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(INÉDIT.)
ARTICLE I. Que tout l'effort de M. de Cambray tend à justifier madame Guyon.
ARTICLE II. Excès et emportements de M. de Cambray dans ses derniers discours.
Tout le monde demeure d'accord
que la réponse de M. de Cambray à mes remarques n'a presque rien de nouveau que
la violence de ses expressions, qui se réfute par son propre excès : en sorte
que jamais livre ne mérita moins de réplique que celui-ci. Car encore que
l'auteur déclare dès les premiers mots qu'il me veut rendre plus inexcusable que
jamais à (1), loin d'alléguer contre moi de nouveaux faits qui aggravent les
fautes dont il m'accuse, il fait plutôt, comme on le va voir, un pas en arrière,
et relâche de la rigueur de l'accusation. Il ne fait cependant qu'enflammer et
aigrir, et il semble vouloir regagner par la véhémence de ses expressions ce que
la raison lui fait perdre. C'est ce que ses amis appellent une éloquence
tonnante, et le dernier effort de l'esprit humain. Pour moi, j'en ai en effet
avoué sans peine dans mes Remarques, qu'il « faisait de prodigieux
efforts et les plus grands peut-être qu'on eut jamais vus (2) ; » mais en même
temps malheureux, puisqu'il vaudrait bien mieux avoir une cause qui ne demandât
point de ces violences. Il les redoute cependant : mais pourquoi? J'ai honte de
le dire : c'est pour défendre plus que jamais madame Guyon, pour s'emporter
contre moi avec d'autant plus de hauteur que je donne de plus solides et de plus
sincères
1 Rép. aux Rem., p. 1. —2 Rem , avant-propos,
sur la fin.
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éclaircissements, et pour déguiser l'état de la question.
Voilà trois choses qu'il faut faire voir, avant que de finir cette dispute. Si
M. de Cambray persiste à dire que c'est une loi qu'il doit parler le dernier, où
l'a-t-il prise? Il ne dira pas du moins que je veux allonger l'affaire, en
écrivant après lui. Il voit qu'indépendamment de tous nos écrits on procède au
jugement : il est peut-être déjà résolu, peut-être déjà prononcé; et sans
vouloir prévenir cette décision, on verra bientôt, si je ne me trompe, que M.
l'archevêque de Cambray n'en augure rien de bon. Quoi qu'il en soit, dans un
dernier livre qui a suivi sa réponse à mes Remarques (1), il commence à
prévenir ses lecteurs sur ce qu'on doit croire, s'il est censuré, de moi et de
la doctrine que je lui oppose. Etrange précaution, je l'avoue ; et peut-être
qu'on ne la croira, tant elle est extraordinaire, qu'après avoir vu ses paroles
que je ne tarderai pas à rapporter (2). Mais enfin elle m'oblige à pourvoir non
pas à moi qui ai sacrifié tous mes intérêts à la vérité dès le commencement de
cette dispute, mais à l'Eglise, et à dissiper les impressions qu'il prétend qui
doivent rester par ses livres après sa censure.
Je commence mes réflexions par
cet endroit capital : M. de Cambray ne travaille que pour madame Guyon : c'est
là le vrai dénouement de son livre des Maximes des saints, et des autres
qui ont suivi ; c'est le désir de l'excuser et de la défendre qui lui a fait
inventer la distinction du vrai sens d'un livre d'avec l'intention de son
auteur. On lui a demandé ses auteurs sur cette distinction : sans en avoir nommé
un seul et sans en pouvoir apporter un seul exemple dans toute l'histoire de l'Eglise,
il persiste dans cette doctrine inouïe. Il n'en faut pas davantage pour la
condamner. Mais pour un plus grand éclaircissement, j'ajoute à toutes les choses
que j'ai proposées sur cette matière cette dernière réflexion.
1 Rép. de M. de Cambray à l'écrit de M. de Meaux,
intitulé : Quœstiuncula.— 2 Rép. aux Quœst., p. 54.
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Depuis que M. l'archevêque de Cambray excuse madame Guy on
contre le sens de son livre par un autre sens qu'elle avait dans son esprit,
apparemment il a dû savoir quel était ce sens ; il le doit savoir du moins à
présent, qu'il fait les derniers efforts pour soutenir la bonne intention d'une
femme dont tout le texte porte, comme il l'avoue, à l'impiété. Car je lui
demande quand il dit que dans son esprit elle donne à son livre un bon sens
qu'elle exprimait mal, et qu'en effet elle a blasphémé contre sa pensée, ou
c'est un bon sens indéterminé que lui-même n'a pas en vue, ou c'est un sens fixe
qu'il a eu dans l'esprit en écrivant. Dire le premier ce serait dire : Je ne
sais pas ce qu'a voulu dire madame Guyon, mais je sais qu'elle n'a pu se tromper
en elle-même, ou du moins qu'elle ne s'est point trompée, c'est-à-dire en autres
termes : A quelque prix que ce soit je veux la défendre, sans savoir si elle a
raison ni ce qu'elle a voulu dire. Est-ce ainsi que veut répondre M. de Cambray?
Ne lui imputons pas cette absurdité . il l'a démentie par ces paroles du Mémoire
que j'ai imprimé : « Je lui ai fait, dit-il, expliquer souvent ce qu'elle
pensait sur les matières qu'on agite; je l'ai obligée à m'expliquer la valeur de
chacun des termes de ce langage mystique dont elle se servait dans ses écrits.
J'ai vu clairement en toutes occasions qu'elle les entendait dans un sens
très-innocent et très-catholique. » Il ajoute : « Je dois selon la justice juger
du sens de ses écrits par ses sentiments que je sais à fond, et non pas de ses
sentiments par le sens rigoureux qu'on donne à ses expressions, et auquel elle
n'a jamais pensé (1). » Il a donc ce bon sens, ce sens catholique dans l'esprit;
et une femme qui a eu pour lui toute l'ouverture qu'il marque, ou
l'aurait dit à un tel ami, ou elle-même elle l’ignorait.
Poussons encore : Il est vrai
que M. de Cambray insinue dans sa réponse à ma Relation que « la bonne
opinion qu'il avait de cette personne ignorante, lui faisait excuser ses
intentions dans les expressions les plus défectueuses (2). » Ce qui semble
marquer indéfiniment une prévention favorable sans voir encore aucun sens
déterminé. Mais il n'en est pas demeuré là, puisqu'après
1 Mém. de M. de Cambray, Relat., p. 62, 63. —
2 Rép., p. 21.
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avoir observé que « par rapport au public, il laissait
l'examen rigoureux des deux livres de cette femme ( de son Moyen court et
de ses Cantiques), à son évêque, il ajoute incontinent ces termes précis
: « N'étant que prêtre, je croyais assez faire en tâchant de connaître à fond
ses vrais sentiments : je crus les connaître (1). » Il avait donc dans l'esprit
le sens fixe et déterminé qu'il voulait donner à ses livres selon l'intention de
l'auteur, pour s'empêcher de les condamner : que ne l'a-t-il dit depuis tant de
temps qu'il en parle ? Il savait ce sens, quand il a écrit le Mémoire; il
le savait, quand il a écrit sa Réponse à la Relation ; il ne l'a voit pas
oublié, quand il a écrit la Réponse aux Remarques. Pourquoi en taire un
mystère, et défendre toujours un auteur sur la bonne intention d'un sens qu'on
ne veut jamais expliquer?
Naturellement on doit penser que le bon sens qu'il prétend
donner aux livres de madame Guyon, est une illusion. Car s'il l'avait dans
l'esprit, il le dirait. Or est-il qu'il ne le dit pas, depuis tant de temps
qu'il se vante de l'avoir ; il ne l'a donc pas ; il amuse son lecteur. Peut-être
aussi que l'on pourrait rendre une autre raison de son silence. C'est que s'il
nous expliquait le bon sens qu'il donne à de mauvais livres, on verrait
qu'insensiblement il referait son propre ouvrage, et les Maximes des Saints.
Il paraîtrait par conséquent qu'il n'a fait ce livre que pour excuser madame
Guyon, et que c'en est, comme nous l'avons toujours soutenu, la fine et secrète
apologie.
C'est aussi le vrai secret de cette parole de son
Avertissement à la tête de ses Maximes des Saints : « Les mystiques,
s'ils veulent m'écouter sans prévention, verront bien que je les entends, et que
je prends leurs expressions dans la juste étendue de leur sens véritable. Je
leur laisse même à juger, si je n'explique pas leurs maximes avec plus
d'exactitude que la plupart d'entre eux n'ont pu jusqu'ici les expliquer (2). »
Voilà sans doute madame Guyon, dont ce prélat a écrit « qu'il savait mieux ce
qu'elle voulait dire que ses livres ne l'ont expliqué (3) » Sous ce nom général
de mystiques, il cache principalement la première des mystiques
1 Rép., p. 21 — 2 Max. des Saints, Avert.,
p. 28, 29. — 3 Mém. de M. de Cambray, Relat., p. 79,
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selon lui : celle à qui il a fait expliquer toute la valeur
des termes mystiques dans ses écrits ; celle dont il a su le sens véritable et
qu'il se vante, comme on vient de voir, de mieux entendre qu'elle ne s'explique.
S'il donne à cette mystique le
nom d'ignorante, ce n'est pas pour la dégrader, mais au contraire pour la
relever en disant dans sa Réponse à la Relation : « Je la crus fort
expérimentée et éclairée sur les voies intérieures ; quoiqu'elle fût fort
ignorante, je crus apprendre plus sur la pratique de ces voies en examinant avec
elle ses expériences, que je n'eusse pu faire en consultant des personnes plus
savantes (1), » etc. J'ai donc eu raison de dire (Rie selon M. de Cambray, elle
était de ces ignorantes dans lesquelles les voies parfaites étaient pour ainsi
dire si réalisées, qu'on les y voyait comme en celles qui sont enseignées de
Dieu par l'onction de son Saint-Esprit (2) : c'est à une telle ignorante qu'il a
prêté ses paroles, pour l'expliquer mieux qu'elle ne pouvait s'expliquer
elle-même.
En effet parcourons un peu les
dogmes de cette ignorante, et voyons quel commentaire en aura fait M. de Cambray
dans ses écrits. Il reconnaît et condamne dans les Faux mystiques « l'acte
simple et unique qui est permanent, qui n'a jamais besoin d'être réitéré et qui
subsiste toujours par lui-même, à moins qu'il ne soit révoqué par un acte
contraire (3). » Tel est l'acte d'abandon que Molinos, après Falconi et madame
Guyon après eux, a reconnu dans les mêmes termes. On voit cet acte dans le
Moyen court, puisqu'on y voit un acte toujours subsistant par lui-même, sans
qu'on doive le réitérer (4). Il est appelé du nom de consentement passif, et il
n'est actif qu'au commencement de la voie (5), où l'on se donne à Dieu à
perpétuité ; ce qui a aussi de soi-même un effet perpétuel. Cet acte est le
fondement du quiétisme. La lettre de Falconi où il établit cet acte dont il
paraît l'inventeur, est imprimée avec le Moyen court (6). C'est cette
lettre que suit Molinos de point en point. Chacun le sait : madame Guyon marche
sur ses pas. M. de Cambray qui condamne cette doctrine, quel bon sens peut-il
1 Relat. p 19. — 2 Rem., p. 32. — 3
Maxim., art. 25, faux. p. 182. — 4 Moyen court., § 22, p. 102,
103, etc. — 5 Ibid., § 24, p. 130. — 6 Ibid. p, 19,
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donner à son amie qui l'enseigne, et qu'à quelque prix que
ce soit il veut excuser? Quel bon sens, encore un coup, peut-il lui donner,
sinon celui qu'il suit lui-même, en substituant à la place de cette continuité
un équivalent (1), c'est-à-dire, comme porte la Déclaration des trois évêques,
une si grande uniformité qu'il « n'y a rien de marqué et qu'on croit ou ne faire
jamais d'acte ou n'en faire qu'un seul durant tout le cours de la vie, en ne
sentant qu'un seul mouvement, savoir celui qui est imprimé (2). »
Madame Guyon enseigne après
Molinos un abandon, une perte, « un renoncement à toutes inclinations
particulières, quelque bonnes qu'elles paraissent, sitôt qu'on les sent naître,
pour se mettre dans l'indifférence, et être indifférent pour toutes choses, soit
pour le corps, soit pour l'âme, pour les biens temporels et éternels (3). » M.
de Cambray n'ose soutenir ces paroles ; mais s'il y veut trouver un bon sens à
sa manière, ce ne peut être que celui qu'il a tâché de donner dans tout son
livre à la sainte indifférence; de sorte que, visiblement, c'est pour madame
Guyon qu'il travaille. Mais il n'y a rien de moins soutenable dans cette femme
que sa doctrine sur le sacrifice de soi-même et de son propre salut,
lorsqu'après avoir supposé que « l’âme parfaite entre dans l'intérêt de la
justice divine, consentant à ce qu'elle fera d'elle, et soit pour le temps ou
pour l'éternité en elle (4) ; » elle appelle ce sentiment qui enferme un
consentement à sa damnation, « les derniers renoncements et les plus extrêmes
sacrifices, où l’âme sacrifie à Dieu la répugnance qu'elle sentait au
dépouillement de sa propre justice (5). » Un peu après : « L’âme se relève par
un renouvellement d'abandon et une étendue de sacrifice (6). » Et enfin : « J'ai
levé, dit-elle, cette barrière par l'abandon le plus courageux et le sacrifice
le plus pur qui fût jamais : » cet abandon, « c'est d'avoir laissé le manteau si
cher de sa propre justice (7). » Ce n'est pas une fausse justice qu'elle
sacrifie, puisqu’elle avoue aussitôt après que « c'était son principal ornement.
» Indifférente pour sa justice et toujours prête à l'abandonner,
1 Maxim., p. 166, 201, 202, 230, 237, etc. — 2
Declar. trium episc., tom. XIX.— 3 Moyen court, § 6, p. 28. — 4
Cant. p. 99. — 5 Ibid., p. 115, 117. — 6 Ibid., p. 118. — 7
Ibid., p. 121.
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son salut ne lui peut plus tenir au cœur. C'est aussi ce
qu'elle explique à la fin en cette sorte : « Elle ne pourrait vouloir autre sort
pour elle ni pour autre quelconque que celui que cette divine justice lui
voudrait donner pour le temps et pour l'éternité (1). » Un peu après : « Elle
est indifférente pour le succès» (du désir de son salut ou de celui des autres)
: ce qu'elle conclut en disant qu'elle « est dans une si entière
désappropriation de toutes choses, qu'elle ne saurait plus arrêter un désir sur
quoi que ce soit, non pas même sur les joies du paradis (2). » On voit que cette
doctrine règne dans tout le Cantique, et on a vu la même chose dans le
Moyen court. On ne niera pas que Molinos n'ait dit au fond la même chose, en
ôtant toute pensée du salut avec toute soif de la justice éternelle; et je l'ai
démontré ailleurs (3). C'est ainsi qu'avec de belles paroles et sous prétexte de
conformité et d'abandon à la volonté de Dieu, d'amour désintéressé et de
sacrifice, on apprend aux chrétiens comme une perfection de perdre le soin de
leur salut ; et voilà le mystère d'iniquité qui se forme et se met en train de
nos jours, par ceux qu'on appelle quiétistes. M. de Cambray n'osera pas
approuver la doctrine de son amie ; mais pour excuser ses intentions, le sens le
plus innocent qu'il puisse donner aux sacrifices extrêmes de cette femme, est
celui du sacrifice absolu. Il n'y a rien qui s'accorde mieux que ces deux choses
: un sacrifice absolu de son salut sous le nom d'intérêt propre pour
l'éternité dans M. de Cambray, et dans madame Guyon un oubli de tout intérêt
autant pour l'éternité que pour le temps. Rien ne revient davantage aux derniers
renoncements de madame Guyon, à ses plus extrêmes et en même temps à ses plus
purs sacrifices, que dans M. de Cambray la conviction invincible qu'on est
justement réprouvé de Dieu. Il n'y a rien aussi de plus semblable au
dépouillement de sa propre justice, de ce manteau précieux, de ce
principal ornement, enseigné par madame Guyon, que cette conviction
invincible de l'avoir perdue sans ressource, qu'on trouve dans M. de Cambray.
L'acquiescement simple à sa juste condamnation de la part de Dieu chez M. de
Cambray ne diffère point du consentement que donne madame
1 Cant., p. 206. — 2 Ibid., p. 207.— 3
Quiet, red., sect. I, cap. I.
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Guyon à tout ce que Dieu ordonnera d'elle pour son salut ou
pour sa perte : ce qui induit à la fin à ne penser ni à l'enfer ni au paradis,
comme disait Molinos, et à ne se mettre non plus en peine que lui, ni de sa
perfection, ni de son salut, en cessant d'avoir soif de Dieu et de craindre de
le perdre.
C'est là que nous mène cette
indifférence à être heureux ou malheureux, que M. de Cambray établit partout
dans la volonté délibérée des parfaits : c'est, dis-je, là que nous mène ce
désintéressement de toute la béatitude, qui ne peut être pratiqué que par ceux
qui, à l'exemple de madame Guyon et de Molinos, sacrifient leur béatitude et y
sont absolument indifférents.
La source de l'indifférence de
Molinos et de madame Guyon est dans la conformité prétendue à la volonté de
Dieu, et l'excuse de cette doctrine est dans les désirs généraux qu'admet M. de
Cambray, pour toutes les volontés connues et inconnues de Dieu (1).
M. de Cambray semble corriger
madame Guyon en ce qu'elle paraît rejeter toutes les demandes ; mais comme elle
réserve celles que Dieu inspire lui-même, il revient à ce sentiment par la vertu
qu'il donne dans les parfaits à la grâce actuelle pour leur faire connaître la
volonté de Dieu à chaque moment, à chaque occasion, à chaque acte, par
conséquent et aux désirs et demandes comme aux autres.
Selon ces idées madame Guyon
exclut en général dans les parfaits tout acte de propre effort, de propre
industrie, de propre excitation ; ce qui est contraire à David et aux autres
saints lorsqu'ils disent : « Prévenons sa face (2), » etc. C'est la mauvaise
doctrine qu'enseigne madame Guyon. Pour la rectifier à sa mode, M. de Cambray se
contente de lui apprendre, non pas à exclure l’impression extraordinaire, mais à
l'appeler ordinaire en l'attachant à la grâce commune à tous les justes, à
condition toutefois, comme on vient de voir, d'attribuer à cette grâce la
faculté particulière de faire connaître aux parfaits la volonté de Dieu. Ce qui
ne fait que changer les mots, et revient au fond à la même chose.
L’exclusion que donne madame
Guyon aux attributs absolus et
1 Maxim., p. 61. — 2 Psal. XCIV, 2.
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relatifs, à Jésus-Christ, à ses mystères et à sa sainte
humanité dans la haute contemplation, visiblement a donné lieu aux distinctions
de M. de Cambray sur ce sujet et fournissent à madame Guyon la seule excuse,
quoique fragile, qu'on puisse trouver à ses excès tirés de Molinos et des autres
quiétistes.
Elle est toujours, après Molinos
et les autres faux mystiques, ennemie des actes réfléchis, qu'elle appelle dans
les parfaits, se chercher et se reprendre soi-même, après s être quitté
par l'acte direct d'abandon. M. de Cambray, qui n'ose ôter aux parfaits les
actes réfléchis à l'exemple de ces faux docteurs, fait deux choses par où il
revient à leur sentiment : l'une, de réduire les réflexions aux actes qui sont
ou expressément commandés à certains moments, le nombre desquels est petit, ou
inspirés par l'impression de cette grâce actuelle, qui, selon lui, fait
connaître aux parfaits en particulier la volonté de Dieu sur eux ; l'autre
encore plus pernicieuse, qui est de renvoyer les réflexions à la partie
inférieure, pendant qu'il met précisément « la supérieure dans l'opération
directe et intime de l'entendement et de la volonté (1). »
Madame Guyon en général peu
favorable à la mortification, « qui met, selon elle, les sens en vigueur et
irrite les passions loin de les amortir ou de les éteindre (2) » trouve de quoi
vérifier sa maxime, du moins dans le cas particulier des tentations, où selon M.
de Cambray la mortification tant l'intérieure que l'extérieure sont absolument
inutiles (3).
Selon madame Guyon, « les
actions vertueuses, quoique faites avec la grâce de Jésus-Christ, » sont des
actions imparfaites (4). Le nom de vertu est odieux : « Une âme parfaite est
incapable d'user de quelque parole d'humilité, parce qu'elle n'a qu'une seule
affaire qui est la recherche de son bien-aimé (5). » Comme si ce n'était pas à
la sainte Vierge une parole d'humilité que de dire : « Voici la servante du
Seigneur (6) ; » ou qu'elle se soit relâchée dans ce moment de la recherche de
Dieu. C'est ce qui lui fait établir « comme une maxime qu'on ne pratique jamais
plus fortement la vertu, que lorsqu'on ne pense pas à la vertu en
1 Maxim., p. 14, 114, 118, 122. — 2 Moyen court,
§ X, p. 38. — 3 Maxim., p. 144, 145. — 4 Moyen court., § 21, p.
88. — 5 Cant. — 6 Luc, I, 38.
441
particulier (1). » l’a-t-il rien de plus semblable à cette
maxime que celle de M. de Cambray, « qui fait exercer les vertus sans penser
qu'elles sont vertus, et qui empêche d'en vouloir aucune en tant que vertu (2) ?
»
On sait que je pourrais
rapporter beaucoup d'autres maximes de madame Guyon également pernicieuses et
auxquelles M. de Cambray trouve un bon sens, comme à celle-ci dans son livre des
Maximes ; je ne dois pas ici m'attacher à réfuter ses solutions, je l'ai
fait ailleurs, et je n'ai maintenant qu'un seul mot à dire. Lorsqu'on écrit
durant la vigueur d'une hérésie, et en traitant la même matière, on doit éviter
soigneusement non-seulement les sentiments de ceux qui l'établissent, mais
encore les locutions semblables ; et il ne faut point réduire sa différence
d'avec eux dans de prétendus correctifs qui sont presque toujours des
inconséquences et des contradictions, ni même à des choses fines qu'on
n'aperçoit qu'avec des efforts extrêmes, quand à force de les alambiquer on les
trouverait en quelque façon soutenables.
Les maximes qu'on vient
d'entendre règnent dans tous les livres de madame Guyon.
C'est en vain que M. de Cambray
nous veut faire accroire « qu'une femme si ignorante, » comme il affecte de la
nommer, n'a point de système suivi. C'est parler contre le fait évident. Soit
par sa propre industrie, soit par le secours de ses directeurs, ses livres
n'ont... par des principes dont la liaison est bien connue (a) ; et s'il
y a un sens mauvais qu'il faille excuser avec M. de Cambray, il faut que ce sens
soit perpétuel dans ses livres.
Il faut ici examiner une
altération de son texte, dont m'accuse M. de Cambray sur le terme de
perpétuel. Voici les paroles qu'il me reproche : « Peut-on distinguer
l'intention d'un auteur d'avec le sens naturel, unique et perpétuel de son livre
? Ce terme perpétuel,
1 Moyen court., § 9, p. 36. — 2 Maxim., p.
224, 225.
(a) « On prendra garde, dit une note tracée sur le
manuscrit, à quatre ou cinq endroits où le sens n'est point parfait. » Nous
avons ici le premier de ces passages. Bossuet voulait manifestement dire, ceci
ou l'équivalent : « Soit par sa propre industrie, soit par le secours de ses
directeurs, ses livres n'ont rien » de contradictoire, et cette ignorante se
distingue « par des principes dont la liaison est bien connue. »
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me dit-il, est de vous et non pas de moi (1) ; c'est,
poursuit-il, une altération (2). » Mais voyons donc une bonne fois à quoi M. de
Cambray donne ce titre. Et d'abord il est constant que je rapporte ses propres
paroles, sans y changer un seul mot. C'est lui qui, dans sa Réponse à la
Relation, a ainsi défini le sens d'un livre : « Le sens d'un livre, dit-il,
est celui qui se présente naturellement en examinant tout le texte (3). » J'ai
rapporté ces propres paroles, où je prie que l'on remarque ces mots : « Tout le
texte. » J'ai encore récité de mot à mot ces paroles : « Le sens véritable,
propre, naturel et unique, pris dans toute la suite du texte et dans la juste
valeur des termes (4). » Remarquez encore ces mots : « Dans toute la suite du
texte et que j'ai nommé sensus obvius, en ajoutant : naturalis (5)
» Voilà les paroles de M. de Cambray fidèlement rapportées dans mes Remarques,
sans y changer un mot. Il est vrai, j'en ai conclu dans la suite que le sens
d'un livre de cette nature règne partout, puisqu'on le trouve partout dans la
liaison de tout l'ouvrage, ou la racine ou les branches, ou les principes ou les
conséquences. C'est ce qu'on appelle un sens perpétuel, ou en d'autres termes
avec M. de Cambray, un sens tiré « de tout le texte : un sens unique pris dans
toute la suite du texte. » Je ne sache point d'autre sens perpétuel que celui-là
: c'est celui que j'ai dit qu'on ne peut jamais séparer de l'intention de
l'auteur. Où est donc l'altération tant reprochée par M. de Cambray? Est-ce une
altération du texte de ce prélat, que d'en tirer une conséquence, ou plutôt d'en
marquer un équivalent, après l'avoir rapporté de mot à mot? Et cet exemple seul
ne suffit-il pas pour conclure qu'on ne doit pas croire qu'il soit blessé,
toutes les fois qu'il se plaint?
« Mais qu'y aurait-il
d'étonnant, dit ce prélat, qu'une femme ignorante dans la théologie, sans penser
l'impiété, l'ait exprimée dans ses écrits (6). » Voilà proprement donner le
change, et dissimuler la difficulté que j'ai proposée. Il est question de savoir
si dans tout un livre où l'on agit par principes, il peut arriver
1 Rép. aux Rem., p. 32. — 2 Rem., p. 193.— 3
Rem., p. 55 ; p. 75. — 4 Rép. à la Relat., p. 56; Rem., p
76. — 5 Rem., p. 76, 77. — 6 Rép. aux Rem., p. 26, 27, 31, 33.
443
qu'avec une intention toujours innocente on puisse trouver
le moyen d'exprimer un sens suivi et perpétuel qui soit impie.
Est-ce là l'effet du hasard ou
du dessein? M. de Cambray veut-il soutenir que l'ignorance le puisse produire ?
Est-ce là ce qu'il appelle « une règle reçue dans toute l'Eglise (1) ?» Où
trouve-t-il cette règle? Voilà quelle était ma difficulté. M. de Cambray, sans
la toucher, fait néanmoins semblant de répondre. Comment veut-il qu'on appelle
un tel détour? Pour moi, je n'ai plus de termes pour en expliquer l'artifice.
Par là on sauve un livre qu'on fait semblant de vouloir condamner. On y veut
trouver un bon sens malgré tout le texte, on établit la liberté d'expliquer en
un bon sens tous les mauvais livres. On en élude la condamnation : on élude
celle des auteurs les plus condamnables. Quand tout un concile ordonnerait à M.
Cambray : Apertè, apertè die anathema Nestorio : avec cette adresse, il
pourrait encore les sauver par l'intention, sans qu'on le pût jamais convaincre.
Molinos n'est pas moins à couvert que madame Guyon. M. de Cambray croit se
sauver en disant que la mauvaise intention de ces hérésiarques est trop connue
par leurs œuvres. Mais s'il en vient d'assez hypocrites pour couvrir entièrement
leur iniquité, ne pourra-t-on les pousser à bout par leurs livres seuls, quelque
mauvaise qu'en soit toute la suite? Sera-t-il dit qu'un archevêque leur fournira
une défense invincible, des armes impénétrables? Le souffrira-t-on dans l'Eglise
? Me tairai-je? Ou à ma grande douleur, faudra-t-il que j'aie à combattre un tel
dogme dans un tel prélat, et que ce travail me soit réservé dans mes vieux jours
? Mais laissons ma peine, dont le public n'a que faire. Parlons du péril de
l'Eglise. Peut-on n'en être pas inquiété ? Peut-on voir un tel subterfuge
présenté aux hommes artificieux par un prélat si capable de se faire tant de
partisans par son éloquence et par son autorité ? Espérons du moins, pour nous
consoler, que sa soumission future fera oublier toutes ses vaines excuses.
Quoi qu'il en soit, j'ai prouvé
tout ce que j'avais promis de prouver dans ce chapitre. Il a paru clairement
dans le fait que M. de Cambray attribue à madame Guyon dans ses livres une
1 Rép. à la Relat., p. 55 ; Rép. aux Rem., p.
26.
444
intention qu'elle ne peut avoir eue en les écrivant, et
qu'il les défend en effet, quelque semblant qu'il fasse de les condamner. Mais
ce qu'il y a de plus essentiel, c'est que pour défendre cette seule femme, il
fournit des armes à tous les livres et à tous les auteurs contre l'Eglise qui
les voudrait condamner.
Il faudrait régulièrement
s'arrêter là, sans prolonger une dispute ennuyeuse. Mais la nécessité de mettre
au jour les manières de M. de Cambray, m'oblige à examiner par abondance de
droit une seconde falsification qu'il m'a objectée. « Vous donnez, dit-il, en
lettres italiques les paroles suivantes, comme de mon texte : M. de Meaux
devrait dire qu'on pourrait conclure du texte de madame Guyon, des erreurs
qu'elle n’avait pas eu intention d'enseigner (1). Sur cela M. de Cambray
s'écrie : « Etrange effet d'une habitude enracinée ! Vous ne pouvez plus vous
passer d'altérer mon texte, » etc. Après ces terribles paroles où l'on me
reproche une habitude si enracinée d'altérer le texte que je ne puis plus m'en
passer, si je ne suis pas le plus hardi falsificateur qui fût jamais, M. de
Cambray se trouvera être le plus injuste des accusateurs. Que le lecteur ne
réponde point que la chose au fond est peu importante ; le fût-elle cent fois
moins, il n'est pas indifférent de savoir si je suis effectivement falsificateur
par une habitude enracinée, ou si c'est M. de Cambray qui affecte de me
décrier. « Voici, dit-il, mes vraies paroles : Si M. de Meaux n'eût fait que
condamner les livres de cette personne, en disant qu'on pouvait conclure de son
texte des erreurs qu'elle n'avait pas eu intention d'enseigner, il aurait parlé
sans se contredire et conformément à l'acte de soumission qu'il avait dicté (2).
» M. de Cambray me montre donc ce qu'il fallait que je dise pour parler
conséquemment. Je veux prouver que c'est lui-même qui se contredit, en me
conseillant de dire ce qu'on vient d'entendre. Dans ce dessein, voyons où
consiste cette horrible falsification dont il m'accuse. « Voici, dit-il, mes
vraies paroles. » Je l'avoue, et ce sont aussi celles que j'ai récitées de mot à
mot. Il n'y a qu'à ouvrir le livre, c'est dans la page 79 des Remarques
que j'ai, dit-on, altéré le texte. Mais c'est dans cette même page que j'ai
rapporté
1 Rép. aux Rem., p. 28 ; Rem., p. 79. — 2
Ibid., p. 29.
445
ses vraies paroles. Qu'on lise cet endroit de mon livre, on
y trouvera ces paroles de M. l'archevêque de Cambray, tirées de sa Réponse à
ma Relation : « Si M. de Meaux n'eût fait que condamner le livre de cette
personne (1), » et le reste comme il vient lui-même de le réciter, sans y
altérer le moindre trait. Il n'y a donc point d'altération, et cette grande
accusation s'en va en fumée.
Six lignes après dans la même
page, où l'on a toujours devant les yeux cette objection fidèlement rapportée,
je l'abrège un peu et j'en prends le sens pour faire voir à M. de Cambray qu'il
se contredit; voilà cette altération pour laquelle il pousse les clameurs qu'on
vient d'entendre.
Mais il soutient qu'il ne s'est
pas contredit. A la bonne heure ; quand cela serait, ce qui n'est pas, il
prouverait donc tout au plus que j'aurais fait un faux raisonnement; et
cependant je demeurerais à couvert de l’habitude invétérée de l'altération, dont
on fait de si grandes plaintes. Mais encore n'est-il pas vrai que j'ai mal
raisonné. Ce que M. de Cambray voulait que je dise, c'est qu'on « pouvait
conclure du texte de madame Guyon des erreurs qu'elle n'avait pas eu intention
d'enseigner. » Mais si M. de Cambray demeure d'accord qu'elle ne manifestait pas
son intention, comment pouvais-je la conclure autrement que par des
conséquences? Je n'avais point, comme lui, examiné madame Guyon pour juger de
ses écrits par ses intentions, plutôt que de ses intentions par ses écrits ; je
ne pouvais juger des écrits que par eux-mêmes. M. de Cambray convient qu'ils
sont censurables dans leur propre sens naturel, qui se présente d'abord. Je ne
pouvais plus seulement songer à justifier madame Guyon, qu'en renversant ce
principe. Ainsi M. de Cambray se contredisait, et me voulait faire favoriser son
amie plus que ses propres principes ne le permettaient.
« Mais quoi? dit-il, quand je
dirai par exemple que de la confession de foi des protestants, il résulte et on
conclut l'erreur de l'absence réelle, s'ensuivra-t-il que je prétende que
l'absence n'y est que par des conséquences (2)? » Il se trompe en tout dans cet
exemple : ni on ne dira « qu'il résulte et qu'on peut conclure
1 Rem., p. 79; Rép. à la Relat., p. 69.— 2
Rép. aux Rem., p. 29.
446
l'absence réelle » de la confession des protestants, mais
seulement qu'elle y est expressément et formellement enseignée ; ni l'exemple
n'est à propos, puisque les bonnes intentions de madame Guyon qu'on veut me
faire avouer contre le texte, supposent le texte ambigu contre la supposition,
et me voilà réduit à deviner ou à me jeter dans des conséquences pour connaître
tant le sens du livre que les intentions de l’auteur.
Que deviennent donc ces
reproches d'habitude enracinée de falsifier, sans laquelle je ne puis plus
vivre? Sont-ce des injures? M. de Cambray n'en dit jamais, et « il n'oppose que
des raisons à des duretés. » Que sera-ce donc, sinon de vaines clameurs par
lesquelles ou l'on veut imposer au monde, ou en tout cas lui faire pitié en se
plaignant sans sujet?
Il est fâcheux, je l'avoue,
d'entrer dans ces minuties ; mais l'on nous y force, puisqu'on en veut faire
dépendre une cause aussi grave que celle-ci. M. de Cambray veut qu'on en juge
par mes falsifications, et il ne cesse de s'écrier à la fausseté, à
l'altération. Il fallait donc une fois lui fermer la bouche, et faire sentir au
lecteur par quelques exemples, que plus il a tort, plus il augmente ses cris.
C'est encore une autre dispute de même nature, que celle où je vais entier pour
l'instruction du lecteur.
M. l'archevêque de Cambray se
trompe en disant qu'il ne veut rien avancer sur les bonnes intentions de madame
Guyon, que ce que j'en ai approuvé moi-même, quand je lui ai donné acte de sa
déclaration, qu'elle n'a jamais eu intention de rien enseigner contre la foi de
l'Eglise catholique (1). C'est autre chose de dire, comme fait M. de Cambray,
qu'elle n'a eu aucune erreur contraire à la foi ; ou de dire comme je fais, «
qu'elle n'avait pas un dessein formé d'écrire contre l'Eglise : c'était
faiblesse : c'était ignorance (2); » c'était, si l'on veut, une déférence trop
aveugle pour des directeurs qui la trompaient sous prétexte de piété. On me dit
: Elle ne pouvait pas ignorer l'impiété manifeste des dogmes monstrueux qu'on
lui veut faire enseigner (3). Sans doute il faudra penser qu'elle n'a pas voulu
enseigner le dogme prodigieux de la
1 Rép. aux Rem., p. 27, 33, 39; Rem., p. 38.
— 2 Rép. aux Rem., p. 39. — 3 Ibid., p. 27, 35.
447
continuité des actes, ni des sacrifices extrêmes où l'on
abandonne sa propre justice et son principal ornement, ni les autres dogmes
qu'on a remarqués. Leur excès servira d'excuse à l'intention de celle qui les
avance ; et malgré l'Evangile il ne faudra plus la juger par ses paroles : Ex
ore tuo, même prises dans leur sens unique, et encore dans toute leur suite.
Mais vous la faites, me
dira-t-on, ou trop savante, ou trop ignorante ; et vous contrariez vos propres
discours. Vous la faites une ignorante qu'il faut excuser : vous la faites « un
auteur profond, qui embrasse des systèmes et qui fait des enchaînements de
principes (1), » Je réponds : Qu'y a-t-il là de contraire? Elle est ignorante
dans le fond, mais séduite par des directeurs qui savaient couvrir toutes choses
de belles couleurs. Elle s'est laissé entraîner à leur autorité et à la suite
apparente et spécieuse des principes qu'ils lui proposaient.
Elle errait donc et grièvement :
et même son ignorance ne l'excuse pas tout à fait ; mais comme elle paraissait
docile et soumise, on imputait ses erreurs plutôt à ses guides qu'à sa malice
déterminée. Ce n'est pas là ce que veut M. de Cambray. Il veut effectivement la
rendre innocente des erreurs qu'on trouve dans le sens unique et perpétuel de
son texte, c'est-à-dire dans toute la suite de son livre. Il est donc plus clair
que le jour qu'il ne veut qu'amuser le monde, lorsqu'il allègue mon exemple.
Aussi a-t-il bien senti qu'il
fallait dire autre chose pour se justifier, en récriminant contre moi ; et c'est
ce qui lui a fait inventer cet acte dont j'ai démontré la fausseté. Voyons
l'état du procès qu'il entreprend contre moi.
Supposons d'abord qu'ici M. de
Cambray est accusateur et par conséquent selon le premier principe de toute
récrimination, comme de toute accusation en général, que c'est à lui à prouver.
Supposons en second lieu que si
celui qui doit prouver ne donne que des détours au lieu de preuves,
non-seulement il perd sa cause, mais encore il fait illusion à la bonne foi.
Cela supposé, je raisonne ainsi : M. l'archevêque de Cambray, pour me convaincre
d’être coupable de la même faute dont je l'accuse, c'est-à-
1 Rép. aux Rem., p. 27, 35.
448
dire d'excuser les erreurs connues de madame Guyon, me
produit un acte faux : c'est ce que je mets en fait dans mes Remarques; et je
soutiens que cet acte allégué positivement par cet archevêque est inventé d'un
bout à l'autre. Sur cet acte faux est fondée plus de la moitié de ma réponse à
ma Relation : sur cet acte faux est fondée l'accusation de M. l'archevêque de
Cambray, que j'ai donné le Saint aux chiens, c'est-à-dire la communion à une
personne qui selon moi en était indigne, et que je l'ai fait mentir au
Saint-Esprit, quand je lui ai fait répondre devant moi et contre sa conscience
qu'elle n'avait eu aucune erreur; c'est ce que M. de Cambray a répété trente
fois dans sa Réponse à ma Relation et dans sa Réponse aux Remarques.
Voilà de quelle importance est l'acte que ce prélat m'a supposé. Je le somme, je
l'interpelle sous les yeux de Dieu, ou de produire cet acte s'il l'a en main, ou
de le désavouer et d'abandonner l'accusation s'il ne l'a pas. Il ne veut faire
ni l'un ni l'autre : il ne veut donc satisfaire ni à ce que demande la vérité
qui est de montrer son acte, ni à ce que demande la bonne foi, qui est d'avouer
qu'il n'en a point et de renoncer à l'accusation qui n'a point d'autre
fondement.
Ecoutons néanmoins ses paroles :
« Ne dites plus que c'est à moi à produire cet acte : vous savez bien en votre
conscience que je ne puis l'avoir (1). » Pourquoi donc l'alléguez-vous, pour me
convaincre devant le public d'un crime atroce ? « Quand vous me défiez,
continuez-vous, de le produire, c'est un jeu indécent. » C'est donc un jeu
indécent à un homme que vous accusez devant le public, de presser son accusateur
de produire les instruments de sa preuve, à peine de se déclarer calomniateur.
« Vous oubliez, ajoutez-vous, ce
que vous avez dit vous-même (2). » Il est vrai, j'ai dit moi-même que madame
Guyon s'étant soumise volontairement à mes instructions sur son Oraison et sur
ses livres, et s'étant rendue pour cela dans un monastère de mon diocèse, avait
souscrit à la condamnation des livres où son Oraison était expliquée comme
contenant une mauvaise doctrine. C'est un fait que j'ai énoncé dans les Etats
d'Oraison, que j'ai répété dans la Relation, que j'ai confirmé dans
les Remarques. Vous
1 Rép., p. 57. — 2Ibid., p. 37.
449
alléguez un autre acte que vous me faites approuver, et
vous répétez cent fois que je l'ai dicté moi-même à cette femme, qui m'y déclare
à moi-même, avec mon approbation, qu'elle n'a jamais eu aucune erreur. Sans cet
acte, vous ne pouvez rien. Vous avouez que vous n'avez point cet acte, vous
avouez donc que votre preuve vous manque, et que votre accusation est
calomnieuse.
Vous continuez à me parler en
cette sorte : « Vous savez bien que je ne puis avoir qu'une copie de cet acte :
vous me demandez si j'en ai une expédition, c'est-à-dire une copie que vous ayez
expédiée sur l'original. Je ne sais point comment elle a été faite . je sais
seulement qu'elle vient d'un ami des parents de madame Guyon (1). » Vous ne
savez pas, dites-vous, comment cette copie a été faite? mais vous savez bien du
moins, si c'est une copie que j'ai expédiée sur l'original. C'est sur quoi on
vous presse de répondre : on voit bien que vous n'avez point de telle copie ;
car vous le diriez et je serais convaincu. Au lieu d'une copie que j'ai
attestée, vous en alléguez une autre dont vous n'osez dire qu'elle vienne de
madame Guyon ni de ses parents : « Elle vient d'un ami de ses parents. » C'est
sur une pièce de cette sorte, aussi informe, aussi vague, que vous faites le
procès à un confrère ; que vous lui soutenez devant Dieu et devant les hommes,
qu'il a donné le Saint aux chiens. Quoi ! parce que je ne sais qui, ou madame
Guyon si vous voulez, car vous ne le dites pas, aura écrit ce qu'il lui a plu,
et qu'un ami des parents de cette femme aura remis un acte de ce fond et de
cette forme entre les mains de M. de Cambray : sans autre fondement, sans autre
pièce, un évêque sera coupable d'une sacrilège prévarication ! Depuis quand
est-il permis de se jouer en cette sorte de la foi publique?
Je ne veux rien oublier de ce
qu'allègue M. de Cambray pour sa justification. Il ajoute donc : « Si cet acte
est supposé, du moins je l'ai produit de bonne foi (2). » Mais la bonne foi
demandait qu'il put servir à la preuve de l'accusation intentée devant le
public; cette preuve consistait à faire voir que j'avais non-seulement approuvé
cet acte, mais encore que je l’avais dicté moi-même ; il fallait donc qu'il fût
du moins autorisé de ma signature ; je n'ai
1 Rép., p. 59. — 2 Rem., p. 58.
450
reçu aucun acte des soumissions de madame Guyon où je n'aie
signé avec elle comme l'ordre le demandait. Mais un acte quelle aurait fait
seule, quand on voudrait le supposer, ne prouve rien contre moi, puisqu'on n'ose
pas même avancer que j'y sois intervenu en aucune sorte. Il ne peut donc être
allégué que pour imposer au inonde, et la lionne foi devait obliger à le
supprimer, loin d'en faire un titre d'une accusation si outrée.
« J'ai eu raison, continue M. de
Cambray, de supposer sur les témoignages de ceux qui me l'ont donné, que cet
acte était véritable ». » Mais a-t-il eu raison de supposer sur le témoignage de
qui que ce soit, que je fusse intervenu dans cet acte, où ma seule signature
qu'on n'y voyait pas, pourrait faire foi, et sur cela de m'accuser d'avoir
profané les mystères et trahi la vérité et ma conscience ?
Mais voici un autre tour d'esprit : « On m'a trompé, »
dites-vous, ce sont les paroles que m'adresse M. de Cambray; « eh bien, si on
m'a trompé, détrompez-moi ; je ne demande qu'à être détrompé. Si vous avez tant
de zèle pour me tirer de l'erreur, produisez cet acte sur lequel vous assurez
qu'on m'a imposé : envoyez-le à Rome en original ; j'y ai déjà envoyé de
l'écriture de madame Guyon qu'on pourra comparer avec cet écrit. Avant que de
faire partir cet original, faites-le montrer à madame Guyon par MM. l'archevêque
de Paris et l'évêque de Chartres, par le P. de la Chaise et par M. Tronson. Ces
témoins ne doivent pas vous être suspects. Que ces quatre personnes fassent lire
à madame Guyon son acte : qu'ils lui fassent reconnaître son écriture ; qu'elle
avoue par écrit que c'est son propre acte ; qu'elle déclare en termes exprès
qu'elle ne vous en a jamais donné aucun autre, où elle ait dit qu'elle n'a eu
aucune des erreurs, etc. Et que ces quatre personnes fassent ensemble sur ce
fait un procès-verbal signé d'eux. Voilà la vraie manière d'éclaircir pleinement
le fait. Toute autre laisse de violents soupçons contre vous (2). »
Quel embarras, je ne dirai pas
de discours, mais de procédures, pour éviter de répondre à la plus simple comme
la plus nécessaire de toutes les questions, qui est celle-ci : M. de Cambray
1 Rem., p. 58. — 2 Rép., p. 56.
451
a-t-il prouvé son accusation, et a-t-il produit l'acte par
lequel seul il l'a établie? Qui veut nettoyer les affaires, n'en doit jamais
perdre de vue l'état primitif. M. de Cambray veut faire oublier qu'en m'accusant
d'un crime énorme devant le public, il s'obligeait à la preuve ; et que dès
qu'il demeure court, sans autre raisonnement, il est manifestement faux
accusateur. Ainsi tout ce long discours ne tend qu'à embrouiller une chose
claire, et qui ne consiste qu'en un seul mot.
Voyons néanmoins si son procédé
est sincère : « Je ne demande, dit-il, qu'à être détrompé. » Mais tout le monde
voit comme moi si c'est vouloir l'être, de ne me laisser pour détromper M. de
Cambray qu'un procès immense à la cour de Rome contre madame Guyon, avec
laquelle je n'en puis jamais avoir aucun. Elle est venue, sans que je songeasse
à la rechercher, me consulter sur son Oraison et sur ses livres : elle a voulu
d'elle-même se mettre dans un monastère de mon diocèse, pour faciliter cette
instruction paternelle et y donner plus d'autorité ; je l'ai instruite, elle
s'est soumise comme elle l'avait cent fois promis et de vive voix et par écrit;
elle a fait ses soumissions que j'ai signées avec elle dans un acte du 15 de
janvier, et un autre du 1er de juillet 1695. Est-ce là la matière d'un procès?
Ce sont actes de bonne foi s'il en fut jamais, les moins contentieux, les plus
volontaires qu'on puisse passer ; et sans les livres de cette femme qui
scandalisaient les fidèles, il n'en aurait jamais été parlé ; mais il a fallu
dire au public ce que demandait l'édification de l'Eglise. Madame Guyon a paru
soumise ; elle est passée en d'autres mains, et cette affaire est finie à mon
égard.
Sur une action, je le répète, si
volontaire, si peu contentieuse, si simple, le seul M. de Cambray (afin, dit-il,
« de le détromper et de le tirer de l'erreur ») me propose d'un ton sérieux un
vrai procès dans toutes les formes avec madame Guyon. « Produisez cet acte,
dit-il, sur lequel vous dites qu'on m'a imposé; envoyez-le à Rome en original :
J'y ai, dit-il, déjà envoyé de l'écriture de madame Guyon, qu'on pourra comparer
avec cet écrit. Nous voilà dans la Cour de Rome, à l'inscription de faux et à la
comparaison des écritures ! Peut-on croire qu'on parle ainsi sérieusement ?
452
Et si trop visiblement on se moque du public, ne craint-on
pas que le public ne se moque à son tour, ou plutôt qu'il ne déplore
véritablement l'illusion qu'on lui veut faire?
M. de Cambray n'omet rien pour
rendre ceci sérieux. « Avant que de faire partir mon original, il faut le faire
reconnaître à madame Guyon. » Et M. de Cambray nomme pour cela M. de Paris et M.
de Chartres. La foi d'un seul évêque ne suffit pas : il en faut deux : deux
évoques ne suffisent, il y faut joindre deux prêtres, le P. de la Chaise et M.
Tronson. On croirait du moins que M. de Cambray honorerait l'épiscopat : qu'il
songerait qu'un évêque est juge, et que sa signature fait foi, surtout en une
occasion où il s'agit d'une instruction, et de prononcer sur la participation
des saints sacrements; mais non : j'ai besoin de quatre certificateurs que M. de
Cambray m'a nommés lui-même. On me va faire mon procès dans les formes sur une
fausseté dont personne au fond ne m'accuse. On va procéder avant toutes choses
sur la connaissance des écritures. Il faut que madame Guyon avoue la sienne, car
je pourrais bien l'avoir falsifiée : il faut au reste qu'elle déclare « en
ternies exprès, qu'elle ne m'a donné aucun autre acte où elle ait déclaré
qu'elle n'a eu aucune erreur. » Car sans doute si elle le dit, elle eu sera crue
sur sa parole, ou bien M. de Cambray en fera informer ; et cet ,'acte qu'elle
prétendra m'avoir présenté, fût-il contraire à ceux qu'elle a signés avec moi,
les détruira. Cette procédure achevée, les quatre commissaires qui me sont
nommés d'autorité par M. l'archevêque de Cambray, enverront à Rome leur
procès-verbal bien signé d'eux quatre, car ce prélat a pourvu à tout : il n'a
oublié qu'à dire si le reste de l'instruction se fera à Rome ou in partibus.
Où se jugera le procès ? quelles parties seront appelées ? quelle action aura
contre moi madame Guyon quand elle m'aura fait déclarer faussaire par jugement
définitif? appellera-t-elle de mes instructions paternelles? mais que
deviendrai-je moi-même? où se donneront les trois sentences conformes? quelle
part aura M. de Cambray à ces procédures? Car encore « qu'il n'y ait, dit-il,
aucun intérêt que celui de la vérité » après tout c'est lui qui propose une
1 Rép., p. 57.
instruction si exacte de tout le procès, afin d'être
détrompé : sans quoi il sera en droit de me soutenir que j'ai donné le Saint aux
chiens, et que j'ai fait mentir au Saint-Esprit celle qui avait remis sa
conscience entre mes mains ! En vérité on est honteux de relever tant de
petitesses et de si basses chicanes ; mais enfin nous sommes contraint de les
examiner et même de les réfuter, du moins en les racontant, par la crainte que
nous avons que les infirmes ne se laissent prendre dans ces lacets qu'on leur
tend : Has nugas, car je puis bien les nommer ainsi, audire, et
discutere, et refellere cogimur. Tantùm timemus infirmis, ne intellectu tardiore
in vestros laqueos celeriter currant, comme disait saint Augustin (1).
Cependant on ne voit que trop de
si grossières finesses. Loin de chercher à vous détromper, on voit que vous ne
cherchez qu'à faire un procès. Vous voudriez pouvoir engager à Rome une
éternelle procédure. Mais quoi? M. de Cambray sait bien en sa conscience qu'il
n'en sera rien, qu'il n'en peut rien être; il ne peut donc proposer cette
procédure que comme une diversion pour l'aire oublier au lecteur qu'il demeure
court dans sa preuve et que son accusation est calomnieuse. M. l'abbé de Fénelon
était-il né pour jouer de semblables tours? D'ailleurs madame Guyon ne veut plus
avoir failli. Il lui fournit des moyens pour rétracter ses soumissions, si elle
pouvait. Il lui dicte ce qu'elle a à dire pour les éluder (2). Il prépare à Rome
en sa faveur la longue instruction à une inscription de faux qui tiendra tout en
suspens. Mais quoi? vous n'y avez point d'intérêt, vous l'avouez : il n'importe,
c'est l'intérêt de votre amie : vous en êtes comme le tuteur, et vous agissez en
son nom. Par l'effet du même dessein, vous prêtez (3) des interprétations
favorables à une réponse de cette femme que j'ai rapportée ou reprise «
précisément par une lettre de moi, » sur ces prodigieuses communications de
grâces, sur l'autorité de lier et de délier, sur les visions de l’Apocalypse et
les autres faits positifs de cette nature. Elle répète à chaque ligne : « Je me
suis trompée, j'accuse mon orgueil, ma témérité,
1 Lib. II Cont. Petit., cap. XCII, n. 209. — 2
Rép. aux Rem. p. 56. — 3 Ibid., p. 62.
454
ma folie, et remercie Dieu qui vous a inspiré de me retirer
de mon égarement : je renonce de tout mon cœur à cela, » et le reste que j'ai
transcrit de mot à mot dans mes Remarques (1). Quelque claires que soient
ces paroles, M. l'archevêque de Cambray saura les tourner en faveur de madame
Guyon : « Les Saints, dit-il, peuvent parler ainsi en général par humilité ;
mais quand on les presse sur un fait précis, ils n'avouent que ce que leur
conscience leur montre de leurs intentions (2). » Rien n'empêche par ce moyen
que madame Guyon ne soit une sainte, pendant même qu'elle confesse tant
d'égarements véritables. Elle n'est convaincue de rien par son aveu ; et il n'y
a qu'à admirer son humilité, qui met le comble à sa sainteté qu'on veut faire
admirer en elle. M. de Cambray ne vent pas voir que cette Réponse de madame
Guyon ne contenait pas un discours « en général : » c'était, comme on a vu, sur
des faits précis, sur lesquels elle était pressée, un aveu formel. Mais ce
prélat sait le style et les faux-fuyants du parti ; il en connaît les
mystérieuses désappropriations, par lesquelles on se dépouille et on se revêt de
tous les sentiments qu'on veut; il n'ouvre les yeux que sur ce qui flatte sa
prévention; et quoi que je puisse faire, j'aurai toujours tort. Ainsi ce serait
en vain qu'on travaillerait à de nouveaux éclaircissements, qui au lieu de
détromper ce prélat, ne feraient que multiplier les altercations et produire de
nouvelles chicanes. Le temps viendra peut-être que, pour confondre une secte
enflée d'une fausse spiritualité, il faudra non point indiquer au public ce qui
suffit à présent, mais lui montrer tout au long tous les actes, tous les écrits
et toutes les lettres justificatives des faits qu'on a avancés. Maintenant ne
détournons point l'état de la question : ne donnons point lieu à des diversions
: il s'agit uniquement de savoir si M. de Cambray a prouvé ou non le crime dont
il m'accuse, et s'il a produit l'acte qui seul le peut établir. Mais cette
unique question de notre dispute présente est vidée de son aveu : « Voilà,
dit-il, un grand nombre de choses qui font que je n'ai aucun besoin de l'acte
que vous désavouez et qui le rendent très-vraisemblable (3). » Il n'a point
besoin de vérifier un acte qu'on l'accuse
1 Rem. sur la Rép. à la Relat. — 2 Rép. aux
Rem., p. 62. — 3 Ibid., p. 63.
455
d'avoir supposé ! Après avoir épuisé son esprit à le
soutenir il reconnaît qu'il n'a que des vraisemblances ; c'est donc par des
vraisemblances, c'est-à-dire de son aveu par des conjectures, et dans le
fond par des riens, qu'il prétend convaincre un évêque dans l'accusation
outrageuse d'une sacrilège prévarication ! Pour éviter de répondre net sur une
si simple question, il veut que « je produise à Rome (1), » où personne ni ne
m'accuse ni ne me soupçonne : il veut, dis-je, que je produise sur un procès
qu'il n'oserait faire, sur une action de faux qu'il n'oserait intenter, et que
personne n'intente (a).... Je lui remets de bon cœur autant que je puis
la réparation qu'il doit à mon innocence après une accusation si odieuse, et je
le renvoie à sa conscience sous les yeux de Dieu.
L'endroit de la confession est
encore un autre cas dont je ne puis m'empècher de dire un mot, pour deux raisons
: la première, à cause des nouveaux faits qu'il avance dans sa Réponse
aux Remarques ; la seconde, à cause de ces paroles outrées de la même
Réponse : « Je crains bien qu'en souffrant tout ( sur cette accusation de la
confession révélée ), je n'accumule sur votre tète des charbons ardens. » On le
voit : après avoir épuisé les reproches les plus amers, il craint, trop facile
et trop endurant, qu'il n'ait eu trop d'indulgence pour moi ; et il veut que je
craigne encore quelque chose de plus funeste. Et que sera-ce, sinon une
accusation dans les forints? tant il est outré. Mais entrons un peu dans cet
examen: voyons comment il s'y pourrait prendre; la discussion n'en sera pas
inutile, puisqu'il est constant que m'ayant accusé devant le public, il n'est
pas moins obligé à la preuve qu'il ne le serait dans une procédure juridique;
voyons donc, encore un coup, comme il s'y prendrait, et supposons avant toutes
choses qu'il avoue en termes formels qu'il n'y a point eu de confession
auriculaire et sacramentelle (2). Cela supposé, je réduis la question à deux
points, dont le premier est : Si M. de Cambray en a donné l'idée à son lecteur
dans sa Réponse à la Relation, il l’a donnée manifestement par cet
endroit où il répète
1 Rép. aux Rem., p. 52. — 2 Ibid., p. 96.
(a) C'est ici un des passages signalés dans la note (a),
p. 441.
456
mes paroles que voici : « On a vu ( c'est moi qui parle )
dans une des lettres de M. de Cambray qu'il s'était offert à me faire une
confession générale : il sait bien que je n'ai jamais accepté cette offre (1). »
— « Et moi, dit M. de Cambray, je déclare qu'il l'a acceptée (2).» Donc l'offre
que j'ai acceptée, c'est celle que j'ai dit qu'il m'avait faite. Mais l'offre
que j'ai dit qu'il m'avait faite, est celle « de me faire une confession
générale : » c'est donc cette offre que j'ai acceptée, selon M. de Cambray. Mais
selon lui-même, dans son nouvel écrit, « quand on dit : faire une confession
générale, ces termes expriment naturellement le sacrement de la confession
(3). » Et c'est cela même que ce prélat me fait accepter. Il me fait donc
accepter ce qui « exprime naturellement le sacrement de la confession. »
M. de Cambray objecte ici que
j'avais mal expliqué sa lettre. Elle portoit : « Quand vous le voudrez, je vous
dirai comme à un confesseur tout ce qui peut être compris dans une confession
générale de toute ma vie et de tout ce qui regarde mon intérieur (4). » « Voilà,
dit maintenant M. de Cambray, un changement manifeste de mon texte auquel je
n'avais pas pris garde d'abord : je n'avais offert que de dire comme à un
confesseur; ce qui exclut évidemment la confession sacramentelle (5). » Quoi
qu'il en soit, je l'ai pris autrement. Mettons si l'on veut, que ce terme: dire
comme à un confesseur, exclut en effet la confession sacramentelle : il s'agit
de ce que j'ai entendu. J'ai entendu que dire, c'était dire, et non pas donner
par écrit; et que dire comme à un confesseur, c'était dire en confession. Que je
me sois trompé si l'on veut, et que je n'aie pas assez pénétré le sens des
paroles, ce sens est si naturel, que M. de Cambray l'a pris d'abord comme moi :
il en convient. Il faut donc prendre ces paroles, non dans le nouveau sens,
quand il serait véritable, que M. de Cambray y voit maintenant, et que d'abord
nous ne voyions ni lui ni moi ; mais dans le sens où tous deux nous l'avions
pris naturellement d'abord. Or pour M. de Cambray, ce sens exprimait
naturellement la confession sacramentelle : donc les paroles de ce prélat
1 Rép. à la Relat., p. 51. — 2 Relat., p. 45.
— 3 Rép. aux Rem., p. 96. — 4 Lettre de M. de Cambray, Relat., p.
34.— 6 Rép. aux Rem., p. 96.
457
exprimaient naturellement ce sens, et par conséquent elles
exprimaient naturellement une calomnie, puisque cette confession sacramentelle
ne fut jamais.
Cela supposé, venons maintenant
à la prétendue confession générale par écrit. Pour finir la question en deux
mots, je passe à M. de Cambray tout ce qu'il veut. Il m'a envoyé un écrit où
était la confession de toute sa vie. Je l'ai pressé de me le donner chez madame
la duchesse de Noailles qui n'en a rien ouï, puisque M. de Cambray ne le dit pas
(1). Mais enfin il a voulu circonstanciée J'ai eu envie de sacrer M. de Cambray
: jai eu envie de savoir sa confession ; et il n'y eut jamais homme plus curieux
de ces fonctions. Il n'en est rien, mais passons. C'est à moi seul : ce n'est
pas aux autres qu'il a donné cette confession, et ils ne l'ont eue que par mon
canal ; j'ai obtenu de M. de Cambray la permission de leur communiquer cet
écrit. Je nie tous ces faits; mais j'avoue qu'il ne serait pas impossible que
j'eusse communiqué quelques écrits à ces messieurs, comme ils m'en
communiquaient d'autres. Et ce qui est bien certain, c'est que nous n'avons
jamais rien reçu pour être particulier à aucun de nous. Quoi qu'il en soit, j'en
ai obtenu la permission de M. l'archevêque de Cambray : il le déclare et il
reconnaît mon exactitude dans le secret confié. J'ai parlé de cette confession :
Non, j'ai parlé d'une confession auriculaire sacramentelle et proprement dite.
Mais quand M. de Cambray m'en aurait fait une telle, il n'oserait dire que ce
soit révéler une confession, que de dire qu'on vous l'aura laite. Il faut
montrer qu’on en ait révélé les faits, ou du moins qu'on s'en soit servi. Mais
quel fait ai-je révélé? Le quiétisme de M. de Cambray? C'est ce qu'il prétend;
et s'il ne le prouve pas, il sera en cause très-grave, très manifeste
calomniateur. Mais que prouve-t-il? « Que vous avez (c'est lui qui parle )
averti toute l'Eglise que ce secret était oublié; c'est dans la Relation du
quiétisme, où je suis le Montan d'une nouvelle Priscille, que vous vous
faites un mérite d'oublier tout ce qui pourrait regarder des secrets de cette
nature, c'est-à-dire l'écrit d'une confession générales. » Voilà où vous
réduisez toute votre preuve ; et vous concluez que j'ai révélé
1 Rép. aux Rem., p. 99. — 2 Ibid.
458
que vous étiez quiétiste, et que j'insinue que vous me
l'avez confessé. Mais qu'on prenne garde où se résout cette preuve, c'est que
j'ai dit ces paroles dans la Relation du quiétisme : donc c'était du
quiétisme que je parlais. Mais qu'on relise l'endroit : on verra que je n'y fais
mention ni de quiétisme, ni de Priscille, ni de Montan, ni de rien qui en
approche (1). C'est peut-être aussi que l'on ne traite jamais dans un livre des
affaires incidentes: et qu'à cause que je faisais la Relation du quiétisme,
je n'ai pu parler d'autre chose. On ne le peut dire; car après tout, voyons en
quels ternies on m'avait offert cette confession générale. Les voici dans la
lettre en question : « Quand vous le voudrez, je voue dirai comme à un
confesseur tout ce qui peut être compris dans une confession générale de toute
ma vie et de tout ce qui regarde mon intérieur. » M. de Cambray ne veut pas
réduire tout son intérieur au quiétisme. Il s'agissait en général de toutes ses
dispositions bonnes ou mauvaises, ou indifférentes, qui pouvaient servir à
connaître son état. Ecoutons encore ce que dit ce prélat dans sa Réponse à la
relation : « M. de Meaux va jusqu'à parler d'une confession générale que je
lui confiai, et où j'exposais comme un enfant à son père toutes les grâces de
Dieu et toutes les infidélités de ma vie (2). » N'y a-t-il que le quiétisme qui
soit entériné dans des clauses si universelles? Et moi aussi en conformité de
ces expressions si générales de M. l'archevêque de Cambray, j'ai parlé en
général « de tout ce qui pourrait regarder des secrets de cette nature sur les
dispositions intérieures de ce prélat comme d'une chose oubliée (3) : » — «ce
qui comprend indifféremment, comme je l'ai remarqué ailleurs, tout le bien et
tout le mal. » Où est là le quiétisme? M. de Cambray l'y amène par violence : et
il n'y est en aucune sorte que dans le soupçon qu'il pouvait donner malgré moi
et de lui-même, qu'il a confessé en effet ce qu'il m'accuse d'avoir révélé dans
sa confession.
— Mais je me fais un mérite
d'avoir oublié quelque chose. —Je ne me fais point un mérite; je dis un fait
véritable, qui est que j'ai oublié tout ce qu'il peut m'avoir dit durant toutes
nos conversations, qui m'obligeât à un secret de cette sorte. Et si M. de
1 Relat. sect. III. — 2 Rép. à la Relat., p.
50. — 3 Relat., p. 95.
459
Cambray donne un tour odieux à des paroles innocentes, il
n'en change pas la nature.
Mais on dira : Pourquoi
parlez-vous de confession? J'ai dit ailleurs quelle vue j'avais : j'entendais de
sourds reproches sur la confession ; j'ai voulu prévenir ces bruits par une
précaution innocente. En tout cas quand j'aurais péché très - légèrement contre
la prudence, ce que pourtant je ne sens pas, l'on n'y peut attacher le crime
d'une confession révélée.
Cependant loin de réparer une
accusation si atroce, qui n'a pas le moindre fondement quand même j'accorderais
à M. l'archevêque de Cambray les petits faits qu'il suppose, il y persiste en
m'avertissant, «que Dieu qui est patient est juste; et je crains bien,
ajoute-t-il, qu'en souffrant tout, je n'accumule des charbons ardents sur votre
tête (1). » On voit comme il souffre tout! Que pouvait-il faire, que pouvait-il
dire de pis? Et cependant il prétend que nous admirions son indulgence: et si
l'envie lui en prend, il me fera un nouveau procès sur la confession révélée,
aussi bien fondé que sur l'inscription eu faux. Qu'il est loin de se reconnaître
! Jamais les charbons ardents furent-ils plus légèrement employés? Il ne sent
pas qu'il s'échauffe à mesure qu'il écrit, et que tout le monde s'en étonne. Et
moi, faut-il que je voie des discours si outrés dans un homme de ce caractère et
de cet esprit!.... (a)
« Jamais rien ne m'a tant coûté
que ce que je fais faire. Vous ne me laissez plus aucun moyen pour vous excuser
en me justifiant (2). » C'est ainsi que M. l'archevêque de Cambray commence sa
réponse à mes Remarques en défense de ma Relation sur le
quiétisme. On voit bien qu'il nie prépare bien des duretés, et je les attends
avec patience ; je m'en tairais même absolument, s'il m'était permis
d'abandonner l'instruction du peuple fidèle, comme je fais tous mes intérêts.
1 Rép. aux Rem., p. 52. — 2 Rép. de M.
l'archevêque de Cambray aux Rem. de M. l’évêque de Meaux. — (a)
Voir la note p. 441.
460
M. de Cambray a senti que le
lecteur serait étonné de l'âpreté de son style. On voit pour s'en excuser ce
qu'il dit d'abord : elle lui coûte beaucoup, mais après tout il ne sait plus
comment s'excuser; de sorte qu'il est raisonnable que j'essuie toute sa colère.
En vérité les paroles des évoques devraient avoir plus de sérieux. M. de Cambray
m'excusait-il dans les discours précédents , en me supposant sur la foi de
madame Guyon et, comme il l'avoue à présent, « sur celle d'un de ses parents
(1).» des actes qui ne furent jamais, en poussant à toute outrance l'accusation
de la confession révélée, en m'accusant s'il pouvait par les termes les plus
exagératifs ? Comment donc suis-je devenu plus inexcusable ? Il n'allègue aucun
fait nouveau qui puisse l'avoir irrité; et je ne sais plus que dire, sinon qu'il
s'aigrit en écrivant, et que la promesse de ses raisons se découvrant de plus en
plus, il leur cherche un fragile appui par la hauteur et par l'amertume de ses
expressions.
Voici pourtant encore une autre
raison qui outre son style. Il voit approcher la décision du saint Siège; et il
le faut dire, on ressent à ses discours qu'il n'en attend rien de bon : sa
conscience lui fait sentir que, malgré ses explications aussi dangereuses que
son texte, son livre que ses amis ne peuvent sauver que par des ambiguïtés qu'il
avait promis de prévenir, n'évitera pas la censure. Pendant tout cela, on ne
songe pas seulement à soupçonner la doctrine que j'ai opposée à la sienne. En
vain il a tâché de soulever et toutes les Universités, et même la Chaire de
Saint-Pierre ; et comme je l'ai dit dans les Remarques (2), il a fait les
derniers efforts «pour introduire une nouvelle question, et faire donner des
examinateurs à mon livre comme au sien. Mais il crie en vain : rien ne s'émeut,
et ma foi n'est suspecte en aucun endroit. » Il ne faut pas s'en étonner : par
une grâce que je ne puis assez reconnaître, je marche dès mon jeune âge dans le
chemin battu par nos pères. Je n'outre point la métaphysique : je trouve ma
scolastique dans les princes des deux écoles, et dans les auteurs les plus
reçus, anciens et modernes, assuré de tous côtés par une doctrine visiblement
orthodoxe et que M. de Cambray
1 Rep. aux Rem. — 2 Rem., § III, n. 17.
461
attaque seul. Il me prédit par ses discours une flétrissure
qu'il ne peut m'attirer d'aucun autre endroit, et voici comme il parle dans son
dernier livre : « Quelque événement que Dieu prépare, j'ose dire qu'il ne
justifiera jamais votre procédé : je puis mètre trompé; mais vous ne pouvez,
supposé même que je me trompe, avoir eu aucune raison de faire tout ce que je
vous reproche d'avoir fait. Si je suis dans l'erreur, je me trouverai trop
heureux d'être détrompé par le Père commun ; et mou humiliation même que je
cherche si j'en ai besoin, me sera précieuse en me faisant trouver la vérité ;
mais rien ne peut jamais autoriser le refus que vous avez fait, de me laisser
expliquer un livre que beaucoup de grands théologiens choisis par le Pape
trouvent bon et correct. Après tant de critiques et d'examens durant quinze
mois, rien ne peut justifier les altérations innombrables de mon texte, et les
sophismes odieux par lesquels vous voulez nie mettre dans la bouche les
blasphèmes les plus contraires à ma doctrine. Rien ne peut effacer les étranges
mécomptes où vous êtes tombé à la vue de toute l'Eglise, pour les faits comme
pour les dogmes. Enfin, rien ne peut excuser ce silence si mystérieux et si
obstiné que vous gardez sur tout le fond de votre doctrine, malgré les questions
essentielles que je vous fais sans cesse. Voilà ce qui demeurera éternellement
sur vous, et que nulle censure de mon livre ne peut jamais faire oublier. »
Ainsi voyant la censure de ce livre et de sa doctrine comme pendante sur sa
tête, M. de Cambray s'en dédommage par avance par celle qu'il fait de ma
conduite et de ma foi. C'est ce qu'il dit dans son dernier livre, où il répond
en français, je ne sais pourquoi, à un écrit d'une feuille que j'ai donnée en
latin, sous le nom de Quœstiuncula (1). Ce livre où M. de Cambray ne fait
que répéter ses autres ouvrages, ne mérite de l'attention que par l'endroit
qu'on vient d'entendre, où ce prélat se console dans la vue de la flétrissure
dont il croit me laisser l’empreinte éternelle sur le front par ses écrits.
Dans le même livre, il m'adresse
encore à moi-même ces paroles : « Vous êtes docteur en Israël : j'en conviens
sans peine,
1 Rép. du M. de Cambray a l'écrit de M. de Meaux,
intitulé : Quœstiuncula, p. 53, 54.
462
Monseigneur , mais vous avez, je ne le dis qu'avec
confusion et avec douleur, vous avez ignoré les vrais principes de ce que vous
avez examiné si tard et avec tant de prévention (1).» Sans doute j'ai appris
trop tard le traité de l'espérance et de la charité, auquel M. de Cambray
rappelle tout; et ma Mère, la Faculté de théologie de Paris qui m'a nourri dans
son sein durant tant d'années , ne m'a point enseigné la nature de ces deux
vertus : ou peut-être (car il est permis, quand on a vieilli dans les études
sacrées, de parler quelquefois avec confiance) ; peut-être donc, pendant que M.
de Cambray se reconnaissait pour disciple , que je devais aller apprendre à son
école la rare doctrine du sacrifice absolu et de la persuasion réfléchie avec
celle du renoncement à « l'intérêt propre éternel. » Mais lui qui reprend
les autres d'avoir étudié trop tard, croit-il qu'on ait oublié qu'on lui voit
tous les jours former sa théologie en écrivant, et hasarder à chaque livre de
nouveaux dogmes et de nouvelles interprétations? Croit-il enfin qu'on ait oublié
qu'il n'a pas pu composer un très-petit livre sans le remplir d'équivoques
malgré la solennelle promesse de les éviter, et qu'il ne peut encore aujourd'hui
convenir du sens de ce livre avec ses amis : car c'est là un fait avoué, comme
on le verra dans un moment. Et quoi qu'il en soit, il est bien tard, après qu'il
m'a déféré lui-même le jugement de cette matière avec la soumission qu'on a vue
; il est bien tard, dis-je, quand on a jugé contre lui, de venir reprocher aux
juges qu'il avait choisis, que ce sont des ignorants prévenus. Voilà ce que dit
celui qui répète encore dans ses derniers livres qu'il n'oppose que des raisons
à des injures. Mais voyons ses autres reproches, et ce qui me laisse noté à
jamais, quelque censure qui tombe sur le livre de M. de Cambray : « Rien,
dit-il, n'autorisera le refus que vous avez fait, de me laisser expliquer un
livre que beaucoup de grands théologiens choisis par le Pape trouvent bon et
correct (2). » Voilà donc mon crime. Il fallait approuver des explications
ennemies du texte et de son sens naturel, afin qu'après que le livre aurait
passé à leur faveur, on laissât là les explications postiches et forcées pour en
revenir au texte même et aux erreurs qu'il
1 Rép. à Quœstiuncul. — 2 Ibid., p. 54.
463
contenait dans son propre sens. Car voilà ce qui arrive de
ces belles explications.
Vous dites que « de grands
théologiens choisis par le Pape ont trouvé votre livre correct. » Mais si ces
théologiens ne l'ont pu sauver qu'à la faveur de perpétuelles ambiguïtés ; si ce
sont vos meilleurs amis qui y trouvent encore aujourd'hui un mauvais sens et
très-censurable ; s'ils s'expliquent ouvertement que pour le bien de l'Eglise il
vaudrait mieux que votre livre, pour ce qu'il valait, n'eût jamais paru ; si
vous avouez vous-même que ce livre a un double sens qui règne partout et que vos
plus grands défenseurs tant à Paris qu'à Rome, sans vouloir suivre votre
explication de l'amour naturel où vous mettez à présent toute votre confiance
(1), entreprennent de vous mieux entendre que vous ne vous entendez vous-même,
chose inouïe parmi les hommes et dont vous êtes le premier et le seul exemple :
est-ce un crime de n'avoir pas approuvé des explications, je ne dirai pas si
suspectes et si mauvaises, comme je les crois ; mais du moins, du propre aveu et
de vos amis et de vous, si douteuses et si vacillantes? Mais si, laissant à part
ces théologiens dont aussi bien le sentiment nous est peu connu, si le Pape «
qui les a choisis » malgré leurs opinions, ne juge pas votre livre « aussi bon
et aussi correct » que vous dites qu'ils l'ont trouvé ; s'il le censure, s'il le
défend comme contenant une mauvaise doctrine : dans cette supposition, selon
vous, je n'en serai pas moins flétri ; et j'aurai tort de n'avoir pas cru qu'on
dût recevoir des explications auxquelles le saint Siège même n'aura eu aucun
égard. Assurément vous n'y songez pas, et vous auriez trop oublié vos
soumissions, si vous persistiez dans ce sentiment.
Mais que dirai-je des
altérations? Quelles me sont reprochées avec des clameurs inouïes, mais sans
fondement, comme on a pu s'en convaincre par quelques exemples, par ce discours.
Mais que dira M. de Cambray qui, surpris en flagrant délit d'avoir pris une
objection que je me fais à moi-même pour ma doctrine, et expressément averti
dans ma réponse à ses quatre lettres d'une si grossière altération, en a fait
trois contre celle-là (2) ; et depuis
1 Ire Lett. à M. de Chart., p. 55, 63. — 2 Rép.,
p. 78.
464
quatre ou cinq écrits contre moi sans en dire mot ? Je ne
lui demandais qu'un humble et sincère aveu d'une bévue, d'un mécompte, s'il eût
mieux aimé l'appeler ainsi ; il n'en eût jamais été parlé davantage. Mais sans
cesse me reprocher des altérations réfutées, et pris sur le fait dans celle-là,
dissimuler, passer par-dessus et la couler en silence, c'est trop déclarer qu'on
ne veut jamais avouer les fautes les plus avérées.
J'ai bien prouvé à M. de Cambray
d'autres altérations plus importantes , où il change, non pas deux ou trois
endroits de mes écrits, mais tout le corps de ma doctrine, en me faisant dire à
chaque page de ses livres sur la nature de la charité tout le contraire de ce
que je dis et que j'établis, non point en passant, mais en termes exprès et
vingt fois, comme on parle, ex professo (1). Mais quant aux altérations par où
M. de Cambray prétend que je lui impute des blasphèmes, elles regardent
principalement son sacrifice absolu, sa persuasion réfléchie, sa conviction
invincible, son acquiescement simple à sa juste condamnation. La censure de son
livre ne peut tomber que sur de telles ou de semblables propositions. Je les
aurai donc en ce cas bien entendues : je ne les aurai pas altérées ; et
cependant on osera dire que nulle censure ne peut couvrir les altérations qu'on
me reproche, quand il est clair comme le soleil que cette censure ne pourra
paraître sans me justifier des principales.
C'est donc en vain qu'il espère
que je resterai flétri par ses écrits, quelque censure qui arrive. Et encore que
je sache bien toutes les impressions que peuvent laisser dans certains esprits
des traits enflammés et une plume tranchante, c'est une foible menace que de
vouloir me les faire craindre. Si je me sens obligé à faire connaître un prélat
qui abuse de son éloquence pour soutenir une indigne amie au préjudice de la
vérité, et pour orner de belles couleurs sa pernicieuse doctrine, je ne dis rien
qui ne soit public : je découvre un péril extrême dont l'Eglise est menacée ; et
je tâche d'imiter saint Paul, qui a si bien caractérisé ceux dont il a dévoilé
la fausse philosophie, qu'il n'était plus permis de les méconnaître (1).
1 Col., II, 8, etc.
465
M. de Cambray me reproche l'aveu
que j'ai fait d'avoir écrit pour le peuple (1), et il dissimule par où je suis
venu à cette expression. Il voudrait faire accroire au monde que par nos écrits
nous instruisons un procès devant le saint Siège ; et pour allonger le prétendu
procès, il me propose des communications juridiques et respectives «le pièces et
d'écritures. Je lui réponds que j'ignore cette procédure contentieuse; et qu'au
surplus «j'écris pour le peuple, » c'est-à-dire manifestement pour son
instruction, et non pour l'instruction d'un procès devant le saint Siège.
Ecoutons ce que me répond M. de Cambray : « C'est donc, dit-il, jusqu'au peuple
( qu'il appelle dans le même lieu une populace), que s'étend votre charité (2).
» Qui en doute et à qui veut-on donc qu'elle s'étende ? Nous n'enseignons pas
des mystères pour de prétendus parfaits, que le commun des chrétiens doive
ignorer : nous parlons au peuple, pour ce peuple d'acquisition dont il est écrit
: « Vous n'étiez pas le peuple, et vous êtes maintenant le peuple de Dieu. » Où
il s'agit d'instruction, l'on ne connaît point de populace, toutes les âmes
rachetées sont de même prix en Jésus-Christ, et la mesure de leur valeur est
dans la commune rançon de son sang. Il ne faut donc point ici donner des tours
odieux à un dessein innocent. Je ne prétends point, comme dit M. de Cambray,
qu'on le montre au doigt ; je veux qu'on ouvre les yeux, je veux qu'on prie,
qu'on gémisse, qu'on tremble pour l'Eglise ; et crue M. de Cambray touché de
cette attention de tous les fidèles, laisse madame Guyon et Molinos où ils
doivent être.
Au surplus je dois avertir M. de
Cambray qu'il m'accuse à tort d'avoir enlevé ses feuilles à l'imprimerie; je
voudrais bien ne pas relever ce nouveau fait qu'il avance, sans la moindre
preuve comme tous les autres (3). Il est vrai que j'ai cité dans les
Remarques (4), une édition de la Réponse à la Relation
très-différente de celle qu'il a depuis répandue. Voici comme ce prélat tourne
ce fait : « Dès que je veux faire un ouvrage qui ne serve qu'à ma défense
nécessaire a Rome et qui ne se répande point ailleurs, ou bien que je fais un
premier essai d'un ouvrage par un recueil
I Rép. aux Rem., p. 3. Rem., § 4, n. 8. — 2
Rép. aux Rem., p. 3. — 3 Ibid., p. 107. — 4 Rem., art. 5,
n. 2 et suiv.
466
d'épreuves, malgré toutes mes précautions vous trouvez
moyen d'enlever mes feuilles et de les avoir aussitôt que moi (1). » Voilà un
fait que ce prélat trouve remarquable contre moi (2). Mais je lui réponds :
Premièrement, qu'il a tort de faire pour Rome des écrits cachés : on a dessein
de surprendre ceux à qui on présente des défenses qu'on n'ose exposer à la vue
publique et à la contradiction ; pour nous, nous exposons tout au public : M. de
Cambray le voit comme nous, et nous ne lui cachons rien. S'il parle
naturellement contre lui-même, si la vérité le confond, s'il est contraint de
changer, ce n'est pas ma faute. Secondement, il ne s'agit point ici d'un recueil
d'épreuves : c'est une édition tout entière, très-suivie et très-complète
qu'apparemment M. de Cambray avait faite pour Rome, ainsi qu'il le vient de
dire. Ce ne sont donc point des épreuves que j'ai enlevées. Cette édition m'est
venue par des mains qui ne fouillent point dans les secrets des imprimeries.
Il joint l'insulte à la fausseté
; et ce prélat qui ne dit jamais que des injures pour des raisons, me parle en
cette sorte : « Le plus souple de tous les hommes et qui remue de si grands
ressorts » par toute la terre, « ne peut se garantir de l’innocent théologien.
Non, Monseigneur, un innocent théologien n'est pas éveillé. Ne dites
point : Je n'en sais pas tant : vous n'en savez que trop, et il y paraît bien
(3). » Je demande s'il est permis par les règles de la conscience, après avoir
avancé sans preuve à la face de toute l'Eglise un fait de cette nature, de
l'accompagner de termes si méprisants et d'une si amère raillerie? Il est vrai,
dans un endroit de la Relation, je me suis appelé moi-même par une espèce de
confiance « le plus simple de tous les hommes (4). » M. de Cambray en revient
sans cesse à me reprocher cette parole comme une louange excessive que je me
donne à moi-même. Mais il retranche la ligne suivante, où j'explique la
simplicité que j'ose m'attribuer : « Le plus simple de tous les hommes : je veux
dire, le plus incapable de toute finesse et de toute dissimulation. » En
supprimant ces paroles, M. de Cambray laisse croire au monde
1 Rép. aux Rem., p. 107. — 2 Ibid. — 3
Ibid., p. 108. — 4 Relat., Sect. VI, n. 5.
467
que je m'attribue la simplicité qui est le comble de la
perfection dans les saints. Je m'explique ailleurs en cette sorte : « Simple et
innocent théologien, je crus avoir assez fait en liant M. de Cambray par des
articles théologiques (1). » En effet combien d'amis me reprochent tous les
jours mon peu de finesse et mon peu de précaution avec un esprit si délié ?
Qu'il me soit du moins permis de m'excuser, en disant que je suis incapable de
toute finesse : mon cœur les dédaigne, mon esprit ne monte pas jusque-là. Le
seul M. de Cambray, j'ai honte de le répéter, veut que je sois un éveillé. De
quel style est cette expression? Quelle humeur et quel sentiment a pu l'arracher
à une plume si noble et si modérée? Mais passons et finissons par le bel endroit
de la Réponse aux Remarques (2).
Il regarde le XXXIVe article
d'Issy ; et je commence par le rapporter tout entier, afin qu'un sage lecteur
juge par lui-même, s'il y a de quoi former le moindre incident. « Au surplus il
est certain que les commençants et les parfaits doivent être conduits chacun
selon sa voie par des règles différentes, et que les derniers entendent plus
hautement et plus à fond les vérités chrétiennes (3). » J'ajouterai ce que je
remarque sur le dessein de cet article et que M. de Cambray ne contredit pas
dans les Etats d'oraison : « Les directeurs des âmes sont établis par le
Saint-Esprit (4) dispensateurs d'une grâce qui se diversifie en plusieurs
manières (5). « Il ne faut pas s'en étonner, puisque la sagesse de Dieu étant
elle-même , comme dit saint Paul, fort diversifiée dans ses desseins, les grâces
qu'elle distribue ne peuvent être uniformes. Ainsi le fidèle directeur des âmes,
dont tout le travail est d'accommoder sa conduite à l'opération de Dieu, la doit
changer selon ses ordres : et cette remarque est utile à faire observer qu'il ne
s'ensuit pas que, pour tenir des voies différentes, les ministres de
Jésus-Christ ne soient pas animés de même esprit. On ajoute qu'une même vérité
de l'Evangile est entendue plus profondément des uns que des autres, suivant les
degrés de grâces où chacun est appelé : ce qui est certain en soi-même et propre
d'ailleurs à autoriser la
1 Rem., art. 3, n. 8. — 2 Etats d'orais.,
liv. X. — 3 Ibid. — 4 I Petr., IV, 10. — 5
Ephes., II, 10.
468
conduite des saints directeurs, qui sans rien forcer
laissent sagement entrer les âmes dans l'infinie variété des voies de Dieu, et
enfin ne font autre chose que de seconder son opération (1). » Tel est l'esprit
de cet article, où il n'y a, comme on voit, aucune difficulté, et qui fait voir
seulement qu'il faut conduire les âmes selon la diversité des voies d'oraison ou
active ou passive, plus ou moins parfaite, d'épreuves ou ordinaires, dont il a
été parlé dans les articles précédents, et que chacun est éclairé selon son
état.
Sur cet article, M. l'archevêque
de Cambray a remarqué ces faits : que par son original signé de moi, il paraît
que cet article n'avait point d'abord été mis parmi les autres ; qu'il a été
ajouté après coup de la main de M. l'archevêque de Paris, et que j'en ai un
original où cela doit paraître comme dans le sien. Si c'est là une discussion
qui mérite de nous occuper, j'avoue tout cela ; et dans mon original comme
apparemment dans les autres, il est vrai que l'article XXXIV est en effet écrit
de la main de M. l'archevêque de Paris. Il a donc été ajouté après tous les
autres ? Je ne l'ai jamais contesté, et cela ne vérifie pas ce qu'a voit avancé
M. de Cambray. Le fait qu'il avance dans sa Réponse à la Relation, est « qu'on
ne lui donna d'abord que t rente articles, que le XIIe, le XIIIe, le XXXIIIe et
le XXXIVe n'y étaient pas encore, et qu'il gardait l'écrit des trente articles
qu'on lui donna (2). » Tel est le fait qu'il avait articulé ; mais il
l'abandonne aujourd'hui, puisque celui qu'il met à la place ne prouve que
l'addition du XXXIVe article seul. J'ai articulé au contraire en fait positif, «
qu'on ne produirait jamais aucune copie des articles donnée de notre (a)...,
où le VIIe, le XIIIe, le XXXIIIe et le XXXIVe ne se trouvent pas (3). » C'est ce
qui demeure justifié par la propre pièce dont se sert M. de Cambray, puisqu'elle
ne prouve tout au plus que l'addition du XXXIVe article, qui ne disait rien de
fort important comme on a vu, sans rien prouver sur le XIIe le XIIIe et le
XXXIIIe, qui étaient les seuls importants. Voilà comme M. de Cambray justifie
ces faits : au lieu de prouver que quatre articles manquaient à la copie des
articles
1 Etats d'oraison, loc. cit. — 2 Rép. à la Relat.,
p. 17. — 3 Rem., art. 7, n. 38. (a) Une note tracée à la marge du
manuscrit dit : « Il manque un mot. »
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qu'on lui avait donnée d'abord, il prouve évidemment le
contraire. Mais il ajoute « que le XXXIVe article fut dressé sur-le-champ entre
nous, dans la chambre même de M. Tronson à Issy, et ajouté dans le moment même
où l'on allait signer (1). » Cela n'est d'aucune importance et la seule vérité
me le fait nier. Je sais où et comment il fut rédigé; et je répondrai quanta
moi, que M. l'archevêque de Cambray ne l'a jamais proposé en présence comme
chose qu'il désirât. Et en tout cas que prouvera-t-il, quand on lui accordera ce
qu'il demande ? Quoi ? qu'on aura consulté avec lui un article qui n'avait
besoin d'aucune consultation? Est-ce pour cela qu'il se débat? Cependant à la
faveur de ce petit différend, il fait éclipser de devant nos yeux le fait qu'il
avait posé sur trois principaux articles. Peut-être que le XXXIVe, dont
jusqu'ici M. de Cambray n'a tiré aucune conséquence, deviendra bientôt le plus
important entre ses mains. Que lui sert au reste de se tourmenter, pour montrer
qu'on peut avoir ajouté quelques petits mots par-ci par-là, par son avis, ou que
nous eussions cette déférence à ses sentiments? C'est assez que dans son Mémoire
et dans son Avertissement à la tête des Maximes des Saints (2), il ait
parlé des articles comme de l'ouvrage de deux prélats, sans songer alors à s'y
donner aucune part (3). Le reste est de si petite importance, que je me sens
prêt à tout accorder à M. l'archevêque de Cambray, si la vérité le permettait.
J'ai répondu à tous les faits
que M. de Cambray ajoute à ses précédentes réponses dans son dernier ouvrage :
et ce que j'omets de propos délibéré, ou ne mérite pas d'être relevé, ou
demeurera suffisamment éclairci en relisant ma Relation ou mes
Remarques, si ce n'est peut-être qu'on me demande encore un mot sur trois
écrits répandus à Rome, encore que je ne sache ce que veut nier ici M. de
Cambray. Veut-il nier que je n'aie en main ces écrits injurieux au clergé de
France, dont j'ai remarqué le sujet et les outrages dans ma Relation (4)
? Rome les connaît : ils ne sont pas venus tout seuls dans mes propres feuilles,
en papier et en écriture de ce pays-là ; ce n'est pas moi qui les ai remplis des
louanges de
1 Rép. aux Rem., p. 66. — 2 Mém. de M.
de Cambr. sur la Relat., p. 99; Avertiss., p. 16 — 3 Rép. aux
Rem., p. 66, 68, etc. — 4 Relat., sext. X, n. 1.
470
M. de Cambray, à nos dépens et au mépris du clergé de
France. En tout cas par les sentiments les plus équitables, je lui proposais
l'expédient de désavouer ces écrits malins par une expresse et authentique
déclaration (1). Mais il a fait sa réponse si ample et si bien
circonstanciée, sans dire un seul mot d'un fait de cette importance, que j'ai
été forcé de lui remontrer « qu'il laissait par son silence toute la France
chargée de reproches odieux (2). » Il prétend enfin avoir satisfait à ce devoir
dans « une lettre latine à M. l'archevêque de Paris : et vous avez vu, me
dit-il, ma réponse précise sur cet article, puisque vous avez cité deux fois cet
ouvrage (3). » Quand cela serait, M. de Cambray a supprimé cette lettre :
n'avait-il point d'autres moyens de réparer des outrages dont Rome a été
instruite et scandalisée, que par un ouvrage supprimé ? Mais voyons encore cette
réponse précise : « Voici, dit-il, mes paroles traduites. Il n'est pas juste de
me rendre responsable des bruits répandus à Rome : le seul homme qui y parle en
mon nom est reconnu pour si sage et pour si pieux, que je puis répondre sûrement
qu'il n'a jamais rien avancé que de vrai, que de très-nécessaire à ma cause, que
de conforme à la vénération intime que vous méritez (4). » Je demande : Est-ce
là répondre? On lui parle délivres outrageux; il répond sur des bruits répandus.
On lui demande justice sur des outrages : satisfait-on à de pareils attentats,
ou si l'on y met le comble en disant : « On n'a rien dit que de vrai et de
nécessaire à ma cause ? » Une telle réparation ne serait-elle pas une illusion à
la raison et à la justice? Mais il ajoute à M. de Paris : « On n'a rien dit que
de conforme à la vénération intime que vous méritez. » Il est vrai : mais ni on
ne répare par un compliment général des outrages positifs, ni on ne satisfait à
tant d'évêques dont on accuse la foi et la charité, par une honnêteté faite à un
seul. Tous les autres demeureront donc impunément jansénistes, suspects au saint
Siège et ennemis des religieux (5) ! Voilà comme M. de Cambray sait réparer une
injure ; il en sort par des termes vagues qui font voir seulement qu'il n'ose
nier ce que Rome a vu. Cependant si nous l'en
1 Relat., sect. X, n. 1. — 2 Rem., art. 11, n° 10. —
3 Rép. aux Rem., p. 106 — 4 Ibid., p. 107. — 5 Ibid.
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croyons, ces paroles vagues « sont sans doute plus que
suffisantes pour désavouer des écrits touchant lesquels il ne s'agissait que du
jansénisme et des religieux (1), » sans qu'il y ait un seul mot qui sente le
désaveu. Il ne veut pas entrer dans le reste, qui n'est pas moins vrai. Au
surplus, je suis assuré que ses confrères lui pardonnent : plût à Dieu que la
foi blessée ne nous donnât pas un plus grand sujet de le plaindre !
1 Rép. aux Rem., p. 107.
FIN DU DERNIER
ÉCLAIRCISSEMENT.
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