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ARTICLE IV. Détours sur l'approbation des livres imprimés de madame Guyon, et de sa doctrine.

§ I. Ambiguïtés.

§ II. Sur l'approbation des livres de madame Guyon.

§ III. Illusion sur l'intention et sur la question de fait.

§ IV. Sur le refus de l'approbation de mon livre.

ARTICLE V. Sur les entrevues avec madame Guyon, et sur le titre d'ami.

ARTICLE VI. Sur l'approbation des livres manuscrits de madame Guyon.

§ I. Que M. de Cambray a su toutes les visions de cette femme.

§ II. Que M. de Cambray affaiblit et excuse tout.

§ III. Que M. de Cambray a voulu pouvoir justifier madame Guyon.

ARTICLE VII. Diverses remarques avant la publication du livre de M. de Cambray.

§ I. Sur mon ignorance dans les voies mystiques.

§ II. Des expédients de M. de Cambray contre madame Guyon.

§ III. L'intelligence entre M. de Cambray et madame Guyon, comment connue.

§ IV. Si j'ai accusé M. de Cambray, comme il l'assure.

§ V. S'il est vrai qu'on négligea, durant l'examen, d'instruire M. de Cambray, et d'être instruit de ses raisons.

§ VI. Sur la voie de la soumission et de l'instruction.

§ VII. Sur les conférences que M. de Cambray m'accuse d'avoir négligées durant l'examen.

§ VIII. Sur la signature des Articles.

§ IX. Encore sur les Articles, et sur la mauvaise foi dont M. de Cambray s'accuse lui-même.

§ X. Sur la soumission avant le sacre.

§ XI. Sur Synesius.

§ XII. Du peu de secret dont M. de Cambray m'accuse.

§ XIII. Sur les lettres de M. l'abbé de la Trappe.

§ XIV. Erreur de M. de Cambray, qui fait dépendre sa réputation de celle de madame Guyon.

§ XV. Encore sur le secret.

 

ARTICLE IV. Détours sur l'approbation des livres imprimés de madame Guyon, et de sa doctrine.

 

1. Ceux qui ne veulent pas croire toutes les souplesses de M. l'archevêque de Cambray, en vont découvrir une preuve surprenante : car on lui va voir à la fois condamner et absoudre madame Guyon, l'accuser tout ensemble et s'en déclarer le protecteur : et l'Eglise n'a point d'exemple de semblables subtilités.

 

§ I. Ambiguïtés.

 

M.  DE CAMBRAY.

 

2. « Je supposais qu'on pouvait excuser une femme ignorante sur des expressions irrégulières et contraires à sa pensée, pourvu

 

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qu’on fût bien assuré de sa sincérité. De là vient que j'ai parlé ainsi dans le Mémoire que l’on a produit contre moi : Je n'ai pu ni dû ignorer ses écrits : quoique je ne les aie pas examinés tous à fond dans le temps. du moins j'en ai su assez pour devoir me défier d'elle, et pour l'examiner en tonte rigueur (1). Ainsi je l'excusais sur ses écrits par ses intentions, sans vouloir néanmoins approuver les livres : quoique je les eusse lus assez négligemment; ils m'avaient paru fort éloignés d'être corrects.

3. » Pour l'examen rigoureux de ces deux ouvrages (du Moyen court et du Cantique), par rapport au public, c'était son évêque qui devait y veiller : n'étant que prêtre, je croyais assez faire en tâchant de connaître ses vrais sentiments.

4. » Il ne s'agissait que des livres imprimés : jusqu'alors je ne les avais jamais lus dans une rigueur théologique, une simple lecture m'avait déjà fait penser qu'ils étaient censurables. Je ne les excusais ni ne les défendais, comme mon mémoire le dit expressément : mais la bonne opinion que j'avais de cette personne ignorante, me faisait excuser ses intentions dans les expressions les plus défectueuses (2). »

 

RÉPONSE.

 

5. On ne sait si M. de Cambray veut approuver ou improuver les livres de madame Guyon. D'un côté, c'est les improuver, que de les croire fort éloignés d'être corrects, que de les trouver censurables par une simple lecture : de l'autre, c'est les approuver que de chercher dans l'intention secrète d'un auteur une excuse à ses expressions les plus défectueuses, après un examen à toute rigueur que ce prélat convient d'avoir fait.

6. Cependant il nous échappera bientôt : car malgré cet examen rigoureux, vous trouverez trois lignes après, qu'il y a un examen rigoureux par rapport au public, que M. de Cambray ne veut point avoir fait; et il ajoute qu'il n'avait jamais lu les livres de madame Guyon dans une certaine rigueur théologique (3). Il y a donc une rigueur théologique et par rapport au public, où M. de

 

1 Mém. de M. de Cambray. Relat., IVe sect., n. 9, 15. — 2 Rép. à la Relat., chap. I, p. 21, 25. — 3 Ibid., p. 20.

 

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Cambray n'est pas entré : et il y a pourtant outre cela un examen à toute rigueur, auquel il avoue qu'il se croyait obligé.

7. S'il s'agissait de faits personnels, j'avoue que l'on pourrait distinguer l'examen d'un livre d'avec l'examen rigoureux de la personne : mais que dans l'examen d'un livre il y en ait un d'une rigueur théologique et par rapport au public, et un autre qui soit rigoureux sans être théologique, et sans aucun rapport avec le public, c'est ce que la théologie avait ignoré. Mais cette réflexion va paraître encore dans une plus grande évidence.

 

§ II. Sur l'approbation des livres de madame Guyon.

M. DE CAMBRAY.

 

8. « M. de Meaux assure du ton le plus affirmatif, que j'ai donné ces livres à tant de gens : mais si je les ai donnés à tant de gens, il n'aura pas de peine à les nommer : qu'il le fasse donc, s'il lui plaît (1). »

RÉPONSE.

 

9. M. de Cambray me regarde comme si j'avais entrepris de lui prouver la distribution manuelle des écrits de madame Guyon. Mais ce n'est pas là de quoi il s'agit : un docteur met un livre en main à ceux qu'il dirige quand il l'estime et l'approuve : c'est ce qu'a fait M. de Cambray. Car que veulent dire ces paroles de son Mémoire : « J'ai vu souvent madame Guyon : je l'ai estimée : je l'ai laissé estimer par des personnes illustres dont la réputation est chère à l'Eglise, et qui avoient confiance en moi (2). » Il donne assez à entendre ce que c'est que de laisser estimer madame Guyon par ces personnes qui avoient confiance en lui, en ajoutant tout de suite : « Je n'ai pu ni dû ignorer ses écrits ; » un peu après : « Je l'ai connue : je n'ai pu ignorer ses écrits : moi prêtre, moi précepteur des Princes, moi appliqué depuis ma jeunesse à une étude continuelle de la doctrine, j'ai dû voir ce qui était évident (3). » En entendant ces paroles naturellement, tout le monde en a tiré avec moi cette conséquence : que c'était avec ses écrits

 

1 Rép., p. 21. — 2 Mém. de M. de Cambray. Relat., IVe sect., n. 9. — 3 Ibid., n. 15.

 

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qu’il l’avait laissé estimer : ces personnes qui se fiaient en lui visiblement, étaient des personnes qu'il dirige : sur qui il a tout pouvoir : qui règlent leur estime par la sienne : il leur a laissé estimer madame Guyon avec ses écrits : pouvant les en détourner par un seul mot, il ne l'a pas voulu faire. Voilà le sens naturel et inévitable du Mémoire de M. de Cambray. Mais qu'est-ce à un docteur, à un directeur de mettre en main un livre à ses pénitents, à ceux qu'il conduit, si ce n'est l'approuver? En l'approuvant on le met entre les mains de mille personnes beaucoup plus que si actuellement on en faisait la distribution. Car faudra-t-il croire que ceux à qui on laissait estimer madame Guyon comme une personne si spirituelle et d'une si haute oraison (1), ne lisaient point ses livres, où toute sa spiritualité était renfermée? M. de Cambray avoue qu'il les connaissait. C'était donc délibérément et en connaissance de cause qu'il les laissait lire et estimer par ceux à qui une de ses paroles les aurait ôtés pour jamais. Ils disaient : M. l'abbé de Fénelon n'a pu ni dû ignorer ces livres : lui prêtre, lui précepteur des Princes, lui qui a du savoir ce qui était évident, n'a dû ni pu ignorer s'ils étaient évidemment estimables. Il nous les laisse lire dans cette pensée : ils sont donc évidemment bons : nous pouvons régler sur ces livres notre conscience. Où est le zèle, où est la prudence, où est l'autorité d'un directeur si ces conséquences sont douteuses? Sans doute il fallait deviner qu'il avait examiné madame Guyon avec ses livres en toute rigueur; mais non pas en toute rigueur théologique, ni par rapport au public : se moque-t-on quand on pense éblouir le monde par ces vaines distinctions ?

 

§ III. Illusion sur l'intention et sur la question de fait.

M. DE CAMBRAY.

 

10. « Le sens d'un livre n'est pas toujours le sens ou l'intention de l'auteur. Le sens du livre est celui qui se présente naturellement en examinant tout le texte : quelle que puisse avoir été l'intention ou le sens de l'auteur, un livre demeure en rigueur

 

1 Ci-dessus, p. 192.

 

 

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censurable par lui-même sans sortir de son texte, si son vrai et propre sens, qui est celui du texte, est mauvais : alors le sens ou intention de la personne ne fait excuser que la personne même, surtout quand elle est ignorante. En posant cette règle reçue de toute l'Eglise, je ne fais que dire ce que M. de Meaux ne peut éviter de dire autant que moi : d'un côté il a condamné les livres de madame Guyon : de l'autre, il lui fait dire qu'elle n'avait aucune des erreurs portées par sa condamnation (1). »

 

RÉPONSE.

 

11. J'arrête ici le lecteur, pour le faire souvenir que ce qu’on fait dire ici à M. De Meaux est inventé d’un bout à l’autre, comme il a déjà été dit : après cela, reprenons la suite de la réponse.

M. DE CAMBRAY.

 

12. « Cette distinction est très-différente de celle du fait et du droit qui a fait tant de bruit en ce siècle. Le sens qui se présente naturellement, et que j'ai nommé sensus obvius, en y ajoutant naturalis, est selon moi le sens véritable, propre, naturel et unique des livres pris dans toute la suite du texte, et dans la juste valeur des termes : ce sens étant mauvais, les livres sont censurables en eux-mêmes et dans leur propre sens : il ne s'agit donc d'aucune question de fait sur les livres (3). »

réponse.

13. Veut-il introduire dans l'Eglise une nouvelle question de fait? Non, dit-il, et il ne s'agit d'aucune question de fait sur les livres de madame Guyon. Il y a pourtant une nouvelle question de fait, puisqu'en avouant que ces livres sont condamnables en leur propre sens, il veut trouver un moyen de les sauver au sens de l'auteur : car écoutons ses paroles : « Ces livres sont condamnables au sens véritable, propre, naturel et unique pris dans toute la suite du texte, et dans la juste valeur des termes. » Et en même temps il saura trouver le moyen de disculper son amie, et

 

1 Rép., chap. II, 3e obj., p. 55. — 2 Voy. ci-dessus . art. 2 n. 15, 16, etc. — 3 Rép., ibid., p. 56.

 

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de dire que ce sens non-seulement « véritable, propre, naturel, qui se présente d'abord, mais encore unique, pris dans toute la suite du texte, et la juste valeur des termes, » n'est pas le sien.

14. S'il s'agissait de quelques paroles, de quelques propositions détachées, il serait peut-être permis de soupçonner de la surprise ou de l'ignorance en quelques endroits ; mais que dans des livres de système, comme on parle, et pleins de principes, on ait trouvé le moyen de répandre « dans toute la suite du texte et dans la juste valeur des termes un sens propre, naturel et unique, » qui soit contraire au sens de l'auteur, ce ne serait pas, comme le suppose M. de Cambray, l'ouvrage d'une personne ignorante, mais l'effet du plus profond artifice.

 

§ IV. Sur le refus de l'approbation de mon livre.

M. DE CAMBRAY.

 

15. « Je n'ai pas voulu justifier les livres de madame Guyon par les sentiments de l'auteur; mais seulement ne les condamner pas jusqu'au point où M. de Meaux les condamnait, parce que cette condamnation terrible retombait sur les intentions de la personne même (1). »

 

RÉPONSE.

 

16. Je ne sais ce qu'il veut m'imputer avec cette terrible condamnation qui retombait, non point sur le livre de madame Guyon, mais sur les intentions de la personne. Dans la condamnation d'un livre, ni moi ni qui que ce soit ne nous sommes jamais avisés de condamner le sens et l'intention d'un auteur, d'une autre manière qu'en prenant la suite de son texte et la juste valeur de ses termes. Cette finesse qu'on me fait tourner contre la personne, m'est inconnue comme aux autres hommes. M. de Cambray peut-il dire de bonne foi que mon livre, qu'il n'a retenu qu'une seule nuits, et dont il a seulement parcouru les titres, lui ait fait paraître un autre dessein? En tout cas il aurait pu se désabuser en lisant le livre, où je n'ai pas seulement songé à connaître

 

1 Rép., Ibid., p. 57. — 2 Rép., chap. V, p. 108.

 

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les intentions de madame Guyon autrement que par la juste valeur de ses termes, et par la suite de son texte et de ses principes. Fallait-il nfimputer un chimérique dessein, pour prétexter le refus d'une approbation? Mais voyons comme il s'embarrasse en soutenant ce vain prétexte.

 

M. DE CAMBRAY.

 

17. « Le silence que je voulais pousser jusqu'au bout, n'était que pour n'imputer pas, avec M. de Meaux, un système évidemment abominable à madame Guyon. S'il n'eût fait que condamner le livre de cette personne, en disant qu'on pouvait conclure de son texte des erreurs qu'elle n'avait pas eu intention d'enseigner, il aurait parlé sans se contredire, et conformément à l'acte qu'il avait dicté (1). » On le voit : M. de Cambray ne saurait que dire sans le recours continuel à l'acte inventé qu'il allègue à chaque ligne (2). Suivons : « Mais lui imputer (à madame Guyon) un système toujours soutenu et évidemment abominable, c'était se contredire pour attaquer les intentions de la personne, et c'est ce que je ne croyais pas devoir approuver. »

 

RÉPONSE.

 

18. Laissons à part la contradiction qu'il ne cesse de m'imputer contre la vérité des actes : celle où il tombe est visible. «M. de Meaux devait dire qu'on pouvait conclure du texte de madame Guyon des erreurs qu'elle n'avait pas eu intention d'enseigner. » Ainsi dans le sentiment de M. de Cambray, je ne pouvais condamner madame Guyon que par des conséquences. Il oublie ce qu'il vient de dire, que son livre était censurable «en lui-même, dans son sens naturel, propre, unique, qui se présente d'abord, et qui de plus est vrai, selon la suite du discours et la juste valeur des termes (3). » Mais un sens pris de cette sorte n'est pas un sens tiré par conséquences. C'est donc plus que par conséquence ; c'est immédiatement et dans son sens, non-seulement naturel et propre, mais encore unique, qu'il fallait condamner ces livres.

 

1 Rép., chap. n, 3e obj., p. 69. — 2 Voyez ci-dessus, n. Il. — 3 Voyez ci-dessus, n. 10, 12.

 

219

 

19. C'était dans ce sens unique que se trouvaient ces abominations : car le texte visiblement ne peut être censurable que par là : donc ces abominations ne se tiraient point par conséquences, mais se trouvent dans le texte même « en son sens propre et unique, selon toute la suite du discours et la juste valeur des termes. »

20. Après cela vouloir faire dire à M. de Meaux que ce sens unique du livre, dans toute la suite, est contraire à l'intention de l'auteur, c'est contre la supposition vouloir me rendre complice de la plus pernicieuse de toutes les illusions.

21. C'est donc M. de Cambray qui se contredit, et non pas moi, puisqu'il assure d'un côté, que ces livres favoris sont censurables par eux-mêmes dans leur sens propre, naturel, unique, qui se présente d'abord ; et de l'autre, qu'ils ne le sont que par conséquence.

22. C'est encore se contredire que d'enseigner d'un côté, comme fait M. de Cambray, qu'il a déjà condamné ces livres chéris, dans leur vrai, propre et unique sens  (1) ; et de l'autre, de n'y trouver pour toute matière de condamnation que des équivoques, des exagérations qui leur sont commîmes avec les Saints, et un langage mystique dont le sens est bon, et auquel aussi on n'oppose qu'un sens rigoureux où l'auteur n'a jamais pensé (2).

23. Mais encore est-il véritable qu'avec toutes ces finesses, M. de Cambray ne sort point d'affaire. Ceux à qui il a laissé estimer les livres de madame Guyon ne devinaient pas ce sens de l'auteur contraire au sens propre, naturel, unique, qu'inspirait la suite du texte. Quand il dit qu'il a laissé estimer la personne et non pas les livres (3), nous avons vu le contraire par ses propres paroles (4). Quand il ajoute : « Ne puis-je pas l'avoir laissé estimer comme je l'estimais moi-même, c'est-à-dire sans estimer ses livres? » il se condamne lui-même, puisqu'il ne peut pas ne point estimer des livres pour la défense desquels on lui voit faire de si grands efforts.

 

1 Rép. chap. VII, p. 156. — 2 Mém. de M. de Cambray ; Relat., IVe sect., n, 9, 13-15 20, 22 ;  Ve sect., n. 11 ;  Ve sect. n. 10; XI, n. 4. — 3 Rép., chap. VII, p. 154. —  4 Voyez ci-dessus, n. 9.

 

220

 

24. Enfin quand il écrit ces mots : «Je n'ai point voulu justifier les livres par les sentiments de l'auteur, mais seulement ne les condamner pas (1) : » que fera-t-il, le cas arrivant, car il est sans doute qu'il peut arriver, où il faudra condamner un méchant livre? Sera-t-il reçu à répondre qu'on lui veut faire condamner des intentions personnelles? Qui jamais a pu avoir un tel dessein? qui jamais a imaginé une telle excuse? On se contredit nécessairement dans une réponse de cette nature ; car il faut dire d'un côté, comme a fait M. de Cambray dans son Mémoire (2), que c'était en pesant la valeur de chacun des termes qu'il excuse madame Guyon ; et de l'autre dans sa Réponse, que c'est par la suite de ce discours et par la juste valeur des termes que ses livres sont condamnables. Ainsi, quoi que puisse dire M. de Cambray, il introduit une nouvelle question de fait dans la condamnation des livres de madame Guyon: mais une question de fait entièrement sans exemple. Dans la question de fait qu'il prétend avoir évitée, tout est plein d'exemples bien ou mal allégués : on entend retentir de tous côtés les Trois Chapitres et Honorius, le quatrième, le cinquième et le sixième concile, etc. La question de fait que M. de Cambray met le premier sur le tapis n'est précédée d'aucun exemple, et tout est singulier dans ce prélat. D'ailleurs la question de fait qu'il introduit n'a point d'issue ni de fin, et ne peut jamais être résolue, puisque dans celle de ce dernier siècle qu'il rejette si loin, on oppose textes à textes, et paroles à paroles, ce qui peut être la matière d'une discussion : au lieu que dans la question de M. l'archevêque de Cambray, il n'oppose à la suite et à la valeur des paroles et au sens unique qui en résulte, qu'une intention qu'on ne peut jamais pénétrer : d'où il s'ensuit qu'on ne peut plus pousser à bout ni Pelage, ni Arius, ni Nestorius, ni aucun autre hérétique, ni leurs défenseurs. Voilà ce qu'a entrepris M. de Cambray pour justifier la malheureuse conduite qui lui a fait laisser estimer les livres de madame Guyon, et refuser son approbation à la juste condamnation qu'on en voulait faire.

 

1 Rép., chap. II, 3e obj., p. 57. — 2 Mém. de M. de Cambray; Relat., IVe sect., n. 9.

 

221

 

ARTICLE V. Sur les entrevues avec madame Guyon, et sur le titre d'ami.

 

1. Voici sur ce sujet ce que je trouve imprimé dans la première édition de la Réponse de M. de Cambray que j'ai en main. L'on y verra ce qu'il disait naturellement.

 

M. DE CAMBRAY.

 

2. « Au reste il faut expliquer ces paroles de mon Mémoire : Je l'ai vue souvent ; tout le monde le sait. Le monde savait en effet que je l'avais vue assez souvent pour l'estimer et pour avoir dû prendre connaissance de sa spiritualité. Voilà ce que signifie ce souvent. Mais il ne veut pas dire des entrevues fréquentes. Mon extrême assiduité à Versailles faisait que j'allois rarement à Paris. Il est vrai qu'elle passait de temps en temps à Versailles allant voir une de ses parentes : mais quoique je l'ai vue un assez grand nombre de fois pendant plus de quatre ans, il est vrai néanmoins que ces entrevues, par rapport à cet espace de temps, n'étaient pas fréquentes (1). »

 

RÉPONSE.

 

3. Quel entortillement dans tout ce discours? Il ne sait s'il veut avouer qu'il ait vu souvent madame Guyon? Il distingue subtilement comme sur un point de théologie. Cependant il est véritable qu'il s'est toujours excusé d'avoir vu souvent cette femme, tant il croyait peu avantageuses ses liaisons avec une fausse prophétesse remplie d'erreurs et de visions : et le monde est plein de gens irréprochables, qui racontent sans difficulté qu'il leur a toujours soutenu, qu'à peine l'avait-il vue deux ou trois fois. Quoi qu'il en soit, sans examiner combien ont été fréquentes des entrevues qu'il voudrait bien diminuer, il suffit qu'il l'ait vue assez pour l'appeler son amie, et une amie d'une si étroite correspondance, d'une si grande distinction, qu'il ait dit partout dans

 

1 Rép., 1ère édit. 17.

 

222

 

son Mémoire et dans sa Réponse (1), que la réputation de cette femme était inséparable de la sienne propre.

 

M. DE CAMBRAY.

 

1. « On savait que j'avais vu et estimé cette personne : ceux qui me pressaient de la condamner l'appelaient mon amie. C'était en leur répondant que je parlais leur langage , et que je donnais le nom d’amie à une personne que j'avais fort estimée (2)  »

 

RÉPONSE.

 

5. M. de Cambray ne sait non plus s'il doit nommer madame Guyon son amie, que s'il doit reconnaître qu'il l'a vue souvent. Ce n'était pas lui qui l'appelait son amie; et s'il lui donne maintenant ce titre si répandu dans son Mémoire (3), ce n'est que par complaisance, par imitation, et à cause que ceux qui le pressaient de la condamner la nommaient ainsi : il donne tel tour qu'il veut à ses paroles, autant sur les moindres choses que sur la doctrine : on ne sait jamais si c'est lui qui parle de son propre fonds, ou s'il parle dans l'esprit des autres, par une impression du dehors, ad hominem si l'on veut. Qu'on est malheureux et incertain de soi-même, lorsqu'il faut toujours échapper par quelque finesse. Puisque tout son commerce n'a roulé que sur la spiritualité de madame Guyon, il ne s'en excuserait pas tant, s'il ne sentait en sa conscience que cette spiritualité qu'il trouvait si belle, était dans l'esprit de tout le monde, non-seulement odieuse, mais encore, pour me servir de ses termes, abominable (4).

 

1 Mém. de M. de Cambray; Relat., IVe sect., n. 23, etc.; Rép. à la Relat., chap. V, p. 99, 104, etc. — 2 Rép., 1ère édit, p. 88. — 3 Relat., IV sect., n. la, 19, etc. — 4 Ibid., n. 15.

 

223

 

ARTICLE VI. Sur l'approbation des livres manuscrits de madame Guyon.

§ I. Que M. de Cambray a su toutes les visions de cette femme.

M. DE CAMBRAY.

 

1. «Venons maintenant au fait que M. de Meaux raconte. Il assure qu'il me montra sur les livres de madame Guyon, toutes les erreurs et tous les excès qu'on vient d'entendre. Veut-il dire par là qu'il m'apporta les livres, et qu'il m'y fit voir ces erreurs et ces excès? on pourrait croire qu'il veut le faire entendre : mais il ne le dit pourtant pas positivement. Sa mémoire, qu'il dépeint fraîche et sure, ne lui permet pas d'avancer ce fait (1). »

 

RÉPONSE.

 

2. M. de Cambray ne voit que ce qu'il veut, et il nie même ce qu'il a sous les yeux. Il n'y a rien de plus clair que ces paroles de ma Relation: « J'entrai dans la conférence (avec M. l'abbé de Fénelon) plein de confiance, qu'en lui montrant sur les livres de madame Guyon les excès qu'on vient d'entendre, il conviendrait qu'elle était trompée (2)? » On ne montre pas des faits sur des livres qu'on n'apporte point : aussi venois-je de dire en parlant de cette même matière, que M. de Cambray avait vu ces choses et plusieurs autres aussi importantes (3) : » ce n'était point un récit que je lui en faisais : j'assure qu'il les a vues. Je ramassais tous ces faits pour les lui représenter, et la suite fut en effet de les lui montrer sur les livres (4) : pourquoi aussi n'aurais-je pas apporté des livres qu'on avoue que j'avais en main? Mais que sert à M. de Cambray de nier que je lui en aie fait la lecture, puisqu'il avoue après tout, par les paroles suivantes, que je lui en ai fait le récit.

 

M. DE CAMBRAY.

 

3. « Il est vrai seulement que dans une assez courte conversation, qu'il nomme une conférence, il me raconta ces visions (5). »

 

1 Rép., chap. I, p. 27. — 2 Relat., IIe sect., n. 20. — 3 Ibid., n. 7. — 4 Ibid., n. 17. — 5 Rép., Chap. I, p. 27.

 

224

 

RÉPONSE.

 

4. Je ne sais encore quelle finesse peut trouver M. de Cambray à nous avouer ce récit, plutôt sous le nom de conversation que sous celui de conférence. Quoi qu'il en soit, il ne niera pas qu'elle se fit chez lui, à heure marquée, et ses amis appelés durant une après-dinée et tant qu'il voulut, puisque j'étais venu pour cela. Ce que je lui récitai est étendu plus au long- dans la première édition de sa Réponse. « Il me raconta, dit-il (M. de Meaux), que madame Guyon s'imaginait crever par une plénitude de grâces, et la répandre sur les personnes qui étaient en silence auprès d'elle. Il ajouta qu'elle avait prédit qu'il viendrait bientôt un temps où l'oraison se répandrait abondamment dans l'Eglise : qu'elle était la femme de l’Apocalypse, et l'épouse au-dessus de la Mère du Fils de Dieu » Qu'il ne s'avise donc plus de nier que je lui aie raconté ces faits importons. Des visions qu'il avoue lui-même avoir été suffisantes à faire condamner madame Guyon, « ou comme folle ou comme impie, si elle avait parlé ainsi d'elle-même sérieusement (2), » méritaient d'être approfondies.

 

§ II. Que M. de Cambray affaiblit et excuse tout.

 

M. DE CAMBRAY.

 

5. « Je répondis 1, qu'elle était folle et impie si elle avait parlé ainsi d'elle-même sérieusement : 2, je remarquai que beaucoup de saintes âmes avoient raconté par simplicité certaines grâces particulières, mais dans un genre très-inférieur aux prodiges insensés dont il s'agissait. 3, Je dis que cette personne m'avait paru d'un esprit tourné à l'exagération sur ses expériences. 4, J'ajoutai les paroles de saint Paul : Eprouvez les esprits (3).»

 

RÉPONSE.

 

6. Veut-il avoir dit toutes ces choses? je passe tout, et je conclus : 1. Que selon M. de Cambray, madame Guyon paraissait tournée à exagérer ses expériences, c'est-à-dire celles qui lui

 

1. Rép., 1ère édit., p. 24. — 2 Rép., p. 27. — 3 ibid.

 

225

 

paraissaient avantageuses : ce qui est un caractère d'orgueil qu'il est forcé d'avouer. 2. Que M. de Cambray voulait affaiblir la vérité de mon récit par cette conditionnelle, si elle avait parle ainsi d'elle-même sérieusement. C'est ce qu'il fait plus à découvert dans la suite.

 

M. DE CAMBRAY.

 

7. « Ces choses que M. de Meaux me racontait m'étaient nouvelles et presque incroyables. J'avoue que je commençai à me défier un peu de la prévention de ce prélat contre cette personne. Je ne reconnaissais en toutes ces choses aucune trace des sentiments que j'avais toujours cru voir en madame Guyon (1). »

 

RÉPONSE.

 

8. Quoi? M. de Cambray ne savait rien de ces prodigieuses communications de grâces? ses amis ne lui en avoient jamais rien dit? ou bien c'est qu'elles n'étaient pas véritables? Veut-on me faire produire les lettres originales qui en font la preuve? J'ai marqué dans ma Relation celles de madame Guyon qui confirment tout ce que j'avance : il faut me croire ou me démentir nettement sur des faits contre lesquels on n'allègue rien, et dont j'ai la preuve en main. Si M. de Cambray en doutait, il devait approfondir la matière pendant que j'avais, outre les lettres que j'ai encore, les livres que j'ai rendus et qu'il m'avait fait confier lui-même : mais alors il ne doutait point de la vérité de mes discours, et maintenant même il n'ose les accuser de fausseté, content de se sauver par des subterfuges.

 

M. DE CAMBRAY.

 

9. « Madame Guyon m'avait dit plusieurs fois qu'elle avait de temps en temps de certaines impressions momentanées, qui lui paraissaient dans le moment même des communications extraordinaires de Dieu, et dont il ne lui restait aucune trace le moment d après... Elle ajoutait que selon la règle, elle demeurait dans la voie obscure de la pure foi, ne s'arrêtant jamais volontairement a aucune de ces choses... Cette règle est celle du bienheureux

 

1 Rép., chap. I, p. 28.

 

226

 

Jean de la Croix... du père Surin, approuvé de M. de Meaux. Cet auteur remarque que de très-saintes âmes peuvent être trompées par l'artifice de Satan, comme sainte Catherine de Boulogne le fut durant trois ans par un diable sous la figure de Jésus-Christ (1).» Il tourne ce raisonnement durant cinq ou six grandes pages, avec de ces sortes de répétitions, où l'on voit un homme qui, n'étant jamais content de ce qu'il dit, ne fait que le répéter.

 

RÉPONSE.

 

10. On voit comme il exténue et comme il excuse les excès de madame Guyon : mais il erre ; elle s'arrêtait si bien à ces visions, qu'elle en venait à des pratiques, les inculquait sérieusement et avec une certitude étonnante, et les faisait servir de fondement à son état, comme je l'ai fait voir dans la Relation (2). Elle appuie d'une manière terrible sur le songe que j'ai raconté, et où M. de Cambray affecte cent fois de ne trouver rien de mauvais que de s'être préférée à la sainte Vierge, en dissimulant l'idée infâme que je ne veux pas rappeler : c'est ce que le père Surin ni aucun spirituel n'aurait jamais approuvé : cependant M. de Cambray excuse autant qu'il peut son indigne amie, et voudrait nous la donner comme une autre sainte Catherine de Boulogne.

 

§ III. Que M. de Cambray a voulu pouvoir justifier madame Guyon.

 

M. DE CAMBRAY.

 

11. « Quand je proteste devant Dieu que je n'ai point lu les manuscrits, le lecteur ne doit soupçonner aucun artifice... S'il était vrai que je les eusse lus, et si j'étais capable d'artifice, je n'aurais garde de faire donner à M. de Meaux, par madame Guyon, ces manuscrits que j'aurais connus si capables de le scandaliser... Ce prélat faisait entendre qu'il était zélé contre l'illusion et prévenu contre les mystiques (3).» Il répète et tourne encore ce raisonnement en cent manières différentes.

 

1 Rép., chap. I, p. 28, 29. — 2 Relat., IIe sect., n. 9, 10, 14, 18, 19, etc. — 3 Rép., chap. I, p. 22-24, etc., p. 32, etc.

 

227

 

RÉPONSE

 

12. Me veut-il louer ou blâmer quand il fait marcher ensemble, ces deux qualités : je me montrais zélé contre l’illusion et prévenu contre les mystiques? Pour zélé contre l'illusion, qui ne l’est pas? pour prévenu contre les mystiques : c'est un trait qu'on me veut donner, mais sans raison ; si ce n'est qu'il veuille appeler prévenus contre les mystiques ceux qui le sont contre Molinos, qui est un mystique d'une étrange espèce, favorisé toutefois par madame Guyon et par M. de Cambray. Voilà une des raisons qui eussent empêché M. de Cambray de me communiquer les manuscrits de madame Guyon, s'il les avait lus : quoi qu'il en soit, il me les a mis entre les mains, ces livres remplis d'absurdités de toutes les sortes : quelque précautionné qu'on soit, ou la confiance qu'on a dans un génie élevé qui sait tout tourner comme il lui plaît, ou quelque autre semblable raison aveugle les hommes. Dieu se sert de ces dispositions, et c'est visiblement par un conseil de sa sagesse que contre toute apparence ces écrits sont venus à moi : Dieu voulait que l'illusion en fût découverte, et M. de Cambray était trop disposé à les excuser.

13. Que sert maintenant de disputer s'il a lu ou s'il n'a pas lu ces manuscrits qu'il m'a mis en main? laissons-lui dire les choses les plus incroyables. Quoi qu'il en soit, il ne peut nier après son aveu qu'on vient d'entendre qu'il n'en ait ouï de ma bouche le fond et les circonstances les plus aggravantes. C'est pourtant après ce récit qu'il l'appelle toujours son amie; qu'il croit, comme on a vu, sa réputation inséparable de celle de cette fausse béate ; qu'il me refuse son approbation, de peur d'être obligé de la condamner. Après le récit de tant d'excès, il n'a rien voulu approfondir avec moi, parce qu'il ne voulait pas être convaincu, ni forcé d’abandonner une amie qui le déshonore par ses fanatiques extravagances autant que par ses erreurs. Après cela je prends à témoin, le ciel et la terre qu'il est seul, avec cette fausse prophétesse, La cause des troubles de l'Eglise, comme je l'en ai convaincu par ma Relation.

 

1 Ci-dessus, n. 1-4.

 

228

 

ARTICLE VII. Diverses remarques avant la publication du livre de M. de Cambray.

§ I. Sur mon ignorance dans les voies mystiques.

 

M. DE CAMBRAY.

 

1. « J'ai écrit : pourquoi écrivais-je?... Le lecteur ne doit pas être surpris que j'aie donné des mémoires à M. de Meaux sur les voies intérieures, puisque ce prélat me les demanda : il doit se souvenir que quand on le fit entrer dans cet examen, il n'avait jamais lu ni saint François de Sales, ni les autres livres mystiques, tels que Rusbroe, Harphius, Taulère, dont il a dit que, ne pouvant rien conclure de précis de leurs exagérations, on a mieux aimé les abandonner, etc.   »

2. C'est ce qui fait conclure à M, de Cambray dans sa Réponse latine à M. l'archevêque de Paris, que j'étais ignorant de la voie mystique : rudis et imperitus hujus doctrinœ.

3. Il prouve aussi par une de ses lettres, qu'il écrivit des mémoires , mais par obéissance.

4. Il ajoute un peu après que « la doctrine des saints mystiques était en péril : M. de Meaux ne les connaissait point, et voulait condamner l'amour désintéressé, etc. »

 

RÉPONSE.

 

5. M. de Cambray avait donc grand tort de se soumettre si absolument à un homme si ignorant dans la matière [dont il était question.

6. C'est sans doute qu'il sent dans sa conscience qu'on peut être instruit dans les principes de la vie intérieure et spirituelle, sans avoir songé à lire ni Rusbroc, ni Harphius, ni même Taulère, auteurs dont je ne vois pas que M. de Cambray se soit servi : car pour saint François de Sales, sans lire beaucoup, je l'avoue encore, son Traité de l'Amour de Dieu, j'avais donné de l'attention,

 

1 Rép., chap. II, p. 35, 36.

 

229

 

surtout depuis que je suis évêque et chargé de religieuses, à ses Lettres où je trouvois tous ses principes, et à ses Entretiens. Si je n'avais pas jugé nécessaire une profonde lecture du bienheureux Jean de la Croix, j'avais lu sainte Thérèse sa mère. Mais quoi? veut-on m'obliger à vanter ici mes lectures? J'ai assez lu les mystiques pour convaincre M. de Cambray de les avoir outrés : en parlant sur l'oraison, j'ai fait mon trésor de la parole de Dieu, sans rien donner autant que j'ai pu à mon propre esprit; et attaché aux saints Pères et aux principes de la théologie, dont la mystique est une branche, si d'ailleurs je déférais peu à l'autorité de certains mystiques à cause de leurs exagérations, comme M. de Cambray me le reproche : il ne devait pas oublier Suarez, que j'avais cité dans les Etats d'Oraison, qui est exprès pour ce sentiment (1).

7. Quant à ce qu'ajoute ici M. de Cambray, que je voulais condamner l'amour désintéressé : qu'on me réponde s'il est permis d'avancer un fait de cette importance sans en apporter la moindre preuve. Si l'on en croit M. de Cambray, je mets en péril la mystique par mon ignorance, je veux condamner la scolastique : est-il juste encore un coup de n'exiger que de moi la preuve en toute rigueur, à laquelle aussi je m'oblige, et d'en croire M. de Cambray sur sa parole ?

8. Qu'importe au reste que ce soit moi qui l'aie invité à me donner des mémoires sur ces auteurs, puisque j'avoue sans façon que je souhaitais qu'il s'ouvrit à moi ? Nous verrons bientôt les conséquences qu'il prétend tirer d'un fait si indifférent ; mais il faut voir auparavant d'autres vérités.

 

§ II. Des expédients de M. de Cambray contre madame Guyon.

 

M. DE CAMBRAY.

 

9. « Madame Guyon n'était pas le principal objet de M. de Meaux dans cette affaire. Une femme ignorante et sans crédit par elle-même, ne pouvait faire sérieusement peur à personne (2). »

 

1 Inst. sur les Etats d'Or., liv. I, n. 2, 3. — 2 Rép., chap. II, p. 36.

 

230

 

RÉPONSE.

 

10. C'est toujours où en veut venir M. de Cambray, comme je l'ai déjà remarqué dans la Relation (1) : il s'étonne qu'on ait eu peur de « cette pauvre captive, affligée de douleurs et d'opprobres, et que personne n'excuse ni ne défend. » Peut-on parler de cette sorte pendant qu'on lui voit tant de zélés partisans? M. de Cambray qui la défend plus que personne, veut qu'on soit en repos sur son sujet, et qu'on lui laisse débiter ce qu'elle voudra pour fortifier un parti puissant. Il échappe néanmoins à ce prélat qu'elle est sans crédit par elle-même, pour faire sentir le crédit qu'elle avait par ses amis.

 

M. DE CAMBRAY.

 

11. « Il n'y avait qu'à la faire taire, et qu'à l'obliger de se retirer dans quelque solitude éloignée, où elle ne se mêlât point de diriger : il n'y avait qu'à supprimer ses livres, et tout était fini ; c'était l'expédient que j'avais d'abord proposé (2). »

 

RÉPONSE.

 

12. Quand on ne connaîtrait pas combien M. de Cambray favorise madame Guyon, on le verrait par les expédients qu'il propose contre elle. Il n'y avait en effet qu'à supprimer cinquante mille volumes qui courent dans tout le royaume avec tous les manuscrits anciens et nouveaux, que cent mains connues et inconnues transcrivent pour les distribuer de tous côtés : tout était fini sans faire tant de censures, ni tant de réfutations ou d'instructions contre une pernicieuse et insinuante doctrine. Il n'y avait qu'à la faire taire, et permettre cependant à un archevêque de lui prêter sa plume. Voilà comme on établit le quiétisme en faisant semblant de l'éteindre.

 

M. DE CAMBRAY.

 

13. « Madame Guyon n'était rien toute seule : mais c'était moi que M. de Meaux craignait (3). »

 

1 Relat., IVe sect., n. 19. — 2 Rép., chap. II, p. 36. — 3 Ibid., p. 37.

 

231

 

RÉPONSE.

 

14. Je le craignais en effet, comme saint Paul disait aux Galates : Timeo vos (1) ; Je vous crains, je crains pour vous : et je remarque de nouveau qu'en effet madame Guyon, qui n’était rien toute seule , était redoutable par un défenseur tel que M. de Cambray.

 

§ III. L'intelligence entre M. de Cambray et madame Guyon, comment connue.

 

M. DE CAMBRAY.

 

15. Cet article est important par ses conséquences. M. de Cambray répète ici ma Relation (2), où je raconte franchement que j'étais en inquiétude pour lui sur les bruits qui se répandaient, qu'il favorisait secrètement madame Guyon et l'oraison des nouveaux mystiques. Il lui plait de dire qu'en un certain temps c'était moi-même et mes confidents qui les répandions ou. qui les faisions valoir : il faut montrer le contraire par lui-même.

 

RÉPONSE.

 

16. Rappelons en peu de mots les faits contenus dans le Mémoire de ce prélat et dans les deux Réponses à ma Relation (3). il connaissait madame Guyon dès l'an 1680 : il l'estimait : il la laissait estimer : il avait des liaisons avec elle : elle venait à Versailles, où les entrevues étaient assez fréquentes : il l'appelait son amie : tout le commerce roulait sur la spiritualité et sur l'oraison. Il était si étroitement uni avec elle, qu'il se croyait obligé à s'informer de sa conduite (4), par le contre-coup qu'elle portait contre lui-même ; et c'est sur ce fondement qu'il a déclaré partout, et dans son Mémoire et dans sa Réponse (5), que sa réputation était inséparable de celle de cette femme. Voilà sans doute une liaison bien étroite et bien connue : les bruits que l'on

 

1 Galat., IV, 14. — 2 Rép., chap. I, p. 37 ; Relat., IIe sect., n. 1. — 3 Mém., Relat., IVe sect., n. 15 ; voyez ci-dessus, art. 2, n. 5 ; art. 4, n. 9, etc. ; art. 5, n. 1, 2, etc. — 4 Ci-dessus, art. 4, n. 2. — 5 Mém. de M. de Cambray; Relat., IVe sect., n. 23, etc.; Rép., chap. V, p. 99, 104, etc.

 

232

 

répandait n'avoient pas besoin d'autres fondemens : ceux qui pénétraient davantage, n'ignoraient pas les conférences secrètes qui se faisaient à Versailles, où madame Guyon présidait : les étrangers mêmes savaient que M. l'abbé de Fénelon n'était pas ennemi du quiétisme : pour moi, je n'entrai en rien jusqu'à la fin de l'année 1093, date importante que je ne remarque pas sans nécessité, comme la suite le fera paraître.

17. J'ai semblablement avoué que sur ces bruits je souhaitais que M. de Cambray s'ouvrit à moi « dans l'espérance que j'avais de le ramener à la vérité, pour peu qu'il s'en écartât (1). » La conséquence naïve de cet aveu, c'est que je l'aimais beaucoup, et que je craignais pour lui : s'il assure que je pensais bien plus à lui qu'à madame Guyon, je l'avoue encore ; et je le devais d'autant plus, que sa personne en toutes façons était plus considérable.

 

§ IV. Si j'ai accusé M. de Cambray, comme il l'assure.

M. DE CAMBRAY

 

18. « D'où vient que M. de Meaux parle ailleurs en ces termes : Ce n'était pas lui qu'on accusait, c'était madame Guyon. Pourquoi se mêlait-il si avant dans cette affaire ? qui l'y avait appelé? C'est M. de Meaux lui-même qui m'y avait appelé ; il était inquiet pour moi, pour l'Eglise et pour les Princes.....D'un côté, dit-il,

il avait d'abord de la peine que je n'avais pas assez d'ouverture ; d'autre côté, il se récrie : Pourquoi se mêlait-il dans cette affaire? Mais enfin il est clair comme le jour que j'étais le principal accusé (2). »

19. Je rapporterai à part le faible avantage qu'il tire de notre déclaration, pour prouver les accusations que je préparais contre lui : et il conclut : « Il est plus clair que le jour, que j'étais le principal accusé. »

 

RÉPONSE.

 

20. Mais par qui était-il accusé? par le public, comme l'était madame Guyon? il n'avait point encore écrit : par moi? pourquoi

 

1 Relat., IIe sect., n. 1. — 2 Ibid., chap. II, p. 37.

 

233

 

me prenait-il pour juge avec ces autres Messieurs? mais devant qui l'accusais-je? devant moi-même, ou devant quelque autre? de quoi enfin l'accusais-je? où est mon accusation? quelle en est la preuve? dit-on ce qu'on veut parmi les hommes? Je l'invitais à écrire, à ce qu'il dit : je désirais savoir ses sentiments pour tâcher de le ramener, s'ils étaient mauvais : donc je l'accusais, ou du moins je lui préparais des accusations, et j'avais l'adresse cependant de l'obliger à me prendre pour son juge. Il faut fuir les hommes, renoncer à la société, croire être toujours au milieu des ennemis, si l'on permet de donner sans preuve des tours si malins aux actions les plus innocentes et les plus simples.

21. Mais encore remontons à la source. Sept ou huit mois auparavant, quand madame Guyon se remit à moi pour prononcer sur son oraison : quand M. de Cambray lui-même m'envoya un ami commun pour me presser d'accepter seul cet arbitrage : était-ce moi qui poussais encore ce prélat, ou qui avais conçu le dessein de tourner contre lui madame Guyon ? c'est la première action , dont tout le reste dépend : et comme tout ici est connexe, ce sera moi aussi sans doute qui aurais obligé cette femme à demander M. de Châlons et M. Tronson pour me les associer dans cette affaire (1). Comment donc M. de Cambray était-il le principal accusé, si c'était madame Guyon qui demandait d'être jugée?

22. Il est public que ce prélat avec ses amis, qui étaient ceux de madame Guyon, vinrent à Issy (2), pour y reconnaître une assemblée qu'ils avoient eux-mêmes formée, ou madame Guyon par leur moyen. C'est ici (car tous ces faits ne sont point niés), c'est ici, dis-je, que je demande à M. de Cambray qui l'obligeait alors à se mêler si avant dans les affaires de cette femme, s'il n'y avait rien de commun entre eux? Dira-t-il encore que c'est moi qui l’invitais avec ses amis à cette soumission, comme il prétend que je l'invitais à faire des mémoires? Quoi? je l'invitais avenir reconnaître pour juge son accusateur? disons mieux, ses accusateurs : car ces deux Messieurs le sont comme moi, si je le suis, puisque nous n'avons point d'action qui ne nous soit commune.

 

1 Relat., IIIe sect., n. 2. — 2 Ibid., n. 1.

 

234

 

En vérité voilà des mystères inouïs et inexplicables, et on y abuse trop visiblement de la foi publique.

23. S'il eût été question d'accuser M. l'abbé de Fénelon, il ne fallait pas tant de détours, tant d'examens, tant de mémoires; il n'y avait qu'à nommer madame Guyon comme amie de cet abbé ; tout était conclu par ce seul fait, et avec raison; madame Guyon était trop connue : il était vrai qu'elle était son amie : dès 1689 il l'estimait : il avait avec elle des liaisons qu'on n'ignorait pas : on en eût eu aisément la preuve constante : car encore qu'il lit un mystère de cette amitié, qui faisait peu d'honneur à sa capacité et à son esprit, elle n'était pas si cachée, qu'il ne fût obligé de s'informer de la conduite de madame Guyon à la dernière rigueur (1 ): et les personnes à qui il avoue qu'il l'a laissé estimer étaient bien connues. En fallait-il davantage pour le priver éternellement de toutes les grâces, si on eût songé à l'accuser? Cependant quel témoin veut-il qu'on lui allègue pour montrer qu'on ne l'a jamais accusé de rien? Y en a-t-il un que la vérité, plus encore que le respect, rende plus irréprochable que le Prince sous les yeux de qui tout s'est passé, et devant qui nous écrivons? On n'a donc jamais accusé M. de Cambray : disons plus ; on l'a laissé être archevêque : et quand il est parvenu à ce faîte des dignités ecclésiastiques, parce qu'on ne l'a pas perdu, il veut perdre de réputation ceux qui Vent sauvé. Qu'on rendrait le genre humain odieux si l'on y souffrait de tels exemples !

 

M. DE CAMBRAY.

 

24. « On peut voir par là sur quel fondement M. de Meaux a pu dire au commencement de la Déclaration, que j'avais été le quatrième juge de madame Guyon ajouté aux trois autres: Ea consultores tres dari sibi postulavit, quorum judicio staret. His illustrissimus auctor quartus accessit. M. de Meaux a bien senti dans la suite que ce fait ne pouvait convenir aux accusations qu'il préparait contre moi; et dans sa traduction il a changé son texte, en disant seulement : Notre auteur s'est depuis uni à eux; mais enfin il est clair comme le jour que j'étais le principal accusé (2). »

 

1 Ci-dessus, art. 6, n. 7. — 2 Rép., chap. II, p. 38.

 

235

 

RÉPONSE.

 

25. Remarquez que ce qu'on vient d'entendre, est la seule prouve littérale de M. de Cambray pour montrer que M. de Meaux qu'il avait choisi pour son juge, s'était rendu son accusateur; parée que dans la Déclaration on a traduit le mot, quartus accessit: Après trois juges donnés, M. de Cambray s'est uni à eux : au lieu de mettre qu'il fut le quatrième, ce prélat veut me faire accroire que j'ai bien senti que ce fait ne convenait pas aux accusations que je préparais? Autant que le reproche est atroce, autant la preuve est légère et nulle : je ne comprends pas la finesse que M. de Cambray veut trouver ici; et après tout je m'en tiens à l'original sans croire que la version donne contre moi aucun avantage; d'où je conclus que l'envie de me contredire lui fait hasarder les accusations les plus violentes sans les pouvoir soutenir d'aucune raison.

 

§ V. S'il est vrai qu'on négligea, durant l'examen, d'instruire M. de Cambray, et d'être instruit de ses raisons.

 

M. DE CAMBRAY.

 

26. « M. de Meaux ne conférait point avec moi sur la doctrine, et il expliquait selon ses préventions les termes mystiques dont je m'étais servi sans précaution dans ces manuscrits informes. On se rencontrait tous les jours, dit ce prélat ; nous étions si bien au fait, que nous n'avions pas besoin de longs discours (1). C'est le moyen de n'être jamais au fait de ne se voir qu'en se rencontrant et de n'avoir ni conférences, ni longs discours. Il parle encore ainsi : Nous avions d'abord pensé éi quelques conversations de vive voix; mais nous craignions qu'en mettant la chose en dispute, etc.  (2). Ainsi M. de Meaux lisait seulement selon sa prévention ces manuscrits informes sans rien éclaircir avec moi : cette conduite ne montre-t-elle pas que j'étais le principal accusé? En faut-il davantage pour montrer combien j'avais besoin de me justifier (3)? »

 

1 Relat., IIIe sect., n. 8. — 2 Ibid. — 3 Rép. à la Relat., chap. II, p. 43.

 

 

236

 

RÉPONSE.

 

27. Il me veut donner l'air d'un homme prévenu qui n'écoute rien, et qui précipite un examen de doctrine sans être informé; mais il oublie précisément le principal. C'est qu'il m'avait pleinement instruit de ses sentiments et de ses raisons, ainsi qu'il le reconnaît par ces paroles d'une de ses lettres : « Vous savez avec quelle confiance je me suis livré à vous, et appliqué sans relâche à ne vous laisser rien ignorer de mes sentiments les plus forts (1). » Jugez maintenant s'il y a rien de négligé ni de précipité dans une affaire où la partie intéressée reconnaît qu'elle a dit tout ce qu'elle savait, et que de sa part il ne manque rien pour l'instruction.

28. Il oublie encore un autre fait également important : c'est qu'il pressait par toutes ses lettres une décision : « sans, dit-il, attendre les conversations que vous me promettiez (2). » De cette sorte, loin de demander des conversations qui assurément ne lui auraient jamais été refusées, on voit comme il coupe court sur ce sujet : et quand on fait ce qu'il veut, il se plaint qu'on est prévenu et qu'on précipite les choses.

29. Ainsi quoi qu'il puisse dire, de son propre aveu nous étions parfaitement au fait : si nous n'avions plus besoin de longs discours, c'est que nous avions lu à loisir de longs et amples écrits ; c'est enfin, puisqu'il faut tout circonstancier à un homme qui semble vouloir oublier tout; c'est, dis-je, que nous avions eu de longs entretiens dans de longues promenades qui nous étaient assez ordinaires.

30. Il se plaint à toutes les lignes que je lisais ses mémoires avec prévention : mais lui-même encore à présent les estime aussi peu que moi (3) ; et il montre qu'il ne les ose soutenir, puisqu'il ne cesse de répéter, et même dans l'endroit qu'on vient d'entendre, qu'ils étaient informes, et qu'il s'y était servi sans précaution des termes mystiques. Si lui-même il en parle ainsi, je puis bien pousser plus loin mes justes reproches.

31. Ma Relation explique souvent comme je craignais les

 

1 Lett. de M. de Cambray; Relat., IIIe sect., n. 4. — 2 Relat., IIIe sect., n. 6. — 3 Voyez ci-dessus, art. 3, n. 12.

 

237

 

disputes dans l'appréhension de soulever, « plutôt que d'instruire, un esprit que Dieu faisait entrer dans une meilleure voie, qui était celle de la soumission absolue (1). »

32. J'aurai bientôt un nouveau procès sur la soumission, et l'on incidente sur tout : mais en attendant, vidons celui-ci. M. de Cambray n'a pas raison de tant mépriser les entretiens très-fréquents qu'on avait avec lui, à la rencontre, comme peu propres à nous mettre au fait. Ces entretiens, quoique courts, ne laissaient pas d'être sérieux : moins ils étaient préparés, moins ils ressentaient la dispute et le dessein formé, plus ils étaient propres au dessein que je m'étais proposé de regagner sans appareil un esprit délicat : je ne sais ce qu'on veut reprendre dans cette conduite.

 

§ VI. Sur la voie de la soumission et de l'instruction.

M. DE CAMBRAY.

 

33. « Fallait-il de peur de me soulever ne m'instruire jamais? la voie de la soumission exclut-elle celle de l'instruction ? l'Eglise en demandant qu'on se soumette, néglige-t-elle d'instruire, et ne joint-elle pas toujours au contraire l'instruction à l'autorité (2)? »

 

RÉPONSE.

 

34. Il y a une instruction sans dispute qu'il ne faut jamais négliger : elle consiste à proposer et insinuer les principes doucement et comme imperceptiblement à la manière que je viens d'expliquer. Quand on croit la matière suffisamment éclaircie, et qu'il ne s'agit plus que de décider ; quand d'ailleurs on trouve un esprit qui pèche en subtilité, et que Dieu met dans la voie de la soumission absolue, j'ai remarqué dans la Relation qu'il en faut user (3). Faute de vouloir entendre des choses si claires, M. de Cambray remplit tous ses discours de sophismes, de paralogismes, de chicane et d'injustice : mais surtout il est admirable sur les conférences.

 

1 Relat., IIe sect., n. 20 ; IIIe sect., n. 8, 13. — 2 Rép., chap. IV, p. 88, 89. — 3 Relat., IIIe sect., n. 8, 13.

 

238

 

§ VII. Sur les conférences que M. de Cambray m'accuse d'avoir négligées durant l'examen.

 

M. DE CAMBRAY.

 

35. Après m'avoir cent fois reproché que je ne conférais point avec lui durant le temps de l'examen, il revient à la charge par ces paroles : « Si j'avais de la peine, je savais la vaincre et n'y avoir aucun égard, puisque je signais (les Articles) sans disputer et sans dire un mot : que peut donc signifier cette crainte de la dispute avec un homme si silencieux, si confiant et si soumis? Pourquoi M. de Meaux ne l'invitait-il pas à la conférence, où la force des larmes fraternelles, les discours inspirés par la charité et la vérité auraient été si bien employés? Pourquoi éviter cette voie toujours pratiquée, même par les apôtres, comme la plus efficace et la plus douce pour convenir de quelque chose (1)? »

 

RÉPONSE.

 

36. Il me rend les propres paroles de ma Relation (2): je les reconnais; mais il ne veut pas songer que s'il y a des conférences pour instruire, il y en a aussi pour convaincre : celles que je lui reproche d'avoir refusées, étaient de ce dernier rang. Il était sorti de toutes les voies de soumission en publiant son livre, et ne songeait plus qu'à le soutenir : en ce cas il en fallait bien revenir à tâcher de le convaincre, et de lui démontrer son erreur par quelques conférences aussi tranquilles que fortes : c'est l'espérance que je fais paraître dans ma Relation (3). Pourquoi a-t-il refusé cette seule voie qui nous restait alors pour convenir? Auparavant nous suivions la voie de la soumission, que Dieu nous ouvrait : elle eut son effet, et fit signer les Articles à M. de Cambray et sans dire un mot. Mais nous en allons parler, et nous en reviendrons bientôt aux conférences.

 

1 Rép., chap. IV, p. 88. — 2 Relat., VIIIe sect., n. 2, 5. — 3 Ibid., n. 2.

 

239

 

§ VIII. Sur la signature des Articles.

 

M. DE CAMBRAY.

 

37. « Il est vrai que les conférences furent faites sans moi à Issy : il est vrai aussi qu'on me proposa les Articles tout dressés. Mais combien m'en donna-t-on d'abord? M. de Meaux ne peut avoir oublié qu'on ne m'en donna d'abord que trente ; le XIIe, le XIIIe, le XXXIIIe et le XXXIVe n'y étaient pas encore. Je garde l'écrit des trente Articles qu'on me donna. »

 

RÉPONSE.

 

38. Il me prend à témoin d'un fait dont je sais distinctement le contraire. On ne trouva jamais à propos de lui demander son sentiment sur aucun des Articles pour les solides raisons qu'on peut lire dans la Relation (1)  et qu'il ne faut pas toujours répéter. Quelque copie qu'il puisse produire des Articles, qu'on peut copier à sa fantaisie, je suis assuré qu'il n'en paraîtra jamais aucune qui lui ait été donnée de notre part, où le XIIe, le XIIIe, le XXXIIIe et le XXXIVe ne se trouvent pas, comme il l'assure. Je répète que de propos délibéré il était Fixé entre nous de n'en consulter jamais aucun avec lui : s'il le veut nier à présent, pour le convaincre, je lui représente, comme j'ai fait dans la Relation (2), ce qu'il a écrit dans son Avertissement (3), où il ne parle que de deux prélats qui ont donné au public XXXIV propositions, et il ne s'avise pas de dire qu'il les ait dressées avec eux. Voilà qui est net : il ne nomme comme auteurs des XXXIV propositions que deux prélats, M. de Paris et moi : pourquoi ne se met-il pas avec eux?

39. Il répond « qu'il ne pouvait se mettre avec eux, en parlant de leurs ordonnances auxquelles il n'a aucune part (4). » Mais la défaite est trop vaine; et pour éclaircir le public de la raison qui le portait à expliquer ces XXXIV propositions que deux prélats ont données au public, il n'aurait pas oublié la part qu'il y aurait eue, s'il n'eût senti dans sa conscience qu'il n'y en avait aucune, non

 

1 Relat., IIIe sect., n. 11-13. — 2 Ibid., Ve sect., II. 18. — 3 Max des SS., Avert., p. 16.— 4 Rép., chap. III, p. 80.

 

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plus qu'à nos ordonnances. Il parlait naturellement, et il avait plus près de la source la mémoire plus fraîche de ce fait. Elle était encore plus récente quand il écrivit son Mémoire où sont ces mots : « J'ai d'abord dit à M. de Meaux que je signerais de mon sang les XXXIV Articles qu'il avait dressés, pourvu qu'il y expliquât certaines choses (1).» Quoi que puisse dire M. de Cambray, ces certaines choses ne pouvaient pas être des articles, puisque le nombre de trente-quatre en était complet selon lui-même, mais tout au plus quelques paroles ; ce qui au fond ne conclut rien. Il répond que c'est par mégarde qu'il a mis trente-quatre au lieu de trente : c'est qu'il dit tout ce qu'il lui plaît. S'il a mis dans ses Maximes un involontaire qui le confond, il en accuse une autre main : s'il écrit trente-quatre, c'est trente qu'il a voulu dire. J'allègue des faits certains et bien écrits de sa main : il se sauve par les inventions de son bel esprit, et il veut qu'on croie tout ce qu'il imagine.

 

M. DE CAMBRAY.

 

40. Certains articles parlent d'eux-mêmes, par exemple le XXXIIe et le XXXIIIe  (2). M. de Cambray prétend que M. de Meaux ayant parlé contre sa propre opinion, surtout dans le XXXIIIe, il ne le peut avoir fait qu'y étant fortement pressé par quelque autre, et il m'interroge en cette sorte : « M. de Meaux me per-mettra-t-il de lui dire ici ce qu'il me dit sans cesse : Etait-ce pour confondre les quiétistes qu'il dressa cet article XXXIII (3). »

 

RÉPONSE.

 

41. Je réponds. Oui, c'était pour les confondre : il importait de leur montrer que les Saints, qui semblaient avoir sacrifié leur salut, n'ont jamais songé à le faire que sous une condition impossible, sous une présupposition absolument fausse : « et que c'était sans déroger à l'obligation des autres actes essentiels au christianisme (4), » afin en effet de confondre les quiétistes qui les voulaient supprimer. C'est donc en vain que M. de Cambray insinue qu'il m'a suggéré cet article : la bonne foi nous le fit mettre

 

1 Mém. de M. de Cambray; Relat., IVe sect., n. 23.—  2 Rép., chap. III, p. 80, 81. — 3 Ibid., p. 87. — 4 Art. 33 d'Issy.

 

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pour ne point dissimuler la plus grande objection des quiétistes, et en donner en même temps la solution. Le reste de ce qu'allègue M. de Cambray regarde le fond, où il n'est pas question d'entrer à présent, et à quoi j'ai satisfait ailleurs. Mais on va voir encore sur les Articles une étrange parole de ce prélat.

 

§ IX. Encore sur les Articles, et sur la mauvaise foi dont M. de Cambray s'accuse lui-même.

M.   DE   CAMBRAY.

 

42. « Le lendemain je déclarai par une lettre aux deux prélats, que je signerais les Articles par déférence contre ma persuasion : mais que si on voulait ajouter certaines choses, je serais prêt à signer de mon sang (1). »

 

RÉPONSE.

 

43. Je n'ai jamais vu de lettres où il déclarât qu'il signerait contre sa persuasion : et je déplore seulement qu'il se reconnaisse capable de signer ce qu'il ne croit pas.

 

M. DE CAMBRAY.

 

44. « Si j'eusse cru ces Articles faux, j'aurais mieux aimé mourir que de les signer : mais je les croyais véritables : je les trouvas seulement insuffisants pour lever certaines équivoques, et pour finir toutes les questions. C'était précisément là-dessus que tombait ma persuasion opposée à celle de M. de Meaux. »

 

RÉPONSE.

 

45. Il s'aveugle, et il s'enferre sans nécessité. Accordez, si vous pouvez, ces deux contraires : Je croyais les Articles véritables, et je les signais contre ma persuasion. Est-ce signer contre sa persuasion, que de vouloir lever des équivoques ; et quelqu'un a-t-il jamais parlé ainsi ? M. de Cambray force partout le langage humain   il a cru sans doute que j'avais la lettre où il exprime cette

 

1 Rép. chap. III, p. 77.

 

 

242

 

signature contre sa pensée, et pour y trouver une excuse, il a embrouillé tout son discours.

 

M. DE CAMBRAY.

 

46. « Si M. de Meaux répond qu'il avait suffisamment exigé (ma profession de foi) en me faisant signer les XXXIV Articles : il doit se souvenir que selon sa Relation, je ne les avais signés que par obéissance contre ma persuasion. Cette signature faite contre ma conscience, loin de le rassurer, devait l'alarmer plus que tout le reste (1). »

 

RÉPONSE.

 

47. Il interprète lui-même que signer contre sa persuasion, c'est signer contre sa conscience ; et il dit que selon ma Relation, il a signé de cette sorte : mais ce n'est pas moi qui parle ainsi. J'ai bien dit qu'il avait signé par obéissance (2) : quand on signe de cette sorte, on fait ce que la théologie appelle déposer son doute ou son opinion : nous crûmes alors facilement après toutes les promesses de M. de Cambray ; qu'au moins il avait signé dans cet esprit, ce qui naturellement prépare la voie à l'intelligence parfaite : si le contraire est arrivé à M. de Cambray, et qu'en effet il ait signé contre sa conscience, je ne vois pas dans les cœurs : je ne le dis pas ; mais par malheur, c'est lui-même qui vient d'avouer qu'il était prêt à signer par déférence, contre sa persuasion. Sur un tel entortillement je l'abandonne à lui-même, et je lui laisse à expliquer un mauvais discours.

 

§ X. Sur la soumission avant le sacre.

M. DE CAMBRAY.

 

48. « M. de Meaux assure que deux jours avant mon sacre, étant à genoux et baisant la main qui me devait sacrer, je la prenais à témoin que je n'aurais jamais d'autre doctrine que la sienne. Quoi? d'autre doctrine que la sienne? C'est celle de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, qu'il faut qu'un évêque promette de suivre, et non pas celle d'un autre évêque.

 

1 Rép., chap. III, p. 86. — 2 Relat., IIIe sect., n. 12.

 

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Si j'eusse parlé ainsi, il aurait dû me reprendre : aussi n'ai-je jamais rien fait qui ressemble à ce récit (1).  »

 

RÉPONSE.

 

49. N'est-ce donc rien qui ressemble à ce récit, de m'avoir écrit tant de fois sur des points de foi : « Il ne me reste qu'à obéir : car ce n'est pas l'homme ou le très-grand docteur que je regarde en vous : c'est Dieu : un mot sans raisonnement me suffira : je ne tiens qu'à une seule chose, qui est l'obéissance simple : ma conscience est donc dans la vôtre : traitez-moi comme un petit écolier (2), » et le reste qu'on peut voir dans ma Relation : et maintenant il vient nous apprendre « que c'est la foi de l'Eglise catholique, apostolique et romaine qu'il faut qu'un évêque suive, et non pas celle d'un autre évêque. » Qui ne le sait? Mais lorsqu'on parle à un autre évoque comme on vient d'entendre, c'est qu'on a toute la certitude morale de la foi de cet autre évêque conforme à la catholique, apostolique et romaine, et qu'on espère d'entendre Dieu parler par sa bouche : ce qui fait écrire avec confiance comme faisait ce prélat : C’est Dieu que je regarde en vous.

50. Je n'avais donc point à reprendre M. de Cambray de sa protestation : il ne faisait que répéter par cette action, ce qu'il avait dit autant et plus fortement dans ses lettres. Je ne le crois pas assez injuste pour blâmer ces paroles de ma Relation : « Je reçus cette soumission comme j'avais reçu toutes les autres de même nature, que l'on voit encore dans ses lettres : mon âge, mon antiquité , la simplicité de mes sentiments, qui n'étaient que ceux de l'Eglise, et le personnage que je devais faire, me donnaient cette confiance (3). » Pourquoi donc ici se récrier tant : Quoi? n'avoir point d'autre doctrine que celle de M. de Meaux? N'était-ce pas à l'Eglise catholique que je voulais l'attacher, en l’obligeant à quitter les malheureuses singularités que je rejetais? Quoi qu'il en soit, il n'y a rien de nouveau, rien qui ne ressemble à ce que M. de Cambray avait déjà fait : et s'il nie le fait du sacre, du moins il n'en peut nier la connexion avec ce qui

 

1 Rép., chap. IV, p. 85. — 2 Relat., IIIe sect., n. 4, 6, 7. — 3 Ibid., n. 14.

 

244

 

précédait. Le reste, qui nous jetterait sur la question de mon empressement à faire ce sacre, ne vaut pas la peine d'être examiné.

 

§ XI. Sur Synesius.

 

M. DE CAMBRAY.

 

M. « Pour aplanir tant de difficultés, il a recours à l'exemple du grand Synesius (1). »

 

RÉPONSE.

 

52. Il ne servait de rien à notre sujet d'employer quatre grandes pages à expliquer le fait de Synesius, ni de se montrer savant dans une chose si triviale. Tout ce que j'ai voulu tirer de cet exemple, c'est que si on a cru que Synesius serait docile à déposer les erreurs dont il s'accusait lui-même, je pouvais bien espérer que M. de Cambray en ferait autant après des promesses si solennelles.

 

§ XII. Du peu de secret dont M. de Cambray m'accuse.

M. DE CAMBRAY.

 

53. « C'est ainsi que M. de Meaux parlait à tous ses confidents en grand nombre : il leur racontait qu'il venait de sauver l'Eglise : qu'il avait découvert et foudroyé une secte naissante ; et les confidents de M. de Meaux en assez grand nombre avoient à leur tour d'autres confidents aussi zélés qu'eux, pour les victoires de M. Meaux contre le quiétisme. Ce que j'avais confié secrètement à M. de Meaux me revenait par ce demi-secret qui est pire qu'une divulgation entière. » Me voilà bien foudroyant et bien enflé de mes victoires.

 

RÉPONSE.

 

54. Les diseurs de belles paroles parlent autant contre eux que pour eux. Si pour vanter mes victoires sur le quiétisme renaissant en M. de Cambray, on ne faisait que divulguer ce que ce

 

1 Rép., chap. IV, p. 94.

 

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prélat m'avait confié, il me l’avait donc confié? et l’on ne divulguait rien que de véritable. Parlons nettement : Si l'on avait voulu perdre M. de Cambray, il ne fallait point tant de confidents. Qu'il voie là-dessus dans cet article vu, la réponse des nombres 15, 16 et 23 : et qu'il reconnaisse l'effet de notre silence durant trois ans.

 

§ XIII. Sur les lettres de M. l'abbé de la Trappe.

 

M. DE CAMBRAY.

 

55. « Si on doute de ce fait, on n'a qu'à lire la première des deux lettres de M. l'abbé de la Trappe sur mon livre. Je pensais, dit-il, parlant de moi, que toutes les impressions qu'avait pu faire sur lui cette opinion fantastique, étaient entièrement effacées, et qu'il ne lui restait que la douleur de l'avoir écoutée (1). »

 

RÉPONSE.

 

56. Que M. de Cambray se souvienne des bruits répandus partout depuis si longtemps, de sa liaison avec madame Guyon (2) : liaison qui était fondée sur la spiritualité, et si répandue dans le monde, que ce prélat va encore nous avouer que sa réputation eût été blessée, si cette femme se trouvait capable en ce temps des erreurs dont elle était accusée. Après cela on pouvait juger des impressions qu' AVAIT PU FAIRE sur lui une opinion fantastique : son livre imprimé était une preuve qu'elles étaient véritables; et l'on pouvait alors en être étonné, comme tout le monde le fut, sans jugement téméraire. C'est donc par une injuste préoccupation qu'il veut toujours tout rejeter sur M. de Meaux.

 

§ XIV. Erreur de M. de Cambray, qui fait dépendre sa réputation de celle de madame Guyon.

 

M. DE CAMBRAY.

 

57. « Approuver le livre de M. de Meaux, c'était, comme nous lavons déjà vu, me couvrir d'une éternelle confusion, pour les temps ou j'avais estimé cette personne (3). »

 

1 Rép., ch. V, p. 102. — 2 Voyez ci-dessus, n. 15, 16, 23. — 3 Rép., ch. V, p. 104.

 

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58. En effet il dit ailleurs : « M. de Meaux croit répondre d'un seul mot, en disant que madame Guyon n'est plus abominable si elle a quitté ses erreurs. Mais pendant qu'elle les enseignait avec tant d'art, par un système suivi et soutenu, n'était-elle pas abominable? n'était-elle pas digne du feu ? M. de Meaux se contente de répondre qu'il ne la faut point brûler si elle a renoncé à ses impiétés : mais il se garde bien de répondre pour les temps où elle les croyait et les enseignait, etc. (1). »

 

RÉPONSE.

 

59. Il oublie tous les endroits de la Relation où j'excuse madame Guyon (2) par le repentir qu'elle témoignait, et les temps passés, par son ignorance. Quand il dit que l'ignorance n'excuse pas des maximes si monstrueuses (3), il ne songe pas aux spécieuses paroles dont le quiétisme les couvre. Elles ne lui sont pas inconnues : lorsqu'une femme ignorante et trompée par ses directeurs revient de bonne foi, on l'humilie devant Dieu; mais devant les hommes, on aime mieux la plaindre que de la blâmer : loin qu'on charge sur les ignorants, on excuse même les savants qui ont été éblouis : s'ils se corrigent, on oublie ce qu'ils ont été, et on admire ce qu'ils sont.

60. En tout cas, il n'y a point de réplique à ces arguments de la Relation (4) : toute la chrétienté condamnait ces livres : il les fallait condamner avec toute la chrétienté : personne ne les excusait sur l'intention de l'auteur : il ne fallait point leur chercher une si mauvaise excuse : si on ne savait pas que M. de Cambray eût laissé estimer ces livres, sa réputation demeurait entière en approuvant le livre de M. de Meaux : si on le savait, M. de Cambray n'en était que plus obligé à se déclarer et à sacrifier sa réputation à la vérité qui la lui aurait bientôt rendue.

 

1 Rép., chap. II, 3e obj., p. 60. — 2 Relat., IVe sect, n. 17, etc. — 3 Mém.; Relat., ibid., n. 5. — 4 Relat., ibid., n. 18.

 

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§ XV. Encore sur le secret.

 

M. DE CAMBRAY.

 

61. « Qui est-ce qui a parlé? Ai-je dit dans le monde que M. de Meaux m'avait proposé d'approuver son livre? C'est M. de Meaux qui s'est vanté de me faire approuver son livre pour avoir une rétractation cachée sous un titre plus spécieux : c'est lui qui a publié ensuite que j'avais refusé cette approbation promise: sans lui qui aurait jamais su que je ne voulais pas achever de diffamer la personne de madame Guyon (1) ? »

 

RÉPONSE.

 

62. Avec tout son esprit, M. de Cambray ne dira jamais que des minuties. On ne fait point un mystère d'avouer qu'on a demandé l'approbation d'un ami, c'est-à-dire qu'on s'est soumis à son jugement. J'ai pu dire sans façon et aussi sans affectation, que j'avais demandé à M. de Cambray la même grâce qu'à M. de Paris et à M. de Chartres ; c'était pour l'Eglise un avantage qu'il ne fallait pas taire, de voir sur le quiétisme l'unanimité dans l'épiscopat entre ceux qui avoient traité cette matière.

63. Mais vous me demandiez mon approbation comme une rétractation cachée : par où prouve-t-on ce fait? Mais vous vous êtes vanté de cette approbation? En vérité et de bonne foi, était-ce tant de quoi se vanter que M. de Cambray approuvât mon livre? Ce prélat me fait bien enfant; mais avouons qu'il se fait en même temps bien petit. Si le monde devait entendre que l'approbation de mon livre fût une rétractation de la doctrine de madame Guyon par M. de Cambray, qui n'avait jamais rien donné sur ce sujet, le monde savait donc bien qu'il lui était favorable.

64. Il veut que j'aie deviné qu'il avait la réputation de madame Guyon si fort à cœur, qu'il en faisait dépendre la sienne propre ; et enfin que, pour la sauver, il inventeront cette nouvelle question de fait, qui apprend à séparer l'intention d'un auteur d'avec toute la suite de ses paroles, et l'unique sens de son livre. S'il y a quelque

 

1 Rép., chap. V, p. 107.

 

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que exemple dans le monde d'une pareille illusion, je veux bien que l'on m'accuse de l'avoir prévue.

65. Mais qui saurait, poursuit-il, qu'il avait ménagé madame Guyon, si M. de Meaux ne l'avait publié ? comme si l'on ne savait pas les choses qui parlent d'elles-mêmes. M. de Cambray s'est bien aperçu que son nom ne paraissant pas avec les deux autres, on en verrait bien les raisons sans que personne se mit en peine de les publier: c'est par là qu'il s'est engagé à composer son Mémoire, où, sans m'accuser d'avoir divulgué ce que tout le monde voyait de soi-même, il remue tout pour s'excuser; mais en s'excusant, il s'engage; et il a si bien démontré que pour agir conséquemment il lui fallait soutenir madame Guyon, que tout le monde l'a cru.

 

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