PSAUME CII
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DISCOURS SUR LE PSAUME CII.

SERMON POUR UNE FÊTE DES MARTYRS.

LES BIENFAITS DU SEIGNEUR.

 

En nous appelant à bénir le Seigneur, le Prophète s’adresse à ce qu’il y a d’intérieur en nous, ou à notre âme, qui a toujours quelqu’un qui l’écoute et qui doit chanter intérieurement, au souvenir de nos péchés pour les désavouer, au souvenir des bienfaits de Dieu, lequel stimulait dans les martyrs l’espérance de retrouver dans le ciel la vie qu’ils donnaient pour Dieu. Ils ne lui reportaient que ses dons, il est vrai, et ne pas oublier ses dons, c’est lui en rendre grâce; s’il nous demande un culte, c’est pour nous attirer à lui. De nous-mêmes nous n’avons que le péché; de lui nous vient le calice du salut, ou la douleur qu’il faut subir en invoquant son nom. N’oublions, donc jamais: — Qu’il nous remet nos fautes, mais en nous imposant des peines qui nous ramènent à lui; — Qu’il guérit nos langueurs, pourvu que nous soyons patients dans nos peines dont il nous guérira certainement, comme le malade se laisse opérer par le médecin qui n’est pas sûr de le guérir; — Qu’il nous délivrera ainsi de la corruption en nous donnant te christ par qui nous sommes incorruptibles. —— Qu’il nous couronnera dans sa miséricorde, car la lutte qui nous donnera la couronne viendra de la grâce; — Qu’il nous rassasiera de bonheur, en nous donnant Dieu lui-même, dont nous ne sentons point ici-bas l’ineffable douceur, parce que notre corps est appesanti; — Qu’il renouvellera ce corps quand l’aigle sent son bec trop allongé par les années, pour laisser passage à la nourriture, il l’use sur la pierre et reprend par la nourriture de nouvelles forces; ainsi Dieu usera notre corps sur la pierre qui est le Christ et le revêtira de. jeunesse en le rassasiant des trois pains de l’Evangile ou de Dieu en trois personnes; — Qu’il fait miséricorde à ceux qui sont miséricordieux, et quand on lui amène la femme adultère, il écrit la loi sur la terre, pour marquer les vertus chrétiennes, et nous apprendre à chercher si nous ne sommes point coupables. Pour le juste nous n’avons que la miséricorde corporelle; à l’injuste pourtant nous devons faire aussi miséricorde, non parce qu’il est injuste, mais parce qu’il est homme, comice au juste, parce qu’il est juste. La vengeance n’est permise que quand elle est une juste correction infligée à ceux qui nous sont soumis; s’agit-il des puissants, endurons persécution. Dieu a montré à Moïse qu’il donnait la loi, afin que l’homme vit le nombre de ses fautes, et eût recours à l’aveu et à la grâce. Toutefois Dieu est lent à punir, parce qu’il nous invite à la pénitence, et pourtant nous remettons cette pénitence indéfiniment; et Dieu ne nous traite point selon nos offenses; chaque jour il nous protège comme le ciel protége la terre. Il met nos péchés au couchant pour n’y plus revenir, et sa grâce à un orient sans occident, Il sait que nous sommes faibles, que nos jours sont courts, que tout passe vite ici-bas, qu’il récompensera non ceux qui connaissent la loi, mais ceux qui en font les oeuvres, non point, seulement à l’extérieur, mais aussi de coeur.

 

1. Dans tous les dons qui nous viennent du Seigneur notre Dieu, dans les consolations qu’il nous envoie, comme dans les châtiments qu’il nous inflige, dans les grâces qu’il a daigné nous faire, comme dans cette miséricorde qui iie nous traite point dans la rigueur de sa justice, enfin dans toutes ses oeuvres, que notre âme bénisse le Seigneur. Voilà ce que nous avons chanté; c’est ainsi que commence le psaume que nous allons expliquer avec le secours de ce Dieu que notre âme bénit à jamais. Que chacun de nous donc exhorte sou âme, et se stimule en disant: « O mon âme, bénis e le Seigneur». Que tous ensemble, que tous les frères en Jésus-Christ répandus partout et ne formant qu’un seul homme, dont la tête est déjà dans le ciel, que cet homme unique exhorte aussi son âme, et lui dise: « O mon âme, bénis le Seigneur ». Cette âme écoute, elle obéit, elle fait ce qu’on la presse de faire, elle cède à une persuasion qui ne vient pas de nous, mais de ce Dieu qu’elle bénit. Le Prophète en effet entreprend de nous montrer pourquoi notre âme doit bénir le Seigneur, comme si notre âme lui répondait : Pourquoi m’engager à bénir Dieu? Ecoutons donc, et que notre âme écoute , qu’elle considère tout ce qui peut la stimuler, afin de n’être point lâche à bénir Dieu, et de voir s’il est bien juste de lui dire: « Mon âme, bénis le

 

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Seigneur »; qu’elle considère si elle doit en bénir un antre que lui. « Bénis le Seigneur, ô mon âme », dit le Prophète.

2. Notre interlocuteur répète ce qu’il vient de dire en termes bien plus expressifs. « Mon âme, bénis le Seigneur, et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom 1». Je crois qu’il ne s’adresse ici à rien de corporel, et qu’il ne veut point exhorter nos poumons, notre foie, et ce qu’il y a de charnel dans nos entrailles à éclater en cris de joie pour bénir le Seigneur. Sans doute notre poumon est comme un soufflet qui, tour à tour, aspire l’air et l’expulse, et ce souffle d’air expulsé forme, quand nous parlons, le son, la voix; et nul son de voix ne peut sortir de notre bouche, s’il n’est émis par notre poumon. Mais il ne s’agit point de cela qui est seulement pour l’oreille des hommes. Dieu aussi a ses oreilles, comme le coeur a sa voix. C’est tout ce qui est en lui que le Prophète exhorte à bénir le Seigneur, quand il dit: «Que tout ce que j’ai d’intérieur bénisse son saint nom». Qu’ai-je d’intérieur, diras-tu? Ton âme elle-même. Et dès lors: « Mon âme, bénis le Seigneur»,est identique à cette autre parole: « Et tout ce que j’ai d’intérieur, son saint nom », en sous-entendant bénisse. Que ta voix s’élève, si c’est un homme qui doit entendre, qu’elle se taise, si nul n’est là pour entendre ; mais ton coeur a toujours quelqu’un qui l’écoute. Notre bouche a donc fait retentir cette bénédiction, quand nous avons chanté ces paroles: « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et tout ce que j’ai d’intérieur, son saint nom». Nous y avons mis le temps qu’il fallait, puis nous avons gardé le silence; mais dans notre coeur, la louange de Dieu doit-elle donc se taire? Que le son de fois à autre se fasse entendre, mais que la voix intérieure soit sans fin. Quand tu es venu à l’église réciter une hymne, ta voix a lait retentir la louange de Dieu: tu as parlé selon ton pouvoir, et tu t’es ensuite retiré: mais que ton âme chante sans cesse la louange de Dieu. Es-tu occupé d’une affaire? que ton âme bénisse le Seigneur. Prends-tu de la nourriture? écoute cette parole de saint Paul: « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire du Seigneur  2». J’oserai même dire : Es-tu dans le sommeil? que ton âme bénisse le Seigneur. Que la pensée du crime, que le dessein d’un vol, que le rendez-vous de L’infamie

 

1. Ps. CII, 1.— 2. ICor. X, 31.

 

ne t’éveille jamais. Pendant le sommeil, ton innocence doit être la voix de ton âme, et

dire: « Bénis le Seigneur, ô mon âme, que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ».

3. « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et n’oublie pas tous ses bienfaits 1 » . « Bénis le Seigneur, ô mon âme », dit le Prophète. Qu’est-ce donc que ton âme? Tout ce qui est intérieur en toi. « Bénis le Seigneur, ô mon âme », répétition qui nous presse de plus en plus. Mais pour bénir sans cesse le Seigneur, « n’oublie pas ses bienfaits ». Les oublier, c’est te taire. Or, tu ne peux avoir devant les yeux les bienfaits de Dieu, sans avoir aussi devant les yeux tes péchés. Toutefois, que ton péché soit devant tes yeux, non pour te plaisir qu’il t’a causé, mais pour la damnation qu’il t’a méritée. La damnation, voilà ton oeuvre; la rémission est l’oeuvre de Dieu. Tel est le bienfait qui nous force à dire : « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu’il m’a faits 2 ? » Voila ce que considéraient les martyrs dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire, tous les saints qui n’ont eu que du mépris pour cette vie, et, comme vous l’avez entendu dans l’épître de saint Jean, qui ont donné leur vie pour leurs frères 3, ce qui est la perfection de la charité, comme l’a dit le Sauveur : « Nul ne peut pousser la charité plus loin qu’en donnant sa vie pour ses amis 4 ». Telle était la considération qui portait les martyrs à mépriser ici-bas leur vie, afin de la retrouver dans le ciel, fidèles qu’ils étaient à cette parole du Seigneur: « Celui qui aime sa vie la perdra, et quiconque perdra sa vie à cause de moi, la retrouvera dans l’éternité 5 ». Ils ont voulu rendre à Dieu. Qui étaient-ils? que rendre? et à qui? Des hommes voulaient à leur tour rendre service à Dieu, jusqu’à la mort. Que pouvaient. ils donner, que lui-même ne nous ait point donné? Qu’ont-ils donné qu’ils n’aient point reçu? C’est donc Celui qui donna qui a véritablement rendu. Mais il ne nous a point rendu ce que méritaient nos péchés; car autre était ce que nous méritions, et autre ce que Dieu nous a rendu. « N’oubliez point», dit le Prophète, « les saintes rétributions du Seigneur», non pas les dons, mais bien « les rétributions». Nous avions mérité, et ce qui nous a été

 

1. Ps. CII, 2.— 2. Id. CXV, 12.—  3. I Jean, III, 16.— 4. Jean, XV, 13 — 5. Id. XII, 25.

 

rendu n’est point ce qui était dû. De là cette parole: « Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu’il m’a rendu 1? » Le Prophète ne dit point, pour les dons qu’il m’a faits; mais, pour tout ce qu’il m’a rendu. Toi, tu as rendu le mal pour le bien, et le Seigneur le bien pour le mal. Comment donc toi, ô homme, as-tu rendu à Dieu des maux pour des biens? Parce que tu étais un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur 2, tu as rendu des blasphèmes. En retour de quels biens? D’abord de l’existence; mais la pierre existe aussi; ensuite de la vie, mais la brute vit aussi. Que rendras-tu au Seigneur pour t’avoir élevé au-dessus des brutes, au-dessus des oiseaux, en te créant à son image et à sa ressemblance 3? Ne cherche point ce que tu lui rendras: rends-lui son image vivante en toi, c’est là ce qu’il demande; il veut la pièce de monnaie à son effigie 4. Et toi, au lieu de ces actions de grâces, de cette humilité, de cette obéissance, de ce culte religieux, en un mot de toutes ces actions saintes que tu devais à Dieu, en retour de ces bienfaits que tu as reçus de lui, tu lui as rendu le blasphème. Que dit le Seigneur? Confesse-toi, et je te pardonne. Moi aussi, je te rendrai, mais non ce que tu m’as rendu : tu m’as rendu le mal pour le bien, moi je te rendrai le bien pour le mal.

4. Pense donc, ô mon âme, à tous les bienfaits de Dieu, sans oublier tes offenses envers lui. Plus tes offenses sont nombreuses, et plus nombreux sont ses bienfaits. Or, quels présents pourras-tu lui faire? Quels dons? Quels sacrifices? Ne pas oublier ses saintes rétributions, c’est là un sacrifice qui lui est agréable. « Bénis le Seigneur, ô mon âme. C’est le sacrifice de louanges qui m’est agréable. Immole à Dieu une hostie de louanges, et rends tes voeux au Très-Haut ». Dieu veut que tu le bénisses, et cela pour ton avantage, et non pour les intérêts de sa gloire. Tu ne saurais lui rien offrir en échange de ses dons, et ce qu’il exige, c’est pour toi et non pour lui ; c’est pour ton bien, tu en retireras le fruit. Ce qu’il aime de toi, n’est point l’accroissement de sa gloire, mais ce qui peut te conduire à lui. Aussi les martyrs cherchaient-ils ce qu’ils devaient rendre à Dieu, et dans leur dépit de ne rien trouver, ils s’écriaient:

 

1. Ps. XCV, 12. — 2 . I Tim. I, 13. — 3. Gen. I, 26.— 4. Matth. XXII, 21. — 5. Ps. XLIX, 14, 23.

 

« Que rendrai-je au Seigneur pour tout le bien qu’il m’a fait? » et ils ne trouvaient rien à lui rendre, sinon: « Je prendrai le calice du salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur 1». Que rendras-tu au Seigneur? Tu cherchais sans pouvoir trouver cette parole: « Je prendrai le calice du salut ». Quoi donc? Ce calice du salut n’est-il pas un don de Dieu? Donne a Dieu, si tu le peux, quelque chose de toi. Ou plutôt ne le fais point, ne lui donne point ce qui vient de toi; Dieu ne veut rien de ce qui est à toi, car de toi-même tu ne peux lui offrir que le péché. Tout ce que tu as de bon, te vient de Dieu, le péché seul t’appartient. Dieu donc ne veut point que tu lui offres ce qui vient de toi, mais bien ce qui vient de lui. Si d’un champ qu’il a semé, tu apportes au maître quelques gerbes, c’est là le fruit qui lui appartient; lui offrir des épines, voilà ce qui vient de toi. Rends à Dieu la vérité, bénis-le dans la vérité. Le louer de toi-même, c’est mentir. « Celui qui profère le mensonge, dit ce qui lui est propre 2 ». Dire ce qui vient de nous-mêmes, c’est donc mentir; dire ce qui vient de Dieu, c’est dire la vérité. Mais prendre le calice du salut, qu’est-ce autre chose que souffrir à l’exemple du Sauveur? Voilà ce qu’ont fait les martyrs. Voilà ce qu’a enseigné le Sauveur à ceux qui recherchaient les premières places, qui fuyaient la vallée des larmes, qui voulaient s’asseoir l’un à sa droite, l’autre à sa gauche. Que leur dit-il en effet? « Pouvez-vous boire le calice que je boirai 3? » Et le martyr, sur le point de s’immoler à Dieu comme une victime sainte, s’écrie: « Je prendrai le calice du salut ». Je prendrai le calice du Christ, je boirai à la coupe des douleurs de mon Dieu. Garde-toi de faillir. Oui, « j’invoquerai le nom du Seigneur ». Ceux donc qui ont failli, n’ont pas invoqué le nom du Seigneur, ils ont compté sur leur propre courage. Pour toi, rends à Dieu, sans oublier que tu as reçu de lui ce que tu lui offres. Que ton âme bénisse donc le Seigneur, de manière à n’oublier jamais ses dons.

5. Ecoutez quels sont ses dons: « C’est lui qui te pardonne toutes tes iniquités, qui guérit toutes tes langueurs, qui rachète ta vie de la corruption, qui te couronne de miséricorde et d’amour, qui rassasie de bonheur tes désirs, qui renouvelle ta jeunesse comme

 

1. Ps. CXV, 12, 13. — 2. Jean, VIII, 44. — 3. Matth. XX, 22.

 

« celle de l’aigle 1». Voilà ses bienfaits. Que devait-il au pécheur autre chose que le supplice? Que devait-il au blasphémateur, sinon la flamme de l’enfer? Ce n’est point là ce qu’il nous a rendu. Ne tremble point, ne t’effraie point, que ta crainte ne soit point sans amour. Garde-toi d’oublier les rétributions de sa bonté, change de vie, si tu ne veux éprouver ses rétributions, comment dirai-je? Mauvaises? mais si elles sont justes elles ne sont point mauvaises. Elles ne sont donc mauvaises que de ta part; mais du côté de Dieu, ces maux que tu endures ne sont point des maux, car s’ils sont justes, ils sont des biens; ils ne sont des maux que pour toi qui les endures. Veux-tu que la justice de Dieu ne devienne point un mal pour toi? Que ton iniquité ne soit plus un mal devant Dieu. Jamais, en effet, il n’a cessé d’appeler, ni d’instruire ceux qu’il appelait, ni de perfectionner ceux qu’il avait instruits, ni de couronner ceux qu’il avait perfectionnés. Que répondre? Que tu es pécheur? Tourne-toi vers Dieu, et reçois ses grâces: « Il te pardonne toutes tes iniquités ». Mais après cette rémission de tes fautes, il te reste un corps infirme, et qui est nécessairement aiguillonné par les désirs de la chair, par les convoitises illicites. Ta chair est donc faible encore, la mort n’est pas encore absorbée par la victoire, et ce que tu as de corruptible, n’est point revêtu encore d’incorruptibilité ‘,et même après la rémission des fautes, ne laisse pas d’être assujetti à bien des troubles: elle est exposée au péril des tentations: parfois elle trouve un plaisir dans les suggestions, et parfois elle les rejette, et quand elle y trouve un plaisir, souvent elle s’y laisse aller et succombe. C’est une langueur, et Dieu «guérit toutes nos langueurs ». Toutes tes langueurs seront guéries, sois donc sans crainte. Ces langueurs sont grandes, me diras-tu; le médecin est plus grand encore. Pour un médecin tout-puissant, il n’est point de langueur incurable; laisse-toi seulement guérir, ne repousse pas sa main, il sait ce qu’il doit faire. Qu’il te plaise, non-seulement quand il adoucit ta douleur, mais aussi quand il y porte le fer; souffre un médicament douloureux, en vue de la santé qui doit suivre. Voyez, mes frères, dans les maladies du corps, ce qu’endurent les hommes, afin de mourir encore après avoir vécu peu de jours, et encore peu

 

1. Ps. CII, 3-5. — 2. I Cor. XV, 53, 54.

 

de jours incertains. Beaucoup, après avoir cruellement souffert dans les incisions qu’on leur faisait, ou mouraient entre les mains du médecin, ou, après leur guérison, succombaient à une autre maladie. S’ils eussent cru leur mort si proche, eussent-ils enduré ces douleurs? Mais toi, tu souffres sans incertitude: et celui qui t’a promis la guérison ne saurait se tromper. Un médecin se trompe quelquefois, et néanmoins il promet de guérir un corps humain. D’où vient qu’il se trompe? C’est qu’il ne soigne point ce qu’il a fait. C’est Dieu qui a fait ton corps, Dieu qui a fait ton âme: il sait comment refaire ce qu’il a créé; comment rétablir ce qu’il a formé. Pour toi, laisse agir la main du médecin; il hait ceux qui la repoussent. Il n’en est pas ainsi de la main du médecin qui est tin homme. Car les hommes se laissent garrotter, trancher même; ils sont tout prêts à endurer une douleur certaine pour une santé douteuse, et à bien payer le médecin. Quant au Dieu qui t’a fait, il te guérira certainement et gratuitement. Supporte donc sa main, ô toi, mon âme qui le bénis, n’oublie jamais ses bienfaits, puisqu’ « il guérit toutes tes langueurs».

6. « C’est lui qui délivre ta vie de toute corruption ». Guérir tes langueurs, c’est là racheter ta vie de toute corruption. « Car le corps corruptible appesantit l’âme 1 ». Dans ce corps de corruption l’âme a donc une vie. Quelle vie? Elle est sous le fardeau , elle en soutient le poids. Qu’un homme veuille penser à Dieu, comme il doit le faire, combien d’obstacles va-t-il rencontrer, et qui semblent venir de cette corruption de la chair ! Combien d’empêchements viennent le distraire, le détourner de cette application sainte ! Combien de dissipations! Quelle foule de fantômes! Quelles suggestions innombrables! Tout cela sort du coeur de l’homme, comme des vers d’un cadavre en pourriture. Nous avons dépeint la maladie, bénissons le médecin. Ne peut-il donc te guérir, celui qui t’a fait tel, qu’en gardant avec fidélité les lois de santé qu’il t’avait données, tu n’eusses point connu la maladie? Ne t’avait-il point prescrit par un précepte ce qu’il fallait toucher ou respecter, pour avoir la santé durable 2? Indocile à écouter ce qu’il fallait faire pour la conserver, écoute au moins ce qui peut la recouvrer. Ta

 

1. Sag. IX, 15.— 2. Gen. II, 16, 17.

 

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maladie t’a montré toute la vérité du précepte, Que l’expérience apprenne enfin à l’homme à écouter les avis qu’il a négligés. Quel endurcissement ne céderait à l’expérience? Ne pourra-t-il donc te guérir, celui qui t’a fait tel, que tu n’eusses jamais éprouvé de maladie, si tu avais voulu suivre ses préceptes’? Ne pourra-t-il te guérir, celui qui a fait les anges, qui en te réformant te fera l’égal des anges ? Ne pourra-t-il guérir l’homme fait à son image, celui qui a fait le ciel et la terre? Il te guérira, mais à la condition que tu voudras être guéri. Il guérit tout malade, mais non malgré le malade. Quel bonheur est-plus grand que le tien, puisque tu as en quelque sorte sous la main et à ton gré la guérison complète? Si tu ambitionnais quelque poste d’honneur ici-bas, un commandement, un consulat, une préfecture, prétendrais-tu les obtenir aussitôt que tu le voudrais? Ce pouvoir suivrait-il aussitôt ta volonté? Beaucoup y aspirèrent sans pouvoir y arriver: et quand- même ils y seraient arrivés, qu’est-ce que l’honneur pour des malades? Qui n’est point malade en cette vie? Qui n’y traîne une vie de langueur? Naître dans un corps mortel, c’est commencer une maladie. Nos nécessités journalières ont besoin de secours journaliers, et ce qui répare chaque jour nos forces, ne paraît être qu’un médicament de chaque jour. La faim ne t’emporterait-elle point, si tu n’y apportais le remède qui la guérit? N’en serait-il pas de même de la soif, si tu ne buvais, non pour l’étancher complètement, mais pour la proroger? Après un adoucissement, elle reviendra. Ces remèdes adoucissent donc ce qu’il y a d’accablant dans nos misères. Etre debout vous lasse, vous asseoir vous délasse: vous asseoir est donc un remède à votre lassitude; mais ce remède vous fatigue à son tour, car vous ne pouvez tenir continuellement assis. Donc tout remède à une fatigue devient un commencement de fatigue. Pourquoi donc, ô malade, convoiter ces honneurs? Pense d’abord à ta santé. Qu’un homme souffre chez lui, sur son lit, d’une maladie que tout le monde connaît; il est vrai que celles dont nous parlons, sont connues, bien que les hommes ne les veuillent point voir de près; qu’un homme, dis-je, souffre d’une maladie qui fait recourir aux médecins, le voilà chez lui, brûlé de fièvre dans son lit. Qu’il veuille s’occuper de ses affaires domestiques, donner des ordres dans sa maison, dans ses terres, y mettre de l’ordre, aussitôt un murmure d’inquiétude s’élève et court parmi les siens, on le détourne de toute occupation ; laissez là tous ces soins, lui dit-on, pensez à votre santé. Tel est le langage que l’on te tient, ô homme: si tu n’es point malade, pense à autre chose; si tu es malade, pense à ta santé; mais la santé, c’est le Christ, pense donc au Christ. Prends le calice du salut, de « Celui qui guérit tes langueurs ». Telle est la santé que tu obtiendras à ton gré. En vain tu convoiteras les honneurs et les richesses, tu ne les posséderas point aussitôt que tu les auras désirés; mais cette santé qui est plus précieuse suivra tes désirs. « C’est lui qui guérit toutes tes blessures, qui épargne à ta vie la corruption ». Ta langueur sera guérie quand cette chair corruptible sera revêtue d’incorruption. Notre vie, en effet, est rachetée d’e la corruption; Sois dès lors en toute sécurité : le contrat est fait de bonne foi; on ne saurait ni tromper, ni circonvenir celui qui t’a racheté, ni peser sur lui. Il a passé le contrat, il en a versé le prix avec son sang. Oui, dis-je, le Fils de Dieu a versé son sang pour nous: ô mon âme, sois-en fière, voilà ton prix. « Il a racheté ta vie de la corruption ». Il a montré dans son exemple ce qu’il t’a promis en récompense. Il est mort à cause de nos péchés, il est ressuscité pour notre justification . Que les membres espèrent- pour eux ce qu’ils ont vu dans leur chef. Bien n’aura-t-il pas soin des membres, quand il élève la tête jusqu’au ciel? Donc, « il a racheté notre vie de la corruption ».

7. « C’est lui qui nous couronne dans sa miséricorde et son amour». A ce mot de « couronner» , tu ressentais peut-être quelque folle arrogance; me voilà grand, disais-tu ; j’ai donc lutté. Avec quelles forces? Avec les tiennes, mais qu’il t’a données. Tu combats, cela est évident; et ta victoire sera couronnée : mais vois qui a vaincu le premier, vois qui te fera vaincre ensuite. « Réjouissez-vous », nous dit-il, « car j’ai vaincu le monde 2 ». Pourquoi nous réjouir de sa victoire sur le monde? cette victoire est--elle donc notre victoire? Oui, réjouissons-nous, car nous sommes vainqueurs. Vaincus par notre fait, nous sommes vainqueurs en Jésus-Christ. Il te couronne donc, parce qu’il couronne en toi ses dons,

 

1. Rom. IV, 25. — 2. Jean, XVI, 33.

 

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et non tes mérites. « J’ai travaillé plus que tous les autres », dit saint Paul ; mais voyez ce qu’il ajoute « Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 1 ». Et après tous ses labeurs, il attend aussi la couronne, quand il nous dit: « J’ai combattu un bon combat, j’ai fourni ma course, j’ai gardé ma foi : il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice, que me rendra en ce jour le Seigneur qui est un juste juge 2». Pourquoi? parce que «j’ai combattu ». Pourquoi? parce que « j’ai fourni ma course ». Pourquoi? parce que « j’ai gardé ma foi ». Mais d’où avez-vous pu, ô saint Apôtre, et combattre et garder votre foi? « Ce n’est point moi, mais la grâce de Dieu avec moi 3 ». Donc la couronne que vous recevrez sera la couronne de sa miséricorde. Ne sois donc jamais orgueilleux, bénis le Seigneur, sans oublier ses dons. Etre appelé du sein du péché et de l’impiété pour être justifié, c’est un don. Etre élevé et dirigé pour ne point tomber, c’est un don. Recevoir des forces pour persévérer jusqu’à la fin, c’est un don. Tirer de la mort cette chair qui pèse sur toi, de manière qu’il ne périsse pas un cheveu de ta tête, c’est un don. Te couronner après la résurrection, c’est un don. Te faire chanter éternellement et sans lassitude les louanges de Dieu, c’est un don. N’oublie dès lors aucun de ses dons, si tu veux que ton âme bénisse le Seigneur, « qui te couronne avec miséricorde et amour ».

8. Et que ferai-je, quand je serai couronné? J’étais soutenu pendant la lutte, après la lutte je serai couronné ; je n’aurai plus ni suggestion de l’ennemi, ni corruption à combattre. En cette vie nous avons toujours à lutter contre notre corruption; mais qu’est-il écrit? « La mort, notre dernière ennemie, sera détruite ». La destruction de la mort ne laissera aucun ennemi à redouter : « La mort sera absorbée dans la victoire 4 ». Ce sera donc alors le temps de la victoire, le temps de la couronne. C’est donc après le combat que je serai couronné; u rie fois couronné, que ferai-je? « C’est Dieu qui rassasie de bonheur tes désirs 5». A ce mot de bonheur tu soupires; on te parte de bien, et tu gémis : peut-être même chez toi le péché n’est-il qu’une erreur dans le choix de ce bien dont tu es affamé; et n’es-tu coupable qu’en dédaignant

 

1. I Cor. XV, 10.— 2. II Tim. IV, 7, 8.— 3. I Cor. XV, 10. — 4. Id. 26, 54.— 5. Ps. CII, 5.

 

le conseil de Dieu, lequel t’indique ce qu’il te faut mépriser ou choisir, ou qu’en négligeant de voir ce qui a déjà égaré ton choix. Dans tout péché tu cherches quelque bien apparent, quelque soulagement. Tout objet de tes désirs est bon, mais il devient mauvais pour toi, dès que tu abandonnes Celui qui a fait les biens. Cherche ton vrai bien, ô mon âme. Tout autre a son bien propre, et toutes les créatures ont un bien qui les complète, qui donne à leur nature sa perfection. Le point capital pour ce qui est imparfait, est de savoir ce qui doit lui donner la perfection: cherche donc ton bien. « Or, nul n’est bien, si ce n’est Dieu seul 1». Ton bien propre, c’est le souverain bien. Que peut donc manquer àcelui dont le bien propre est le souverain bien ? Il y a des biens inférieurs qui sont des biens pour les autres créatures. Que veut la bête, sinon rassasier ses entrailles, ne point sentir la disette, dormir, se jouer, vivre, se bien porter, engendrer ? Voilà son bien, que le créateur de toutes choses ou Dieu, lui accorde à sa manière et dans sa mesure. Est-ce là le bien que tu cherches? C’est Dieu qui l’accorde, il est vrai ; mais ne borne pas là tes désirs. Cohéritier du Christ, pourquoi te réjouir de partager avec la bête ? Elève ton espérance jusqu’à ce bien de tous les biens. Celui-là seul sera ton bien, qui t’a fait bon dans ton genre, comme il a fait toute créature bonne aussi en son genre : « Car Dieu fit toutes les choses , et elles étaient très-bonnes 2 ». Si donc nous disons de ce bien qui est Dieu, qu’il est très-bon, comme il est dit des créatures, que Dieu les créa très-bonnes, que sera-ce de ce bien dont il est dit: « Nul n’est bien, si ce n’est Dieu ? » Dirons-nous qu’il est très-bon? Il nous souvient qu’il est dit de toutes les créatures que « Dieu « les créa très-bonnes ». Que dire alors? La parole nous manque, mais non le sentiment. Ayons recours à ce que nous disions naguère en exposant un psaume; l’expression nous manque; jubilons alors. Donc, si l’expression vient à manquer, et que néanmoins nous ne puissions nous taire; ne disons rien, et pour. tant ne nous taisons point. Que faire alois pour ne point nous taire et ne point parler? Jubilons. « Tressaillez d’allégresse, en présence du Seigneur notre Dieu; que toute la terre jubile dans le Seigneur 3 ». Qu’est-ce à dire,

 

1. Matth. XIX, 17. — 2. Gen. I, 31. — 3. Ps. XCIX, 1.

 

« jubilez? » Poussez dans votre joie des cris inarticulés ; que votre joie se répande au dehors. Quand nous serons pleinement rassasiés de cette joie sainte, quels ne seront point nos cris, si dès ici-bas tes miettes qu’en reçoit notre âme lui donnent de tels transports ? Que sera-ce quand nous serons rachetés de toute corruption, alors que s’accomplira ce que dit le Prophète : « Lui qui rassasie de tous biens vos désirs ? »

9. Et comme si tu demandais: Quand nous veut-il rassasier? maintenant je ne suis point rassasié; quelque part que se tournent mes désirs, je n’éprouve que dégoût pour ce que j’obtiens, quelque vif qu’en ait été le désir quel bien pourra combler mes désirs, quand je convoite ce que je n’ai point, et quand je ne puis l’obtenir sans le mépriser? La louange de Dieu. Mais ici-bas que « le corps corruptible appesantit l’âme, et que ce séjour terrestre abat l’esprit malgré la vivacité de ses pensées », ce n’est point la louange de Dieu qui rassasie mon âme, qui lui donne la félicité. Cette corruption qui a d’autres besoins me donne d’autres plaisirs, qui me détournent de Dieu, Quand mon désir sera-t-il saturé de bonheur? Quand? me dis-tu. Ecoute: « Il renouvellera ta jeunesse comme celle de l’aigle ». Tu veux savoir quand sera-ce que ton âme sera rassasiée de bonheur? Quand tu recouvreras ta jeunesse. Le Prophète ajoute: « Comme celle de l’aigle ». Il y a ici quelque mystère; et toutefois ce qu’on dit de l’aigle, je ne le passerai point sous silence, parce qu’il n’est pas inutile de comprendre ce passage. Soyons seulement persuadés que ce n’est pas sans raison que l’Esprit-Saint a dit : « Tu as jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle, et qu’il nous marque là une certaine résurrection. L’aigle renouvelle en effet sa jeunesse, mais non pour devenir immortel. Le Prophète emprunte aux choses mortelles une image telle qu’il peut la trouver, non pour nous démontrer, mais pour nous désigner seulement l’immortalité. On dit que l’aigle, quand son corps est accablé de vieillesse, ne peut plus se nourrir, à cause de la grandeur de son bec, croissant avec l’âge. La partie supérieure du bec, qui vient se courber sur la partie inférieure, excède de beaucoup avec les années, en sorte que cet accroissement ne lui permet plus d’ouvrir le bec, et ne laisse aucun intervalle entre la

 

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partie inférieure et le crochet supérieur. Or, sans intervalle entre ces deux parties, le bec ne peut imiter le jeu des ciseaux, ni mettre en pièces ce qu’il veut avaler. La vieillesse donc, faisant croître et courber cette partie supérieure, l’empêche d’ouvrir le bec et de prendre sa nourriture. Le voilà sous le poids de la vieillesse, et de l’impuissance de manger, ce qui le jette dans la double langueur et des années et de la faim. Alors, par un instinct naturel, il recouvre jusqu’à un certain point sa jeunesse, dit-on, en heurtant contre la pierre cette espèce de lèvre supérieure dont l’accroissement démesuré lui ferme le bec; et en la frappant ainsi contre la pierre, il se débarrasse d’un fardeau incommode, qui fermait le passage à la nourriture; il reprend cette nourriture, et ses forces reviennent : il est dans sa vieillesse, comme le jeune aigle; ses membres ont de la vigueur, ses plumes de l’éclat, ses ailes sont libres, son vol aussi haut qu’auparavant ; il s’opère en lui une certaine résurrection. Tel est le but de la comparaison ; c’est dans le même sens que l’on se sert quelquefois de la lune qui diminue, qui se dérobe en quelque sorte, pour reparaître ensuite et arriver à son plein; ce qui nous représente la résurrection : mais elle ne demeure pas dans ce plein; elle diminue ensuite, pour être toujours une image. Ainsi en est-il de l’aigle : s’il rajeunit comme nous l’avons dit, ce n’est point pour devenir immortel, tandis que nous c’est pour une vie sans tin : on emploie toutefois cette comparaison pour nous avertir de briser contre la pierre tout ce qui est pour nous un obstacle. Ne présume donc point de tes forces, puisque c’est la solidité de la pierre qui te fait secouer ta vieillesse. «Or, cette pierre est le Christ 1 ». C’est donc -par le Christ que ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle. Nous avons en effet vieilli parmi nos ennemis, selon cette parole si connue du psaume: « J’ai vieilli au milieu de tous mes ennemis 2 ». Qu’est-ce qui nous a fait vieillir? Notre chair mortelle, notre chair qui est une herbe; aussi : « Mon coeur a-t-il été frappé comme « l’herbe, s’est-il desséché, parce que j’ai oublié de manger mon pain 1 ». J’ai oublié de « manger mon pain », dit le Prophète. La vieillesse est venue me fermer cette bouche qu’il faut briser contre la pierre.

 

1. I Cor. X, 4. — 2. Ps. VI, 8. — 3. Id. CI, 5.

 

10. Voilà donc pourquoi dans le psaume qui nous occupe, quand le Prophète a dit qu’ « il rassasie de bonheur tous nos désirs», l’âme semble lui répondre Rien de mortel, rien de périssable ne saurait me rassasier que Dieu me donne quelque chose d’éternel, quelque chose qui dure toujours; qu’il m’accorde sa sagesse, qu’il me donne son Verbe qui est Dieu en Dieu ; qu’il se donne à moi, lui, Dieu le Père, et Dieu le Fils, et Dieu le Saint-Esprit. Je suis un mendiant couché àsa porte, mais celui que j’invoque n’est pas endormi ; qu’il me donne trois pains. Vous vous souvenez de l’Evangile, tel est l’avantage de connaître les saintes lettres ; on est plus touché à la lecture que l’on entend. Vous vous souvenez en effet d’un homme qui vint chez son ami lui demander trois pains. Et cet ami, dit l’Evangéliste, lui répondait en dormant : « Voilà que je repose, et mes enfants dorment avec moi ». Mais l’autre continue à frapper, et obtient pur son importunité ce qui n’eût pas été accordé à son mérite 1. Quant à Dieu, il veut nous donner, mais il ne donne qu’à celui qui demande, afin de n’éprouver aucun refus. Il n’a pas besoin d’être éveillé par l’importunité. Prier en effet, ce n’est point l’importuner comme s’il dormait : « Car il ne dormira point, il ne sommeillera point, celui  qui garde Israël 2 ». Le Christ a dormi une fois, afin que son épouse fût tirée de son flanc 3. Il dormit sur la croix, nous le savons ; et cette mort lui a fait dire : « J’ai dormi, j’ai pris mon sommeil 4. Mais celui qui dort ne s’éveillera-t-il donc point 5? » Aussi le psaume dit-il aussitôt : « Et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a pris sous sa garde ». Que dit maintenant l’Apôtre? « Le Christ ressuscitant d’entre les morts ne meurt plus, la mort n’aura plus d’empire sur lui 6 ». Ce n’est donc point le Christ qui dort, c’est à toi de craindre que ta foi ne s’endorme. Que l’âme donc, prise du désir d’avoir à satiété un bien sublime, un bien ineffable, qui stimule nos transports, et pour lequel ou tressaille bien mieux qu’on ne l’exprime; que l’âme qui aspire à ce bien, qui le sent déjà en partie, mais qui se trouve arrêtée par la pesanteur du corps, qui ne saurait s’en rassasier en cette vie, réponde enfin et s’écrie : Pourquoi me dire que mes désirs seront au

 

1. Luc, XI, 5-8.— 2. Ps. CXX, 4.— 3. Gen. II, 21. — 4. Ps. XL, 9.— 5. Id. III, 6.— 6. Rom. VI, 9.

 

comble du bonheur? Je connais le bien que je dois désirer, je sais ce qui doit me suffire, et Philippe me l’apprend: « Seigneur», dit-il, « montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». Il ne voulait que le Père seul, et le Seigneur lui montra les trois pains qu’il devait désirer ; celui qui est un de ces pains lui dit: « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et vous ne connaissez pas mon Père? Philippe, quiconque me voit, voit aussi mon Père». Il promet encore le Saint-Esprit: «Que mon Père », leur dit-il, « vous enverra en mon nom » ; et ailleurs : « Que je vous enverrai au nom de mon Père 1 », promettant un don égal à lui-même. Je sais donc ce que je désire, dira cette âme ; mais quand serai-je ainsi comblée? Je pense aujourd’hui à la Trinité, j’y pense en quelque manière ; c’est à peine si j’ose en comprendre quelque chose comme en énigme, comme dans un miroir, et encore en partie ; mais quand serai-je rassasiée ? « Votre jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle ». Aujourd’hui tu n’es point rassasié, parce que ton âme n’est point encore capable de cette nourriture solide et ineffable ; c’est le bec de l’aigle fermé par la vieillesse qui le rend incapable. Mais on t’offre la pierre, afin que ta vieillesse y soit brisée, que ta jeunesse se renouvelle coin-me celle de l’aigle, et que dès lors tu puisses manger ton pain, ce pain qui a dit: «Je suis le pain de vie, descendu du ciel 3. Ta  jeunesse sera renouvelée comme celle de l’aigle » : alors tu seras comblé de biens.

14. « C’est le Seigneur qui fait miséricorde, qui rend justice à ceux qu’on opprime 4 ». Dès maintenant, mes frères, Dieu fait miséricorde, avant que nous soyons arrivés au renouvellement de l’aigle, avant que nous soyons rassasiés de biens. Que nous fait le Seigneur ici-bas, en ce pèlerinage, en cette vie? Nous abandonne-t-il ? Loin de là. « Le Seigneur fait miséricorde ». Et voyez comme il fait miséricorde, comme il ne nous abandonne point dans le désert ; comme il a pitié de nous dans cette solitude, jusqu’à ce que nous arrivions à la patrie. « Il fait donc miséricorde », mais à qui ? « Bienheureux les miséricordieux , parce qu’ils obtiendront miséricorde 5». Vous l’avez entendu tout à l’heure à la lecture de l’Evangile. Que nul

 

1. Jean, XIV, 8, 9, 26.— 2. Id. XV, 26.— 3. Id. VI, 41. — 4. Ps. CII, 6. — 5. Matth. V, 7.

 

donc ne compte à l’avenir sur la miséricorde de Dieu, si lui-même a été sans miséricorde Mais écoute quelle doit être la mesure de la miséricorde : ne crois pas qu’elle soit pour les amis, et non pour les ennemis. Il est dit: « Aimez vos ennemis 1 ». Tu veux être rassasié des biens de Dieu; que la miséricorde soit rassasiée en toi. Une miséricorde pleine une miséricorde parfaite, est celle qui aime ses ennemis, qui a de la tendresse pour ceux qui nous haïssent. Que faire? me diras-tu. Si je témoigne de l’amour à mon ennemi, j’en recevrai des injures ; et faudra-t-il supporter ces injures sans en tirer vengeance, quand les lois sont pour moi? Ta vengeance est juste, on te l’accorde, parce qu’elle est juste ; mais vois d’abord si l’on n’a pas de vengeance à tirer de toi-même , et alors venge-toi sans crainte. Mais, diras-tu, pourrais-je donc ne point venger mon honneur? Comme si Dieu voulait s’opposer à ce que la vengeance a de juste, et non point à l’orgueil de celui qui se venge! La femme adultère qu’on lui présentait, ne méritait-elle donc point d’être lapidée? Etait-ce une injustice de la lapider? S’il y avait injustice, le précepte était injuste: or, la loi l’ordonnait, Dieu l’ordonnait; mais vous, vengeurs du crime, voyez si vous n’êtes point pécheurs. On amène donc cette femme que la loi condamnait à être lapidée, mais on l’amène au législateur. Tu es en fureur, ô toi qui l’amènes; vois de qui vient cette fureur, et contre qui elle s’exerce : si tu es pécheur, laisse là ta colère contre une pécheresse, et confesse ton péché. Si tu es pécheur, adoucis ta fureur envers une pécheresse. Dieu sait que penser d’elle, comment la juger, comment lui pardonner, comment la guérir. Ta sévérité vient-elle de la loi? L’auteur de cette loi qui stimule ton indignation, sait mieux que toi ce qu’il doit faire. Or, le Seigneur, quand on lui présentait cette femme, s’inclinait pour écrire sur la terre. Ce fut quand il s’inclina vers la terre, qu’il écrivit sur la terre : avant qu’il s’inclinât vers la terre, il avait écrit cette loi, non sur la terre, mais sur la pierre. La terre alors fécondée par cette écriture du Sauveur devait porter un fruit. Ecrite sur la pierre, cette loi marquait la dureté des Juifs 2 : écrite sur la terre, elle marquait le fruit des vertus chrétiennes. Les voici donc amenant cette femme adultère, comme

 

1. Matth, V, 44. — 2. Exod. XXIV, 12.

 

des flots qui se ruent contre un rocher ; mais sa réponse brisa leur fureur. « Que celui d’entre vous qui est sans péché », leur dit-il, « lui jette la première pierre 1 ». Et il s’incline de nouveau pour écrire sur la terre. Et chacun ayant discuté sa conscience, nul ne parut plus. Ce qui les repoussa, ce ne fut point une femme tombée, mais leur conscience adultère. lis voulaient une vengeance, ils brûlaient de juger : ils vinrent donc à la pierre, et ces juges furent brisés contre cette pierre 2.

12. « Le Seigneur fait miséricorde n mais à qui? « Bienheureux ceux qui sont miséricordieux, parce qu’ils recevront miséricorde 3 ». Fais miséricorde à tous. Mais quelle miséricorde pourras-tu faire au juste? Dans ses besoins corporels seulement, et si tu n’y subviens point, Dieu y subviendra. Le bien que tu feras alors est donc avantageux à toi-même. Tu donnes à un mendiant qui passe et te tend la main; mais tu cherches le juste pour lui donner, afin qu’il te reçoive dans les tabernacles éternels: « Car celui qui reçoit le juste comme juste, recevra la récompense du juste 4». Le mendiant te recherche mais toi, recherche le juste. Pour l’un, il est écrit: « Donne à quiconque te demande 5»; et pour l’autre: « Que ton aumône sue dans ta main, jusqu’à ce que tu trouves un juste à qui la donner ». Si tu es longtemps à le trouver, cherche longtemps, et tu le trouveras enfin. Mais que donneras-tu? N’est-ce point toi qui recevras davantage? « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce donc une grande chose de recueillir de vos biens corporels 6 ? » Tel est le sens de cette parole que nous vous avons expliquée avec le secours de Dieu, savoir, que la terre produit du foin pour les animaux 7, c’est-à-dire des biens corporels pour ceux qui battent le grain: car « vous ne tiendrez point la bouche liée au boeuf qui foule les grains 8 ». Ce qui nous donna lieu de vous exhorter à donner à ce devoir vos soins, votre attention, votre circonspection. Regardez vos bonnes oeuvres comme vos trésors. Est-ce à dire pour cela, mes frères, que vous deviez en user de la sorte à notre égard? Grâces à Dieu, je crois que malgré mon imperfection, je puis vous tenir le langage de saint Paul, et vous le tenir parce

 

1. Jean, VIII, 3-9.— 2. Ps. CXI, 6.— 3. Matth. V, 7.— 4. Id. X, 41.— 5. Luc, VI, 30.— 6. I Cor. IX, 11.— 7. Ps. CIII, 14.— 8. I Cor. IX, 9.

 

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qu’il vous est avantageux: « Ce n’est point le don que je cherche, mais le fruit qui vous en revient 1 ». Quelle aumône feras-tu donc au juste? Celui qu’une veuve ne nourrissait point était nourri par un corbeau 2, ou plutôt par celui qui a fait le corbeau ; je parle d’Elie. Dieu ne manque pas de moyens de nourrir ses serviteurs. Pour toi, vois ce que tu dois acheter, quand l’acheter, combien l’acheter. Tu achètes en effet le royaume des cieux, et tu ne saurais l’acheter qu’en cette vie; et vois combien peu tu l’achètes, car il t’en coûtera seulement ce que tu peux avoir.

13. Fais miséricorde à l’injuste, non parce qu’il est injuste ; car, à le considérer comme tel, ne le reçois point chez toi: c’est-à-dire, ne le reçois point comme si tu aimais son injustice. Car Dieu défend de donner au pécheur, de recevoir les pécheurs chez soi 3. Comment alors comprendre cette parole « Donne à quiconque te demande 4?» et cette autre: « Si ton ennemi a faim, nourris-le 4 ? » Ces préceptes nous paraissent en contradiction; mais quand on frappe au nom de Jésus-Christ, ils deviennent intelligibles. « Ne donne rien au pécheur», non: «Ne reçois pas le pécheur chez loi », non: et cependant « donne à quiconque te demande». Mais c’est un pécheur qui tue demande. Donne-lui, mais non comme à un pécheur. Quand lui donnes-tu comme à un pécheur? Quand tu te plais à lui donner par cela même qu’il est pécheur. Que votre charité veuille bien attendre que j’aie éclairci par des exemples un point qu’il est important de comprendre. Il est dit: Quand un homme a faim, donne-lui, si tu as de quoi lui donner; donne-lui, si tu vois qu’il ait besoin de ton secours. Que les entrailles de ta miséricorde ne se ralentissent point, parce que c’est un pécheur qui te demande. Car c’eit un pécheur en effet qui se présente à toi. Mais en disant un homme pécheur, je dis deux choses bien distinctes, deux noms qui ne sont point superflus: il y a là deux noms, l’homme et Je pécheur: l’homme est l’oeuvre de Dieu, mais le pécheur est l’oeuvre de l’homme. Donne alors à l’oeuvre de Dieu, mais non à l’oeuvre de l’homme. Mais, diras-tu, comment défendre de donner à l’oeuvre de l’homme? Qu’est-ce que donner à l’oeuvre de l’homme? C’est donner au pécheur à cause

 

1. Philipp. IV, 17.— 2. III Rois, XVII, 6, 12. — 3. Eccli. XII, 4-6. — 4. Luc, VI, 30. — 5. Rom. XII, 20.

 

de son péché, mettre en lui ta complaisance à cause du péché. Qui peut agir ainsi, diras-tu? Qui fera cela? Plût à Dieu qu’il n’y ait personne pour le faire, qu’il n’y en ait que peu, qu’on ne le fasse point publiquement. Ceux qui donnent aux gladiateurs de l’amphithéâtre, pourquoi donnent-ils, qu’ils le disent? Pourquoi donner à un gladiateur? Parce qu’on aime en lui ce qui le rend infâme; voilà ce qu’on nourrit en lui, ce qu’on habille en lui, cette iniquité qu’il étale aux yeux du public. Ceux qui donnent aux histrions, qui donnent aux cochers, qui donnent aux femmes perdues, pourquoi donnent-ils? En leur donnant, ne donnent-ils pas à des hommes? Toutefois ils ne considèrent point en eux l’oeuvre de Dieu, mais bien l’infamie de l’oeuvre humaine. Veux-tu voir ce que tu honores dans un comédien en le revêtant? Que l’on te dise: Fais comme lui ; tu l’aimes, et te réjouit; tu voudrais en quelque façon te dépouiller, pour le revêtir : ne t’offense pas comme d’une injure, si l’on te dit : Ainsi soient tes enfants. C’est là un outrage, diras-tu, Pourquoi un outrage, sinon parce que cette profession est infâme? Les dons que tu fais ne sont donc point faits au courage, mais à l’infamie. De même que donner au gladiateur, ce n’est point donner à l’homme, mais bien à un art coupable (s’il n’était en effet qu’un homme, et non point un gladiateur, tu ne lui donnerais point; et dès lors c’est le vice que tu honores en lui,et non sa qualité d’homme): de même, au contraire, donner au juste, donner au Prophète, donner au disciple du Christ ce dont il a besoin, et ne point penser à sa qualité de disciple du Christ, de ministre du Christ, de dispensateur de Dieu; mais n’avoir dans l’esprit qu’un avantage temporel , qu’une faveur que l’on en peut attendre, c’est ne voir qu’un homme vendu et acheté par le don qu’on lui a fait. Donner ainsi n’est pas plus donner au juste, que cet autre n’a’ donné à l’homme en donnant au gladiateur. Cette vérité est donc claire, mes frères, et je pense que si elle avait d’abord quelque chose d’obscur, elle devient évidente, C’est là ce que le Seigneur enseignait par cette parole: « Quiconque aura reçu un juste 1 », laquelle aurait suffi. Mais comme en recevant un juste, on peut avoir une autre intention, espérer de lui quelque avantage temporel, l’assouvissement d’une passion, son secours pour

 

1.  Matth. X, 41.

 

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tromper un homme, pour l’opprimer; dès que tu ne le reçois que par espérance d’un semblable avantage, voilà pourquoi Jésus-Christ te refuse la récompense du juste, si tu n’y mets cette condition ainsi exprimée: « Celui qui aura reçu le juste au nom du juste », c’est-à-dire qui l’aura reçu par cela même qu’il est juste. « Et celui qui reçoit le Prophète », non-seulement qui reçoit le Prophète, mais qui le reçoit « au nom du Prophète », honorant en lui cette qualité; et enfin : « Celui qui aura donné un verre d’eau froide à un de ces petits, en sa qualité de mon disciple », c’est-à-dire, parce qu’il est le disciple du Christ, le dispensateur de ses sacrements: «En vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense 1 ». Ainsi, comme nous comprenons que, «Celui qui aura reçu le juste au nom du juste, recevra sa récompense », il nous faut comprendre que celui qui recevra le pécheur comme pécheur, perdra la sienne.

14. Donc, mes frères, exercez la miséricorde. Il n’y a point d’autre lien de charité, il n’y a point d’autre moyen pour aller de cette vie à la patrie céleste; étendez votre charité jusqu’à vos ennemis: soyez en sûreté, C’est pour cela que le Christ est venu au monde, lui à qui le Prophète a dit longtemps auparavant: « C’est de la bouche des enfants nouveau-nés et à la mamelle que vous avez tiré la louange la plus parfaite, afin de détruire l’ennemi et le vindicatif 2 ». D’autres manuscrits ont écrit « le défenseur »; mais « le vindicatif » est plus vrai. C’est lui en effet que le Seigneur a voulu détruire, c’est-à-dire l’homme qui poursuit sa vengeance au point que ses péchés ne lui soient point remis. Quoi donc? diras-tu. Laissera-t-on dormir tout châtiment ? N’y aura-t-il plus de réprimande? Loin de là. Que ferais-tu alors de ce fils débauché? N’y aura-t-il pour lui ni frein, ni répression? Et ton esclave, si tu lui vois une conduite déréglée, n’aurais-tu pour lui ni frein, ni châtiment? Agissez alors, agissez; Dieu vous le permet; il vous menace, au contraire, si vous ne le faites point; mais faites-le dans un esprit de charité, et non dans un esprit de vengeance. Que si tu as à souffrir tes outrages de plus puissants que toi, et que tu ne puisses ni infliger un châtiment, ni même avertir ou commander, tu dois alors souffrir, et souffrir avec sécurité. Ecoute

 

1. Matth. X, 42,— 2. Ps. VIII, 3

 

l’Evangile qu’on lisait tout à l’heure : « Vous serez heureux quand les hommes vous persécuteront, et diront hautement contre vous toute sorte de mal à cause de moi 1». Le Seigneur prend soin de nous indiquer le motif, de peur que ces injures ne nous viennent plutôt par nos mérites, que pour la cause des saintes justices de Dieu Recevoir des injures, ce n’est point pour cela être juste. Mais celui qui est juste et que l’on outrage injustement, recevra sa récompense pour l’injustice qu’il ‘endure. Sois donc en assurance, quand tu fais miséricorde, étends ta charité jusqu’à tes ennemis; et pour ceux que tu dois surveiller, corrige-les, châtie-les avec amour, avec charité, ayant eu vue le salut éternel.  Fais cela : mais tu en trouveras beaucoup sur qui tu ne pourras exercer aucune autorité, qui ne soit point soumis à la discipline; alors souffre leurs injures, et sois sans inquiétude. « Car le Seigneur fera miséricorde, et rendra justice à tous ceux qu’on opprime». Il te fera miséricorde, si tu es miséricordieux : et tu seras miséricordieux, sans  toutefois  que celui qui t’outrage demeure  impuni. « La vengeance m’appartient », dit le Seigneur, « c’est moi qui dois l’infliger 2 ».

15. « Il a fait connaître ses voies à Moïse 3 ». Quelles voies Moïse a-t-il connues ? Pourquoi choisir Moïse? Par Moïse, comprenez tous les justes, tous les saints; un seul doit rappeler tous les autres. Toutefois c’est par Moïse que la loi fut donnée, et la prescription même dans cette loi a quelque chose d’obscur. Elle fut donnée afin que le malade, convaincu  de sa maladie, eût recours au médecin. Telle est la voie secrète de Dieu. Déjà tu as entendu que « Dieu guérit nos langueurs ». Or, comme ces langueurs étaient cachées pour les malades, Dieu donna les cinq livres de Moïse; et la piscine de l’Evangile eut cinq galeries; la loi montra les malades que l’on étendait dans ces galeries, non pour être guéris, mais pour être en évidence. Ces galeries aussi manifestaient les malades, sans les guérir : la piscine en guérissait un seul, quand elle était troublée 4; trouble qui figurait la passion du Sauveur. Car il est venu et a été méconnu au point que les uns disaient: C’est le Christ; les autres : Ce n’est pas le Christ ; c’est un juste, c’est un pécheur; c’est le Maître, c’est un

 

1. Matth. V, 11. — 2. Deut. XXXI, 35.— 3. Ps. CII, 7.— 4. Jean, V, 2-1.

 

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séducteur; il troublait l’eau, c’est-à-dire qu’il ‘troubla le peuple; et dans ce trouble de l’eau, un seul était guéri, parce que l’unité seulement est guérie par la passion du Sauveur. Quiconque est en dehors de l’unité, fût-il dans les galeries, ne peut être guéri; fût-il attaché à la loi, il n’arrivera pas au salut. C’est donc à cause de ce mystère que le Prophète nous enseigne que la loi fut donnée pour convaincre les pécheurs, et les exciter à recourir au médecin pour en recevoir la santé. De là vient qu’il est pleinement convaincu, cet homme que l’Apôtre personnifie en lui-même, quand il dit : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » La loi en effet lui avait découvert en lui-même un combat, qui lui faisait dire : « Je ressens dans mes membres une loi qui répugne à la loi de l’esprit, et qui me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Il s’est retrouvé dans la misère, dans les gémissements, dans la guerre, dans les combats, en désaccord avec lui-même, divisé, opposé à lui-même. Et que dit-il, en demandant la paix, la vraie paix, la paix éternelle? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? La grâce de Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ 1. Où le péché a abondé, a surabondé la grâce ». Où donc le péché a-t-il abondé? « La loi est entrée, en sorte que le péché a surabondé 2 ». Comment le péché a-t-il abondé à l’entrée de la loi? Parce que les hommes ne voulaient point se reconnaître coupables, et que la loi est venue leur montrer leurs prévarications. Car il n’y a de prévarication que quand la loi est violée. Tel est le langage de l’Apôtre « Où n’est pas la loi, il n’y a pas de prévarication 3 ». Le péché a donc abondé, et la grâce a surabondé. Tel est donc, ainsi que je le disais, le profond mystère de la loi, c’est qu’elle a été donnée, afin que l’accroissement des fautes humiliât les superbes ; qu’en les humiliant elle leur fît avouer leurs fautes, et les guérit par cet aveu; telles sont les voies secrètes que Dieu fit connaître à Moïse, en donnant par lui cette loi, qui a fait abonder le péché et surabonder la grâce. Dieu ne l’a point fait dans un dessein de sévérité, mais dans le dessein de nous guérir. Souvent, en effet, un homme se croit en bonne santé, tandis qu’il est malade ; et parce qu’il est malade

 

1. Rom. VII, 23-25. — 2. Id. V, 20. — 3. Id. IV, 15.

 

sans le comprendre, il ne cherche point de médecin. La maladie s’accroît, ses maux deviennent cuisants; il cherche le médecin, et se retrouve en pleine santé: « Dieu a fait connaître ses voies à Moïse, et ses volontés aux enfants d’Israël ». Est-ce à tous les enfants d’Israël ? Non, mais aux vrais enfants d’Israël; ou plutôt à tous les enfants d’Israël. Car les hommes fourbes, trompeurs, hypocrites, ne sont point enfants d’Israël. Quels sont donc les enfants d’Israël? « Voilà un véritable Israélite, sans déguisement 1» . « Et aux enfants d’Israël, ses volontés ».

16. « Le Seigneur est plein de bonté, de clémence; il est lent à punir et prodigue de miséricorde 2 ». Quelle patience est plus longue que la sienne? Qui est plus riche en miséricorde? Un homme pèche, et il vit; il augmente ses fautes, et Dieu ses années. Chaque jour on blasphème contre lui, et il fait luire son soleil sur les bons comme sur les méchants 3. De toutes parts il nous invite à nous corriger; de toutes parts il nous convie à la pénitence: il nous appelle par les biens qu’il nous crée, il nous appelle en nous donnant le temps de vivre ; il nous appelle par une lecture, par l’explication d’un passage, par une pensée intime, par le fouet de ses châtiments, par sa consolante miséricorde, « car il est lent à punir, et riche en miséricorde » ; mais prends garde que le mauvais usage de sa miséricorde ne t’amasse, comme dit l’Apôtre, un trésor de colère pour le jour de ses vengeances. « Mépriseras-tu donc», dit cet Apôtre, « les trésors de sa bonté, de sa longanimité ? Ignores-tu que cette patience de Dieu te convie à la pénitence 4?» T’imagines-tu lui plaire, parce qu’il t’épargne? « Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu ; et tu m’as soupçonné d’iniquité, d’être semblable à toi 5 ». Tes fautes me déplaisent, et ma lenteur attend des actes de vertu. Punir à l’instant les péchés, c’est rejeter l’aveu des fautes. Ainsi donc la lenteur de Dieu qui t’épargne, te conduit à la pénitence; mais toi, tu dis chaque jour : Voici un jour écoulé, demain il en sera comme aujourd’hui, car demain ne sera pas mon dernier jour; il eu sera de même après-demain: et voilà que sa colère éclate soudain. O mon frère, ne tarde point à revenir à Dieu 6. Il en est qui préparent

 

1. Jean, I, 47. — 2. Ps. CII, 8.— 3. Matth. V, 45 — 4. Rom. II, 4, 5. — 5. Ps. XLIX, 21. — 6.  Eccli. V, 8.

 

leur conversion, mais qui diffèrent de l’accomplir, ils disent alors comme le corbeau, cras, cras, demain, demain. Mais le corbeau une fois sorti de l’arche, n’y revint plus 1. Dieu n’aime point ces retards qu’exprime le cri du corbeau, il veut la confession avec le gémissement de la colombe. La colombe fut envoyée et revint. Jusques à quand dirons-nous: Cras, cras, demain, demain? Attention au dernier cras, et comme tu ne sais quand arrivera ce dernier cras, qu’il te suffise d’avoir été pécheur jusqu’aujourd’hui. Tu entends nos avertissements, tu les entends souvent, tu les entends aujourd’hui encore, et de même que tu les entends tous les jours, tu remets tous les jours à te corriger. « Par la dureté de ton coeur,par ton impénitence, tu amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon n ses oeuvres 2 ». Que la miséricorde en Dieu ne te fasse pas oublier qu’il est juste. « Le Seigneur est plein de miséricorde et d’amour ». Je l’entends, je m’en réjouis, dis-tu; écoute encore et réjouis-toi, le Prophète ajoute : « Il a une longue patience, il est riche en miséricorde», et enfin « il est véridique». Si les premières paroles te réjouissent, que la dernière te fasse trembler. Dieu, il est vrai, a de la patience, de la miséricorde, mais il est véridique. Et lorsque tu auras amassé un trésor de colère, pour le jour de la vengeance, ne sentiras-tu point sa justice après avoir méprisé sa bonté?

17. « Il n’est point irrité pour toujours; son indignation ne sera pas éternelle 5 ». Ces châtiments que nous endurons dans la corruption d’une chair mortelle, sont l’effet de son indignation : c’est la peine du premier péché. Mes frères, il nous faut penser, non plus seulement à éviter ses menaces pour l’avenir, mais encore sa colère d’aujourd’hui. Car c’est à lui la colère dont saint Paul a dit que lui et nous sommes les enfants. « Nous avons été, nous autres », dit-il, « par notre nature, des enfants de colère, ainsi que les autres 6 ». C’est donc un effet de sa colère, que l’homme soit ici-bas en exil, soumis au travail. N’est-ce point, mes frères, un effet de sa colère, que cet arrêt « Tu mangeras ton pain dans la sueur et dans le travail, et la terre produira pour toi des

 

1. Gen. VIII, 7.— 2. Rom. II, 5, 6.— 3. Ps. CII, 9.— 4. Ephés. II, 3.

 

épines et des chardons 1? » Ainsi fut-il dit à notre premier père. Ou si notre vie est autre chose, cherche un plaisir qui soit exempt d’épines. Choisis comme il te plaira, sois avare et voluptueux pour n’indiquer que ces deux passions, sois même ambitieux, c’est la troisième, et dis-moi combien d’épines dans la recherche des honneurs! combien d’épines dans les voluptés ! combien d’épines dans les convoitises de l’avarice! combien d’épines dans les amours déréglées! combien, en un mot, de sollicitudes en celte vie! Je ne parle point de l’enfer, mais prends garde d’être à loi. même ton enfer. Tout cela donc, mes frères, est l’effet de la colère divine; et en te tournant vers Dieu, pour faire le bien, tu ne pourras que souffrir sur la terre, et la douleur ne doit finir qu’avec notre vie. Il nous faut donc souffrir pendant l’exil, afin de nous réjouir dans la patrie. Les consolations divines viennent adoucir notre labeur, nos sueurs, nos chagrins, et Dieu te promet qu’ « il ne sera point toujours irrité, que son indignation ne sera pas éternelle ».

18. « Il ne nous a point traités selon nos offenses » Grâces à Dieu qui l’a voulu ainsi, qui ne nous a point traités comme nous le méritions : « Il ne nous a point traités selon nos offenses, ne nous a point rendu selon nos iniquités. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa miséricorde s’élève et s’affermit sur ceux qui le craignent. Dieu affermit sa miséricorde sur ceux qui le craignent 2 ». Dans quelle mesure? « Autant que le ciel s’élève au-dessus de la terre » . Que dit ici le Prophète? Si jamais le ciel peut cesser de couvrir et de protéger la terre, Dieu alors pourra cesser de protéger ceux qui le craignent. Vois le ciel: partout, de tous côtés, il couvre la terre; il n’est aucune partie de la terre que le ciel ne couvre point. Or, les hommes pèchent sous le ciel; ils font sous le ciel toutes sortes de maux, et néanmoins le ciel les protége. C’est du ciel que la lumière vient à nos yeux, que nous vient l’air que nous respirons, et la pluie qui féconde la terre, du ciel enfin que nous viennent tous les bien 3. Otez à la terre le secours du ciel, ce ne sera bientôt qu’un néant. Comme donc le ciel protége incessamment la terre, ainsi Dieu protége incessamment ceux qui le craignent. Crains-tu Dieu? Sa protection

 

1. Gen, III, 18, 19.— 2. Ps. CII, 10, 11.

 

est sur toi. Mais peut-être es-tu châtié et penses-tu que Dieu t’a abandonné? Oui, si les

cieux cessaient de protéger la terre, car: « Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant la miséricorde de Dieu est affermie sur ceux qui le craignent ».

19. Mais qu’a fait Dieu, puisqu’il ne nous a point traités selon nos offenses? « Autant l’Orient est éloigné du couchant, autant il a éloigné de nous nos péchés ». Autant le ciel couvre la terre, autant Dieu a confirmé sa miséricorde sur nous. Nous avons expliqué ce passage dans le sens d’une protection. Comment maintenant « a-t-il éloigné de nous nos péchés, autant que l’Orient est éloigné du Couchant? » Ils le savent, ceux qui connaissent les sacrements; j’en dirai néanmoins ce que chacun peut entendre. La rémission des péchés, c’est pour ces péchés l’Occident, et l’Orient pour la grâce. Tes péchés sont en quelque sorte à leur couchant, quand la grâce qui te délivre est à son lever. « La vérité s’est levée de la terre 2 ». Qu’est-ce à dire que « la vérité s’est levée de la terre? » Que la grâce est née en toi, que tes péchés meurent, et que tu es en quelque sorte renouvelé. Tu dois donc tourner tes regards vers l’Orient, et les détourner du Couchant. Détourne-les du péché, et tourne-les vers la grâce de Dieu; car leur mort est pour toi une résurrection et un progrès. Mais cette partie du ciel qui se lève, ira aussi vers son couchant. Aussi les comparaisons ne peuvent-elles être bustes dans tous les sens, ni embrasser trait pour trait ce qu’on veut représenter. Il en est ici comme de l’aigle et de la lune dont nous avons parlé. Une partie du ciel se couche, l’autre partie se lève : mais la partie qui se lève devra se coucher à son tour après douze heures. Il n’en est pas ainsi de la grâce qui se lève pour nous, non plus que de nos péchés qui se couchent pour jamais, tandis que la grâce demeure à jamais aussi.

20. Mais pourquoi « Dieu a-t-il éloigné de nous nos péchés de toute la distance de l’Orient à l’Occident », en sorte que nos péchés meurent et que sa grâce s’élève ? Quelle raison en voyez-vous? « Comme un père a pitié de ses fils, ainsi Dieu a pitié de ses enfants; Dieu a pitié de ceux qui le craignent 3». Quelle que soit sa sévérité, il est toujours père. Mais voilà qu’il nous châtie, qu’il nous afflige, qu’il nous brise: il est père encore. Mon fils,

 

1. Ps. CII, 12. — 2. Id. LXXXIV, 12. — 3. Id. CII, 13.

 

si tu pleures, pleure sous la main d’un père; pleure sans t’indigner, sans te laisser aller au dépit et à l’orgueil. Ce que tu endures, ce qui t’arrache des pleurs, est un remède, et non une peine; c’est un redressement plutôt qu’une condamnation. Ne rejette point le fouet, si tu ne veux à ton tour être rejeté de l’héritage. Ne t’arrête pas à la douleur du châtiment, mais à ta place dans le testament. « Comme un père a pitié de ses enfants, Dieu a pitié de ceux qui le craignent ».

21. « Car il connaît bien notre argile 1», c’est-à-dire notre faiblesse; il connaît ce qu’il a formé, comment cet ouvrage est déclin, comment il doit le reformer, comment l’adopter et comment l’enrichir. C’est de boue que nous sommes pétris : « Le premier homme est terrestre, formé de la terre, le second est céleste, venu du ciel 2 ». Dieu a envoyé son Fils qui est devenu le second homme, et qui était Dieu avant toutes choses. Il est le second dans son avènement, le premier dans le retour. Il est mort après un grand nombre, et ressuscité avant tous. « Dieu connaît bien notre argile ». Quel argile? Nous-mêmes Pourquoi dire qu’il le connaît? Parce qu’il en a pitié. « Souvenez-vous que nous sommes poussière ». Le Prophète se tourne vers Dieu, et lui dit : « Souvenez-vous », comme si Dieu oubliait : mais il voit, il connaît de manière à ne rien oublier. Pourquoi dire alors: « Souvenez-vous ? » Que votre miséricorde persévère à tomber sur nous. Vous connaissez d’une certaine manière notre argile; n’oubliez pas cet argile, de pour que nous n’oubliions votre grâce: « Souvenez-vous que nous sommes poussière ».

22. « Les jours de l’homme sont comme l’herbe 3 ». Que l’homme voie ce qu’il est, et qu’il ne s’enorgueillisse point: « Ses jours sont comme l’herbe ». Comment s’enorgueillirait une herbe qui fleurit aujourd’hui, pour sécher peu après? Comment s’enorgueillir quand elle n’est verte qu’un moment, et un moment bien court, jusqu’à ce que le soleil arrive à son midi ? Il nous est donc avantageux que sa miséricorde soit sur nous, et change cette herbe en or. Car « les jours de l’homme sont comme l’herbe; il s’épanouira comme la fleur des champs ». Toute la gloire du genre humain, les honneurs, la puissance, les richesses, l’orgueil et les

 

1. Ps. CII, 14. — 2. I Cor. XV, 47. — 2. Ps. CII, 15.

 

menaces, tout cela n’est que la fleur de l’herbe, Voilà une maison florissante, nous dit-on, une grande maison; voilà une famille florissante: combien y sont en honneur, ou combien d’années dure cette pompe ! Beaucoup d’années pour toi ne sont pour Dieu qu’un temps bien court. Dieu ne compte point le temps comme tu peux le compter. Tout ce qu’il y a d’éclatant dans une maison florissante n’est qu’une fleur des champs, en comparaison de ces siècles qui vivent et qui durent toujours. Toute la beauté d’une fleur dure à peine une année. Tout ce qu’il y a de vif, tout ce qu’il y a d’agréable, tout ce qu’il y a d’éblouissant ne dépasse pas une année entière, et même c’est à peine si cela dure une année entière. Combien rapidement passent les fleurs, et cependant c’est l’ornement de la terre. Ce qui a le plus d’éclat passe aussi le plus vite. « Toute chair est comme l’herbe, et la gloire de l’homme est comme la fleur de l’herbe: l’herbe se fane, la fleur tombe, mais le Verbe du Seigneur demeure éternellement 1». Comme donc notre Père connaît notre argile, et sait que nous sommes une herbe, que nous ne pouvons fleurir que pour un temps, il nous a envoyé son Verbe, et ce Verbe, qui demeure éternellement, il l’a fait frère de cette herbe qui passe avec rapidité : ce fils unique dans sa, nature, seul né de sa substance, est le frère de tant de frères d’adoption. Ne t’étonne point de participer un jour à l’éternité de celui qui a pris part le premier à l’herbe dont tu es formé. Refusera-t-il; de t’élever au-dessus de toi-même, celui qui s’est revêtu d’une humilité qui venait de toi? Donc « l’homme » quant à ce qui est de l’homme, « n’est qu’une herbe, et ne doit fleurir que comme l’herbe des champs ».

23. « Un souffle passera en lui, et il ne sera plus, et ne connaîtra, plus sa place 2 ». Il sera comme exterminé, comme anéanti. C’est là qu’aboutit toute enflure, tout orgueil, toute élévation : « Un souffle passera en lui, et il ne sera plus, et ne connaîtra plus sa place ». Voyez tous les fours ceux qui meurent. C’est là que tout aboutit, c’est l,a fin de tous les hommes. Ce n’est point du Verbe que parle ici le prophète, mais de ce qui a déterminé le Verbe à devenir une herbe qui passe. Tu es homme, en effet, et c’est pourquoi le Verbe s’est fait homme. Tu es chair, et c’est

 

1. Isa. XI, 6-8. — 2. Ps. CII, 16.

 

pourquoi le Verbe s’est fait chair, « Or, toute chair est une herbe, et le Verbe s’est fait chair 1» Quelle espérance, pour cette herbe, que le Verbe se soit fait chair? Ce Verbe qui demeure éternellement n’a pas dédaigné de se faire herbe, pour que l’herbe ne désespérât point d’elle-même.

24. En jetant donc les yeux sur toi, considère ta bassesse, considère ta poussière, et ne t’élève point; tout ce que tu seras de plus, tu l’obtiendras de sa grâce et de sa miséricorde. Ecoute en effet ce qui suit : « Mais la miséricorde du Seigneur s’étend de siècle en siècle sur ceux qui le craignent 2 ». Vous qui ne le craignez point, vous ne serez que foin, que dans le foin, et jeté au feu avec le foin. Car la chair ressuscitera, mais pour les tourments. Qu’ils se réjouissent donc, ceux qui craignent le Seigneur, parce qu’ils seront sous les abris de sa miséricorde.

25. « Et sa justice protége les enfants de leurs enfants 3 ». Ce qui rejaillit ici sur les « enfants des enfants » est une récompense. Combien de serviteurs de Dieu n’ont point d’enfants, combien plus encore n’ont point de petits enfants? Mais le Prophète appelle enfants, nos oeuvres: et « les fils de nos enfants », la récompense de nos oeuvres. « Sa justice protége les enfants de leurs enfants, en faveur de ceux qui gardent son alliance ». Que tous ne s’imaginent point que ces promesses les regardent, mais qu’ils choisissent quand il en est temps. « En faveur de ceux », dit le Prophète, « qui gardent son testament, qui retiennent ses commandements dans leur mémoire, afin de les accomplir ». Déjà tu te disposais à te lever, à me réciter le psautier, mieux que je ne saurais le faire, ou à me réciter de mémoire toute la loi. Ta mémoire est meilleure que la mienne, meilleure que celle de tout juste, car nul juste ne peut réciter toute la loi : mais prends garde à retenir les préceptes. Comment les retenir? Non point dans la mémoire, mais dans la pratique. « Qui retiennent dans leur mémoire ses commandements », non pour les réciter, mais « pour les pratiquer ». Ceci trouble peut-être quelque conscience. Q ui retient tous les commandements de Dieu? qui peut se souvenir de toute la loi.? Voilà que je veux, non-seulement la retenir de mémoire, mais l’accomplir par mes oeuvres; mais qui la retient de mémoire ?

 

1. Jean, I , 14. — 2. Ps. CII, 17. — 3. Id. 18.

 

504

 

Ne crains rien, cette loi ne te surchargera point. « Deux commandements renferment toute la loi et les Prophètes 1». Mais je veux tenir toute la loi. Retiens-la, si tu le peux, quand tu le peux, comme tu le peux. Quelque page que tu interroges, elle te répondra : Tiens bien ce que tu tiens; conserve la charité. « La fin de la loi est la charité 2 ». Ne t’arrête pas au grand nombre des branches, tiens la racine, et tu seras maître de l’arbre. « Ils retiennent dans leur mémoire ses commandements afin de les pratiquer ».

26. « Le Seigneur a préparé son trône dans le ciel 3 ». Qui a préparé son trône dans le ciel, sinon le Christ? Lui qui est descendu pour y remonter, qui est mort et qui est ressuscité, qui s’est revêtu de l’homme pour l’élever jusqu’au ciel, c’est lui qui a préparé son trône dans le ciel. Ce trône est le siège du juge; ô vous qui écoutez, songez bien que c’est dans le ciel qu’il a établi son trône. Que chacun vive comme il lui plaira sur la terre; le péché ne sera pas sans châtiment, ni la justice sans récompense: car le Seigneur, qui a été tourné en dérision au tribunal d’un homme, a préparé son tribunal dans le ciel. « Le Seigneur a préparé son trône dans le ciel, et son empire domine tous les hommes. Au Seigneur appartient l’empire, et il dominera les nations 4. Et son royaume s’étend sur tous les hommes ».

27. « Bénissez le Seigneur, vous qui êtes ses anges, qui êtes revêtus de force, qui accomplissez sa volonté ». La parole de Dieu ne te rendra donc point juste ou fidèle, si tu ne la pratiques. « Vous qui avez la puissance, qui exécutez ses ordres, afin que l’on obéisse à ses préceptes 5».

28. « Bénissez le Seigneur, vous qui êtes sa milice, ses ministres, qui accomplissez sa volonté ». Vous tous qui êtes ses anges, si grands en force, qui faites sa volonté, vous sa milice, vous tous qui êtes ses ministres accomplissant sa volonté, vous tous, bénissez le Seigneur. Pour ceux qui vivent dans le désordre, quand même leur langue se tairait, leur vie est une malédiction contre Dieu. A quoi bon chanter de la langue des hymnes à Dieu, quand la vie n’est qu’une exhalaison sacrilège? Or, une vie désordonnée fait éclater en blasphèmes un infinité de

 

1. Matth. XXII, 40.— 2. I Tim. I, 5.—  3. Ps. CIX, 19.— 4. Id. XXX, 29. — 5. Id. CXI, 20. — 6. Id. 21.

 

langues. Ta langue s’occupe d’un psaume, et les langues de ceux qui te regardent s’occupent de blasphèmes. Si donc tu veux bénir le Seigneur, accomplis sa parole, accomplis sa volonté. Edifie sur la pierre, et non sur le sable. Ecouter sans pratiquer, c’est bâtir sur le sable; écouter et pratiquer, c’est bâtir sur la pierre. Ne rien écouter, ne rien pratiquer, c’est ne rien bâtir. Bâtir sur le sable, c’est élever une ruine. Ne rien bâtir, c’est s’exposer à la pluie, aux vents, aux fleuves; on est emporté avant de résister 1. Donc sans nous ralentir, hâtons-nous de construire : mais ne construisons point de manière à n’élever qu’une ruine; bâtissons sur la pierre, afin de ne point nous écrouler au souffle de la tentation. S’il en est ainsi, bénis le Seigneur: s’il n’en est pas ainsi, ne te rassure point sur ce que dit ta langue; mais interroge ta vie, elle te répondra. Si tu trouves en toi quelque mal, gémis, confesse-toi : ta confession bénira le Seigneur, mais ta conversion sera une bénédiction persévérante.

29. « Bénissez le Seigneur, ô vous qui êtes ses oeuvres, dans toute l’étendue de sa domination 2 ». Donc en tout lieu. Qu’on ne le bénisse point où il n’est pas le maître. « Dans l’étendue de sa domination ». Qu’on ne dise point : Je ne puis bénir le Seigneur en Orient, puisqu’il est parti pour l’Occident: ou, je ne puis le bénir en Occident, puisqu’il est en Orient, « Ce n’est en effet, ni de l’Orient, ni de l’Occident, ni du désert, que Dieu vient, parce qu’il est le juge ». Il est partout, afin qu’on le bénisse partout; il vient de toutes parts, afin que de toutes parts on pousse des cris d’allégresse. On le bénit partout, quand partout on mène une vie pure. « Bénissez le Seigneur, ô vous qui êtes ses oeuvres ». Lorsque par une vie pure tu auras commencé à bénir le Seigneur, ce seront tes oeuvres, et non tes mérites, qui le béniront. Car c’est lui qui fait le bien par toi et en toi, comme le dit l’Apôtre : « Travaillez à vous sauver avec crainte et tremblement: car c’est Dieu qui opère en vous 4 ». De peur qu’en pratiquant sa parole, en accomplissant sa volonté, tu ne viennes à t’élever, il a voulu t’humilier en te montrant la grâce qui te fait agir ainsi. « Dans toute l’étendue de sa domination, ô mon âme, bénis le Seigneur ».

 

1. Matth. VII, 24-27.— 2. Ps. CII, 22.— 3. Id. LXXXV, 7, 8. — 4. Philipp. II, 12, 13.

 

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Le dernier verset ressemble au premier: une bénédiction commence et une bénédiction finit; nous avons commencé par bénir Dieu, terminons en le bénissant, afin que nous puissions régner dans les bénédictions.

 

 

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