VENDREDI SAINT

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SAMEDI SAINT

LE  VENDREDI  SAINT.

 

LE  VENDREDI  SAINT.

A L'OFFICE DE LA NUIT.

AU PREMIER NOCTURNE.

PREMIÈRE LEÇON.

DEUXIÈME LEÇON.

TROISIÈME LEÇON.

AU DEUXIÈME NOCTURNE.

QUATRIÈME LEÇON.

CINQUIEME LEÇON.

SIXIÈME LEÇON.

AU  TROISIÈME NOCTURNE.

SEPTIÈME LEÇON.

HUITIÈME LEÇON.

NEUVIÈME LEÇON.

A LAUDES.

AU MATIN.

L'OFFICE DU MATIN.

LES LECTURES.

L'ADORATION DE LA CROIX.

LA MESSE DES PRÉSANCTIFIÉS.

A VÊPRES.

L'APRES-MIDI.

L'OFFICE DES TENEBRES.

LE SOIR.

 

A L'OFFICE DE LA NUIT.

 

Les cérémonies particulières que pratique la sainte Eglise à l’Office des Ténèbres ayant été expliquées ci-dessus, et ne présentant aucune différence dans ces trois jours, il est inutile d'en transcrire ici de nouveau les détails et les explications. Le lecteur les trouvera en tête de l'Office de la nuit du Jeudi saint, pages 333-335.

 

AU PREMIER NOCTURNE.

 

Le premier Psaume annonce prophétiquement la génération éternelle du Fils de Dieu, sa royauté sur les nations, et la vengeance qu'il exercera, au dernier jour, contre ses ennemis. Comme ce magnifique Cantique parle aussi de la révolte des puissants du monde contre le Christ, l'Eglise l'emploie en ce jour où les complots de la Synagogue ont produit la mort du Rédempteur.

 

Ant. Les rois de la terre se sont levés, les princes  se  sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ.

 

PSAUME  II.

 

Pourquoi les nations ont-elles frémi? Pourquoi les peuples ont-ils médité des choses vaines?

 

Les rois de  la  terre se sont levés , les princes se sont ligués ensemble contre le  Seigneur et contre son Christ.

 

Ils ont dit: Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de nous.

 

Celui qui habite dans les cieux se rira d'eux ; le Seigneur insultera à leurs efforts.

 

Il leur parlera dans sa colère ; il les confondra dans sa fureur.

 

J'ai été établi par lui roi sur Sion , sa montagne sainte, pour annoncer sa loi.

 

Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils ; je vous ai engendré aujourd'hui.

 

Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage , et pour empire jusqu'aux confins de la terre.

 

Vous les régirez avec la verge de fer, et les briserez comme le vase d'argile.

 

Maintenant donc, ô rois, comprenez : instruisez-vous, arbitres du monde!

 

Servez le Seigneur dans la crainte ; réjouissez-vous en lui, mais avec tremblement.

 

Embrassez sa loi, de peur que le Seigneur ne s'irrite, et que vous ne périssiez de la voie droite,

 

Quand sa colère s'allumera soudain. Heureux alors tous ceux qui ont mis en lui leur confiance !

 

 

Ant. Les rois de la terre se sont levés, les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ.

 

 

Le deuxième Psaume est, à proprement parler, le Psaume de la Passion. Le premier verset contient une des dernières paroles de Jésus-Christ sur la croix. Ses pieds et ses mains percées, l'extension violente de ses membres, ses vêtements partagés, sa robe jouée au sort, les langueurs de son agonie, les insultes de ceux qui l'ont crucifié, sont autant de traits qui font de ce divin Cantique comme un récit anticipé des faits évangéliques.

 

Ant. Ils se sont partagés mes vêtements, et ils ont jeté le sort sur ma robe.

 

Psaume XXI. Deus, Deus meus, page 435.

 

 

Le troisième Psaume fut composé par David, lorsqu'il fuyait la persécution de Saul. Il offre un contraste frappant entre les périls qui environnent le serviteur de Dieu, et la confiance inaltérable qu'il conserve dans le Seigneur. David est ici la figure du Christ au milieu des épreuves de sa Passion.

 

Ant. De faux témoins se sont élevés contre moi, et l'iniquité s'est menti à elle-même.

 

 

PSAUME XXVI.

 

Le Seigneur est ma lumière et mon salut : qui craindrai-je ?

 

Le Seigneur est le défenseur de ma vie ; qui pourrait m'intimider,

 

En ce moment où les méchants m’ont cerné pour me dévorer?

 

Mes persécuteurs se sont affaiblis, et ils sont tombés.

 

Quand même une armée ennemie m'assiégerait, mon cœur serait sans crainte.

 

Si elle me déclarait la bataille, c'est alors que je serais plein de confiance.

 

Je n’ai demandé qu'une chose au Seigneur; je la lui demanderai sans cesse : c'est d'habiter dans sa maison tous les jours de ma vie;

 

Afin de goûter les délices du Seigneur, et de contempler les beautés de son temple.

 

Car il me couvrira de l'ombre de son tabernacle ; au jour de mon affliction, il me protégera dans le secret de son temple.

 

Il m'a établi sur le roc ; il a élevé ma tête au-dessus de mes ennemis.

 

Après une marche sacrée, j'offrirai dans son tabernacle un sacrifice accompagné décris de joie; je chanterai des cantiques au Seigneur.

 

Exaucez, Seigneur, le cri que je vous adresse ; ayez pitié de moi, et exaucez-moi.

 

Mon cœur vous parle : mes yeux vous cherchent : Seigneur, je ne cesserai de chercher votre présence.

 

Ne détournez pas de moi votre visage; dans votre colère, ne vous éloignez pas de votre  serviteur.

 

Soyez mon appui; ne m'abandonnez pas; ne me dédaignez pas, ô Dieu de mon salut.

 

Mon père et ma mère m'ont abandonné ; mais le Seigneur a pris soin de moi.

 

Enseignez-moi vos sentiers, Seigneur ; dirigez-moi dans la voie droite pour confondre mes ennemis.

 

Ne m'abandonnez pas à la fureur de ceux qui me persécutent; car de faux témoins se sont élevés contre moi, et l'iniquité s'est menti à elle-même.

 

J'ai la ferme espérance de voir un jour les richesses du Seigneur, dans la terre des vivants.

 

Attends le Seigneur, ô mon âme, sois ferme ; fortifie ton courage, et attends le Seigneur.

 

Ant. De faux témoins se sont élevés contre moi, et l'iniquité s'est menti à elle-même.

 

V/. Ils se sont partagé mes vêtements,

R/. Et ils ont jeté le sort sur ma robe.

 

Les Leçons du premier Nocturne continuent d'être empruntées aux Lamentations de Jérémie. Nous avons  expliqué ci-dessus, page 344,  les motifs qui ont porté l'Eglise à lire, en ces trois jours, cette triste élégie. Les deux premières Leçons ont rapport à la ruine de Jérusalem ; nous donnons ci-après une explication en tête de la troisième.

 

 

De  Lamentatione Jeremiae Prophetae. Cap. II.

 

 

Des Lamentations du Prophète Jérémie. Chap. II.

 

 

 

 

PREMIÈRE LEÇON.

 

Heth. Le Seigneur a résolu de renverser les murailles de la fille de Sion. Il a tendu son cordeau, et il n'a point retiré sa main que tout ne fût renversé. Le boulevard s'est écroulé, et la muraille a été pareillement détruite.

 

Teth. Ses portes renversées sont enfoncées dans la terre ; le Seigneur en a rompu et broyé les gonds; il a banni son roi et ses princes parmi les nations. Elle n'a plus de loi ; et ses prophètes n'ont plus de visions de la part du Seigneur.

 

Jod. Les vieillards de la fille de Sion se sont assis sur la terre, et demeurent dans le silence ; ils ont couvert leurs têtes de cendre; ils se sont revêtus de cilices ; les vierges de Jérusalem tiennent leurs têtes penchées vers la terre.

 

Caph. Mes yeux se sont affaiblis à force de pleurer : le trouble a saisi mes entrailles : mon cœur a défailli jusqu'à terre, à l'aspect des malheurs de la fille de mon peuple, en voyant les petits enfants et ceux qu'on allaitait encore tomber morts par les rues de la ville.

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

 

R/. Tous mes amis m'ont abandonné; ceux qui m'ont dressé des embûches ont pris le dessus ; celui que j'aimais m'a trahi : * Et jetant sur moi des regards furieux, après m'avoir cruellement couvert de plaies, ils m'ont donné du vinaigre à boire.

 

V/. Ils m'ont mis au rang des méchants ; et ils n'ont point épargné ma vie;

* Et jetant sur moi des regards furieux, après m'avoir cruellement couvert de plaies, ils m'ont donné du vinaigre à boire.

 

 

DEUXIÈME LEÇON.

 

Lamed. Ils disaient à  leurs  mères : Où est le pain? est le vin? Et on les voyait tomber par les places de la ville comme blessés à mort, et ils expiraient entre les bras de leurs mères.

 

Mem. A qui te comparerai-je ? A qui dirai-je que tu ressembles, fille de Jérusalem? Où trouverai-je quelque chose d'égal à tes maux ? Et  comment  pourrai-je  te consoler, ô vierge fille de Sion ! Ta blessure est large comme la mer : qui pourra y appliquer le remède ?

 

Nun. Tes prophètes n'ont eu pour toi que des visions fausses et extravagantes ; ils ne découvraient point ton iniquité, pour te porter à la pénitence; ils ne voyaient pour toi dans leurs visions que de faux triomphes, et pour tes ennemis de fausses défaites.

 

Samech. Tous ceux qui passaient par le chemin ont frappé des mains en te voyant: ils ont sifflé, ils ont branlé la tête sur la fille de Jérusalem en disant: Est-ce donc là cette ville d'une beauté si parfaite, qui était les délices de  la terre entière ?

Jérusalem, Jérusalem, convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

 

R/. Le voile du temple se déchira, * et toute la terre trembla ; le larron s'écriait de dessus la croix : Souvenez-vous de moi. Seigneur, lorsque vous serez entré dans votre royaume.

 

V/. Les pierres se fendirent: les tombeaux s'ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient dans le sommeil de la mort, ressuscitèrent. * Et toute la terre trembla ; le larron s'écriait de dessus la croix : Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez entré dans votre royaume.

 

467

 

Dans cette troisième Leçon, Jérémie change de sujet. Selon l'usage de tous les Prophètes, il s'interrompt pour parler du Messie, la grande préoccupation d'Israël. Mais ce n'est pas le Messie triomphant qu'il offre à nos regards: c'est le Fils de l'homme, objet du courroux de Dieu, parce qu'il porte sur lui les péchés du monde entier.

 

TROISIÈME LEÇON.

 

Aleph. Je suis un homme, je vois ma misère sous la verge de son indignation.

Aleph. Il m'a conduit et m'a amené dans un cachot ténébreux, loin de la lumière.

Aleph. Il n'a fait que tourner et retourner sa main sur moi, toute la journée.

 

Beth. Il a rendu ma peau et ma chair sèches et ridées : il a brisé mes os.

Beth. Il a bâti un cachot autour de moi, et m'a environné de fiel et de chagrin.

Beth. Il m'a plongé dans un lieu ténébreux, comme ceux qui sont morts pour toujours.

 

Ghimel. Il m'a enfermé de tous côtés, et je ne saurais sortir : il a appesanti mes fers.

Ghimel. En vain j'ai crié vers lui, et je l'ai supplié : il a repoussé ma prière.

Ghimel. Il m'a fermé le passage avec des pierres de taille : il m'a coupé le chemin.

Jérusalem , Jérusalem , convertis-toi au Seigneur ton Dieu.

 

R/.O ma vigne que j'avais choisie ! c'est moi-même qui t'avais plantée . * Comment as-tu changé ta douceur en amertume , jusqu'à me crucifier, et délivrer  Barabbas ?

 

V/. Je t'ai environnée d'une haie ; j'ai ôté les pierres qui pouvaient te nuire , et j’ai bâti une  tour pour ta  défense. * Comment as-tu changé ta douceur en amertume, jusqu'à me crucifier et délivrer Barabbas?

On répète : O ma vigne.

 

AU DEUXIÈME NOCTURNE.

 

Dans le quatrième Psaume, David, après son péché, en butte à la révolte d'Absalon, se livre au regret des fautes qui ont déchaîné sur lui les vengeances célestes. Il est la figure du Messie qui, dans son agonie, confesse aussi que les iniquités dont il s'est chargé l’accablent, que son cœur est dans le trouble que ses forces l’ont abandonné.

 

 

Ant.  Ceux qui  cherchaient à m'ôter la vie me faisaient violence.

 

PSAUME XXXVII.

 

Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur, et ne me châtiez pas dans votre colère.

 

Car vous m'avez percé de vos flèches, et vous avez appesanti votre main sur moi

 

Il n'y a plus rien de sain dans ma chair à la vue de votre colère ; il n'y a point de paix dans mes os à la vue de mes péchés.

 

Car mes iniquités se sont élevées au-dessus de ma tête ; et elles m'ont accablé comme un poids insupportable.

 

Mes plaies se sont corrompues et putréfiées , à cause de ma folie.

 

Je suis devenu misérable et tout courbé ; je passe tout le jour dans la tristesse.

 

Mes reins sont remplis d'illusions ; et il n'y a plus rien de sain dans ma chair.

 

J'ai été affligé et humilié jusqu'à l'excès ; je pousse du fond de mon cœur des sanglots et des cris.

 

Tous mes désirs vous sont connus,  Seigneur : et mon gémissement ne vous  est point caché.

 

Mon cœur est dans le trouble: mes forces me quittent ; et la lumière même Je mes  yeux  m'a abandonné.

 

Mes amis et mes proches sont venus vers moi, et se sont élevés contre moi.

 

Ceux qui étaient auprès de moi  s’en sont éloignés ; et ceux qui cherchaient a m'ôter la vie me faisaient violence.

 

Ceux qui cherchaient à me faire du mal ont publié des mensonges ; et ils méditaient quelque tromperie pendant tout le jour

 

Pour moi, j'étais comme un sourd qui n'entend point, et comme un muet qui n'ouvre point la bouche.

 

Je suis devenu comme un homme qui n'entend plus, et qui n'a rien à répliquer.

 

Parce que j'ai mis en vous, Seigneur, toute mon espérance, vous m'exaucerez, à Seigneur mon Dieu !

 

Car je me suis dit à moi-même: A Dieu ne plaise que je devienne un sujet de joie à mes ennemis, qui ont déjà parlé insolemment de moi, lorsque mes pieds se sont ébranlés.

 

Je suis préparé au châtiment, et ma douleur est toujours devant mes yeux.

 

Je confesserai mon iniquité, et je serai sans cesse occupé du désir d'expier mon péché.

 

Et toutefois mes ennemis vivent, et sont devenus plus puissants que moi , et le nombre de ceux qui me haïssent injustement s'accroît tous les jours.

 

Ceux qui rendent le mal pour le bien m'ont déchire dans leurs propos, parce que j'embrassais la  justice.

 

Ne m'abandonnez point, ô Seigneur mon Dieu ; ne vous éloignez point de moi.

 

Hâtez-vous de me secourir , ô Seigneur, Dieu de mon salut !

 

Ant. Ceux qui cherchaient à m'ôter la vie me faisaient violence.

 

David persécuté est encore, dans ce cinquième Psaume, la figure du Messie ; mais ce divin Cantique renferme un trait qui n'est applicable qu'au Christ : c'est l'endroit où celui qui parle dit à Dieu : « Vous n'avez pas agréé les victimes, ni les offrandes ; alors j'ai dit : « Voici que je viens pour « faire votre volonté.  »

 

Ant. Que ceux qui cherchent   à m'ôter la vie soient couverts de honte et saisis de crainte.

 

PSAUME XXXIX.

 

J'ai attendu le Seigneur avec persévérance, et il s'est enfin tourné vers moi.

 

Il a exaucé ma prière; il m'a tiré d'un abîme de misère et d'un bourbier profond.

 

Il a établi mes pieds sur le roc, et dirigé lui-même mes pas.

 

Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, un cantique de louanges pour notre Dieu.

 

Plusieurs verront ceci, et seront dans la crainte ; ils espéreront dans le Seigneur.

 

Heureux l'homme qui met son espérance dans le nom du Seigneur, et qui ne cherche pas des appuis vains et insensés !

 

Seigneur mon Dieu, vous avez opéré d'innombrables merveilles ; et nulle créature, dans ses desseins, ne peut être comparée à vous.

 

Si je veux parler de vos œuvres et les annoncer, elles se trouvent au-dessus de mes paroles.

 

Vous n'avez pas agréé les victimes ni les offrandes ; mais vous m'avez formé des oreilles dociles.

 

Vous n'avez point demandé d'holocaustes, ni de sacrifices pour le péché ; alors j'ai dit : Voici que je viens.

 

Il est écrit de moi en tête du livre que je ferai votre volonté; je le veux ainsi, mon Dieu, et votre commandement est gardé dans le plus intime de mon cœur.

 

J'ai annoncé votre justice dans une grande assemblée ; je n'ai point fermé mes lèvres : vous le savez, Seigneur.

 

Je n'ai point retenu votre justice dans le secret de mon cœur : j'ai publié votre vérité et le salut qui vient de vous.

 

Je n'ai point caché votre miséricorde et votre vérité à cette réunion nombreuse.

 

Mais   vous,   Seigneur, n'éloignez pas de moi vos bontés ; que votre miséricorde et votre vérité m'accompagnent toujours.

 

Des maux sans nombre sont venus fondre sur moi; mes iniquités m'ont enveloppé de toutes parts; et je n'ai pu en soutenir la vue.

 

Elles surpassent le nombre des cheveux de ma tête ; et mon cœur en est tombé dans la défaillance.

 

Que votre bonté, Seigneur, vous porte à me délivrer ; jetez sur moi, Seigneur, un regard de protection.

 

Que ceux qui cherchent à m'ôter la vie soient couverts de honte et saisis de crainte.

 

Que ceux qui désirent ma perte soient mis en fuite et livrés à l'ignominie.

 

Qu'ils soient couverts de confusion, ceux qui disent en m'insultant : Allons, allons !

 

Que tous ceux qui vous cherchent soient dans l'allégresse ; que tous ceux qui n'attendent leur salut que de vous disent sans cesse : Soit glorifié le Seigneur!

 

Pour moi, je suis pauvre et affligé ; mais le Seigneur prend soin de moi.

Vous êtes mon libérateur et mon appui : mon Dieu, ne tardez pas.

 

Ant. Que ceux qui cherchent à m'ôter la vie soient couverts de honte et  saisis de crainte.

 

Dans le sixième Psaume, David, poursuivi par les embûches de Saül, représente le Christ en butte à la Synagogue.

 

Ant. Des étrangers sont venus fondre sur moi ; des hommes puissants cherchent à m'ôter la vie.

 

PSAUME LIII.

 

O Dieu, pour la gloire de votre nom, sauvez-moi, et déployez votre puissance pour soutenir la justice de ma cause.

 

O Dieu. exaucez ma prière : soyez attentif aux paroles de ma bouche.

 

Car des étrangers sont venus fondre sur moi ; des hommes puissants cherchent à m'oter la vie, et ils n’ont point la crainte de Dieu devant les yeux.

 

Mais voici mon Dieu qui vient à mon secours: le Seigneur se rend protecteur de ma vie.

 

Détournez sur mes ennemis le mal qu'ils veulent me faire : exterminez-les selon la vérité de vos promesses.

 

Je vous offrirai un sacrifice d'actions de grâces, et je célébrerai hautement votre nom, Seigneur ; car il est la bonté.

 

Vous m'avez arraché à toutes mes tribulations, et par vous mon œil a pu dédaigner tous mes ennemis.

 

Ant. Des étrangers sont venus fondre sur moi; des hommes puissants cherchent à m'ôter la vie.

 

V/. De faux témoins se sont élevés contre moi ;

R/. Et l'iniquité s'est menti à elle-même.

 

 

L'Eglise continue de lire, au deuxième Nocturne, les Enarrations de saint Augustin sur les Psaumes prophétiques de la Passion du Sauveur.

 

 

Ex tractatu S. Augustini Episcopi, super Psalmos.

 

 

Du traité de saint Augustin, Evêque, sur les Psaumes.

 

 

 

QUATRIÈME LEÇON.

 

Mon Dieu, vous m'avez mis à couvert de la conspiration des méchants ; vous m'avez délivré de l'assemblée des hommes injustes. Jetons maintenant les yeux sur notre chef. Plusieurs martyrs ont souffert les mêmes peines ; mais le chef des martyrs les a tous effacés C'est en lui que nous pouvons mieux apprécier ce qu'ils ont souffert. Il a été mis à couvert de la conspiration des méchants par la protection de Dieu, et par celle que lui-même donnait à sa propre chair, et à la nature humaine dont il était revêtu ; étant en même temps Fils de l'homme et Fils de Dieu : Fils de Dieu par la nature divine ; Fils de l'homme par la nature de serviteur qu'il a prise, ayant le pouvoir de quitter la vie et celui de la reprendre. Qu'ont pu lui faire ses ennemis ? Ils ont tué le corps, mais ils n'ont pu tuer l'âme. Comprenez donc ceci : le Seigneur ne s'est pas contente d'exhorter les martyrs par sa parole : il a voulu encore les fortifier par son exemple.

 

R/. Vous êtes venus armés d'épées et de bâtons pour me prendre, comme si j'étais un voleur. * Tous les jours j'étais avec vous, enseignant dans le Temple, et vous ne m'avez point arrêté ; et maintenant, après m'avoir flagellé, vous m’emmenez pour me crucifier.

 

V/. Comme ils mettaient la main sur Jésus, et se saisissaient de lui, il leur dit :

* Tous les jours j'étais avec vous, enseignant dans le Temple, et vous ne m'avez point arrêté ; et maintenant, après m'avoir flagellé, vous m'emmenez pour me crucifier.

 

CINQUIEME LEÇON.

 

Vous savez quelle était la conspiration des perfides Juifs et quelle était l'assemblée de ces ouvriers d'iniquité. Mais de quelle iniquité ? C'est qu'ils ont voulu faire mourir le Seigneur Jésus-Christ. J'ai fait beaucoup de bonnes œuvres  devant vous,  leur disait-il ; pour laquelle est-ce que vous voulez me faire mourir ? En effet, il avait soulagé tous ceux qui étaient infirmes parmi eux, et guéri tous leurs malades; il leur avait annoncé le royaume des cieux ; il n'avait point dissimulé leurs désordres, afin qu'ils conçussent de la haine pour leurs crimes, et non pour le médecin qui venait les guérir. Mais eux, ne répondant que par l'ingratitude à de tels services, et semblables à des frénétiques qu'une fièvre ardente irrite contre le médecin qui était venu pour les guérir, ils formèrent le dessein de le perdre, comme s'ils eussent voulu éprouver s'il était véritablement homme, par la mort qu'il subirait, ou s'il était une nature supérieure à l'homme, en se garantissant de cette mort. Nous reconnaissons leur langage dans le livre de la Sagesse de Salomon : Condamnons-le, disent-ils, à la mort la plus infâme ; interrogeons-le ; car il sera protégé, si ses paroles sont véritables. S'il est vraiment le Fils de Dieu, qu'il le délivre.

 

R/. Des ténèbres se répandirent  sur la terre, lorsque les Juifs eurent crucifié Jésus ; et vers la neuvième heure, Jésus poussa un grand cri, en disant : Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? * Et, baissant la tête, il rendit l'esprit.

 

V/. Jésus, s'écriant à haute voix, dit: Père, je remets mon esprit entre vos mains.

* Et baissant la tête, il rendit l'esprit.

 

SIXIÈME LEÇON.

 

Ils ont aiguisé leurs langues comme un glaive. Que les Juifs ne disent pas: Nous n'avons pas tué le Christ. Il est vrai qu'ils le mirent entre les mains du juge Pilate, afin de paraître en quelque sorte innocents de sa mort. Car Pilate leur avant dit : Faites-le mourir vous-mêmes ; ils répondirent : Il ne nous est pas permis de faire mourir quelqu'un. Ils voulaient par là rejeter l'injustice de leur forfait sur la personne du juge; mais pouvaient-ils tromper Dieu qui est juge aussi. Il est vrai que le procédé de Pilate l'a rendu participant de leur crime ; mais si on le compare à eux, on le trouve beaucoup moins criminel. Car il fit tout ce qu'il put pour le tirer de leurs mains ; et ce fut pour cela qu'il le leur montra tout déchiré de coups de fouet. Il fit flageller le Seigneur, non à dessein de le perdre , mais pour donner quelque chose à leur fureur; afin que du moins la vue de l'état dans lequel l'avait mis la flagellation pût les adoucir ,  et  qu'ils cessassent de demander sa mort ; voilà ce qu'il fit. Mais voyant qu'ils persévéraient dans leur poursuite, vous savez qu'il lava ses mains, et qu'il leur dit que ce n'était pas lui qui était l'auteur de la mort de Jésus, et qu'il en était innocent. Il le fit mourir néanmoins. Mais s'il est coupable pour l’avoir condamné malgré lui, sont-ils innocents, ceux qui lui firent violence pour obtenir cette condamnation ? Non, sans doute. Pilate, en rendant sa sentence,  et en ordonnant qu'il fût crucifié, l'a comme immolé crucifié lui-même. Mais c'est vous, ô Juifs, qui l'avez réellement immolé. Et comment? Par le glaive de votre langue ; car vous avez aiguisé vos langues comme l'épée. Et quand l'avez-vous frappé, si ce n'est au moment où vous poussâtes ce cri : Crucifiez-le, crucifiez-le?

 

R/. J'ai livré ma vie au pouvoir des méchants ; le peuple qui était mon héritage a été pour moi comme un lion rugissant au fond d'une forêt. Mon ennemi a crié contre moi, disant . Rassemblez-vous, et hâtez-vous d'accourir pour le dévorer. Ils m'ont mis dans une affreuse solitude, et toute la terre a pleuré sur moi ; * Et il ne s'est trouvé personne qui voulût me reconnaître, et consentit à me faire du bien.

 

V/. Des hommes sans pitié se sont élevés contre  moi, et ils n'ont point épargné ma vie.

* Et il ne s'est trouvé personne qui voulût me reconnaître , et consentît à me faire du bien.

On répète : J'ai livré ma vie.

 

AU  TROISIÈME NOCTURNE.

 

Le septième Psaume fut aussi composé par David, dans le temps où il était l'objet des poursuites de Saül. Le Prophète décrit la rage de ses persécuteurs, et trace en même temps le portrait des ennemis du Messie.

 

ANT. Délivrez-moi de mes ennemis , Seigneur ; arrachez-moi à ceux qui poursuivent ma vie.

 

PSAUME LVIII.

 

Arrachez-moi à mes ennemis, ô mon Dieu ; délivrez-moi de ceux qui me persécutent.

 

Enlevez-moi aux ouvriers d'iniquité : sauvez-moi des hommes sanguinaires.

 

Car voici qu'il m'ont saisi ; des hommes puissants se sont élancés sur moi.

 

Ce n'est pas pour mon iniquité ni pour mon péché, Seigneur ; j'ai marché dans les voies de la justice, et dirigé ma course avec équité.

 

Levez-vous pour me secourir : jetez un regard sur moi, Seigneur Dieu des armées, Dieu d'Israël.

 

Venez visiter tous les peuples ; n'épargnez aucun de ceux qui commettent l'iniquité.

 

Mes ennemis reviennent vers le soir ; allâmes comme des chiens, ils font la ronde dans la ville.

 

Les voilà qui parlent contre l'innocent ; leurs lèvres sont armées de traits. Qui nous entend ? disent-ils.

 

Mais vous, Seigneur, vous vous rirez d'eux; tous les hommes sont devant vous comme rien.

 

C'est en vous que je mets mon ferme appui : car vous êtes, ô Dieu, mon protecteur; la miséricorde de mon Dieu viendra au-devant de moi.

 

Dieu m'a fait connaître la vengeance qu'il tirera de mes ennemis , ne les exterminez pas entièrement, de Ceur que mon peuple n'oublie leur châtiment.

 

Dispersez-les dans votre puissance ; humiliez-les, ô Dieu, mon appui !

 

C'est la punition du péché que leur bouche a commis , leur orgueil a été pour eux comme un piège.

 

A cause de leurs blasphèmes et de leurs mensonges, ils seront déclarés infâmes jusqu'à la fin; votre colère les poursuivra jusqu'à l'anéantissement.

 

Ils sauront alors que Dieu règne sur Jacob et sur la terre entière.

 

Maintenant ils reviennent vers le soir ; allâmes comme des chiens, ils font la ronde dans la ville.

 

Ils vont errer de tous côtés, cherchant leur proie pour la dévorer ; s'ils ne s'en rassasient pas, ils éclatent en murmures.

 

Pour moi, je chanterai votre puissance ; je publierai dès le matin votre miséricorde,

 

Parce que c'est vous qui êtes mon protecteur et mon asile, au jour de mon affliction.

 

O Dieu qui êtes mon aide, je vous célébrerai ; car vous êtes mon appui : vous êtes pour moi un Dieu de miséricorde.

 

Ant. Délivrez-moi de mes ennemis , Seigneur ; arrachez-moi à ceux qui poursuivent ma vie.

 

 

Dans le huitième Psaume, le Messie est en face de la mort qui va le dévorer ; il fait entendre ses plaintes, et se lamente sur l'abandon de ses disciples.

 

Ant. Vous avez éloigné de moi tous  mes proches; j'ai été livré sans pouvoir échapper.

 

PSAUME LXXXVII.

 

 

Seigneur mon Dieu qui êtes mon Sauveur, je crie vers vous le jour et la nuit.

 

Que ma prière pénètre en votre présence ; inclinez votre oreille à mes supplications.

 

Car mon âme est accablée de maux, et ma vie s'avance vers la tombe.

 

Déjà l'on me met au rang de ceux qui descendent dans le sépulcre ; on me regarde comme un homme sans appui, rangé entre les morts et quitte de la vie.

 

On me considère comme un de ceux qui ont été tués et renfermés dans le tombeau, que vous avez effacés de votre mémoire, et que votre main a retranchés du nombre des vivants.

 

Ils m'ont précipité dans le plus profond de l'abîme ; ils m'ont jeté dans les lieux les plus ténébreux, dans les ombres de la mort.

 

Votre indignation est venue fondre sur moi, et vous avez amassé sur moi tous les flots de votre colère.

 

Vous avez éloigné de moi tous mes proches ; et je suis devenu pour eux un objet d'horreur.

 

J'ai été livré sans pouvoir échapper ; mes yeux , à force de pleurer, sont devenus languissants.

 

J'ai crié vers vous, Seigneur, tout le jour ; j'ai étendu vers vous mes mains.

 

Est-ce donc en faveur des morts que vous faites vos prodiges ? Les médecins les ressusciteront-ils pour chanter vos louanges ?

 

Est-ce dans le tombeau que l'on célèbre vos miséricordes ? est-ce dans le séjour de la mort qu'on annonce votre vérité ?

 

Au sein des ténèbres, connaît-on vos merveilles, et votre justice dans la terre de l'oubli :

 

Mais moi, Seigneur, j'élève mon cri vers vous ; et dès le matin je vous adresse ma prière.

 

Pourquoi, Seigneur, rejetez-vous mes vœux ? pourquoi me cachez-vous votre visage ?

 

Dès ma jeunesse, j'ai été dans la pauvreté et dans les traverses ; relevé un moment, je suis tombé dans l'humiliation et le trouble.

 

Les impressions de votre colère ont pénétré mon âme ; et j'ai été saisi des frayeurs de vos jugements.

 

Elles m'ont environné tout le jour comme des torrents ; elles m'ont inondé de toutes parts.

 

Vous avez éloigné de moi mes amis et mes proches , ceux qui me connaissaient n'ont pu soutenir la vue de ma misère.

 

Ant. Vous avez éloigné de moi tous mes proches ; j'ai été livré sans pouvoir échapper.

 

Le neuvième Psaume appelle la vengeance de Dieu sur ces juges pervers qui versent le sang innocent, comme si le juste n'avait pas au ciel un témoin de son  immolation. Les princes des prêtres, les docteurs de la loi, le lâche Ponce-Pilate, y sont désignés sous les traits des juges iniques que le Psalmiste voue  à la colère céleste.

 

Ant. Ils ont   conspiré contre la vie du juste, et ils  ont condamné le sang innocent.

 

PSAUME XCIII.

 

Le Seigneur est le Dieu des vengeances ; il a fait éclater son pouvoir, le Dieu des vengeances.

 

Vous qui jugez la terre, montez sur votre siège : rendez aux superbes ce qu'ils méritent.

 

Jusques à quand, Seigneur, les pécheurs triompheront-ils ?

 

Jusques à quand tous ces ouvriers d'iniquité, ces auteurs de l'injustice se répandront-ils en discours ?

 

Ils ont écrasé votre peuple, Seigneur, et tenu dans l'oppression votre héritage.

 

Ils ont tué la veuve et l'étranger, répandu le sang de l'orphelin.

 

Et ils disent : Le Seigneur ne le verra pas ; le Dieu de Jacob n'en aura pas connaissance.

 

Hommes plus stupides que les derniers du peuple. faites-y attention ; insensés, devenez donc sages enfin.

 

Celui qui a fait l'oreille, selon vous n'entendrait pas ? Celui qui a formé l'œil ne verrait pas ?

 

Celui qui châtie les nations ne vous condamnerait pas ? Celui qui donne la science à l'homme ignorerait quelque chose ?

 

Le Seigneur connaît les pensées des hommes : il sait qu'elles sont vaines.

 

Heureux l'homme que vous instruisez, Seigneur, et à qui vous enseignez votre loi ;

 

Afin de lui adoucir l'amertume des jours mauvais, jusqu'à ce que la fosse du pécheur soit creusée.

 

Car le Seigneur ne rejettera pas son peuple, et n'abandonnera pas son héritage,

 

Jusqu'à ce que sa justice prononce un jugement décisif, et auquel applaudiront tous ceux qui ont le cœur droit.

 

Qui viendra se joindre à moi contre les méchants ? Qui s'unira avec moi contre ceux qui commettent l’iniquité?

 

Si le Seigneur ne m'eût secouru, mon âme allait habiter les horreurs du tombeau.

 

Lorsque je vous disais : Mes pieds chancellent, Seigneur , votre miséricorde venait aussitôt à mon secours.

 

A proportion des douleurs dont mon cœur a été pénétré, vos consolations ont rempli mon âme de joie.

 

Pouviez vous avoir quelque chose de commun avec le maître injuste qui écrase ses sujets sous le poids de ses préceptes ?

 

Mais eux, ils ont conspiré contre la vie du juste, et condamné le sang innocent.

 

Et le Seigneur est devenu mon asile; mon Dieu est mon appui et mon espérance.

 

Il fera retomber sur eux leur iniquité, et il les perdra dans leur malice: le Seigneur notre Dieu les perdra.

 

Ant. Ils ont conspiré contre la vie du juste, et ils ont condamné le sang innocent.

 

V/. Ils ont parlé contre moi avec une langue trompeuse.

R/. Ils m'ont attaqué par des propos haineux, et m'ont fait la guerre sans sujet.

 

 

Au troisième Nocturne, la sainte Eglise lit un passage de l'Epître aux Hébreux, dans lequel saint Paul nous montre le Fils de Dieu devenu Pontife et intercesseur pour les hommes auprès de son Père, au moyen de l'effusion de son sang, par lequel il efface nos péchés, et nous ouvre le ciel que la prévarication d'Adam nous avait fermé.

 

488

 

SEPTIÈME LEÇON.

De l'Epître du bienheureux Paul, Apôtre, aux Hébreux. Chap. IV et V.

 

Hâtons-nous d'entrer dans ce repos, de peur que quelqu'un ne tombe encore, et ne devienne un exemple d'incrédulité ; car la parole de Dieu est vive et efficace ; elle pénètre plus avant qu'un glaive à deux tranchants; elle entre jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, et elle démêle les pensées et les affections du cœur. Nulle créature ne se dérobe à ses regards : tout est nu et à découvert aux yeux de celui dont nous parlons. Ayant donc pour grand Pontife Jésus, Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux, tenons fermement la confession de notre foi. Car le Pontife que nous avons n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos infirmités; comme nous, il a éprouvé toutes sortes de tentations, hors le péché.

 

 

R/. Ils m'ont livré aux mains des impies ; ils m'ont confondu avec les méchants, et n'ont pas épargné ma vie; des hommes puissants se sont ligués contre moi : * Et ils sont venus fondre sur moi comme des géants.

 

V/. Des étrangers se sont élevés contre moi, et des ennemis puissants ont cherché à m'ôter la vie.

*  Et ils sont venus fondre sur moi comme des géants.

 

HUITIÈME LEÇON.

 

PRÉSENTONS-NOUS donc avec confiance au trône de la grâce, afin d'y recevoir miséricorde et d'y trouver le secours de la grâce dans nos besoins. Car tout Pontife étant pris parmi les hommes, est établi pour les hommes en ce qui regarde Dieu, afin qu'il offre des dons et des sacrifices pour les péchés, et qu'il puisse compatir à ceux qui pèchent par ignorance et par erreur, puisque lui-même est environné d'infirmités; et c'est ce qui l'oblige d'offrir pour lui-même, aussi bien que pour le peuple , les sacrifices d'expiation des péchés.

 

R/. L'impie a livré Jésus aux princes des prêtres et aux anciens du peuple ; * Pierre le suivait de loin, pour voir quelle serait la fin.

V/. Ils l'emmenèrent chez Caïphe , qui était grand-prêtre : c'était là que les Scribes et les Pharisiens étaient assemblés. *  Pierre le suivait de loin, pour voir quelle serait la fin.

 

 

NEUVIÈME LEÇON.

 

Et nul ne s'attribue à soi-même un tel honneur ; mais il faut y être appelé de Dieu comme Aaron. Ainsi le Christ n'a point cherché de lui-même la gloire du pontificat ; mais il l'a reçu de celui qui a dit : Tu es mon Fils : je t'ai engendré aujourd'hui. Comme il lui dit aussi dans un autre endroit : Tu es Prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisedech. Aussi, dans les jours de sa chair, ayant offert ses prières et ses supplications avec un grand cri et avec ses larmes, à celui qui pouvait le délivrer de la mort, il a été exaucé à cause de son religieux respect. Et quoiqu'il fût le Fils de Dieu, il a appris l'obéissance au moyen de tout ce qu'il a souffert ; et par sa consommation il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent. Dieu l'ayant déclaré pontife, selon l'ordre de Melchisedech.

 

R/. Mes yeux se sont obscurcis à force de pleurer; parce que celui qui était ma consolation m'a été enlevé. Peuples , voyez tous * S'il est une douleur semblable à la mienne.

V/. Vous tous qui passez par le chemin, considérez, et voyez

* S'il est une douleur semblable à la mienne.

 

On répète : Mes yeux se sont obscurcis.

 

 

A LAUDES.

 

Le premier Psaume des Laudes est le Miserere, ci-dessus, page 373. Il se chante sous l'Antienne suivante:

 

Ant. Dieu n’a pas épargné son propre Fils ; mais il l'a livré à la mort pour nous tous.

 

 

Le deuxième Psaume est aussi du nombre de ceux que David composa au temps de la révolte d'Absalon. Il est affecté à l'Office des Laudes du Vendredi pendant l'année, et convient au mystère d'aujourd'hui, en ce qu'il exprime l'abandon de la part des hommes et la confiance en Dieu, sentiments qu'éprouva le Messie sur la croix.

 

Ant. Mon âme a été remplie d’angoisses ; mon cœur s'est troublé au dedans  de moi.

 

 

PSAUME CXLII.

 

Seigneur , écoutez ma prière ; prêtez l'oreille à ma demande selon votre vérité ; exaucez-moi selon votre justice;

 

Et n'entrez pas en jugement avec votre serviteur, parce que nul homme vivant ne pourra être trouvé juste devant vous.

 

Car l'ennemi a poursuivi mon âme ; il a humilié ma vie jusqu'en terre ;

 

Il m'a confiné dans une obscure retraite, comme les morts ensevelis depuis longtemps. Mon âme a été remplie d'angoisses; mon cœur s'est troublé au dedans de moi.

 

Je me suis souvenu des jours anciens ; j'ai médité sur toutes vos œuvres, et sur les ouvrages de vos mains.

 

J'ai élevé mes mains vers vous ; mon âme est devant vous comme une terre sans eau.

 

Hâtez-vous, Seigneur, de m'exaucer: mon âme tombe en défaillance.

 

Ne détournez pas votre face de dessus moi, de peur que je ne sois semblable à ceux qui descendent dans l'abîme.

 

Faites-moi ressentir dès le matin votre miséricorde, parce que j’ai espéré en vous.

 

Montrez-moi la voie par laquelle je dois marcher , puisque j'ai élevé mon âme vers vous.

 

Seigneur, délivrez-moi de mes ennemis, j'ai recours à vous ; enseignez-moi à faire votre volonté , parce que vous êtes mon Dieu.

 

Votre Esprit plein de bonté me conduira dans un chemin droit ; vous me  donnerez  la vie, Seigneur, dans votre justice, pour la gloire de votre nom.

 

Vous tirerez mon âme de l'affliction, et vous détruirez tous mes ennemis, selon votre miséricorde.

 

Vous ferez périr tous ceux qui affligent mon âme , parce que je suis votre serviteur.

 

Ant. Mon âme a été remplie d'angoisses; mon cœur s'est troublé au dedans de moi.

 

Le troisième Psaume est Deus, Deus meus, ad te de luce vigilo, page 378. On le chante sous l'Antienne suivante :

 

Ant. L'un des deux voleurs dit à l'autre : Nous souffrons la peine due à nos crimes ; mais celui-ci, quel mal a-t-il fait ? Seigneur, souvenez-vous de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume.

 

Le Cantique du Prophète Habacuc fait partie chaque semaine, de l'Office du Vendredi à Laudes. Il célèbre avec magnificence la victoire du Christ sur ses ennemis, au jour où il viendra juger le monde, et forme un contraste sublime avec les humiliations auxquelles l'Homme-Dieu est en proie aujourd'hui.

 

Ant. Mon  âme sera dans le trouble ; mais vous vous souviendrez, Seigneur, de votre miséricorde.

 

CANTIQUE D’HABACUC

 

 

Seigneur, j'ai entendu votre parole, et j'ai été saisi de crainte.

 

Seigneur, accomplissez votre œuvre au milieu des temps.

 

Au milieu des temps, manifestez votre œuvre ; après la colère, souvenez-vous de la miséricorde.

 

Dieu viendra du Midi, et le Saint de la montagne de Pharan.

 

Sa gloire a couvert les cieux ; sa louange remplit la terre.

 

Son éclat est comme la lumière ; sa force est dans ses mains.

 

C'est là que sa puissance est cachée: il fait marcher la mort devant lui ;

 

Et le diable précède ses pas. Il s'arrête et mesure la terre.

 

D'un regard il anéantit les nations, et met en poudre les antiques montagnes.

 

Les collines se courbent sous les pas de son éternité.

 

J'ai vu les tentes des Ethiopiens renversées, à cause del'iniquitéde ce peuple; j'ai vu les tentes deMadian dans l'épouvante.

 

Est-ce contre les fleuves que vous êtes irrité, Seigneur ? Les fleuves sont-ils l'objet de votre indignation ? Est-ce contre la mer que s'est élevée votre colère ?

 

Vous qui montez sur vos chevaux, et qui apportez la délivrance sur vos chariots:

 

Vous prendrez enfin votre arc, pour accomplir les serments que vous avez faits à nos tribus.

 

Vous vous êtes ouvert un passage à travers les fleuves de la terre; les montagnes vous ont vu, et elles en ont gémi ; les grandes eaux se sont écoulées ;

 

L'abîme a fait entendre sa voix, et ses flots suspendus ont élevé vers vous leurs mains suppliantes.

 

Le soleil et la lune se sont arrêtés dans leur demeure. Israël a marché à la lueur de vos traits enflammés, de votre lance qui étincelle d'éclairs.

 

Dans votre fureur, vous foulerez aux pieds la terre ; dans votre colère, vous

épouvanterez les nations.

 

Vous êtes sorti pour apporter le salut à votre peuple, pour le sauver par votre Christ.

 

Vous avez frappé le chef de la race impie; vous avez mis sa maison à découvert depuis le fondement jusqu’au faîte.

 

Vous avez maudit son sceptre, et terrassé le chef de ses guerriers, qui venaient fondre sur moi comme un tourbillon,

 

Semblables dans leur joie cruelle à celui qui dévore le pauvre en secret.

 

Vous avez ouvert à vos chevaux un sentier à travers la mer, à travers la fange des grandes eaux.

 

A cette annonce de votre terrible arrivée, mon cœur s'est troublé, mes lèvres ont tremblé à de tels récits.

 

Que la pourriture entre jusqu'au fond de mes os, et qu'elle me consume entièrement dans le tombeau ;

 

Afin qu'au jour de cette tribulation je sois déjà dans le repos; que j'aie été me joindre à mon peuple pour marcher avec lui.

 

En ces jours le figuier ne fleurira pas, et la vigne ne portera point de fruit.

 

L'olivier trompera l'attente de son maître, et les campagnes ne donneront point de moisson.

 

Les bergers seront sans brebis ; et les étables sans troupeaux.

 

Et moi alors, je serai déjà rendu dans la joie du Seigneur ; je tressaillirai d'allégresse en Dieu mon Sauveur.

 

Le Seigneur Dieu est ma force : c'est lui qui donnera à mes pieds l’agilité des cerfs ;

 

Et après avoir vaincu nos ennemis, il me ramènera sur mes montagnes ; et je chanterai des cantiques à sa louange.

 

Ant. Mon âme sera dans le trouble; mais vous vous souviendrez, Seigneur, de votre miséricorde.

 

 

Le dernier Psaume de Laudes est Laudate Dominum de cœlis, ci-dessus, page 383. On le chante sous l'Antienne suivante :

 

Ant. Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez dans votre royaume.

 

V/. Il m'a mis dans un lieu ténébreux,

R/. Comme ceux qui sont morts depuis longtemps.

 

Après ce Verset, on chante la Cantique Bene-dictus, ci-dessus, page 386, sous l'Antienne suivante :

 

Ant. Ils placèrent au-dessus de sa tête cette inscription pour expliquer sa condamnation : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs.

 

Après la répétition de cette Antienne, le chœur chante sur un mode mélodieux et touchant les paroles suivantes que l'Eglise répète, en ces jours, à la fin de tous ses Offices ; mais elle ajoute aujourd'hui que la mort à laquelle le Fils de Dieu a daigné se soumettre a été la mort de la Croix, c'est-à-dire la plus honteuse et la plus cruelle.

 

Le Christ s'est fait obéissant pour nous jusqu’à la mort, et à la mort de la Croix.

 

On dit ensuite à voix basse Pater noster, suivi du Miserere, qui est récité à deux chœurs, sans chanter. Enfin, celui qui préside prononce pour conclusion l'Oraison suivante:

 

Daignez Seigneur, jeter un regard sur votre famille ici présente, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a bien voulu être livré aux mains des méchants, et souffrir le supplice de la Croix : Lui qui vit et règne avec vous, dans les siècles des siècles. Amen.

 

AU MATIN.

 

Le soleil s'est levé sur Jérusalem ; mais les pontifes et les docteurs de la loi n'ont pas attendu sa lumière pour satisfaire leur haine contre Jésus. Anne, qui avait d'abord reçu l'auguste prisonnier, l'a fait conduire chez son gendre Caïphe. L'indigne pontife a osé faire subir un interrogatoire au Fils de Dieu. Jésus, dédaignant de répondre, a reçu un soufflet d'un des valets. De faux témoins avaient été préparés ; ils viennent déposer leurs mensonges à la face de celui qui est la Vérité ; mais leurs témoignages ne s'accordent pas. Alors le grand-prêtre, voyant que le système qu'il a adopté pour convaincre Jésus de blasphème n'aboutit qu'à démasquer les complices de sa fraude, veut tirer de la bouche même du Sauveur le délit qui doit le rendre justiciable de la Synagogue. « Je vous adjure, parle Dieu vivant, de répondre. Etes-vous le Christ Fils de Dieu (1) ? » Telle est l'interpellation que le pontife adresse au Messie. Jésus, voulant nous apprendre les égards qui sont dus à l'autorité, aussi longtemps qu'elle

 

1. Matth. XXVI, 63.

 

499

 

en conserve les titres, sort de son silence, et répond avec fermeté : « Vous l'avez dit : je le suis ; au reste, je vous déclare qu'un jour vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la Vertu de Dieu, et venant sur les nuées du ciel (1). » A ces mots, le pontife sacrilège se lève, il déchire ses vêtements, et s'écrie : « Il a blasphémé ! qu'avons-nous besoin de témoins ? Vous venez d'entendre le blasphème, que vous en semble ? » De toutes parts, dans la salle, on crie : « Il mérite la mort (2) ! »

Le propre Fils de Dieu est descendu sur la terre pour rappeler à la vie l'homme qui s'était précipité dans la mort ; et par le plus affreux renversement, c'est l'homme qui, en retour d'un tel bienfait, ose traduire à son tribunal ce Verbe éternel, et le juge digne de mort. Et Jésus garde le silence, et il n'anéantit pas dans sa colère ces hommes aussi audacieux qu'ils sont ingrats! Répétons en ce moment ces touchantes paroles par lesquelles l'Eglise Grecque interrompt souvent aujourd'hui la lecture du récit de la Passion : « Gloire à votre patience, Seigneur ! »

A peine ce cri épouvantable : « Il mérite la mort ! » s'est-il fait entendre, que les valets du grand-prêtre se jettent sur Jésus. Ils lui crachent au visage, et lui ayant ensuite bandé les yeux, ils lui donnent des soufflets, en lui disant : « Prophète, devine qui t'a frappé (3). » Tels sont les hommages de la Synagogue au Messie dont l'attente la rend si fière. La plume hésite à répéter le récit de tels outrages faits au Fils de  Dieu ; et

 

1. MATTH. XXVI, 64; MARC XIV, 62

2.  MATTH. XXVI, 65, 66.

3. LUC. XXII, 64.

 

500

 

cependant ceci n'est que le commencement des indignités qu'a dû subir le Rédempteur.

Dans le même temps, une scène plus affligeante encore pour le cœur de Jésus se passe hors de la salle, dans la cour du grand-prêtre. Pierre, qui s'y est introduit, se trouve aux prises avec les gardes et les gens de service, qui l'ont reconnu pour un Galiléen de la suite de Jésus. L'Apôtre, déconcerté et craignant pour sa vie, abandonne lâchement son maître, et va jusqu'à affirmer par serment qu'il ne le connaît même pas. Triste exemple du châtiment réservé à la présomption ! Mais, o miséricorde de Jésus ! les valets du grand-prêtre l'entraînent vers le lieu où se tenait l'Apôtre ; il lance sur cet infidèle un regard de reproche et de pardon ; Pierre s'humilie et pleure. Il sort à ce moment de ce palais maudit ; et désormais tout entier à ses regrets, il ne se consolera plus qu'il n'ait revu son maître ressuscité et triomphant. Qu'il soit donc notre modèle, ce disciple pécheur et converti, en ces heures de compassion où la sainte Eglise veut que nous soyons témoins des douleurs toujours croissantes de notre Sauveur ! Pierre se retire ; car il craint sa faiblesse ; restons, nous, jusqu'à la fin ; nous n'avons rien à redouter ; et daigne le regard de Jésus, qui fond les cœurs les plus durs, se diriger vers nous !

Cependant les princes des prêtres, voyant que le jour commence à luire, se disposent à traduire Jésus devant le gouverneur romain. Ils ont instruit sa cause comme celle d'un blasphémateur, mais il n'est pas en leur pouvoir de lui appliquer la loi de Moïse, selon laquelle il devrait être lapidé. Jérusalem n'est plus libre, et ses propres lois ne la régissent plus. Le droit de vie et de mort n'est plus exercé que par les vainqueurs, et  toujours au nom de César. Commentées pontifes et ces docteurs ne se rappellent-ils pas en ce moment l'oracle de Jacob mourant, qui déclara que le Messie viendrait, lorsque le sceptre serait enlevé à Juda ? Mais une noire jalousie les a égarés ; et ils ne sentent pas non plus que le traitement qu'ils vont faire subir à ce Messie se trouve décrit par avance dans les prophéties qu'ils lisent et dont ils sont les gardiens.

Le bruit qui se répand dans la ville que Jésus a été saisi cette nuit, et qu'on se dispose à le traduire devant le gouverneur, arrive aux oreilles du traître Judas. Ce misérable aimait l'argent ; mais il n'avait aucun motif de désirer la mort de son maître. Il connaissait le pouvoir surnaturel de Jésus, et se flattait peut-être que les suites de sa trahison seraient promptement arrêtées par celui à qui la nature et les éléments ne résistaient jamais. Maintenant qu'il voit Jésus aux mains de ses plus cruels ennemis, et que tout annonce un dénouement tragique, un remords violent s'empare de lui ; il court au Temple, et va jeter aux pieds des princes des prêtres ce fatal argent qui a été le prix du sang. On dirait que cet homme est converti, et qu'il va implorer son pardon. Hélas ! il n'en est rien. Le désespoir est le seul sentiment qui lui reste, et il a hâte d'aller mettre fin à ses jours. Le souvenir de tous les appels que Jésus fit à son cœur, hier encore, durant la Cène et jusque dans le jardin, loin de lui donner confiance, ne sert qu'à l'accabler; et pour avoir douté d'une miséricorde qu'il devrait cependant connaître, il se précipite dans l'éternelle damnation, au moment même où le sang qui lave tous les crimes a déjà commencé découler.

Or les princes des prêtres, conduisant avec eux

 

502

 

Jésus enchaîne, se présentent au gouverneur Pilate, demandant d'être entendus sur une cause criminelle. Le gouverneur paraît, et leur dit avec une sorte d'ennui : « Quelle accusation apportez-vous contre cet homme ?— Si ce n'était pas un malfaiteur, répondent-ils, nous ne vous l'aurions pas livré. » Le mépris et le dégoût se trahissent déjà dans les paroles du gouverneur, et l'impatience dans la réponse que lui adressent les princes des prêtres. On voit que Pilate se soucie peu d'être le ministre de leurs vengeances : « Prenez-le, leur dit-il, et jugez-le selon votre loi. — Mais, répondent ces hommes de sang, il ne nous est pas permis de faire mourir personne (1). »

Pilate, qui était sorti du Prétoire pour parler aux ennemis du Sauveur,)' rentre et fait introduire Jésus. Le Fils de Dieu et le représentant du monde païen sont en présence. « Etes-vous donc le roi des Juifs ? demande Pilate.— Mon royaume n'est pas de ce monde, répond Jésus ; il n'a rien de commun avec ces royaumes formés parla violence ; sa source est d'en haut. Si mon royaume était de ce monde, j'aurais des soldats qui ne m'eussent pas laissé tomber au pouvoir des Juifs. Bientôt, à mon tour, j'exercerai l'empire terrestre; mais à cette heure mon royaume n'est pas d'ici bas.— Vous êtes donc roi, enfin ? reprend Pilate. — Oui, je suis roi, » dit le Sauveur. Après avoir confessé sa dignité auguste, l'Homme-Dieu fait un effort pour élever ce Romain au-dessus des intérêts vulgaires de sa fortune; il lui propose un but plus digne de l'homme que la recherche des honneurs de la terre. « Je suis venu en ce monde, lui dit-il, pour rendre  témoignage à la  Vérité;

 

1. JOHAN. XVIII, 20-32.

 

5o3

 

quiconque est de la Vérité écoute ma voix. — Et qu'est-ce que la Vérité ? » reprend Pilate ; et sans attendre la réponse à sa question, pressé d'en finir, il laisse Jésus, et va retrouver les accusateurs. « Je ne reconnais en cet homme aucun crime (1), » leur dit-il. Ce païen avait cru rencontrer en Jésus un docteur de quelque secte juive dont les enseignements ne valaient pas la peine d'être écoutés, mais en même temps un homme inoffensif dans lequel on ne pouvait, sans injustice, chercher un homme dangereux.

A peine Pilate a-t-il exprimé son avis favorable sur Jésus, qu'un amas d'accusations est produit contre ce Roi des Juifs par les princes des prêtres. Le silence de Jésus, au milieu de tant d'atroces mensonges, émeut le gouverneur Mais n'entendez-vous pas, lui dit-il, tout ce qu'ils disent contre vous ? » Cette parole, d'un intérêt visible, n'enlève point Jésus à son noble silence; mais elle provoque de la part de ses ennemis une nouvelle explosion de fureur. « Il agite le peuple, s'écrient les princes des prêtres; il va prêchant dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu'ici (2). » Dans ce mot de Galilée, Pilate croit voir un trait de lumière. Hérode, tétrarque de Galilée, est en ce moment à Jérusalem. Il faut lui remettre Jésus; il est son sujet ; et cette cession d'une cause criminelle débarrassera le gouverneur, en même temps qu'elle rétablira la bonne harmonie entre Hérode  et lui.

Le Sauveur est donc traîné dans les rues de Jérusalem, du Prétoire au palais d'Hérode. Ses ennemis l'y poursuivent avec la même rage, et Jésus garde le même silence. Il ne recueille là que

 

1. JOHAN. XVIII, 33-38.

2. MATTH. XXVII,  13-14 ; LUC. XXIII, 5.

 

504

 

le mépris du misérable Hérode, du meurtrier  de Jean-Baptiste ; et bientôt les habitants de Jérusalem le voient reparaître sous la livrée d'un insensé, entraîné de nouveau  vers  le Prétoire. Ce retour inattendu  de l'accusé contrarie Pilate ; cependant il croit avoir trouvé un nouveau moyen de se débarrasser de  cette cause qui  lui est odieuse. La fête de Pâque lui fournit occasion de gracier un coupable ;  il va essayer de faire  tomber cette faveur sur Jésus. Le peuple est ameuté aux portes du Prétoire ; il n'y a qu'à mettre en parallèle Jésus, ce même  Jésus que la ville  a vu conduire en triomphe il y a quelques jours, avec Barabbas, ce malfaiteur qui est un objet d'horreur pour  Jérusalem; le choix du peuple ne peut manquer d'être favorable à Jésus. « Qui voulez-vous que je vous délivre, leur dit-il, de  Jésus ou de Barabbas ? » La réponse ne se fait pas attendre ; des voix tumultueuses s'écrient : « Non Jésus, mais Barabbas ! — Que faire donc de Jésus ? reprend le gouverneur interdit. — Crucifiez-le ! — Mais quel mal a-t-il fait? Je vais le châtier, et je  le renverrai ensuite. — Non, non; crucifiez-le (1) ! »

L'épreuve n'a pas réussi ; et la situation du lâche gouverneur est devenue plus critique qu'auparavant. En vain il a cherchée ravaler l'innocent au niveau d'un malfaiteur; la passion d'un peuple ingrat et soulevé n'en a tenu aucun compte. Pilate est réduit à promettre qu'il va faire châtier Jésus d'une manière assez barbare pour étancher un peu la soif de sang qui dévore cette populace; mais il n'a fait que provoquer un nouveau cri de mort.

N'allons pas plus loin sans offrir au Fils de Dieu une réparation  pour l'indigne  outrage dont  il

 

1. MATTH. XXVII ; LUC. XXIII.

 

5o5

 

vient d'être l'objet. Mis en balance avec un homme infâme, c'est ce dernier qu'on lui préfère. Si Pilate essaie par pitié de lui sauver la vie. c'est à condition de lui faire subir cette ignoble comparaison, et c'est en pure perte. Les voix qui chantaient Hosannah au fils de David, il y a quelques jours, ne font plus entendre que des hurlements féroces; et le gouverneur, qui craint une sédition, a osé promettre de punir celui dont il a tout à l'heure confessé l'innocence.

Jésus est livré aux soldats pour être flagellé par eux. On le dépouille avec violence de ses vêtements, et on l'attache à la colonne qui servait pour ces exécutions. Les fouets les plus cruels sillonnent son corps tout entier, et le sang coule par ruisseaux le long de ses membres divins. Recueillons cette seconde effusion du sang de notre Rédempteur, par laquelle Jésus expie pour l'humanité tout entière les complaisances et les crimes de la chair. C’est par la main des Gentils que ce traitement lui est inflige ; les Juifs l'ont livré, et les Romains sont les exécuteurs ; tous nous avons trempé dans l'affreux déicide.

Mais cette soldatesque est lasse enfin de frapper ; les bourreaux détachent leur victime , en auront-ils enfin pitié ? Non, ils vont faire succéder a tant de cruauté une dérision sacrilège. Jésus a été appelé le Roi des Juifs ; les soldats prennent occasion de ce titre pour donner une forme nouvelle à leurs outrages. Un roi porte la couronne ; les soldats vont en imposer une au fils de David. Tressant à la hâte un horrible diadème avec des branches d'arbrisseaux épineux, ils la lui enfoncent sur la tête, et pour la troisième fois, le sang de Jésus coule avec abondance. Puis, afin de compléter l'ignominie, les soldats lui jettent sur les

 

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épaules un manteau de pourpre, et placent dans sa main un roseau, en guise de sceptre. Alors ils se mettent a genoux devant lui, et disent: « Roi des Juifs, salut ! » Et cet hommage insultant est accompagné de soufflets sur le visage de l'Homme-Dieu, et d'infâmes crachats ; et de temps en temps on lui arrache le roseau des mains pour l'en frapper sur la tête, afin d'enfoncer toujours davantage les cruelles épines dont elle est ceinte.

A ce spectacle, le chrétien se prosterne dans un douloureux respect, et dit à son tour. « Roi des Juifs, salut ! Oui, vous êtes le fils de David, et à ce titre, notre Messie et notre Rédempteur. Israël renie votre royauté qu'il proclamait naguère ; la gentilité n'y trouve qu'une occasion de plus pour vous outrager ;mais vous n'en régnerez pas moins par la justice sur Jérusalem, qui ne tardera pas à sentir le poids de votre sceptre vengeur; parla miséricorde sur les Gentils, que bientôt vos Apôtres amèneront à vos pieds. En attendant, recevez notre hommage et notre soumission. Régnez dès aujourd'hui sur nos cœurs et sur notre vie tout entière. »

On conduit Jésus à Pilate dans l'affreux état où l'a mis la cruauté des soldats. Le gouverneur ne doute pas qu'une victime réduite aux abois n'obtienne grâce devant le peuple ; et faisant monter avec lui le Sauveur à une galerie du palais, il le montre à la multitude, en disant : « Voilà l'homme (1) ! » Cette parole était plus profonde que ne le croyait Pilate II ne disait pas : Voilà Jésus, ni voilà le Roi des Juifs ; il se servait d'une expression générale dont il n'avait pas la clef, mais dont le chrétien possède l'intelligence. Le premier

 

1. JOHAN. XIX, 5

 

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homme, dans sa révolte contre Dieu, avait bouleversé, par son péché. l'œuvre entière du Créateur; en punition de son orgueil et de sa convoitise, la chair avait asservi l'esprit ; et la terre elle-même. en signe de malédiction, ne produisait plus que des épines. Le nouvel homme qui porte, non la réalité, mais la ressemblance du péché, paraît ; et l'œuvre du Créateur reprend en lui son harmonie première ; mais c'est par la violence. Pour montrer que la chair doit être asservie à l'esprit, la chair en lui est brisée sous les fouets ; pour montrer que l'orgueil doit céder la place à l'humilité, s'il porte une couronne, ce sont les épines de la terre maudite qui la forment sur sa tête. Triomphe de l'esprit sur les sens, abaissement de la volonté superbe sous le joug de la sentence : voilà l'homme.

Israël est comme le tigre; la vue du sang irrite sa soif; il n'est heureux qu'autant qu'il s'y baigne. A peine a-t-il aperçu sa victime ensanglantée, qu'il s'écrie avec une nouvelle fureur: « Crucifiez-le ! crucifiez-le ! —Eh bien ! dit Pilate, prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; pour moi. je ne trouve aucun crime en lui. » Et cependant on l'a mis. par son ordre, dans un état qui, à lui seul, peut lui causer la mort. Sa lâcheté sera encore déjouée. Les Juifs répliquent en invoquant le droit que les Romains laissaient aux peuples conquis : « Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir; car il s'est dit le Fils de Dieu. » A cette réclamation. Pilate se trouble ; il rentre dans la salle avec Jésus, et lui dit : « D'où êtes-vous ? » Jésus se tait ; Pilate n'était pas digne d'entendre le Fils de Dieu lui rendre raison de sa divine origine. Il s'irrite cependant : « Vous ne me répondez pas ? dit-il; ne savez-vous pas que j'ai le pouvoir de vous crucifier, et le pouvoir de vous absoudre ? »

 

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Jésus daigne parler ; et c'est pour nous apprendre que tome puissance de gouvernement, même chez les infidèles, vient de Dieu, et non de ce qu'on appelle le pacte social : « Vous n'auriez pas ce pouvoir, répondit-il, s'il ne vous avait été donné d'en haut : c'est pour cela que le pêche de celui qui m'a livré à vous est d'autant plus grand (1). »

La noblesse et la dignité de ces paroles subjuguent le gouverneur ; et il veut encore essayer de sauver Jésus. Mais les cris du peuple pénètrent de nouveau jusqu'à lui : « Si vous le laissez aller, lui dit-on. vous n'êtes pas l'ami de César. Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » A ces paroles, Pilate. essayant une dernière fois de ramener à la pitié ce peuple furieux, sort de nouveau, et monte sur un siège en plein air; il s'assied et fait amener Jésus: « Le voilà, dit-il, votre roi; voyez si César a quelque chose à craindre de lui. » Mais les cris redoublent: « Otez-le ! ôtez-le ! Crucifiez-le ! — Mais, dit le gouverneur, qui affecte de ne pas voir la gravite du péril, crucifierai-je donc votre roi ? » Les Pontifes répondent : « Nous n'avons point d'autre roi que César (2). » Parole indigne qui, lorsqu'elle sort du sanctuaire, annonce aux peuples que la foi est en péril: eu même temps parole de réprobation pour Jérusalem; car si elle n'a pas d'autre roi que César, le sceptre n'est plus dans Juda. et l'heure du Messie est arrivée.

Pilate, voyant que la sédition est au comble, et que sa responsabilité de gouverneur est menacée, se résout à abandonner Jésus à ses ennemis. Il porte enfin  quoique à contre-cœur, cette sentence

 

1 . JOHAN. XIX.

2. Ibid.

 

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qui doit produire en sa conscience un affreux remords dont bientôt il cherchera la délivrance dans le suicide. Il trace lui-même sur une tablette, avec un pinceau, l'inscription qui doit être placée au-dessus de la tête de Jésus. Il accorde même à la haine des ennemis du Sauveur que, pour une plus grande ignominie, deux voleurs seront crucifies avec lui. Ce trait était nécessaire à l'accomplissement de l'oracle prophétique: il sera mis au rang des scélérats (1).» Puis, lavant ses mains publiquement, à ce moment où il souille son âme du plus odieux forfait, il s'écrie en présence du peuple: « Je suis innocent du sang de ce juste: cela vous regarde. » Et tout le peuple répond par ce souhait épouvantable: « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants (2). » Ce fut le moment où le signe du parricide vint s'empreindre sur le front du peuple ingrat et sacrilège, comme autrefois sur celui de Caïn ; dix-huit siècles de servitude, de misère et de mépris ne l'ont pas effacé. Pour nous, enfants de la gentilité, sur lesquels ce sang divin est descendu comme une rosée miséricordieuse, rendons grâce à la bonté du Père céleste, qui « a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique (3) » ; rendons grâces à l'amour de ce Fils unique de Dieu, qui, voyant que nos souillures ne pouvaient être lavées que dans son sang, nous le donne aujourd'hui jusqu'à la dernière goutte.

Ici commence la Voie douloureuse, et le Prétoire de Pilate, où fut prononcée la sentence de Jésus, en est la première Station. Le Rédempteur est abandonné aux Juifs par l'autorité du gouvernent. Les soldais s,'empare m de lui et l'emmènent

 

1. Isai. LIII, 12,

2. Matth. XXVII, 24-25.

3. JOHAN. III, 16.

 

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hors de la cour du Prétoire. Ils lui enlèvent le manteau de pourpre, et le revêtent de ses vêtements qu'ils lui avaient ôtés pour le flageller ; enfin ils chargent la croix sur ses épaules déchirées. Le lieu où le nouvel Isaac reçut ainsi le bois de son sacrifice est désigné comme la seconde Station. La troupe des soldats, renforcée des exécuteurs, des princes des prêtres, des docteurs de la loi, d'un peuple immense, se met en marche. Jésus s'avance sous le fardeau de sa croix; mais bientôt, épuisé par le sang qu'il a perdu et par les souffrances de tout genre, il ne peut plus se soutenir, et tombant sous le faix, il marque par sa chute la troisième Station.

Les soldats relèvent avec brutalité le divin captif qui succombait plus encore sous le poids de nos péchés que sous celui de l'instrument de son supplice. Il vient de reprendre sa marche chancelante, lorsque tout à coup sa mère éplorée se présente à ses regards. La femme forte, dont l'amour maternel est invincible, s'est rendue sur le passage de son fils ; elle veut le voir, le suivre, s'attacher à lui, jusqu'à ce qu'il expire. Sa douleur est au-dessus de toute parole humaine ; les inquiétudes de ces derniers jours ont déjà épuisé ses forces ; toutes les souffrances de son fils lui ont été divinement manifestées ; elle s'y est associée, et elle les a toutes endurées une à une. Mais elle ne peut plus demeurer loin du regard des hommes ; le sacrifice avance dans son cours, la consommation est proche ; il lui faut être avec son fils, et rien ne la pourrait retenir en ce moment. La fidèle Madeleine est près d'elle, noyée dans ses pleurs; Jean. Marie mère de Jacques avec Salomé, l'accompagnent aussi ; ils pleurent sur leur maître ; mais elle, c'est sur son fils qu'elle pleure. Jésus la voit, et il n'est pas en son pouvoir de la consoler ,

 

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car tout ceci n'est encore que le commencement des douleurs. Le sentiment des angoisses qu'éprouve en ce moment le cœur de la plus tendre des mères vient oppresser d'un nouveau poids le cœur du plus aimant des fils. Les bourreaux n'accorderont pas un moment de retard dans la marche, en faveur de cette mère d'un condamné ; elle peut se traîner, si elle le veut. à la suite du funeste convoi : c'est beaucoup pour eux qu'ils ne la repoussent pas ; mais la rencontre de Jésus et de Marie sur le chemin du Calvaire désignera pour jamais la quatrième Station.

La route est longue encore ; car, selon la loi, les criminels devaient subir leur supplice hors des portes de la ville. Les Juifs en sont à craindre que la victime n'expire avant d'être arrivée au lieu du sacrifice. Un homme qui revenait de la campagne. nommé Simon de Cyrène, rencontre le douloureux cortège ; on l'arrête, et. par un sentiment cruellement humain envers Jésus, on oblige cet homme à partager avec lui l'honneur et la fatigue de porter l'instrument du salut du monde. Cette rencontre de Jésus avec Simon de Cyrène consacre la cinquième Station.

A quelques pas de là. un incident inattendu vient frapper d'étonnement et de stupeur jusqu'aux bourreaux eux-mêmes. Une femme fend la foule, écarte les soldats et se précipite jusqu'auprès du Sauveur Elle tient entre ses mains son voile qu'elle a détache, et elle en essuie d'une main tremblante le visage de Jésus, que le sang, la sueur et les crachats avaient rendu méconnaissable. Elle l'a reconnu cependant, parce qu'elle l'a aime ; et elle n'a pas craint d'exposer sa vie pour lui offrir ce léger soulagement. Son amour sera récompensé : la face du  Rédempteur, empreinte

 

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par miracle sur ce voile, en fera désormais son plus cher trésor ; et elle aura eu la gloire de désigner, par son acte courageux, la sixième Station de la Voie douloureuse.

Cependant les forces de Jésus s'épuisent de plus en plus, à mesure que Ton approche du terme fatal. Une subite défaillance abat une seconde fois la victime, et marque la septième Station. Jésus est bientôt relève avec violence par les soldats, et se traîne de nouveau sur le sentier qu'il arrose de son sang. Tant d'indignes traitements excitent des cris et des lamentations dans un groupe de femmes qui, émues de compassion pour le Sauveur, s'étaient mises à la suite des soldats et avaient bravé leurs insultes. Jésus, touché de l'intérêt courageux de ces femmes qui, dans la faiblesse de leur sexe, montraient plus de grandeur d'âme que le peuple entier de Jérusalem, leur adresse un regard de bonté, et reprenant toute la dignité de son langage de prophète, il leur annonce, en présence des princes des prêtres et des docteurs de la loi. l'épouvantable châtiment qui suivra bientôt l'attentat dont elles sont témoins, et qu'elles déplorent avec tant de larmes. « Filles de Jérusalem, leur dit-il. à cet endroit même qui est compté pour la huitième Station ; filles de Jérusalem ! ce n'est pas sur moi qu'il faut pleurer ; c'est sur vous et sur vos enfants ; car il viendra des jours où l'on dira : Heureuses les stériles, et les entrailles qui n'ont point porté, et les mamelles qui n'ont point allaité ! Alors ils diront aux montagnes : Tombez sur nous; et aux collines : Couvrez-nous ; mais si l'on traite ainsi le bois vert aujourd'hui, comment alors sera traité le bois sec (1) ?

 

1. Luc. XXIII, 27-31.

 

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Enfin on est arrivé au pied de la colline du Calvaire, et Jésus doit encore la gravir avant d'arriver au lieu de son sacrifice. Une troisième fois son extrême fatigue le renverse sur la terre, et sanctifie la place où les fidèles vénéreront la neuvième Station. La soldatesque barbare intervient encore pour faire reprendre à Jésus sa marche pénible, et après bien des coups il parvient enfin au sommet de ce monticule qui doit servir d'autel au plus sacré et au plus puissant de tous les holocaustes. Les bourreaux s'emparent de la croix et vont l'étendre sur la terre, en attendant qu'ils y attachent la victime. Auparavant, selon l'usage des Romains, qui était aussi pratiqué par les Juifs, on offre à Jésus une coupe qui contenait du vin mêlé de myrrhe. Ce breuvage, qui avait l'amertume du fiel, était un narcotique destiné à engourdir jusqu'à un certain point les sens du patient, et à diminuer les douleurs de son supplice. Jésus touche un moment de ses lèvres cette potion que la coutume, plutôt que l'humanité, lui faisait offrir; mais il refuse d'en boire, voulant rester tout entier aux souffrances qu'il a daigné accepter pour le salut des hommes. Alors les bourreaux lui arrachent avec violence ses vêtements colles à ses plaies, et s'apprêtent à le conduire au lieu où la croix l'attend. L'endroit du Calvaire où Jésus fut ainsi dépouillé, et où on lui présenta le breuvage amer, est désigné comme la dixième Station de la Voie douloureuse. Les neuf premières sont encore visibles dans les rues de Jérusalem, de l'emplacement du Prétoire jusqu'au pied du Calvaire ; mais cette dernière, ainsi que les quatre suivantes, sont dans l'intérieur de l'Eglise du Saint-Sépulcre, qui renferme dans sa vaste enceinte le théâtre des dernières scènes de la Passion du Sauveur.

 

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Mais il nous faut suspendre ce récit ; déjà même nous avons devance un peu les heures de cette grande journée, et nous avons à revenir plus tard sur le Calvaire. Il est temps de nous unir à la sainte Eglise dans la lugubre fonction par laquelle elle s'apprête à célébrer le trépas de son divin Epoux. L'airain sacré ne convoquera pas aujourd'hui les fidèles à la maison de Dieu; la foi et la componction seules les invitent a franchir au plus tôt les degrés du temple.

 

L'OFFICE DU MATIN.

 

Le service divin de cette matinée se divise en quatre parties, dont nous allons expliquer successivement les mystères. Il va d'abord les Lectures ; elles sont suivies des Prières : vient ensuite l'adoration de la Croix, et enfin la Messe des Présanctifiés. Ces rites solennels et inaccoutumés annoncent au peuple fidèle la grandeur de cette journée, en même temps qu'ils font sentir la suspension du Sacrifice quotidien dont ils occupent la place. L'autel est nu ; la croix voilée de noir s'élève entre les chandeliers qui ne portent plus que des flambeaux d'une cire grossière ; le pupitre de l'Evangile est sans tapis ; tout annonce la désolation. L'Heure de None ayant été récitée, le Célébrant s'avance avec ses ministres ; leurs ornements noirs expriment le deuil de la sainte Eglise. Arrivés au pied de l'autel, ils se prosternent sur les degrés et prient quelque temps en silence. En même temps, les acolytes étendent sur la table de l'autel une seule nappe, en place de trois qui sont nécessaires pour offrir le Sacrifice. Le Célébrant

 

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s'étant relevé de  sa prostration, on commence aussitôt les Lectures.

 

LES LECTURES.

 

La première partie de cet Office est employée à lire d'abord deux passages des Prophéties, et ensuite le récit de la Passion. On commence par un fragment du prophète Osée, dans lequel le Seigneur annonce ses vues de miséricorde envers son peuple nouveau, le peuple de la gentilité, qui était mort, et qui doit, dans trois jours, ressusciter avec ce Christ qu'il ne connaît pas encore. Ephraïm et Juda ne seront pas traités ainsi ; leurs sacrifices matériels n'ont point apaisé un Dieu qui n'aime que la miséricorde, et qui rejette ceux qui n'ont que la dureté du cœur.

 

(Osée, Chap. VI.)

 

Voici ce que dit le Seigneur : Dans la tribulation ils se hâteront de venir vers moi dès le matin. Venez, diront-ils, et retournons au Seigneur; car c'est lui-même qui nous a blessés et qui nous guérira. Après deux jours il nous rendra la vie ; le troisième jour il nous ressuscitera, et nous vivrons en sa présence. Nous saurons alors ; et nous suivrons le Seigneur, afin de le connaître davantage. Son lever se prépare comme celui de l'aurore ; et il descendra sur nous comme les pluies de l'automne et du printemps sur la terre. Et le Seigneur dira : Que ferai-je de toi. ô Ephraïm ? Que ferai-je de toi, ô Juda? Vos bons sentiments n'ont pas eu plus de durée que les nuages du matin, et que la rosée qui sèche en un instant. C'est pourquoi je les ai traités durement par mes prophètes, et je les ai mis à mort par les paroles de  ma bouche ; et je rendrai claire comme le jour l'équité  de mes jugements sur toi. Car c'est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice: et  je  préfère la connaissance de Dieu à tous les holocaustes que vous pouvez m’offrir.

 

Le Trait emprunté au Cantique du Prophète Hahacuc, que nous avons chanté à Laudes, prédit le second avènement du Christ, quand il viendra entouré de gloire et d'épouvante faire justice de ceux qui l'ont crucifié.

 

TRAIT.

 

Seigneur, j’ai entendu votre parole, et j'ai été saisi de crainte ; j'ai considéré vos œuvres, et j'ai été épouvanté.

 

V/. Vous vous manifesterez au milieu de deux animaux; lorsque les années seront accomplies, et quand le temps sera venu, vous vous ferez voir de nouveau.

 

V/. Alors mon âme sera troublée; mais vous vous souviendrez de votre miséricorde envers elle, au jour de votre colère.

 

V/. Dieu viendra du Liban, et celui qui est saint descendra de la montagne ombragée et boisée.

 

V/. Sa majesté couvrira les cieux ; et la terre sera remplie de sa gloire.

 

L'Eglise recueille les voeux de ses enfants dans la Collecte qui suit, où rappelant au Père céleste sa terrible justice envers Judas et son ineffable miséricorde envers le larron, elle demande que les dernières traces du vieil homme soient enlevées de nos âmes, et que nous méritions de ressusciter avec Jésus-Christ.

 

Le Diacre dit :

 

Flectamus genua.

Fléchissons les genoux.

 

Le Sous-Diacre :

 

    Levate.

Levez-vous.

 

     

COLLECTE.

 

O Dieu, de qui Judas a reçu la punition de son crime, et le larron la récompense de sa confession, faites-nous ressentir l'effet de votre miséricorde ; afin que, comme notre Seigneur Jésus-Christ, dans sa Passion, a traite l'un et l'autre Selon son mérite, de même il détruise en nous le mal qui procède du vieil homme, et nous accorde d'avoir part à sa résurrection ; Lui qui, étant Dieu, vit et règne avec vous dans les siècles des siècles. Amen.

 

 

A cette Oraison succède la deuxième lecture prophétique. Elle est empruntée au livre de l'Exode, et remet sous les yeux le touchant symbole de l'Agneau pascal, en  ce moment où la figure s'évanouit devant la réalité. Cet agneau est sans tache comme notre Emmanuel ; son sang préserve de la mort ceux dont les demeures en sont marquées. Il ne doit pas seulement être immolé; il faut qu'il soit la nourriture de ceux qui sont sauvés par lui. Il est le mets du voyageur, qui le mange debout, comme n'ayant pas le loisir de s'arrêter dans la course rapide de cette vie. L'immolation de l'Agneau ancien, comme celle du nouveau, est le signal de la Pâque.

 

(Exod. Chap. XII.)

 

Dans ces jours-là, le Seigneur dit à Moïse et à Aaron dans la terre d'Egypte: Ce mois-ci sera  pour vous le commencement des mois ; il sera le premier des mois de l'année. Parlez à toute l'assemblée des enfants d'Israël, et dites-leur : Au dixième jour de ce mois, chacun prendra un agneau pour sa famille et pour sa maison. S'il n'y a pas dans sa maison un nombre de personnes suffisant pour pouvoir manger l'agneau, il en prendra chez son voisin, dont la maison tient à la sienne, autant qu'il en faut pour pouvoir manger l'agneau. Cet agneau sera sans tache, mâle, et de l'année ; vous pourrez même, au défaut, prendre un chevreau qui soit dans les mêmes conditions. Vous garderez cet agneau jusqu'au quatorzième jour de ce mois ; et sur le soir, la multitude des enfants d'Israël l'immolera. Et ils prendront de son sang, et ils en mettront sur les deux poteaux et sur le haut des portes des maisons où ils le mangeront. Cette même nuit, ils en mangeront la chair rôtie au feu, avec des pains sans levain et des laitues sauvages. Vous ne mangerez rien de cet agneau qui soit cru ou qui ait été cuit dans l'eau, mais il sera seulement rôti au feu. Vous en mangerez la tête avec les pieds et les intestins; et il n'en devra plus rien rester pour le matin suivant. S'il en restait quelque chose, vous aurez soin de le consumer par le feu. Voici en quelle tenue vous le mangerez: vous ceindrez vos reins ; vous aurez des souliers aux pieds et un bâton à la main, et vous mangerez à la hâte. Car c'est la Pâque, c'est-à-dire le Passage du Seigneur.

 

A la suite de cette admirable page de l'Ancien Testament, l'Eglise chante le Trait suivant, qui est formé du Psaume CXXXIX. C'est le cri de détresse du Messie tombé, par la trahison, entre les mains de ses ennemis.

 

TRAIT

 

Arrachez-moi, Seigneur, à l'homme méchant ; délivrez-moi de l'homme injuste.

 

V/. Ils forment dans leurs cœurs des desseins iniques; tous les jours ils me livrent des combats.

 

V/. Ils aiguisent leurs langues comme des serpents; un venin d'aspic est sous leurs Lèvres.

 

V/. Défendez-moi , Seigneur, des attaques du pécheur, et délivrez-moi des hommes injustes.

 

V/. Ils cherchent le moyen de me renverser par terre ; ces superbes m'ont dressé secrètement des pièges.

 

V/. Ils ont tendu des filets et préparé des embûches sur ma route.

 

V/. J'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu ; exaucez, Seigneur, mon humble prière.

 

V/. Seigneur, Seigneur, ma force et mon salut, couvrez ma tête de votre bouclier, au jour du combat.

 

V/. Ne livrez pas. Seigneur, à la haine des pécheurs celui qui vous implore ; ils ont résolu ma perte : ne m'abandonnez pas, de peur qu'ils n'en triomphent.

 

V/. Mais tous leurs détours, tout l'artifice de leurs propos retomberont sur eux.

 

V/. Les justes loueront votre nom, Seigneur ; et ceux qui ont le coeur droit habiteront avec vous.

 

Les Prophètes nous ont préparés à entendre l'accomplissement de leurs divins oracles. La sainte Eglise va nous faire entendre le récit même de la Passion du Rédempteur. C'est le quatrième Evangéliste, saint Jean, le témoin des scènes du Calvaire, qui doit nous raconter les dernières heures de la vie mortelle de l'Homme-Dieu, et faire passer dans nos âmes l'émotion dont la sienne fut pénétrée lorsque, en ce jour, la victime du genre humain expira sur la croix.

 

La Passion de notre Seigneur Jésus-Christ selon saint Jean. Chap. XVIII.

 

En ce temps-là, Jésus s'en alla avec ses disciples au delà du torrent de Cédron. Or il y avait là un jardin dans lequel il entra, lui et ses disciples. Judas qui le trahissait connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y venait souvent avec ses disciples. Judas donc ayant pris une cohorte et des gens que les princes des prêtres et les pharisiens lui donnèrent, vint en ce lieu avec des lanternes, des torches et des armes. Jésus donc, sachant ce qui devait arriver, s'avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent: Jésus de Nazareth. Jésus leur dit : C'est moi. Or Judas, qui le trahissait, était avec eux. Lors donc qu'il leur eut dit : C'est moi, ils reculèrent de quelques pas et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous? Ils dirent: Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c'est moi ; si donc c'est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci. Afin que fût accomplie la parole qu'il avait dite : De ceux que vous m'avez donnés, je n'en ai perdu aucun. Alors Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, et frappa un serviteur du grand-prêtre, et lui coupa l'oreille droite; or ce serviteur avait nom Malchus. Mais Jésus dit à Pierre : Remets ton épée dans le fourreau. Le calice que mon Père m'a donné , ne le boirai-je donc pas ?

 

Alors la cohorte et le tribun, et les satellites des Juifs, se saisirent de Jésus et le lièrent. Et ils l'emmenèrent d’abord chez Anne, parce qu'il était le beau-père de Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là. Or Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs: Il est expédient qu'un seul homme meure pour le peuple. Simon Pierre suivait Jésus, et aussi un autre disciple ; or ce disciple étant connu du grand prêtre, il entra avec Jésus dans la cour du grand-prêtre. Et comme Pierre se tenait à la porte au dehors, l'autre disciple, qui était connu du grand-prêtre, sortit et parla à la portière, et elle fit entrer Pierre. Cette servante commise à la porte dit donc à Pierre: Es-tu aussi des disciples de cet homme? Il répondit : Je n'en suis point. Les serviteurs et les gardes, rangés autour d'un brasier,  se chauffaient; car il faisait froid. Et Pierre était aussi avec eux, debout et se chauffant.

 

Cependant le grand-prêtre interrogea Jésus touchant ses disciples et sa doctrine. Jésus lui répondit : J'ai parlé publiquement au monde; j'ai toujours enseigné élans la synagogue et dans le temple, ou tous les Juifs s'assemblent, et je n'ai rien dit en secret. Pourquoi m'interrogez-vous ? Interrogez ceux qui m'ont entendu, sur ce que je leur ai dit ; ceux là savent ce que j'ai dit. Après qu il eut dit cela, un des gardes là présent donna un soufflet à Jésus, disant : Est-ce ainsi que tu réponds au grand-prêtre : Jésus lui dit : Si j'ai mal parlé, fais voir ce que j'ai dit de mal ; mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? Et Anne l'envoya lie chez Caïphe le grand-prêtre. Cependant Simon Pierre était debout et se chauffait. Quelques-uns donc lui dirent : N'es-tu pas aussi de ses disciples? Il le nia, et dit : Je n en suis point. Un des serviteurs du grand-prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l'oreille, lui dit : Ne t'ai-je pas vu avec lui dans le jardin? Pierre le nia de nouveau ; et aussitôt le coq chanta.

 

Ils amenèrent Jésus de chez Caïphe dans le prétoire. Or c'était le matin, et eux n'entrèrent point dans  le prétoire, afin de ne se point souiller, et de pouvoir mander la  Pâque. Pilate vint donc à eux dehors, et dit: Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? Ils répondirent : Si ce n'était pas un malfaiteur,  nous ne vous l'aurions point amené. Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes, et le  jugez selon  votre loi. Les Juifs lui dirent : Il ne nous est pas permis de mettre personne à mort ; afin que fût accomplie la parole qu'il avait dite touchant la mort dont il devait mourir.  Pilate donc rentra  dans le prétoire, et appela Jésus, et lui dit : Etes-vous le Roi des Juifs? Jésus répondit: Dites-vous cela  de  vous-même,  ou d'autres vous l’ont-ils dit de moi? Pilate répondit: Est-ce que je suis  Juif?  Votre nation  et vos prêtres vous ont livré à  moi. Qu'avez-vous  fait ? Jésus répondit : Mon  royaume n'est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs combattraient pour que je ne fusse point livré aux Juifs : mais  maintenant mon royaume n'est  pas de ce monde. Pilate  lui  dit : Vous êtes donc Roi : Jésus répondit: Vous le dites, je suis Roi.  Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité ; quiconque est de la vérité, écoute ma voix. Pilate lui dit : Qu'est-ce que la vérité ? Et ayant dit cela, il sortit encore, et alla vers les Juifs, et leur dit : Je ne trouve en lui aucun crime. La coutume est que je vous délivre un criminel à la fête de Pâque ; voulez-vous que je vous délivre le Roi des  Juifs? Alors de nouveau tous s'écrièrent : Pas celui-ci,  mais Barabbas. Or Barabbas était un voleur.

 

Alors donc Pilate prit Jésus et le fit flageller. Et les soldats ayant tressé une couronne d'épines, la mirent sur sa tête, et le revêtirent d'un manteau de pourpre. Et venant à lui, ils disaient : Salut, Roi des Juifs! Et ils lui donnaient des soufflets. Pilate sortit de nouveau, et leur dit : Voici que je vous l'amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Jésus donc sortit, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : Voilà l'homme. Les prêtres et les gardes l'ayant vu, crièrent: Crucifiez-le, crucifiez-le. Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes, et le crucifiez ; car moi je ne trouve point de crime en lui. Les Juifs répondirent: Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir parce qu'il s'est fait Fils de Dieu. Ayant entendu cette parole, Pilate fut plus effrayé. Et entrant dans le prétoire, il dit à Jésus : D'où êtes-vous ? Jésus ne lui lit pas de réponse. Pilate lui dit donc : Vous ne me parlez point? Ignorez-vous que j'ai le pouvoir de vous crucifier et le pouvoir de vous délivrer? Jésus lui répondit : Vous n'auriez sur moi aucun pouvoir, s'il ne vous était donné d'en haut ; et c'est pour cela que le péché de celui qui m'a livré à vous est d'autant plus grand. Et depuis ce moment, Pilate cherchait à le délivrer. Mais les Juifs criaient, disant: Si vous le délivrez, vous n'êtes point ami de César ; car quiconque se fait Roi, se déclare contre César. Ayant entendu cette parole, Pilate fit amener Jésus dehors ; et il s'assit sur le tribunal, au lieu appelé en grec Lithostrotos, et en hébreu Gabbatha.

 

C’était le jour de la préparation de la Pâque. vers la sixième heure; et Pilate dit aux Juifs : Voilà votre Roi. Mais eux criaient : Otez-le ! ôtez-le ! crucifiez-le ! Pilate leur dit : Que je crucifie votre Roi? Les princes des prêtres répondirent : Nous n'avons de roi que César. Alors il le leur livra pour être crucifié. Et ils prirent Jésus et l'emmenèrent. Emportant sa croix, il vint au lieu nommé Calvaire, et en hébreu Golgotha, où ils le crucifièrent, et deux autres avec lui, un de chaque côté, et Jésus au milieu. Pilate écrivit une inscription, et la fit mettre au haut de la croix. Voici ce qu'elle portait : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Beaucoup de Juifs lurent cette inscription . parce que le lieu où Jésus était crucifié était près de la ville, et qu'elle était écrite en hébreu, en grec, et en latin. Les pontifes des Juifs dirent donc à Pilate : N'écrivez point : Roi des Juifs ; mais bien qu'il a dit : Je suis le Roi des Juifs. Pilate répondit : Ce qui est écrit, est écrit. Les soldats, après avoir crucifié Jésus, prirent ses habits dont ils firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi sa tunique ; et, comme elle était sans couture, d'un seul tissu d'en haut jusqu'en bas, ils se dirent entre eux : Ne la divisons point, mais tirons au sort à qui elle sera , afin que s'accomplit ce que dit l'Ecriture : Ils se sont partagé mes vêtements, et ils ont jeté ma robe au sort. Voilà ce que firent les soldats.

 

Debout près de la croix de Jésus, étaient sa mère et la sœur de sa mère, .Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine. Jésus ayant m sa mère, et debout près d'elle, le disciple qu'il aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre fils, là ensuite il dit au disciple : Voilà ta mère, là depuis cette heure, le disciple la prit chez lui. Apres cela, Jésus sachant que tout était accompli, afin qu'une parole de l'Ecriture s'accomplit encore, il dit : J'ai soif. Il y avait là un vase plein de vinaigre. Ils entourèrent d'hysope une éponge pleine de vinaigre, et la présentèrent à sa Bouche, là Jésus avant pris le vinaigre, dit : Tout est consommé. Et baissant la tête,  il rendit l'esprit.

 

Ici on fait une pause comme au Dimanche des Rameaux. Toute l'assistance se met à genoux ; et, selon l'usage des lieux, on se prosterne et on baise humblement la terre.

 

Or ce jour-là étant celui de la Préparation, afin que les corps ne demeurassent pas en croix durant le sabbat (car ce sabbat était un jour très solennel), les Juifs prièrent Pilate qu'on leur rompit les jambes, et qu'on les enlevât. Il vint donc des soldats qui rompirent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié avec lui. Etant venus à Jésus, et le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le coté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau, là celui qui Se vit en rend. témoignage, et son témoignage est vrai, là il sait qu'il dit vrai, afin que vous croyiez aussi. Ceci advint pour que cette parole de l'Ecriture tut accomplie: Vous ne briserez pas un seul de ses os. Et il est dit encore ailleurs dans l'Ecriture : Ils verront celui qu'ils ont percé.

 

Ici le Diacre vient prier en silence au pied de l'autel pour implorer sur lui-même la bénédiction de Dieu ; mais il ne demande point celle du Prêtre, et ne fait point bénir l'encens. Les Acolytes ne l'accompagnent point non plus à l'ambon avec des flambeaux. Quand il a terminé la lecture de l'Evangile, le Sous-Diacre ne porte point le livre à baiser au Célébrant. La suppression de toutes les cérémonies ordinaires atteste la profonde tristesse à laquelle l'Eglise est livrée.

 

APRÈS cela, Joseph d'Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, par crainte des Juifs, pria Pilate de lui laisser enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Il vint donc, et enleva le corps de Jésus. Nicomède, celui qui, autrefois, était venu trouver Jésus de nuit, vint aussi apportant une composition de myrrhe et d'aloès, environ cent livres. Or il y avait un jardin dans le lieu où Jésus avait été crucifié, et dans le jardin un sépulcre tout neuf, où personne n'avait encore été mis. Là donc, à cause de la préparation du sabbat des Juifs, et que ce sépulcre était proche, ils mirent Jésus.

 

LES PRIERES.

 

La sainte Eglise vient de repasser avec ses enfants l'histoire des derniers moments de son Epoux; que lui reste-t-il à faire, sinon d'imiter ce divin Médiateur qui, sur la Croix, comme nous l'apprend saint Paul, a offert pour tous les hommes à son Père « des prières et des supplications mêlées de larmes et accompagnées d'un grand cri (1) ? » C'est pourquoi, dès les premiers siècles, elle a présenté elle-même, en ce jour, à la majesté divine, un ensemble de prières qui, se dirigeant sur les besoins du genre humain tout entier, montrent qu'elle est véritablement la mère des hommes et l'épouse charitable du Fils de Dieu. Tous, même les Juifs, ont part à cette solennelle intercession que la sainte Eglise, au milieu de son deuil, présente au Père des siècles, du pied de la croix de Jésus-Christ.

Chacune  de  ces  prières est  précédée  d'une annonce qui en explique l'objet. Le Diacre avertit

 

1. Hebr. V, 7.

 

531

 

ensuite les fidèles de se mettre à genoux; ils se relèvent un moment après, au signal du Sous-Diacre, et s'unissent à la demande du Prêtre.

 

Prions , nos très chers Frères, pour la sainte Eglise de Dieu, afin que le Seigneur notre Dieu daigne lui donner la paix et l'union et la garder par toute la terre, en lui assujettissant les principautés et les puissances ; et qu'il nous accorde une vie calme et tranquille, pour que nous puissions glorifier Dieu le Père tout-puissant.

 

PRIONS

 

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

 

Dieu tout puissant et éternel, qui par le Christ avez révélé votre gloire à toutes les nations, conservez l'œuvre de votre miséricorde ; et faites que votre Eglise, répandue dans le monde entier, persévère, avec une ferme loi, dans la confession de votre Nom. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

R/. Amen.

 

Prions pour notre saint Père le Pape N., afin que le Seigneur notre Dieu, qui l'a élu dans l'ordre de l'épiscopat, le conserve en santé pour le bien de sa sainte Eglise, et pour la conduite du  saint peuple de Dieu.

 

PRIONS.

 

Le Diacre : Fléchissons les genoux

Le Sous-Diacre : Levez -vous.

 

Dieu tout-puissant et éternel, qui faites subsister toutes choses par votre sagesse, recevez Favorablement nos prières, et, dans votre bonté, conservez le Pontife que vous nous avez choisi; afin que le peuple chrétien qui est gouverné par votre autorité, croisse dans le mérite de 'a foi, sous la conduite d'un si grand Pontife. Par Jésus-Christ  notre Seigneur.

R/. Amen.

 

Prions pour tous les Evêques, Prêtres, Diacres, Sous-Diacres , Acolytes , Exorcistes, Lecteurs, Portiers, Confesseurs, Vierges, Veuves, et pour tout le saint peuple de Dieu.

 

PRIONS.

 

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

 

Dieu tout-puissant et éternel, qui. par votre Esprit, sanctifiez et gouvernez tout le corps de l'Eglise, exaucez nos supplications pour tous les Ordres qu elle renferme ; afin que,  par le don de votre  grâce, ces divers degrés soient fidèles dans votre service. Par  Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen.

 

L'Eglise Romaine, dans la prière qui suit, avait en vue l'Empereur d'Allemagne, autrefois chef du corps germanique, et chargé par l'Eglise, au moyen âge, de propager la foi chez les nations du Nord. On omet maintenant cette prière dans les pays qui ne sont pas soumis à la domination autrichienne.

 

Prions pour notre très chrétien Empereur, afin que le Seigneur Dieu lui soumette toutes les nations barbares, et que nous jouissions d'une paix continuelle.

 

PRIONS.

 

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

 

Dieu tout-puissant et éternel, qui tenez en main les droits et les forces de tous les Etats , regardez d'un œil favorable l'Empire Romain, et domptez par la puissance de votre droite les nations ennemies à qui leur barbarie donne tant d'audace. Par Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen.

 

Prions pour nos catéchumènes, afin que le Seigneur Dieu ouvre les oreilles de leur cœur et la porte de sa miséricorde, et que, ayant reçu la rémission de tous leurs péchés dans le bain de la régénération, ils soient incorporés avec nous à Jésus-Christ notre Seigneur.

 

PRIONS.

 

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

 

Dieu tout-puisssant et éternel, qui donnez sans cesse de nouveaux enfants à votre Eglise, accroissez la foi et l'intelligence de nos catéchumènes; afin que, recevant la régénération dans la fontaine baptismale, ils soient agrèges à vos enfants d'adoption. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

R/. Amen.

 

Prions, nos très chers Frères, Dieu Père tout-puissant, qu'il daigne purger le monde de toute erreur, dissiper les maladies, chasser la famine, ouvrir les prisons, rompre les liens des captifs, accorder aux voyageurs un heureux retour, aux malades la santé, aux navigateurs un port de salut.

 

PRIONS.

 

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

 

Dieu tout-puissant et éternel, qui êtes la consolation des affligés et la force de ceux qui sont dans la peine : laissez monter jusqu'à vous les cris et les prières de ceux qui vous invoquent du sein de leur affliction : afin qu'ils ressentent tous avec joie , dans leurs besoins, les secours de votre miséricorde. Par Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen.

 

Prions pour les hérétiques et les schismatiques, afin que le Seigneur notre Dieu les arrache à toutes leurs erreurs, et daigne les ramener à notre sainte mère l'Eglise catholique.

 

PRIONS.

 

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

 

Dieu tout-puissant et éternel, qui sauvez tous les hommes et ne voulez pas qu'aucun périsse, jetez les veux sur les âmes qui ont été séduites par les artifices du diable; afin que, déposant la perversité hérétique, leurs Cœurs égares viennent à résipiscence, et retournent à l'unité de votre vérité. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

R/. Amen.

 

Prions pour les perfides Juifs, afin que le  Seigneur notre Dieu enlève le voile qui couvre leurs cœurs, et qu'ils  reconnaissent avec nous Jésus-Christ notre Seigneur.

 

Après cette annonce, le Diacre ne donne point l'avertissement ordinaire de fléchir les genoux. La sainte Eglise prie aujourd'hui même pour les fils des bourreaux de son divin Epoux, mais la génuflexion ayant été tournée en outrage contre lui par leurs pères, à l'heure même où nous sommes, elle craint de rappeler le souvenir de cette indignité, en renouvelant le geste de l'adoration à propos des Juifs.

 

Dieu tout puissant et éternel, qui, dans votre miséricorde, ne repoussez pas même les perfides Juifs ; exaucez-les prières que nous vous adressons au sujet de l'aveuglement de ce peuple : afin que, reconnaissant la lumière de votre vérité qui est le Christ, ils soient enfin arrachés à leurs ténèbres. Par le même Jésus-Christ notre  Seigneur. R/.  Amen.

 

Prions pour les païens, afin que le Dieu tout-puissant ôte l'iniquité de leurs cœurs; et que, laissant là leurs idoles, ils se convertissent au Dieu vivant et véritable, et à son Fils unique Jésus-Christ, notre Dieu et Seigneur.

 

PRIONS.

 

Le Diacre : Fléchissons les genoux.

Le Sous-Diacre : Levez-vous.

 

Dieu tout-puissant et éternel, qui ne voulez point la mort, mais la vie des pécheurs, daignez exaucer notre prière; délivrez les païens du culte des idoles, et agrégez-les à votre sainte Eglise pour l'honneur et la gloire de votre Nom. Par Jésus-Christ notre Seigneur. R/. Amen.

 

L'ADORATION DE LA CROIX.

 

Les prières générales sont terminées; et après avoir imploré Dieu pour la conversion des païens, l'Eglise se trouve avoir visité, dans sa charité, tous les habitants de la terre, et sollicité sur eux tous l'effusion du sang divin qui coule, en ce moment, des veines de l'Homme-Dieu. Maintenant elle se tourne vers les chrétiens ses fils, et, tout émue des humiliations auxquelles est en proie son céleste Epoux, elle va les convier à en diminuer le poids, en dirigeant leurs hommages vers cette Croix, jusqu'alors infâme et désormais sacrée, sous laquelle Jésus marche au Calvaire, et dont les bras vont le porter aujourd'hui. Pour Israël, la croix est un objet de scandale ; pour le gentil, un monument de folie (1) ; nous chrétiens, nous vénérons en elle le trophée de la victoire du Fils de Dieu, et l'instrument auguste du salut des hommes. L'instant donc est arrivé où elle doit recevoir nos adorations, à cause de l'honneur que lui a daigné faire le Fils de

 

1. I Cor. I, 23.

 

538

 

Dieu en l'arrosant de son sang, et en l'associant ainsi à l'œuvre de notre réparation. Nul jour, nulle heure dans l’année ne conviennent mieux pour lui rendre nos humbles devoirs.

Ce touchant hommage offert, en ce jour, au bois sacre qui nous sauve, a commencé, dès le IV° siècle, à Jérusalem. On venait de découvrir la vraie Croix par les soins de la pieuse impératrice sainte Hélène; et le peuple fidèle aspirait à contempler de temps en temps cet arbre de vie, dont la miraculeuse Invention avait comblé de joie l'Eglise tout entière. Il fut réglé qu'on l'exposerait à l'adoration des chrétiens une fois l'année, le Vendredi saint. Le désir de prendre part au bonheur de le contempler amenait chaque année un concours immense de pèlerins a Jérusalem, pour la Semaine sainte. La renommée répandit partout les récits de cette imposante cérémonie; mais tous ne pouvaient espérer d'en être témoins, même une seule fois dans leur vie. La piété catholique voulut du moins jouir par imitation d'une cérémonie dont la vue réelle était refusée au grand nombre; et, vers le vue siècle, on songea à répéter dans toutes les églises, au Vendredi saint, l'ostension et l'adoration de la Croix qui avaient lieu à Jérusalem. On ne possédait, il est vrai, que la figure de la Croix véritable; mais les hommages rendus à ce bois sacré se rapportant au Christ lui-même, les fidèles pouvaient lui en offrir de semblables, lors même qu'ils n'avaient pas sous les yeux le propre bois lui-même que le Rédempteur a arrosé de son sang. Tel a été le motif de l'institution de ce rite imposant que la sainte Eglise va accomplir sous nos yeux, et auquel elle nous invite à prendre part.

A l'autel, le Célébrant se dépouille de la chasuble, qui est le vêtement sacerdotal,  afin de paraître avec plus d'humilité dans l'amende honorable qu'il doit offrir le premier au Fils de Dieu outragé par ses créatures. Il se rend ensuite sur le degré qui côtoie l'autel, au côté de l'Epître, et s'y tient la face tournée vers le peuple. Le Diacre prend alors la croix voilée de noir qui est entre les chandeliers de l'autel, et vient la déposer entre les mains du Célébrant. Celui-ci, aidé du Diacre et du Sous-Diacre, détache la partie du voile qui enveloppait le haut de cette croix, et la découvre jusqu'à la traverse. Il l'élève alors un peu, et chante sur un ton de voix médiocre ces paroles :

 

Eccce lignum Crucis;

Voici le bois de la Croix ;

 

Puis il continue, aidé de ses ministres, qui chantent avec lui :

 

in quo salus mundi pependit.

auquel le salut du monde a été suspendu.

 

 

Alors toute l'assistance se met à genoux et adore, pendant que le chœur chante :

 

Venite, adoremus.

Venez, adorons-le.

 

Cette première ostension, qui a lieu comme à l'écart, et à voix modérée, représente la première prédication de la Croix, celle que les Apôtres se firent entre eux, lorsque, n'ayant pas encore reçu le Saint-Esprit, ils ne pouvaient s'entretenir du divin mystère de la Rédemption qu'avec les disciples de Jésus, et craignaient d'exciter l'attention des Juifs. C'est pour cela aussi que le Prêtre n'élève que médiocrement la Croix. Ce premier hommage qu'elle reçoit est offert en réparation des outrages que le Sauveur reçut dans la maison de Caïphe.

Le Prêtre s'avance alors sur le devant du degré, toujours au côte de l'Epître, et se trouve plus en vue du peuple Ses ministres l'aident a dévoiler le bras droit de la croix, et après avoir découvert cette partie de l'instrument sacré, il montre de nouveau le signe du salut, l'élevant plus haut que la première fois, et chante avec plus de force :

 

Ecce lignum Crucis ;

Voici le bois de la Croix ;

 

Le Diacre et le Sous-Diacre continuent avec lui :

 

in quo salus  mundi pependit.

auquel le salut du monde a été suspendu.

 

 

L'assistance se met à genoux et adore, pendant que le chœur chante :

 

Venite, adoremus.

Venez, adorons-le.

 

 

Cette seconde extension, qui a lieu avec plus d'éclat que la première, représente la prédication du mystère de la Croix aux Juifs, lorsque les Apôtres, après la venue de l'Esprit-Saint, jettent les fondements de l'Eglise au sein de la Synagogue, et amènent les prémices d'Israël aux pieds du Rédempteur. Cette seconde adoration rendue a la Croix est offerte par la sainte Eglise en réparation des outrages que le Sauveur reçut dans le Prétoire de Pilate.

Le Prêtre vient se placer ensuite au milieu du degré, ayant toujours la face tournée vers le peuple. Il achève alors le dévoilement de la Croix, en dégageant le bras gauche avec l'aide du Diacre et du Sous-Diacre. Prenant ensuite cette Croix, qui paraîtra désormais sans voile, il l'élevé plus haut que les deux autres fois, et chante avec triomphe sur un ton plus éclatant :

 

Ecce lignum Crucis ;

Voici le bois de la Croix ;

 

541

 

Les ministres continuent avec lui :

 

in quo salus mundi pependit.

auquel le salut du monde a été suspendu.

 

 

L'assistance se met à genoux et adore, pendant que le chœur chante :

 

Venite, adoremus.

Venez, adorons-le.

 

Cette dernière ostension si solennelle représente la prédication du mystère de la Croix dans le monde entier, lorsque les Apôtres, repoussés par la masse de la nation juive, se tournent vers les Gentils, et vont annoncer le Dieu crucifié jusqu'au delà des limites de l'Empire romain. Ce troisième hommage offerte la Croix est une réparation des outrages que le Sauveur reçut sur le Calvaire.

La sainte Eglise, en nous présentant d'abord la Croix couverte d'un voile qui disparaît ensuite. pour laisser arriver nos regards jusqu'à ce divin trophée de notre rédemption, veut aussi exprimer tour à tour l'aveuglement du peuple juif qui ne voit qu'un instrument d'ignominie dans ce bois adorable, et l'éclatante lumière dont jouit le peuple chrétien, auquel la foi révèle que le Fils de Dieu crucifié. loin d'être un objet de scandale, est. au contraire, comme parle l'Apôtre, le monument éternel de « la puissance et de la sagesse de Dieu (1). » Désormais la Croix, qui vient d'être si solennellement arborée, ne sera plus couverte; elle va attendre sans voile, sur l'autel, l'heure de la glorieuse résurrection du Messie. Toutes les autres images de la Croix, placées sur les divers autels, seront aussi découvertes, à l'imitation de celle qui va bientôt reprendre sa place d'honneur sur l'autel majeur.

 

1. I Cor. 1, 24.

 

542

 

Mais la sainte Eglise ne se borne pas à exposer, en ce moment, aux regards de ses fidèles la Croix qui les a sauvés ; elle les convie à venir tous imprimer leurs lèvres respectueuses sur ce bois sacré. Le Célébrant doit les précéder, et ils viendront après lui. Non content d'avoir dépouillé la chasuble, il quitte encore sa chaussure, et ce n'est qu'après avoir fait trois génuflexions qu'il approche de la Croix que ses mains ont d'abord placée sur les degrés de l'autel. Le Diacre et le Sous-Diacre se présentent ensuite, puis le Clergé tout entier, enfin les laïques.

Les chants qui accompagnent l'adoration de la Croix sont de la plus grande beauté. Il y a d'abord les Impropères, ou reproches que le Messie adresse aux Juifs. Les trois premières strophes de cette Hymne plaintive sont entrecoupées parle chant du Trisagion, ou prière au Dieu trois fois Saint, dont il est juste de glorifier l’immortalité, en ce moment où il daigne, comme homme, souffrir la mort pour nous. Cette triple glorification, qui était en usage à Constantinople dès le V° siècle, a passé dans l'Eglise Romaine qui l'a maintenue dans la langue primitive, se contentant d'alterner la traduction latine des paroles. Le reste de ce beau chant est du plus haut intérêt dramatique. Le Christ rappelle toutes les indignités dont il a été l'objet de la part du peuple juif, et met en regard les bienfaits qu'il a répandus sur cette ingrate nation.

 

LES IMPROPÈRES.

 

 

Popule meus, quid feci tibi, aut in quo contristavi te ? Responde mihi. Quia eduxi te de terra Aegypti : parasti crucem Salvatori tuo.

 

Agios o Theos.

Sanctus Deus.

Agios ischyros

Sanctus fortis.

Auios athanatos, eleison imas.

Sanctus immortalis, miserere nobis.

 

Quia eduxi te per desertum quadraginta an-nis : et manna cibavi te, et introduxi  te in  terram satis bonam : parasti crucem Salvatori tuo.

 

 

 

Agios o Theos, etc.

 

 

Quid ultra debui facere tibi, et non feci ? Ego quidem plantavi te vineam meam speciosissi-mam : et tu facta es mihi nimis amara : aceto namque sitim meam potasti : et lancea perforasti latus Salvatori tuo.

 

 

Agios o Theos, etc.

 

Ego propter te flagellavi Aegyptum cum primogenitis suis : et tu me flagellatum tradidisti.

 

Popule meus, quid feci tibi, aut in quo contristavi  te ?  Responde mihi.

 

Ego eduxi te de Egypto, demerso Pharaone in mare Rubrum : et tu  me tradidisti principibus sacerdotum.

Popule meus.

 

Ego ante te aperui mare : et tu aperuisti

lancea latus meum.

Popule meus.

 

 

Ego ante te praeivi in columna nubis:et tu me duxisti ad praetorium Pilati.

Popule meus.

 

 

Ego te pavi manna per desertum : et tu me duxisti alapis et flagellis.

Popule meus.

 

 

Ego te potavi aqua salutis de petra : et tu me potasti felle et aceto.

Popule meus.

 

 

Ego propter te Chananaeorum regea percussi : et tu percussisti arundine caput meum.
Popule meus.

 

Ego dedi tibi sceptrum regale: et tu dedisti capiti meo spineam coronam.
Popule meus.

 

 

Ego te exaltavi magna virtute :   et tu   me  suspendisti in patibulo crucis.
Popule meus.

 

 

O mon peuple, que  t'ai-je fait ?En quoi t'ai-je affligé? Réponds-moi. Est-ce parce que je t'ai tiré de la terre d'Egypte que tu as dressé une croix pour ton Sauveur ?

 

Dieu saint.

Dieu saint.

Saint et fort.

Saint et fort.

Saint et immortel, ayez pitié de nous.

Saint et immortel, ayez pitié de nous.

 

Est-ce parce que, durant quarante ans, j'ai été ton conducteur dans le désert, que je t'y ai nourri de la manne, que je t'ai ensuite introduit dans une terre excellente ; est-ce pour ces services que tu as préparé une croix à ton Sauveur ?

 

Dieu saint, etc.

 

 

Qu'ai-je dû faire pour toi, que je n'aie pas fait? Je t'ai plantée comme la plus belle de mes vignes, et tu n'as eu pour moi qu'une amertume extrême ; car dans ma soif tu m'as donné du vinaigre à boire, et tu as percé de la lance le côté de ton Sauveur.

 

Dieu saint, etc.

 

Pour l'amour de toi, j'ai frappé l'Egypte avec ses premiers-nés ; toi, tu m'as livré à la mort, après m'avoir flagellé.

 

O mon peuple, que t'ai-je fait ? en quoi t'ai-je affligé? Réponds-moi.

 

Je t'ai tiré de l'Egypte, et j'ai submergé Pharaon dans la mer Rouge : toi, tu m’as livré aux princes des prêtres.

O mon peuple.

 

Je t'ai ouvert un passage dans la mer : toi, tu m'as ouvert le liane avec une lance.

O mon peuple.

 

J'ai marché devant toi dans une colonne de nuée : toi. tu m'as meneau prétoire de Pilate.

O mon peuple.

 

Je t'ai nourri de la manne dans le désert: j'ai reçu de toi des soufflets et des coups de fouet.

O mon peuple.

 

Je t'ai abreuvé de l'eau salutaire sortie du rocher : dans ma soif, tu m'as présente du fiel et du vinaigre.

O mon peuple.

 

A cause de toi j'ai exterminé les rois de Chanaan : toi, tu m'as frappe à la tète avec un roseau.

O mon peuple.

 

Je t'ai donné le sceptre de la royauté : toi, tu as mis sur ma tête une couronne d'épines.

O mon peuple.

 

Je t'ai élevé en déployant une  haute  puissance : toi, tu m'as attache au gibet de la croix.

O mon peuple.

 

 

 

 

Les impropères sont suivis de cette solennelle Antienne, dans laquelle le souvenir de la Croix vient s'unir à celui de la Résurrection pour la gloire de notre divin Rédempteur.

 

Nous adorons votre Croix, Seigneur ; nous célébrons et glorifions votre sainte Résurrection ; car c'est par la Croix que vous avez rempli de joie le monde entier.

Ps. Que Dieu ait pitié de nous et qu'il nous bénisse; qu'il fasse luire sur nous la lumière de son visage, et qu'il nous envoie sa miséricorde.

 

Si l'adoration de la Croix n'est pas encore terminée, on entonne cette Hymne célèbre que Mamert Claudien composa au VI° siècle, en l'honneur de l'arbre sacre de notre rédemption. Une des strophes, divisée en deux, sert de refrain pendant la durée de ce beau cantique.

 

HYMNE.

 

O Croix, notre espérance, arbre le plus noble de tous ; nulle forêt n'a produit ton pareil pourle feuillage, la fleur et le fruit.

 

Tu nous es cher, ô bois, et plus cher encore le doux fardeau suspendu à tes clous sacrés.

 

Chantons, ma langue, la couronne du glorieux combat ; célèbre le noble triomphe dont la Croix est le trophée, et la victoire que le Rédempteur du monde remporta dans sa propre immolation.

 

On répète: O Croix, notre espérance.

 

Le Créateur, compatissant au malheur que la séduction enfanta pour le premier homme notre père, précipité dans la mort pour avoir mangé d'un fruit funeste, daigna dès ce jour désigner le bois pour réparer le désastre causé par le bois.

 

On répète : Tu nous es cher.

 

Tel fut le plan divin dressé pour notre salut, afin que la sagesse y déjouât la ruse de notre cauteleux ennemi, et que le remède nous arrivât par le moyen même qui avait servi pour nous faire la blessure.

 

On répète: O Croix, notre espérance.

 

Lors donc que le temps marqué par le décret divin fut arrivé, celui par qui le monde a été créé fut envoyé du trône de son Père, et avant pris chair au sein d'une Vierge, il parut en ce monde.

 

On répète : Tu nous es cher.

 

A sa naissance, on le couche dans une crèche ; c'est de là qu'il fait entendre ses vagissements ; la Vierge-Mère enveloppe de langes ses membres délicats ; les mains et les pieds d'un Dieu sont captifs sous les bandelettes, comme ceux des autres enfants.

 

On répète : O Croix, notre espérance.

 

Après avoir vécu six lustres, le temps de sa vie mortelle approche de son terme ; c'est librement qu'il est descendu pour être notre Rédempteur ; et le jour est venu où cet Agneau est élevé sur l'arbre de la Croix, pour y être immolé.

 

On répète: Tu nous es cher.

 

C'est là qu'on l'abreuve de fiel dans son agonie ; là que les épines, les clous, la lance, déchirent son corps délicat ; l'eau et le sang s'épanchent de sa plaie; la terre, la mer, les astres, le monde tout entier, reçoivent ce jet qui les purifie.

 

On répète: O Croix, notre espérance.

 

Arbre auguste, laisse fléchir tes rameaux; soulage, en pliant, les membres tendus de l'Agneau ; amollis cette dureté que la nature t'avait donnée, et sois un lit plus doux pour le corps du souverain Roi.

 

 On répète : Tu nous es cher.

 

Seule tu as été trouvée digne de porter entre tes bras la victime du monde ; pour ce monde naufragé, tu as été l'arche qui le ramène au port, toi qui fus inondée du sang divin de l'Agneau.

 

On répète : O Croix, notre espérance

 

Gloire éternelle à l'heureuse Trinité; honneur égal au Père, au Fils, au Paraclet ; louange de la part de tous les êtres à celui qui réunit la Trinité à l'Unité. Amen.

 

On répète : Tu nous es cher.

 

Vers la fin de l'adoration de la Croix, on allume les cierges de l'autel, et le Diacre vient y étendre un corporal, pour recevoir l'Hostie sainte qui va bientôt y être déposée. Tous les fidèles ayant rendu leur hommage à la Croix, le Célébrant la rapporte à l'autel, sur lequel elle est placée découverte au lieu qu'elle occupait auparavant.

 

LA MESSE DES PRÉSANCTIFIÉS.

 

Le souvenir du grand sacrifice accompli aujourd'hui sur le Calvaire occupe tellement la pensée de l'Eglise en ce douloureux anniversaire, qu'elle renonce à renouveler sur l'autel l'immolation de la divine victime; elle se borne à participer au mystère sacré par la communion. Autrefois, tout le clergé et les fidèles même étaient admis à cette faveur ; dans la discipline actuelle, le Prêtre célébrant est le seul à qui elle soit accordée. Après qu'il a repris le vêtement sacerdotal, une procession formée de tout le cierge se dirige en silence vers le reposoir. , la veille, a été placée mystérieusement l'Hostie sainte. Le Diacre extrait d'un asile secret le calice qui la contient : et lorsque le Prêtre a offert l'hommage de l'encens au Rédempteur des hommes, il prend entre ses mains le calice qui renferme celui que le ciel et la terre ne peuvent contenir. La procession se met en marche vers l'autel, portant des cierges allumés, et chantant l'Hymne de la Croix.

 

HYMNE.

 

 

Vexilla   Regis  prodeunt,
Fulget    Crucis    mysterium,
Qua Vita mortem pertulit,
Et morte vitam protulit.

 

Quia vulnerata lanceae

Mucrone diro, criminum

Ut nos lavaret sordibus,

Manavit   unda   et  sanguine.

 

Impleta sunt quae concinit
David fideli carmine,

Dicendo nationibus:
Regnavit a ligno Deus.

 

Arbor decora  et fulgida.
Ornata Regis purpura,

Electa digno stipite,
Tam sancta membra tangere.

 

Beata cujus brachiis
Pretiumpependit saeculi:
Statera tacta corporis,
Tulitque   praedam   tartari.

 

 

O Crux ave, spes unica,
Hoc Passionis tempore,
Piis adauge gratiam,

Reisque dele crimina.

 

Te, fons  salutis, Trinitas,

Collaudet omnis spiritus:

Quibus Crucis victoriam

Largiris, adde praemium.

Amen.

 

L'ÉTENDARD du Roi s'avance ; voici briller le mystère de la Croix, sur laquelle celui qui est la Vie a souffert la mort, et par cette mort, nous a donné la vie.

 

C'est là que, transpercé du fer cruel d'une lance. son côté épancha l'eau et le sang, pour laver la souillure de nos crimes.

 

Il s'est accompli, l'oracle de David qui, dans ses vers inspirés, avait dit aux nations: Dieu régnera par le bois.

 

 

Tu es beau, tu es éclatant, arbre paré de la pourpre du Roi;  noble tronc appelé à l'honneur  de toucher des membres si sacrés !

 

Heureux  es-tu   d'avoir porté suspendu à  tes bras celui qui tut le prix du monde ! Tu es la balance où fut pesé ce corps, notre rançon tu as enlevé à l'enfer sa proie.

 

Salut, ô Croix, notre unique espérance ! En ces jours de la Passion du  Sauveur, accrois la grâce  dans le juste, efface le crime du pécheur.

 

Que toute âme vous glorifie, ô Trinité, principe de notre salut ! vous nous donnez la victoire par la Croix; daignez y ajouter la récompense.
Amen.

 

 

Le pieux cortège étant de retour dans le sanctuaire, le Diacre reçoit à l'autel, sur la patène, l'Hostie sainte que le Prêtre retire du calice, et il verse du vin et de l'eau dans ce même calice. Tous les regards sont tournés respectueusement vers le divin mystère. Le Prêtre encense l'offrande et ensuite l'autel, selon le rite accoutumé; mais, afin de marquer le deuil de l'Eglise, il n'est pas encensé lui-même par le Diacre. Après s'être lavé les mains, il revient au milieu de l'autel, et adresse à Dieu une oraison secrète ; puis, se tournant un peu vers le peuple fidèle, il réclame ses prières ; après quoi il fait entendre, sur le ton le plus simple, l'Oraison dominicale. Unissons-nous avec confiance et empressement aux sept  demandes

 

551

 

qu'elle renferme, à cette heure où notre divin intercesseur, les bras étendus sur la Croix, les présente pour nous à son Père. C'est dans ce moment même qu'il obtient de lui que toute prière adressée au ciel, par  sa médiation, sera exaucée.

Après le Pater, le Prêtre ajoute à haute voix une oraison qui se récite secrètement à toutes les Messes. Il y demande que nous soyons délivrés des maux, affranchis du péché, établis dans la paix.

Mais, avant de consommer l'Hostie sainte, le Prêtre veut la présenter à notre adoration. Prenant donc de la main droite le Corps sacré du Rédempteur, il l'élève à nos regards comme le Sauveur fut élevé sur la Croix. Toute l'assistance, qui se tient à genoux durant cette scène touchante, s'incline profondément,et rend au Fils de Dieu crucifie l'hommage de son adoration et de son amour.

Alors le Prêtre rompt l'Hostie en trois parts, et en fait tomber une dans le calice, afin de sanctifier le vin et l'eau qu'il doit prendre après avoir communié. Le mélange de la parcelle sacrée avec ce breuvage ne le change point dans le sang du Seigneur; mais il lui confère une bénédiction particulière, comme celle qui s'attachait aux vêtements de l'Homme-Dieu.

Le Prêtre récite ensuite à voix basse la troisième des Oraisons qui précèdent la communion aux Messes ordinaires : et avant pris dans sa main gauche, avec la patène, les deux grands fragments de l'Hostie, il frappe trois fois sa poitrine avec la main droite, en disant :

 

 

Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum: sed tantum die verbo, et sanabitur anima mea.

 

 

Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi; mais dites seulement une parole, et mon âme sera guérie.

 

 

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Il se communie ensuite; puis il prend le vin et l'eau avec la particule sacrée qu'il avait mise dans le calice; et ayant lavé ses doigts, il revient au milieu de l'autel, où il récite à voix basse la prière de conclusion. Ainsi se termine la Messe des Présanctifiés. Lorsque tous ces rites sont accomplis, le Célébrant accompagné de ses ministres, toujours en silence, fait une génuflexion à la Croix et se retire. Aussitôt qu'il a disparu, le Chœur commence les Vêpres, qui sont simplement récitées comme le jour précèdent, sans aucun chant.

 

 

A VÊPRES.

 

Les cinq Psaumes et les cinq Antiennes sont les mêmes qu'hier, ci-dessus, page 427.

 

ANTIENNE DE Magnificat.

 

Ayant pris le vinaigre, il dit : Tout est consommé ; et baissant la tête, il rendit l'esprit.

 

Après le Cantique Magnificat et la répétition de l'Antienne, on dit :

 

 

Le Christ  s'est fait pour nous obéissant  jusqu'à la mort, et à la mort de la Croix.

 

On dit ensuite à voix basse Pater noster, suivi du Psaume Miserere, ci-dessus, page 373. Enfin, celui qui préside prononce pour conclusion l'Oraison suivante :

 

Daignez Seigneur,  jeter  un regard sur votre famille ici présente, pour laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a bien voulu être livré aux mains des méchants et subir le supplice de la Croix ; Lui qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. Amen.

 

 

L'APRES-MIDI.

 

Bientôt la sainte Eglise nous invitera de nouveau avenir prendre part à ses divins Offices; en attendant, il convient que, durant ces heures qui furent celles de notre salut, nous suivions du cœur et de la pensée notre miséricordieux Rédempteur. Nous l'avons laissé sur le Calvaire au moment où on le dépouillait de ses vêtements, après lui avoir présenté l'amer breuvage. Assistons avec recueillement et componction à la consommation du sacrifice qu'il offre pour nous à la justice divine.

Jésus est conduit à quelques pas de là par ses bourreaux, à l'endroit où la Croix étendue par terre marque la onzième Station de la Voie douloureuse. Il se couche, comme un agneau destine à l'holocauste, sur le bois qui doit servir d'autel. On étend ses membres avec violence, et des clous qui pénètrent entre les nerfs et les os, fixent au gibet ses mains et ses pieds. Le sang jaillit en ruisseaux de ces quatre sources vivifiantes où nos âmes viendront se purifier. C'est la quatrième fois qu'il s'échappe des veines du Rédempteur. Marie entend le bruit sinistre du marteau, et son cœur de mère en est déchiré. Madeleine est en proie à une désolation d'autant plus amère, qu'elle sent son impuissance à soulager le Maître tant aimé que les

 

554

 

hommes lui ont ravi. Cependant Jésus élève la voix ; il profère sa première parole du Calvaire : « Père, dit-il. pardonnez-leur; car ils ne savent ce qu'ils font (1). » O bonté infinie du Créateur ! il est venu sur cette terre, ouvrage de ses mains, et les hommes l'ont crucifie; jusque sur la Croix, il a prié pour eux, et dans sa prière il semble vouloir les excuser !

La Victime est attachée au bois sur lequel il faut qu'elle expire ; mais elle ne doit pas rester ainsi étendue à terre. Isaïe a prédit que « le royal rejeton de Jessé serait arboré comme un étendard à la vue de toutes les nations (2) ». Il faut que le divin crucifié sanctifie les airs infestés de la présence des esprits de malice; il faut que le Médiateur de Dieu et des hommes, le souverain Prêtre et intercesseur, soit établi entre le ciel et la terre, pour traiter la réconciliation de l'un et de l'autre. A peu de distance de l'endroit où la Croix est étendue, on a pratiqué un trou dans la roche; il faut que la Croix y soit enfoncée, afin qu'elle domine toute la colline du Calvaire. C'est le lieu de la douzième Station. Les soldats opèrent avec de grands efforts la plantation de l'arbre du salut. La violence du contre-coup vient encore accroître les douleurs de Jésus dont le corps tout entier est déchiré, et qui n'est soutenu que sur les plaies de ses pieds et de ses mains. Le voila exposé nu aux yeux de tout un peuple, lui qui est venu en ce monde pour couvrir la nudité que le péché avait causée en nous. Au pied de la Croix, les soldats se partagent ses vêtements; ils les déchirent et en font quatre parts; mais un sentiment de terreur les porte à respecter

 

1. LUC. XXIII, 34.

2.  ISAI. XI, 10.

 

355

 

la tunique. Selon une pieuse tradition, Marie l'avait tissue de ses mains virginales. Ils la jettent au sort, sans l'avoir rompue ; et elle devient ainsi le symbole de l'unité de l'Eglise que l'on ne doit jamais rompre sous aucun prétexte.

Au-dessus de la tête du Rédempteur est écrit en hébreu, en grec et en latin: Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Tout le peuple lit  et répète cette inscription ; il proclame ainsi de nouveau, sans le vouloir, la royauté du fils de David. Les ennemis de Jésus  l'ont compris ; ils  courent demander à Pilate que cet écriteau soit changé ; mais ils n'en reçoivent d'autre réponse que celle-ci : « Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit (1) » Une circonstance que la tradition des Pères nous  a transmise, annonce que ce Roi des Juifs, repoussé  par son peuple, n'en régnera qu'avec plus de gloire sur les nations de la terre qu'il a reçues de son Père en héritage. Les soldats, en plantant la Croix dans le sol, l'ont disposée de sorte que le divin crucifié tourne le dos  à Jérusalem, et étend ses bras vers les régions de l'occident. Le Soleil de la vérité se couche sur la ville déicide et  se lève en même temps sur la nouvelle Jérusalem, sur Rome, cette  fière cité, qui a la conscience de son éternité, mais qui ignore encore qu'elle ne sera éternelle que par la Croix.

L'arbre de salut, en plongeant dans la terre, a rencontré une tombe; et cette tombe est celle du premier homme. Le sang rédempteur coulant le long du bois sacré descend sur un crâne desséché ; et ce crâne est celui d'Adam, le grand coupable dont le crime a rendu nécessaire une telle expiation. La miséricorde du  Fils de Dieu vient

 

1. JOHAN. XIX. 22.

 

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planter sur ces ossements endormis depuis tant de siècles le trophée du pardon, pour la honte de Satan, qui voulut un jour taire tourner la création de l'homme à la contusion du Créateur. La colline sur laquelle s'élève l'étendard de notre salut s'appelait le Calvaire, nom qui signifie un Crâne humain; et la tradition de Jérusalem porte que c'est en ce lieu que fut enseveli le père des hommes et le premier pécheur. Les saints Docteurs des premiers siècles ont conserve à l'Eglise la mémoire d'un fait si frappant ; saint Basile, saint Ambroise. saint Jean Chrysostome, saint Epiphane, saint Jérôme, joignent leur témoignage a celui d'Origène. si voisin des lieux; et les traditions de l'iconographie chrétienne s'unissant à celles de la piété, on a de bonne heure adopté la coutume de placer, en mémoire de ce grand fait, un crâne humain au pied de l'image du Sauveur en croix.

Mais levons nos regards vers cet Homme-Dieu, dont la vie s'écoule si rapidement sur l'instrument de son supplice. Le voilà suspendu dans les airs, à la vue de tout Israël, « comme le serpent d'airain que Moïse avait offert aux regards du peuple dans le désert (1) » ; mais ce peuple n'a pour lui que des outrages. Leurs voix insolentes et sans pitié montent jusqu'à lui : « Toi qui détruis le temple de Dieu, et le rebâtis en trois jours, délivre-toi maintenant ; si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix, si tu peux (2). » Puis les indignes pontifes du judaïsme enchérissent encore sur ces blasphèmes : « Il est le sauveur des autres, et il ne peut se sauver lui-même ! Allons !

 

1. JOHAN. III, 14.

2 MATTH. XVII, 40.

 

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Roi d'Israël, descends de la croix, et nous croirons en toi ! Tu as mis ta confiance en Dieu ; c'est à lui de te délivrer. N'as-tu pas dit : Je suis le Fils de Dieu (1) ? » Et les deux voleurs crucifiés avec lui s'unissaient à ce concert d'outrages.

Jamais la terre, depuis quatre mille ans. n'avait reçu de Dieu un bienfait comparable à celui qu'il daignait lui accorder a cette heure ; et jamais non plus l'insulte à la majesté divine n'était montée vers elle avec tant d'audace. Nous chrétiens, qui adorons celui que les Juifs blasphèment, offrons-lui en ce moment la réparation à laquelle il a tant de droits. Ces impies lui reprochent ses divines paroles, et les tournent contre lui : rappelons-lui à notre tour celle-ci qu'il a dite aussi, et qui doit remplir  nos cœurs  d'espérance :  « Lorsque je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi (2). » Le moment  est  venu. Seigneur  Jésus,  de remplir votre promesse ; attirez-nous à vous. Nous tenons encore à la terre ; nous y sommes enchaînes par mille intérêts et par mille attraits ; nous y sommes captifs de l'amour de nous-mêmes, et sans cesse  notre  essor  vers vous en est arrêté ; soyez l'aimant qui  nous attire et qui rompe nos liens, afin que nous montions jusqu'à vous, et que la conquête de nos âmes vienne enfin consoler votre cœur oppressé.

Cependant on est arrivé au milieu du jour ; il est la sixième heure, celle que nous appelons midi. Le soleil qui brillait au ciel, comme un témoin insensible, refuse tout à coup sa lumière ; et une nuit épaisse étend ses ténèbres sur la terre entière. Les étoiles paraissent au ciel, les mille

 

1.  MATTH. XXVII, 42-43.

2.  JOHAN. XII, 32.

 

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voix de la nature s'éteignent et le monde semble prêta retomber dans le chaos. On dit que le célèbre Denys de l'Aréopage d'Athènes, qui fut plus tard l'heureux disciple du Docteur des Gentils, s'écria, au moment de cette affreuse éclipse : « Ou le Dieu de la nature est dans la souffrance, ou la machine de ce monde est au moment de se dissoudre ». Phlégon, auteur païen, qui écrivait un siècle après, rappelle encore l'épouvante que répandirent dans l'empire romain ces ténèbres inattendues, dont l'invasion vint tromper tous les calculs des astronomes.

Un phénomène si imposant, témoignage trop visible du courroux céleste, glace  de crainte les plus audacieux blasphémateurs. Le  silence succède à tant de clameurs. C'est alors que celui des deux voleurs, dont  la croix était à la droite de celle de Jésus, sent le remords et l'espérance naître à la fois dans son cœur. Il ose reprendre son compagnon avec lequel tout à l'heure il insultait l'innocent: « Ne crains-tu point  Dieu,  lui dit-il, toi non plus qui subis la même condamnation ? Pour nous, c'est justice ; car nous recevons ce que nos actions méritent; mais celui-ci, il n'a rien tait de mal. » Jésus défendu  par un voleur, en ce moment où les docteurs de la loi juive, ceux qui sont assis dans la chaire  de Moïse, n'ont pour lui  que des outrages ! Rien ne fait mieux sentir le degré d'aveuglement auquel la Synagogue est arrivée. Dimas, ce larron, cet abandonné, ligure en ce moment la  gentilité qui succombe sous le poids de ses crimes,  mais qui bientôt se purifiera en confessant la divinité  du crucifié. Il tourne péniblement sa tète vers la Croix de Jésus, et  s'adressant au Sauveur:  «  Seigneur, dit-il, souvenez-vous  de moi quand vous  serez entré

 

559

 

dans votre royaume ». Il croit à la royauté de Jésus, à cette royauté que les prêtres et les magistrats de sa nation tournaient tout à l'heure en dérision. Le calme divin, la dignité de l'auguste victime sur le gibet, lui ont révélé toute sa grandeur ; il lui donne sa foi, il implore d'elle avec confiance un simple souvenir, lorsque la gloire aura succède à l'humiliation. Quel chrétien la grâce vient de faire de ce larron ! Et cette grâce, qui oserait dire qu'elle n'a pas été demandée et obtenue par la Mère de miséricorde, en ce moment solennel où elle s'offre dans un même sacrifice avec son fils?Jésus est ému de rencontrer dans un voleur supplicié pour ses cri mes cette foi qu'il a cherchée en vain dans Israël; il répond à son humble prière: « En vérité, je te le dis, aujourd'hui même tu seras avec moi dans le Paradis (1) . «C'est la deuxième parole de Jésus sur la Croix. L'heureux pénitent la recueille dans la joie de son cœur ; il garde désormais le silence, et attend dans l'expiation l'heure fortunée qui doit le délivrer.

Cependant Marie s'est approchée de la Croix sur laquelle Jésus est attaché. Il n'est point de ténèbres pour le cœur d'une mère qui l'empêchent de reconnaître son fils. Le tumulte s'est apaisé depuis que le soleil a dérobé sa lumière, et les soldats ne mettent pas obstacle à ce douloureux rapprochement. Jésus regarde tendrement Marie, il voit sa désolation ; et la souffrance de son cœur, qui semblait arrivée au plus haut degré, s'en accroît encore. Il va quitter la vie ; et sa mère ne peut monter jusqu'à lui, le serrer dans ses bras, lui prodiguer ses dernières caresses ! Madeleine est là aussi, éplorée, hors d'elle-même. Les pieds

 

1. LUC. XXIII, 43.

 

560

 

de son Sauveur qu'elle aimait tant, qu'elle arrosait encore de ses parfums il y a quelques jours, ils sont blesses, noyés dans le sang qui en a jailli et qui déjà se tige sur les plaies. Elle peut encore les baigner de ses larmes ; mais ses larmes ne les guériront pas. Elle est venue pourvoir mourir celui qui récompensa son amour par le pardon. Jean le bien-aimé. le seul Apôtre qui ait suivi son maître jusqu'au Calvaire, est abîmé dans sa douleur; il se rappelle la prédilection que Jésus daigna lui témoigner, hier encore, au festin mystérieux; il souffre pour le fils, il souffre pour la mère; mais son cœur ne s'attend pas au prix inestimable dont Jésus a résolu de payer son amour. Marie de Cléophas a accompagné Marie près de la Croix; les autres femmes forment un groupe à quelque distance (1).

Tout à coup, au milieu d'un silence qui n'était interrompu que par des sanglots, la voix de Jésus mourant a retenti pour la troisième fois. C'est à sa mère qu'il s'adresse: « Femme, lui dit-il » ; car il n'ose l'appeler sa mère, afin de ne pas retourner le glaive dans la plaie de son cœur ; « Femme, voilà votre fils ». Il désignait Jean par cette parole. Puis il ajoute, en s'adressant à Jean lui-même: « Fils, voilà votre mère (2) » . Echange douloureux au cœur de Marie, mais substitution fortunée qui assure pour jamais à Jean, et en lui à la race humaine, le bienfait d'une mère. Nous avons exposé cette scène avec plus de détail, au Vendredi de la semaine de la Passion. Aujourd'hui, en cet anniversaire, acceptons ce généreux testament de notre Sauveur, qui par son incarnation

 

1. MATTH. XXVII, 55.

2.  JOHAN. XIX, 26.

 

561

 

nous avait procure l'adoption de son Père céleste. et dans ce moment nous l'ait don de sa propre mère.

Déjà la neuvième heure trois heures de l'après-midi, approche; c'est celle que les décrets éternels ont fixée pour le trépas de l'Homme-Dieu. Jésus éprouve en son âme un nouvel accès de ce cruel abandon qu'il a ressenti dans le jardin. Il sent tout le poids de la disgrâce de Dieu qu'il a encourue en se faisant caution pour les pécheurs. , L'amertume du calice de la colère de Dieu, qu'il lui faut boire jusqu'à la lie, lui cause une défaillance qui s'exprime par ce cri plaintif : « Mon Dieu! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné (1)? » C'est la quatrième parole ; mais cette parole ne ramène pas la sérénité au ciel. Jésus n'ose plus dire : « Mon Père ! » on dirait qu'il n'est plus qu'un homme pécheur, au pied du tribunal inflexible de Dieu. Cependant une ardeur dévorante consume ses entrailles, et de sa bouche haletante s'échappe à grand'peine cette parole qui est la cinquième: « J'ai soif (2) ». Un des soldats vient présenter à ses lèvres mourantes une éponge imbibée de vinaigre ; c'est tout le soulagement que lui offre dans sa soif brûlante cette terre qu'il rafraîchit chaque Jour de sa rosée, et dont il a fait jaillir les fontaines et les fleuves.

Le moment est enfin venu où Jésus doit rendre son âme à son Père. Il parcourt d'un regard les oracles divins qui ont annoncé jusqu'aux moindres circonstances de sa mission; il voit qu'il n'en est pas un seul qui n'ait reçu son accomplissement, jusqu'à cette soif qu'il éprouve, jusqu'à ce vinaigre

 

1.  MATTH. XXVII, 46.

2. JOHAN.  XIX, 28.

 

562

 

dont on l'abreuve. Proférant alors la sixième parole, il dit : « Tout est consommé (1) ». Il n'a donc plus qu'à mourir, pour mettre le dernier sceau aux prophéties qui ont annoncé sa mort comme le moyen final de notre rédemption. Mais il faut qu'il meure en Dieu. Cet homme épuisé, agonisant, qui tout à l'heure murmurait à peine quelques paroles, pousse un cri éclatant qui retentit au loin, et saisit à la fois de crainte et d'admiration le centurion romain qui commandait les gardes au pied de la Croix. « Mon Père ! s'écrie-t-il, je remets mon esprit entre vos mains (2) ». Après cette septième et dernière parole, sa tête s'incline sur sa poitrine, d'où s'échappe son dernier soupir.

A ce moment terrible et solennel, les ténèbres cessent, le soleil reparaît au ciel ; mais la terre tremble, les pierres éclatent, la roche même du Calvaire se fend entre la Croix de Jésus et celle du mauvais larron ; la crevasse violente est encore visible aujourd'hui. Dans le Temple de Jérusalem, un phénomène effrayant vient épouvanter les piètres juifs. Le voile du Temple qui cachait le Saint des Saints se déchire de haut en bas, annonçant la fin du règne des figures. Plusieurs tombeaux où reposaient de saints personnages s'ouvrent d'eux-mêmes, et les morts qu'ils contenaient vont revenir à la vie. Mais c'est surtout au fond des enfers que le contre-coup de cette mort qui sauve le genre humain se fait sentir. Satan comprend enfin la puissance et la divinité de ce Juste contre lequel il a imprudemment ameuté les passions de la Synagogue, C'est son aveuglement qui a fait répandre ce sang dont la vertu délivre le genre humain, et

 

1. JOHAN.  XIX, 3o.

2. LUC. XXIII, 46.

 

563

 

lui rouvre les portes du ciel. Il sait maintenant à quoi s'en tenir sur Jésus de Nazareth, dont il osa approcher au désert pour le tenter. Il reconnaît avec désespoir que ce Jésus est le propre Fils de l'Eternel, et que la rédemption refusée aux anges rebelles vient d'être accordée surabondante à l'homme, par les mérites du sang que lui-même Satan a fait verser sur le Calvaire.

Fils adorable du Père, nous vous adorons expiré sur le bois de votre sacrifice. Votre mort si amère nous a rendu la vie. Nous frappons nos poitrines, à l'exemple de ces Juifs qui avaient attendu votre dernier soupir, et qui rentrent dans la ville émus de componction. Nous confessons que ce sont nos péchés qui vous ont arraché violemment la vie; daignez recevoir nos humbles actions de grâces pour l'amour que vous nous avez témoigné jusqu'à la fin. Vous nous avez aimés en Dieu ; désormais c'est à nous de vous servir comme rachetés par votre sang. Nous sommes en votre possession, et vous êtes notre Seigneur. Voici que votre sainte Eglise nous convoque au service divin ; il nous faut descendre du Calvaire, pour nous joindre à elle et célébrer vos louanges. Bientôt nous reviendrons près de votre corps inanimé; nous assisterons à vos funérailles, et nous les accompagnerons de nos regrets et de nos larmes. Marie, votre mère, demeure au pied de la Croix; rien ne la peut séparer de votre dépouille mortelle. Madeleine est enchaînée à vos pieds glacés par la mort; Jean et les saintes femmes forment autour de vous un cortège de désolation. Nous adorons encore une fois votre corps sacré, votre sang précieux, votre Croix qui nousa sauvés.

 

564

 

L'OFFICE DES TENEBRES.

 

Dans les dernières heures de l'après-midi, on anticipe, comme aux deux jours précédents, l'Office de nuit du lendemain. Le peuple fidèle continue de s'y rendre, sans être appelé par le son des cloches, qui doivent demeurer en silence jusqu'au lendemain.

On trouvera l'Office des Ténèbres pour aujourd'hui, ci-après au Samedi saint, à l'Office de la nuit, page 574.

 

LE SOIR.

 

Retournons sur le Calvaire achever cette journée du deuil universel. Nous y avons laissé Marie, en la compagnie de Madeleine, de Jean et des autres saintes femmes. Une heure s'est à peine écoulée depuis le moment où Jésus a rendu le dernier soupir, et voici que des soldats, conduits par un centurion, viennent troubler du bruit de leurs pas et de leurs voix le silence qui régnait sur la colline. Ils sont chargés d'un commandement de Pilate. Sur la demande des princes des prêtres, le gouverneur a ordonné que l'on achève les trois crucifiés, en leur brisant les jambes, qu'on les détache de la croix, et qu'ils soient ensevelis avant la nuit. Les Juifs comptaient les jours à partir du coucher du soleil : bientôt donc va commencer le grand Samedi. Les soldats s'avancent vers les croix; ils vont d'abord aux deux larrons, auxquels ils brisent les jambes. Ce dernier tourment achève leur existence ; Dimas expire avec résignation, confiant dans la promesse de Jésus; son compagnon,

 

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obstiné dans le blasphème, meurt sans consolation. C'est maintenant vers la Croix du Rédempteur que se dirigent les soldats; le cœur de Marie frémit à leur approche ; quel nouvel outrage ces hommes barbares réservent-ils au corps ensanglanté de son fils ? Ils inspectent le divin supplicié, et constatent que la vie a déjà cesse en lui; cependant, pour s'assurer de la mort, l'un d'eux brandit sa lance et l'enfonce dans le flanc droit de la victime. Le fer pénètre jusqu'au cœur ; et quand le soldat le retire, du sang et de l'eau coulent de cette dernière plaie. C'est la cinquième effusion du sang rédempteur; et c'est aussi la cinquième des plaies que Jésus reçut sur la Croix. Mais réservons le touchant mystère du Cœur ouvert de notre Sauveur, pour le jour où l'Eglise le proposera spécialement à notre adoration.

Marie a senti jusqu'au fond de son âme la pointe de cette lance cruelle; les  pleurs et les sanglots redoublent autour d'elle. Comment donc finira cette lamentable journée ? Quelles mains descendront de la Croix l'innocent Agneau qui y demeure suspendu ? Qui le rendra enfin à sa mère ? Les soldats se retirent, et parmi eux Longin, celui qui a osé porter le coup de lance, et qui sent déjà en lui-même un mouvement inconnu, présage de la foi dont il doit être un jour le martyr. Mais voici d'autres hommes qui  s'avancent. Un noble juif, Joseph d'Arimathie, un vénérable docteur, Nicodème, gravissent respectueusement la colline, et s'arrêtent avec émotion au pied de la Croix de Jésus. Marie fixe sur eux un regard de reconnaissance. Ils sont venus pour remettre  en ses bras maternels le corps  de son fils, et  pour  rendre ensuite à leur maître les honneurs de la sépulture. Ces fidèles disciples sont munis de l'autorisation

 

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du gouverneur; Pilate a accorde à Joseph le corps de Jésus.

On se hâte de détacher de la Croix les membres du Juste; carie temps est court, le soleil est sur son déclin, et la première heure  du Sabbat  est proche. Près du lieu où est plantée la Croix, au bas du monticule, se trouve un  jardin, et dans ce jardin une chambre sépulcrale taillée dans le roc . Aucun corps n'a été placé jusqu'ici dans ce tombeau. C'est là que Jésus va reposer. Joseph et Nicodème, chargés du précieux fardeau, descendent de la colline et déposent le corps sacré sur un quartier de roche, à peu de distance du sépulcre. C'est là que la mère de Jésus reçoit de leurs mains le fils de sa tendresse ; c'est là qu'elle arrose de ses larmes,  qu'elle parcourt de ses baisers tant de plaies cruelles dont son corps est couvert. Jean, Madeleine et les autres saintes femmes compatissent à la Mère  des douleurs ; mais l'heure presse d'embaumer ces restes inanimés. Sur cette pierre qui s'appelle  aujourd'hui encore  la Pierre de l'onction, et qui marque la treizième Station de la Voie douloureuse, Joseph déploie le linceul qu'il a apporté (1) ; Nicodème, dont les serviteurs ont pris avec eux, par  ses ordres, jusqu'à cent livres de myrrhe et d'aloès (2), dispose les parfums. On lave le sang des blessures ; on enlève doucement la couronne d'épines de la tête du divin roi ; enfin le moment est venu d'envelopper le corps du linceul funèbre. Marie serre une dernière fois dans ses bras la  dépouille insensible de son  bien-aimé, qui bientôt disparaît  à  ses regards sous les plis des voiles et sous les bandelettes.

 

1. MARC.  XV, 46.

2. JOHAN. XIX, 39.

 

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Joseph et Nicodème se lèvent, et reprenant leur noble fardeau, ils le portent dans le sépulcre. C'est la quatorzième Station de la Voie douloureuse. Il y avait deux chambres taillées dans la roche et se communiquant l'une à l'autre; c'est dans la seconde, sur la main droite, dans une niche pratiquée au ciseau, qu'ils étendent le corps du Sauveur. Ils sortent promptement ; et réunissant leurs efforts, ils roulent à l'entrée du monument une grande pierre carrée qui doit servir de porte, et que bientôt, à la demande des ennemis de Jésus. l'autorité publique viendra sceller de son sceau et protéger par un poste de soldats romains.

Cependant le soleil est sur le point de disparaître au couchant, et le grand Samedi va s'ouvrir avec ses sévères prescriptions. Madeleine et les autres femmes ont observé les lieux et la disposition du corps dans le sépulcre. Elles suspendent leurs plaintives lamentations, et descendent en hâte à Jérusalem. Leur dessein est d'acheter des parfums et de les préparer ; afin que, lorsque le Sabbat sera passé, elles puissent revenir au tombeau, dès le dimanche, au grand matin, et compléter l'embaumement trop précipité du corps de leur maître. Marie, après avoir salué une dernière fois le tombeau qui renferme le cher objet de sa tendresse, suit le cortège de deuil qui se dirige vers la ville Jean, son fils d'adoption, est près d'elle. Dès cette heure, cet heureux mortel est devenu le gardien de celle qui, sans cesser d'être la Mère de Dieu, devient en lui la Mère des hommes. Mais au prix de quelles angoisses elle a obtenu ce nouveau titre ! quelle blessure son cœur a reçue au moment où nous lui avons été confiés ! Tenons-lui, nous aussi, fidèle compagnie durant ces cruelles heures qui doivent s'écouler jusqu'au

 

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moment où la résurrection de Jésus viendra consoler son immense douleur.

Mais nous ne quitterons pas votre sépulcre, ô Rédempteur, sans y déposer le tribut de nos adorations et l'amende honorable de notre repentir. Vous voilà donc, ô Jésus, le captif de la mort ! Cette fille du péché a donc étendu sur vous son empire. Vous vous êtes soumis à la sentence portée contre nous, et vous avez daigné nous devenir semblable jusqu'au tombeau. Quelle réparation pourrait égaler l'humiliation que vous subissez en cet état qui nous était dû, mais qui n'est devenu le vôtre, ô souverain auteur de la vie. que par l'amour que vous nous avez porté ? Les saints Anges qui font la garde autour de cette pierre sur laquelle sont étendus vos membres glaces, s'étonnent que vous ayez pu aimer à un tel excès l'homme, cette chétive et ingrate créature. Jusqu'alors ils n'avaient pas compris l’infinie bonté de celui qui les a tirés comme nous du néant. Ce n'est pas pour leurs frères tombés que vous avez subi la mort ; c'est pour nous, les derniers de la création. Mais quel indissoluble lien forme désormais entre vous et nous ce sacrifice que vous venez d'offrir ? C'est pour nous que vous mourez ; c'est donc pour vous maintenant que nous devons vivre. Nous vous le promettons, ô Jésus, sur ce tombeau que nos péchés avaient creusé pour vous. Nous aussi, nous voulons mourir, mourir au péché et vivre à votre grâce. Nous suivrons désormais vos préceptes et vos exemples ; nous nous éloignerons du péché, qui nous a rendus responsables de votre mort si amère et si douloureuse. Nous recevons, en union de votre Croix, toutes les croix, si légères en comparaison, dont la vie humaine est semée. Enfin,

 

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nous acceptons de mourir à notre tour, lorsque le moment sera venu de subir la sentence si méritée que la justice de votre Père a prononcée contre nous. Vous avez adouci par votre mort ce moment si redoutable à la nature. Par vous, la mort n'est plus qu'un passage à la vie; et de même qu'en ce moment nous nous séparons de votre sépulcre avec l'espoir prochain de saluer bientôt votre glorieuse résurrection ; de même, en laissant à la terre sa dépouille mortelle, notre âme, pleine de confiance, montera vers vous, avec l'espoir de se réunir un jour à cette poussière coupable que la tombe doit rendre après l'avoir purifiée.

 

Nous plaçons à la fin de cette journée quelques strophes empruntées à la Liturgie de l'Eglise Grecque, en l'Office du grand Vendredi.

 

(In Parasceve.)

 

Aujourd'hui est attache à la Croix celui qui a suspendu la terre au-dessus des eaux. On met une couronne d'épines à celui qui est le roi des Anges ; on revêt d'une pourpre dérisoire celui qui a étendu les nuages sur le ciel. On donne un soufflet à celui qui, dans le Jourdain, a rendu la liberté à Adam. L'Epoux de l'Eglise est perce de clous ; le fils de la Vierge est traverse d'une lance; nous adorons vos souffrances, ô Christ ! Manifestez-nous aussi votre glorieuse résurrection.

 

La brebis voyait traîner son agneau à la mort ; Marie affligée suivait avec les autres femmes ; elle s'écriait : Mon fils, où allez-vous ? pourquoi cette marche si rapide ? Y a-t-il encore des noces à Cana, et vous y rendez-vous en hâte pour y changer de nouveau l'eau en vin r Irai-je avec vous, mon fils, ou vous attendrai-je? O Verbe , dites-moi une parole ; ne passez pas sans me répondre, vous qui, dans votre naissance, m'avez conservée chaste, ô mon fils et mon Dieu !

 

Chacun des membres de votre corps sacré a souffert son outrage à cause de nous, ô Christ ! La tête a enduré les épines ; le visage, les crachats ; les joues, les soufflets ; la bouche, le vinaigre mêlé de fiel ; les oreilles, d'impies blasphèmes ; le dos, des coups de fouet ; la main, le roseau ; le corps tout entier, l'extension violente sur la Croix ; les membres, les clous ; et le côté, la lance. Vous qui avez souffert pour nous, qui par votre souffrance nous avez rendus à la liberté, qui par vos travaux pour les hommes nous avez élevés en vous abaissant , Sauveur tout-puissant , ayez pitié de nous !

 

Aujourd'hui   la  Vierge sans tache vous considérant sur la Croix, ô Verbe, était émue de douleur dans ses entrailles maternelles. Une blessure amère transperçait son cœur, et du fond de son âme désolée elle s'é criait d'un ton plaintif: Divin Fils, hélas ! lumière du monde , hélas ! pourquoi avez-vous disparu de mes regards, Agneau de Dieu ? L'armée des Esprits bienheureux était saisie de terreur. Seigneur que nul ne peut comprendre , gloire a vous !

 

Lorsque vous montâtes sur la Croix, Seigneur, la crainte et le tremblement se répandirent sur toute créature. Vous défendîtes a la terre d'engloutir ceux qui vous crucifiaient, et vous permîtes à la tombe de rendre ses captifs. O Juge des vivants et des morts, vous êtes venu pour donner la vie et non la mort. Ami des hommes, gloire à vous !

 

La Liturgie de l'antique Eglise Gallicane nous fournit, dans son Office d’aujourd’hui, cette éloquente et touchante prière.

 

(Oratio ad Nonam.)

 

O heure salutaire de la Passion ! heure de None, signalée par la plus grande des grâces, ô la plus célèbre des heures ! A ce moment , ô notre Epoux aimé,  donnez-nous le baiser du haut de votre Croix, après avoir triomphé par elle. Nous l'implorons, ce baiser ; accordez-nous le salut qui vient de vous seul, admirable triomphateur , qui conduisez votre char avec tant de noblesse, Dieu clément , notre glorieux champion ! Dites-nous : Hommes, je vous envoie le salut ; reprenez vos forces et combattez vaillamment ; soyez fermes et robustes. O Christ qui pénétrez nos cœurs, daignez leur parler. Vous qui aujourd'hui accomplîtes une telle œuvre, ne pouvez-vous la renouveler à ce moment ? Oui, vous le pouvez ; car vous êtes tout-puissant. Vous le pouvez ; car vous êtes plein d'amour; et votre puissance s'élève au-dessus de nos pensées. Rien ne vous est impossible, ô Dieu tout-puissant! Vous qui êtes remonté triomphant vers le Père, avec lequel vous demeurâtes toujours, et qui est avec vous une même chose, Jésus très aimé, donnez-nous votre baiser; car votre baiser est doux, et vos caresses plus délicieuses que le vin, plus suaves que les meilleurs parfums. Votre nom est une essence odorante ; les jeunes filles qui représentent les âmes vous ont donné leur amour ; les cœurs droits vous aiment, et vous les entraînez après vous. Votre lit  est couvert de fleurs ; son pavillon est la Croix. C'est à cette heure que vous arrivez d'Edom, c'est-à-dire de votre Croix, vos vêtements ayant changé de couleur à Bosra. Après avoir foulé  seul le grand pressoir, vous monterez au ciel; les Anges et les Archanges diront : Quel est celui qui arrive de Bosra, avec ses vêtements dont   la  couleur est changée ? A cette demande : Pourquoi votre vêtement est-il  empourpré ? vous répondrez : A moi seul j'ai foulé le pressoir, et, de toutes les nations, nul homme n'a partagé mon travail. Oui, votre corps, ô Sauveur, a été pour nous empourpré ; vous avez lavé votre tunique dans le vin, et votre manteau dans le sang de la grappe. Vous qui êtes le seul Dieu , vous avez été crucifié pour nous, que l'antique prévarication avait livrés à la mort ; vos blessures ont guéri les blessures innombrables que nous avaient faites nos péchés. O Christ crucifié, dans votre bonté faites-nous part de votre rédemption, avec ceux qui vous sont le plus chers. Dieu plein de miséricorde, sauvez-nous; vous qui régnez avec le Père et le Saint-Esprit, en l'unité, à jamais, dans les siècles des siècles.

 

 

 

 

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