Histoire des Conciles IV
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CHAPITRE IV. Les sentiments de l'auteur sur saint Cyrille, Nestorius, et les partisans de Nestorius.

 

PREMIÈRE REMARQUE. L'auteur en général peu favorable aux écrits de saint Cyrille contre Nestorius.

SECONDE REMARQUE. Sentiments de l'auteur sur les douze chapitres de saint Cyrille. Omission essentielle.

TROISIÈME REMARQUE. Subtilité et ambiguïté mal objectées aux douze chapitres.

QUATRIÈME REMARQUE. Suite de cette matière : fausse imputation faite à saint Cyrille.

CINQUIÈME REMARQUE. Si les douze chapitres de saint Cyrille ont été approuvés par le concile d'Ephèse : erreur de M. Dupin.

SIXIÈME REMARQUE. Un des anathématismes de saint Cyrille faussement rapporté.

SEPTIÈME REMARQUE. Sur l'expression de saint Cyrille : Unam naturam incarnatam.

HUITIÈME REMARQUE. Paroles de Facundus altérées, pour faire voir que saint Cyrille a excédé.

NEUVIÈME REMARQUE. Pente à excuser Nestorius et ses partisans.

DIXIÈME REMARQUE. Sentiments de l'auteur sur les partisans de Nestorius : premièrement sur Jean d'Antioche.

ONZIEME REMARQUE. Sur Alexandre d'Hiéraple et les autres que notre auteur a traités de catholiques.

DOUZIÈME REMARQUE. L'esprit hérétique dans Alexandre et dans les autres catholiques de l'auteur.

CONCLUSION.

 

PREMIÈRE REMARQUE. L'auteur en général peu favorable aux écrits de saint Cyrille contre Nestorius.

 

Si notre auteur a osé excuser les dogmes de Nestorius, il ne faut pas s'étonner qu'il ait un si grand penchant à favoriser sa personne. C'est l'esprit qu'on voit régner dans tous ses écrits; et qu'an contraire il se plaît visiblement à charger sur saint Cyrille.

L'un et l'autre paraît à l'endroit où en parlant des cinq livres de ce Père contre Nestorius, encore que ce Traité soit un des plus convaincants contre cet hérésiarque, M. Dupin toutefois évite de dire qu'il l'ait convaincu en effet, et se réduit à dire « qu'il veut

 

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le convaincre d'erreur en ce qu'il divise Jésus-Christ en deux (1). » C'est là sa perpétuelle imagination. On a vu, et on verra dans la suite, qu'il ne veut jamais avouer que Nestorius ait été bien convaincu sur ce point ; en quoi il tâche d'affaiblir, non-seulement l'autorité de saint Cyrille, mais encore la cause même de l'Eglise.

En général notre auteur donne à saint Cyrille un caractère trop faible. Dans un endroit où il entreprend de prouver qu'il est bien aisé de faire beaucoup de livres comme ceux de ce Saint, il en rend cette raison : « Car, dit-il, ou il copie des passages de l'Ecriture, ou il fait de grands raisonnements, ou il débite des allégories (2). » Voilà à quoi il rapporte tous les écrits de saint Cyrille, et c'est comme une division générale qu'il en fait. Un écrivain de ce caractère n'a l'air guère convaincant, surtout si l'on ajoute avec notre auteur, « que ce Père ne s'attache pas à resserrer son discours dans de certaines bornes, et qu'il abandonne entièrement sa main et sa plume à toutes les pensées qui lui viennent dans l'esprit. »

Sans doute en s'abandonnant avec cet excès, on doit remplir son discours de pensées bien fausses, de bien mauvaises raisons ; et si saint Cyrille n'a fait des écrits que de cette sorte, je ne sais pourquoi on a trouvé l'hérésie de Nestorius, non-seulement si habilement découverte, mais encore si puissamment réfutée dans ses écrits, qu'on n'a pas cru y devoir rien ajouter.

Saint Célestin lui écrit « qu'il a tout dit en cette matière; qu'il n'y a qu'à s'en tenir à ce qu'il enseigne; qu'il a pénétré tous les détours de l'hérétique; qu'il a si solidement appuyé la foi, qu'on ne peut pas après de si grandes preuves en être facilement détourné; que le triomphe de notre foi ne peut pas être plus grand qu'il est dans ses écrits où nos dogmes sont si puissamment établis, et les dogmes contraires si puissamment réfutés par les témoignages de l'Ecriture (3). » Ce n'est pas là vouloir convaincre Nestorius, c'est le convaincre en effet d'une manière à ne lui laisser aucune réplique.

Voyons néanmoins les trois chefs auxquels il rapporte tous les

 

1 Tom. III, part. II, p. 111. — 2 Ibid., p. 121. — 3 Epist. ad Cyr. I part., cap. XV.

 

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les écrits de ce Saint. Ou, dit-il, il ne fait que copier des passages de l’Ecriture. Cela regarde principalement ses discours adressés aux reines, où en effet il ramasse une infinité de passages contre Nestorius. S'il ne fait que les copier, comme parle notre auteur, et que ces passages soient jetés sans choix sur le papier, à la vérité c'est peu de chose; mais si au contraire, ce qui est très-vrai, ce Père les choisit bien ; s'il les arrange avec ordre et s'il les réduit méthodiquement à certains chapitres, en sorte qu'il en résulte que l'hérésie de Nestorius y soit condamnée, non par un ni par deux passages, mais par toute l'Ecriture sainte et par tout le corps de sa doctrine, je ne vois pas que cet amas soit si méprisable, ni qu'il soit si aisé de faire de tels livres, puisqu'avec la science de l'Ecriture, l'ordre, la netteté et un bon raisonnement y est nécessaire. Mais après tout, cela ne regarde qu'un ou deux ouvrages de saint Cyrille. Voyons en quel rang il faudra mettre les autres : Ou il fait de grands raisonnements, ou il débite des allégories. Il en débite bien peu dans ses écrits polémiques. Ces ouvrages seront donc de ceux où saint Cyrille aura fait de ces grands raisonnements qu'il est si facile de faire, c'est-à-dire de grands discours vagues qui n'aboutissent à rien. L'auteur a raison de dire que cela n'est pas fort difficile; mais il faut aussi n'avoir point lu saint Cyrille, pour vouloir nous faire accroire qu'il fait contre les hérétiques, et en particulier contre Nestorius, de grands raisonnements de cette sorte. On pourrait bien défier de plus habiles gens que M. Dupin de trouver des raisonnements, ou des manières de pousser à bout de tels adversaires, plus fortes, plus concluantes et en même temps plus sensées que celles de saint Cyrille. Si son style est moins serré, ou moins vif que celui de saint Athanase, ou de saint Basile et de saint Grégoire de Nazianze. il ne s'ensuit pas pour cela qu'il ne lui faille attribuer que cette facilité à jeter sur le papier tout ce qui lui vient dans l'esprit, ou de ces grands raisonnements vagues, qu'un génie subtil et métaphysique, qui est le beau caractère que M. Dupin daigne lui donner (1), sait pousser à perte de vue.

Ce qu'ajoute ici notre auteur ne vaut pas mieux que le reste :

 

1 Tom. III, part. II, p. 122.

 

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« Il débitait facilement la plus fine dialectique : son esprit était fort propre aux questions subtiles qu'il avait à démêler au sujet du mystère de l'incarnation. » A entendre parler cet auteur, il faudrait ranger saint Cyrille parmi ces docteurs abstraits, qui ne débitent que des subtilités, que logique, que métaphysique ; mais constamment cela n'est point. Je ne vois pas que les questions du mystère de l'incarnation, qu'il avait à démêler, fussent plus subtiles que celles de la Trinité, qu'on eut à démêler avec Arius, ni que saint Cyrille s'y prit autrement que les autres Pères, ou qu'il fût métaphysicien en un autre sens que ces sublimes théologiens de l'Eglise grecque et latine. Ce ne sont point des subtilités, ou de ces grands raisonnements abstraits qu'il oppose à Nestorius. C'est, comme les autres Pères, de bons passages de l'Ecriture, de bons témoignages de la tradition bien maniés, bien poussés, qui ne laissent aucune réplique et préviennent tous les subterfuges.

Si saint Cyrille emploie quelquefois cette fine dialectique ou des arguments scolastiques, et comme il l'appelle, un style épineux, notre auteur, qui le remarque avec tant de soin (1), ne devait pas oublier qu'il le faisait à l'exemple de saint Basile contre Eunome. Les Pères savent, quand ils veulent, opposer aux hérétiques ces finesses de dialectique, dont ils se servaient pour éblouir les peuples. Saint Cyrille avait affaire à un de ces subtils dialecticiens : il fallait donc le prendre dans les filets qu'il tendait, et après l'avoir accablé d'autorités, il était bon quelquefois de le battre de ses propres armes, pour lui ôter tout moyen de se relever.

C'est le caractère que Photius donne en termes formels à saint Cyrille contre Arius et Eunome, et qu'il lui fait conserver dans les cinq livres contre Nestorius (2), que notre auteur représente comme si peu convaincants. « Il presse, dit-il, les hérétiques de telle sorte, et par des arguments de logique et par le témoignage des Ecritures, qu'ils ne savent où se tourner. » Cela est bien éloigné de ces grands raisonnements si aisés à faire, et de la licence d'une personne abandonnée sans mesure à tout ce qui lui vient dans l'esprit. A cela il faut ajouter la clarté, que le même

 

1 P. 102, 103, 105. — 2 Vid. Phot., Bibl., cod. 49, 136, 169.

 

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auteur lui attribue, et qui est très-grande en effet dans presque tousses écrits, surtout dans les polémiques. Ces passages de Photius étaient peut-être aussi bons à relever que celui où notre auteur lui fait dire que saint Cyrille « s'était fait un style tout particulier, qui paraît contraire aux autres, et dans lequel il a extrêmement négligé la justesse et la cadence des expressions (1). » Il brode beaucoup ce passage à son ordinaire. Ce terme de contraire aux autres, est de son crû, et au lieu de cette extrême négligence de la justesse et de la cadence des expressions, Photius dit seulement que la composition de saint Cyrille manque de liaison et méprise les cadences. Sans ici vouloir examiner si et jusqu'à quel point la justesse des expressions pourrait manquer à saint Cyrille, il me suffit de remarquer que Photius n'en dit mot, et ne parle que des cadences. Quant au manque de liaison, il ne regarde visiblement que la composition et le style, où Photius ne trouve pas ce tissu uni et délicat, qui fait pour ainsi dire passer un discours sous la main, sans qu'on y trouve rien de rude ou d'inégal. Car pour la suite ou la force du raisonnement, on vient de voir ce qu'en a dit ce savant auteur. M. Dupin néglige tous ces endroits, par une coutume qui lui est assez ordinaire, de ne chercher dans Photius que ce qu'il croit pouvoir tourner contre les Pères.

Quand on veut se mêler déjuger de leurs écrits et d'en faire le caractère, il ne faut point s'attacher à certains ouvrages qu'ils travaillent moins, à cause qu'ils sont destinés à l'instruction des fidèles, qu'ils présument mieux disposés à écouter. Les ouvrages polémiques sont ceux où paraît le plus la force du raisonnement et du génie. C'est par là principalement qu'il fallait juger saint Cyrille; et sous prétexte qu'il s'est souvent assez négligé, ne le pas donner en général pour un homme qui, s'abandonnant à une mauvaise facilité, ne fait que copier des passages, pousser de grands raisonnements et débiter des allégories.

Sur le sujet des allégories, je ne puis dissimuler cette sentence de notre auteur, où parlant des Glaphyres de saint Cyrille : « Ils sont pleins, dit-il, de pensées mystiques; il y rapporte à Jésus-Christ et a son Eglise tout ce qui est dit dans le Pentateuque : il

 

1 Vide Phot., Bibil., p. 122.

 

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n'y a point d'histoire, point de circonstance, point de précepte qu'il n'applique à Jésus-Christ et au Nouveau Testament (1). » M. Dupin le trouve mauvais. N'était-ce pas en effet un étrange abus à ces premiers chrétiens de vouloir trouver Jésus-Christ partout, et de trouver tout insipide, comme parlait saint Augustin, jusqu'à ce qu'ils l'y eussent trouvé? Quoi qu'il en soit, voilà leur crime, et voici la sentence de l'auteur : « Ces sortes de commentaires sont de peu d'usage ; car ils ne servent de rien pour expliquer la lettre : ils enseignent peu de morale : ils ne prouvent aucun dogme : tout se passe en considérations métaphysiques et en rapports abstraits, qui ne sont propres ni à convaincre les incrédules, ni à édifier les fidèles. » Je n'entreprends pas ici la défense des allégories, qui ont été dans l'Eglise d'un goût trop universel pour être si maltraitées; et je dirai seulement que par ce seul trait notre auteur fait le procès à tous les saints docteurs, sans épargner l'apôtre saint Barnabé, dont l’Epître est toute remplie de telles allégories.

Tout cela vient du même esprit, qui lui fait dire que saint Augustin s'étend beaucoup sur des réflexions peu solides, et encore que son Traité sur les Psaumes est plein d'allusions inutiles, de subtilités peu solides et d'allégories peu vraisemblables (2) : que saint Basile explique les rits de l'Eglise par des raisons si guindées (3), qu'il vaudrait mieux dire tout court que ce sont des coutumes, sans se mettre en peine de rendre raison du culte des chrétiens, quoique saint Paul l'appelle raisonnable : que saint Fulgence, un des plus solides théologiens de l'Eglise, aimait les questions épineuses et scolastiques, comme s'il s'y était jeté avec un esprit curieux, et qu'il donnait dans le mystique (4) : que saint Léon n'est pas fort fertile sur les points de morale, qu'il les traite assez sèchement et d'une manière qui divertit plutôt qu'elle ne touche (5). N'est-ce pas là un beau caractère de prédicateur, et bien digne d'un si grand Pape? Il ne daigne pas même marquer par un seul mot cet esprit de piété envers Jésus-Christ que l'abbé Trithème et tous les autres catholiques ont ressenti dans ses

 

1 P. 100. — 2 Tom. III, Ire part., p. 696, 697.—  3 Tom. II, p. 553. — 4 Tom. IV, p. 71. — 5 Tom. III, part. Il, p. 388.

 

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sermons. Il ajoute encore que saint Irénée, « par un défaut qui lui est commun avec beaucoup d'autres anciens, affaiblit et obscurcit pour ainsi dire les plus certaines vérités de la religion, par des raisons peu solides ; » ce qu'il lait dire à Photius, qui n'y songe pas.

Il ne faut pas que M. Dupin espère accoutumer les oreilles des catholiques à ces dures décisions, à ces censures aussi aigres que téméraires et licencieuses, dont il a rempli sa Bibliothèque, depuis le commencement jusqu'à la fin. On ne se laissera pas non plus amuser aux vaines excuses qu'il débite : « Les Pères, dit-il, sont hommes comme nous, et ne sont pas infaillibles. » S'ensuit-il delà qu'il faille étudier leurs défauts, les étaler sans nécessité aux yeux des spectateurs malins, et les censurer avec une dureté si insupportable ? Je ne dis rien qui touche à leur sainteté. N'est-ce donc rien qui touche à la sainteté, que de dire de saint Grégoire de Nazianze qu'il entreprenait aisément de grandes choses, mais qu'il s'en repentait bientôt : que lorsqu'il quitta le Siège de Constantinople, on le prit au mot plus tôt qu'il n'espérait (1) ; et que son humilité, qui lui a attiré tant de louanges, n'était qu'une couverture du secret désir qu'il avait de conserver une si belle place : qu'il a gouverné trois églises sans être légitime évêque d'aucune des trois? Tout cela n'est-il rien, encore un coup, qui touche à la sainteté? et pendant qu'un Philostorge, un arien, ne parle de ce grand homme qu'avec éloge, un auteur catholique ne rougit-il pas d'employer sa plume à le déprimer, et à flatter la malignité des hérétiques de nos jours, envenimés contre lui? «Je n'appelle pas saint Augustin novateur, parce que ce terme signifie celui qui apporte des sentiments nouveaux sur les dogmes de la foi. » Il ne l'appelle pas novateur. Que fait-il donc, lorsqu'en parlant de la dispute qu'il eut sur la fin de sa vie avec les Marseillais, il l'accuse en tant d'endroits de s'être éloigné des sentiments des Pères qui l'ont précédé ? Est-ce que cela n'appartenait pas aux dogmes delà foi, et que les décrets de saint Célestin et du concile d'Orange sont inutiles? Espère-t-il qu'il endormira le monde par ces frivoles excuses? Cependant il n'en apporte point d'autres dans le petit

 

1 Tom. II, p. 598, 655.

 

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écrit à la main qu'il distribue, et il les conclut par ces mots : « Il serait aisé de défendre tous les autres jugements et d'en faire voir .la vérité. Cet examen ferait peut-être plus de tort aux Pères que le jugement ; car on est libre de me croire ou de ne me pas croire ; mais si l'on apportait en particulier des preuves de ces jugements, tirées des écrits des Pères mêmes, peut-être que bien des gens ne suspendraient plus leurs jugements, qui les suspendent à présent. » d'est ainsi qu'il s'humilie. Au lieu de demander pardon de ses téméraires censures, il prend un air menaçant contre les Pères ; et il veut bien qu'on sache que s'il les entreprenait, il leur ferait tant de tort, qu'on ne saurait plus comment les défendre. Dieu le préserve d'un tel dessein ; mais quand il l'aurait, Dieu, qui ne manque point à son Eglise, suscitera quelqu'un pour fermer la bouche ace jeune docteur ; et il doit être assuré de ne trouver dans cette entreprise, d'autres approbateurs que les hérétiques.

 

SECONDE REMARQUE. Sentiments de l'auteur sur les douze chapitres de saint Cyrille. Omission essentielle.

 

L'endroit des ouvrages de saint Cyrille dont l'auteur a le plus parlé, est sa troisième lettre à Nestorius, qui est le plus important de tous ses ouvrages. Car cette lettre n'est pas de saint Cyrille seul, mais de tout le concile d'Egypte: elle est écrite en exécution de la commission adressée à saint Cyrille par saint Célestin contre Nestorius. Comme ce Pape lui avait prescrit de marquer à Nestorius ce qu'il devait confesser et rejeter, il réduit toute la doctrine de cet hérésiarque à douze propositions, qui en contenaient tout le venin, et conclut par ces douze fameux anathématismes, contre lesquels Jean d'Antioche s'est tant échauffé avec les Orientaux. M. Dupin prend leur parti, autant qu'il lui est possible de le faire, sans s'attirer ouvertement tous les catholiques sur les bras; et d'abord il omet deux faits, qui vont manifestement à la décharge de saint Cyrille : le premier, que Jean d'Antioche, les évêques d'Orient et Théodoret comme les autres, qui depuis écrivit avec tant d’aigreur contre les anathématismes, les virent

 

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d'abord sans en être émus. M. Dupin demeure d'accord que ce fut Nestorius qui les excita à écrire contre (1) ; mais il n'a pas voulu voir que s'ils ont eu besoin d'être excités, ces chapitres ne leur avaient donc pas d'abord paru si mauvais : le venin et les hérésies qu'ils y trouvèrent depuis à toutes les pages, ne se faisaient point remarquer. En effet tous leurs reproches sont fondés sur de grossiers déguisements des sentiments de saint Cyrille, et ne doivent pas être regardés comme une accusation naturelle de ces évêques, mais comme une récrimination inspirée par Nestorius. Aussi saint Cyrille sentit d'abord que Théodoret écrivait « pour faire plaisir à quelqu'un, et faisait semblant de ne pas entendre ses paroles, pour avoir lieu de les critiquer (2). »

Le second fait entièrement omis par M. Dupin, est remarqué par saint Cyrille lui-même en plusieurs endroits, et particulièrement dans son Apologie à l'Empereur (3). C'est d'un côté, que Jean d'Antioche ne fut pas plutôt arrivé à Ephèse, qu'il anathématisa saint Cyrille avec ses douze chapitres, « comme conformes à l'impiété d'Apollinaire, d'Eunome et d'Arius, blâmant les Pères d’Ephèse d'avoir fait un conventicule dans un esprit hérétique, pour empêcher la condamnation de ces chapitres (4); » et d'autre part, que très-peu de jours auparavant, le même Jean d'Antioche avait écrit à saint Cyrille, comme à un frère et à un collègue dans le sacerdoce (5), non-seulement avec estime, mais encore avec tendresse, se recommandant à ses prières, et lui témoignant que le désir de le voir et d'embrasser sa tête sainte et sacrée, le pressait plus que toute autre chose d'arriver bientôt à Ephèse. On voit donc que saint Cyrille n'était pas alors si hérétique : la répréhension de ses chapitres n'était pas si sérieuse qu'il semblait : on ne lui parlait point encore de les rétracter, et ils n'auraient pas été condamnes par Jean d'Antioche, s'il n'avait pas voulu venger Nestorius. Ainsi par deux faits incontestables, l'accusation intentée contre saint Cyrille est une affaire de pique. Si notre auteur n'a pas vu des circonstances si révoltantes, où est la pénétration et

 

1 P. 702. — 3 Adv. impug. Theodor., Conc. Eph., III part., cap. III. — 3 Conc. Eph., ibid., cap. XIII. — 4 Conc. Eph., Sent, post., act. I. — 5 Apol. ad Imper., III part., cap. XIII.

 

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l'exactitude dont il se glorifie? et s'il les omet volontairement, comment peut-il s'excuser envers saint Cyrille ?

 

TROISIÈME REMARQUE. Subtilité et ambiguïté mal objectées aux douze chapitres.

 

Nous avons vu ce que notre auteur a supprimé sur cette matière : voyons ce qu'il en dit. « A l'égard, dit-il, des chapitres de saint Cyrille, qui ont fait tant de bruit, il faut avouer que ces douze propositions étaient fort subtiles, et qu'il y en avait quelques-unes qui pou voient avoir de mauvais sens. Elles étaient fort subtiles ». » Après les remarques précédentes, on doit entendre ce langage de M. Dupin : il est répandu dans tout son livre. Comme on sait qu'il n'approuve guère la doctrine de saint Augustin, il se plait aussi à la traiter de subtile, de délicate, d'abstraite. Il en fait autant de celle que saint Cyrille a opposée à Nestorius. Mais après tout, il est bien certain que ces douze propositions ne furent pas inventées en l'air par saint Cyrille : il les fallut opposer à autant de propositions de Nestorius, qui, comme nous avons vu, contenaient tout le venin de son hérésie. On les trouve très-bien expliquées dans la Lettre de saint Cyrille; et Nestorius se sentit si bien frappe au vif, qu'il opposa aussitôt aux anathématismes de saint Cyrille douze anathématismes contraires. C'était donc ici, non pas une recherche subtile et curieuse, mais des propositions essentielles à la matière, par rapport à Nestorius. C'est aussi ce qui fait dire avec confiance à saint Cyrille lui-même, qu'il n'a rien écrit dans ses anathématismes qui ne fût utile et nécessaire (3). Ce qu'il a écrit pour les défendre n'est pas moins sérieux, et il ne songeait à rien moins qu'à subtiliser.

« Quelques-unes de ces douze propositions, poursuit notre auteur, pouvaient avoir de mauvais sens; mais il n'est pas vrai qu'elles n'en pussent point avoir de bons, ainsi que le croyaient les Orientaux (4). » Mais d'où viendrait une semblable ambiguïté à un homme aussi bien instruit de cette matière qu'était saint

 

1 P. 780. — 2 Tom. III, II part., p. 592, etc. — 3 Apol. adv. Orient., ad anath. IV.— 4  P. 782.

 

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Cyrille, et qui s'étudiait plus que jamais à parler correctement? Elle n'est que dans l'esprit de l'auteur, qui par une fausse équité se fait un honneur de tenir les choses comme en balance entre saint Cyrille et les partisans de Nestorius. Ceux-ci n'ont pas tout le tort : il y avait un bon et un mauvais sens dans les propositions de saint Cyrille : c'est tout ce qu'on peut tirer de M. Dupin en faveur de ce Père.

Mais encore, quel était ce mauvais sens de saint Cyrille ? Tout ce que ses ennemis lui ont objecté, c'est qu'il confondait les deux natures. Mais l'auteur demeure d'accord « qu'il les distingue si nettement dans sa seconde lettre à Nestorius, que celui-ci est obligé de l'avouer (1). » Il ne restait qu'à ajouter qu'il ne les distingue pas avec moins de clarté dans la troisième, dont il n'a pas plu à M. Dupin de parler, puisqu'il y répète plusieurs fois et précisément les mêmes choses qui, selon lui, ont rendu]la seconde si claire, et que ses anathématismes énoncent formellement que Jésus-Christ était Dieu et homme

La sentence des Orientaux, dans leur conciliabule (3) accuse saint Cyrille de mêler ensemble la doctrine d'Arius, d'Eunome et d'Apollinaire; mais bien constamment, et de l'aveu de M. Dupin, il n'y en a pas un seul trait.

On a encore objecté à saint Cyrille qu'il parlait souvent de Verbe fait chair, ce qui ressentait l'erreur d'Apollinaire (4); mais il ne faisait en cela que copier saint Jean; et pour exclure l'erreur d'Apollinaire, il a expliqué cinq cents fois, et même dans cette lettre où ses anathématismes sont contenus, que la chair dont il parlait doit animée d'une âme raisonnable et intelligente. M. Dupin en convient encore (5); et je ne sais après cela dans quel endroit il peut, ou trouver ce mauvais sens des paroles de saint Cyrille, ou en marquer au un qui ne soit l'effet d'une haine aveugle, telle qu'était celle de Nestorius et de ses amis, contre saint Cyrille.

En effet nous venons de voir par des faits constants, que Jean d'Antioche et les évêques d'Orient, loin d'avoir aperçu d'abord

 

1 p. 777. — 2 Epist. Cyr, ad Nest., 1 part., cap. XXVI, n. 8. Anath., II, X, etc.

— 3 Act. Conciliab., post. Act. 1, Sent.— 4 Alex. Hier., in Collect. Lup., cap. LVII.

— 5 P. 777.

 

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dans les chapitres de saint Cyrille tout cet amas d'hérésies qu'ils y condamnèrent après, eurent besoin d'être excitées pour les y voir, et ne les ont condamnées qu'en haine de la condamnation de Nestorius. Aussi est-il arrivé que visiblement tous les reproches de Théodoret, grand homme d'ailleurs, mais en cet endroit trop passionné pour être cru, ne sont que chicane. Ainsi tous ces mauvais sens de saint Cyrille sont l'effet de l'entêtement de ses adversaires, et de la préoccupation de M. Dupin, qui les favorise autant qu'il peut, comme la suite le fera paraître encore plus clairement.

 

QUATRIÈME REMARQUE. Suite de cette matière : fausse imputation faite à saint Cyrille.

 

Voici le comble de l'injustice dans notre auteur. Pour obliger son lecteur à croire que saint Cyrille a excédé, et que ses chapitres ont un mauvais sens, il met en fait que saint Cyrille en est lui-même convenu (1). Cet aveu de saint Cyrille m'est inconnu : il est de l'invention de M. Dupin, qui aussi n'ose rien citer pour le prouver. Jamais saint Cyrille n'a rien affaibli dans ses anathématismes, qui n'étaient pas tant les siens que ceux d'un concile de toute l'Egypte ; et loin d'y trouver de l'obscurité ou de l'équivoque, il déclare dans sa réponse à Théodoret, qu'il n’y a rien d'embarrassé, nide difficile à entendre (2). S'il en a publié une explication pour fermer la bouche à ses ennemis, c'a été» avec cette Préface : « Quelques-uns prennent mal ce que j'ai écrit, ou par ignorance, parce qu'ils n'entendent pas véritablement la force de mes paroles, ou parce qu'ils veulent défendre les impiétés de Nestorius ; mais la vérité n'est cachée à aucun de ceux qui sont accoutumés à bien penser (3). »

Il écrit dans le même sens à Donat, après l'accord : « Tout ce que nous avons écrit est conforme à la droite et irrépréhensible croyance, et nous ne désavouons aucun de nos ouvrages. Car nous n'avons dit quoi que ce soit sans y bien penser; » ou, comme porte l'ancienne version de cette lettre, « nous n'avons rien dit

 

1 P. 780. — 2 Adv. Theodor., III part., Praef.— 3 Explan. XII capit., praef., Conc. Eph, part. III, c. I.

 

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de trop ou avec excès, comme les Orientaux nous le reprochent ; mais tout est écrit correctement en tout et partout, et s'accorde avec la vérité (1) ; » ce qu'il confirme en un autre endroit « par le témoignage de l'Eglise romaine, et par celui que lui a rendu tout le concile, de ne s'être éloigné en rien du droit et immuable sentier de la vérité; et cela par écrit, après avoir lu ses écrits à Nestorius; » ou, comme porte plus expressément une autre leçon; « après avoir lu les lettres qu'il avait écrites à Nestorius (2), » où il comprend manifestement la lettre qui contenait les douze chapitres. Voilà comment saint Cyrille avoue que ses anathématismes peuvent avoir un mauvais sens. C'est ainsi que les meilleurs livres, et l'Ecriture elle-même en peuvent avoir.

 

CINQUIÈME REMARQUE. Si les douze chapitres de saint Cyrille ont été approuvés par le concile d'Ephèse : erreur de M. Dupin.

 

« Ils furent lus, poursuit notre auteur, dans le concile d'Ephèse ; mais ils n'y furent pas nommément approuvés, comme la seconde Lettre (de saint Cyrille à Nestorius. » Ce nommément est une chicane. M. Dupin veut insinuer que la troisième Lettre de saint Cyrille, où les anathématismes étaient renfermés, n'a pas été expressément acceptée ni autorisée par le concile ; mais qu'on en lise les Actes, on n'y verra pas plus de marque d'acceptation pour la lettre de saint Célestin, qu'on convient être authentique, que pour celle de saint Cyrille où étaient les douze chapitres. Au reste ces deux lettres sont si approuvées, qu'elles sont, comme on a vu, le fondement de la procédure du concile. Celle de saint Célestin contenait la commission que ce Pape adressait à saint Cyrille contre Nestorius, et celle de saint Cyrille en contenait l'exécution. Aussi le concile les fit lire ensemble comme deux pièces connexes (3) ; et puisque notre auteur ne veut rien voir ni rien remarquer, il faut, encore une fois, lui faire lire dans les Actes du concile qu'après qu'on eut fait la lecture de ces deux lettres, Pierre,

 

1 Ep. ad Donat., Conc. Eph., III part., cap. XXXVIII ; Coll. Lup., cap. CCIV. — 2 Apol. ad Imper., III part., cap. XIII. — 3 Act. 1.

 

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prêtre d'Alexandrie, qui était comme promoteur du concile, dit : « Non-seulement la Lettre de Célestin à Nestorius, mais encore celle de Cyrille et du concile d'Egypte au même Nestorius, qui était nommément celle où étaient les douze chapitres, lui ont été rendues par les évêques Theopemptus et Daniel (qui en étaient chargés) ; et puisqu'ils sont ici présents, je demande qu'ils soient interrogés. » Alors il fut ordonné « que ces deux évêques exposeraient s'ils avaient rendu ces deux lettres, et si Nestorius y avait satisfait. Les deux évêques répondirent que les lettres avaient été rendues, et que Nestorius n'y avait pas satisfait ; » ce qui ne serait pas si criminel, si l'une de ces deux lettres eût été regardée comme ambiguë et pleine de mauvais sens ; mais c'est à quoi l'on ne songeait pas ; de sorte que ces deux lettres, tant celle de saint Cyrille où les anathématismes étaient prononcés, que celle de saint Célestin, sont considérées comme juridiques et authentiques. On l'ait un crime à Nestorius de n'y avoir pas déféré ; et faute de l'avoir fait, on passe outre au jugement, et l'on prononce la sentence. Elles sont donc approuvées et plus qu'approuvées, si je puis parler de îa sorte, puisque le concile les autorise par toute sa procédure.

Aussi ont-elles toujours passé pour approuvées : elles sont rapportées ensemble dans le cinquième concile (1), comme également approuvées dans le concile d'Ephèse : le même concile cinquième condamne d'impiété et frappe d'anathème ceux qui improuvent les douze Chapitres de saint Cyrille : Facundus reconnaît aussi, non-seulement que les Chapitres de saint Cyrille ont été approuvés dans le concile d'Ephèse, mais encore qu'on l'a ainsi présupposé dans le concile de Chalcédoine (2).

Nous venons aussi de voir (3) un passage de saint Cyrille lui-même, dans son Apologétique de l’empereur Théodose, où il dit que tous ses écrits, qui ont été lus dans le concile d'Ephèse, y ont été approuvés ; ce qui est expressément confirmé par le concile même dans sa Relation à l’ Empereur (4), où il est porté que « le concile a conféré les Epîtres que Cyrille avait écrites sur la foi,

 

1 Col. VI, VIII, Anath. XIII. —  2 Facund., lib. VII, p. 296. — 3 Sup., Rem. II. —  4 Act. 1.

 

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avec le Symbole de Nicée : qu'elles s'y sont en tout point trouvées conformes, et que sa doctrine ne diffère en rien de celle-là ; » ce qui est dans tous les conciles et en particulier dans celui d'Ephèse la formule d'approbation la plus authentique. On voit donc que toute la doctrine de saint Cyrille, qui a paru au concile, est expressément approuvée ; et il faut bien remarquer qu'il parle, non d'une Epître, mais de plusieurs; ce qui fait dire aux juges dans le concile de Chalcédoine, que « l'Empereur recevait deux épîtres canoniques de saint Cyrille, confirmées dans le concile d'Ephèse (1). »

Si M. Dupin, qui se vante de nous donner une histoire si exacte, n'avait point passé tout cela, il n'aurait peut-être pas pris la liberté de prononcer comme il fait, que « les douze chapitres de saint Cyrille n'ont jamais fait partie de la foi de l'Eglise (2). » Je voudrais bien lui demander s'il croit qu'il lui soit permis d'en révoquer en doute quelques-uns, après cet anathématisme du concile cinquième, dont nous avons déjà parlé : « Si quelqu'un défend les écrits impies de Théodoret, qu'il a faits contre la foi et contre le premier concile d'Ephèse, et contre saint Cyrille et

ses douze Chapitres ;.....et s'il ne les anathématise pas, et tous ceux qui ont écrit contre la foi et contre saint Cyrille et contre ses douze Chapitres, et qui sont demeurés jusqu'à la mort dans une telle impiété, qu'il soit anathème (3).» Voilà une décision d'un concile général, dont personne ne conteste plus l'autorité ; et si l'on répond que ce concile n'a pas été assemblé sur la foi, mais sur certaines personnes, comme parle saint Grégoire, je prends droit par cette réponse. Saint Grégoire, ni les autres saints qui ont parlé de cette sorte, n'ont pas voulu dire qu'il n'y ait point de décrets sur la foi dans ce concile ; car tout en est plein : ce qu'ils veulent dire, c'est qu'on n'y a point traité, comme dans les quatre précédents, de questions spéciales concernant la foi, mais seulement des matières déjà résolues. Ainsi l'approbation des Chapitres de saint Cyrille était un point décidé ; et un jeune docteur nous viendra dire que ces chapitres n'appartiennent pas à la foi de l'Eglise!

 

1 Act. I, in fin — 2 P. 781. — 3 Colla . VIII, cap. XIII.

 

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Aussi le prétexte qu'il en prend est pitoyable. Il est vrai, comme il le remarque, qu'on n'en parla point dans l'accord ; mais si l'on veut conclure de là que la troisième Lettre de saint Cyrille, qui est celle où sont renfermés les douze Chapitres, ne fait point partie de la foi, on en pourra dire autant de la seconde, que M. Dupin veut bien regarder comme nommément approuvée, puisqu'on ne parla non plus de l'une que de l'autre dans l'accord : on en pourra dire autant de la Lettre de saint Célestin, dont on ne fit non plus nulle mention ; ce qui serait trop abuser de la modération de saint Cyrille, et de la condescendance de l'Eglise.

Il faut donc dire au contraire, avec toute la théologie, que pour le bien de la paix . sans obliger les Orientaux à toutes les expressions que le concile avait approuvées, l'Eglise se contenta de termes équivalents dont ou convint, ce qui ne dérogeait pas à l'autorité de ses actes, non plus qu'aux expositions qu'on avait jugées nécessaires contre les écrits de Nestorius.

Au fond les deux lettres de saint Cyrille sont visiblement d'un même esprit et d'un même sens. Tout y dépend d'un seul principe, qui est que la personne du Verbe Dieu est la même que celle de Jésus-Christ homme ; ce qui étant une fois posé, tous les anathématismes ont une suite manifeste ; et tout ce qu'on trouve de plus dans la troisième Lettre de saint Cyrille, dont on veut contester l'autorité, c'est une application plus particulière et plus précise de la doctrine de la seconde , aux propositions de Nestorius. Ainsi qui approuve l'une, approuve l'autre. Si les propositions de saint Cyrille ont eu besoin de tant d'éclaircissements, et ont causé tant de disputes, ce n'était pas une raison à M. Dupin pour dire qu’on ne les a pas approuvées dans le concile d'Ephèse, et qu'il n'en était pas question (1). Car il a vu qu'il était si bien question de la lettre où elles étaient, qu'on eu fit un des fondements de la condamnation de Nestorius. Pour les disputes qu'elles ont causées, il en faut uniquement imputer la faute aux préventions des partisans de Nestorius, qui irrités contre saint Cyrille de ce qu'il avait condamne leur ami, le voulaient condamner lui-même,

 

1 P. 771, 774.

 

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et à quelque prix que ce fut, trouver dans ses douze articles l'arianisme et toutes les hérésies, encore qu'elles y fussent formellement rejetées.

 

SIXIÈME REMARQUE. Un des anathématismes de saint Cyrille faussement rapporté.

 

Au reste il est véritable que si les chapitres de saint Cyrille étaient tels que M. Dupin les a rapportés, ils auraient besoin non-seulement d'éclaircissement, mais encore de rétractation. En voici un, comme il le rapporte : « Le neuvième est contre celui qui dit que Jésus-Christ a fait des miracles par la vertu du Saint-Esprit, et non pas par la sienne propre (1). » Si saint Cyrille avait nié que Jésus-Christ fit des miracles par la vertu du Saint-Esprit, il aurait démenti Jésus-Christ lui-même, qui déclare sans difficulté qu'il chasse les démons par le Saint-Esprit (2). C'eût donc été à ce coup qu'il eût bien fallu se dédire. Mais il n'y a que M. Dupin qui le fasse si mal parler ; car ce Père, en reconnaissant que Jésus-Christ faisait des miracles par le Saint- Esprit, a déclaré seulement que cet Esprit, par lequel il les faisait, ne lui était pas étranger, mais lui était propre aussi bien qu'au Père (3), ce qui ne peut souffrir de contestation.

Notre auteur répondra sans doute qu'il ne l'entend pas autrement ; et c'est de quoi on l'accuse, de ne pas savoir démêler les choses, et de ne pas considérer ce qu'il écrit.

 

SEPTIÈME REMARQUE. Sur l'expression de saint Cyrille : Unam naturam incarnatam.

 

Je ne veux point disputer avec notre auteur sur le sens de cette expression : Una natura incarnata ; je lui dirai seulement qu'il n'a pas du dire « que saint Cyrille et les Egyptiens s'en servaient ordinairement, et la préféraient aux autres (4). » C'est une petite manière d'attaquer saint Cyrille, en lui imputant qu'il a préféré à toutes les expressions celle qui, comme il ajoute, « fut depuis

1 p. 699. — 2 Matth., XII, 28. — 3 Anath. IX. —  4 P. 779.

 

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considérée par les eutychiens comme le fondement de leur doctrine. » Mais il en impose à ce Saint. Il préférait si peu cette expression à toutes les autres, qu'il ne s'en est jamais servi, ni dans le concile, ni dans la Lettre d'union après le concile, ni enfin dans aucune lettre synodique, devant ou après. On en trouve quelque chose devant le concile, dans un traité de saint Cyrille contre Nestorius (1) ; mais on n'y voit pas les termes précis. On trouve devant le concile, ce terme précis dans la Lettre aux Impératrices ; mais dans un passage de saint Athanase qui y est cité; et il n'est peut-être pas inutile de remarquer que ce passage de saint Athanase, quoique rapporté deux fois tout entier par saint Cyrille comme constamment de ce Père, n'est pas de ceux qu'on produit du même saint Athanase dans le concile d'Ephèse (2); tant saint Cyrille cherchait peu à autoriser cette expression, qu'on lui veut faire préférer à toutes les autres. Vous diriez qu'il ait senti l'abus qu'on en pouvait faire, et qu'il ait évité de l'autoriser par un acte public. Quoi qu'il en soit, il est bien certain qu'elle ne se trouve que dans des lettres particulières écrites après le concile, et que saint Cyrille s'en servit, non pas, comme dit M. Dupin, «pour contenter ceux qui ne pouvaient souffrir qu'on admit deux natures en Jésus-Christ (3) ; » car c'eût été une manifeste prévarication indigne de ce saint docteur ; mais à cause qu'on la crut utile pour exprimer qu'en distinguant les natures, il ne fallait pas pour cela les diviser après l'union, ni les reconnaître comme agissantes séparément, ni les séparer autrement que par la pensée.

Je ne veux pas non plus entrer dans la question du passage de saint Athanase dont on vient de parler. Je laisse en repos M. Dupin et tous ceux qui, comme lui, croiront mieux connaître ce qui est de saint Athanase, par des auteurs qui ont écrit cent ans après, que par saint Cyrille, qui lui succéda trente ou quarante ans après sa mort, et qui avait en main ses écrits qu'on gardait précieusement dans Alexandrie. Tout cela ne me regarde pas ; et sans me jeter dans des critiques contentieuses, je ne m'arrête

 

1 Adv. Nest., lib. I, cap. III. — 2 Epist. ad Reg., Conc. Eph., I part., cap. IV. Apol. pro duodec. cap. adv. Orient., Act. 1. — 4 P. 780.

 

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qu'aux faits constants. C'en est un dans la lettre à Successus, que saint Cyrille s'y servant de cette expression : Una anima incarnata, dit précisément que les Pères ont parlé ainsi (1). Il avait des contradicteurs assez éveillés pour être relevé sur ce fait, s'il eût été faux ou douteux, et il est trop tard pour l'en démentir. Quoi qu'il en soit, on voit clairement qu'il ne veut pas se donner pour auteur de cette expression , dont on veut maintenant nous faire accroire qu'il s'est servi le premier (2).

M. Dupin continue à faire l'histoire de ce mot ; il dit que le concile de Chalcédoine ne s'en est pas voulu servir. Il fallait donc ajouter qu'il le laissa passer trois ou quatre fois sans y trouver à redire, pas même lorsqu'on produisit la lettre dans laquelle Flavien déclarait qu'il ne refusait point de parler ainsi (3) ; ce qui n'empêcha pas qu'à l'instant même sa foi ne fût approuvée de tout le concile (4).

Ce qu'ajoute M. Dupin, qu'on n'osa condamner cette expression (5), insinue qu'on en avait eu quelque envie ; mais on n'en voit rien dans les Actes, et ce sont là de ces découvertes dont cet auteur orne son histoire.

L'Eglise songeait si peu à la condamner, qu'au contraire elle est reçue dans le concile cinquième comme approuvée par les Pères ; et quand notre historien s'est contenté de dire simplement que plusieurs auteurs grecs s'en sont servis depuis saint Cyrille, il est bon de se souvenir que, parmi ces plusieurs auteurs grecs, il faut compter tout un concile œcuménique tenu à Constantinople (6).

Pour ce qui est des Pères latins, M. Dupin nous assure qu'on y trouve rarement cette expression, et qu'il y a peu de théologiens qui l'aient approuvée. Je crois qu'il voudra bien mettre au rang des Pères latins, le pape saint Martin I, avec cent ou six vingt évêques d'Italie, qui célébrèrent avec lui le concile de Latran, où cette expression est approuvée par un canon exprès (7). Elle n'est donc pas si rare, dans l'Eglise d'Occident, que notre auteur nous le dit. Quand après tant d'approbations authentiques de

 

1 Epist. I, ad Succ. — 2 P. 779. — 3 Act. I. —  4 Conc. Chalced., I part., cap. V. — 5 P. 779. — 6 Collat, VIII, Can. 8. — 7 Secret, V, Can. 5.

 

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cette expression, il ose ajouter que peu de théologiens l'approuvent, au lieu de dire que peut-être ils ne trouvent plus nécessaire de s'en servir, ou ces théologiens sont bien difficiles, ou lui-même il parle peu juste, et il est un mauvais interprète de leurs sentiments.

 

HUITIÈME REMARQUE. Paroles de Facundus altérées, pour faire voir que saint Cyrille a excédé.

 

Ce qu'on vient de voir de l'auteur n'est pas le seul effet du peu d'inclination qu'il témoigne pour saint Cyrille. Il cite un passage de Facundus , pour montrer « que saint Cyrille, emporté comme beaucoup d'autres par la chaleur de la dispute, a tellement combattu une erreur, qu'il semble pencher vers la contraire (1).» Mais Facundus ne dit point cela : il ne parle ni d'emportement, ni de chaleur de dispute : tout cela est une addition de M. Dupin ; il dit seulement «que pour réprimer Nestorius qui divisait Jésus-Christ en deux, saint Cyrille tournait son discours à exprimer l'unité, comme les anciens, en combattant Apollinaire qui confondait les natures, s'appliquaient aussi davantage à en exprimer la distinction (2); » ce qui ne vient nullement de la chaleur des partis; « mais, connue dit ce docte auteur, de l'ordre et de la méthode qu'il faut garder eu chaque dispute ; » et il est si éloigné de penser ici aux emportements ordinaires des disputes échauffées, qu’il soutient même que Jésus-Christ en a usé de la même manière qu'il attribue à saint Cyrille ; si bien qu'il n'y a rien de moins à propos que d'alléguer ici Facundus, et de chercher cette occasion d'attaquer saint Cyrille.

Au reste si je m'attache à le défendre du reproche qu'on lui fait ici, ce n'est pas par un aveugle entêtement de trouver son style sans défaut, ni aussi qu'il me paroisse si criminel d'imputer aux Pères quelque chaleur dans la dispute ; mais c'est que je comtois le style des critiques. Un des moyens dont ils se servent pour éluder l'autorité des saints docteurs, est de dire qu'ils s'emportent et tombent dans des excès en disputant, ce qui n'est pas impossible

 

1 P. 778 — 2 Facund., lib. VI, cap. III.

 

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quelquefois et jusqu'à un certain point. Mais j'oserai bien assurer que saint Cyrille est un de ceux en qui l'on remarquera le moins ce défaut, même dans ses longues disputes avec les nestoriens; et quoi qu'il en soit, on est peu exact d'alléguer, pour l'en accuser, Facundus qui n'y songe pas.

 

NEUVIÈME REMARQUE. Pente à excuser Nestorius et ses partisans.

 

Je n'en sais pas la raison, mais l'affectation est visible. Ne répétons plus ce qu'on a vu dans les remarques précédentes ; mais pourquoi dire qu'au temps de l'accord « sa condamnation fut approuvée par presque tous les évêques catholiques (1) ? » Est-ce qu'il y eut quelques évêques catholiques qui ne l'aient pas approuvée ? Tous ceux qui avaient refusé d'y souscrire, et qui avaient fait à Ephèse un concile schismatique contre un concile universel, n'avaient été reconnus pour catholiques qu'en condamnant Nestorius. Quels étaient donc les catholiques qui l'approuvaient, et qui sont ceux qu'on appelle catholiques ? Ce ne peut être Alexandre d'Hiéraple, et les autres qui se séparèrent de l'Eglise. Car ceux-là furent les seuls qui ue voulurent jamais consentir à la condamnation de Nestorius. Sont-ce là les catholiques de M. Dupin ? Ils étaient, dira-t-il peut-être, catholiques dans la foi. Je le nie : je les maintiens vrais nestoriens, et l'on enverra bientôt les raisons; mais, en attendant, il est bien constant qu'ils rompirent ouvertement avec l'Eglise catholique. Si avec cela l'on est catholique, où en est l'unité de l'Eglise ? Cet auteur ne sait ni penser ni parler en théologien : je n'en veux pas dire davantage.

Passons outre. En expliquant la doctrine de Nestorius, fallait-il dire toujours « qu'il semblent n'admettre qu'une union morale entre les deux natures de Jésus-Christ, et qu'il se servait d'ex-pressions qui semblaient en diviser la personne (2)?» Et remarquez comment il parle : « Il était visible, dit-il, qu'il avait nié que la Vierge put être appelle Mère de Dieu, et qu'il se servait d'expressions qui semblaient diviser la personne de Jésus-Christ en

 

1 P. 774. — 2 Tom. III, II part., p. 152.

 

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deux (1). » Il était visible... il semblait. On voit bien qu'il craint d'en trop dire sur le second chef de l'accusation, et que Nestorius de ce côté-là ne lui paraît pas trop convaincu. Aussi dit-il en un autre endroit dont nous avons déjà parlé   que saint Cyrille veut le convaincre d'erreur sur le même point. Il évite de dire qu'il l'a convaincu, et de donner trop d'avantage à la bonne cause contre l'auteur d'une hérésie si pernicieuse. Il semblait ; on veut le convaincre. Ce n'est pas ainsi que saint Cyrille, saint Célestin, tous les Pères et le concile d'Ephèse ont jugé. Tous ont réprouvé Nestorius, non pas parce qu'il semblait séparer la personne de Jésus-Christ, mais parce qu'il la séparait en effet. Si ce n'est pas là un point résolu, sur lequel on ne veut pas seulement convaincre Nestorius, mais on le convainc en effet ; et si l'on peut dire avec la moindre couleur, qu'il a reconnu une union réelle et substantielle entre les deux natures de Jésus-Christ, de quelle erreur a-t-il pu être convaincu ? Car c'est là le fond de son hérésie, dont tout le reste n'est qu'une suite. M. Dupin abuse trop visiblement de l'autorité des théologiens catholiques, de celle du père Petau, de celle du père Garnieret des autres, lorsqu'il répond qu'ils sont demeurés d'accord que Nestorius dissimulait son erreur, et ne voulait pas avouer « qu'il y eût deux Christs, deux Fils de Dieu, deux personnes en Jésus-Christ. » Il est vrai qu'il ne voulait pas l'avouer en autant de mots ; mais il l'avouait en termes équivalents toutes les fois qu'il disait que Jésus-Christ n'était pas Dieu, ou qu'il ne l'était qu'improprement : qu'un enfant de trois mois n'était pas Dieu : que la Vierge n'était pas Mère de Dieu. Dans toutes ces occasions, il découvrait son venin malgré qu'il en eût, et ne semblait pas seulement admettre, mais admettait effectivement deux Fils, deux Seigneurs, deux personnes, dont l'une était Dieu et l'autre ne l'était pas. Au lieu donc de nous dire faiblement que Nestorius semblait diviser la personne de Jésus-Christ, il fallait dire, ce qui est très-vrai, qu'il semblait quelquefois vouloir en reconnaître l'unité ; mais qu'il fut convaincu du contraire, et cela par ses propres paroles, et que c'est là principalement ce qu'on improuva dans sa doctrine. Quelque adresse qu'aient eue les hérétiques,

 

1 Tom. III, II part., p. 773. — 2 Ibid., p. 111.

 

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un Pelage, un Célestius, un Nestorius et les autres, de pallier et d'envelopper leurs erreurs, l'Eglise a bien su les mettre au jour; et ce n'est pas sans raison que saint Célestin donne cette louange à saint Cyrille : « Vous avez parfaitement pénétré tous les artifices et tous les détours de Nestorius : OMNES SERMONUM ILLIUS TECHNAS RETEXISTI (1).»

Je ne nie pas que l'auteur ne se soit un peu mieux expliqué ailleurs, mais toujours trop faiblement, à cause, comme on a vu, qu'il n'a jamais bien voulu comprendre combien il était évident que Nestorius niait que l'homme Jésus-Christ fût Dieu. Quand on a une fois molli contre une hérésie, tout est faible pour la combattre. Que direz-vous de ces propositions : Un Dieu est né, un Dieu est mort? Je ne les condamne pas absolument ; et de celle-ci : Marie est Mire de Dieu? On le peut dire, et la proposition est vraie en un sens ; et de cette autre : Nestorius divisait les deux personnes de Jésus-Christ; en a-t-il été bien convaincu? Il le semble, et on a voulu l'en convaincre. Comme on affaiblit l'hérésie, on en affaiblit la condamnation. Nestorius fut condamné par presque tous les évêques catholiques : on ne veut pas dire par tous. Peut-on répondre aux objections qu'on fait contre le concile qui le condamna ? Cela n'est pas impossible. On n'est pas ferme sur le dogme : on parle tantôt bien, et tantôt mal : on imite en quelque façon Nestorius même, à qui le Pape écrivait : Vera involvis obscuris : rursùs utraque confundens, vel confideris negata, vel niteris negare confessa (2). On n'est pas nestorien ; mais on flatte par certains endroits ceux qui le sont, et on les endurcit dans leur erreur.

 

DIXIÈME REMARQUE. Sentiments de l'auteur sur les partisans de Nestorius : premièrement sur Jean d'Antioche.

 

Pour ce qui est des partisans de Nestorius, M. Dupin est le leur trop déclaré. Il veut toujours supposer qu'ils n'erraient que dans le fait (3) : ce qui est vrai de quelques-uns : mais je le nie de

 

1 Epist. ad Cyr., I part., cap. XV. — 2 Epist. ad Sest., I part., cap. XVIII. — 3 P. 774, 781-783.

 

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Jean d'Antioche : et je le nie encore, mais par un principe différent, d'Alexandre d'Hiéraple et des autres qui persistèrent dans le schisme.

Pour Jean d'Antioche, sa lettre à Nestorius (1), dont il a déjà été parlé, nous donne tout sujet de croire qu'il était orthodoxe, mais qu'il ne pouvait pas croire, comme l'assure M. Dupin (2), que Nestorius le fût tout à fait. Car il ne se contente pas de lui faire voir simplement dans cette lettre, comme l'interprète notre auteur (3), qu'on pouvait dire que la sainte Vierge était Mère de Dieu, et que cette proposition est vraie en un sens. S'il avait parlé si faiblement, je ne serais pas de l'avis de M. Dupin, et je le croirais mauvais catholique ; mais il parle bien d'une autre sorte, et il démontre que ce terme : Mère de Dieu, était « véritable, propre à expliquer le mystère, reçu de plusieurs saints Pères et des plus illustres, contredit d'aucun, sans aucun inconvénient, prouvé par saint Paul, nécessaire, puisqu'on ne pouvait rejeter ce qu'il signifiait sans nier que Jésus-Christ fût Dieu, et renverser tout le mystère de l'incarnation, ni le faire sans scandaliser l'Eglise, et y introduire le schisme et la nouveauté, contre le précepte de l'Apôtre. »

Cette lettre étant venue à la connaissance de saint Cyrille, il dit qu'il avait en main une lettre de Jean d'Antioche, « où il reprenait vivement Nestorius d'introduire des dogmes nouveaux et impies, et de renverser la doctrine laissée aux églises par les évangélistes et par les apôtres (4).» Il avait raison, et tout cela se trouvait dans la lettre de Jean d'Antioche à Nestorius.

Il est vrai aussi qu'il présupposait alors, que dans le fond Nestorius avait de bons sentiments, selon le rapport qu'on lui en avait fait; et c'est pourquoi il le pressait, en lui disant : « Quelle difficulté à confesser ce qu'on pense dans le fond? On m'a rapporté que vous avez dit souvent que vous ne rejetteriez point le terme de Mère de Dieu, si quelque célèbre auteur s'en était servi. Il y en a des plus célèbres qui l'ont fait : il est inutile de vous les nommer. Vous les savez aussi bien que nous, et vous vous glorifiez

 

1 Conc. Eph., I part., cap. XXV. — 2 P. 781.— 3 P. 157, 777, 781. — 4 Epist ad Cler. C. P., Act. I.

 

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comme nous d'être leur disciple. » Comment pouvait-il donc croire qu'il fût tout à fait orthodoxe, lorsqu'il le vit manquer à la parole qu'il avait donnée, mépriser ouvertement l'autorité des Pères auxquels il avait promis de se soumettre, et refuser si obstinément le terme de Mère de Dieu, que lorsqu'il sembla vouloir l'admettre, personne ne crut qu'il le fit sincèrement (1)? Cependant après l'avoir si bien conseillé, Jean d'Antioche se laisse entraîner dans sa faction, et préfère l'ami à la foi. Cela n'est que trop ordinaire. M. Dupin commit des esprits à peu près de ce caractère, qui après avoir repris leur ami, lorsqu'il méprise leurs conseils, ne laissent pas de le soutenir et de l'approuver.

J'en dirai autant de Théodoret, qui, comme nous avons vu, avait approuvé la lettre de Jean d'Antioche. On voit par ses lettres qu'il s'était lié d'une amitié étroite avec Nestorius et avec Alexandre d'Hiéraple, le plus intime de ses confidents. Nous avons déjà remarqué que d'abord il ne vit rien de mauvais dans les anathématismes de saint Cyrille. Il entra ensuite dans la passion de son ami, et aigri contre saint Cyrille, son style si beau d'ailleurs ne produisit que chicanes. On a pitié de Théodoret, un si grand homme, et on voudrait presque pour l'amour de lui que Nestorius, qu'il défendit si longtemps avec tant d'opiniâtreté, eût moins de tort. Mais il en faut revenir à la vérité, et se souvenir qu'après tout un grand homme entêté devient bien petit. Théodore! a bien parlé depuis des dogmes de Nestorius. Ce n'est pas qu'il ait rien appris de nouveau,; mais tant qu'on est entêté, on ne veut pas voir ce qu'on voit.

 

ONZIEME REMARQUE. Sur Alexandre d'Hiéraple et les autres que notre auteur a traités de catholiques.

 

L'erreur d'Alexandre d'Hiéraple, d'Euthérius de Tyane et de Quelques autres, était d'un autre genre que celle de Jean d'Antioche et de Théodoret. Ceux-là crurent véritablement Nestorius innocent, non qu'ils errassent dans le fait, comme dit M. Dupin (2),

 

1 Socrat., lib. VII, cap. XXXIII. — 2 p. 783.

 

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ou qu'ils ignorassent la croyance de Nestorius, mais parce qu'ils en étaient entêtés. Ce sont là ces catholiques de notre auteur (1), qui ne voulurent jamais condamner ni le dogme ni la personne de Nestorius, et qui étaient aussi vrais nestoriens. Il ne sert de rien d'alléguer certaines expressions où ils semble tient s'éloigner de cette erreur. Car on les trouve dans les écrits de Nestorius comme dans les leurs. Il ne faut pas croire qu'on trouve toujours dans les hérétiques des idées nettes ou un discours suivi : c'est tout le contraire : l'embrouillement soutenu par l'obstination, fait la plupart des hérésies, et celle d'Eutyche en fut encore depuis un grand exemple. Vouloir au reste imaginer qu'Alexandre d'Hiéraple, le plus intime des confidents de Nestorius et à la fin son martyr, ne sût pas le fond de ses sentiments, c'est de même que si l'on disait que personne ne les savait, et que son erreur était une idée. Ce qui ne laisse aucun doute, c'est qu'Alexandre et les autres ont persisté jusqu'à la fin à détester le terme consacré de Mère de Dieu, comme un terme dans lequel ils voulaient trouver tous les mauvais sens imaginables (2), sans jamais avoir voulu entrer dans le bon, qui était le simple et le naturel. Enfin ils le détestaient comme «un terme de trahison et de calomnie, qu'on avait inséré dans l'accord même pour condamner celui qui enseignait la vérité (3), » c'est-à-dire Nestorius. Les catholiques attachaient à ce terme toute la confession de la vérité; et Alexandre au contraire y attachait l'abrégé et le précis de l’erreur (4); d'où il concluait que Jean d'Antioche et ceux qui avaient consenti à la réunion, avaient embrassé avec ce terme toutes les prétendues hérésies de Cyrille.

Ce fut pour abolir à jamais ce mot qui contenait l'abrégé de notre foi, qu'il persista jusqu'à la fin à dire, comme il avait fait à Ephèse dans le faux concile, qu'il  ne souffrirait jamais qu'on ajoutât rien au symbole de Nicée (5) : qui était alors le langage commun des nestoriens, comme il fut depuis celui des eutychiens et de tous les hérétiques, et le signal perpétuel de la secte.

 

1 Sup., Rem., VII. — 2 Collect. Lup., cap. LXXIII, CXXI. — 3 Ibid., cap. LXXXIV. — 4 Ibid., cap. LXXXVI. — 5 Act Conciliab. post Act. 6, Exemp. mand. ad Joan., etc. Collect. Lup., cap. LVIII.

 

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La cause de son erreur, comme de celle de ses compagnons, c'est qu'ils étaient aheurtés, aussi bien que Nestorius, à ne vouloir jamais croire ni que le Verbe qui était Dieu, fût le même que Jésus-Christ homme, ni qu'on pût dire de lui les mêmes choses (1) ; et toutes les fois qu'on le faisait, ils disaient qu'on introduisait, non pas l'union des deux natures, mais la conversion de la nature divine dans l'humaine, et qu'on attribuait la souffrance à la divinité sans jamais vouloir revenir de cette prévention, ni prendre les propositions de l'Ecriture dans la même simplicité et propriété que les Pères avaient fait. Et s'il faut aller à la source, on trouvera que Théodore de Mopsueste avait laissé en Orient des semences de l'erreur, que Nestorius, Alexandre et les autres avaient recueillies ; de sorte qu'il ne fut pas possible, quoi qu'on pût dire, de leur faire entrer dans l'esprit la vraie idée de la foi.

C'est pourquoi ils voulurent toujours demeurer irréconciliables avec saint Cyrille, quelque claire que fût la manière dont il s'expliquait.

Il n'y avait rien de plus précis que ce qu'Alexandre lui-même rapporte de ce patriarche : « Le Verbe, qui est impassible par lui-même, s'étant fait chair, a souffert comme homme (2). » Il épilogue néanmoins sur cette expression, pour expliquer à quoi il réduit la difficulté : « Qu'il mette, dit-il, clairement les deux natures, et il s'exempte d'hérésie. » Il devait donc être content, puisque non-seulement il les avait mises dès le commencement de la dispute, d'une manière dont Nestorius n'avait pu s'empêcher d'être content (3) ; mais encore puisqu'on avait mis en dernier heu cette distinction dans l'accord en termes si clairs, qu'Alexandre n'aurait pu lui-même en inventer de meilleurs.

En un mot, les Orientaux frappés comme lui de cette difficulté, n'avaient rien laissé à dire là-dessus. Jean d'Antioche lui écrivait : « Homme de Dieu, qu'avez-vous à dire (car on n'oubliait rien pour le fléchir) ? Cyrille anathématise la confusion des natures : il enseigne que la divinité est impassible, et qu'il y a deux

 

1 Collect. Lup., LVII, CXXXVI, CCI, etc. — 2 Ibid., LVII.  — 3 Epist. Cyr., ad Nest , et Nest. ad Cyr., I part., cap. VIII, IX.

 

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natures : vous devriez vous réjouir que le doux soit sorti de l’amer (1). » Mais ce n'était plus là ce qu'il prétendait Quelque nettement qu'on s'énonce, jamais on ne satisfait l'esprit hérétique. Alexandre trouvait toujours de quoi pointiller, et il rompit, non-seulement avec saint Cyrille, mais encore avec Jean d'Antioche son patriarche, et jusqu'alors son admirateur, avec ses amis les Orientaux, avec le saint Siège, avec tout ce qui ne voulait pas que Nestorius eût raison, et que saint Cyrille fût hérétique, c'est-à-dire avec toute l'Eglise. Voilà un de ces catholiques de M. Dupin, qui ne voulurent jamais condamner Nestorius, et qui selon lui n'erraient que dans le fait.

 

DOUZIÈME REMARQUE. L'esprit hérétique dans Alexandre et dans les autres catholiques de l'auteur.

 

Pour bien entendre jusqu'à quel point ils étaient remplis, non-seulement d'erreur, mais encore de l'esprit qui fait les hérétiques, il ne faut que les comparer avec ceux du même parti qui se rendirent. Tite était des plus obstinés, et Théodoret s'était toujours attaché à la volonté d'Alexandre, qui était son métropolitain; mais quand on vint au point d'une rupture absolue, ils se laissèrent toucher à l'autorité de l'Eglise. Tite écrivit à Melèce qui le voulait retenir dans le schisme : O Dieu veut sauver tous les hommes, et vous n'êtes pas le seul qui lui soyez obéissant et qui sachiez sa volonté (2) ; » et à Alexandre lui-même : « Théodoret et Helladius, et les autres qui avaient voulu se séparer pour un peu de temps de ce saint concile, ayant reconnu qu'on ne peut pas refuser de s'y soumettre et qu'il faut obéir à un concile universel, s'y sont unis, et ne sont pas demeures dans la séparation. Nous vous conjurons d'en faire autant, et de ne pas donner lieu au diable, qui veut diviser l'Eglise (3). » Théodoret renferme en trois paroles toutes les raisons de céder en écrivant aux évêques du parti, « qu'il fallait finir les disputes, unir les églises, et ne pas damner les brebis que Dieu leur avait confiées (4). »

 

1 Collect. Lup., LXXVI. — 2 Ibid., CLXXIII. — 3 Ibid., CLXXX. — 4Ibid. CLX.

 

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On voit comment ils ressentaient qu'il faut s'unir au corps de l'Eglise, et ne pas demeurer seuls, c'est-à-dire schismatiques ; mais Alexandre et ses sectateurs disaient au contraire, qu'ils ne se mettaient point en peine de demeurer dans cet état : les suivît qui voudrait : que peu leur importait « d'avoir peu ou beaucoup de monde dans leur communion : que le monde entier était dans l'erreur : » que l'Eglise était perdue, « et que la foi avait souffert un naufrage universel : » que quand avec tout l'univers, qui était contre eux, les moines ressusciteraient encore tous les morts depuis l'origine du monde, ils n'en feraient pas davantage (1). Alexandre se laissait flatter par ceux qui lui disaient « qu'on ne parlait que de lui dans tout l'univers : que la vérité qui succombait dans l'esprit de tout le monde, ne subsistait plus que dans le sien ; mais aussi qu'il suffisait seul pour la faire éclater dans tout l'univers : qu'ils se contentaient de lui seul, comme Dieu s'était contenté d'un seul Noé, quand il avait noyé le monde entier dans le déluge (2). » Pour Jean d'Antioche et ses autres anciens amis, il ne voulait plus, disait-il, « ni les écouter, ni recevoir de leurs lettres, ni même se souvenir d'eux : qu'ils avaient assez cherché la brebis perdue, assez tâché de sauver sa malheureuse âme : qu'ils avaient fait plus que le Sauveur, qui ne l'avait cherchée qu'une fois, au lieu qu'ils avaient couru après lui de tous côtés (3). » C'est ainsi qu'il écrivait à Théodoret, qui prenait un soin particulier de le fléchir, ajoutant encore ces mots, qui font le vrai caractère de l'homme hérétique : «Je rends, dit-il, grâces à Dieu de ce qu'ils ont avec eux, et les conciles, et les sièges, et les royaumes, et les juges; et moi, j'ai Dieu et ma foi (4) ; » et quand avec tout cela «tous les morts depuis l'origine du monde (car il aimait cette expression), ressusciteraient pour soutenir l'impiété de l'Egypte (c'était celle de saint Cyrille et de ses évêques), je ne les préférerais pas à la science que Dieu m'a donnée (5). »

Si notre auteur, qui a rapporté deux ou trois de ses paroles des moins criminelles, avait pris garde à celles-ci, où tout respire, non-seulement comme il dit, une obstination et une aigreur

 

1 Coll. Lup., LXXIII, CXVII, CXLVII, CLI, CLVIII, CLXXI, CLXXVIII, etc. — 2 Ibid., CLIII, CLVI, CLXXI. — 3 Ibid., CIV, CV, CLXVII. — 4 Ibid., CXLVII. — 5 Ibid., CLXVII.

 

 

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qu'on ne pouvait vaincre (1), mais encore tout ouvertement le schisme et l'hérésie, il aurait eu honte de ranger au nombre des catholiques un hérétique si parfait.

Il est dangereux d'étaler les endroits qui font paraître la fermeté de tels gens, sans marquer aussi ceux où l’on verrait combien elle était outrée : autrement on leur laisse toujours un caractère de vertu qui fait pitié, et qui porte à les excuser. Alexandre était d'un emportement si violent, qu'ayant lu une lettre de saint Cyrille à Acace, où il explique les deux natures, s'il se peut, plus clairement que jamais ; au lieu de se réjouir de le voir si orthodoxe même selon lui, il tourne toute sa pensée à s'étonner « de la prompte disposition de son esprit à changer : et, dit-il, j'ai prié Dieu que la terre s'ouvrit sous mes pieds ; et si sa crainte ne m'eût retenu sur l'heure, peut-être je me serais retiré dans les déserts les plus éloignés (2). » Qu'y avait-il là qui lui dût causer un si étrange transport? Tels étaient ses emportemenTs, si bien connus de ses amis, que Théodoret en lui écrivant une lettre fort importante sur l'union : « Je vous prie, lui disait-il, de bien penser à ceci selon votre sagesse, et de ne vous point fâcher, mais de pénétrer nos pensées (3). » Cela peint l'impatience de cet homme, qui se mettait en colère dès qu'on n'entrait pas dans son sens. M. Dupin rapporte une lettre de Jean d'Antioche au clergé et au peuple d'Hiéraple, où ce patriarche leur marque qu'il n'a rien omis pour empêcher leur évêque « de mettre un obstacle à la paix par son obstination (4) ; » mais il oublie les traits les plus vifs, où Jean d'Antioche fait sentir dans cet évêque, non pas une obstination ordinaire, mais « un orgueil et une arrogance qui lui faisait, non-seulement éviter, mais encore outrager injurieusement tous les évoques du monde, rompre la communion, et s'élever au-dessus de l'Eglise universelle. »

Il avait mis son peuple sur le même pied. On les avait attachés, non point à l'Eglise, mais à la personne de leur prélat, d'une manière si outrée, que tous, « hommes et femmes, jeunes et vieux, si l'on refuse de le leur rendre, menacent d'entreprendre eux-mêmes

 

1 P. 752, 753. — 2 Collect. Lup., cap. LVIII. — 3 Ibid., CIX. — 4 Ibid., cap. CLXXXVII.

 

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contre leurs personnes, et de précipiter leurs jours ». » Ce sont des fruits de l'hérésie et du schisme, qu'il est bon de ne pas cacher, lorsqu'on en écrit l'histoire.

Il ne faut donc pas s'étonner si l'on appelle Alexandre un autre Nestorius, et l'on peut juger maintenant si c'était là un homme à excuser, comme s'il n'avait erré que dans le fait, pendant qu'on lui voit suivre tous les pas de Nestorius, autant dans son erreur que dans son schisme, et prendre de lui, outre ses dogmes particuliers, les dogmes communs de tous les hérétiques contre l'unité et l'autorité de l'Eglise et de ses conciles. Avec de telles raisons, on pourra aussi excuser Nestorius et flatter les nouveaux critiques, qui réduisent à des minuties et à des disputes de mots, les questions résolues dans les plus grands conciles et de la manière la plus authentique.

 

CONCLUSION.

 

On voit maintenant à quoi aboutissent les particularités, ou plutôt les omissions de l’Histoire de notre auteur. On voit qu'elles affaiblissent la primauté du saint Siège, la dignité des conciles, l'autorité des Pères, la majesté de la religion. Elles excusent les hérétiques : elles obscurcissent la foi. C'est là enfin qu'on en vient, en se voulant donner un air de capacité distingué. On ne tombe peut-être pas d'abord au fond de l'abîme; mais le mal croît avec la licence. On doit tout craindre pour ceux qui veulent paraître savants par des singularités. C'est ce qui perdit à la fin Nestorius, dont nous avons tant parlé ; et je ne puis mieux finir ces Remarques, que par ces paroles que le Pape lui adresse (2) :

 

Tales sermonum novitates de vano gloriœ amore nascuntur. Dùm sibi nonnulli volunt acuti, perspicaces et sapientes videri, quœrunt quid novi proferant, undè apud animos imperitos temporalem acuminis gloriam consequantur.

 

1 Collect. Lup., cap. CLXXXV. — 2 Cœlest., Ep. ad Cler. et Pop. C. P., part. I Conc. Eph., cap. XIX.

 

FIN DES REMARQUES SUR LA BIBLIOTHÈQUE ECCLÉSIASTIQUE
ET DE L’HISTOIRE DES CONCILES DE M. DUPIN.

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