront changés. Mais vous, Seigneur, vous êtes le même 3». Qui êtes-vous? « Celui qui êtes le même », vous qui avez dit: « Je suis celui qui suis, vous êtes le même ». Et bien que les créatures ne puissent exister que de vous, que par vous, et qu’en vous, elles ne sont pas néanmoins ce que vous êtes. « Vous êtes en effet le même, et vos années ne passeront point ». Non, elles ne passeront point, ces années qui vous sont propres,

 

1. Gen. IX, 22. — 2. Matth. XIII, 33. — 3. Ps. CI, 26-28.

 

ces années qui doivent subsister dans la génération des générations. Dans cette conviction, vous demanderais-je quelle est la brièveté de mes jours, si je ne savais que tous les jours d’ici-bas sont courts quand on les compare à votre éternité? Je sais donc ce que je vous demande. Que les hérétiques ne s’élèvent point, comme si l’Eglise, répandue dans l’univers entier, n’avait que peu de jours à vivre. Bien que ces jours doivent se prolonger jusqu’à la fin du monde, ils sont courts néanmoins. Comment courts? Oui, puisqu’ils doivent finir. Quant aux années qui subsisteront « de génération en génération », voilà celles qu’il faut aimer, qu’il faut désirer après lesquelles nous devons soupirer; c’est en vue de ces années que nous devons demeurer dans l’unité, pour les acquérir qu’il faut éviter ce qu’il y a de contagieux dans les hérétiques, pour les posséder qu’il faut répondre à ces pervers, qu’il faut gagner ceux qui sont égarés et rappeler à la vie ceux qui ont péri. Voilà ce qu’il faut désirer. Toutefois, ô mon Dieu, afin que je puisse répondre à ces discoureurs, à ces parleurs impudents, à ces calomniateurs, à ces murmurateurs, à ces détracteurs : « Faites-moi connaître le petit nombre de mes jours »; et « ne me rappelez point au milieu de mes années ». Ne me retirez point de la terre avant que l’Evangile soit prêché dans le monde entier, selon cette promesse du Sauveur: « Il faut que l’Evangile soit prêché dans tout l’univers, afin de servir de témoignage à tous les peuples, et alors viendra la fin 1». Que dirons-nous ici, mes frères?Tout cela est clair, évident. Dieu a fondé la terre, nous le savons, les cieux sont l’oeuvre de ses mains. Ne croyez point toutefois qu’il y ait une différence entre l’oeuvre de ses mains et l’oeuvre de sa parole: celui qui a dit: « Je suis celui qui suis », n’a point de membres corporels, et son Verbe est sa main, car sa main est bien sa force. Parce qu’il est écrit: « Que le firmament soit fait », et il fut fait; nous comprenons que Dieu le fit par son Verbe; mais quand il dit: « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance 2 », il nous semble qu’il le fit de sa main. Ecoute alors : « Les oeuvres de vos « mains sont les cieux e. Voilà qu’il fait par sa parole ce qu’il fait aussi par ses mains, puisqu’il l’a fait par sa puissance , par sa

 

1. Matth. XXIV, 14. — 2. Gen. I, 6, 26.

 

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force. Vois donc ce qu’il a fait, et ne t’enquiers ! point de la manière dont il l’a fait. C’est trop pour toi de vouloir comprendre comment il l’a fait, puisqu’il t’a fait de telle sorte que tu sois d’abord son serviteur, afin de pouvoir être ensuite son ami intelligent. « Donc les cieux sont l’oeuvre de vos mains».

13. « Ils périront, mais vous demeurez 1 ». L’apôtre saint Pierre nous dit clairement:

« Les cieux furent d’abord tirés de l’eau et appuyés sur l’eau, par le Verbe de Dieu; c’est lui qui a créé ce monde qui périt par le déluge; mais les cieux et la terre qui subsistent maintenant, sont réservés au feu e par ce même Verbe 2 ». Il nous enseigne donc que les cieux ont péri par le déluge; ils périrent dans l’étendue et l’espace de cet air que nous respirons. L’eau s’accrut, et remplit tout l’espace d’air où voltigent les oiseaux; ainsi périrent les cieux rapprochés de la terre, et dont on dit les oiseaux du ciel. Mais il y a des cieux bien supérieurs dans le firmament: périront-ils par le feu, ou bien n’y aura t-il que ces mêmes cieux qui ont déjà péri par le déluge? C’est là une question épineuse parmi les savants, et qu’il n’est pas facile de trancher dans le peu de temps qui nous reste. Laissons-la donc, ou du moins différons-la pour un autre moment, mais sachons que tout cela périra, et que Dieu demeure. Si quelques-unes des créatures du Seigneur doivent demeurer avec lui, ce n’est point en elles-mêmes qu’elles peuvent demeurer, mais bien en Dieu, en ne se retirant point de Dieu. Quoi donc, mes frères? Dirons-nous que les anges doivent périr par le feu qui consumera le monde? nullement. Quoi donc? que Dieu n’a pas fait les anges? Loin de nous. Que dire alors ? D’où viendraient-ils, s’ils n’eussent été faits par lui? « Il a dit, et j tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé 3 ». Ainsi dit le Prophète à propos des oeuvres de Dieu, parmi lesquelles sont comptés les anges. Les anges donc seront avec Dieu lorsque le monde sera réduit par le feu:

et le monde passera par un embrasement qui n’atteindra point les saints de Dieu. Ce que fut la fournaise pour les trois jeunes hébreux 4, voilà ce que sera l’embrasement du monde pour les justes marqués au sceau de la Trinité.

14. Ce n’est point nous tromper peut-être

 

1. Ps. CI, 27.— 2. II Pier. III, 5-7.— 3. Ps. XXXII, 9.— 4. Dan, III, 21.

 

que d’entendre par les cieux les justes eux-mêmes, les saints de Dieu, qu’il choisit pour sa demeure, afin de faire gronder le tonnerre de ses préceptes, et briller l’éclair de ses miracles et pleuvoir la sagesse de sa vérité; Les cieux en effet ont raconté la gloire de Dieu 1. Mais ces cieux périront-ils? Ou doivent-ils périr en quelque sens? En quelle manière doivent-ils périr? A la manière d’un vêtement. Qu’est-ce à dire, à la manière d’un vêtement? Dans ce qu’ils ont de corporel; car le corps est le vêtement de l’âme, comme il résulte de l’expression de Jésus-Christ, quand il dit: « L’âme n’est-elle point plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement 2? » Comment donc périt un vêtement? « Quoique l’homme extérieur doive se corrompre en nous, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour 3». Ils périront donc, mais seulement selon le corps : « pour vous, Seigneur, vous demeurez ». Si donc ils doivent périr selon le corps, où est la résurrection de la chair? Que deviendra pour les membres l’exemple donné par le chef? Où sera-t-il? Veux-tu l’entendre? La chair sera changée; elle ne demeurera point ce qu’elle était. Ecoute un mot de l’Apôtre: « Les morts ressusciteront dans l’incorruptibilité, et nous serons changés ». Comment serons-nous changés? « On sème un corps animal, et il ressuscitera corps spirituel 4». Donc ce que l’on sème de mortel, ressuscitera immortel; ce que l’on sème de corruptible, ressuscitera incorruptible. Attendons ainsi ce changement: les cieux alors doivent périr, les cieux doivent être changés. Mais peut-être n’est-il pas juste d’appeler cieux les corps des saints? S’ils ne portent pas Dieu, qu’ils ne soient point appelés des cieux. Mais, dira-t-on, comment prouver qu’ils doivent porter Dieu? As-tu donc oublié ce mot de saint Paul : « Glorifiez Dieu, et portez-le dans votre corps 5? » Ces cieux donc doivent périr, mais non éternellement, périr afin d’être changés. N’est-ce point là ce que dit le psaume? Lis la suite : « Et tous vieilliront comme un vêtement, vous les changerez comme un manteau, et ils seront changés pour vous, vous êtes le même, et vos années ne périront point 6 ». Entends-tu ce vêtement, entends-tu ce manteau, qui ne

 

1. Ps. XVIII, 2.— 2. Matth. VI, 25.— 3. II Cor, IV, 16.— 4. I Cor. XV, 4, 52. — 5. Id, VI, 20.— 6. Ps. CI, 27, 28.

 

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signifie rien autre que le corps? Espérons donc le changement de notre corps, mais ne l’espérons que de Celui qui était avant nous, qui demeure après nous; de qui nous tenons ce que nous sommes, et à qui nous devons revenir après notre changement; qui change tout sans subir de changement, qui crée et qui est incréé ; qui donne le mouvement et qui demeure; qui dit autant que la chair et le sang peuvent le comprendre : « Je suis celui qui suis 1. Vous êtes le même Seigneur, et vos années ne périront point». Mais en face de ces années immuables, qui sommes-nous avec des années en lambeaux? Et toutefois ne désespérons point. Déjà dans cette hauteur, dans cette suréminence de la sagesse. Il avait dit : « Je suis celui qui suis», et néanmoins, pour nous consoler, il ajoute: « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », et nous sommes de la race d’Abraham 2; quelle que soit notre objection, quoi que nous soyons cendre et poussière, nous espérons en lui. Nous sommes esclaves, il est vrai; mais pour nous, le Seigneur a pris la forme de l’esclave 3 pour nous, chétifs mortels, l’immortel a voulu mourir, pour nous il a donné en lui-même un témoignage de notre résurrection. Espérons dès lors que nous arriverons à ces aunées qui demeurent, et dont le soleil ne mesure point les jours, mais où demeure stable tout ce qui est, parce qu’il n’y a que cela qui soit véritablement.

15. Mais dites-nous, ô Prophète, si nous pouvons espérer d’y être un jour. Ecoute, et vois s’il te faut désespérer; écoute ces paroles : « C’est là qu’habiteront les fils de vos serviteurs ». Où, sinon dans les années qui n’ont point de fin? « C’est là qu’habiteront les fils de vos serviteurs, et leur postérité sera dirigée vers le siècle 4 » : oui, vers le siècle du siècle, vers le siècle sans fin, vers le siècle qui demeure stable. Mais, c’est le sort « des fils de vos serviteurs », dit le Prophète, et dès lors nous faudra-t-il redouter qu’après avoir servi le Seigneur, nous n’habitions point ces années éternelles, et qu’il n’y ait que nos enfants? Ou si nous sommes les fils des serviteurs de Dieu, parce que nous sommes les fils des Apôtres, que dire? Des enfants nouvellement nés, naguère admis dans une succession qui les honore, auraient-ils donc

 

1. Exod III, 14 — 2. Gal. III, 29 — 3. Philipp. II, 7 — 4. Ps. CI, 29

 

la scandaleuse audace de dire: C’est nous qui devons y être, les Apôtres n’y seront point? Dieu préserve de ce malheur, et la piété des fils, et la foi des enfants, et l’intelligence des plus grands. Là aussi seront les Apôtres; les béliers ouvriront la marche, puis viendront les agneaux. Pourquoi dire alors: « Le fils de vos serviteurs »,et ne pas dire aussitôt,vos serviteurs? Car eux aussi sont vos serviteurs, et leurs fils vos serviteurs; et les fils de leurs enfants, que seront-ils, sinon encore des serviteurs? On comprendrait tout cela en un seul mot, si le Psalmiste nous disait : C’est là qu’habiteront vos serviteurs : on comprendrait en un seul mot» Voyons ce que figure son langage; dans les premiers siècles il y a des faits. Pendant quarante années, les enfants d’Israël furent brisés dans le désert nul n’entra dans la terre promise à l’exception de leurs enfants. Deux seulement, sue ne me trompe, entrèrent dans cette terre, pas plus 1. De tant de milliers d’hommes, deux seulement purent y entrer. C’était pour eux seuls que Dieu avait pris tant de peine, quoique pour Dieu il n’y ait aucune peine, seulement la peine est pour ses serviteurs. Combien souffrit Moïse pour ces hommes; combien il entendit menacer de n’entrer point dans la terre des promesses! Ce furent leurs enfants qui y entrèrent. Quel est le sens de cette figure? Ce furent les hommes nouveaux qui y entrèrent, non ceux qui tenaient du vieil homme. Toutefois deux y entrèrent, un et l’unité, la tête et le corps, le Christ et l’Eglise, avec toute cette jeunesse renouvelée, ou leurs enfants. Donc, c’est là qu’ « habiteront les fils de tes serviteurs ». Et ces fils de tes serviteurs sans les oeuvres de tes serviteurs, car nul ne peut y résider que par ses oeuvres. Qu’est-ce à dire, les fils l’habiteront ? Que nul ne se flatte d’y habiter, s’il se dit seulement serviteur, sans en faire seulement les oeuvres ; car il n’y aura que les fils pour y habiter? Qu’est-ce à dire, « les fils de vos serviteurs y habiteront? » Vos serviteurs y habiteront par leurs bonnes oeuvres, y habiteront par leurs enfants. Ne sois donc point stérile, si tu veux habiter les années éternelles; envoie devant toi tes enfants, afin de les suivre ; envoyez-les-y, ne les en faites pas sortir. Que tes enfants te conduisent à la terre des promesses, à la terre des vivants, et non à la terre des mourants. Pendant que tu

 

1. Nomb. XIV, 29, 30.

 

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accomplis ton pèlerinage, qu’ils te précèdent pour te recevoir. C’était pour préparer à son père la nourriture du corps que le fils de Jacob le précéda en Egypte, et qu’il dit à son père et à ses frères: « Je suis venu avant vous pour vous préparer des vivres 1». Que tes enfants donc, ou plutôt que tes bonnes oeuvres te précèdent ; tels vous aurez envoyé ces enfants, tels vous les suivrez.

 

1. Gen. XLV, 7.

 

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