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Unité de l'Eglise

 

SERMON
PRÊCHÉ A L'OUVERTURE DE
L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU CLERGÉ DE FRANCE,
SUR L'UNITÉ  DE  L'ÉGLISE.

 

REMARQUES HISTORIQUES.

 

De graves contestations, dont la première cause visible fut la régale, avait désuni le Saint-Siège et la Cour de France ; la dissension, s'envenimant tous les jours, menaçait la chrétienté de grands malheurs ; Louis XIV assembla le clergé de son royaume pour apaiser la division naissante, ou pour trancher le différend selon ses vues. Bossuet, célèbre tout ensemble par l'orthodoxie de la doctrine, par l'étendue du savoir et par la majesté de l'éloquence, fut chargé de prononcer le discours qui devait ouvrir l'assemblée;

Quelle position pour l'orateur! D'un coté, le vicaire du Dieu fait homme, un auguste Pontife portant la double auréole de la science et de la sainteté, défenseur intrépide des droits de l'Eglise et des privilèges conquis par le sang du Calvaire ; de l'autre côté le chef d'une nation puissante, un grand roi qui faisait la terreur et l'admiration de l'Europe, accoutumé à voir tout plier sous sa volonté, revendiquant un droit de sa couronne. Comment rapprocher ces deux puissances? comment concilier des prétentions si contraires? comment ramener a la condescendance un père outragé, et des enfants indociles à la soumission?

A la contention, à la rupture , à la division, Bossuet opposa l'unité chrétienne : l'unité, lien céleste qui doit faire de la race humaine une seule famille de frères; l'unité, mystérieuse harmonie qui, unissant les trois Personnes adorables dans une même essence, a ramené l'ordre dans le monde et réconcilié le ciel et la terre. Pour consommer le mystère de l'unité, Jésus-Christ choisit Pierre,' à qui il inspire une foi digne d'être le fondement de l'admirable édifice qu'il veut construire.

 

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Par ce choix tout divin, Pierre reçoit une primauté qui le distingue entre tous ses frères, qui l'établit chef de la chrétienté, et qui élève en sa personne l'Eglise romaine à un si haut degré d'honneur et d'autorité : car ce qui doit servir de fondement a une Eglise éternelle ne peut jamais avoir de fin; Pierre vit toujours, dans ses successeurs; ses prérogatives leur seront transmises d'âge en. âge jusqu'à la consommation des siècles. Voilà pourquoi les Pères ont exalté comme à l'envi, dans l'Eglise romaine « la principauté de la chaire apostolique ; la principauté principale; la source de l'unité et l'éminent degré de la chaire sacerdotale; l'Eglise mère, qui tient en sa main la conduite de toutes les autres églises; le Chef de l'épiscopat d'où part le rayon du gouvernement; la chaire principale, la chaire unique on laquelle seule tous gardent l'unité. »

Fidèle à la doctrine de tous les siècles, l'Eglise gallicane a toujours été soigneuse de témoigner au Saint-Siège son attachement filial, toujours empressée de l'entourer d'honneurs et d'hommages. En recevant par le ministère de saint Rcmi Clovis et les François dans son sein, cette église leur imprima dans le fond du coeur un respect tout particulier pour le Saint-Siège, dont ils devaient être les plus zélés, de même que les plus puissants protecteurs. Les princes de la deuxième race ont été le plus ferme appui de l'Eglise romaine : témoin tant de papes réfugiés, protégés, rétablis, comblés de biens. Et que n'ont pas fait les roiN de la troisième race? Au milieu des troubles qui leur faisaient tout craindre, les papes reçurent toujours de nos rois des marques efficaces de la plus profonde vénération. Plus favorable à leur puissance sacrée que l'Italie et que Rome même, la France leur devint comme un second Siège où ils tenaient leurs conciles, et d'où ils faisaient entendre leurs oracles par toute l'Eglise.

Mais si la France a rendu de si grands services au Saint-Siège, voudrait-elle aujourd'hui ternir tant de gloire, mettre en lambeaux sa propre couronne? Puisqu'elle s'est toujours groupée dans son affection filiale autour de la Mère de toutes les églises, elle doit resserrer des liens si chers et si précieux ; elle doit, en unissant plus étroitement le chef et les membres, le sacerdoce et l'empire, prévenir les suites d'mie rupture à jamais funeste. A leur tour les souverains Pontifes recevront ses hommages avec bienveillance. Puisqu'ils ont toujours reconnu les marques si distinguées que nos rois leur ont données de leur affection; puisqu'ils ont proclamé si hautement leur magnanimité, en les élevant autant au-dessus des autres souverains que les souverains sont au-dessus des particuliers, ils honoreront ceux qui les ont si sincèrement honorés, et la bonne harmonie se maintiendra par de mutuelles déférences. Que d'égards ne mérite pas un trône qui, depuis plus de douze cents ans, n'a jamais été occupé que par des rois toujours

 

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enfants de l'Eglise catholique, toujours dévoués au Saint-Siège! On doit connaitre maintenant le but que Bossuet s'est proposé dans le Sermon sur l'unité : il a voulu ramener la concorde et la paix dans les esprits, réconcilier la fille ainée de l'Eglise avec sa sainte Mère, prévenir une funeste rupture qui menaçait d'éclater à chaque instant. Mais l'auteur a lui-même exposé les intentions qui ont dirigé sa plume : écoutons-le. Dans une lettre adressée au cardinal d'Estrées ambassadeur de France auprès du Saint-Siège, après avoir dit qu'il envoie à Son Eminence « le sermon d'ouverture sortant de dessous la presse et avant qu'il fût publié, » Bossuet ajoute : « Afin que vous soyez instruit de tout le fait, je lus le sermon à M. de Paris et à M. de Rheims deux jours avant que de le prononcer. On demeura d'accord qu'il n'y avait rien à changer. Je le prononçai de mot a mot comme il avait été lu. On a souhaité depuis de le revoir en particulier avec plus de soin, afin d'aller en tout avec maturité. Il fut relu a MM. de Paris, de Rheims, de Tournay (a) pour le premier ordre; et pour le second, a M. l'abbé de Saint-Luc et à MM. Cocquelin chancelier de Notre-Dame, Courcier théologal, et Faure. On alla jusqu'à la chicane, et il passa tout d'une voix qu'on n'y changerait pas une syllabe. Quelqu'un (b) dit seulement à l'endroit que vous trouverez, page..., où il s'agit d'un passage de Charlemagne (c), qu'il ne fallait pas dire comme il y avait : « Plutôt que de rompre avec elle; » mais : « Plutôt que ;de rompre avec l'Eglise. » Je refusai ce parti comme introduisant une espèce de division entre l'Eglise romaine et l'Eglise en général. Tous furent de mon avis, et même celui qui avait fait la difficulté? La chose fut remuée depuis par le même, qui trouvait que le mot de rompre disait trop. Vous savez qu'on ne veut pas toujours se dédire. Je proposai au lieu de rompre, de mettre : « Rompre la communion; » ce qui était, comme vous voyez, la même chose : la difficulté cessa à l'instant; Le roi a voulu voir le sermon : Sa Majesté l'a lu tout entier avec beaucoup d'attention, et m'a fait l'honneur de me dire qu'elle en était très-contente, et qu'il le fallait imprimer. L'assemblée m'a ordonné de le faire, et j'ai obéi. »

Bossuet dit ensuite « qu'il y a eu certains autres petits incidents, mais qui ne sont rien et ne valent pas la peine » d'être rapportés; puis il reprend : « Pour venir un peu plus au fond, je dirai à Votre Eminence que je fus indispensablement obligé de parler des libertés de l'Eglise gallicane : elle voit bien à quoi cela m'engageait; et je me proposai

 

(a) Le premier, M. de Harlay de Chanvalon; le second, M. le Tellier; le troisième, M. Gilbert de Choiseul du Plessis-Praslin. — (b) L'archevêque de Paris. M. de Harlay ue voyait pas avec plaisir l'ascendant de Bossuet — (c) Ce passage le voici : «Quand cette Eglise (l'Eglise de Saint-Pierre) imposerait un joug à peine supportable, il le faudrait souffrir plutôt que de rompre la communion avec elle. »

 

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deux choses : l'une, de le faire sans aucune diminution de la vraie grandeur du Saint-Siège ; l'autre , de les expliquer de la manière que les entendent les évêques, et non pas de la manière que les entendent les magistrats. Après cela je n'ai rien à dire à Votre Eminence : elle jugera elle-même si j'ai gardé les tempéraments nécessaires. Je puis dire en général que l'autorité du Saint-Siège parut très-grande à tout l'auditoire. Je pris soin d'en relever la majesté autant que je pus; et en exposant avec tout le respect possible l'ancienne doctrine de la France, je m'étudiai autant à donner des bornes à ceux qui en abusaient qu'à l'expliquer elle-même. Je dis mon dessein : Votre Eminence jugera de l'exécution.

» Je ne lui fais pas remarquer ce que j'ai répandu par-ci par-là pour induire les deux puissances à la paix : elle n'a pas besoin d'être avertie. Je puis dire que tout le monde jugea que le Sermon était respectueux pour elles, pacifique, de bonne intention ; et si l'effet de la lecture est semblable à celui de la prononciation, j'aurai sujet de louer Dieu. Mais comme ce qui se lit est sujet à une plus vive contradiction, j'aurai besoin que Votre Eminence prenne la peine d'entrer à fond dans tous mes motifs et dans toute la suite de mon discours, pour justifier toutes les paroles sur lesquelles on pourrait épiloguer. Je n'en ai pas mis une seule qu'avec des raisons particulières et toujours, je vous l'assure devant Dieu, avec une intention très-pure pour le Saint-Siège et pour la paix.

» Les tendres oreilles des Romains doivent être respectées, et je l'ai fait de tout mon cœur. Trois points les peuvent blesser : l'indépendance de la temporalité des rois, la juridiction épiscopale immédiatement de Jésus-Christ et l'autorité des conciles. Vous savez bien que sur ces choses on ne biaise point en France; et je me suis étudié à parler de sorte que, sans trahir la doctrine de l'Eglise gallicane, je pusse ne point offenser la majesté romaine. C'est tout ce qu'on peut demander à un évêque français qui est obligé par les conjonctures à parler de ces matières. En un mot j'ai parlé net, car il le faut partout et surtout dans la chaire : mais j'ai parlé avec respect, et Dieu m'est témoin que ç'a été à bon dessein (1). »

Le lecteur admettra sans peine, nous le pensons du moins, tout ce que Bossuet vient de dire ; mais le sermon renferme deux ou trois choses qu'il ne comprendra ni n'admettra peut-être pas aussi facilement. Par exemple, nous lisons : « La puissance qu'il faut reconnaitre dans le Saint-Siège est si haute et si éminente,... qu'il n'y a rien au-dessus que toute l'Eglise catholique ensemble. » Qu'est-ce que toute l'Eglise catholique ensemble sans le Saint-Siège, c'est-à-dire selon Bossuet,

 

1 Lettre du 1er décembre 1881.

 

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sans « l'Eglise mère qui tient en sa main la conduite de toutes les autres églises, » sans « le Chef de l'épiscopat d'où part le rayon du gouvernement, » sans « la chaire unique en laquelle seule tous gardent l'unité! » Otez l'Eglise de Pierre, vous aurez aujourd'hui des églises nationales et demain des églises individuelles, mais vous n'aurez plus d'Eglise universelle; détruisez le Pasteur qui pait les agneaux et les brebis, et vous créez autant de papes qu'il y a d'évêques et même de chrétiens.

Le sermon demande à plusieurs reprises l'observation des lois canoniques. Certes nous n'essaierons pas de prouver, après Bossuet, que l'Eglise romaine les a toujours observées; mais en peut-on dire autant de l'Eglise gallicane? Les prélats du XVIIe siècle voulaient être gouvernés d'après les canons, rien de mieux; mais comment gouvernaient-ils leur clergé? Libertés de l'Eglise gallicane : libertés légitimes, encore une fois rien de plus juste; mais à quoi servent-elles? qui en profite ?

Le sermon s'appuie sur la Pragmatique Sanction dite de saint Louis. Appui caduc même dans le XVIIe siècle, et que la saine critique a jeté par terre malgré le contrefort des jansénistes et de leurs alliés. La fameuse Pragmatique a été fabriquée deux siècles après saint Louis, vers 1438, sous Charles VII, dans le temps de la Pragmatique de Bourges; M. Thomassy l'a démantelée il y a vingt ans (1); et tout récemment M. Charles Gérin, homme d'un grand savoir, substitut du procureur impérial à Paris, l'a démolie pièce par pièce (2). Les légistes courtisans (ils le sont tous ou du pouvoir ou du populaire) continueront d'invoquer ce document apocryphe; mais les écrivains qui se respectent n'en parleront plus que pour en montrer la fausseté.

Enfin le sermon parle à voix basse, à demi-mots d'un ou deux souverains pontifes qui, « contre la coutume de leurs prédécesseurs, ou par violence, ou par surprise, n'ont pas assez constamment soutenu ou assez pleinement expliqué la doctrine de la foi; » mais ce sont là de ces choses « qu'un évêque français était obligé » à dire quand il parlait dans certaines «conjonctures; » de ces choses que Bossuet a « répandues par-ci par-là » pour chatouiller agréablement des oreilles plus « tendres encore que celles des Romains, » pour ouvrir des esprits prévenus à des conseils salutaires, pour écarter un malheur qui aurait rabaissé l'Eglise gallicane au niveau de l'Eglise grecque, et le clergé le plus distingué du monde au rang des popes moscovites. Pour être justes, nous devons voir dans le Sermon sur l'unité ce qui en fait le fond,

 

1 De la Pragmatique Sanction attribuée à saint Louis; Paris, chez Sagnier et Bray, 1814. — 2 Mémoire historique sur la Pragmatique Sanction attribuée à saint Louis. Dans les Archives de théologie catholique, revue qui paraît à Besançon. Voir les numéros de mars, avril, mai, juin, juillet et août 1863.

 

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l'exaltation du Saint-Siège par l'Ecriture sainte, par la tradition et par l'histoire.

 

Le Sermon sur l’unité de l’Eglise fut prêché le 9 novembre 1681 , à l'ouverture de l'assemblée générale du clergé, à la messe du Saint-Esprit, dans l'église des Grands-Augustins. Il est bon de remarquer cette dernière indication, car le prédicateur adressera la parole à des religieux.

L'ouvrage était imprimé déjà le 1er décembre; car la lettre où nous avons vu que l'auteur en parle comme « sortant de dessous la presse, » est de cette date. Bossuet en soigna l'impression au point qu'il fit faire un carton pour mettre en caractères romains un mot qui était en italiques.

L'assemblée du clergé ordonna la publication du discours. Il fut livré au public dans le mois de janvier 1682. Un premier tirage fut donné, dans le format in-4° chez Frédéric Léonard, imprimeur du roi; puis un second, dans le format in-18, chez le même. Les deux tirages sont absolument semblables; seulement le dernier renferme deux fautes essentielles.

Celles qui se trouvent dans les éditions postérieures sont nombreuses; nous nous permettons d'en signaler une, une seule, et parce qu'elle montre une fois de plus avec quelle intelligence Déforis a corrigé Bossuet, et parce qu'elle appellera l'attention sur une locution remarquable. Toutes les éditions faites après 1772 portent, vers le commencement du premier point : «Pierre chargé de tout en général,... ne laissa pas... de se charger du soin spécial des Juifs, comme Paul se chargea du soin spécial des Gentils. » Bossuet a dit et fait imprimer; «... se chargea d'un soin spécial des Juifs, comme Paul se chargea d'un soin spécial des Gentils. »

 

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SERMON SUR L'UNITÉ  DE  L'ÉGLISE.

 

Quàm pulchra tabemacula tua, Jacob, et tentoria tua, Israël.

 

Que vos tentes sont belles, ô enfants de Jacob ! que vos pavillons, ô Israélites, sont merveilleux! C'est ce que dit Balaam inspiré de Dieu à la vue du camp d'Israël dans le désert. Au livre des Nombres, XXIV, 1, 2, 3, 5.

 

Messeigneurs,

 

C'est sans doute un grand spectacle de voir l'Eglise chrétienne figurée dans les anciens Israélites ; la voir, dis-je, sortie de l'Egypte et des ténèbres de l'idolâtrie, cherchant la terre promise à travers d'un désert immense où elle ne trouve que d'affreux rochers et des sables brûlants; nulle terre, nulle culture, nul fruit; une sécheresse effroyable; nul pain qu'il ne lui faille envoyer du ciel; nul rafraîchissement qu'il ne lui faille tirer par miracle du sein d'une roche; toute la nature stérile pour elle, et aucun bien que par grâce : mais ce n'est pas ce qu'elle a de plus surprenant. Dans l'horreur de cette vaste solitude on la voit environnée d'ennemis; ne marchant jamais qu'en bataille ; ne logeant que sous des tentes : toujours prête à déloger et à combattre : étrangère que rien n'attache , que rien ne contente, qui regarde tout en passant sans vouloir jamais s'arrêter : heureuse néanmoins dans cet état, tant à cause des consolations qu'elle reçoit durant le voyage, qu'à cause du glorieux et immuable repos qui sera la fin de sa course. Voilà l'image de l'Eglise pendant qu'elle voyage sur la terre. Balaam la voit dans le désert : son ordre, sa discipline, ses douze tribus rangées sous leurs étendards : Dieu, son Chef invisible au milieu d'elle : Aaron, prince des prêtres et de tout le peuple de Dieu, chef visible de l'Eglise sous l'autorité de Moïse souverain législateur et figure de Jésus-Christ : le sacerdoce étroitement uni avec la magistrature : tout en paix par le concours de ces deux puissances : Coré et ses sectateurs ennemis de l'ordre et de la paix engloutis à la vue de tout le peuple, dans la terre soudainement

 

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entr'ouverte sous leurs pieds, et ensevelis tout vivants dans les enfers. Quel spectacle! quelle assemblée! quelle beauté de l'Eglise! Du haut d'une montagne, Balaam la voit toute entière ; et au lieu de la maudire comme on l'y voulait contraindre, il la bénit. On le détourne, on espère lui en cacher la beauté en lui montrant ce grand corps par un coin d'où il ne puisse en découvrir qu'une partie; et il n'est pas moins transporté, parce qu'il voit cette partie dans le tout avec toute la convenance et toute la proportion qui les assortit l'un avec l'autre. Ainsi de quelque côté qu'il la considère , il est hors de lui ; et ravi en admiration il s'écrie : Quàm pulchra tabemacula tua, Jacob, et tentoria tua, Israël ! « Que vous êtes admirables sous vos tentes, enfants de Jacob ! » quel ordre dans votre camp ! quelle merveilleuse beauté paraît dans ces pavillons si sagement arrangés ; et si vous causez tant d'admiration sous vos tentes et dans votre marche, que sera-ce quand vous serez établis dans votre patrie !

Il n'est pas possible, mes Frères, qu'à la vue de cette auguste assemblée vous n'entriez dans de pareils sentiments. Une des plus belles parties de l'Eglise universelle se présente à vous. C'est l'Eglise gallicane qui vous a tous engendrés en Jésus-Christ : Eglise renommée dans tous les siècles, aujourd'hui représentée par tant de prélats que vous voyez assistés de l'élite de leur clergé, et tous ensemble prêts à vous bénir, prêts à vous instruire selon l'ordre qu'ils en ont reçu du ciel. C'est en leur nom que je vous parle; c'est par leur autorité que je vous prêche. Qu'elle est belle, cette Eglise gallicane, pleine de science et de vertu ! mais qu'elle est belle dans son tout qui est l'Eglise catholique; et qu'elle est belle saintement et inviolablement unie à son Chef, c'est-à-dire au successeur de saint Pierre ! O que cette union ne soit point troublée ! que rien n'altère cette paix et cette unité où Dieu habite ! Esprit saint, Esprit pacifique, qui faites habiter les frères unanimement dans votre maison, affermissez-y la paix. La paix est l'objet de cette assemblée : au moindre bruit de division nous accourons effrayés pour unir parfaitement le corps de l'Eglise, le Père et les enfants, le Chef et les membres, le sacerdoce et l'empire. Mais puisqu'il s'agit d'unité, commençons à nous unir par

 

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des vœux communs, et demandons tous ensemble la grâce du Saint-Esprit par l'intercession de la sainte Vierge. Ave.

 

Messeigneurs,

 

« Regarde et fais selon le modèle qui t'a été montré sur la montagne (1). » C'est ce qui fut dit à Moïse lorsqu'il eut ordre de construire le tabernacle. Mais saint Paul nous avertit que ce n'est point ce tabernacle bâti de main d'homme qui doit être travaillé avec tant de soin et formé sur ce beau modèle (2). C'est le vrai tabernacle de Dieu et des hommes, c'est l'Eglise catholique où Dieu habite et dont le plan est fait dans le ciel. C'est aussi pour cette raison que saint Jean voyait dans l'Apocalypse « la sainte cité de Jérusalem (3), » et l'Eglise qui commençait à s'établir par toute la terre; il la voyait, dis-je, descendre du ciel. C'est là que les desseins en ont été pris : « Regarde et fais selon le modèle qui t'a été montré sur cette montagne. »

Mais pourquoi parler de saint Jean et de Moïse ? Ecoutons Jésus-Christ lui-même. Il nous dira « qu'il ne fait rien que ce qu'il voit faire h son Père (4). » Qu'a-t-il donc vu, chrétiens, quand il a formé son Eglise? Qu'a-t-il vu dans la lumière éternelle et dans les splendeurs des Saints où il a été engendré devant l'aurore? C'est le secret de l'Epoux, et nul autre que l'Epoux ne le peut dire.

« Père saint, je vous recommande ceux que vous m'avez donnés, » je vous recommande mon Eglise : « gardez-les en votre nom, afin qu'ils soient un comme nous (5); » et encore : « Comme vous êtes en moi et moi en vous, ô mon Père, ainsi qu'ils soient un en nous. Qu'ils soient un comme nous; qu'ils soient un en nous (6) : » je vous entends, ô Sauveur; vous voulez faire votre Eglise belle; vous commencez par la faire parfaitement une : car qu'est-ce que la beauté sinon un rapport, une convenance et enfin une espèce d'unité? Rien n'est plus beau que la nature divine, où le nombre même, qui ne subsiste que dans les rapports mutuels de trois Personnes égales, se termine en une parfaite unité. Après la Divinité rien n'est plus beau que l'Eglise, où l'unité divine est

 

1 Exod., XXV, 40. — 2 Hebr., VIII, 9. — 3 Apoc., XXI, 10. — 4 Joan., V, 19. — 5 Joan., XVII, 11. — 6 Ibid., 21, 22.

 

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représentée. « Un comme nous ; un en nous : regardez et faites suivant ce modèle. »

Une si grande lumière nous éblouirait : descendons, et considérons l'unité avec la beauté dans les chœurs des anges. La lumière s'y distribue sans se diviser : elle passe d'un ordre à un autre, d'un chœur à un autre avec une parfaite correspondance, parce qu'il y a une parfaite subordination. Les anges ne dédaignent pas de se soumettre aux archanges, ni les archanges de reconnaître les puissances supérieures. C'est une armée où tout marche avec ordre, et comme disait ce patriarche : « C'est ici le camp de Dieu (1). » C'est pourquoi dans ce combat donné dans le ciel, on nous représente « Michel et ses anges contre Satan et ses anges (2) ; » il y a un chef dans chaque parti ; mais ceux qui disent avec saint Michel : « Qui égale Dieu? » triomphent des orgueilleux, qui disent : « Qui nous égale? » et les anges victorieux demeurent unis a leur Créateur sous le chef qu'il leur a donné. O Jésus, qui n'êtes pas moins le Chef des anges que celui des hommes, « regardez et faites selon ce modèle : » que la sainte hiérarchie de votre Eglise soit formée sur celle des esprits célestes. Car, comme dit saint Grégoire, « si la seule beauté de l'ordre fait qu'il se trouve tant d'obéissance où il n'y a point de péché, combien plus doit-il y avoir de subordination et de dépendance parmi nous où le péché mettrait tout en confusion sans ce concours (3)? »

Selon cet ordre admirable toute la nature angélique a ensemble une immortelle beauté; et chaque troupe, chaque chœur des anges a sa beauté particulière inséparable de celle du tout. Cet ordre a passé du ciel à la terre ; et je vous ai dit d'abord qu'outre la beauté de l'Eglise universelle qui consiste dans l'assemblage du tout, chaque Eglise placée dans un si beau tout avec une justesse parfaite a sa grâce particulière. Jusqu'ici tout nous est commun avec les saints anges. Mais saint Grégoire nous a fait remarquer que le péché n'est point parmi eux. C'est pourquoi la paix y règne éternellement : cette cité bienheureuse d'où les superbes et les factieux ont été bannis, où il n'est resté que les humbles et les pacifiques, ne craint plus d'être divisée. Le péché est parmi nous ;

 

1 Genes., XXXII, 2. — 2 Apoc., XII, 7. — 3 S. Greg., Epist., lib. V, epist. LIV.

 

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malgré notre infirmité l'orgueil y règne, et tirant tout à soi il nous arme les uns contre les autres. L'Eglise donc qui porte en son sein dans ce secret principe d'orgueil qu'elle ne cesse de réformer dans ses enfants une éternelle semence de division, n'aurait point de beauté durable, ni de véritable unité, si elle ne trouvait dans son unité des moyens de s'y affermir quand elle est menacée de division. Ecoutez, voici le mystère de l'unité catholique et le principe immortel de la beauté de l'Eglise. Elle est belle et une dans son tout ; c'est ma première partie, où nous verrons la beauté de tout le corps de l'Eglise : belle et une en chaque membre ; c'est ma seconde partie, où nous verrons la beauté particulière de l'Eglise gallicane dans ce beau tout de l'Eglise universelle : belle et une d'une beauté et d'une unité durable ; c'est ma dernière partie, où nous verrons dans le sein de l'unité catholique des remèdes pour prévenir les moindres commencements de division et de trouble. Que de grandeur et que de beauté ! mais que de force, que de majesté, que de vigueur dans l'Eglise ! Car ne croyez pas que je parle d'une beauté superficielle qui trompe les yeux : la vraie beauté vient de la santé : ce qui rend l'Eglise forte la rend belle ; son unité la rend belle, son unité la rend forte. Voyons donc dans son unité, et sa beauté et sa force : heureux si l'ayant vue belle premièrement dans son tout, et ensuite dans la partie à laquelle nous nous trouvons immédiatement attachés, nous travaillons à finir jusqu'aux moindres dissensions qui pourraient défigurer une beauté si parfaite. Ce sera le fruit de ce discours, et c'est sans doute le plus digne objet qu'on puisse proposer à un si grand auditoire.

 

PREMIER POINT.

 

J'ai, Messieurs, à vous prêcher un grand mystère : c'est le mystère de l'unité de l'Eglise. Unie au dedans par le Saint-Esprit, elle a encore un lien commun de sa communion extérieure, et doit demeurer unie par un gouvernement où l'autorité de Jésus-Christ soit représentée. Ainsi l'unité garde l'unité, et sous le sceau du gouvernement ecclésiastique l'unité de l'esprit est conservée. Quel est ce gouvernement? quelle en est la forme? Ne disons rien de

 

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nous-mêmes : ouvrons l'Evangile : l'Agneau a levé les sceaux de ce sacré Livre, et la tradition de l'Eglise a tout expliqué.

Nous trouverons dans l'Evangile que Jésus-Christ voulant commencer le mystère de l'unité dans son Eglise, parmi tous les disciples en choisit douze : mais que voulant conserver le mystère de l'unité dans la même Eglise, parmi les douze il en choisit un. « Il appela ses disciples, » dit l'Evangile (1); les voilà tous ; « et parmi eux il en choisit douze ; » voilà une première séparation, et les apôtres choisis : « Et voici les noms des douze apôtres ; le premier est Simon qu'on appelle Pierre (2). » Voilà dans une seconde séparation saint Pierre mis à la tête, et appelé pour cette raison du nom de Pierre, « que Jésus-Christ, dit saint Marc (3), lui avait donné : » pour préparer, comme vous verrez, l'ouvrage qu'il méditait d'élever tout son édifice sur cette pierre. Tout ceci n'est encore qu'un commencement du mystère de l'unité. Jésus-Christ en le commençant parlait encore à plusieurs : « Allez, prêchez, je vous envoie : » Ite, prœdicate, mitto vos (4) : mais quand il veut mettre la dernière main au mystère de l'unité, il ne parle plus à plusieurs ; il désigne Pierre personnellement et par le nouveau nom qu'il lui a donné: c'est un seul qui parle à un seul : Jésus-Christ Fils de Dieu à Simon fils de Jonas : Jésus-Christ qui est la vraie pierre et fort par lui-même, à Simon qui n'est Pierre que par la force que Jésus-Christ lui communique : c'est à celui-là que Jésus-Christ parle, et en lui parlant il agit en lui et y imprime le caractère de sa fermeté : « Et moi, dit-il, je te dis à toi : Tu es Pierre ; et, ajoute-t-il, sur cette pierre j'établirai mon Eglise ; et, conclut-il, les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle (5). » Pour le préparer à cet honneur, Jésus-Christ qui sait que la foi qu'on a en lui est le fondement de son Eglise, inspire à Pierre une foi digne d'être le fondement de cet admirable édifice. « Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant (6). » Par cette haute prédication de la foi il s'attire l'inviolable promesse qui le fait le fondement de l'Eglise. La parole de Jésus-Christ qui de rien fait ce qu'il lui plaît, donne cette force à un mortel. Qu'on ne dise point, qu'on ne pense point que ce

 

1 Luc., VI, 13. — 2 Matth., X, 2. — 3 Marc, III, 16. — 4 Matth., X, 6, 7, 16.— 5 Matth., XVI, 18. — 6 Ibid., 16.

 

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ministère de saint Pierre finisse avec lui : ce qui doit servir de soutien à une Eglise éternelle ne peut jamais avoir de fin. Pierre vivra dans ses successeurs ; Pierre parlera toujours dans sa chaire : c'est ce que disent les Pères ; c'est ce que confirment six cent trente évêques au concile de Chalcédoine (1).

Jésus-Christ ne parle pas sans effet. Pierre portera partout avec lui dans cette haute prédication de la foi le fondement des églises : et voici le chemin qu'il lui faut faire. Par Jérusalem la cité sainte, où Jésus-Christ a paru : où « l'Eglise devait commencer (2) » pour continuer la succession du peuple de Dieu : où Pierre par conséquent devait être longtemps le chef de la parole et de la conduite : d'où il allait visitant les églises persécutées (3), et les confirmant dans la foi : où il fallait que le grand Paul, Paul revenu du troisième ciel, le vînt voir (4) : non pas Jacques quoiqu'il y fût; un si grand apôtre, « frère du Seigneur (5), » évêque de Jérusalem, appelé le Juste et également respecté par les chrétiens et par les Juifs : ce n'était pas lui que Paul devait venir voir ; mais il est venu voir Pierre : et le voir, selon la force de l'original, comme on vient voir une chose pleine de merveilles et digne d'être recherchée : « le contempler, l'étudier, dit saint Jean Chrysostome (6), et le voir comme plus grand aussi bien que plus ancien que lui, » dit le même Père : le voir néanmoins, non pour être instruit, lui que Jésus-Christ instruisait lui-même par une révélation si expresse ; mais afin de donner la forme aux siècles futurs, et qu'il demeurât établi à jamais que quelque docte, quelque saint qu'on soit, fût-on un autre saint Paul, il faut voir Pierre : par cette sainte cité et encore par Antioche, la métropolitaine de l'Orient ; mais ce n'est rien : la plus illustre Eglise du monde, puisque c'est là que le nom de chrétien a pris naissance ; vous l'avez lu dans les Actes (7) : l'Eglise fondée par saint Barnabé et par saint Paul ; mais que la dignité de Pierre oblige à le reconnaître pour son premier pasteur, l'histoire ecclésiastique en fait foi : où il fallait que Pierre vînt quand elle se fut distinguée des autres par une si éclatante

 

1 Conc. Chalc., act. II, III; Lab., tom. IV, col. 368,425; Relat. ad Leon., ibid., col. 833. — 2 Luc., XXIV, 47. — 3 Act., IX, 32. — 4 Gal., I, 18. — 5 Ibid., 19. — 6 In Epist. ad Gal., cap. I, n. 11. — 7 Act., XI, 26.

 

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profession du christianisme, et que sa chaire à Antioche fit une solennité dans les églises : par ces deux villes illustres dans l'Eglise chrétienne par des caractères si marqués, il fallait qu'il vînt à Rome plus illustre encore : Rome le chef de l'idolâtrie aussi bien que de l'empire ; mais Home qui pour signaler le triomphe de Jésus-Christ, est prédestinée à être le chef de la religion et de l'Eglise, doit devenir par cette raison la propre Eglise de saint Pierre, et voilà où il faut qu'il vienne, par Jérusalem et par Antioche.

Mais pourquoi voyons-nous ici l'apôtre saint Paul ? Le mystère en serait long à déduire. Souvenez-vous seulement du grand partage où l'univers fut comme divisé entre Pierre et Paul : où Pierre chargé de tout en général par sa primauté, et par un ordre exprès chargé des Gentils qu'il avait reçus en la personne de Cornélius le Centurion (1), ne laisse pas pour faciliter la prédication, de se charger d'un soin spécial des Juifs, comme Paul se chargea d'un soin spécial des Gentils (2). Puisqu'il fallait partager, il fallait que le premier eût les aînés ; que le chef à qui tout se devait unir eût le peuple sur lequel le reste devait être enté, et que le vicaire de Jésus-Christ eût le partage de Jésus-Christ même. Mais ce n'est pas encore assez, et il faut que Rome revienne au partage de saint Pierre. Car encore que comme chef de la gentilité elle fût plus que toutes les autres villes comprise dans le partage de l'Apôtre des Gentils, comme chef de la chrétienté il faut que Pierre y fonde l'Eglise : ce n'est pas tout ; il faut que la commission extraordinaire de Paul expire avec lui à Rome, et que réunie à jamais pour ainsi parler à la chaire suprême de Pierre à laquelle elle était subordonnée, elle élève L'Eglise romaine au comble de l'autorité et de la gloire : disons encore ; quoique ces deux frères, saint Pierre et saint Paul nouveaux fondateurs de Rome, plus heureux comme plus unis que ses deux premiers fondateurs, doivent consacrer ensemble l’Eglise romaine ; quelque grand que soit saint Paul en science, en dons spirituels, en charité, en courage ; encore qu'il ait « travaille Plus que tous les autres apôtres (3), » et qu'il paroisse étonné lui-même de ses grandes révélations (4) et de l'excès de ses lumières, il faut que la parole de Jésus-Christ prévale : Rome ne sera pas la

 

1 Act., X. — 2 Gal., II, 7-9. — 3 I Cor., XV, 10. — 4 II Cor., XII, 7.

 

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chaire de saint Paul, mais la chaire de saint Pierre : c'est sous ce titre qu'elle sera plus assurément que jamais le chef du monde ; et qui ne sait ce qu'a chanté le grand saint Prosper il y a plus de douze cents ans (1) : « Rome le siège de Pierre, devenue sous ce titre le chef de l'ordre pastoral dans tout l'univers, s'assujettit par la religion ce qu'elle n'a pu subjuguer par les armes. » Que volontiers nous répétons ce sacré cantique d'un Père de l'Eglise gallicane ! c'est le cantique de la paix, où dans la grandeur de Rome l'unité de toute l'Eglise est célébrée.

Ainsi fut établie et fixée à Rome la chaire éternelle. C'est cette Eglise romaine qui, enseignée par saint Pierre et ses successeurs, ne connaît point d'hérésie. Les donatistes affectèrent d'y avoir un siège (2) et crurent se sauver par ce moyen du reproche qu'on leur faisait, que la chaire d'unité leur manquait. Mais la chaire de pestilence ne put subsister, ni avoir de succession auprès de la chaire de vérité. Les manichéens se cachèrent quelque temps dans cette Eglise (3) : les y découvrir seulement, a été les en bannir pour jamais. Ainsi les hérésies ont pu y passer, mais non pas y prendre racine. Que contre la coutume de tous leurs prédécesseurs un ou deux souverains pontifes, ou par violence, ou par surprise, n'aient pas assez constamment soutenu, ou assez pleinement expliqué la doctrine de la foi : consultés de toute la terre et répondant durant tant de siècles à toutes sortes de questions de doctrine, de discipline, de cérémonies, qu'une seule de leurs réponses se trouve notée par la souveraine rigueur d'un concile œcuménique : ces fautes particulières n'ont pu faire aucune impression dans la chaire de saint Pierre. Un vaisseau qui fend les eaux n'y laisse pas moins de vestiges de son passage : c'est Pierre qui a failli ; mais qu'un regard de Jésus ramène aussitôt (4), et qui avant que le Fils de Dieu lui déclare sa faute future, assuré de sa conversion , reçoit l'ordre « de confirmer ses frères (5). » Et quels frères ? les apôtres : les colonnes même : combien plus les siècles suivants? Qu'a servi à l'hérésie des monothélites d'avoir pu surprendre un pape? L'anathème qui lui a donné le premier coup n'en

 

1 S. Prosp., Carm. de Ingr., cap. II.— 2 S. Opt. Mil., lib. II, n. 4.— 3 S. Léo, Serm., XXI, cap. V. — 4 Luc., XXII, 61. — 5 Ibid., 32.

 

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est pas moins parti de cette chaire, qu'elle tenta vainement d'occuper; et la concile VI ne s'en est pas écrié avec moins de force : « Pierre a parlé par Agathon (1). » Toutes les autres hérésies ont reçu du même endroit le coup mortel. Ainsi l'Eglise romaine est toujours vierge ; la foi romaine est toujours la foi de l'Eglise, on croit toujours ce qu'on a cru, la même voix retentit partout, et Pierre demeure dans ses successeurs le fondement des fidèles. C'est Jésus-Christ qui l'a dit, et le ciel et la terre passeront plutôt que sa parole.

Mais voyons encore en un mot la suite de cette parole. Jésus-Christ poursuit son dessein ; et après avoir dit à Pierre éternel prédicateur de la foi : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise (2), » il ajoute : « Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. » Toi qui as la prérogative de la prédication de la foi, tu auras aussi les clefs qui désignent l'autorité du gouvernement; « ce que tu lieras sur la terre, sera lié dans le ciel, et ce que tu délieras sur la terre, sera délié dans le ciel. » Tout est soumis à ces clefs : tout, mes Frères, rois et peuples, pasteurs et troupeaux : nous le publions avec joie : car nous aimons l'unité et nous tenons à gloire notre obéissance. C'est à Pierre qu'il est ordonné premièrement « d'aimer plus que tous les autres apôtres, » et ensuite « de paître » et gouverner tout, « et les agneaux et les brebis (3), » et les petits et les mères, et les pasteurs mêmes : pasteurs à l'égard des peuples et brebis à l'égard de Pierre, ils honorent en lui Jésus-Christ, confessant aussi qu'avec raison on lui demande un plus grand amour, puisqu'il a plus de dignité avec plus de charge; et que parmi nous, sous la discipline d'un maître tel que le nôtre, il faut selon sa parole « que le premier soit comme lui par la charité le serviteur de tous les autres (4). »

        Ainsi saint Pierre paraît le premier en toutes manières : le premier à confesser la foi (5) : le premier dans l'obligation d'exercer l'amour (6) : le premier de tous les apôtres qui vit Jésus-Christ ressuscité des morts (7), comme il en devait être le premier témoin devant tout le peuple (8) : le premier quand il fallut remplir le

 

1 Conc. Const. III, gen. VI, Serm. acclam. ad Imp., act. XVIII.— 2  Matth., XVI, 18, 19.— 3 Joan., XXI, 15-17.— 4 Marc., X, 44. — 5 Matth.  XVI, 16. — 6 Joan., XXI, 15 et seq. — 7 I Cor., XV, 5. — 8 Act., II, 14.

 

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nombre des apôtres (1) : le premier qui confirma la foi par un miracle (2) : le premier à convertir les Juifs (3) : le premier à recevoir les Gentils (4) : le premier partout; mais je ne puis pas tout dire. Tout concourt à établir sa primauté; oui, mes Frères, tout, jusqu'à ses fautes qui apprennent à ses successeurs à exercer une si grande puissance avec humilité et condescendance. Car Jésus-Christ est le seul Pontife, qui au-dessus, dit saint Paul (5), du péché et de l'ignorance, n'a pu ressentir la faiblesse humaine que dans la mortalité, ni apprendre la compassion que par ses souffrances. Mais les pontifes ses vicaires, qui tous les jours disent avec nous : « Pardonnez-nous nos fautes, » apprennent à compatir d'une autre manière, et ne se glorifient pas du trésor qu'ils portent dans un vaisseau si fragile.

Mais une autre faute de Pierre donne une autre leçon à toute l'Eglise. Il en avait déjà pris le gouvernement en main quand saint Paul lui dit en face « qu'il ne marchait pas droitement selon l'Evangile (6) » parce qu'en s'éloignant trop des Gentils convertis il mettait quelque espèce de division dans l'Eglise. Il ne manquait pas dans la foi, mais dans la conduite : je le sais; les anciens l'ont dit, et il est certain : mais enfin saint Paul faisait voir à un si grand apôtre qu'il manquait dans la conduite (7); et encore que cette faute lui fût commune avec Jacques, il ne s'en prend pas à Jacques, mais à Pierre qui était chargé du gouvernement; et il écrit la faute de Pierre dans une Epitre qu'on devait lire éternellement dans toutes les Eglises avec le respect qu'on doit à l'autorité divine ; et Pierre qui le voit ne s'en fâche pas, et Paul qui l'écrit ne craint pas qu'on l'accuse d'être vain ; âmes célestes, qui ne sont touchées que du bien commun, qui écrivent, qui laissent écrire, aux dépens de tout, ce qu'ils croient utile à la conversion des Gentils et à l'instruction de la postérité! Il fallait que dans un pontife aussi éminent que saint Pierre les pontifes ses successeurs apprissent à prêter l'oreille à leurs inférieurs, lorsque beaucoup moindres que saint Paul et dans de moindres sujets, ils lui parleraient avec moins de force, mais toujours avec le même dessein de

 

1 Act., I, 15. — 2 Act., III, 6, 7. — 3 Act., II, 41. — 4 Act., X, 48. — 5 Hebr., II, 17, 18; IV, 15; VII, 26. — 6 Gal., II, 11, 14. —7 Ibid., 11.

 

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pacifier l'Eglise. Voilà ce que saint Cyprien (1), saint Augustin (2) et les autres Pères ont remarqué dans cet exemple de saint Pierre. Admirons après ces grands hommes, dans l'humilité, l'ornement le plus nécessaire des grandes places; et quelque chose déplus vénérable dans la modestie que dans tous les autres dons ; et le monde plus disposé à l'obéissance quand celui à qui on la doit obéit le premier à la raison; et Pierre qui se corrige, plus grand s'il se peut que Paul qui le reprend.

Suivons; ne vous lassez point d'entendre le grand mystère qu'une raison nécessaire nous oblige aujourd'hui de vous prêcher. On veut de la morale dans les sermons, et on a raison pourvu qu'on entende que la morale chrétienne est fondée sur les mystères du christianisme. Ce que je vous prêche, « je vous le dis, est un grand mystère en Jésus-Christ et en son Eglise (3); » et ce mystère est le fondement de cette belle morale qui unit tous les chrétiens dans la paix, dans l'obéissance et dans l'unité catholique.

Vous avez vu cette unité dans le Saint-Siège : la voulez-vous voir dans tout l'ordre et dans tout le collège épiscopal? Mais c'est encore en saint Pierre qu'elle doit paraître, et encore dans ces paroles : « Tout ce que tu lieras sera lié ; tout ce que tu délieras sera délié (4). » Tous les papes et tous les saints Pères l'ont enseigné d'un commun accord. Oui, mes Frères, ces grandes paroles où vous avez vu si clairement la primauté de saint Pierre, ont érigé les évêques, puisque la force de leur ministère consiste à lier ou à délier ceux qui croient ou ne croient pas à leur parole. Ainsi cette divine puissance délier et de délier est une annexe nécessaire et comme le dernier sceau de la prédication que Jésus-Christ leur a confiée, et vous voyez en passant tout l'ordre de la juridiction ecclésiastique. C'est pourquoi le même qui a dit à saint Pierre : « Tout ce que tu lieras sera lié, tout ce que tu délieras sera délié (5), » a dit la même chose à tous les apôtres; et leur a dit encore : « Tous ceux dont vous remettrez les péchés ils leur seront remis, et tous ceux dont vous retiendrez les péchés ils leur seront retenus (6). » Qu'est-ce que lier sinon retenir, et qu'est-ce que délier

 

1 S. Cypr., Epist. LXXI. — 2 S. August., Epist. LXXXIII, n. 22. — 3 Ephes., V, 32. — 4 Matth., XVI, 19. — 5 Matth., XVIII, 18 — 6 Joan., XX, 23.

 

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sinon remettre? Et le même qui donne à Pierre cette puissance, la donne aussi de sa propre bouche à tous les apôtres. « Comme mon Père m'a envoyé, ainsi, dit-il, je vous envoie (1) ; » on ne peut voir ni une puissance mieux établie, ni une mission plus immédiate. Aussi souffle-t-il également sur tous; il répand sur tous le même esprit avec ce souffle, en leur disant : « Recevez le Saint-Esprit, ceux dont vous remettrez les péchés ils seront remis (2), » et le reste que nous avons récité. C'était donc manifestement le dessein de Jésus-Christ de mettre premièrement dans un seul ce que dans la suite il voulait mettre dans plusieurs. Mais la suite ne renverse pas le commencement, et le premier ne perd pas sa place. Cette première parole : « Tout ce que tu lieras, » dite à un seul, a déjà rangé sous sa puissance chacun de ceux à qui on dira : « Tout ce que vous remettrez ; » car les promesses de Jésus-Christ aussi bien que ses dons sont sans repentance, et ce qui est une fois donné indéfiniment et universellement est irrévocable : outre que la puissance donnée à plusieurs porte sa restriction dans son partage, au lieu que la puissance donnée à un seul, et sur tous, et sans exception, emporte la plénitude ; et n'ayant à se partager avec aucun autre, elle n'a de bornes que celles que donne la règle. C'est pourquoi nos anciens docteurs de Paris, que je pourrais ici nommer avec honneur, ont tous reconnu d'une même voix dans la chaire de saint Pierre la plénitude de la puissance apostolique : c'est un point décidé et résolu : mais ils demandent seulement qu'elle soit réglée dans son exercice par les canons, c'est-à-dire par les lois communes de toute l'Eglise, de peur que s'élevant au-dessus de tout, elle ne détruise elle-même ses propres décrets. Ainsi le mystère est entendu : tous reçoivent la même puissance et tous de la même source; mais non pas tous en même degré, ni avec la même étendue : car Jésus-Christ se communique en telle mesure qu'il lui plaît, et toujours de la manière la plus convenable à établir l'unité de son Eglise. C'est pourquoi il commence par le premier : et dans ce premier il forme le tout : et lui-même il développe avec ordre ce qu'il a mis dans un seul : « Et Pierre, dit saint Augustin (3), qui dans l'honneur de

 

1 Joan., XX, 21. — 2 Ibid., 22, 23. — 3 August., in Joan., tract. CXXIV.

 

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sa primauté représentait toute l'Eglise, reçoit aussi le premier et le seul d'abord les clefs qui dans la suite devaient être communiquées à tous les autres (1), » afin que nous apprenions, selon la doctrine d'un saint évêque de l'Eglise gallicane (2), que l'autorité ecclésiastique premièrement établie en la personne d'un seul, ne s'est répandue qu'à condition d'être toujours ramenée au principe de son unité; et que tous ceux qui auront à l'exercer, se doivent tenir inséparablement unis à la même chaire.

C'est cette chaire romaine tant célébrée par les Pères, où ils ont exalté comme à l'envi « la principauté de la chaire apostolique ; la principauté principale; la source de l'unité et dans la place de Pierre l'éminent degré delà chaire sacerdotale; l'Eglise mère, qui tient en sa main la conduite de toutes les autres églises ; le Chef de l'épiscopat d'où part le rayon du gouvernement; la chaire principale, la chaire unique en laquelle seule tous gardent l'unité : » vous entendez clans ces mots saint Optât, saint Augustin, saint Cyprien, saint Irénée, saint Prosper, saint Avite, saint Théodoret, le concile de Chalcédoine et les autres; l'Afrique, les Gaules, la Grèce, l'Asie; l'Orient et l'Occident unis ensemble (3) : et voilà sans préjudice des lumières divines, extraordinaires et surabondantes, et de la puissance proportionnée à de si grandes lumières qui était pour les premiers temps dans les apôtres, premiers fondateurs de toutes les Eglises chrétiennes; voilà, dis-je, ce qui doit rester selon la parole de Jésus-Christ et la constante tradition de nos Pères dans l'ordre commun de l'Eglise : et puisque c'était le conseil de Dieu de permettre pour éprouver ses fidèles qu'il s'élevât des schismes et des hérésies, il n'y avait point de constitution ni plus ferme pour se soutenir ni plus forte pour les abattre. Par cette constitution tout est fort dans l'Eglise, parce que tout y est divin et que tout y est uni : et comme chaque partie est divine, le lien aussi est divin ; et l'assemblage est tel que chaque partie agit avec la force du tout. C'est pourquoi nos prédécesseurs, qui ont

 

1 S. Opt. Mil., lib. VII, n. 3. — 2 S. Caesar. Arel., Epist. ad Symm. —3 S. August., Epist. XLIII; S. Iren., lib. III, cap. III; S. Cypr., Epist. LV ; Theod., Epist. ad Ren., CXVI; S. Avit., Epist. ad Faust.; S. Prosp., Carm. de Ingr., cap. II ; Conc. Chalc., Relat. ad Leon., Lab., tom. IV, col. 837; Libell. Joan. Const., ib., col. 1486; S. Opt. Mil., lib. II, n. 2.

 

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dit si souvent dans leurs conciles (1) qu'ils agissaient dans leurs églises comme vicaires de Jésus-Christ et successeurs des apôtres

(qu'il a immédiatement envoyés, ont dit aussi dans d'autres conciles (2), comme ont fait les papes à Châlons, à Vienne et ailleurs, qu'ils agissaient « au nom de saint Pierre, » vice Petri; « par l'autorité donnée à tous les évêques en la personne de saint Pierre, » auctoritate nobis in Petro concessà; « comme vicaires de saint Pierre, » vicarii Petri; et l'ont dit lors même qu'ils agissaient par leur autorité ordinaire et subordonnée, parce que tout a été mis premièrement dans saint Pierre, et que la correspondance est telle dans tout le corps de l'Eglise que ce que fait chaque évêque, selon la règle et dans l'esprit de l'unité catholique, toute l'Eglise, tout l'épiscopat et le Chef de l'épiscopat le fait avec lui.

S'il est ainsi, chrétiens; si les évêques n'ont tous ensemble qu'une même chaire par le rapport essentiel qu'ils ont tous avec la chaire unique où saint Pierre et ses successeurs sont assis ; si en conséquence de cette doctrine ils doivent tous agir dans l'esprit de l'unité catholique, en sorte que chaque évêque ne dise rien, ne fasse rien, ne pense rien que l'Eglise universelle ne puisse avouer : que doit attendre l'univers d'une assemblée de tant d'évêques? M'est-il permis, Messeigneurs, de vous adresser la parole, à vous de qui je la tiens aujourd'hui ; mais à vous qui êtes mes juges et les interprètes de la volonté divine? Ah ! sans doute, puisque c'est vous qui m'ouvrez la bouche, quand je vous parle, Messeigneurs, ce n'est pas moi qui vous parle, c'est vous-mêmes qui vous parlez à vous-mêmes. Songeons que nous devons agir par l'esprit de toute l'Eglise; ne soyons pas des hommes vulgaires que les vues particulières détournent du vrai esprit de l'unité catholique : nous agissons dans un corps, dans le corps de l'épiscopat et de l'Eglise catholique, où tout ce qui est contraire à la règle ne manque jamais d'être détesté; car l'esprit de vérité y prévaut toujours. Puissent nos résolutions être telles qu'elles soient dignes de nos pères, et dignes d'être adoptées par nos descendants; dignes enfin

 

1 Conc. Meld., prœf.; tom. III Conc. Gall., p. 27.— 2 Synod. Rem., tom. VIII Conc., col. 591; Conc. Vien., tom. IX Conc., col. 433; Conc. Cabil., ibid., col. 275; Conc. Rem., ibid., col. 481; Conc. Cicest., tom. X Conc., col. 1182; Ivo Carn., De Cath. Petr. Ant.

 

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d'être comptées parmi les actes authentiques de l'Eglise et insérées avec honneur dans ces registres immortels, où sont compris les décrets qui regardent non-seulement la vie présente, mais encore la vie future et l'éternité toute entière.

La comprenez-vous maintenant cette immortelle beauté de l'Eglise catholique, où se ramasse ce que tous les lieux, ce que tous les siècles présents, passés et futurs ont de beau et de glorieux? Que vous êtes belle dans cette union, ô Eglise catholique ; mais en même temps que vous êtes forte! « Belle, dit le saint Cantique (1) et agréable comme Jérusalem, » et en même temps « terrible comme une armée rangée en bataille : » belle comme Jérusalem, où l'on voit une sainte uniformité et une police admirable sous un même chef : belle assurément dans votre paix, lorsque recueillie dans vos murailles vous louez celui qui vous a choisie, annonçant ses vérités à ses fidèles. Mais si les scandales s'élèvent, si les ennemis de Dieu osent l'attaquer par leurs blasphèmes : vous sortez de vos murailles, ô Jérusalem, et vous vous formez en armée pour les combattre : toujours belle en cet état, car votre beauté ne vous quitte pas, mais tout à coup devenue terrible. Car une armée qui paraît si belle dans une revue, combien est-elle terrible quand on voit tous les arcs bandés et toutes les piques hérissées contre soi? Que vous êtes donc terrible, ô Eglise sainte, lorsque vous marchez, Pierre à votre tête et la chaire de l'unité vous unissant toute; abattant les têtes superbes et toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu; pressant ses ennemis de tout le poids de vos bataillons serrés; les accablant tout ensemble et de toute l'autorité des siècles passés et de toute l'exécration des siècles futurs; dissipant les hérésies et les étouffent quelquefois dans leur naissance ; prenant les petits de Babylone et les hérésies naissantes, et les brisant contre votre pierre; Jésus-Christ votre Chef vous mouvant d'en haut et vous unissant; mais vous mouvant et vous unissant par des instruments proportionnes, par des moyens convenables, par un Chef qui le représente, qui vous fasse en tout agir toute entière et rassemble toutes vos forces dans une seule action.

 

1 Cant., VI, 3.

 

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Je ne m'étonne donc plus de la force de l'Eglise, ni de ce puissant attrait de son unité. Pleine de l'Esprit de celui qui dit : « Je tirerai tout à moi (1), » tout vient à elle : Juifs et Gentils, Grecs et Barbares. Les Juifs devaient venir les premiers; et malgré la réprobation de ce peuple ingrat, il y a ce précieux reste et ces bienheureux réservés tant célébrés par les prophètes. Prêchez, Pierre; tendez vos filets, divin pêcheur. Cinq mille, trois mille entreront d'abord, bientôt suivis d'un plus grand nombre. Mais « Jésus-Christ a d'autres brebis qui ne sont pas de ce bercail (2) : » c'est par vous, ô Pierre, qu'il veut commencer à les rassembler; voyez ces serpens, voyez ces reptiles et ces autres animaux immondes qui vous sont présentés du ciel. C'est les Gentils, peuple immonde et peuple qui n'est pas peuple : et que vous dit la voix céleste? « Tue et mange (3), » unis, incorpore, fais mourir la gentilité dans ces peuples : et voilà en même temps à la porte les envoyés de Cornélius; et Pierre, qui a reçu les bienheureux restes des Juifs, va consacrer les prémices des Gentils.

Après les prémices viendra le tout; après l'officier romain, Rome viendra elle-même : après Rome, viendront les peuples l'un sur l'autre. Quelle Eglise a enfanté tant d'autres églises? D'abord tout l'Occident est venu par elle, et nous sommes venus des premiers : vous le verrez bientôt. Mais Rome n'est pas épuisée dans sa vieillesse et sa voix n'est pas éteinte; nuit et jour elle ne cesse de crier aux peuples les plus éloignés, afin de les appeler au banquet où tout est fait un : et voilà qu'à cette voix maternelle les extrémités de l'Orient s'ébranlent et semblent vouloir enfanter une nouvelle chrétienté, pour réparer les ravages des dernières hérésies. C'est le destin de l'Eglise. Movebo candelabrum tuum : « Je remuerai votre chandelier, » dit Jésus-Christ à l'Eglise d'Ephèse (4); je vous ôterai la foi : « Je le remuerai; » il n'éteint pas la lumière, il la transporte; elle passe à des climats plus heureux. Malheur, malheur encore une fois à qui la perd ! mais la lumière va son train, et le soleil achève sa course.

Mais quoi? je ne vois pas encore les rois et les empereurs? Où sont-ils ces illustres nourriciers tant de fois promis à l'Eglise par

 

1 Joan., XII, 32. — 2 Joan., X, 16. — 3 Act., X, 12, 13. — 4 Apoc., II, 5.

 

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les prophètes? Ils viendront, mais en leur temps. Ne voyez-vous pas dans un seul Psaume (1) le temps « où les nations entrent en fureur, où les rois et les princes font de vains complots contre le Seigneur et contre son Christ? » Mais je vois tout à coup un autre temps : Et nunc, et nunc, « et maintenant : » c'est un autre temps qui va paraître. Et nunc, reges, intelligite : «Et maintenant, ô rois, entendez : » durant le temps de votre ignorance vous avez combattu l'Eglise, et vous l'avez vue triompher malgré vous; maintenant vous allez aider à son triomphe. « Et maintenant, ô rois, entendez; instruisez-vous, arbitres du monde, servez le Seigneur en crainte, » et le reste que vous savez.

Durant ces jours de tempête où l'Eglise comme un rocher, de voit voir les efforts des rois se briser contre elle, demandez aux chrétiens si les Césars pouvaient être de leur corps; Tertullien vous répondra hardiment que non. « Les Césars, dit-il, seraient chrétiens, s'ils pouvaient être tout ensemble chrétiens et Césars (2). » Quoi ! les Césars ne peuvent pas être chrétiens ? Ce n'est pas de ces excès de Tertullien ; il parlait au nom de toute l'Eglise dans cet admirable Apologétique, et ce qu'il dit est vrai à la lettre. Mais il faut distinguer les temps. Il y avait le premier temps où l'on devait voir l'Empire ennemi de l'Eglise, et tout ensemble vaincu par l'Eglise; et le second temps où Von devait voir l'Empire réconcilié avec l'Eglise, et tout ensemble le rempart et la défense de l'Eglise.

L'Eglise n'est pas moins féconde que la Synagogue : elle doit comme elle avoir ses Davids, ses Salomons, ses Ezéchias, ses Josias, dont la main royale lui serve d'appui. Comme elle, il faut qu'elle voie la concorde de l'empire et du sacerdoce : un Josué partager la terre aux enfants de Dieu avec un Eléazar : un Josa-phat établir l'observance de la loi avec un Amarias : un Joas réparer le temple avec un Joïda : un Zorobabel en relever les ruines avec un Jésus fils de Josédec : un Néhémias réformer le peuple avec un Esdras. Mais la Synagogue, dont les promesses sont terrestres, commence par la puissance et par les armes : l'Eglise commence par la croix et par les martyres; fille du ciel,

 

1 Psal. II. — 2 Tertull., Apolog., n. 21.

 

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il faut qu'il paroisse qu'elle est née libre et indépendante dans son état essentiel, et ne doit son origine qu'au Père céleste. Quand après trois cents ans de persécution, parfaitement établie et parfaitement gouvernée durant tant de siècles sans aucun secours humain, il paraîtra clairement qu'elle ne tient rien de l'homme : Venez maintenant, ô Césars, il est temps, et nunc intelligite. Tu vaincras, ô Constantin, et Rome te sera soumise; mais tu vaincras par la croix : Rome verra la première ce grand spectacle, un empereur victorieux prosterné devant le tombeau d'un pêcheur et devenu son disciple.

Depuis ce temps-là, chrétiens, l'Eglise a appris d'en haut à se servir des rois et des empereurs pour faire mieux servir Dieu; « pour élargir, disait saint Grégoire, les voies du ciel (1); » pour donner un cours plus libre à l'Evangile, une force plus présente à ses canons et un soutien plus sensible à sa discipline.

Que l'Eglise demeure seule : ne craignez rien; Dieu est avec elle et la soutient au dedans : mais les princes religieux lui élèvent parleur protection ces invincibles dehors qui la font jouir, disait un grand pape (2), d'une douce tranquillité à l'abri de leur autorité sacrée.

Mais parlons toujours comme il faut de l'Epouse de Jésus-Christ; l'Eglise se doit à elle-même et à ses services toutes les grâces qu'elle a reçues des rois de la terre. Quel ordre, quelle compagnie, quelle armée, quelque forte, quelque fidèle et quelque agissante qu'elle soit, les a mieux servis que l'Eglise a fait par sa patience ? Dans ces cruelles persécutions qu'elle endure sans murmurer durant tant de siècles, en combattant pour Jésus-Christ, j'oserai le dire , elle ne combat guère moins pour l'autorité des princes qui la persécutent : ce combat n'est pas indigne d'elle, puisque c'est encore combattre pour l'ordre de Dieu. En effet n'est-ce pas combattre pour l'autorité légitime, que d'en souffrir tout sans murmure? Ce n'était point par faiblesse : qui peut mourir n'est jamais faible; mais c'est que l'Eglise savait jusqu'où il lui était permis d'étendre sa résistance : Nondùm usque ad sanguinem restitistis:

 

1 Greg., Epist., lib. III, Epist. LXV, ad Mauric. Aug. — 2 Innoc. II, Epist., II, Conc. Aquisg. II; Conc. Gall.

 

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« Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang, » disait l'Apôtre (1) : jusqu'au sang, c'est-à-dire jusqu'à donner le sien, et non pas jusqu'à répandre celui des autres. Quand on la veut forcer de désavouer ou de taire les vérités de l'Evangile, elle ne peut que dire avec les apôtres : Non possumus, non possumus (2) : que prétendez-vous? « Nous ne pouvons pas : » et en même temps découvrir le sein où l'on veut frapper ; de sorte que le même sang qui rend témoignage à l'Evangile, le même sang le rend aussi à cette vérité, que nul prétexte ni nulle raison ne peut autoriser les révoltes : qu'il faut révérer l'ordre du ciel et le caractère du Tout-Puissant dans tous les princes quels qu'ils soient, puisque les plus beaux temps de l'Eglise nous le font voir sacré et inviolable même dans les princes persécuteurs de l'Evangile. Ainsi leur couronne est hors d'atteinte : l'Eglise leur a érigé un trône dans le lieu le plus sur de tous et le plus inaccessible, dans la conscience même où Dieu a le sien; et c'est là le fondement le plus assuré de la tranquillité publique.

Nous leur dirons donc sans crainte, même en publiant leurs bienfaits, qu'il y a plus de justice que de grâce dans les privilèges qu'ils accordent à l'Eglise, et qu'ils ne pouvaient refuser de lui faire part de quelques honneurs de leur royaume , qu'elle prend tant de soin de leur conserver. Mais confessons en même temps qu'au milieu de tant d'ennemis, de tant d'hérétiques, de tant d'impies, de tant de rebelles qui nous environnent, nous devons beaucoup aux princes qui nous mettent à couvert de leurs insultes ; et que nos mains désarmées, que nous ne pouvons que tendre au ciel, sont heureusement soutenues par leur puissance.

Il le faut avouer, Messieurs, notre ministère est pénible : s'opposer aux scandales, au torrent des mauvaises moeurs et au cours violent des passions qu'on trouve toujours d'autant plus hautaines qu'elles sont plus déraisonnables : c'est un terrible ministère, et on ne peut l'exercer sans rigueur. C'est ce que nos prédécesseurs assemblés dans les conciles de Thionville et de Meaux, appellent « la rigueur du salut des hommes, » Rigorem salutis humanœ (3).

 

1 Hebr., XII, 4. — 2 Act., IV, 20. — 3 Conc. ad Theodon. vil., can. VI ; Conc. Gal., tom. III, p. 16; Conc. Meld., can. XII, ibid., p. 35.

 

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L'Eglise assemblée dans ces conciles demande l'assistance des rois, pour exercer plus facilement cette rigueur salutaire au genre humain ; et convaincue par expérience du besoin qu'elle a de leur protection pour aider les âmes infirmes, c'est-à-dire le plus grand nombre de ses enfants, elle ne se prive qu'avec peine de ce secours; de sorte que la concorde du sacerdoce et de l'empire dans le cours ordinaire des choses humaines, est un des soutiens de l'Eglise et fait partie de cette unité qui la rend si belle.

Car qu'y a-t-il de plus beau que d'entendre un saint empereur dire à un saint pape : « Je ne vous puis rien refuser , puisque je vous dois tout en Jésus-Christ : » Nihil tibi negare possum, cui per Deum omnia debeo (1) : « Tout ce que votre autorité paternelle a réglé dans son concile pour le rétablissement de l'Eglise, je le loue, je l'approuve, je le confirme comme votre fils : je veux qu'il soit inséré parmi les lois, qu'il fasse partie du droit public et qu'il vive autant que l'Eglise : » Et in œternum mansura, et humanis legibus inserenda, et inter publica jura semper recipienda hàc auctoritate vivente Ecclesià victurà : ou d'entendre un roi pieux dans un concile, c'était un roi d'Angleterre : ah ! nos entrailles s'émeuvent à ce nom, et l'Eglise toujours mère ne peut s'empêcher dans ce souvenir de renouveler ses gémissements et ses vœux : passons et écoutons ce saint roi, ce nouveau David dire au clergé assemblé : Ego Constantini, vos Petri gladium habemus in manibus : jungamus dexteras, gladium gladio copulemus (2) : « J'ai le glaive de Constantin à la main, et vous y avez celui de Pierre : donnons-nous la main, et joignons le glaive au glaive : » que ceux qui n'ont pas la foi assez vive pour craindre les coups invisibles de votre glaive spirituel tremblent à la vue du glaive royal. Ne craignez rien, saints évêques ; si les hommes sont assez rebelles pour ne pas croire à vos paroles qui sont celles de Jésus-Christ, des châtiments rigoureux leur en feront, malgré qu'ils en aient, sentir la force, « et la puissance royale ne vous manquera jamais. »

A cet admirable spectacle qui ne s'écrierait encore une fois avec Balaam : Quàm pulchra tabernacula tua, Jacob ! O Eglise catholique, que vous êtes belle! le Saint-Esprit vous anime; le Saint-Siège

 

1 Henric II ad Bened. VIII. — 2 Edgar, Orat. ad Cler., tom. IX Conc., col. 697.

 

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Siège unit tous vos pasteurs ; les rois font la garde autour de vous ; qui ne respecterait votre puissance?

 

SECOND POINT.

 

Paraissez maintenant, sainte Eglise gallicane, avec vos évêques orthodoxes et avec vos rois très-chrétiens, et venez servir d'ornement à l'Eglise universelle : et vous, Seigneur tout-puissant, qui avez comblé cette église de tant de bienfaits, animez-moi de ce même esprit dont vous remplîtes David lorsqu'il chanta si noblement les grâces de l'ancien peuple, afin qu'à son exemple je puisse aujourd'hui avec tant d'évêques et dans une si grande assemblée célébrer vos miséricordes éternelles : Quoniam bonus, quoniam in œternum misericordia ejus (1). C'est vous, Seigneur, qui excitâtes saint Pierre et ses successeurs à nous envoyer dès les premiers temps les évêques qui ont fondé nos églises. C'était le conseil de Dieu que la foi nous fût annoncée par le Saint-Siège, afin qu'éternellement unis par des liens particuliers à ce centre commun de toute l'unité catholique, nous pussions dire avec un grand archevêque de Rheims : « La sainte Eglise romaine, la mère, la nourrice et la maîtresse de toutes les églises, doit être consultée dans tous les doutes qui regardent la foi et les mœurs, principalement par ceux qui comme nous ont été engendrés en Jésus-Christ par son ministère et nourris par elle du lait de la doctrine catholique (2). »

Il est vrai qu'il nous est venu d'Orient, et par le ministère de saint Polycarpe, une autre mission qui ne nous a pas été moins fructueuse. C'est de là que nous avons eu le vénérable vieillard saint Pothin fondateur de la célèbre église de Lyon, et encore le grand saint Irénée successeur de son martyre aussi bien que de son siège; Irénée digne de son nom et véritablement pacifique, qui fut envoyé à Rome et au pape saint Eleuthère de la part de l'Eglise gallicane (3); ambassadeur de la paix, qui depuis la procura aux saintes églises d'Asie d'où il nous avait été envoyé; qui retint le pape saint Victor lorsqu'il les voulait retrancher de la communion,

 

1 Psal. CXXXV, 1. — Hincm., De divort. Loth. et Teutb., tom. I, p. 561. — 3 Euseb., Hist. Eccl., lib. V, cap. III.

 

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et qui présidant au concile des saints évoques des Gaules dont il était réputé le père, fit connaitre à ce saint pape qu'il ne fallait pas pousser toutes les affaires à l'extrémité, ni toujours user d'un droit rigoureux (1). Mais comme l'Eglise est une par tout l'univers, cette mission orientale n'a pas été moins favorable à l'autorité du Saint-Siège que ceux que le Saint-Siège avait immédiatement envoyés ; et le même saint Irénée a prononcé cet oracle révéré de tous les siècles (2) : « Quand nous exposons la tradition que la très-grande, très-ancienne et très-célèbre Eglise romaine, fondée par les apôtres saint Pierre et saint Paul, a reçue des apôtres et qu'elle a conservée jusqu'à nous par la succession de ses évoques, nous confondons tous les hérétiques, parce que c'est avec cette Eglise que toutes les églises et tous les fidèles qui sont par toute la terre, doivent s'accorder à cause de sa principale et excellente principauté, et que c'est en elle que ces mêmes fidèles répandus par toute la terre ont conservé la tradition qui vient des apôtres. »

Appuyée sur ces solides fondements, l'Eglise gallicane a été forte comme la tour de David. Quand le perfide Arius voulut renverser avec la divinité du Fils de Dieu le fondement de la foi prêchée par saint Pierre, et changer en création et en adoption la génération éternelle de ce Fils unique, cette superbe hérésie soutenue par un empereur ne trouva point de plus grand obstacle à ses progrès que la constance et la foi de saint Athanase d'Alexandrie et de saint Hilaire de Poitiers; et malgré l'inégalité de ces deux sièges, les deux évêques furent égaux en gloire comme ils l'étaient en courage.

Pour perpétuer cette gloire de l'Eglise gallicane, le célèbre saint Martin fut élevé sous la discipline de saint Hilaire; et cette église renouvelée par les exemples et par les miracles de cet homme incomparable , crut revoir le temps des apôtres, tant la Providence divine fut soigneuse de réveiller parmi nous l'ancien esprit et d'y faire revivre les premières grâces.

Quand le temps fut arrivé que l'empire romain devait tomber

 

1 Euseb., Hist. Eccles., lib. V, cap. XXIII, XXIV. — 2 S. Iren., lib. III, contr. Hœres., cap. III.

 

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Occident et que la Gaule devait devenir France, Dieu ne laissa pas longtemps sous des princes idolâtres une si noble partie de la chrétienté; et voulant transmettre aux rois des François la garde de son Eglise qu'il avait confiée aux empereurs, il donna non-seulement à la France, mais encore à tout l'Occident un nouveau Constantin en la personne de Clovis. La victoire miraculeuse qu'il envoya du ciel à ces deux princes guerriers, fut le gage de son amour et le glorieux attrait qui leur fit embrasser le christianisme. La foi fut victorieuse , et la belliqueuse nation des Francs connut que le Dieu de Clotilde était le vrai Dieu des armées.

Alors saint Rémi vit en esprit qu'en engendrant en Jésus-Christ les rois des François avec leur peuple, il donnait à l'Eglise d'invincibles protecteurs. Ce grand saint et ce nouveau Samuel appelé pour sacrer les rois, sacra ceux-ci, comme il dit lui-même, pour être « les perpétuels défenseurs de l'Eglise et des pauvres (1), » digne objet de la royauté ; et après leur avoir enseigné à faire fleurir les églises et à rendre les peuples heureux (croyez que c'est lui-même qui vous parle, puisque je ne fais ici que réciter les paroles paternelles de cet apôtre des François), il priait Dieu nuit et jour qu'ils persévérassent dans la foi et qu'ils régnassent selon les règles qu'il leur avait données, leur prédisant en même temps qu'en dilatant leur royaume, ils dilateraient celui de Jésus-Christ; et que s'ils étaient fidèles à garder les lois qu'il leur prescrivait de la part de Dieu (2), l'empire romain leur serait donné ; en sorte que des rois de France sortiraient des empereurs dignes de ce nom qui feraient régner Jésus-Christ. Telles furent les bénédictions que versa mille et mille fois le grand saint Rémi sur les François et sur leurs rois, qu'il appelait toujours ses chers enfants, louant, sans cesse la bonté divine de ce que pour affermir la foi naissante de ce peuple béni de Dieu, elle avait daigné par le ministère de sa main pécheresse (c'est ainsi qu'il parle) renouveler a la vue de tous les François et de leur roi les miracles qu'on avait vus éclater dans la première fondation des églises chrétiennes, tous les saints qui étaient alors furent réjouis, et dans le déclin de l’empire romain ils crurent voir paraître dans les rois de France

 

1 Testam. S. Rem., ap. Flod., lib. I, cap. XVIII. — 2 Ibid. et cap. XIII.

 

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« une nouvelle lumière pour tout l'Occident : » In occiduis partibus novi jubaris lumen effulgurat (1) : et non-seulement pour tout l'Occident, mais encore pour toute l'Eglise à laquelle ce nouveau royaume promettait de nouveaux progrès. C'est ce que disait saint Avite, ce docte et ce saint évêque de Vienne, ce grave et éloquent défenseur de l'Eglise romaine, qui fut chargé par tous ses collègues les saints évêques des Gaules de recommander aux Romains dans la cause du pape Symmaque la cause commune de tout l'épiscopat, « parce que, disait ce grand homme, quand le Pape et le Chef de tous les évoques est attaqué, ce n'est pas un seul évêque, mais l'épiscopat tout entier qui est en péril (2). »

Tous les conciles de ces temps font voir qu'en ce qui touchait la foi et la discipline nos saints prédécesseurs regardaient toujours l'Eglise romaine, et se gouvernaient par ses traditions (3). Tel était le sentiment de l'Eglise gallicane qui en recevant, par le ministère de saint Rémi, Clovis et les François dans son sein, leur imprimait dans le fond du cœur ce respect pour le Saint-Siège dont ils devaient être les plus zélés aussi bien que les plus puissants protecteurs. Les Papes connurent d'abord la protection qui leur était envoyée du ciel ; et ressentant dans nos rois je ne sais quoi de plus filial que dans les autres, que ne dirent-ils point alors comme par un secret pressentiment à la louange de leurs protecteurs futurs? Anastase II du temps de Clovis croit voir dans le royaume de France nouvellement converti « une colonne de fer que Dieu élevait pour le soutien de sa sainte Eglise, pendant que la charité se refroidissait partout ailleurs (4). » Pelage II se promet des descendants de Clovis, comme des voisins charitables de l'Italie et de Rome, la même protection pour le Saint-Siège qu'il avait toujours reçue des empereurs (5) ; et saint Grégoire le plus saint de tous enchérit aussi sur ses saints prédécesseurs, lorsque touché de la foi et du zèle de ces rois, il les met « autant au-dessus des autres

 

1 S. Avit. Vien., Epist. ad Clod., tom. I Conc. Gall., p. 154. — 2 Epist. ad Faust., ibid., p. 158. — 3 Epist. Syn. Episc. Gall., apud Léon. Concil. Araus. II, praef. tom. I Conc. Gal., p. 216; Bonif. II. Epist. ad Cœsar. Arel., ibid., p. 223; Conc. Vas. II, can. in-v. ibid., p. 226, 227; Conc. Aurel. can. III, III, XXVI, ibid., p. 248, 255. — 4 Anast. II, Epist. II, ad Clod. — 5 Pel. II, Epist. ad Aunach. Autiss., tom. I Conc, Gall., p. 376.

 

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souverains que les souverains sont au-dessus des particuliers (1). »

Leur foi croissait en effet avec leur empire, et selon la prédiction de tant de saints l'Eglise s'étendait par les rois de France. L'Angleterre le sait, et le moine saint Augustin son premier apôtre. Saint Boniface l'apôtre de la Germanie et les autres apôtres du Nord ne reçurent pas un moindre secours de la France ; et Dieu montrait dès lors par des signes manifestes, ce que les siècles suivants ont confirmé, qu'il voulait que les conquêtes des François étendissent celles de l'Eglise.

Les enfants de Clovis ne marchèrent pas dans les voies que saint Rémi leur avait marquées; Dieu les rejeta de devant sa face; mais il ne retira pas ses miséricordes de dessus le royaume de France. Une seconde race fut élevée sur le trône ; Dieu s'en mêla et le zèle de la religion s'accrut par ce changement : témoin tant de Papes réfugiés, protégés, rétablis et comblés de biens sous cette race. Les Papes et toute l'Eglise bénirent Pépin qui en était le chef (2); les bénédictions de saint Rémi passèrent à lui : de lui sortit cet empereur père d'empereurs, que ce saint évêque semble avoir vu, et Charlemagne régna pour le bien de toute l'Eglise. Vaillant, savant, modéré, guerrier sans ambition et exemplaire dans sa vie, je le veux bien dire en passant malgré les reproches des siècles ignorants, ses conquêtes prodigieuses furent la dilatation du règne de Dieu, et il se montra très-chrétien dans toutes ses œuvres. Il fit revivre les anciens canons ; les conciles longtemps négligés furent rétablis (3), et la discipline revint avec eux. Si ce grand prince rétablit les lettres, ce fut pour mieux faire entendre les saintes Ecritures et l'ancienne tradition par ce secours. L'Eglise romaine fut consultée dans les affaires douteuses, et ses réponses reçues avec révérence furent des lois inviolables (4). Il eut tant d'amour pour elle , que le principal article de son testament fut de recommander à ses successeurs la défense de l'Eglise de saint Pierre comme le précieux héritage de sa maison, qu'il avait reçu

 

1 S. Greg. M., Epist. lib. VI, epist. VI. — 2 Paul. I, Epist. X, ad Fr., tom. II Conc. Gal., p. 59. — 3 De Schol. Instit. Capit., Baluz , tom. I, p. 202, 203. — 4 Conc. Francof., can. VIII, tom. II Conc. Gall., p. 196; Capit. Aquisg. an. Imp. III, cap. IV, Baluz., tom. I, p. 380, 381 ; Capit. de divis. Regni, cap. XV, ibid., p. 444.

 

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de son père et de son aïeul et qu'il voulait laisser à ses enfants. Ce même amour lui fit dire ce qui fut répété depuis par tout un concile sous l'un de ses descendais, que « quand cette Eglise imposerait un joug à peine supportable, il le faudrait souffrir (1) » plutôt que de rompre la communion avec elle. Elle n'imposait point de tel joug , mais ce sage prince voulait tout prévoir pour affermir l'union dans tous les cas. Au reste les canons que lui envoya son sage et intime ami le pape Adrien, n'étaient qu'un abrégé de l'ancienne discipline que l'Eglise de France regarde toujours comme la source et le soutien de ses libertés. Nous demandons encore d'être jugés par les canons envoyés à ce grand prince, et sous un nouveau Charlemagne nous souhaitons d'avoir toujours à vivre sous une semblable discipline.

Jamais règne n'a été si fort ni si éclairé ; jamais prince n'a été moins guidé par un faux zèle ; jamais on n'a mieux su distinguer les bornes des deux puissances. On voit parler dans les décrets du concile de Francfort tantôt les évoques seuls, tantôt le prince seul et tantôt les deux puissances ensemble (2). Je ne veux pas m'étendre sur les diverses matières qui donnèrent lieu à cette diversité ; je remarquerai seulement que les évêques ayant prononcé seuls la condamnation de la nouvelle hérésie qu'on vit alors s'élever en Espagne (3), ce grand roi sut bien trouver sa place dans une occasion si importante. Comme son savoir éclatait dans toute l'Eglise autant que son équité, les nouveaux hérétiques le prièrent de se rendre l'arbitre de la cause (4). Charlemagne pour les confondre par eux-mêmes accepta l'offre ; mais il savait comment un prince peut être arbitre en ces matières. Il consulta le Saint-Siège avant toutes choses; il écouta aussi les autres évoques qu'il trouva conformes à leur Chef. C'est sur quoi se régla ce religieux prince ; c'est par ce canal qu'il reçut la doctrine de l'Evangile et l'ancienne tradition de l'Eglise catholique. C'est de là qu'il apprit

 

1 Capit. Car. M. dehon. Sed. Apost. an. Imp. I. Baluz., tom. I, p 357, Conc. Tribur. sub. Ann. Imp., can. XXX, tom. IX Conc., col. 456 ; Capit. Angilr. data, tom. II Conc. Gall., p. 100; Epit. can. ab Adr. Car. M. oblat. Conc., tom. VI, col. 1800. — Conc. Francof., can. I, II, can. III, V, can. IV-VII, tom. II Conc. Gall. , p. 193 et seq.— 3 Ibid., can. I, p. 193. — Conc. Francof., Epist. Car. M., p. 188.

 

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ce qu'il fallait croire; et sans discuter davantage la matière dans la lettre qu'il écrit aux nouveaux docteurs (1), il leur envoie « les lettres les décisions, et les décrets formés par l'autorité ecclésiastique, les exhortant à s'y soumettre avec lui et à ne se croire pas plus savants que l'Eglise universelle, parce que, ajoutait ce grand prince, après ce concours de l'autorité apostolique et de l'unanimité synodale vous ne pouvez plus éviter d'être tenus pour hérétiques , et nous n'osons plus avoir de communion avec vous. »

Qu'on n'impute point à la France des sentiments nouveaux; voilà tous ses sentiments du temps de Charlemagne. Mais Charlemagne les avait reçus de plus haut, et ils étaient venus des anciens Pères et dès l'origine du christianisme. Le Saint Siège principalement et le corps de l'épiscopat uni à son Chef, c'est où il faut trouver le dépôt de la doctrine ecclésiastique confiée aux évêques par les apôtres. Car c'est aussi à cette unité qu'il est dit : « Qui vous écoute m'écoute (2) ; » et encore : « Les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (3) ; » et encore : « Vous êtes la lumière du monde (4); » et encore : « Dites-le à l'Eglise ; et s'il n'écoute pas l'Eglise, qu'il vous soit comme un Gentil et un Publicain (5) ; » et encore, pour me servir du même passage qui est ici allégué par Charlemagne : « Je serai toujours avec vous jusqu'à la consommation des siècles (6). » Ce grand prince soumis le premier à cette règle, ne craint plus après cela de condamner les hérétiques comme déjà condamnés par l'autorité de l'Eglise, et le jugement du Saint-Siège et du concile de Francfort devint le sien.

Est-il besoin de raconter ce que Charlemagne à l'exemple du roi son père fit pour la grandeur temporelle du Saint-Siège et de l'Eglise romaine ? Qui ne sait qu'elle doit à ces deux princes et à leur maison tout ce qu'elle possède de pays? Dieu qui voulait que cette Eglise la Mère commune de tous les royaumes, dans la suite ne fût dépendante d'aucun royaume dans le temporel, et que le Siège où tous les fidèles devaient garder l'unité , à la fin fût mis au-dessus des partialités que les divers intérêts et les jalousies d’Etat pourraient causer, jeta les fondements de ce grand dessein

 

1 Conc. Franccof., Epist. Car. M., p. 188, 190. — 2 Luc., X, 16. — 3 Matth., V, 14. — 4  Matth., V, 14. — 5 Matth., XVIII, 17. — 6 Matth., XXVIII, 20.

 

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par Pépin et par Charlemagne. C'est par une heureuse suite de leur libéralité que l'Eglise indépendante dans son Chef de toutes les puissances temporelles, se voit en état d'exercer plus librement pour le bien commun et sous la commune protection des rois chrétiens cette puissance céleste de régir les âmes, et que tenant en main la balance droite au milieu de tant d'empires souvent ennemis, elle entretient l'unité dans tout le corps, tantôt par d'inflexibles décrets, et tantôt par de sages tempéraments.

L'empire sortit trop tôt d'une maison et d'une nation si bienfaisante envers l'Eglise. Rome eut des maîtres fâcheux et les Papes avaient tout à craindre tant des empereurs que d'un peuple séditieux. Mais ils trouvèrent toujours en nos rois ces charitables voisins que le pape Pélage II avait espérés. La France plus favorable à leur puissance sacrée que l'Italie et que Rome même, leur devint comme un second Siège où ils tenaient leurs conciles et d'où ils faisaient entendre leurs oracles par toute l'Eglise. Troyes, et Clermont, et Toulouse, et Tours, et Rheims plusieurs fois, et les autres villes le peuvent dire ; pour ne point parler ici de deux conciles universels tenus à Lyon et d'un autre concile universel tenu à Vienne : tant les Papes ont pris plaisir à faire les actes les plus importants et les plus authentiques de l'Eglise, dans le sein et avec la fidèle coopération de l'Eglise gallicane.

Cependant la troisième race était montée sur le trône : race encore plus pieuse que les deux autres : qui aussi a toujours vu augmenter sa gloire : qui seule dans tout l'univers et depuis le commencement du monde se voit sans interruption depuis sept cents ans toujours couronnée et toujours régnante : race enfin qui devait donner saint Louis au monde : en laquelle le monde étonné voit encore aujourd'hui de si grandes choses et en attend de plus grandes. Vous dirai-je combien de fois et en quels termes elle a été bénite par le Saint-Siège ? Sous cette race la France est « un royaume chéri et béni de Dieu, un royaume dont l'exaltation est inséparable de celle du Saint-Siège (1) » un royaume : mais si j'entreprenais de tout raconter, le jour n'y suffirait pas.

 

1 Alex. III, Epist. XXX, tom. X Conc., col. 1212; Innoc, III, Greg. IX, tom. XI Conc., part. I, col. 27, 367.

 

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Aussi faut-il avouer qu'il y a eu dans ces rois, avec beaucoup de religion, une noblesse qui les a fait révérer de toute la terre et qui les a mis au-dessus des autres rois. Quand les empereurs se vantaient de combattre pour les intérêts communs des rois, les nôtres ont su trouver dans une plus noble constitution de leur Etat et dans une plus grande hauteur de leur couronne une plus sûre défense, puisque sans qu'ils eussent besoin de se remuer, leur majesté ne fut pas même attaquée dans ces premiers temps et que jamais ils n'ont été obligés ni à soutenir des guerres, ni ce qui est bien plus horrible, à faire des schismes pour la défendre.

Ces rois aussi bienfaisants que religieux, loin de profiter de la faiblesse des Papes toujours réfugiés dans leur royaume, se relâchaient volontairement de quelques-uns de leurs droits plutôt que de troubler la paix de l'Eglise; et pendant que saint Thomas de Cantorbéry était banni d'Angleterre comme ennemi des droits de la royauté, la France plus équitable le recevait dans son sein comme le martyr des libertés ecclésiastiques. Nos rois donnèrent cet exemple à tout l'univers : l'Eglise qu'ils honoraient les honorait à son tour, et l'égalité tant recommandée par l'Apôtre s'entretenait par de mutuelles reconnaissances.

La piété se ralentissait et les désordres se multipliaient dans toute la terre. Dieu n'oublia pas la France. Au milieu de la barbarie et de l'ignorance elle produisit saint Bernard, apôtre, prophète, ange terrestre, par sa doctrine, par sa prédication, par ses miracles étonnants et par une vie encore plus étonnante que ses miracles. C'est lui qui réveilla dans ce royaume et qui répandit dans tout l'univers l'esprit de piété et de pénitence. Jamais sujet ne fut plus zélé pour son prince; jamais prêtre ne fut plus soumis à l'épiscopat; jamais enfant de l'Eglise ne défendit mieux l'autorité apostolique de sa mère l'Eglise romaine. Il regardait dans le Pape seul tout ce qu'il y avait de plus grand dans l'un et l'autre Testament; un Abraham, un Melchisédech, un Moïse, un Aaron, un saint Pierre, en un mot Jésus-Christ même (1). Mais afin qu'une autorité sur laquelle l'Eglise est fondée, fût plus sainte et plus vénérable à tous les peuples, il ne cessa d'en séparer autant

 

1 S. Bern., De Consid., lib. II, cap. VIII, et lib. IV, cap. VII.

 

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qu'il pouvait ce qui semblait plutôt la déshonorer que l'agrandir.

Tout est à vous, disait-il (1), tout dépend du Chef, mais c'est avec un certain ordre. On ferait un monstre du corps humain, si on attachait immédiatement tous les membres à la tête : c'est par les évêques et les archevêques qu'on doit venir au Saint-Siège : ne troublez point cette hiérarchie, qui est l'image de celle des anges. Vous pouvez tout, il est vrai ; mais un de vos ancêtres disait : « Tout m'est permis, mais tout n'est pas convenable (2). » Vous avez la plénitude de la puissance; mais rien ne convient mieux à la puissance que la règle. Enfin l'Eglise romaine est la Mère des églises (3), mais non une maîtresse impérieuse ; et vous êtes, non pas le seigneur des évêques, mais l'un d'eux : paroles que ce saint homme n'a pas proférées pour affaiblir une autorité qu'il a fait révérer à toute la terre; mais afin de rappeler en la mémoire du successeur de saint Pierre cette excellente doctrine, que Jésus-Christ qui l'a élevé à une si grande puissance n'a pas voulu néanmoins lui donner un caractère supérieur à celui de l'épiscopat, afin que dans cette haute élévation, il prît soin de conserver dans tous les évêques la dignité d'un caractère qui lui est commun avec eux, et qu'il songeât qu'il y a toujours avec une grande autorité quelque chose de doux et de fraternel dans le gouvernement ecclésiastique, puisque si le Pape doit gouverner les évêques, il les doit aussi gouverner par les lois communes que le Saint-Siège a faites siennes en les confirmant. C'est ce que disent tous les Papes; et encore qu'ils puissent dispenser des lois pour l'utilité publique (4), le plus naturel exercice de leur puissance est de les faire observer en les observant les premiers, comme ils en ont toujours fait profession dès l'origine du christianisme. Voilà ce que disait saint Bernard et tous les saints de ce temps; voilà ce qu'ont toujours dit ceux qui ont été parmi nous les plus pieux. C'est aussi ce qui obligea le roi le plus saint qui ait jamais porté la couronne, le plus soumis au Saint-Siège et le plus ardent défenseur de la foi romaine (vous reconnaissez saint Louis) à persévérer dans ces maximes, et à publier une Pragmatique pour

 

1 S. Bern., De Consid., lib. III, cap. IV. — 2 I Cor., X, 22. — 3 S. Bern., ibid., lib. IV, cap. VII. — 4 Ibid., lib. III, cap. IV.

 

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maintenir dans son royaume a le droit commun et la puissance des ordinaires selon les conciles généraux et les institutions des saints Pères (1). »

Ne demandez plus ce que c'est que les libertés de l'Eglise gallicane. Les voilà toutes dans ces précieuses paroles de l'ordonnance de saint Louis; nous n'en voulons jamais connaitre d'autres. Nous mettons notre liberté à être sujets aux canons, et plût à Dieu que l'exécution en fût aussi effective dans la pratique que cette profession est magnifique dans nos livres. Quoi qu'il en soit, c'est notre loi ; nous faisons consister notre liberté à marcher autant qu'il se peut « dans le droit commun, » qui est le principe ou plutôt le fond de tout le bon ordre de l'Eglise, « sous la puissance canonique des ordinaires, selon les conciles généraux et les institutions des saints Pères : » état bien différent de celui où la dureté de nos cœurs plutôt que l'indulgence des souverains dispensateurs nous a jetés; où les privilèges accablent les lois; où les grâces semblent vouloir prendre la place du droit commun, tant elles se multiplient; où tant de règles ne subsistent plus que dans la formalité qu'il faut observer d'en demander la dispense : et plût à Dieu que ces formules conservent du moins avec le souvenir des canons l'espérance de les rétablir. C'est l'intention du Saint-Siège; c'en est l'esprit : il est certain : mais s'il faut autant qu'il se peut tendre au renouvellement des anciens canons, combien religieusement faut-il conserver ce qui en reste, et surtout ce qui est le fondement de la discipline? Si vous voyez donc vos évêques demander humblement au Pape l'inviolable conservation de ces canons et delà puissance ordinaire dans tous ses degrés, souvenez-vous qu'ils ne font que marcher sur les pas de saint Louis et de Charlemagne, et imiter les saints dont ils remplissant les chaires. Ce n'est pas nous diviser d'avec le Saint-Siège (à Dieu ne plaise), c'est au contraire conserver avec soin jusqu'aux moindres fibres qui tiennent les membres unis avec le chef. Ce n'est pas diminuer la plénitude de la puissance apostolique : l'Océan même a ses bornes dans sa plénitude; et s'il les outrepassait sans mesure aucune, sa plénitude serait un déluge qui ravagerait tout

 

1 Prag. S. Lud.

 

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l'univers. Au reste la puissance qu'il faut reconnaître dans le Saint-Siège est si haute et si éminente, si chère et si vénérable à tous les fidèles, qu'il n'y a rien au-dessus que toute l'Eglise catholique ensemble : encore faut-il savoir connaître les besoins extraordinaires et les extrêmes périls où il faut que tout s'assemble et se réunisse. Ces maximes sont de tous les siècles; mais dans l'un des derniers siècles, un besoin pressant de l'Eglise, un grand mal, un schisme effroyable, obligea toute l'Eglise à les expliquer et à les mettre en pratique d'une façon plus expresse dans le saint concile de Pise et dans le saint concile de Constance. La France fut la plus zélée à les soutenir ; mais la France fut suivie de toute l'Eglise. Ces maximes supposées comme indubitables du commun consentement des Papes, de tous les évêques et de tous les fidèles rétablirent l'autorité du Saint-Siège affaiblie par les divisions. Ces maximes mirent fin au schisme, extirpèrent les hérésies que le schisme fortifiait, et firent espérer au monde malgré la dépravation des mœurs la réforme universelle de la discipline dans toute la chrétienté sans rien excepter. Ces maximes demeureront toujours, en dépôt dans l'Eglise catholique. Les esprits inquiets et turbulents voudront s'en servir pour brouiller : mais les humbles , les pacifiques, les vrais enfants de l'Eglise s'en serviront toujours selon la règle, dans les vrais besoins et pour des biens effectifs. Les cas où on le doit faire seraient aisés à marquer, puisqu'ils sont si clairement expliqués dans les décrets du concile de Constance (1) ; mais il vaut mieux espérer que la déplorable nécessité de réfléchir sur ces cas n'arrivera pas et que nos jours ne seront pas assez malheureux pour avoir besoin de tels remèdes. Ah ! si le nom de concile œcuménique, nom si saint et si vénérable, doit être employé, que ce ne soit pas en matière contentieuse et pour faire durer de funestes divisions; mais plutôt pour réunir la chrétienté déchirée par tant de schismes et pour travailler à l'œuvre de réformation qui jamais n'est achevée durant cette vie! Cependant conservons ces fortes maximes de nos pères, que l'Eglise gallicane a trouvées dans la tradition de l'Eglise universelle; que les universités du royaume, et principalement celle de

 

1 Sess. v.

 

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Paris, ont apprises des saints évêques et des saints docteurs qui ont toujours éclairé l'Eglise de France, sans que le Saint-Siège ait diminué les éloges qu'il a donnés à ces fameuses universités (1). Au contraire, c'est en sortant du concile de Bâle, où ces maximes avaient été renouvelées avec l'applaudissement de tout le royaume, que Pie II qui le savait, puisqu'il avait autrefois prêté sa plume à ce concile, s'adressant à un évêque de Paris dans l'assemblée générale de tous les princes chrétiens, lui parla ainsi de la France (2) : « La France a beaucoup d'universités parmi lesquelles la vôtre, mon vénérable Frère, est la plus illustre, parce qu'on y enseigne si bien la théologie et que c'est un si grand honneur d'y pouvoir mériter le titre de docteur : de sorte que le florissant royaume de France avec tous les avantages de la nature et de la fortune a encore ceux de la doctrine et de la pure religion. » Voilà ce que dit un savant Pape qui n'ignorait pas nos sentiments, puisqu'ils étaient alors dans leur plus grande vigueur; et je puis dire qu'il en approuve le fond dans la bulle (3), où en révoquant ce qu'il avait dit avant son exaltation en faveur du concile de Bâle, il déclare qu'il n'en révère pas moins le concile de Constance, dont il embrasse les décrets et nommément ceux où l'autorité et la puissance des conciles est expliquée.

Il savait bien que la France n'abusait point de ces maximes, puisque même elle venait de donner un exemple incomparable de modération dans la célèbre assemblée de Bourges, où louant les Pères de Bâle qui soutenaient ces maximes, elle rejeta l'application outrée qu'ils eu firent contre le pape Eugène IV. Nos libertés furent défendues : le Pape fut reconnu : le schisme fut éteint dans sa naissance : tout fut pacifié : qui fit un si grand ouvrage? Un grand roi fidèlement assisté par le plus docte clergé qui fût au monde.

Jamais il ne fut tant parlé des libertés de l'Eglise, et jamais il n'en fut posé un plus solide fondement que dans ces paroles immortelles de Charles VII : « Comme c'est, dit-il, le devoir des prélats d’annoncer avec liberté la vérité qu'ils ont apprise de Jésus-

 

1 Urban. VI, Epist. II ; tom. XI Conc., col. 2048. — 2 Pius II in Conv. Mant., tom. XIII Conc., col. 1771. — 3 Bulla retract. Pii II, ibid., col. 1407.

 

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Christ, c'est aussi le devoir du prince et de la recevoir de leur bouche prouvée par les Ecritures, et de l'exécuter avec efficace (1). » Voilà en effet le vrai fondement des libertés de l'Eglise : alors elle est vraiment libre quand elle dit la vérité : quand elle la dit aux rois qui l'aiment naturellement et qu'ils l'écoutent de sa bouche; car alors s'accomplit cet oracle du Fils de Dieu : « Vous connaitrez la vérité, et la vérité vous délivrera, et vous serez vraiment libres (2). »

Nous sommes accoutumés à voir agir nos rois très-chrétiens dans cet esprit. Depuis le temps qu'ils se sont rangés sous la discipline de saint Rémi, ils n'ont jamais manqué d'écouter leurs évêques orthodoxes. L'empire romain vit succéder au premier empereur chrétien un empereur hérétique. La succession des empereurs a souvent été déshonorée par de semblables désordres; mais pour ne point reprocher aux autres royaumes leur malheureux soit, contentons-nous de dire avec humilité et actions de grâces que la France est le seul royaume qui jamais depuis tant de siècles n'a vu changer la foi de ses rois : elle n'en a jamais eu depuis plus de douze cents ans qui n'ait été enfant de l'Eglise catholique : le troue royal est sans tache et toujours uni au Saint-Siège; il semble avoir participé à la fermeté de cette pierre. Gratias Deo super inenarrabili dono ejus : « Grâces à Dieu sur ce don inexplicable de sa bonté (3). »

En écoutant leurs évêques dans la prédication de la vraie foi, c'était une suite naturelle que. ces rois les écoulassent dans ce qui regarde la discipline ecclésiastique. Loin de vouloir faire en ce point la loi à l'Eglise, un empereur roi de France disait aux évêques (4): « le veux qu'appuyés de notre secours et secondés de notre puissance, comme le bon ordre le prescrit : » Famulante ut decet potestate nostrâ ( pesez ces paroles ; et remarquez que la puissance loyale, qui partout ailleurs veut dominer et avec raison, ici ne veut que servir) : «Je veux donc, dit cet empereur, que secondes et servis par notre puissance, vous puissiez exécuter

 

1 Prag. Car. VII. — 2 Joan., VIII, 32. 36. — 3 II Cor., IX, 15. — 4 Lud. Pius, Capit., an. 8. 3 : Baluz., tom. I, p. 634; Epist. Verni. Sen. ad Amul. Lugd., Conc. Gall., tom. III, p. 67.

 

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ce que votre autorité demande : » paroles dignes des maîtres du monde, qui ne sont jamais plus dignes de l'être ni plus assurés sur leur trône que lorsqu'ils font respecter l'ordre que Dieu a établi.

Ce langage était ordinaire aux rois très-chrétiens ; et ce que faisaient ces pieux princes, ils ne cessaient de l'inspirer à leurs officiers. Malheur, malheur à l'Eglise, quand les deux juridictions ont commencé à se regarder d'un œil jaloux ! O plaie du christianisme ! Ministres de l'Eglise, ministres des rois, et ministres du Roi des rois les uns et les autres quoiqu'établis d'une manière différente, ah ! pourquoi vous divisez-vous? L'ordre de Dieu est-il opposé à l'ordre de Dieu? Hé! pourquoi ne songez-vous pas que vos fonctions sont unies , que servir Dieu c'est servir l'Etat, que servir l'Etat c'est servir Dieu? Mais l'autorité est aveugle, l'autorité veut toujours monter, toujours s'étendre; l'autorité se croit dégradée quand on lui montre ses bornes. Pourquoi accuser l'autorité ? Accusons l'orgueil et disons comme l'Apôtre disait de la loi : « L'autorité est sainte et juste et bonne (1) ; » sainte , elle vient de Dieu ; juste , elle conserve le bien à un chacun; bonne, elle assure le repos public : « mais l'iniquité , afin de paraître iniquité, se sert » de l'autorité pour mal faire; en sorte que l'iniquité est souverainement inique, quand elle pèche par l'autorité que Dieu a établie pour le bien des hommes.

Nos rois n'ont rien oublié pour empêcher ce désordre. Leurs capitulaires ne parlent pas moins fortement pour les évêques que les conciles. C'est dans les capitulaires des rois qu'il est ordonné aux deux puissances , au lieu d'entreprendre l'une sur l'autre, « de s'aider mutuellement dans leurs fonctions, » et qu'il est ordonné en particulier aux comtes, aux juges, a ceux qui ont en main l'autorité royale, « d'être obéissants aux évêques. » C'est ce que portait l'ordonnance de Charlemagne; et ce grand prince ajoutait « qu’il ne pouvait tenir pour de fidèles sujets ceux qui n’étaient pas fidèles à Dieu, ni en espérer une sincère obéissance, lorsqu'ils ne la rendaient pas aux ministres de Jésus-Christ dans

 

1 Rom., VII, 12.

 

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ce qui regardait les causes de Dieu et les intérêts de l'Eglise (1). » C'était parler en prince habile, qui sait en quoi l'obéissance est due aux évêques et ne confond point les bornes des deux puissances. Il mérite d'autant plus d'en être cru. Selon ses ordonnances on laisse aux évêques l'autorité toute entière dans les causes de Dieu et dans les intérêts de l'Eglise ; et avec raison, puisqu'en cela l'ordre de Dieu, la grâce attachée à leur caractère, l'Ecriture, la tradition, les canons et les lois parlent pour eux. Qu'est-il besoin d'alléguer les autres rois? Que ne doivent point les évêques au grand Louis? Que ne fait point ce religieux prince pour les intérêts de l'Eglise? Pour qui a-t-il triomphé si ce n'est pour elle ? Quand tout en un moment ploya sous sa main et que les provinces se soumirent comme à l'envi, n'ouvrit-il pas autant de temples à l'Eglise qu'il força de places ? mais l'hérésie de Calvin fut la seule confondue en ce temps. Aujourd'hui le luthéranisme, la source du mal et la tête de l'hérésie, est entamé : heureux présage pour l'Eglise ! il commence à rendre les temples usurpés. L'un des plus grands de ces temples, celui qui de dessus les bords du Rhin élève le plus haut et fait révérer de plus loin son sacré sommet, par la piété de Louis est sanctifié de nouveau. Que ne doit espérer la France , lorsque fermée de tous côtés par d'invincibles barrières, à couvert de la jalousie et assurant la paix de l'Europe par celle dont son roi la fera jouir, elle verra ce grand prince tourner plus que jamais tous ses soins au bonheur des peuples et aux intérêts de l'Eglise dont il fait les siens? Nous, mes Frères, nous qui vous parlons , nous avons ouï de la bouche de ce prince incomparable, à la veille de ce départ glorieux qui tenait toute l'Europe en suspens, qu'il allait travailler pour l'Eglise et pour l'Etat, deux choses qu'on verrait toujours inséparables dans tous ses desseins. France, tu vivras par ces maximes, et rien ne sera plus inébranlable qu'un royaume uni si étroitement à l'Eglise que Dieu soutient ! Combien devons-nous chérir un prince qui unit tous ses intérêts à ceux de l'Eglise? N'est-il pas notre consolation

 

1 Cap. IV Car. M., an 806, Baluz., tom. I, p. 450 ; Capit., ap. Theod., de hon. Episc. et rel. Sacerd., ibid., p. 438; Coll. Anseg., lib. VI, cap. CCXLIX, ibid. p. 965; Conc. Arel. VI, sub Car. M., can. XIII, tom. II Conc. Gall., p. 271, Capit. Car. M., an. 813, Baluz., tom. I, p. 503.

 

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et notre joie, lui qui réjouit tous les jours le ciel et la terre par tant de conversions? Pouvons-nous n'être pas touchés, pendant que par son secours nous ramenons tous les jours un si grand nombre de nos enfants dévoyés, et qui ressent plus de joie de leur changement que l'Eglise romaine leur Mère commune, qui dilate son sein pour les recevoir? La main de Louis était réservée pour achever de guérir les plaies de l'Eglise. Déjà celles de l'épiscopat ne nous paraissent plus irrémédiables. Outre cent arrêts favorables, sous les auspices d'un prince qui ne veut que voir la raison pour s'y soumettre, on ouvre les yeux : on ne lit plus les canons et les décrets des saints Pères par pièces et par lambeaux pour nous y tendre des pièges ; on prend la suite des antiquités ecclésiastiques ; et si on entre dans cet esprit, que verra-t-on à toutes les pages, que des monuments éternels de notre autorité sacrée? « Nous ne prêchons pas nous-mêmes quand nous parlons de cette sorte ; mais nous prêchons Jésus-Christ qui nous a établis ses ministres, et nous prêchons tout ensemble que nous sommes en Jésus-Christ dévoués à votre service (1). » Car qu'est-ce que l'épiscopat, si ce n'est une servitude que la charité nous impose pour sauver les âmes ? Et qu'est-ce que soutenir l'épiscopat, que soutenir la foi et la discipline? Il ne faut donc pas s'étonner si Louis qui aime et honore l'Eglise, aime et honore notre ministère apostolique. Que tarde un si saint Pape à s'unir intimement au plus religieux de tous les rois? Un pontificat si saint et si désintéressé ne doit être mémorable que par la paix et par les fruits de la paix, qui seront, j'ose le prédire, l'humiliation des infidèles, la conversion des hérétiques, et le rétablissement de la discipline. Voilà l'objet de nos vœux ; et s'il fallait sacrifier quelque chose à un si grand bien, craindrait-on d'en être blâmé ?

 

TROISIÈME POINT.

 

Ç'a toujours été dans l'Eglise un commencement de paix que d'assembler les évêques orthodoxes. Jésus-Christ est l'auteur de la paix, Jésus-Christ est la paix lui-même ; nous ne sommes

 

1 II Cor., III, 6; IV, 5.

 

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mais plus assurés d'être assemblés en son nom, ni par conséquent de l'avoir selon sa promesse au milieu de nous, que lorsque nous sommes assemblés pour la paix ; et nous pouvons dire avec un ancien Pape (1) « que nous sommes véritablement ambassadeurs pour Jésus-Christ, quand nous travaillons à la paix de l'Eglise : » Pro Christo legatione fungimur, cùm paci Ecclesiœ studium impendere procuramus. L'épiscopat qui est un, aime à s'unir : c'est en s'unissant qu'il se purifie : c'est en s'unissant qu'il se règle : c'est en s'unissant qu'il se réforme : mais surtout c'est en s'unissant qu'il attire dans son unité le Dieu de la paix ; et « les apôtres étaient assemblés, » dit l'Evangéliste (2), quand Jésus-Christ leur vint dire ce qu'ils disent ensuite à tout le peuple : Pax vobis : « La paix soit avec vous. »

Saint Bernard, l'ange de paix, voyant un commencement de division entre l'Eglise et l'Etat, écrivit à Louis VII : « Il n'y a rien de plus nécessaire que d'assembler les évêques en ce temps ; » et une des raisons qu'il en apporte, c'est, dit-il à ce sage prince (3), « que s'il est sorti de la rigueur de l'autorité apostolique quelque chose dont Votre Majesté se trouve offensée, vos fidèles sujets travailleront à faire qu'il soit révoqué ou adouci autant qu'il le faut pour votre honneur. »

Et pour ce qui est de la discipline, quand nous la voyons blessée, nous nous assemblons pour proposer les canons, bornes naturelles de la puissance ecclésiastique, qu'elle se fait elle-même par son exercice. Le Saint-Siège aime cette voie ; le langage des canons est son langage naturel ; et à la louange immortelle de cette Eglise il n'y a rien de plus répété dans ses Décrétales, ni rien de mieux établi dans sa pratique, que la loi qu'elle se fait d'observer et de faire observer les saints canons.

Les exemples nous feront mieux voir le succès de ces saintes assemblées. On rapporta dans un concile de la province de Lyon un privilège de Rome qu'on crut contre l'ordre. Nos pères dirent aussitôt selon leur coutume : « Relisant le saint concile de Chalcédoine et les sentences de plusieurs autres Pères authentiques, le

 

1 Joan. VIII , Epist. LXXX. — 2 Joan., XX, 19. — 3 S. Bern. , Epist. CCLV, tom. I , col. 257.

 

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saint concile a résolu que ce privilège ne pouvait subsister, puisqu'il n'était pas conforme, mais contraire aux constitutions canoniques (1). »

Vous reconnaissez dans ces paroles l'ancien style de l'Eglise : ce concile est pourtant de l'onzième siècle, afin que vous voyiez dans tous les temps la suite de nos traditions et la conduite toujours uniforme de l'Eglise gallicane.

Elle ne s'élève pas contre le Saint-Siège, puisqu'elle sait au contraire qu'un Siège qui doit régler tout l'univers, n'a jamais intention d'affoiblir la règle : mais comme dans un si grand Siège où un seul doit répondre à toute la terre, il peut échapper quelque chose même à la plus grande vigilance, on y doit d'autant plus prendre garde que ce qui vient d'une autorité si éminente pourrait à la fin passer pour loi, ou devenir un exemple pour la postérité.

C'est pourquoi dans ces occasions toutes les églises, mais principalement celle de France, ont toujours représenté au Saint-Siège avec un profond respect ce qu'ont réglé les canons. Nous en avons un bel exemple dans le second concile de Limoges, qui est encore de l'onzième siècle. On s'y plaignit d'une sentence donnée par surprise et contre l'ordre canonique par le pape Jean XVIII (2). Nos prédécesseurs assemblés proposèrent d'abord la règle « qu'ils avaient reçue, disaient-ils, des Pontifes apostoliques et des autres Pères. » Ils ajoutèrent ensuite comme un fondement incontestable « que le jugement de toute l'Eglise paraissait principalement dans le Saint-Siège apostoliques. » Ce ne fut pas sans remarquer l'ordre canonique avec lequel les affaires y devaient être portées, afin que ce jugement eût toute sa force ; et la conclusion fut que « les Pontifes apostoliques ne doivent pas révoquer les sentences des évêques (contre cet ordre canonique), parce que, comme les membres sont obligés à suivre leur chef, il ne faut pas aussi que le chef afflige ses membres. »

Comme ç'a toujours été la coutume de l'Eglise de France de proposer les canons, ç'a toujours été la coutume du Saint-Siège

 

1 Conc. Ansan., an. 1025, tom. IX, Conc., col. 859. — 2 Conc. Lemov. II, sess. II, tom. IX  Conc. — 3 Ibid., col. 909.

 

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d'écouter volontiers de tels discours , et le même concile nous en fournit un exemple mémorable. Un évêque (a) s'était plaint au même pape Jean XVIII d'une absolution que ce pape avait mal donnée au préjudice de la sentence de cet évêque ; le pape lui fit cette réponse vraiment paternelle qui fut lue avec une incroyable consolation de tout le concile : « C'est votre faute, mon très-cher Frère, de ne m'avoir pas instruit ; j'aurais confirmé votre sentence, et ceux qui m'ont surpris n'auraient remporté que des anathèmes. A Dieu ne plaise, poursuit-il, qu'il y ait schisme entre moi et mes co-évêques. Je déclare à tous mes frères les évoques que je veux les consoler et les secourir, et non pas les troubler ni les contredire dans l'exercice de leur ministère (1). »

A ces mots « tous les évêques se dirent les uns aux autres : C'est à tort que nous osons murmurer contre notre Chef : nous n'avons à nous plaindre que de nous-mêmes et du peu de soin que nous prenons de l'avertir. » Vous le voyez, chrétiens : les puissances suprêmes veulent être instruites et veulent toujours agir avec connaissance. Vous voyez aussi qu'il y a toujours quelque chose de paternel dans le Saint-Siège et toujours un fond de correspondance entre le chef et les membres qui rend la paix assurée, pourvu qu'en proposant la règle, on ne manque jamais au respect que la même règle prescrit. L'Eglise de France aime d'autant plus sa Mère l'Eglise romaine et ressent pour elle un respect d'autant plus sincère, qu'elle y regarde plus purement l'institution primitive et l'ordre de Jésus-Christ. La marque la plus évidente de l'assistance que le Saint-Esprit donne à cette Mère des Eglises, c'est de la rendre si juste et si modérée que jamais elle n'ait mis les excès parmi les dogmes. Qu'elle est grande l'Eglise romaine, soutenant toutes les églises, « portant, dit un ancien pape (2), le fardeau de tous ceux qui souffrent, » entretenant l'unité, confirmant la foi, liant et déliant les pécheurs, ouvrant et fermant le ciel ! Qu'elle est grande encore une fois, lorsque pleine de l'autorité de saint Pierre, de tous les apôtres, de tous les conciles, elle en exécute avec autant de force que de discrétion les salutaires décrets ! Quelle a été

 

1 Conc. Lemov. II, sess. II. — 2 Joan. VIII, Epist. LXXX.

 

(a) Etienne, évêque de Clermont.

 

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sa puissance, lorsqu'elle l'a fait consister principalement à tenir toute créature abaissée sous l'autorité des canons sans jamais s'éloigner de ceux qui sont les fondements de la discipline, et qu'heureuse de dispenser les trésors du ciel, elle ne songeait pas à disposer des choses inférieures que Dieu n'avait pas mises en sa main

Dans cet état glorieux où vous paraît l'Eglise romaine, et les rois et les royaumes sont trop heureux d'avoir à lui obéir. Quel aveuglement quand des royaumes chrétiens ont cru s'affranchir en secouant, disaient-ils, le joug de Rome qu'ils appelaient un joug étranger, comme si l'Eglise avait cessé d'être universelle, ou que le lien commun qui fait de tant de royaumes un seul royaume de Jésus-Christ, put devenir étranger à des chrétiens ! Quelle erreur quand des rois ont cru se rendre plus indépendants en se rendant maîtres de la religion, au lieu que la religion dont l'autorité rend leur majesté inviolable, ne peut être pour leur propre bien trop indépendante et que la grandeur des rois est d'être si grands qu'ils ne puissent, non plus que Dieu dont ils sont l'image, se nuire à eux-mêmes, ni par conséquent à la religion qui est l'appui de leur trône ! Dieu préserve nos rois très-chrétiens de prétendre à l'empire des choses sacrées, et qu'il ne leur vienne jamais une si détestable envie de régner ! Ils n'y ont jamais pensé. Invincibles envers toute autre puissance et toujours humbles devant le Saint-Siège, ils savent en quoi consiste la véritable hauteur. Ces princes également religieux et magnanimes, n'ont pas moins méprisé que détesté les extrémités auxquelles on ne se  laisse emporter que par désespoir et par faiblesse. L'Eglise de France est zélée pour ses libertés (1) : elle a raison, puisque le grand concile d'Ephèse nous apprend (2) que ces libertés particulières des églises sont un des fruits de la rédemption par laquelle Jésus-Christ nous a affranchis : et il est certain qu'en matière de religion et de conscience, des libertés modérées entretiennent l'ordre de se et y affermissent la paix. Mais nos pères nous ont appris air ces libertés sans manquer au respect; et loin d'en vouloir manquer, nous croyons au contraire que le respect inviolable

 

1 Concil. Bitur., cap. De Elect. — 2 Conc. Ephes, act. VII.

 

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que nous conserverons pour le Saint-Siège nous sauvera des blessures qu'on voudrait nous faire sous un nom qui nous est si cher et si vénérable. Sainte Eglise romaine, Mère des églises et Mère de tous les fidèles, Eglise choisie de Dieu pour unir ses en-fans dans la même foi et dans la même charité, nous tiendrons toujours à ton unité par le fond de nos entrailles. « Si je t'oublie, Eglise romaine, puissé-je m'oublier moi-même ! Que ma langue se sèche et demeure immobile dans ma bouche, si tu n'es pas toujours la première dans mon souvenir, si je ne te mets pas au commencement de tous mes cantiques de réjouissance : » Adhœreat lingua mea faucibus meis, si non meminero tui, si non proposuero Jérusalem m principio lœtitiœ meœ (1).

Mais vous qui nous écoutez, puisque vous nous voyez marcher sur les pas de nos ancêtres, que reste-t-il, chrétiens, sinon qu'unis à notre assemblée avec une fidèle correspondance vous nous aidiez de vos vœux?« Souvent, dit un ancien Père (2), les lumières de ceux qui enseignent viennent des prières de ceux qui écoutent : » Hoc accipit doctor quod meretur auditor. Tout ce qui se fait de bien dans l'Eglise, et même par les pasteurs, se fait, dit saint Augustin (3), par les secrets gémissements de ces colombes innocentes qui sont répandues par toute la terre. Ames simples, âmes cachées aux yeux des hommes, et cachées principalement à vos propres yeux, mais qui connaissez Dieu et que Dieu connaît : où êtes-vous dans cet auditoire, afin que je vous adresse ma parole? Mais sans qu'il soit besoin que je vous connaisse, ce Dieu qui vous connaît, qui habite en vous, saura bien porter mes paroles qui sont les siennes dans votre cœur. Je vous parle donc sans vous connaître, âmes dégoûtées du siècle. Ah ! comment avez-vous pu en éviter la contagion ? Comment est-ce que cette face extérieure du monde ne vous a pas éblouies ? Quelle grâce vous a préservées de la vanité : de la vanité que nous voyons si universellement régner? Personne ne se connaît : on ne connaît plus personne : les marques des conditions sont confondues : on se détruit pour se parer : on s'épuise à dorer un édifice dont les

 

1 Psal. CXXXVI, 6. — 2 S. Petr. Chrysol., Serm. LXXXVI. — 3 De Bapt. cont. Donat., lib. III, n. 22, 23.

 

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fondements sont écroulés, et on appelle se soutenir que d'achever de se perdre. Ames humbles, âmes innocentes, que la grâce a désabusées de cette erreur et de toutes les illusions du siècle, c'est vous dont je demande les prières : en reconnaissance du don de Dieu dont le sceau est en vous, priez sans relâche pour son Eglise : priez, fondez en larmes devant le Seigneur : priez, justes; mais priez , pécheurs : prions tous ensemble : car si Dieu exauce les uns pour leur mérite, il exauce aussi les autres pour leur pénitence. C'est un commencement de conversion que de prier pour l'Eglise.

Priez donc tous ensemble, encore une fois, que ce qui doit finir finisse bientôt. Tremblez à l'ombre même de la division : songez au malheur des peuples qui ayant rompu l'unité se rompent en tant de morceaux, et ne voient plus dans leur religion que la confusion de l'enfer et l'horreur de la mort. Ah ! prenons garde que ce mal ne gagne. Déjà nous ne voyons que trop parmi nous de ces esprits libertins, qui sans savoir ni la religion, ni ses fondements, ni ses origines, ni sa suite, « blasphèment ce qu'ils ignorent et se corrompent dans ce qu'ils savent : nuées sans eau, » poursuit l'apôtre saint Jude (1), docteurs sans doctrine, qui pour toute autorité ont leur hardiesse, et pour toute science leurs décisions précipitées : « arbres deux fois morts et déracinés : » morts premièrement parce qu'ils ont perdu la charité ; mais doublement morts, parce qu'ils ont encore perdu la foi ; et entièrement déracinés, puisque déchus de l'une et de l'autre, ils ne tiennent à l'Eglise par aucune fibre : « astres errants » qui se glorifient dans leurs routes nouvelles et écartées, sans songer qu'il leur faudra bientôt disparaître. Opposons à ces esprits légers et à ce charme trompeur de la nouveauté, la pierre sur laquelle nous sommes fondés et l'autorité de nos traditions où tous les siècles passés sont renfermés, et l'antiquité qui nous réunit à l'origine des choses. Marchons dans les sentiers de nos pères ; mais marchons dans les anciennes mœurs, comme nous voulons marcher dans l'ancienne foi.

Allez, chrétiens, dans cette voie d'un pas ferme : allons à la tête de tout le troupeau, Messeigneurs, plus humbles et plus soumis

 

1 Jud., 10,  12.

 

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que tout le reste : zélés défenseurs des canons, autant de ceux qui ordonnent la régularité de nos mœurs que de ceux qui ont maintenu l'autorité sainte de nos caractères, et soigneux de les faire paraître dans notre vie plus encore que dans nos discours : afin que quand le Prince des pasteurs et le Pontife éternel apparaîtra, nous puissions lui rendre un compte fidèle et de nous et du troupeau qu'il nous a commis, et recevoir tous ensemble l'éternelle bénédiction du Père, du Fils, et du Saint-Esprit. Amen.

 

FIN   DU   ONZIÈME   VOLUME. (quatrième des sermons.)

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