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REMARQUES SUR LA RÉPONSE DE M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY A LA RELATION SUR LE QUIÉTISME.

AVANT-PROPOS.

RAISONS  DE CET  OUVRAGE.

REMARQUES  sur  la  RÉPONSE A LA RELATION SUR LE QUIETISME.

ARTICLE PREMIER.  Sur l’Avertissement.

§ I. Du recours aux procédés, et s'il est vrai que je n'aie point répondu aux dogmes.

§ II. Sur les altérations du texte.

§ III. Sur le secret, et en particulier sur celui de confession.

§ IV. Sur les procédés : qui a commencé?

§ V. Sur les Lettres.

§ VI. Réflexions sur les faits rapportés en cet article, et comment on les doit qualifier.

ARTICLE II. Sur le chapitre premier de la réponse de M. de Cambray, où il justifie son estime pour madame Guyon.

§ I. Quelle était l'estime de ce prélat.

§ II. Premier témoignage de feu M. de Genève.

§ III. Second témoignage de feu M. de Genève.

§ IV. Sur mon témoignage de moi-même.

§ V. Autre témoignage tiré de moi-même.

§ VI. Sur mon attestation, et sur celle de M. de Paris.

§ VII. S'il est vrai que je n'aie rien répondu sur le sujet de madame Guyon.

§ VIII. Réflexions sur l'article second.

ARTICLE III. Sur ma condescendance envers madame Guyon et envers M. de Cambray.

§ I. Mes paroles, d'où M. de Cambray tire avantage.

§ II.

 

REMARQUES SUR LA RÉPONSE DE M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY A LA RELATION SUR LE QUIÉTISME.

 

AVANT-PROPOS.

RAISONS  DE CET  OUVRAGE.

 

Les conseils des sages sont partagés sur l'obligation où je suis de répondre à M. l'archevêque de Cambray. Les uns disent que la matière est suffisamment éclaircie: que les faits importants demeurent établis : par exemple, qu'il, est constant que ce prélat s'est désuni d'avec ses confrères pour avoir voulu excuser les livres condamnés de madame Guyon : que les tours d'esprit ne sauvent pas des faits avérés : que séparer, comme on fait encore, l'intention d'un auteur d'avec le sens naturel, véritable, unique et perpétuel de son livre, c'est une illusion sans exemple, qui donne lieu à défendre tout ce qu'on voudra, et à éluder toutes les censures de l'Eglise: qu'on peut bien éblouir le monde pour un temps par des détours spécieux; mais qu'enfin l'illusion s'évanouit d'elle-même; et qu'après tout ce fait du dessein formé de justifier madame Guyon et sa mauvaise doctrine, est essentiel à cette matière contre M. de Cambray, puisque c'est celui qui démontre qu'il est coupable lui seul de tout le trouble de l'Eglise, et qui détermine le vrai sens et le vrai dessein du livre de ce prélat, quand d'ailleurs il serait douteux, ce qui n'est pas : ainsi qu'après avoir satisfait au devoir de développer la matière en toutes les manières possibles, et par les dogmes et par les faits, je n'ai qu'à attendre

 

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en paix la victoire qui ne peut manquer à la vérité, et le sentiment des sages qui prend toujours le dessus.

En effet on sent dans le monde, qu'ils sont rebutés par cette incroyable hardiesse de nier tout jusqu'aux faits les plus innocents, et d'assurer sans preuve tout ce qu'on veut, jusqu'à m'accuser deux et trois fois d'avoir révélé une confession générale qui ne m'a jamais été faite. Qui peut croire que M. de Paris, que M. de Chartres, des prélats, pour taire ici leurs autres louanges, d'une piété et d'une candeur si connue, avec qui je suis uni comme on voit dans tous les actes publics, me fussent contraires en secret, jusqu'à détourner M. de Cambray d'approuver mon livre, qu'ils ont eux-mêmes approuvé, et jusqu'à s'unir pour sauver le sien qu'ils rejetaient avec moi comme plein d'erreurs? Quand nous n'aurions que l'avantage d'être trois irréprochables témoins d'une même vérité, et des juges qu'il a choisis, dont selon les canons il est obligé de suivre la foi, devons-nous craindre, que les gens désintéressés nous refusent leur croyance? Pour dire un mot de moi en particulier, et sur un fait dans le fond très-indifférent, étais-je indigne d'être invité par M. de Cambray à faire son sacre : moi qu'il appelait, quoique indigne, son père et son maître : moi à qui il avait soumis et soumettait sa doctrine comme à un homme en qui il regardait non pas un très-grand docteur, car c'est ainsi qu'il daignait parler, mais Dieu même? Cependant il se récrie contre ce fait, comme s'il était au-dessous de lui d'être sacré de mes mains : et au lieu que les évêques ont accoutumé de se tenir honorés par le ministère d'un consécrateur, et qu'on croit en recevoir une grâce, celui-ci ne cesse de me reprocher un empressement ridicule (1) : de quoi ? de faire une cérémonie ? de m'autoriser davantage contre M. de Cambray? car que peut-on imaginer dans cette occasion qui m'ait pu faire briguer comme une faveur, l'honneur de le sacrer? Mais après tout je n'ai pas dessein de m'arrêter davantage à un fait de nulle importance, et je laisse à M. de Cambray

 

1 Rép. à la Relat., chap. IV, VII, p. 92, 93, 130.

 

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le plaisir d'en dire tout ce qu'il voudra. Ce qu'il y a d'important, c'est de bien connaître l'affectation de tout nier, et de faire finesse des moindres choses.

Ceux qui prendront les tours d'esprit pour des faits, et toutes les belles paroles pour des vérités, n'ont qu'à se livrer à M. de Cambray, il saura les mener loin. Pour passera un autre exemple, le monde approuvera-t-il le semblant de ne pas connaître ce religieux de distinction qui voulut avec amitié lier entre nous une conférence (1),   comme je l'ai raconté dans ma Relation (2)? Personne ici n'a méconnu ce religieux, et ce n'est que pour ceux qui sont éloignés que je nommerai avec honneur le Père confesseur du Roi. Il a lui-même raconté le fait à vingt personnes illustres, et avec sa noble franchise il dit encore aujourd'hui à quiconque le veut entendre, que sur la proposition de la conférence la réponse de M. de Cambray fut beaucoup plus dure que je ne l'ai rapportée. Assurément je ne ferai pas dépendre la cause de ce fait particulier, après avoir établi les faits essentiels par des preuves littérales et incontestables. Prendra-t-on sérieusement sur une simple allégation, sans preuves et sans témoins, tout, ce qu'imagine M. de Cambray de mes hauteurs, de mes vanteries , de mes confidences, de mes perpétuels emportements, de mes larmes feintes, et des autres faits de cette nature avancés en l'air par un homme qui est fâché de voir à la fin toutes ses finesses découvertes, et ne sait quelle raison en rendre au public? Je ne le crois pas; et plusieurs amis me conseillent de méfier à la solidité de mes preuves. D'autres disent qu'il faudrait en effet s'en tenir là : s'il n'y avait que les âmes fortes qui se mêlassent de juger de ce différend : si une cabale irritée, dont les ressorts se découvrent dans tout le royaume, ne s'appliquait pas à surprendre les infirmes, et qu'il ne fallût pas leur donner des précautions salutaires contre les pièges les plus fins qu'on ait jamais tendus aux âmes simples. Puisque ce dernier parti est visiblement celui de la charité, j'y

 

1 Rép. à la Relat., chap. VII, p. 135. — 2 Relat., VIIIe sect., n. 5.

 

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donne les mains. Pour éluder des faits convaincants, M. de Cambray a fait les derniers efforts, et a déployé toutes les adresses de son esprit. Dieu l'a permis pour me forcer à mettre aujourd'hui en évidence le caractère de cet auteur, afin que la vérité, s'il se peut, n'ait plus rien à craindre de son éloquence. Je ne pourrai éviter un peu de longueur dans le dessein que je me propose d'insérer ses propres paroles et de longs passages dans ce discours. Je voudrais malgré ses redites continuelles, pouvoir ici rapporter toute sa Réponse et le suivre page à page : retendue démesurée d'un tel ouvrage m'en a seule détourné : mais je choisirai tous les endroits importants; et le livre de M. de Cambray étant entre les mains de tout le momie, je ferai si bien que tout équitable lecteur me rendra le témoignage d'avoir rapporté au long ce qu'il contient de plus fort.

On verra dans les articles suivants qu'il m'insulte perpétuellement sur des faits sans preuve, pendant que je prouve le contraire par lui-même et par actes : que sa réponse se dément partout : qu'il défend plus que jamais madame Guyon : qu'il change l'étal de la question, et me fait dire à chaque page tout le contraire de ce que je dis. Commençons : et dès l'Avertissement voyons ses vains avantages et ses vains triomphes.

 

 

REMARQUES
sur  la
RÉPONSE A LA RELATION SUR LE QUIETISME.

 

ARTICLE PREMIER.
Sur l’Avertissement.

 

§ I. Du recours aux procédés, et s'il est vrai que je n'aie point répondu aux dogmes.

 

M. DE CAMBRAY.

 

1. « Avant que d'éclaircir à fond l'histoire de madame Guyon, dont on m'accuse sans fondement de ne condamner pas les livres, je ne demande au lecteur qu'un moment de patience, pour lui faire remarquer quel était l'état de notre dispute, quand M. de Meaux. a passe de la doctrine aux faits   » C'est ainsi que commence l'Avertissement de M. de Cambray, et il suppose ces faits comme constants : « J'ai prouvé à ce prélat, dans ma Réponse à la Déclaration et dans mes dernières lettres, qu'il avait altéré mes principaux passages pour n'imputer des sentiments impies, et il n'a vérifié aucun de ces passages suivant ses citations. J'ai montré des paralogismes qu'il a employés pour me mettre des blasphèmes dans la bouche, et il n'y répond rien. » C'est là qu'il rapporte au long toutes ses demandes et toutes ses objections; et il suppose, comme si c'était un fait avéré, que je n'y ai fait aucune réponse. Après quatre pages de cette sorte, où il allègue sans aucune preuve tout ce qu'il lui plaît sur mon impuissance à répondre, il conclut en cette sorte : « Dans cet embarras, l'histoire de madame Guyon paraît à M. de Meaux un spectacle propre à faire oublier tout à coup tant de mécomptes sur la doctrine (2).» Et

 

1 Rép. à la Relat., Avert., p. 3. — 2 Ibid.

 

 

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un peu après : « Mais est-il juste de croire qu'il parle sans prévention sur des choses secrètes, et qu'il n'allègue que quand il manque de preuves pour les publiques? Avant que d'être reçu à alléguer des faits secrets, il doit commencer par vérifier toutes les citations de mon texte que je soutiens dans mes réponses qu'il a altérées (1).» Et enfin : « Voilà, conclut-il, le point de vue, d'où le lecteur doit regarder cette nouvelle accusation (2) »

 

RÉPONSE.

 

          2. J'arrête dès ce premier pas un sérieux lecteur, pour lui demander s'il croit que cette dispute soit un jeu d'esprit, où il soit permis de dire tout ce qu'on veut, pourvu qu'on ait de belles paroles. On dirait à ces beaux discours, que M. l'archevêque de Cambray n'a jamais parlé des procédés : qu'il n'a pas dit que le nôtre était si étrange et si odieux, que le récit n'en trouverait aucune créance parmi les hommes (3) : que ce n'est pas lui qui nous a pressé le premier par cent reproches amers, à répondre aux faits qu'il nous objecte. Mais encore que je doive bientôt relever cette circonstance (4); pour commencer maintenant par quelque chose de plus décisif, s'il est vrai, comme on le suppose, que je sois passé aux faits et aux procédés, avant que d'avoir satisfait aux dogmes, je veux bien que l'on accorde à M. de Cambray tout l'avantage qu'il demande : mais si au contraire il est évident que je ne suis venu aux procédés, qu'après avoir établi les dogmes par mes écrits précédons ; si ma Relation sur le quiétisme n'est qu'une suite de la Réponse à quatre lettres de ce prélat ; réponse qu'il a vue, qu'il a citée; que j'ai finie, en lui déclarant qu'après avoir traite tout le dogme par principes démonstratifs : «je n'avais plus à le satisfaire que sur les faits et les procédés, puisqu'il le demandait avec tant d'instance (5) : » peut-on dire avec la moindre couleur, que je ne viens aux procédés que par impuissance de répondre aux dogmes?

 

1 Rép. à la Relat., p. 8. — 2 Ibid., p. 10. — 3 Rép. à la Décl., p. 6. — 4 Ci-dessous, n. 17, 18. — 5 Rép. à quatre Lett.

 

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§ II. Sur les altérations du texte.

 

M. DE CAMBRAY.

 

3. « J'ai prouvé à M. de Meaux qu'il avait altéré mes principaux passages, pour m'imputer des sentiments impies : il n'a vérifié aucun de ces passages. J'ai montré des paralogismes qu'il a employés pour me mettre des blasphèmes dans la bouche, et il n'y répond rien. Je l'ai pressé, mais inutilement, de répondre sur des questions essentielles et décisives pour mon système. Il s'agit, si Dieu par les promesses gratuites a été libre, ou non, de nous donner la béatitude surnaturelle (1). Si Dieu ne l'eût pas donnée, n'aurait-il pas été aimable pour sa créature? Quand je le presse de me répondre sur des dogmes fondamentaux de la religion, il se plaint de mes questions, et ne veut point s'expliquer. Ce n'est pas que ces questions lui aient échappé : au contraire il les rapporte presque toutes, et prend soin de n'en expliquer aucune (2).»

4. Cet argument est répété à toutes les pages (3). M. de Cambray suppose partout que depuis longtemps « je cite mal son texte, et que j'explique mal toutes ses paroles. Il ne sert de rien, dit-il, de montrer à M. de Meaux les altérations les plus évidentes; M. de Meaux compte pour rien ce que j'ai vérifié, et il commence du ton le plus assuré comme si je n'avais osé rien répondre (4). »

 

RÉPONSE.

 

5. C'est lui-même qu'il a dépeint dans ces dernières paroles. Il est sans doute bien aisé de s'adjuger la victoire et de feindre que son adversaire est abattu h ses pieds, désarmé et sans réplique : mais au fond, parmi tant d'endroits de sa Réponse, où ce prélat m'objecte des altérations de son texte, il n'en rapporte pas une seule. Il me renverra sans doute à ses livres, où il prétend les avoir prouvées : mais il doit donc me permettre aussi de le renvoyer aux endroits des miens où je les ai éclaircies.

6. C'en serait assez pour fermer la bouche à un accusateur.

 

1 Rép. à la Relat. p. 3. — 2 Ibid p. 5. — 3 Ibid., chap. V, VII, p. 111, 132, etc. — 4 Ibid., chap. VII, p. 149.

 

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Mais s'il en veut davantage, dira-t-il que je n'aie pas répondu à ses explications sur l'intérêt propre éternel; sur le sacrifice absolu ; sur la persuasion et conviction invincible et réfléchie, et néanmoins apparente, et non pas intime; sur le simple acquiescement à sa juste condamnation; sur la séparation des parties de l’âme, jusqu'à mettre les vertus dans l'une, et les vices dans l'autre, pour les unir par ce moyen dans le même sujet (1)? C'est là pourtant le fond des explications par où M. de Cambray tache de couvrir l'impiété de son système. J'ai donc déjà satisfait de ce côté-là à celles des prétendues altérations qui sont les plus essentielles. Si l'on ne veut pas lire un livre aussi court que ma Réponse à quatre lettres, qu'on lise du moins les titres des questions qui sont à la tête; on verra que j'ai tout traité. Sur ces questions tant vantées, où l'on ne cesse de me rappeler à tous les états possibles et impossibles, où Dieu peut mettre ou ne mettre pas la nature humaine, que doit-on chercher davantage, que d'éclaircir précisément ce qui est utile, et d'éloigner tout le reste comme étranger à la question? C'est ce que j'ai fait (2) : et on m'avouera que j'ai du moins autant de raison de supposer la solidité de mes réponses, qu'en a M. de Cambray à me supposer vaincu, et à s'attribuer la victoire.

7. rendant qu'on me reproche des altérations dont je n'ai jamais été capable, j'ai démontré au contraire qu'on m'imputait faussement des doctrines que je rejette en termes formels : qu'on attaquait sous mon nom les sentiments et les propres termes de saint Thomas (3) : qu'on prenait positivement pour ma réponse, une objection que je me faisais à moi-même (4) : ce dernier fait est positif et ne consiste que dans une simple lecture. M. de Cambray ne devait-il pas le nier ou le confesser de bonne foi? mais j'ai vu trois lettres contre ma Réponse à quatre des siennes : il semble vouloir finir par la troisième, puisqu'il annonce d'abord qu'elle contient le reste de ses plaintes. Il ne dit pas un seul mot dans ses trois lettres, d'une altération de mon texte si clairement démontrée. Je pourrais dire que dans tout le reste il ne touche à son

 

1 Rép. à quatre Lett., p. 2-7, 12, 13. — 2 Ibid., n. 12, etc. — 3 Ibid., n. 10, 16, 17, 22, 23. — 4 Ibid., n. 21.

 

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ordinaire aucune des principales difficultés : je pourrais sans doute, comme M. de Cambray, chanter cent fois mes victoires, si j'étais d'humeur à prendre de tels avantages : mais je me réduis au fait. C'est assez que je montre à M. l'archevêque de Cambray que la gloire qu'il se donne est vaine ; nous n'avons pas droit de supposer, lui que mes réponses sont faibles, ni moi que ses preuves soient nulles : c'est le fond dont il ne s'agit point ici : la question consiste à savoir si dans la dispute sur les procédés il doit prononcer d'autorité, que je suis vaincu, qu'il m'a ôté la parole, que ce n'est que par impuissance que je passe aux faits, parce que la doctrine me réussit mal. C'est là ce qui s'appelle discourir en l'air, et faire illusion aux yeux par de vains tours de souplesse.

8. J'en dis autant des reproches sur les souhaits de Moïse et de saint Paul : « Ce sont, dit-il, pays inconnus pour M. de Meaux (1) : » Je n'y ai fait aucune réponse : je n'ai non plus répondu aux pieux excès, aux amoureuses extravagances, dont l'accusation est recommencée cent et cent fois dans la Réponse à ma Relation. Mais je ne demande au sage lecteur qu'un demi-quart d'heure pour lire huit pages de la Réponse à quatre lettres (2), et reconnaître que j'ai satisfait à tout. Et pour les pieux excès, les saintes folies, les amoureuses extravagances, je les ai montrées dans les paroles formelles des Saints, en explication des souhaits de Moïse et de saint Paul. J'ai démontré que ces deux Saints n'ont pas perdu un moment le désir de leur salut éternel, dans le temps qu'ils paraissaient le sacrifier le plus : cependant M. de Cambray répète sans fin, non pas que j'ai mal répondu, car c'est le point de la dispute, mais que je n'ai pas dit un seul mot, tant il présume qu'un tour éloquent et le ton affirmatif peut tout sur les hommes.

 

§ III. Sur le secret, et en particulier sur celui de confession.

M. DE CAMBRAY.

 

9. « Alors il a recourt (M. de Meaux) à tout ce qui est le plus odieux dans la société humaine. Le secret des lettres missives,

 

1 Rép. à la Relat., Avert., p. 3, 4. — 2 Depuis le n. 8 jusqu'au n. 10.

 

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qui dans les choses d'une confiance si religieuse et si intime est le plus sacré après celui de la confession, n'a rien d'inviolable pour lui. Il produit mes lettres à Rome; il les fait imprimer pour tourner à ma diffamation les gages de la confiance sans bornes que j'ai eue en lui : mais on verra qu'il fait inutilement ce qu'il n'est jamais permis de faire contre son prochain (1).

10. » Il va jusqu'à parler d'une confession générale que je lui confiai, et où j'exposais comme un enfant à son père toutes les grâces de Dieu et toutes les infidélités de ma vie (2). On a vu, dit-il (3), dans une de ses lettres qu'il s'était offert à me faire une confession générale : il sait bien que je n'ai jamais accepté cette offre. Pour moi, je déclare qu'il l'a acceptée, et qu'il a gardé quelque temps mon écrit : il en parle même plus qu'il ne faudrait, en ajoutant tout de suite : Tout ce qui pourrait regarder des secrets de cette nature, sur ses dispositions intérieures, est oublié, et il n'en sera jamais question. La voilà cette confession sur laquelle il promet d'oublier tout, et de garder fidèlement le secret. Mais est-ce le garder fidèlement, que de faire entendre qu'il en pourrait parler, et de se faire un mérite de n'en parler pas quand il s'agit du quiétisme? Qu'il en parle: j'y consens : ce silence, dont il se vante, est cent fois pire qu'une révélation de mon secret : qu'il parle selon Dieu : je suis si assuré qu'il manque de preuves, que je lui permets d'en aller chercher jusque dans le secret inviolable de ma confession. » Il insiste en un autre endroit sur cette même accusation (4), et il me reproche de « m'être fait un mérite de me taire par rapport au quiétisme sur sa confession générale. » Me voilà donc par deux fois positivement accusé sur le secret violé d'une confession générale, et il n'y a rien de plus sérieux que cette plainte.

 

RÉPONSE SUR LA CONFESSION.

 

11. Nous dirons un mot sur le secret des lettres missives; mais voici une accusation bien plus grave, et qu'on ne peut point passer si légèrement, « de n'avoir pas gardé fidèlement le secret d'une confession générale : j'ai fait entendre que je pouvais parler

 

1 Rép. à la Relat., Avert., p. 10. —  2 Ibid., chap. II, 2e obj., p. 51. — 3 Relat., etc., IIIe sect., n. 13. — 4 Rép. à la Relat., Concl., p. 166.

 

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de quelque chose dont il s'est confessé à moi sur le quiétisme dont je me fais un mérite de ne parler pas ; et ce silence, dont je me vante, dit-il, est cent fois pire qu'une révélation de son secret : » de ce secret de confession qu'il m'a confié. Je suis donc coupable d'infidélité dans un secret de confession : ce que j'ai fait est cent fois pire que de l'avoir révélé ; et j'en conviens, si ce qu'il avance est véritable.

12. Tout le monde demeure d'accord qu'en quelque manière qu'un prêtre révèle un secret de confession, soit par la parole, soit par quelque autre signe, c'est un des crimes des plus qualifiés qu'il puisse commettre. Il n'est pas même permis de faire connaître par le moindre indice, qu'un pénitent soit coupable. Pierre de Blois, dans son Traité de la Pénitence, accuse un abbé de déshonorer son pénitent, quand il prend pour lui un air de dédain qui soit remarquable : et que par là il le rend suspect même en général : « Et, dit-il, il importe peu que ce soit ou par la parole ou par quelque signe, ou par un air de dédain sur le visage : quodam vultuoso contemptu : » ou par quelque autre manière que ce soit, « qu'on divulgue le secret de la conscience d'autrui. » En tous ces cas, poursuit-il, « on est déposé par une censure canonique : et après être déchu de son ordre, on est condamné à de perpétuels et ignominieux pèlerinages : tales canonica censura deponit, etc. » Les peines sont augmentées depuis ce temps-là : la justice séculière met la main sur ces indignes violateurs du plus religieux de tous les secrets, et je n'ai pas besoin de rapporter à quelle peine elle les condamne.

13. Après ces règles sévères, si M. de Cambray ne prouve pas le crime digne du feu dont il m'accuse, il voit à quoi il s'oblige devant Dieu et devant les hommes. L'accusation est expresse : une de ses lettres portait (1) : « Quand vous le voudrez, je vous dirai comme à un confesseur tout ce qui peut être compris dans une confession générale de toute ma vie, et de tout ce qui regarde mon intérieur : » dire tout cela comme à un confesseur, c'eût été en effet se confesser, et je l'avais naturellement pris de cette sorte : sur ce fondement, ma Relation porte ces mots :

 

1 Relut., IIIe sect., n. 4.

 

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«M. de Cambray sait bien que je n'ai jamais accepté cette offre : et moi, dit-il, je déclare qu'il l'a acceptée. » Voilà un démenti bien formel : je le mérite, s'il dit la vérité. Il ajoute que j'ai été infidèle à l'inviolable secret d'une confession générale : puis frappé d'une accusation aussi visiblement fausse (car il faut bien que je m'explique en termes précis), il biaise à son ordinaire, et il parle ainsi : « M. de Meaux a gardé quelque temps mon écrit. » On ne se confesse point par écrit : mais on pourra croire qu'il m'a laissé en se confessant ou l'écrit de sa confession, ou du moins quelque écrit d'un pareil secret : il n'ose le dire, quoiqu'il tâche de le faire entendre. Est-il permis de donner de telles idées et d'articuler de tels faits ?

11. Quand il avouerait à présent qu'en effet je ne l'ai jamais confessé, en disant qu'il m'a confié comme à un confesseur un écrit qu'il appelle une confession générale, la vérité s'y oppose : je n'ai reçu de lui en particulier aucun écrit quel qu'il soit : tous les écrits qu'il m'a donnés m'ont été communs avec ceux qu'il avait mis dans l'affaire : à une allégation sans preuves j'oppose un simple déni, et la gravité de la chose m'oblige à le confirmer par serment : Dieu est mon témoin, c'est tout dire.

15. S'il veut après cela nous avoir donné à tous un écrit de même secret qu'une confession générale, je n'ai rien à dire, sinon ce qui est porté dans ma Relation, que, s'il y a quelque chose de cette nature, « il est oublié, et il n'en sera jamais question. »

16. M. de Cambray soutient que parler ainsi, c'est trop parler d'une confession : cela est visiblement outré. Quand ce prélat se serait confessé à moi, et que je l'aurais avoué, ce qui n'est pas, c'est autre chose d'avouer une confession, autre chose d'en violer le secret.

17. Mais pourquoi ai-je parlé de confession? Je l'ai dit dans la Relation (1) : je le répète : c'est qu'on répandait dans le monde, et les témoins que j'en puis donner sont irréprochables, que la manière dont nos articles ont été signés, était un secret que nous nous étions donné les uns aux autres sous le sceau de la confession. Je voulais aller au-devant d'un tel discours, et de toute autre

 

1 Relat., IIIe sect., n. 13.

 

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semblable idée ; et l'accusation sérieuse qu'on me fait encore aujourd'hui sur le secret de la confession, montre trop que ma précaution était nécessaire.

 

18. Je promets, dit-on, d'oublier tout: non, je ne dis pas ce qu'on me fait dire, j'oublierai, comme si dans le temps présent j'en avais quelque souvenir : je dis sans rien assurer, que s'il y a eu dans nos conversations ou dans nos écrits quelque chose qu'on se soit donné les uns aux autres sous le sceau de la confession, il est oublié de ma part : est-ce trop parler, et peut-on fonder sur ces paroles une accusation capitale ?

19. Mais je laisse entendre que j'avais quelque chose à dire qui m'avait été confessé sur le quiétisme, matière si importante et si compliquée; on ose ajouter que je me fais un mérite de n'en parler pas. Non, encore un coup : je n'ai pas dit un seul mot du quiétisme; je parle à l'occasion du petit mystère, sur la façon dont les Articles d'Issy furent signés entre nous, et il ne s'agit ni directement ni indirectement du quiétisme.

20. Mais je parle, dit-on, de ce qui pou voit regarder les dispositions intérieures de M. de Cambray comme de chose oubliée : c'est que ce prélat avait dit dans la lettre que j'ai rapportée pour d'autres fins, qu'il offrait de me confesser tout ce qui regardait son intérieur (1) : mais d'étendre jusqu'au quiétisme, à des crimes, ou à des erreurs, une expression aussi vague et aussi générale que celle de dispositions, qui comprend indifféremment tout le bien et tout le mal, et sur laquelle encore je n'assure rien, c'est empoisonner les paroles les plus innocentes, et proprement me rendre coupable sur un sujet capital sans le moindre indice.

21. En un mot, j'ai voulu qu'on sût que s'il se trouvait quelqu'un assez injuste pour me soupçonner de me servir contre M. de Cambray de la confession qu'il disait qu'il me voulait faire, et que j'avais refusée, c'est à quoi je ne songeais pas : à Dieu ne plaise : on voit d'où j'ai tiré mes preuves, et qu'on tenterait en vain de me les ôter sous prétexte d'une confession générale qu'on prétendrait m'avoir faite.

22. Quand après cela M. de Cambray me fait rompre le sceau

 

1 Lett. de M. de Cambray, Relat., IIIe sect., n. 4.

 

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sacré de la confession par un sacrilège punissable, s'il Fa prouvé, qu'on me châtie : s'il avance témérairement un tel fait contre un évêque son consécrateur, qu'il s'humilie une fois : c'est tout ce que je lui demande : qu'il avoue qu'il est entraîné par la rapidité de son éloquence : qu'il ne vante plus sa modération et sa douceur : « on n'a guère de peine, dit-il, à être doux, quand on sait qu'on ne défend que la vérité (1). » C'est ce qui nous force à lui répliquer que ce n'est donc pas la vérité qu'il défend, puisqu'il se laisse emporter sans le moindre fondement, et avec les exagérations les plus injustes, aux accusations les plus atroces.

 

§ IV. Sur les procédés : qui a commencé?

M. DE CAMBRAY.

 

23. Tout le monde est étonné de voir M. de Cambray nous faire les agresseurs sur le récit des procédés : voici les paroles de son avertissement : « Qui est-ce qui force M. de Meaux à déclarer tout? J'ai toujours borné la dispute aux points dogmatiques ; et malgré mon innocence, j'ai toujours craint des contestations de faits, qui ne peuvent arriver entre des évoques sans un scandale irrémédiable (2). »

 

RÉPONSE.

 

24. Nous lui montrerons bientôt que son procédé concernant madame Guyon, que nous sommes enfin contraints de, découvrir à toute l'Eglise, influe dans le fond : mais en attendant, peut-il dire qu'il a toujours évité de former par les procédés entre les évoques des contestations scandaleuses? C'était sans doute un procédé qu'il racontait, quand il reprochait à M. l'archevêque de Paris l'examen et l'approbation du livre qu'il a condamné, et il savait bien que ce prélat avait nié cent fois les faits qu'il avance. A-t-il évité cette contestation, et ne l'a-t-il pas au contraire poussée à bout dans sa première lettre à cet archevêque (3) ? ne finit-il pas cette même lettre par un procédé si faussement allégué, qu'il l'a supprimé lui-même en d'autres de ses écrits (4), comme il en

 

1 IIIe Lett. à M. de Meaux, p. 46. — 2 Rép. à la Relat., Avert., p. 7. — 3 De Lett. à M. de Paris, p. 41. — 4 Relat., 1ère sect., n. 1.

 

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demeure d'accord par deux fois dans sa Réponse (1) ? La première lettre qui m'est adressée est conclue par le même fait, dont il sait bien en sa conscience que nous sommes bien éloignés de pouvoir demeurer d'accord.

25. Il oublie qu'il a déclaré notre procédé si odieux, que l'histoire, si on la faisait, ne trouverait point de créance parmi les hommes : en sorte qu'il valait mieux en ôter la connaissance au public. Qu'il me permette de lui rendre ici les propres paroles dont il s'est servi contre moi : « Ce silence dont M. de Meaux se vante, est cent fois pire que la révélation du secret qu'il fait semblant de cacher (2). » Que n'a-t-il pas dit de mon procédé avec madame Guy on, à qui il m'accuse d'avoir donné les sacrements contre toute règle (3) ? N'était-ce pas un procédé bien essentiel ? Passons : mon hypocrisie, mes larmes trompeuses pour le déchirer plus sûrement et le reste, que le lecteur pourra voir au commencement de ma Relation : n'était-ce pas un procédé des plus odieux qu'il m'imputait? Ainsi nous ne faisons que répondre : c'est lui qui nous fait les agresseurs contre la vérité du fait : dans son intérêt il fait valoir « la réputation si nécessaire à un évoque pour l'exercice de son ministère (4) : » cependant il veut, tant il est injuste, avoir pu impunément attaquer la nôtre et encore nous ôter les justes défenses qu'il nous a lui-même fournies.

 

§ V. Sur les Lettres. 

M. DE CAMBRAY.

 

26. « M. de Meaux a recours à tout ce qu'il y a de plus odieux... Le secret des lettres missives n'a plus rien d'inviolable pour lui... Il fuit inutilement ce qu'il n'est jamais permis de faire contre son prochain (5). » C'est ce qui revient à toutes les pages, et on allègue partout « la loi inviolable des lettres missives et des mémoires secrets (6). »

 

1 Rép. à la Relat., chap. VII, p. 138. — 2 Rép., chap. II, p. 51. — 3 Mém. de M. de Cambray, Relat., 1ère sect., n. 3. — 4 Lett. à M. de Paris, p. 55. — 5 Rép. a la Relat., Avert., p. 16. Voy. ci-dessus, § 3. — 6 Rép., chap. II, 3e obj., n. 6, p. 70.

 

186

 

RÉPONSE.

 

27. Je lui réponds : Le Mémoire que j'ai imprimé n'a jamais été donné comme un secret. C'est la plus fine apologie que M. de Cambray ait jamais pu faire à son avantage : si elle se tourne contre lui, c'est par la règle commune, que tout ce qu'inventent pour leur défense ceux qui s'opposent à la vérité, leur tourne à condamnation. Il n'y a donc pas la moindre ombre de violation du secret dans l'impression de ce Mémoire, qui décide tout.

28. Au surplus dans une histoire suivie, telle qu'est celle de nos examens et de tous nos procédés, il fallait aller à la source, et faire connaître notre accusateur ; convaincre de faux ce qu'il a dit étant fâché, parce qu'il a reconnu avant que de l'être : c'est ce qui nous a fait opposer ses lettres à ses livres, dès le commencement de cette dispute. Afin de remuer en sa faveur le ressort de la compassion, il s'est donné pour persécuté, et ses confrères pour persécuteurs, pendant qu'ils ne faisaient autre chose que de déclarer leur pensée sur un livre dont on les faisait garants : et il ne veut pas qu'il leur soit permis de montrer par son propre aveu qu'ils n'ont eu ni l'esprit ni le procédé de persécuteurs de leur frère? Mais lui-même, qui veut paraître si scrupuleux sur le secret des lettres missives, m'a-t-il demandé ma permission pour publier celle où je lui dis : « Je vous suis uni dans le fond avec le respect et l'inclination que Dieu sait : je crois pourtant ressentir encore je ne sais quoi qui nous sépare encore un peu, et cela m'est insupportable (1). » Cette lettre est de confiance comme les autres, sur la matière de nos examens : visiblement elle est écrite après la signature des Articles, et on voit que je lui insinue le plus doucement que je puis la peine qui me restait sur le cœur : il est aisé de la deviner : mais quoi qu'il en soit, c'est là une lettre sur mes sentiments secrets qu'il a révélée, pour en tirer avantage contre moi-même. Il ne sert de rien de répondre que j'ai commencé : mon exemple, s'il était mauvais, ne l'autorisait pas à faillir : mais c'est qu'il sait en sa conscience que le secret de lettres missives comme celui de certains discours, est sujet

 

1 Rép. à la Relat., chap. II, 2e obj., p. 54.

 

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aux lois de la discrétion. Il a produit d'autres lettres que les miennes : veut-il qu'on lui demande en vertu de quoi ? Il fait encore paraître une de mes lettres sur le sujet important, s'il m'a prié de faire son sacre (1) ; et il s'en sert mal à propos pour établir le ridicule empressement qu'il m'impute : par où il montre bien que s'il en avait d'autres dont il put tirer avantage, il ne s'en tairait pas. Celle-ci se trouve accompagnée d'une de M. de Paris (2). Une autre du même prélat, également révélée dans la Réponse à la Relation, assurait M. de Cambray « que M. Pirot était charmé de l'examen de son livre (3) : » M. de Paris lui a-t-il permis de se servir de sa lettre contre un homme qu'il a mis en place, et que cependant M. de Cambray veut convaincre de variation par cette lettre ? C'est la seule preuve qu'il ait de la prétendue approbation dont il se vante : il se fait dire par ce docteur que son livre est tout d'or : ne fallait-il pas distinguer des honnêtetés générales, sur un livre dont on entend la lecture en courant sans jamais l'avoir entre ses mains, d'avec une approbation sérieuse ? Mais il n'a tenu, dit-il, qu'à M. Pirot d'avoir le livre en sa possession tant qu'il eût voulu. M. Pirot le nie. M. de Cambray l'assure seul, et le lecteur équitable doit du moins aussi peu déférer à son rapport, quand il est seul, que lui-même M. de Cambray défère à celui des autres en cas pareil. Se moque-t-il de tant appuyer sur des faits particuliers avancés en l'air ? Nous verrons les autres lettres missives qu'il a imprimées sans l'aveu et contre l'intention de leurs auteurs.

29. Mais encore n'y a-t-il que les lettres qui obligent au secret ? Si je lui ai avoué, ce qu'il outre, que dans le temps qu'on me remettait cette affaire, « je n'avais pas lu saint François de Sales, ni le B. Jean de la Croix (4), » ni quelques autres mystiques ; d'où il conclut contre moi dans sa réponse latine à M. l'archevêque de Paris, que j'étais ignorant de la voie mystique; et dans sa Réponse à la Relation, que je ne connaissais point les mystiques (5), en sorte que je voulus qu'il m'en donnât des recueils (6), lui ai-je permis de profiter de nos secrètes conversations pour affaiblir le jugement

 

1 Rép. à la Relat., chap. IV, p. 92. — 2 Ibid. — 3 Ibid., chap. VI, p. 124. — 4 Ibid., chap. II, 1ère obj., p 35, 36. — 5 Ibid. p. 33. — 6 Ibid., p. 34.

 

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que j'ai porté sur les matières qu'on m'avait remises, en m'accusant par mon aveu, à ce qu'il prétend, de les ignorer ?

30. Mais cela n'est pas un secret? Pourquoi n'en est-ce pas un de me tourner en reproche un aveu particulier qu'on me croit désavantageux? Mais pourquoi les lettres missives de M. de Cambray sont-elles plus secrètes? Qu'on les relise : on verra qu'il n'y est fait aucune mention de secret : dans le fond elles n'ont rien de mauvais ; elles ne font que représenter une soumission qui était louable, et ne tourneraient qu'à honneur au prélat qui les a écrites, si sa conduite suivante ne démentait pas ses bons sentiments : sa faute n'est pas de les avoir eus, mais de les avoir changés. Tout est permis à M. de Cambray : il imprime toutes les lettres et tous les secrets qu'il veut : tout est défendu aux autres, et lui seul peut faire passer tout ce qu'il lui plaît.

 

M. DE CAMBRAY.

 

31. « Si elles voient maintenant le jour, dit M. de Meaux, parlant de mes lettres secrètes, c'est au moins à l'extrémité, lorsqu'on me force à parler, et toujours plus tôt que je ne voudrais. Qu'est-ce qui l'y force? qu'ai-je fait que défendre le texte de mon livre depuis un an et demi, en le soumettant au Pape (1) ? »

 

RÉPONSE.

 

32. —1. Ce prélat suppose toujours le fait, qu'il n'a point parlé le premier sur les procédés, sur quoi il vient d'être convaincu.

2. Il suppose que son procédé, que j'ai raconté (2), n'influe pas dans le fond de cette matière, encore qu'il soit constant qu'il détermine son livre à un mauvais sens, et au dessein manifestement condamnable de défendre madame Guyon et sa doctrine, ainsi qu'il a été dit, et que la suite achèvera de le démontrer.

3. Il suppose que c'est ici un fait particulier, pendant qu'il s'agit ou de laisser établir ou d'étouffer dans sa naissance une secte toujours renaissante, que l'on pare de belles couleurs, comme il a été remarqué dans la Relation.

4. Il suppose enfin que ce n'est pas une nouvelle raison de faire

 

1 Rép. à la Relat., Avert., p. 7. — 2 Relat., IIIe  sect., n. 15-17.

 

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connaître son juste procédé, qu'il nous ait voulu réduire à passer pour des hypocrites et des persécuteurs, si nous ne le convainquions par des preuves incontestables et par son propre témoignage.

 

§ VI. Réflexions sur les faits rapportés en cet article, et comment on les doit qualifier.

 

33. Le sage lecteur décidera comment on doit appeler les suppositions dans le fait, qu'on vient de marquer dans cet article.

34. — 1. Que l'auteur n'a fait dans ses livres que soutenir son texte et les dogmes, sans en venir aux procédés, et sans y venir le premier (1).

2. Que je n'ai pas répondu aux dogmes; et que c'est faute d'y pouvoir répondre, que j'en suis venu aux procédés (2).

3. Il ne s'agit pas de savoir si j'y ai bien répondu ou non ; mais si l'on peut supposer comme certain dans le fait, que je n'y ai point répondu ni pu répondre.

4. Que j'ai révélé un secret de confession, et fait pis que le révéler dans toute son étendue (3).

5. Comment ces suppositions dans le fait peuvent être qualifiées : et si l'on n'en peut pas conclure que cette Réponse n'a rien de grave ni de sérieux : puisque l'auteur n'y fait qu'éblouir le monde, et suivre sa plume échauffée, ou le désir de me contredire, ce qui paraît principalement dans l'accusation de la confession révélée, et dans la supposition comme constante que je n'en puis plus.

 

ARTICLE II. Sur le chapitre premier de la réponse de M. de Cambray, où il justifie son estime pour madame Guyon.

 

§ I. Quelle était l'estime de ce prélat.

 

M. DE CAMBRAY.

 

1. Il faut voir avant toutes choses, quelle était l'estime que M. de Cambray avait conçue de madame Guyon, et considérer

 

1 Voy. ci-dessus, § 4. — 2 Ci-dessus, § 1 et 2. — 3 Ci-dessus, § 3.

 

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ensuite si les témoignages sur lesquels il se fonde y sont proportionnés.

2. « Cette personne, il est vrai, me parut fort pieuse. Je l'estimai beaucoup : je la crus fort expérimentée et éclairée sur les voies intérieures ; quoiqu'elle fût fort ignorante , je crus apprendre plus sur la pratique de ces voies en examinant avec elle ses expériences, que je n'eusse pu faire en consultant des personnes plus savantes, mais sans expérience pour la pratique. On peut apprendre tous les jours en étudiant les voies de Dieu sur les ignorants expérimentés : n'aurait-on pas pu apprendre pour la pratique, en conversant par exemple avec le bon frère Laurent? Voilà ce que je puis avoir dit à M. l'archevêque de Paris, et à M. de Meaux, en présence de M. Tronson (1). »

 

RÉPONSE.

 

3. Encore qu'il affaiblisse ce qu'il nous a dit de cette femme, il nous suffit qu'il fait regardée comme une personne dans laquelle les voies parfaites étaient pour ainsi dire si réalisées, qu'on les y voyait comme en celles qui sont enseignées de Dieu par l'onction de son esprit, telles que sont les personnes saintes. Son estime a encore deux caractères : Fun qu'il la fait passer à ceux qui le croient : l'autre qu'elle s'étend jusqu'à ses livres, à la manière qui a paru dans son Mémoire », et que la suite fera mieux connaître.

4. Ce fondement supposé, il faut, maintenant considérer si les témoignages qu'il rapporte sur le sujet de cette femme, sont proportionnés à l'estime qu'il avait pour elle : voici le premier.

 

§ II. Premier témoignage de feu M. de Genève.

 

5. « Je l'ai connue (madame Guyon) au commencement de l'année 1689, quelques mois après qu'elle fut sortie de la Visitation de la rue Saint-Antoine, et quelques mois avant que j'allasse à la Cour. J'étais alors prévenu contre elle, sur ce que j'avais ouï

 

1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 19. — 2 Mém. de M. de Cambray, Relat., IVe sect, n. 9, 11, 22, 23 ; Ve sect., n. 9-11.

 

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dire de ses voyages : voici ce qui contribua à effacer mes impressions. Je lus une lettre de feu M. de Genève, datée du 29 juin 1683, où sont ces paroles sur cette personne : « Je l'estime infiniment ; mais je ne puis approuver qu'elle veuille rendre son esprit universel, et qu'elle veuille l'introduire dans tous nos monastères au préjudice de celui de leur institut. Cela divise et brouille les communautés les plus saintes... A cela près je l'estime, et je l'honore au delà de l'imaginable (1). »

 

RÉPONSE.

 

6. Il faut avoir bien envie d'estimer madame Guyon, et d'effacer les mauvaises impressions de ses voyages, du moins indiscrets avec le Père Lacombe, pour s'appuyer de cette lettre. Voici comme en parle M. de Cambray : « Je voyais, dit-il, que le seul grief de ce prélat était le zèle indiscret d'une femme qui voulait trop communiquer ce qu'elle croyait bon (2). » Il se contente d'appeler un zèle indiscret, d'avoir voulu introduire partout son esprit particulier, et même «dans les monastères, au préjudice de celui de leurs instituts. »

7. M. de Cambray compte pour rien cette dernière parole, qui loin de permettre qu'on approchât madame Guyon des maisons religieuses, l'en devait exclure à jamais comme une femme qui y brouillait tout : n'est-ce pas de dessein formé vouloir excuser madame Guyon, que de réduire à mie simple indiscrétion la témérité de contredire l'esprit des communautés ? Mais celle que ce saint prélat éloignait des monastères bien réglés, croira-t-on qu'il l'eût laissée approcher aisément des autres personnes pieuses, et acquérir leur estime ? A cela près tout allait bien, et M. de Cambray, facile à contenter sur le sujet de cette femme, se payait des compliments de civilité que lui faisait un prélat, à condition de lui fermer toute approche de ses monastères.

 

1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 11. — 2 Ibid.

 

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§ III. Second témoignage de feu M. de Genève.

 

M. DE CAMBRAY.

 

8. « Quoique ce prélat ait défendu l'an 1688 les livres de madame Guyon, il paroît avoir persisté jusqu'au 8 février de l’an 1695 à estimer la vertu de cette personne (1) ; ce qu'il prouve par les paroles de cette lettre où il écrit à un ami : « Je ne vous ai jamais ouï parler d'elle qu'avec beaucoup d'estime et de respect, » etc. Il assure qu'il en a usé de même ; et il conclut en disant : « Si elle a eu quelques chagrins à Paris, elle ne les doit imputer qu'aux liaisons qu'elle a eues avec le Père Lacombe. Et l'on ajoute qu'elle s'est fait des affaires par des conférences et par des communications qu'elle a eues dans Paris avec quelques personnes du parti du quiétisme outré. Quelque éloignement que je lui aie tou jours témoigné pour cette doctrine et pour les livres du Père Lacombe, j'ai toujours parlé de la piété et des mœurs de cette Dame avec éloge. »

 

RÉPONSE.

 

9. Enfin M. de Cambray n'a rien pour autoriser l'estime dont il honorait madame Guyon, que le témoignage d'un prélat qui en avait déjà condamné les livres; qui avait cru lui devoir parler si fortement contre le Père Lacombe son directeur, et contre les quiétistes outrés qu'elle fréquentait. Voilà les beaux témoignages qui ont mérité à cette femme l'estime d'un archevêque ; ce lui est assez qu'on parle en général honnêtement de ses mœurs, comme on a coutume de faire, quand on ne veut pas s'en enquérir davantage. En effet depuis que ce saint évêque s'est senti obligé à entrer plus avant dans cet examen, il a chassé de son diocèse madame Guyon avec le Père Lacombe, non-seulement pour leurs mauvais livres, mais encore pour leur conduite scandaleuse. S'il a parlé plus doucement de la conduite de madame Guyon avant que d'être bien informé, il ne s'ensuit pas qu'il faille produire des paroles générales comme des attestations authentiques, ni que ce prélat ait eu intention de recommander sa vertu, et de la rendre

 

1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 12.

 

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estimable. Il serait bien étonné, s'il revivait, de se voir citer comme défenseur de madame Guyon, et après ce qui s'est passé depuis il ne fallait pas remuer ses cendres contre sa pensée. Au reste il est évident que les lettres de ce prélat ne font pas voir dans madame Guyon la moindre teinture de cette haute spiritualité qui la put faire regarder par M. de Cambray comme si expérimentée et si éclairée dans les voies intérieures, qu'il en fit son amie spirituelle, et qu'il étudiât ses expériences. Mais voici quelque chose de plus fort.

 

§ IV. Sur mon témoignage de moi-même.

 

10. « Eh bien, citons à M. de Meaux un témoin qui ait lu et examiné à fond tous les manuscrits de madame Guyon : je n'en veux point d'autre que lui-même Voici ce qu'il fit, quand elle fut dans son diocèse : il lui continua dès le premier jour l'usage des sacrements, sans lui faire rétracter ni avouer aucune erreur : dans la suite, après avoir vu tous les manuscrits et examiné soigneusement la personne, il lui dicta un acte de soumission sur les XXXIV Articles, daté du 15 avril 1695, où après avoir condamné toutes les erreurs qu'on lui imputait, il lui fit ajouter ces paroles : « Je déclare néanmoins que je n'ai jamais eu intention de rien avancer qui fût contraire à l'esprit de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, » etc.

 

RÉPONSE.

 

11. Ceux qui se sont laissé éblouir par un acte qui ne dit rien, doivent apprendre à n'être plus surpris par de telles choses. Il faut distinguer deux temps : celui qui a précédé l'acte qu'on rapporte, et celui où il fut signé.

12. Avant que de signer l'acte où madame Guyon commençait à souscrire ses soumissions particulières, j'ai dit, dans la Relation (2), que comme elle les témoignait en tout et partout dans toutes ses paroles et dans toutes ses lettres, je ne crus pas la devoir priver

 

1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 14. — 2 Relat., 1ère sect., n. 3, 4; IIe sect.,n. 1-3, 20, 21; IIIe sect., n. 18, etc.

 

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des sacrements, où feu M. de Paris l'avait conservée. Je la traitais avec toute sorte de douceur, n'ayant pas encore bien déterminé en mon esprit si ses visions vendent de présomption, de malice, ou de quelque débilité de son cerveau. On ne connaît l'indocilité et l'opiniâtreté que par les désobéissances, ou par les rechutes et les manquements de paroles. Ainsi la voyant docile en tout à l'extérieur, je la laissais entre les mains de son confesseur, homme habile, docteur de Sorbonne et ancien chanoine de l'église de Meaux, sans m'informer du particulier ; et je la traitai en infirme avec toute sorte de condescendance, selon le précepte de saint Paul : « Recevez celui qui est infirme dans la foi, sans dispute ni contention (1). » C'est une insigne témérité de condamner cette conduite, qui au contraire me donne lieu de dire à M. de Cambray avec l'Apôtre, dans une affaire de pure police ecclésiastique : « Qui êtes-vous pour juger votre frère (2) ? »

13. A la signature, je ne fis que rédiger par écrit ce qu'elle m'exposait de ses sentiments. Ainsi je lui laissai dire comme à une personne ignorante, mais docile, telle que je la croyais alors, « qu'elle n'avait eu aucune intention de rien enseigner contre la foi de l'Eglise. » Est-ce là un crime qui méritât d'être relevé par un archevêque, qui de dessein prémédité ne voudrait pas tourner tout contre un confrère innocent? Eh bien, madame Guyon n'avait pas un dessein formé d'écrire contre l'Eglise : c'était faiblesse : c'était ignorance : si l'on veut, je lui aidais quelquefois à s'expliquer dans les termes les plus conformes à ce qui me paraissait être de son intention. M. de Cambray appelle cela dicter un acte; et il en conclut que j'autorise le sentiment que cette femme avait d'elle-même. Mais un prélat exercé dans les procédures de cette sorte, devait savoir le contraire, puisqu'après avoir écrit ce qu'elle voulait, je ne fis que lui donner acte de sa déclaration, comme j'y étais obligé, et lui enjoindre en peu de mots ce qu'elle devait croire et pratiquer. C'est ce qui paraîtrait par l'expédition de l'acte, si M. de Cambray l'avait produite : pour moi je n'ai pas besoin de grossir un livre en transcrivant de longs actes, qu'on rapportera peut-être plus commodément

 

1 Rom., XIV, 1. — 2 Ibid., I, 10.

 

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leurs : quoi qu'il en soit, M. de Cambray qui s'en veut servir contre moi, doit l'avoir ou reconnaître qu'il m'accuse à tort.

14. En passant, on voit que cet archevêque éclairait de près madame Guyon, pendant qu'elle était entre mes mains, et qu'elle lui rendait bon compte de mes procédures ; mais on va voir néanmoins qu'elle le trompait, et qu'il voulait se laisser tromper.

 

§ V. Autre témoignage tiré de moi-même.

 

M. DE CAMBRAY.

 

15. « M. de Meaux lui dicta encore ces paroles dans sa souscription à l'Ordonnance où il censurait les livres de cette personne : « Je n'ai eu aucune des erreurs expliquées dans ladite lettre pastorale, ayant toujours intention d'écrire dans un sens très-catholique, etc. Je suis dans la dernière douleur que mon ignorance, et le peu de connaissance des termes, m'en ait fait mettre de condamnables (1). »

 

RÉPONSE.

 

16. Tout cet endroit rapporté par M. de Cambray, comme composant la déclaration de madame Guyon, est inventé d'un bout à l'autre. Ce prélat en devait produire l'expédition, s'il l'a en main, ou supprimer tout ceci s'il ne l'a pas, et ne pas faire dire à cette femme ce qu'elle ne dit point, ni insérer dans mon procès-verbal ce qui n'y fut jamais. M. de Cambray demeure d'accord de la souscription de Madame Guyon à l’Ordonnance où je censurais les livres de cette personne. Cette censure est publique : et si avant que d'en parler, M. de Cambray avait daigné la relire, il y aurait trouvé le Moyen court, la Règle des associés, et l’Interprétation du Cantique des Cantiques, expressément condamnés avec la Guide spirituelle de Molinos, en ces termes : « lesquels livres déjà notés par diverses censures, nous condamnons d'abondant comme contenant une mauvaise doctrine, et toutes ou les principales propositions ci-dessus par nous condamnées dans les articles susdits (2), » qui sont les XXXIV d'Issy. De cette sorte M. de Cambray étant convenu que madame Guyon avait souscrit à la condamnation

 

1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 15. — 2 Ordonnance du 16 avril 1095.

 

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de ses livres portée par cette censure, ne peut nier, sans une insigne infidélité qu'elle ne les ait condamnés comme contenant « une mauvaise doctrine, et toutes ou les principales propositions condamnées dans les Articles d'Issy, » qui aussi étaient insérés dans la censure, comme en faisant le fondement principal. J’ai rapporté en substance avec cette censure, l'acte où madame Guyon y souscrivit Je l'aurais rapporté entier s'il eût été nécessaire, et si l'on n'eût pas évité de grossir un livre, en y insérant de longs actes qui n'étaient pas contestés. Si à présent M. de Cambray y ajoute ce qu'il lui plaît, ou il l'a vu dans l'acte même, et dans quelque expédition authentique ; ou il ne l'a pas vu, et il le raconte à sa fantaisie sur la foi de madame Guyon ou de quelque autre. S'il l'avait vu, il en aurait fait mention ; il aurait produit la pièce dont il se sert : s'il n'a rien vu, comme il est certain, puisqu'il ne peut pas avoir vu ce qui n'est pas, il doit avouer que son amie ou quelque autre sur sa parole lui a menti, et qu'il adhère trop facilement à un mensonge évident, en alléguant un acte faux.

17. Par ce moyen, plus de la moitié de la Réponse tombe, puisqu'elle est fondée dans sa plus grande partie sur un acte inventé. Toutes les fois qu'on trouvera dans la Réponse de M. de Cambray cet acte, où madame Guyon dit d'elle-même de si belles choses, c'est-à-dire cent et cent fois (car les redites ne sont pas épargnées), qu'on se souvienne qu'il est faux d'un bout à l'autre. Si l'on en doute, je le produirai avec tous les autres : mais en attendant et pour abréger, il suffit qu'on n'ait osé ni produire, ni pas même mentionner, ni l'acte ni l'expédition, comme on a fait celle de l'attestation qu'on a tant vantée.

 

§ VI. Sur mon attestation, et sur celle de M. de Paris.

 

M. DE CAMBRAY.

 

18. « C'est sur ces déclarations de ses intentions faites devant Dieu, et dictées parce prélat, qu'il lui donna l'attestation suivante : Nous : évêque de Meaux, etc. ».

 

1 Relat., IIIe sect., n. 18. — 2 Rép. à la Relat., chap. I, p. 16.

 

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19.  » M. l'archevêque de Paris a suivi la même conduite, » etc. (1).

 

REPONSE.

 

20. Je défendrai donc tout ensemble par une seule et même raison la conduite de ce prélat et la mienne. Pour la mienne, elle consiste en deux choses : dont l'une est ce que je condamne dans Madame Guyon; et l'autre est ce que j'y excuse : ce que j'y condamne est encore subdivisé en deux points, dont l'un regarde ses erreurs, et l'autre regarde sa conduite.

21. Pour les erreurs, l'attestation porte : « que je l'ai reçue aux sacrements au moyen des actes qu'elle avait signés devant moi. » Or ce qu'elle y avait signé, c'était, comme l'avoue M. de Cambray (2), la formelle condamnation de ses livres comme contenant « une mauvaise doctrine, et toutes ou les principales propositions réprouvées dans les Articles d'Issy. »

22. S'il y avait quelque erreur singulièrement pernicieuse dans la doctrine, c'était la suppression des demandes et des actions de grâces. Or j'avais pourvu à ce point en lui prescrivant dans l'acte qu'elle souscrivait, « de faire au temps convenable les demandes, et autres actes de cette sorte, comme essentiels à la piété, et expressément commandés de Dieu, sans que personne s'en puisse dispenser, sous prétexte d'autres actes prétendus plus parfaits ou éminents, ni autres prétextes quels qu'ils soient. » Ainsi signé dans l'original : + J. Bénigne, évoque de Meaux, J. M. B. de la Mothe-Guyon : en date du 1er de juillet 1695.

23. Quiconque saura comprendre où consiste le quiétisme, verra que non-seulement il était condamné en général, mais encore en particulier expressément proscrit par ces paroles : par où aussi se justifie clairement ce qui est porté dans la Relation (3), qu'on a fait en particulier condamner par actes à madame Guyon, les principales propositions du quiétisme auxquelles aboutissaient toutes les autres. La plus sévère critique peut-elle rien opposer à cette condamnation des erreurs ?

24. Pour les conduites particulières de madame Guyon, qu'y

 

1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 17. —  2 Rép., n. 15. — 3 Relat., Ire sect., n. 4, IIIe sect., n. 18.

 

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avait-il de plus efficace pour la réprimer, « que les défenses par elle acceptées avec soumission, d'écrire, enseigner et dogmatiser dans l'Eglise, ou de répandre ses écrits imprimés ou manuscrits, ou de conduire les âmes dans les voies de l'oraison ou autrement? » Qu'y a-t-il à craindre de ses visions, de ses prophéties, ni en général de ses livres imprimés ou manuscrits, quand on les défend tous également? Et en général, qu'y a-t-il à craindre de la direction d'une personne, à qui « on défend d'écrire, enseigner, dogmatiser, diriger ou conduire sous quelque prétexte que ce soit? » Que M. l'archevêque de Cambray, qui n'aspire plus qu'à se justifier en m'accusant, pousse sa critique où il voudra, il ne trouvera rien d'omis dans cette attestation qu'il a rapportée (1); et si madame Guyon avait été fidèle à des soumissions si expresses, l'affaire était finie de son côté. Je suis donc autant irrépréhensible à réprimer sa conduite qu'à condamner ses erreurs.

25. II y a un point où je lui ai laissé déclarer ce qu'elle a voulu pour sa justification et son excuse, et c'est celui des abominables pratiques de Molinos, où mon attestation porte que je ne l'ai « point trouvée impliquée, ni entendu la comprendre dans la mention que j'en avais faite dans mon Ordonnance du 16 avril 1695. » C'est qu'en effet je ne voulais pas entamer cette matière pour des raisons bonnes alors, mais qui pouvaient changer dans la suite : ce qui après tout n'était pas tant justifier madame Guyon, que suspendre l'examen de ce côté de l'affaire. Ainsi j'ai tâché, selon la parole et l'exemple de Jésus-Christ, à garder toute justice, et à satisfaire également à tout ce que la charité et la vérité me demandaient.

26. De cette sorte mon attestation, que M. l'archevêque de Cambray a produite pour me convaincre, a démontré mon entière justification : puisque ce prélat n'accuse M. de Paris que de la même conduite, il faut qu'il se taise à son égard comme au mien. J'ajouterai seulement que M. l'archevêque de Paris a plus fait que moi, et que les expresses contraventions à des paroles souscrites, dont madame Guyon a depuis été convaincue, ont obligé ce prélat à de plus grandes précautions envers cette femme : en sorte

 

1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 16.

 

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que s'il faut jamais produire les actes entiers, au lieu que M. de Cambray les a donnés par lambeaux, et avec des additions supposées, ils le couvriront encore plus de confusion qu'il ne l'est par l'évidence de ce que j'ai dit, et par l'impossibilité de prouver la moindre chose de ce qu'il avance.

 

§ VII. S'il est vrai que je n'aie rien répondu sur le sujet de madame Guyon.

M. DE CAMBRAY.

 

27. Tout l'artifice de M. de Cambray est de me représenter toujours comme un homme qui ne répond rien (1), à qui ensuite il compose des réponses à sa fantaisie, en supprimant les miennes qui sont sans réplique. En voici un exemple (2) : « Pourquoi M. de Meaux se vante-t-il de me convaincre de faux ? En avouant le fait que j'avance, c'est-à-dire da communion de Paris qu'il lui donna de sa propre main, il ne répond rien (remarquez ce mot) aux fréquentes communions qu'il lui a permises à Meaux pendant six mois, sans lui avoir jamais fait avouer ni rétracter ce fanatisme, où elle se croyait la femme de l’ Apocalypse, et l'épouse au-dessus de la mère. »

 

RÉPONSE.

 

28. Je ne réponds rien, dit-il, je n'ai rien fait avouer à madame Guyon ? N'est-ce rien répondre, que de dire qu'on lui a laissé les sacrements, à cause de sa soumission absolue, et réitérée par tant de déclarations de vive voix, et par tant d'actes souscrits de sa main? Pour venir au particulier, M. de Cambray oserait-il dire que je n'ai rien déclaré à madame Guyon de mes sentiments contre ses erreurs, que le public connaissait après ce qui est écrit dans les Etats d'Oraison sur la signature des Articles (3) ; et sur sa souscription aux censures du 16 et du 99 avril 1693, contre ses livres comme contenant une mauvaise doctrine? Veut-on venir aux conduites particulières de cette femme ? n'ai-je pas dit que je commençai par défendre ces absurdes communications de

 

1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 32. — 2 Ibid., p. 33. — 3 Inst. sur les Etats d'Or., liv. X, n. 21.

 

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grâces; et que madame Guyon répondit qu'elle obéirait à cette défense aussi bien qu'au commandement « donné exprès pour l'empêcher de se mêler de direction, comme elle faisait avec une autorité étonnante (1)? » M. de Cambray ne lit pas le livre qu'il réfute ; il ne fit que ce qui convient à sa prévention et à l'avantage qu'il veut prendre, en disant qu'on ne lui répond jamais rien.

29. Pour peu qu'il eût consulté mon livre, il y aurait lu que le 4 de mars 1694, j'écrivis ime grande lettre à madame Guyon, où je lui marquais tous mes sentiments « sur ces prodigieuses communications, sur l'autorité de lier et délier, sur les visions de l’Apocalypse, et les autres choses que j'ai racontées (2). » Voilà donc une réponse précise sur les chefs où l'on assure que je ne réponds rien. J'ajoute que la réponse de madame Guyon, qui suivit de près cette grande lettre, était très-soumise; et s'il en faut dire les termes pour contenter M. de Cambray, madame Guyon y répète à chaque ligne : « Je me suis trompée : j'accuse mon orgueil, ma témérité, ma folie ; et remercie Dieu qui vous a inspiré la charité de me retirer de mon égarement : je renonce de tout mon cœur à cela : je consens tout de nouveau qu'on brûle mes écrits et qu'on censure mes livres, n'y prenant aucune part. » Il s'agissait donc tant de la doctrine que de la conduite : car ma lettre du 4 de mars lui représentait également ses excès, ses égarements, ses erreurs insupportables et insoutenables dans les termes, dans les choses mêmes et sur le fond ; dans les expressions, dans les sentiments; contre la raison, contre l'Evangile, contre l'esprit de l'Eglise : elle répond à tout cela en avouant, en se soumettant sans réserve: n'est-ce rien lui faire avouer, que de lui faire avouer toutes ces choses? On nous la représente comme une personne qui nous soutenait qu'elle n'avait jamais eu aucune erreur de celles qu'on lui faisait condamner; cette lettre montre un esprit tout contraire : ajoutez toutes les défenses portées dans les actes, et dans la propre attestation que M. de Cambray produit. Il ose dire après cela que je n'ai rien répondu, lui qui sait, qui voit de ses yeux toutes mes précises réponses, dans ma Relation, dans un livre qu'il a en main, et sur lequel il travaille. Non-seulement

 

1 Relat., IIe sect., n. 3, 4, 9. — 2 Ibid., n. 21.

 

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j'ai répondu, mais encore ma réponse est irréprochable. J'ai les deux lettres dont il s'agit : la mienne dans une copie que j'en retins alors, et celle de madame Guyon en original : la seule crainte d'embarrasser le lecteur d'une longue et inutile lecture m'empêcha de les produire. Mais enfin M. de Cambray veut-il n'avoir jamais vu ces lettres mentionnées dans ma Relation, ou veut-il les avoir vues? Ce qu'il lui plaira; car il lui faut laisser le champ libre, pour dire ce qu'il veut avoir vu ou non : s'il les a vues, et que madame Guyon, qui lui rendait compte de tout, les lui ait communiquées, il m'accuse à tort de n'avoir satisfait à rien, puisqu'il paraît par ces lettres que j'ai satisfait à tout. Mais s'il veut n'avoir rien vu de tout cela, et qu'il m'accuse cependant au hasard, et sans en rien savoir, d'avoir manqué à tous mes devoirs, il est le plus injuste de tous les accusateurs, et il dit tout à sa fantaisie.

30. Il répond peut-être dans l'humeur contredisante qui le tient, qu'il fallait rendre ces lettres publiques : quoi ? dans le temps qu'on espérait de ramener une ignorante soumise? quel prodige d'inhumanité? Il faut noter publiquement les erreurs publiques : il faut même découvrir les plaies cachées, quand elles paraissent irrémédiables et contagieuses : voilà les règles de l'Evangile, que j'ai suivies : le contraire est outré ou faible.

 

§ VIII. Réflexions sur l'article second.

 

31. On voit d'abord qu'il n'y a rien de sérieux dans le discours de M. de Cambray : ce ne sont que jeux d'esprit, que tours d'imagination. Tout ce qui lui fait si fort estimer madame Guyon, dans tout autre aurait produit un effet contraire : il ne garde pas même l'ordre des temps. Pour fonder l'estime qu'il fait commencer environ en 1689, il allègue des lettres et des actes de 1694 et de 1095. C'est vouloir montrer qu'il l'estime encore, depuis même quelle est condamnée par les prélats qu'il appelle en témoignage. Il n'y a que la lettre de 1683 de feu M. de Genève, qui précède la date que M. de Cambray a donnée au commencement de son estime. Mais cette lettre éloigne madame Guyon comme la peste

 

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des communautés. M. de Cambray demeure d'accord que l'autre lettre du même prélat avait suivi la condamnation qu'il avait faite de ses mauvais livres avec ceux de Molinos comme contenant la doctrine des quiétistes. On peut juger combien cet évêque estimait madame Guyon infectée de ces sentiments. Il semble que M. de Cambray veuille se moquer quand il se fonde encore sur mon témoignage : mais pour cela il me suppose des actes faux : il hasarde tout ce qu'il lui plaît sur la foi de madame Guyon. Il avance contre la vérité du fait, que je ne réponds rien à ses objections, que je ne fais rien avouer ni rétracter à madame Guyon, pendant qu'il voit le contraire : pendant que dans le fait il est constant que je réponds amplement à tout, et qu'il est certain dans le droit que mes réponses sont sans réplique. Comment veut-il qu'on appelle ces expresses oppositions à la vérité, et après cela de quelle croyance veut-il être digne dans ses récits?

32. Quand il dit pour autoriser son estime : « Je vois marcher devant moi les lettres de feu M. de Genève : Je vois marcher après moi l'attestation de M. de Meaux (1) : » ne lui peut-on pas répondre avec vérité : Non, vous ne voyez point marcher devant vous les lettres du feu évêque de Genève : et pour ne m'arrêter pas à la date postérieure d'une de ces lettres, quand vous avez commencé d'estimer madame Guyon en l'an 1689, vous voyiez marcher devant vous en 1683 une lettre qui convainquait cette femme de renverser l'esprit des communautés les plus saintes. Vous voyiez marcher devant vous un ordre du même prélat, qui conformément à sa lettre l'éloignait avec le Père Lacombe de son diocèse, où elle brouillait les communautés. Vous voyiez encore marcher devant vous la censure du même évoque de 1688, où les livres de cette femme si estimable sont condamnés avec ceux de Molinos, comme contenant les maximes artificieuses du quiétisme. Vous voyiez marcher devant vous ce que fit ce prélat pour faire rappeler à Paris les filles des Nouvelles Catholiques , dont vous étiez alors supérieur, et vous n'avez pu ignorer ce qui se passa sur ce sujet environ en l'an 1686. Vous voyiez marcher devant vous les censures de Rome de 1688 et de 1689 contre les

 

1 Rép., chap. I, p. 19.

 

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livres du Père Lacombe et de madame Guyon (1) : les ordres du Roi pour enfermer ce religieux aussitôt qu'il fut revenu en France avec madame Guyon après leurs voyages, et les perpétuels soupçons que Ton eut de leur mauvaise doctrine et de leur mauvaise conduite encore cachée alors, mais qui n'a que trop éclaté depuis. La conduite du directeur faisait-elle beaucoup d'honneur à la dirigée? Voilà ce qui précédait le choix que vous avez fait de cette femme pour être votre amie dans ce commerce spirituel que vous racontez.

33. Ici toute votre ressource est de m'impliquer, si vous pouviez, dans votre erreur. Vous avez vu, dites-vous, marcher après vous l'attestation de M. de Meaux (2) : où madame Guyon est si estimée, « qu'on lui défend d'écrire, d'enseigner et de dogmatiser dans l'Eglise, ou de répandre ses livres imprimés ou manuscrits, ni de conduire les âmes dans la voie de l'oraison ou autrement. » Vous faites encore marcher après vous un acte qui ne fut jamais, comme je viens de le montrer ; et je perdrais trop de temps, si je voulais raconter ici tout ce qui a véritablement marché après vous contre cette femme, que vous estimez tant et que vous avez laissé tant estimer.

 

ARTICLE III. Sur ma condescendance envers madame Guyon et envers M. de Cambray.

§ I. Mes paroles, d'où M. de Cambray tire avantage.

 

1. Je trouve deux choses qui ont grand rapport dans la Réponse de M. de Cambray : l'une est l'avantage qu'il tire de ma condescendance envers madame Guyon ; l'autre est celui qu'il tire aussi de ma douceur envers lui-même.

2. J'avais raconté dans ma Relation (3) la prière que m'avait faite M. de Cambray, de garder du moins quelques-uns, de ses écrits en témoignage contre lui, s'il s'écartait de mes sentiments : et la réponse que je lui fis sur cette proposition : Non, monsieur, je

 

1 Actes contre les Quiét. — 2 Attest. de M. de Meaux. Rép. de M. de Cambray, chap. I, p. 16, 17. — 3. Relat., IIIe sect., n. 14.

 

 

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ne veux jamais d’autre précaution avec vous que votre foi. Par ce motif obligeant je rendis tous les papiers que l'on m'avait confiés : et ce procédé de confiance m'a attiré le reproche qu'on va entendre.

 

§ II.

 

M. DE CAMBRAY.

 

3. « Mais encore d'où vient que M. de Meaux n'a gardé aucun de ces manuscrits impies que je le priais de garder comme il le reconnaît dans sa Relation? Puisqu'il ne m'avait pas encore désabusé de tant d'erreurs capitales, ne devait-il pas garder mes écrits pour me montrer papier sur table en quoi je m'étais égaré? Qu'y avait-il de plus propre pour cette discussion, que de garder selon mon offre dans l'attente d'un charitable éclaircissement, ces manuscrits où mes illusions étaient si marquées (1) ? »

4. Voici encore la réflexion de cet archevêque sur ce que je dis de ses lettres qui pouvaient peut-être servir à lui rappeler ses saintes soumissions en cas qu'il fui tenté de les oublier (2): «Il croyait donc, répondit-il. que je pouvais être tenté d'oublier mes soumissions. Pour s'assurer contre ce cas, n'était-il pas encore plus important de garder des preuves de mes erreurs que celles de mes soumissions (3) ? »

5. Il fait un autre raisonnement (4) : « On peut juger de ce que M. de Meaux pensait alors de mes égarements par les choses qu'il en dit encore aujourd'hui. Je crus, dit-il (5), l'instruction des Princes de France en trop bonne main, pour ne pas faire en cette occasion tout ce qui servait à y conserver un dépôt si important. Quelque soumission et quelque sincérité que j'eusse, pouvait-il croire ce dépôt important en bonne main, supposé que je crusse que la perfection consiste dans le désespoir, dans l'oubli de Jésus-Christ, dans l'extinction de tout culte intérieur, dans un fanatisme au-dessus de toute loi? Ces erreurs monstrueuses sont-elles de telle nature, qu'un homme tant soit peu éclairé ait pu de bonne foi ignorer qu'elles renversent le christianisme et les bonnes

 

1 Rép., chap. II, p. 45. — 2 Relat., IIIe sect., n. 15. — 3 Rép., chap. II, p. 53.

— 4 Ibid., p. 54, 53. — 5 Relat., IIIe sect., n. 9.

 

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mœurs? Est-ce un fanatique admirateur d'une femme qui se dit plus parfaite que la sainte Vierge, et destinée à enfanter une nouvelle Eglise? Est-ce le Montan de la nouvelle Priscille, dont la main est si bonne pour le dépôt important de l'instruction des Princes? Devait-il me voir propre à une instruction si importante avec des erreurs si palpables, avec un cerveau si affaibli, avec un cœur si égaré?... Ma soumission seule, si j'eusse eu tant d'erreurs impies, ne pouvait justifier ce prélat. Ou il a trop peu fait en ce temps-là, ou il fait beaucoup trop maintenant. » M. de Cambray répète cent fois les mêmes raisonnements sur ma douceur envers madame Guyon et envers lui-même. Je ne raconterai pas ces vaines redites, puisque je suis assuré qu'on me rendra témoignage d'avoir mis ici tout le fort.

 

RÉPONSE.

 

Premier point : raisons de ménager M. de Cambray.

 

6. Je réponds : Mes motifs, pour ne pas pousser M. l'abbé de Fénelon, étaient justes malgré ses erreurs qui m'étaient connues.

 

1. C'était lui qui nous les découvrait avec une si apparente ingénuité, que nous ne pouvions douter de sa confiance, ni connaître sa confiance sans espérer son retour.

2. Il promettait une entière soumission avec les termes les plus efficaces qu'on eût pu choisir, « jusqu'à promettra dès le premier mot sans discussion, comme un petit écolier, de se rétracter, de quitter tout, sa charge même, et se retirer pour faire pénitence. » On n'a qu'à relire ses lettres, et on jugera si jamais on a exprimé sa soumission en termes plus-forts, et avec un plus grand air de sincérité.

3. Ses erreurs n'étaient pas connues: il y avait bien des bruits répandus de son étroite liaison avec madame Guyon : mais personne qui nous fût connu, ne savait qu'il fût son approbateur, ni qu'il en voulût soutenir ni pallier la doctrine. Il y avait de l'inconvénient à faire paraître de la division dans l'Eglise sur cette matière : à donner de l'autorité à l'erreur par une approbation si

 

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considérable : à pousser un homme important, et à le jeter peut-être dans une invincible opiniâtreté.

4. Si ses erreurs étaient excessives, leur excès même nous persuadait qu'il n'y pouvait pas persister longtemps, surtout dans une matière qui n'était pas encore si bien éclaircie, qu'elle ne pût donner lieu à quelque surprise passagère.

5. Ce n'était pas lui seulement que nous croyions ramener, mais encore ses amis qu'il tenait absolument en sa main ; et nous espérions, en les ramenant avec lui, sauver de dignes sujets.

6. A la vérité nous déplorions son entêtement sur le sujet de madame Guyon : mais nous la voyions elle-même à l'extérieur si disposée à la soumission, et à renoncer tant à sa mauvaise doctrine qu'à ses autres illusions, que nous ne pouvions nous persuader qu'il dût arriver à M. l'abbé de Fénelon de la soutenir plus qu'elle ne faisait elle-même. Nous croyions même que l'honneur du monde nous aiderait en cela, et qu'un homme de cette conséquence ne voudrait pas commettre sa réputation à protéger cette femme, à se déclarer son disciple et son sectateur. Qui pouvait imaginer tous les tours qu'il donnerait à son esprit pour la défendre, pour l'abandonner, pour la sauver, pour la condamner en même temps? Le monde n'avait jamais vu d'exemple d'une souplesse, d'une illusion et d'un jeu de cette nature.

7. Je n'étais pas seul de cet avis : j'étais appuyé par les sentiments d'un prélat aussi sage que M. de Châlons, et d'un prêtre aussi vénérable que M. Tronson, qui avait élevé M. l'abbé de Fénelon ; et que cet abbé avait toujours regardé comme son père. Nous ne désavouerons pas que l'amitié ne soit entrée dans nos sentiments : on est bien aise de la concilier avec la raison, et cette disposition n'est pas malhonnête.

 

Second point : avantages que tire M. de Cambray de ma condescendance

 

7. Après toutes ces raisons, nous avons l'événement contre nous : et c'est pourquoi je me tais, et je me laisse juger comme on voudra. Mais quant à M. l'abbé de Fénelon, pour me condamner comme il fait sur mon énoncé, il faut qu'il ait dépouillé tout sentiment humain, et qu'il parle contre lui-même plus que contre

 

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moi. Il faut qu'il dise : Vous avez tort de m'avoir cru sur mes soumissions : vous deviez sentir que j'en sa vois plus que vous, et que mieux et plus finement qu'aucun autre homme du monde, je savais donner de belles paroles à un homme simple. Que M. de Meaux était innocent de s'amuser à mes promesses! Comment n'avait-il pas l'esprit de songer que le temps les demandait alors : que je saurais bien en un autre temps reprendre mes avantages, et me relever après être venu à mon but? Non, il ne faut rien donner à l'amitié, à la confiance, à la réputation où était un homme : vous deviez me pousser à bout, et n'attendre pas que je vous fisse un crime de votre douceur.

8. Voilà dans le fond le raisonnement qu'il faut faire pour nous condamner : mais en même temps voilà de quoi rendre les hommes défiants à toute outrance, et leur procédé le plus dur, le plus inhumain, le plus odieux. Pour moi je n'en sais pas tant, je le confesse ; je ne suis pas politique : je ne connais pas les raffinements qui font les esprits que les gens du monde veulent nommer supérieurs. Simple et innocent théologien, je crus avoir assez fait pour la vérité, en liant M. de Cambray par des articles théologiques ; mais j'ignorais que certains esprits se mettent au-dessus de tout : qu'ils introduisent un nouveau langage qui fait dire tout ce qu'on veut ; et que pleins de distinctions et de défaites, en trompant visiblement le monde, ils savent encore se donner des approbateurs.

9. Tournons néanmoins la médaille : faisons que j'aie suivi ces nobles conseils : que sans égard à promesses, soumissions, inconvénients, j'aie dénoncé M. de Cambray, brûlé madame Guyon de mes propres mains, toute renonçante qu'elle était à ses visions et à ses erreurs ; que ne dirait pas M. de Cambray contre un procédé si inique? Je vois donc bien ce que c'est : j'ai affaire à un homme enflé de celle line éloquence qui a des couleurs pour tout ; a qui même les mauvaises causes sont meilleures que les bonnes, parce qu'elles donnent lieu à des tours subtils que le monde admire; à des inventions délicates qui ne subsistent sur rien, et dont on est l'artisan et le créateur. Que lui dirai-je, sinon l'Evangile? « Nous avons chanté d'un ton agréable, et vous n'avez

 

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point dansé : nous avons entonné des chants lugubres, et vous n'avez point pleure. Jean est venu, ne mangeant, ni ne buvant ( avec une austérité et un jeune effroyable), et ils disent : Il est possédé du malin esprit. Le Fils de l'Homme est venu ( dans une vie plus commune ), buvant et mangeant ( avec les hommes, et ne dédaignant pas leurs festins ), et ils ont dit : C'est un homme de bonne chère (1). » Ils sont prêts à tout contredire. Quoi! vous aviez peur de madame Guyon? cette pauvre femme affligée, captive, que personne ne soutenait (2)? Mais quoi ! d'autre part, vous ne la brûliez pas avec ses livres (3)? Quoi ! vous m'avez épargné moi-même pendant que j'étais entre vos mains ? vous n'avez point publié mes erreurs cachées? Quoi! vous ne voulez pas m'aider à les couvrir de subtiles excuses, après que je les ai déclarées ? Quoi que vous fassiez, vous aurez tort. Mais malgré la subtilité et l'esprit de contradiction qui anime les sages du monde, il n'y aura que la paille qui soit emportée, « et la véritable sagesse sera justifiée par ses enfants (4). »

10. Quel est le vrai caractère de cet homme contentieux, dont l'Apôtre a dit : « Nous n'avons pas cette coutume, ni l'Eglise de Dieu (5)? » Et n'en est-ce pas un trait visible, de faire un crime à un ami, d'avoir voulu vous gagner le cœur, et le prendre par la confiance? C’est ce que j'avais espéré, en refusant l'offre que reconnaît M. de Cambray, de me laisser quelques-uns de ses manuscrits, pour le convaincre en cas qu'il vint à changer. Il est vrai naturellement que je fus touché de ce moyen qu'il trouva d'assurer sa sincérité, en me laissant contre lui de telles preuves. Mais moi, tant j'étais simple, plein de candeur et de confiance; moi, dis-je, qui ne voulais mettre ma sûreté que dans son bon cœur, je refusai toute autre assurance; et après que pour gage de sa bonne foi je n'ai voulu qu'elle-même, il me vient dire aujourd'hui : Vous sortez de la vraisemblance, quand vous vous vantez de vous être fié à mon bon cœur, et le mien n'était pas tel que vous le pensiez.

 

1 Matth., XI, 17, 18 et seq. — 2 Mém. de M. de Cambray, Relat., IVe sect., n. 19. — 3 Rép., chap. II, p. 30. — 4 Matth., XI, 19. — 5 I Cor., XI, 16.

 

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Troisième point : sur les papiers que j'ai rendus.

 

11. Il me reproche qu'en lui rendant ses papiers, j'ai gardé ses lettres, sans vouloir comprendre ma juste réponse (1) : que la différence est extrême entre les lettres qu'on ne vous écrit que pour être à vous, et des papiers qu'on dépose entre vos mains pour les rendre après la lecture. On n'a au reste à rendre aucune raison pourquoi on garde des lettres : M. de Cambray en a gardé des miennes, dont il produit des extraits, sans que je lui en demande aucune raison. Mais supposé même qu'il m'ait peut-être, et sans l'assurer, passé dans l'esprit mie pensée, un soupçon qu'il lui pouvait arriver d'être tenté sur ses soumissions, j'ai bien voulu dire sans façon que ses lettres auraient pu servir à lui en rappeler le souvenir : et il me fait un procès sur cette parole. C'est pourtant autre chose d'être tenté, ce qui peut arriver au plus vertueux, autre chose de succomber à la tentation : et quoi qu'il en soit, j'ai voulu marquer à M. de Cambray que si j'ai été capable de garder entre mes mains des moyens pour le rappeler en secret à ses soumissions, positivement j'ai voulu m'ôter le moyen de le convaincre en public de ses erreurs. Que peut-il trouver mauvais dans ce procédé, si ce n'est trop d'honnêteté et de confiance? « N'était-il pas, dit-il, plus important, de garder les preuves de mes erreurs, que celles de mes soumissions (2) ? » Oui sans doute, si j'avais songé à le convaincre d'erreur dans le public. « Ma soumission, poursuit-il, ne prouve que ma docilité, peut-être excessive. Pourquoi était-il (M. de Meaux) si précautionné et si défiant sur les soumissions qui ne prouvent rien contre moi, pendant qu'il l'était si peu sur la preuve des erreurs qui étaient le point capital? » La raison est évidente : quand sur ce point capital on ne songe à rien ; et que loin de désirer d'en avoir la preuve, on consent par une absolue confiance à s'en priver, on ne veut point qu'un ami sente de la défiance. On rend les hommes défiants en l'étant soi-même : tout mon but était de gagner M. l’abbé de Fénelon : ainsi ce qu'il me reproche avec tant d'amertume, c'est sur le sujet de ses erreurs d'avoir autant que j'ai

 

1 Relat., IIIe sect., n. 15. — 2 Rép., chap. II, p. 53.

 

 

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pu tout remis à sa bonne foi : content d'avoir satisfait a ta venus par les Articles, je n'en voulais pas davantage. L'événement m'a trompé : si mon procédé sincère avait eu un meilleur succès, ma joie aurait peut-être été trop humaine : quoi qu'il en soit, voilà mon crime envers ce prélat : comme s'il voulait avouer qu'il fallait le connaître mieux que je n'ai fait ; et qu'y a-t-il qui ressente plus l'esprit de contention, qu'une chicane aussi malhonnête que celle de m'accuser de trop de crédulité en sa faveur ?

 

Quatrième point.

 

12. Pendant que nous parlons tant des écrits que M. de Cambray nous avait confiés, et que nous lui avons rendus par les motifs qu'on vient devoir, il est impossible que le lecteur ne soit curieux de savoir quels ils étaient. Mais pour abréger cette discussion, M. de Cambray va nous l'apprendre lui-même. Car encore que ces .Mémoires fussent écrits avec tout le soin et avec toute la finesse dont il est capable, comme le peuvent témoigner ceux qui les ont lus, et comme aussi il serait aisé de le justifier par mes extraits; ce prélat les appelle, partout, et des l'abord quatre fois de suite, « des recueils informes, écrits à la hâte et sans précaution : dictés avec précipitation et sans ordre à un domestique , et qui passaient sans avoir été relus, dans les mains de M. de Meaux (1). » Il devait du moins ajouter qu'il les confiait également à M. de Châlons et à M. Tronson, qui comme moi peuvent témoigner que quelques-uns étaient de sa main et digérés à loisir, et tous les autres d'un caractère aussi bien que d'un style élégant, correct, où rien ne sentait la négligence. M. Tronson nous en fit d'abord des extraits qu'on ne lisait point sans frayeur, tant les propositions en étaient étranges et inouïes. Sans doute il en a parle à M. de Cambray à qui il aura laissé quelque forte impression contre ces Mémoires étonnants, surtout contre celui où l'auteur traitait de saint Clément d'Alexandrie : c'est donc pour en excuser les erreurs palpables qu'il les traite d'ouvrages informes, mal digérés et précipités. Et il sent si bien que c'était le fond même de la doctrine qui y était à reprendre, qu'il ne les

 

1 Rép. à la Relat., chap. II, p. 40-43, 48, etc.

 

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sauve qu'en disant que « ce n'était que des recueils secrets et informes, tant des preuves du vrai que des objections qu'on pourrait faire pour le faux (1). » C'est ainsi qu'en use ce prélat. Quand il parle comme Molinos, ce n'est qu'une objection : quand M. l’évêque de Chartres le convainc par son propre écrit, d'avoir avoué le mauvais sens de son livre sur l'extinction du motif de l'espérance, c'est un argument ad hominem : quand il pousse les choses trop loin, c'est qu'il exagère. Quand est-ce donc qu'il aura parlé naturellement? Il est vrai que dans ces mémoires manuscrits il propose des sentiments si outrés, qu'il est contraint d'avouer qu'il y a de certains endroits d'exagération (2), principalement sur saint Clément d'Alexandrie : mais il ne saurait nier qu'ordinairement les plus grands excès ne soient ses dogmes : et nous savons positivement que sa gnose, comme il l'appelait, en traduisant le grec de saint Clément d'Alexandrie, quoique pleine des sentiments les plus outrés, est encore aujourd'hui la règle secrète du parti.

13. Dans sa Réponse latine à M. l'archevêque de Paris qu'il voudrait bien nous cacher, quoiqu'à Rome il la distribue imprimée à ceux qu'il croit affidés, il ne cesse de répéter que ses « mémoires manuscrits étaient indigestes ; imprudemment, mal à propos et précipitamment dictés ; indigesta, incomposita, properè, prœposterè, incautè et inconditè dictata : » et qu'ils contenaient une matière informe et mal digérée : rudem indigestamque materiam. Dieu est juste : j'avais voulu de bonne foi m'ôter la preuve que me fournissaient les manuscrits de M. de Cambray : mais sa conscience le trahit, et ce qu'il en dit justifie assez tout ce que j'en ai raconté dans ma Relation.

14. Bien plus : contre sa pensée et contre la mienne, je l'avoue, ses propres lettres servent encore à le convaincre. Une bonne et sûre conduite, une conscience assurée et ferme, n'oblige jamais à consulter avec tant d'angoisse : à proposer « de tout quitter, et même sa place : de s'aller cacher pour faire pénitence le reste de ses jours, après avoir abjuré et rétracté publiquement la doctrine égarée qui l'aura séduit (3). » C'est ainsi que parle un homme qui

 

1 Rép. à la Relat., Conclus., p. 167. — 2 Ibid., chap. II, p. 47, etc. — 3 Mém. de Cambray, Relat. IIIe sect., N. 4.

 

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sent qu'il innove., et à qui malgré qu'il en ait, sa conscience reproche ses innovations. C'est ce que je vois, maintenant qu'il a égalé son obstination à son erreur : c'est ce que je ne voyais pas dans le temps que la soumission qui m'a trompé, lui cachait peut-être à lui-même son propre fond. Quoi qu'il en soit, s'il a voulu me surprendre par les plus fortes expressions, et avec le plus grand air de sincérité, n'est-il point peiné en lui-même du succès d'un tel dessein? Que s'il me parlait sincèrement, et qu'il eût véritablement dans le cœur tout ce qu'il montrait par de si vives expressions, pourquoi dans l'opinion que j'avais de lui, trouve-t-il si étonnant que je l'aie cru? ne puis-je pas lui rendre ses propres paroles, et lui répondre ce qu'il dit lui-même touchant madame Guyon ? « Il me parut que je voyais en elle ces marques d'ingénuité, après lesquelles les personnes droites ont tant de peine à se défier de la dissimulation d'autrui (1).» Pourquoi ne voudrait-il pas que j'aie cru voir en lui les mêmes marques? Veut-il dire qu'il était visible qu'il ne les avait pas ? N'est-ce pas là s'accuser lui-même en me voulant faire mon procès ? Mais il sait bien d'autres détours, et il est temps de découvrir plus à fond encore toutes ses adresses.

 

1 Rép., chap. I, p. 21.

 

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