|
|
DISCOURS SUR LE PSAUME CVI.LES ÉTAPES DE LÂME CHRÉTIENNE.
Le titre du psaume Alleluia doit être toujours soit en notre bouche soit en notre coeur, et la confession qui en est le refrain doit avoir pour objet la divine miséricorde qui nous donne la vie durable des anges. Le peuple dIsraël ne doit point seul chanter ce cantique; il est le chant de tous ceux que Dieu a rachetés de la puissance de leurs ennemis, et quil a rassemblés de toutes les nations en les faisant passer par la mer Rouge du baptême, qui engloutit nos péchés. Quatre fois en effet nous y trouvons la recommandation de confesser la louange de Dieu , ce qui désigne les quatre étapes de lâme se dirigeant vers le Seigneur, et dès lors les quatre épreuves. La première est celle de lerreur et de la faim; lhomme ne sait où il doit aller, et il est affamé de vérité. La seconde est la difficulté de faire le bien, et Dieu nous en délivre en brisant les chaînes de nos passions. La troisième est celle de lennui ou du dégoût de la parole de Dieu. La quatrième est celle du gouvernement des âmes; épreuve des princes de lEglise, tandis que les autres Sont communes aux fidèles. Ainsi, dans la première épreuve, les Hébreux, qui figuraient les chrétiens, furent affamés, errants dans le désert; ils invoquèrent le Seigneur qui les délivra, les mit sur le chemin droit. Mais sur ce chemin du bien lâme éprouve la difficulté de le faire, car la connaissance du précepte multiplie le péché; quelle crie vers le Seigneur qui brisera ses fers. Vient alors le dégoût dont le Seigneur guérit son peuple en lui envoyant son Verbe, et ils publièrent ses oeuvres dans une sainte joie. La quatrième est un danger pour ceux qui sont dans la barque, trafiquant sur les grandes eaux, et pour ceux qui la conduisent. Tous doivent en appeler au Seigneur. Mais la tempête durera jusquà la fin des siècles. Combats au dehors, craintes an dedans, voilà le chrétien. Le Seigneur seul peut commander à lorage; et dès lors ne mettons point notre confiance eu nous-mêmes. Le peuple Juif fut arrogant et Dieu lui retira la prophétie , le sacerdoce , etc. Ainsi en est-il des hérétiques se séparant de lunité ; leurs princes sont frappés danathème, tandis que leurs questions insidieuses servent à manifester la vérité. Le vrai sage comprendra tout cela, mettra sa confiance dans le Seigneur et non dans ses propres mérites.
1. Ce psaume nous met en relief les divines miséricordes que nous avons éprouvées, et que dès lors cette expérience nous a rendues plus chères. Je métonnerais même, sil pouvait plaire à dautres quà ceux qui ont éprouvé ce que le Prophète y raconte. Toutefois, il nest écrit ni pour un homme, ni pour deux hommes, mais pour tout le peuple de Dieu, qui doit sy contempler comme dans un miroir. Nous navons pas à traiter ici du titre qui est Alleluia, et encore une fois Alleluia. Cest notre cantique habituel, en certains jours de nos solennités, selon lantique usage de lEglise, et ce nest pas sans mystère que nous le chantons en certaines occasions. Il est en effet des jours où nous chantons Alleluia, mais nous y pensons tous les jours de notre vie. Ce mot veut dire, en effet, louange à Dieu, et sil nest toujours dans la bouche du corps, il est au moins dans la bouche du coeur : « Toujours sa louange est en ma bouche 1 ». La répétition de lAlleluia, dans le titre, nest point particulière à ce psaume; nous la trouvons aussi dans le psaume précédent. Et autant que lon peut en juger par le texte, lun est le chant du peuple dIsraël, et lautre est le chant de
1. Ps. XXXIII, 2.
toute lEglise de Dieu répandue dans toute la terre. Car ce nest probablement pas sans raison quil y a ici un double Alleluia, de même que nous disons: «Abba, Pater», quand Abba na dautre sens que Pater, et pourtant ce nest pas en vain que lApôtre a dit : « Cest en lui que nous crions : Abba, Pater; Père, « Père 1 »; cest peut-être parce que lune des murailles qui vient à la pierre angulaire crie : Abba, et que lautre, qui vient dune direction différente, crie : Pater, et cest en cette pierre angulaire, qui est notre paix, que Dieu na fait quun seul peuple 2. Voyons donc les avis que lon nous donne ici, et nos motifs de joie, et nos motifs de gémissements, et nos motifs dimplorer du secours, ce qui porte Dieu à nous abandonner, et ce qui le porte à nous secourir, ce que nous sommes par nous-mêmes, ce que nous sommes par la divine miséricorde , et comment notre orgueil peut être dompté, afin quensuite la grâce nous glorifie. Que chacun cherche en lui-même, sil est possible, ce que je vais dire, car je parle à des hommes qui marchent dans la voie de Dieu, et qui sont avancés dans la voie spirituelle. Si donc il en est qui, pour ce motif, comprennent peu mes paroles,
1. Rom. VIII, 5. Ephés. II, 14, 20.
575
quils reconnaissent leur faiblesse , et se hâtent darriver à me comprendre. Jespère néanmoins que Dieu soutiendra mes efforts, de manière que mes paroles deviennent intelligibles pour tous, tant pour ceux qui ont lexpérience que pour ceux qui ne lont point, de sorte que je stimulerai lapprobation des premiers, le désir des seconds, et que tous suivront avec intérêt mon discours. Tout dabord, si je suis dans le vrai, ce discours sera agréable au Seigneur; et je dirai vrai, si je parle de lui-même, et non de moi. Ainsi commence le psaume. 2. « Confessez au Seigneur quil est doux, et que sa miséricorde est éternelle 1 ». Voilà ce quil faut confesser, cest que le Seigneur est doux : confessez-le, si vous lavez goûté. Mais quiconque na point voulu léprouver ne saurait le confesser. Comment appeler doux ce que lon ne connaît pas? Mais vous, si vous avez goûté combien le Seigneur est doux 2, « Confessez au Seigneur quil est doux ». Si vous lavez goûté avidement, que cette confession soit comme une exhalaison dans votre bouche. « Sa miséricorde est pour le siècle », cest-à-dire éternelle. Cette expression, en effet: In saeculum, est mise ici, parce que dans lEcriture: In saeculum, en grec eis aiona, signifie éternellement. Car la divine miséricorde nest pas pour un temps, mais pour léternité; cette miséricorde ne se répand sur les hommes quafin de leur donner la vie éternelle des anges. 3. « Quils parlent, ceux qua rachetés le Seigneur 3 ». On peut croire, il est vrai, que le peuple dIsraël a été racheté de lEgypte, de la puissance de lesclavage, des travaux inutiles pour lui, travaux de briques; voyons néanmoins si cest lIsraël délivré de lEgypte par le Seigneur, qui doit chanter ce cantique. Il nen est pas ainsi. Qui donc doit le chanter? « ceux que Dieu a rachetés de la main des ennemis ». A la rigueur on pourrait encore les considérer comme rachetés de la puissance de leurs ennemis, ou des Egyptiens. Que le psaume nous marque lui-même avec précision à qui appartient ce cantique. « Il les a rassemblés de toutes les régions ». On peut encore dire des régions de lEgypte, car il y avait plusieurs régions dans une seule province. Que le Psalmiste nous dise alors plus clairement: « De lOrient et de lOccident, de
1. Ps. CVI, 1. 2. I Pierre, II, 3. 3. Ps. CVI, 2.
lAquilon et de la mer 1». Nous comprenons déjà que ces peuples délivrés subsistent dans lunivers entier. Tel est vraiment le peuple de Dieu délivré des vastes régions de lEgypte, et conduit comme à travers la mer Rouge 2, pour mettre fin à ses ennemis dans le baptême. Car la mer Rouge nest quune figure, et nos péchés, qui nous poursuivent comme les Egyptiens, sont noyés dans le baptême que consacre le sang du Christ; et au sortir de ces eaux nul des ennemis qui topprimaient ne demeure en vie. Que ceux-là donc chantent notre psaume : et pour nous, mes frères, puisque tel est le peuple de Dieu que lon conduit, écoutons ce que lon fait dans cette assemblée rachetée par le Christ. Toutefois ce que lon chante ici narrive pas en même temps dans tous ceux qui croient, mais simplement dans chaque particulier: mais il en était autrement du peuple dautrefois. Ce peuple, en effet, cette nation tout entière, issue dAbraham selon la chair, toute cette nombreuse maison dIsraël fut tirée de lEgypte une fois, conduite une fois à travers la mer Rouge, et mise une fois en possession de la terre promise; car ils étaient tous ensemble au milieu de ces événements : « Or, ces événements étaient pour eux des figures, ils ont été consignés pour nous servir dinstructions à nous qui vivons à la fin des temps 3». Pour nous, ce nest point tous ensemble, mais peu à peu et chacun en particulier, que la foi nous réunit en une même cité, en un même peuple de Dieu. Et toutefois ce qui est marqué dans ce psaume arrive en chacun de nous, et en même temps dans le peuple, car le peuple est composé des particuliers, et non les particuliers formés du peuple. Un homme est-il, en effet, composé dun peuple? tandis quun peuple se compose dhommes en particulier. O toi donc, qui que tu sois, qui reconnais en toi ce que je vais dire, qui las éprouvé, ne demeure pas en toi-même et ne timagine pas être le seul pour éprouver tout cela, mais sois convaincu quil en est de même pour tous, ou du moins peu sen faut, pour tous ceux qui viennent sunir à ce peuple, et qui sont rachetés des mains de leurs ennemis, par le sang précieux du Christ. 4. Ce psaume en effet va répéter continuellement ce que nous avons chanté tout à lheure: « Quils confessent au Seigneur ses
1. Ps. CVI, 3. 2. Exod. XIV, 12. 3. I Cor. X, 11.
576
miséricordes, et ses merveilles pour les enfants des hommes». Autant que jai pu le voir, et que vous le pouvez vous-mêmes, ces versets sont répétés quatre fois, et ce nombre, autant que Dieu me la fait comprendre, désigne quatre tentations, dont nous sommes délivrés par celui que chantent ses miséricordes. Donnez-moi, en effet, un homme tout dabord peu soucieux de rien, vivant selon le vieil homme dans une sécurité trompeuse, persuadé quil ny a plus rien après cette vie qui doit finir, un homme négligent et paresseux, dont le coeur est absorbé dans les délices du monde et dans lassoupissement, dans les plaisirs empoisonnés : pour que cet houa me se réveille et devienne soucieux de la grâce de Dieu, afin quil sorte de son assoupissement, ne faut-il pas que la main de Dieu vienne le secouer? Toutefois il ne sait encore qui la réveillé. Mais il commence à être à Dieu, dès quil connaît la foi véritable. Néanmoins, avant de la connaître, il déplore son erreur. Il reconnaît ses égarements, il veut connaître la vérité, il frappe où il peut, tente ce quil peut, erre où il peut, pressé quil est par la faim de la vérité. La première épreuve de lhomme est donc celle de lerreur et de la faim. Lorsque fatigué de cette épreuve il crie vers Dieu, il est conduit à la voie de la vérité, doù il peut arriver à la cité du repos, il est donc amené au Christ, qui a dit: « Je suis la voie 1 ». 5. Quand lhomme en est là, quand il sait déjà ce quil doit observer dans sa conduite, parfois il compte beaucoup sur lui-même, et, présumant de ses forces, il se prend à vouloir combattre ses péchés, et son orgueil entraîne sa défaite. Il se trouve donc lié par les chaînes de ses passions, qui entravent sa marche et larrêtent dans la voie: il se sent resserré par ses propres vices; limpossibilité le retient comme une muraille dont toute issue est close, et doù il ne peut séchapper pour vivre saintement. Il sait comment il doit vivre : car il était naguère dans lerreur ayant faim de la vérité : le pain de la vérité il la reçu, et il a été placé sur la voie; il entend: Vis bien à lavenir, comme tu le fais, car auparavant tu ne connaissais pas la vie sainte; agis maintenant que lu las apprise. Il essaie, mais vains efforts ! Il se sent garrotté, et pousse des cris vers le Seigneur. La seconde épreuve lui vient
1. Jean, XIV, 6.
donc de la difficulté de faire le bien, comme la première est celle de lerreur et de la faim. Ici encore lâme pousse des cris vers le Seigneur, et le Seigneur la délivre de ses entraves; il brise les liens qui la retiennent, il la met en état de faire le bien. Ce qui lui était difficile auparavant, lui devient facile: sabstenir du mal, éviter ladultère, ne commettre ni vol, ni homicide, ni sacrilège, ne désirer plus le bien dautrui, toutes choses autrefois difficiles, sont faciles aujourdhui. Dieu pouvait nous faire arriver là sans peine, mais si nous y étions arrivés sans peine, nous naurions point de reconnaissance pour lauteur dun si grand don. Si lhomme se trouvait en cet état dès son premier désir, sil ne sentait la révolte des passions, si lâme nétait brisée sous le poids de ses chaînes; il en viendrait à nattribuer quà ses propres forces le bien dont il se croirait capable, et ne confesserait point devant le Seigneur ses miséricordes. 6. Après ces deux épreuves, lune de lerreur et de la disette de la vérité, lautre de la difficulté de faire le bien, il en survient pour lhomme une troisième: je madresse à celui qui a déjà surmonté les deux premières, lesquelles sont,je lavoue ,communes à beaucoup. Qui ne sait quil a passé de lignorance à la connaissance de la vérité, de lerreur à la bonne voie, de la faim de la sagesse à la parole de la foi? De même, il en est beaucoup qui sont aux prises avec les difficultés de leurs vices, qui sont garrottés par les habitudes, et gémissent dans leurs entraves comme dans les fers. Ils connaissent donc cette épreuve, bien quils disent déjà, si tant est quils le disent : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort 1 ? » Vois en effet ces liens si resserrés : « La chair », dit lApôtre, « conspire contre lesprit, et lesprit contre la chair, de sorte que vous ne faites point ce que vous voulez 2». Celui-là dès lors qui est soutenu par lesprit ail point de nêtre plus adultère parce, quil na point voulu lêtre, ni voleur, parce quil na point voulu lêtre, et ainsi des autres vices que les hommes voudraient surmonter, et qui les surmontent bien souvent, de manière que les hommes crient vers le Seigneur, le supplient de les délivrer des angoisses où ils se trouvent, en sorte quune fois délivrés, ils confessent au Seigneur ses miséricordes; quiconque, dis-je,
1. Rom. VII, 24. 2. Gal. V, 17.
577
est parvenu à vaincre ces difficultés, et à vivre parmi les hommes dune manière irréprochable, celui-là arrive à la troisième épreuve, qui est lennui de demeurer longtemps en cette vie, de manière à ne goûter aucun plaisir, pas même dans la prière. Cette troisième épreuve est donc contraire à la première: dans lune, cétait la faim ; dans lautre, cest le dégoût. Doù vient ce dégoût, sinon dune certaine langueur de lâme? Sans avoir de linclination pour ladultère, on ne trouve aucun goût dans la parole de Dieu. Après avoir échappé au danger de lignorance et de la convoitise, garde-toi de la plaie de lennui et du dégoût. Ce nest point là une légère épreuve: sache te reconnaître dans ce danger, et crier vers le Seigneur, afin quil te délivre de tous tes dangers;et une fois que tu seras sorti de ces entraves, que ses miséricordes le confessent à jamais. 7. Une fois délivré de lerreur, délivré de la difficulté de faire le bien, délivré de lennui et du dégoût de la parole de Dieu, peut-être alors seras-tu digne aux yeux de Dieu, qui voudra bien te confier son peuple, te placer au gouvernail de sa barque, et te donner la conduite dune Eglise. Telle est la quatrième épreuve. Les flots de la mer, qui viennent battre lEglise, bouleversent le pilote. Tout homme pieux dans le peuple de Dieu peut subir les trois autres épreuves : la quatrième est plus spécialement la nôtre, Plus nous sommes en honneur, plus nous sommes en péril, On peut craindre pour chacun de vous que lerreur ne le détourne de la vérité; on peut craindre quil ne succombe à ses passions, et quil ne préfère leur obéir plulôt que den appeler au Seigneur dans ses dangers; on peut craindre quil ne prenne à dégoût la parole de Dieu, et que ce dégoût ne lui donne la mort: mais lépreuve du gouvernement est une épreuve dangereuse dans la direction dune Eglise, et qui nous regarde principalement. Et vous, comment seriez-vous étrangers au péril qui menacerait lEglise ? Je fais cette question afin que dans cette quatrième tentation, qui semble nous être plus particulière, et qui demande néanmoins de continuelles prières de votre part, puisque vous seriez les premiers exposés au naufrage, vous ne soyez point sans inquiétudes, et que vous ne ralentissiez point vos prières pour nous. Pour nêtre point assis avec nous au gouvernail, en êtes-vous moins dans le même navire? 8. Après ces quatre épreuves, après ces quatre cris vers Dieu, après ces quatre délivrances, après ces quatre confessions des divines miséricordes, le psaume traite en général de lEglise dans la suite des siècles, afin de vous faire comprendre de quelle Eglise il parlait au commencement. Le Prophète en parle de manière à nous révéler partout la miséricorde de Dieu, « qui résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles 1»; parce quil est venu précisément « afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles 2; car tonte vallée sera comblée, toute montagne et toute colline sera abaissée 3 ». Après avoir parlé de lEglise, le Prophète nous tient un langage que lon peut appliquer même aux hérétiques, qui font à cette Eglise comme une guerre civile, Ainsi finit le psaume que jai exposé dune manière plus courte sars doute que vous ne lattendiez. Et il me semble que je lai tellement expliqué, nonobstant sa longueur, que si vous retenez ce que jai dit, mon rôle sera plutôt celui de lecteur que celui de commentateur. Vous avez sans doute mes paroles devant les yeux, mais reprenons-les succinctement afin de les mieux graver. La première épreuve est celle de lerreur, d,e la faim de la vérité; la seconde est la difficulté de vaincre ses passions; la troisième celle de lennui et du dégoût; la quatrième est la tempête qui menace du périt ceux qu gouvernent lEglise : et dans toutes ces épreuves, on crie vers Dieu, Dieu délivre, et lon chante ses miséricordes. A la fin, le Prophète nous parle de lEglise, qui est sauvée par la grâce de notre Dieu, et non par ses propres mérites; il nous montre ses ennemis châtiés de leur orgueil, et lEglise sélevant sur leurs ruines; il signale chez les hérétiques les piéges qui nous enlèvent quelques fidèles, et nous font essuyer des pertes en quelque sorte domestiques, les biens que Dieu en a tirés en faveur de son Eglise; puis vient la conclusion du psaume. Ecoutez-en la lecture plutôt que lexplication. 9. « Quils parlent, ceux que le Seigneur a rachetés, quil a délivrés de la puissance de leurs ennemis, quil a rassemblés des pays lointains, de lOrient et de lOccident, de
1. Jacques, IV, 6. 2. Jean, IX, 32. 3. Isa. XL, 4.
578
lAquilon et de la mer ». Que tel soit donc le cantique des chrétiens, rassemblés de lunivers entier, « Ils ont erré dans le désert, dans les lieux arides, sans trouver le chemin dune habitation ». Telle est lépreuve dun douloureux égarement: que va-t-il dire de lindigence? « Ils souffrirent de la faim et de la soif, leur âme est tombée en défaillance 1». Mais doù vient cette défaillance? Quel bien Dieu voulait-il en tirer? Car Dieu nest point cruel; mais il se montre, ce qui est un bien pour nous, afin que nous linvoquions dans nos défaillances, et que nous laimions quand il nous soutient. De là vient, quaprès ces égarements, après cette faim et cette soif, « les Hébreux crièrent vers le Seigneur dans leurs tribulations, et il les délivra de leurs misères ». Que fit-il en faveur de ceux qui étaient égarés? « Il les conduisit dans la voie droite ». Ils ne trouvaient le chemin daucune ville quils pussent habiter, haletants de faim et de soif, ils tombaient en défaillance alors « il les conduisit dans la voie droite, afin quils arrivassent à la ville quils devaient habiter ». Le Prophète ne dit pas encore comment Dieu subvint à leur faim et à leur soif, mais attendez quelque peu. «Quils confessent au Seigneur ses miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ». Vous qui avez éprouvé ses bontés, dites-les à ceux qui ne les ont pas éprouvées. Vous qui êtes sur la voie, qui vous dirigez vers la cité que vous devez habiter, vous qui avez échappé à la faim et à la soif, confessez « que le Seigneur a rassasié lâme affaiblie, quil e a rempli de biens lâme affamée 2 ». 10. Que ta vie soit donc sainte, maintenant que tu es sur la voie, que tu as entendu ce quil te faut faire et espérer. Où peuvent aboutir vos efforts toujours vaincus ? « Ils étaient assis dans les ténèbres et à lombre de la mort, accablés de chaînes et de misères 3 ». Pourquoi cette misère, sinon parce que tu tattribuais tes mérites sans reconnaître la grâce de Dieu, parce que tu rejetais ses desseins sur toi? Vois en effet ce quajoute le Prophète: « Parce quils aigrirent la parole du Seigneur ». Parce que, dans leur orgueil et dans leur ignorance de la justice de Dieu., ils sefforcèrent détablir la leur 4; « Ils méprisèrent le conseil du Tout-Puissant, et leur coeur fut abattu dans leurs travaux 5 ». Et
1. Ps. CIV, 4, 5. 2. Id. 6-9. 3. Id. 10. 4. Rom. X, 3. 5. Ps. CVI, 11, 12.
maintenant livre bataille à tes convoitises. Sans le secours de Dieu, tu pourras faire des efforts, tu ne saurais vaincre. Et quand tu gémiras sous le poids de tes habitudes dépravées, ton coeur sera humilié dans le labeur; en sorte que dans cette humiliation de coeur tu apprendras à crier: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort 1? Leur coeur dès lors a été humilié dans les travaux; ils se sont affaiblis et nul ne les secourait ». Que faire alors, sinon ce qui eut lieu? « Si la loi, qui fut donnée, eût pu nous communiquer la vie, assurément la justice viendrait de la loi. Mais lEcriture a tout renfermé sous le péché, afin que la promesse du Seigneur saccomplît par la foi en Jésus-Christ, à légard de ceux qui croiront 2. Mais « la loi est entrée, en sorte que le péché sest multiplié 3». Tu as donc reçu la parole divine, tu as reçu le précepte, et tu ne cesses point de commettre le mai que tu faisais auparavant ; la connaissance du précepte multiplie chez toi le péché par la prévarication. Orgueilleux, si tu tignorais alors, maintenant que tu es humilié, apprends à te connaître; tu crieras vers Dieu, et il te délivrera de ta détresse, et une fois délivré, tu confesseras ses miséricordes. « Au fort de leur affliction, ils crièrent vers le Seigneur, qui les délivra de leurs peines 4 ». Les voilà donc délivrés de la seconde épreuve, et il reste celle de lennui et du dégoût. Mais dabord, voyons ce quil fit pour ces âmes quil avait délivrées : « Il les fit sortir des ténèbres et de lombre de la mort, et brisa leurs chaînes. Quils confessent au Seigneur ses miséricordes,et ses merveilles envers les enfants des hommes». Pourquoi ? Quelles difficultés a-t-il surmontées ? « Il a rompu les portes dairain, il a brisé les barres de fer. Il les a recueillis de la voie de leurs iniquités, car leurs iniquités les ont fait humilier 5 ». Ils sattribuaient leurs bonnes oeuvres, et non à Dieu ; dans leur ignorance de la justice de Dieu, ils établissaient leur propre justice 6, et ils furent humiliés. Après avoir présumé de leurs propres forces, ils comprirent quils ne pouvaient rien sans le secours du Seigneur. 11. Mais quelle autre épreuve nous reste? « Leur âme eut horreur de toute nourriture ». Voilà maintenant le dégoût; dégoût
1. Rom. VII, 24. 2. Gal. III, 21, 22. 3. Rom. V, 20. 4. Ps. CVI, 13. 5. Id. 14 - 17. 6. Rom. X, 3.
579
qui les fait languir, dégoût qui les met en danger, à moins dimaginer que la faim peut faire mourir, et non le dégoût. Ecoute ce quajoute le Prophète après quil a dit: « Leur âme eut horreur de toute nourriture » ; de peur quon ne vienne à croire quune fois rassasiés ils étaient dans la sécurité, au lieu de voir que le dégoût les conduisait à la mort: « Et ils arrivèrent aux portes de la mort 1 », dit le Prophète. Que reste-t-il donc à faire? A ne pas tattribuer à toi-même le goût que tu peux avoir pour la parole de Dieu, à nen concevoir aucune arrogance, et dans ton avidité pour la sainte nourriture, ne va point télancer au-dessus de quiconque est mis en danger par le dégoût. Comprends bien aussi que cette disposition est un don, et quelle ne vient pas de toi. « Quas-tu, que tu naies point reçu 2 ? » Comprends donc ceci, et quand cette faiblesse, cette langueur te mettra en péril, accomplis ce qui suit : « Dans leur tribulation ils en appelèrent au Seigneur, qui les délivra de leurs misères ». Et comme leffet de cette langueur était de ne goûter aucune joie: « Dieu envoya son Verbe qui les guérit 3 ». Mesure le mal causé par le dégoût; vois de quel abîme les délivre Celui que lon invoque dans cet ennui. «Il envoya son Verbe qui les guérit, qui les délivra ». De quoi? non plus de lerreur, non plus de la faim, non plus de la difficulté de vaincre leurs péchés, mais « de leur corruption ». I! y a corruption de lâme, à repousser ce qui est doux. Donc, à propos de ce bienfait,comme à propos des autres: « Quils confessent au Seigneur ses miséricordes et ses merveilles envers les enfants des hommes. Quils offrent un sacrifice de louanges 4 ». Déjà le Seigneur leur paraît doux et louable. « Quils publient ses oeuvres avec joie e: non point avec ennui, non point avec chagrin, non plus avec inquiétude, non plus avec dégoût, mais avec joie». 12. Il reste la quatrième épreuve qui nous met tous en péril. Car nous sommes tous dans le vaisseau, les uns pour y travailler, les autres pour y être portés; et tous néanmoins trouvent un danger dans la tempête, et le salut au port. Voici en effet ce que dit le Prophète après tout cela : « Ceux qui descendent la mer sur des navires, qui trafiquent sur les grandes eaux 5 »: cest-à-dire, parmi les
1. Ps. CVI, 18. 2. I Cor. IV, 7. 3. Ps. CVI, 19, 20. 4. Id. 21-22. 5 Ps. CVI, 23.
peuples nombreux. Car les eaux se prennent souvent pour les peuples : ainsi dans lApocalypse, quand saint Jean demande ce que signifient ces eaux, il lui est répondu : « Ce sont les peuples 1 ». Ceux donc qui font le trafic sur les grandes eaux, « ont vu les oeuvres du Seigneur, et ses prodiges au fond des abîmes 2 ». Quel abîme plus profond que le coeur humain? De là séchappent incessamment des souffles violents, des tempêtes séditieuses qui agitent le vaisseau. Et quel est le dessein de Dieu ? Dieu veut que tous crient vers lui, et ceux qui gouvernent le vaisseau, et ceux qui y trouvent un abri, « Il dit, et alors se maintint lesprit des tempêtes ». Quest-ce à dire, « se maintint? » Il demeura, il dura; aujourdhui encore il sévit, il soulève la tempête; il na point cessé de battre le navire. « Car Dieu a parlé, et lesprit des tempêtes sest maintenu ». Et où donc aboutissent tous ses efforts ? « Alors les flots se soulevèrent, ils sélevèrent jusquau ciel », par leur audace : « ils descendirent jusque dans les abîmes », par la crainte. « Ils sélèvent jusquau ciel, ils descendent jusque dans labîme » . Au dehors le combat, au dedans la crainte. « Le coeur des nautoniers a défailli devant le danger. Ils se troublent, ils chancellent comme un homme « ivre ». Ceux qui sont assis au gouvernail, ceux qui ont un amour fidèle pour le navire, comprennent mes paroles : « Ils se troublent, ils chancellent comme un homme ivre 3 ». Quils prennent la parole, quils lisent, quils discutent, on les croira sages ; mais malheur à cause de la tempête. « Et toute leur sagesse », dit le Prophète, « sest évanouie ». Parfois, tout conseil humain vient à manquer : quelque part que lon se réfugie, les flots sont écumeux, la tempête grondante, les bras défaillants; le pilote ne voit plus où la proue va se heurter, par quel flanc du navire pénètrent les eaux, ni sur quel rivage le pousse la tempête, ni de quels récifs il faut larracher. Que faire alors, sinon ce que dit le Prophète? « Dans leurs tribulations, ils en appelèrent au Seigneur qui les sauva de leur misère. Et il commanda à lorage, qui se maintint comme un veut léger 4 ». Non plus comme une tempête, mais « comme un vent léger. Et ses flots sapaisèrent ». Ecoutez, à
1. Apoc. XVII, 15. 2. Ps. CVI, 24. 3. Id. 25-27. 4. Id. 28, 29.
580
cette occasion, la voix dun pilote en danger , puis humilié, puis délivré : « Je ne veux point, mes frères, que vous ignoriez laffliction que nous avons dû subir en Asie, parce quelle a dépassé nos forces, dépassé toute borne » (sa sagesse même était absorbée,on le voit), « au point que la vie métait à charge 1 ». Quoi donc, Dieu abandonnerait-il ainsi lhomme en danger ? Cette défaillance, au contraire, ne devait-elle pas faire éclater en lui sa propre gloire? Que dit ensuite lApôtre? « Mais nous avons reçu en nous une réponse de mort, afin que nous ne missions pas notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts 2. Et il commanda à lorage, qui devint un vent léger ». Déjà, ils avaient reçu eu eux une réponse de mort, ces hommes dont toute la sagesse était absorbée. « Et les flots de la mer devinrent calmes; et ils se réjouirent de ce calme, et il les conduisit au port selon leur volonté. Quils confessent au Seigneur ses miséricordes 3». Oui, quils annoncent partout, quils publient de toutes parts, quils publient à la gloire du Seigneur, non point nos mérites, non point notre puissance, non point notre sagesse, mais les divines miséricordes, Que notre délivrance nous fasse aimer celui que nous avons invoqué dans toutes nos afflictions. « Quils confessent au Seigneur ses miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ». 13. Voyez ce qui fait parler le Prophète, pourquoi ce prélude, pourquoi cette énumération, et où saccomplit tout ce quil a dit . « Quils chantent le Seigneur dans lassemblée du peuple, quils le bénissent dans la chaire des vieillards 4». Chanter le Seigneur, cest publier ses louanges, comme publier ses louanges, cest le chanter. Quil soit béni par les peuples, par les vieillards, iar ceux qui trafiquent, par ceux qui gouvernent le navire. Qua tait Dieu pour cette assemblée ? Qua-t-i1 établi? Doù la-t-il délivrée? Quel don lui a-t-il fait? De même quil a résisté aux superbes, il a donné la grâce aux humbles 5; et ces superbes étaient tout dabord le peuple juif, peuple arrogant, qui se glorifiait dêtre de la race dAbraham, et de ce que les oracles du Seigneur avaient été confiés à cette nation 6 ; faveurs qui ne servaient point à la
1. II Cor. I, 8. 2. II Cor. I, 9. 3. Ps. CVI, 30, 31. 4. Id. 32. 5. Jacques, IV, 6. 7. Rom. III, 2.
guérison, mais seulement à lenflure de leurs coeurs, à les enorgueillir plutôt quà les grandir. Que fit donc le Seigneur, pour résister aux orgueilleux et donner la grâce aux humbles, en retranchant les branches naturelles à cause de leur orgueil, et en insérant lolivier sauvage à cause de son humilité 1 ? Que fit Dieu ? Ecoutez ces deux faits, et comment Dieu résiste aux superbes, et comment il favorise les humbles : « Il changea les fleuves en désert ». Les eaux couraient chez les Juifs, les paroles prophétiques y coulaient. Cherche maintenant un seul prophète chez les Juifs, et tu nen trouveras point: « Car il a changé les fleuves en désert, et les courants deau en une terre altérée. Les fleuves sont changés en désert 2 ». Quils le disent: « Déjà il nest plus de prophète, et Dieu ne nous connaît plus 3. Il a changé les fleuves en désert, les courants deau en une terre altérée, un champ fertile en une saline 4 ». Cherche parmi eux la foi au Christ, et tu ne la trouves point; un prophète, ils nen ont plus; un prêtre, ils nen ont plus ; un sacrifice, ils nen ont plus ; un temple, et ils nen ont plus. Pourquoi? « Parce que Dieu a changé les fleuves en désert, les courants deau en une terre sèche, et le champ fertile en saline ». Doù vient ce châtiment? Quel crime la mérité? « La malice des habitants de cette malheureuse terre ». Cest ainsi que Dieu résiste aux superbes. Ecoute comme il donne la grâce aux humbles : « Il a fait du désert un étang plein deau, et des sables du désert des fontaines jaillissantes. Là il a fait habiter ceux qui avaient faim 5 ». Car cest au Christ quil a été dit : « Tu es prêtre pour léternité selon lordre de Melchisédech. 6» Tu cherches un sacrifice chez les Juifs, tu nen trouves pas même selon lordre dAaron, parce que Dieu a fait son désert à la place des fleuves. Tu le cherches selon lordre de Melchisédech, et tu ne le trouves point chez eux, tandis que lEglise loffre solennellement dans lunivers entier. « Depuis lOrient jusquau Couchant, le nom du Seigneur est béni 7 ». Et le Seigneur dit à ceux dont il a changé les fleuves en un désert: « Ma volonté nest plus en vous, dit le Seigneur, et je ne recevrai aucun sacrifice de vos mains, car de lOrient jusquau couchant on offre un sacrifice en
1. Rom. XI, 17-24. 2. Ps. CVI, 33. 3. Id. LXXIII,9. 4. Id. CVI, 34. 5. Id.35, 36. 6. Id. CIX, 4. 7. Id. CXII, 3.
581
mon honneur 1». Où lon ne voyait jadis que dimmondes sacrifices, quand les nations nétaient quun désert, quand elles étaient souillées, quand partout ce nétait quune terre déserte, là aujourdhui coulent des fontaines, des fleuves; là sont des réservoirs, là sont les eaux courantes, « Dieu a donc résisté aux superbes, et accordé aux humbles ses faveurs. Cest là quil a fait habiter ceux qui avaient faim », parce que: « Les pauvres mangeront et seront rassasiés 2 ». « Et ils ont construit une ville pour y habiter » ; y habiter dabord en espérance, car: « Celui qui mécoute habitera dans lespérance 3 », est-il dit. « Et ils ont construit une ville pour y habiter; et ils ont semé leurs champs, planté leurs vignes, et récolté le fruit de leur froment 4 »; fruit dont se réjouit cet ouvrier qui a dit : « Ce nest point que je désire vos dons, mais je désire le fruit que vous en retirez 5. Et Dieu les bénit et ils se multiplièrent, et leurs troupeaux ne diminuèrent point 6». Voilà ce qui dure encore. « Le solide fondement de Dieu demeure ferme, car Dieu connaît ceux qui sont à lui 7». On donne le nom de troupeau, de bercail, à ceux qui vivent simplement dans lEglise, mais qui sont utiles, qui sont peu savants, mais pleins de foi. Donc, et les hommes spirituels, et ceux qui étaient charnels encore, « Dieu les bénit et ils se multiplièrent, et leurs troupeaux ne diminuèrent point». 14. « Les voilà réduits à un petit nombre, accablés de maux 8 » Doù ces maux? du dehors? Non, mais de lintérieur. Pour les réduire à un petit nombre, cette parole saccomplit alors : « Ils sont sortis de nous, mais ils nétaient pas des nôtres 9 ». Si le Prophète parle encore de ceux-ci comme il en parlait auparavant, cest afin que nous les distinguions seulement par la pensée; puisquil parle deux comme sils étaient les mêmes, à cause des sacrements qui leur sont communs avec nous. Ces hommes, en effet, appartiennent au peuple de Dieu, sinon par la vertu, du moins par les dehors de la piété. Cest deux que nous avons entendu dire à saint Paul : « Dans les derniers temps, il viendra des jours fâcheux, et les hommes saimeront eux-mêmes ». Premier malheur ;
1. Malach. I, 10, 11. 2. Ps. XXI, 27. 3. Prov. I, 33, suiv. les Septante. 4. Ps. CVI, 37. 5. Phi1ipp. IV, 17. 6. Ps. CVI, 38. 7. II Tim. II, 19. 8. Ps. CVI, 39. 9. II Tim. III, 2.
« ils saimeront eux-mêmes », et mettront en eux-mêmes leur propre complaisance. Puissent-ils se déplaire, car alors ils plairaient à Dieu ! puissent-ils en appeler à lui dans leurs difficultés, car alors ils seraient délivrés! Mais leur confiance en eux-mêmes « les a réduits à un petit nombre ». Cela est évident, mes frères; tous ceux qui se séparent de lunité deviennent le petit nombre. Ils sont en grand nombre, mais dans lunité, et tant quils ne se séparent point de lunité. Dès lors, en effet, quils nappartiennent plus à lunité qui est nombreuse, le schisme et lhérésie les réduisent au petit nombre. « Et ils devinrent peu nombreux et furent accablés du poids des maux et de la douleur. Le mépris se répandit sur leurs princes ». Ils furent rejetés de lEglise de Dieu; et plus ils ont voulu être princes, plus ils sont couverts de mépris, et deviennent un sel affadi que lon jette dehors, et que les hommes foulent aux pieds 1. « Le mépris se répandit donc sur les princes; ils furent séduits dans la voie de lerreur, et non dans la bonne voie 2 ». Tout à lheure, ils étaient dans la voie, ils étaient conduits à la cité, ils étaient conduits, et non séduits; ceux-ci, les voilà séduits hors de la voie. Quest-ce à dire, « séduits ? ». « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs 3 ». Tel est, en effet, le sens de séduire, se conduire soi-même. Car, à proprement parler, ce sont eux qui se séduisent. « Quiconque se croit quelque chose, se trompe u lui-même , attendu quil nest rien 4 ». Quest-ce à dire, dès lors que Dieu les séduisit? Il les laissa aller « dans une terre sans chemin, et non dans la voie ». Comment, en effet, seraient-ils dans la voie, ces hommes qui sattachent à une partie et qui laissent le tout? Comment seraient-ils dans la voie? Quest-ce donc que la voie, et où peut-on reconnaître la voie? « Que Dieu », dit le Prophète, « nous prenne en pitié, quil nous bénisse, quil fasse rejaillir sur nous la lumière de sa face, afin que nous connaissions votre voie sur la terre ». Sur quelle terre? « Votre salut est dans tous les peuples 5». Cest de là que sortent ces hommes qui sont ensuite réduits en petit nombre, et diminués en quelque sorte; ils sont sortis de cette multitude qui forme lunité, selon cette
1. Matth. V, 13. 2. Ps, CVI, 40. 3. Rom. I, 21. 4. Gal, VI, 3. 5. Ps. LXVI, 2, 3.
582
parole que je viens de rapporter à leur sujet: « Ils sont sortis dentre nous, mais ils nétaient point des nôtres ; sils eussent été des nôtres, ils fussent assurément demeurés avec nous 1». Mais sils sont des nôtres dans le secret de la prescience divine, il faudra quils reviennent. Combien qui ne sont point des nôtres, et qui paraissent en être, et combien des nôtres, qui semblent néanmoins être dehors! « Le Seigneur connaît ceux qui lui appartiennent 2 ». Ceux qui ne sont point des nôtres, bien quils soient avec nous, sen vont à la première occasion, et les nôtres qui sont dehors, reviennent quand loccasion se présente. Ecoutez donc ce que voulait alors le Seigneur dans le sens de ces paroles : « Il les a séduits dans une terre sans chemin, et non dans la voie ». Quen a fait le Seigneur? Ce que javais dit tout dabord, ce que vous devez écouter avec attention. Il pouvait les laisser avec nous jusquà la fin, mais alors ils neussent été pour nous daucun profit : or, dès quils sont séparés de nous, et quils nous troublent par des questions artificieuses, alors ils deviennent pour nous un aiguillon dans la recherche de la vérité, et un exemple de ce quil nous faut craindre. Chacun tremble quand il voit un homme tomber dans le schisme, car une telle chute semble lui dire: « Que celui qui se croit debout prenne garde à sa chute 3 ». Ceux qui se séparent dc nous ont donc leur utilité; car sils demeuraient avec nous, et avec cette malice, ils ne nous serviraient de rien. Aussi, quest-il dit à leur sujet dans un autre psaume? « Cest une assemblée de taureaux», ou dhommes à la tête haute , dhommes orgueilleux ; « une assemblée de taureaux parmi les vaches des peuples ». Par ces vaches des peuples, il faut entendre des âmes faciles à séduire, qui se laissent gagner par la séduction des taureaux. Mais pourquoi en est-il ainsi? « Afin que lon sépare ceux qui ont été éprouvés par largent ». Quest-ce .à dite « que lon sépare? » Afin quils apparaissent, quils soient en relief, ceux qui sont à lépreuve de la parole de Dieu. Quand, en effet, la nécessité force de répondre aux hérétiques, il en résulte une utilité pour lédification des catholiques. Telle est la pensée exprimée par saint Paul: « Il faute, dit-il, « des hérésies, afin que les hommes dune vertu
1. I Jean, II, 19, 2. II Tim. II, 19. 3. I Cor. X ,12. 4. Ps. LXVII, 31.
éprouvée soient mis en évidence 1 ». Il faut donc quil y ait des taureaux séducteurs, « afin que ceux qui sont éprouvés par largent » soient mis en évidence, cest-à-dire, « soient exclus», ou hors ligne. Quest-ce à dire, «ceux qui sont éprouvés par largent?» « Les paroles du Seigneur sont des paroles chastes; cest un argent que le feu a séparé de la terre, a purifié sept fois 2». Quiconque dès lors est éprouvé par cet argent, cest-à-dire par cette parole du Seigneur, ne peut briller de léclat de cet argent, quà la condition dêtre harcelé par les questions des hérétiques. Et ici, redoublez dattention, car le Prophète ne la point omis. « Voilà que la honte se répandit sur les princes », ou sur ces taureaux. Doù leur venait cette honte? De ce quils annonçaient un autre évangile. Quest-ce à dire, couverts de honte ? Frappés danathème. « Quiconque vous annoncera un évangile autre que celui que nous avons annoncé, quil soit anathème 3 ». Quoi de plus méprisé quun sel affadi 4, que lon jette au dehors et que lon foule aux pieds? Et voyez sils ne sont pas réellement des princes, écoutez lApôtre lui-même. « Quand nous vous annoncerions, ou quun ange venu du ciel vous annoncerait un évangile autre que celui que vous avez reçu, quil soit anathème ». Ce sont des princes, diras-tu, des savants, des grands, des pierres précieuses. Que vas-tu ajouter encore? Sont-ils des anges? Et pourtant, « quand même un ange vous annoncerait un évangile autre que celui que vous avez reçu, quil soit anathème ». Car le diable est tombé du ciel, tout ange quil était. « Le mépris sest répandu sur les princes, et Dieu a secouru le pauvre dans son indigence 5». Quest-ce à dire, mes frères, que les princes ont été couverts de mépris et les pauvres secourus? Les orgueilleux sont tombés dans labjection et les humbles élevés en gloire. Telle est loeuvre de Dieu ; et, en agissant ainsi, « il a secouru le pauvre dans son indigence ». Car celui-ci est un mendiant qui ne sattribue rien à lui-même, qui espère tout de la miséricorde divine, qui crie devant la porte de son Seigneur, qui est nu et tremblant, demandant à être vêtu, qui tient les yeux baissés vers la terre, battant sa poitrine. Cest ce
1. I Cor. XI,19. 2. Ps. XI, 7. 3. Gal. 1,9. 4. Matth. V,13. 5. Ps. CVI, 41.
mendiant, ce pauvre, cet homme humble, que Dieu a principalement soutenu, même par la séparation des hérétiques, lesquels ont été diminués, accablés de vexations, séduits dans des terres sans chemin, et non dans la bonne voie. Mais après que ces hommes ont été retranchés, séduits, amoindris, quest-il arrivé au pauvre que Dieu secourait? « Il a multiplié leurs familles comme des troupeaux ». Parce que le Psalmiste disait : « Il a secouru le pauvre dans son indigence » ; tu comprenais quil ny avait quun seul pauvre, quun seul mendiant; et voilà que ce pauvre devient plusieurs familles, devient plusieurs peuples; et toutefois , plusieurs églises ne forment quune Eglise, quun seul peuple, quune seule famille, quun seul bercail. « Il a multiplié leurs familles comme des troupeaux ». Ces mystères sont grands, mes frères , ces sacrements sont grands quelle profondeur, quelles vérités cachées! Quelle joie de les découvrir, parce quelles ont été longtemps cachées! Donc : « Les hommes droits verront et seront dans la joie, et toute iniquité fermera la bouche 1 ». Cette iniquité qui ose railler lunité, qui nous contraint à publier la vérité, sera enfin convaincue et réduite au silence. 15. « Quel est lhomme sage, qui observera ces merveilles, et qui comprendra les miséricordes du Seigneur 2? » Voyez cette fin du psaume : « Où est le sage? Il observera ces merveilles ». Et quobservera cet homme
1. Ps. CVI, 42. 2. Id. 43.
sage? Cest-à-dire quil lobserve, sil est vraiment pauvre; oui, sil nest point riche, ou plutôt sil nest point orgueilleux-, sil nest point enflé de vanité, il observe ces merveilles. Pourquoi les observera-t-il ? « Parce quil u comprendra les divines miséricordes » ; non point ses propres mérites, non point ses propres forces, non point sa propre puissance; mais « les miséricordes du Seigneur », qui a remis dans la voie droite et nourri celui qui errait, et qui avait faim; qui a délié et délivré celui qui luttait contre les assauts du péché, et quenchaînaient les liens de ses habitudes; qui a envoyé son Verbe comme un remède salutaire pour guérir celui à qui le Verbe de Dieu ninspirait que du dégoût, et qui mourait en quelque sorte dennui; qui a calmé le flot et conduit au port celui que menaçaient les tempêtes et les coups des orages; qui la établi au milieu de son peuple, où il donne la grâce aux humbles, et non point où il résiste aux superbes; qui a fait quil fût à lui, afin quil se multipliât cri demeurant à lintérieur, et non point quil sortît dehors pour être réduit à rien. Voilà ce que découvrent les justes , et ce qui les comble de joie. « Toute iniquité fermera la bouche », et tout homme « sage observera ces merveilles ». Comment les observer? Par lhumilité qui fera comprendre les merveilles du Seigneur : partout, en effets nous avons répété: « Quils confessent au Seigneur ses miséricordes, et ses merveilles envers les enfants des hommes ».
|