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PREMIER SERMON
POUR  LA
FÊTE DE LA PURIFICATION
DE LA SAINTE VIERGE (a).

Second Exorde

Tulerunt Jesum in Jerusalem, ut sisterent eum Domino.

Ils portèrent Jésus à Jérusalem, pour le présenter au Seigneur. Luc, II, 22.

 

Quoique le crucifiement de Jésus-Christ n'ait paru publiquement que sur le Calvaire, Jésus-Christ n'a jamais été sans avancer l'œuvre de notre salut. Ce Roi a toujours pensé au bien de ses

 

(a) Exorde. — Il  faut apprendre à s'offrir avec Jésus-Christ qui s'offre. C'est pourquoi tous ceux qui lui appartiennent s'offrent : Siméon veut mourir ; Anne se consume par veilles et abstinences; Marie offre Jésus, s'offre en lui elle est comme sous le couteau du sacrificateur : Tuam ipsius animam pertransibit gladius (Luc, il, 35).

Trois sacrifices : Siméon immole l'amour de la vie, Anne le repos des sens,

 

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peuples, ce céleste Médecin a toujours eu l'esprit occupé des besoins et des faiblesses de ses malades; et comme telle était la loi que ni ses peuples ne pouvaient être soulagés, ni ses malades ;

 

 

et c'est le sacrifice de la pénitence; Marie la liberté de l'esprit, et c'est le sacrifice de l'obéissance.

 

Premier point. Sentiments du chrétien sur la vie et sur la mort. Responsum. Qu'avait-il demandé? Sans doute la mort. Il lui avait été répondu : Jusqu'à ce que le Messie vienne, on vous diffère; après qu'il est venu, Nunc dimittis.

On ne doit désirer d'être sur la terre que lorsque Jésus-Christ y était. Maintenant, Quœ sursùm sunt quaerite (Coloss., III, 2).

Douceur d'être avec ce qu'on aime, Quocumque perueneris, pergam :  quœ tu terra morientem acceperit, et ego portier morabor ( Rut I, 16, 17). Unis dans la sépulture, les os semblent reposer plus doucement, et les cendres mêmes être plus tranquilles : combien plus d'aller immortels à Jésus-Christ immortel, non dans la terre des morts, mais dans la terre des vivants, etc.

Second point. — Combat du corps et de l'esprit : Caro concupiscit; saint Grégoire de Nazianze : ekhtos eumenes philos epiboulos. — Futurus erat in corpore spiritualis, factus est in mente carnalis (S. Augustin).

La raison, ministre des sens, emploie toute son industrie ou à raffiner le goût pour irriter l'appétit, ou à assaisonner les objets pour empêcher le dégoût. Venez, sainte pénitence, sacrifier à Dieu le repos des sens. Anne. Pénitence prépare à la mort (Voyez Panégyrique de saint François de Paule, 1er point).

Troisième point. — Volonté de Dieu se fait connaitre en deux sortes : commandement, règle ce qu'il faut faire; événements, ce qu'il faut souffrir. L'un libre, l'autre inévitable. L'on s'oppose au premier par la rébellion ouverte; quoique l'on ne puisse s'opposer à l'autre, on murmure. L'audace humaine s'imagine faire quelque chose de libre, quand ne pouvant résister, elle murmure néanmoins et fait la mutine et l'opiniâtre.

Obéissance à la loi. Deux sortes de commandements, de père et de maître : de père, pour rendre meilleur; de maître, pour exercer son empire et faire sentir aux esclaves leur servilité. La loi ancienne, presque toute ainsi. C'est pourquoi elle est appelée joug insupportable, loi des esclaves. Pourquoi joug, vu que les préceptes du premier genre sont multipliés dans l'Evangile ? C'est que ce sont préceptes qui ne sont pas donnés pour peser sur les épaules, mais pour porter à la perfection. Le précepte de la purification est l'un des plus serviles de tous. Marie semblait être formellement exceptée. Où sont ceux qui cherchent de vains prétextes pour s'exempter de l'obligation de la loi, qui s'étant fait une loi eux-mêmes de faire mille dépenses superflues, s'imaginent être exempts par là de l'obligation de faire l'aumône?

Marie subit la volonté de Dieu en souffrant (Voyez Sermon de la Compassion, II° point, sur ces paroles : Tuam ipsius animam).

 

Prêché le 2 février 1862, au Louvre, devant le Roi.

La Gazette de France nomme les orateurs qui ont prêché de 1662 à 1669, devant le Roi, le jour de la Purification : Bossuet en 1662, l'évêque de Dax en 1663, dom Cosme en 1664, le P. Cueillans en 1665, Bossuet en 1666, Mascaron en 1667, le même en 1669. — En  1668  Louis XIV faisait, dans les premiers jours de février, la conquête de la Franche-Comté.                              

Le sermon qu’on va lire est le premier que Bossuet prêcha devant la Cour. En 1662, Louis XIV avait vingt-trois ans, et la mort d’un ministre tout-puissant venait de remettre entre ses mains les rênes du royaume. On verra dans le deuxième point de notre discours, avec quelle sollicitude et quelle prudence tout à la fois le zélé prédicateur s'efforçait de le prémunir contre les séductions qui allaient l'assaillie de toutes parts.

Jean Loret parle ainsi dans la Muse historique, 4 février 1662, du premier Sermon pour la Purification :

 

Leurs Majestés , l'après-dînée
D'icelle très-sainte journée
Ouirent un jeune docteur,
Admirable prédicateur,
Et qui dès son enfance
Prêchait avec tant d'éloquence ,
Qu'il s'acquit partout grand renom.
L'abbé Bossuet, c'est son nom ,

Dont certes la doctrine exquise
Est digue de servir l'Eglise ;
Et le destin qui dans ses mains
Tient la fortune des humains,
Serait envers lui trop féroce
S'il n'avait un jour mitre et crosse.
On voit peu de gens aujourd'hui
Le mériter si bien que lui.

 

Les manuscrits originaux des sermons pour la Purification, se trouvent à bibliothèque impériale.

 

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guéris, que par sa croix, par ses clous et par ses blessures, il a toujours porté devant Dieu toute l'horreur de sa passion. Nulle paix, nul repos pour Jésus-Christ; travail, accablement, mort toujours présente: mais travail enfantant les hommes, accablement réparant nos chutes et mort nous donnant la vie.

Nous apprenons de saint Paul que Jésus-Christ faisant son entrée au monde, s'était offert à son Père pour être la victime du genre humain. Mais ce qu'il avait fait dans le secret dès le premier moment de sa vie, il le déclare aujourd'hui par une cérémonie solennelle, en se présentant à Dieu devant ses autels : de sorte que si nous savons pénétrer ce qui se passe en cette journée, nous verrons des yeux de la foi Jésus-Christ qui se présente dès sa tendre enfance aux yeux de son Père pour lui demander sa croix ; et le Père qui prévenant la fureur des Juifs, la met déjà de ses propres mains sur ses tendres épaules. Nous verrons le Fils unique et bien-aimé qui prie son Père et son Dieu qu'il lui fasse porter tous nos crimes, et le Père en même temps qui les lui applique par une opération tellement intime (a), que Jésus, l'innocent Jésus paraît tout à coup revêtu devant Dieu de tous nos péchés, et par une suite nécessaire pressé de toute la rigueur de ses jugements, pénétré de tous les traits de sa justice, accablé de tout le poids de sa vengeance. Voilà, Messieurs, l'état véritable dans lequel le Sauveur Jésus s'offre pour nous en ce jour : c'est de là qu'il nous faut tirer quelque instruction importante pour la conduite de notre vie. Mais

 

(a) Var. ; Si intime, — si puissante.

 

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la sainte Vierge ayant tant de part dans ce mystère admirable, gardons-nous bien d'y entrer sans implorer son secours par les paroles de l'ange, Ave.

« C'est un discours véritable, dit le saint Apôtre (1), et digne d'être reçu en toute humilité et respect, que Jésus-Christ est venu au monde pour délivrer les pécheurs; » et que, pour être le Sauveur du genre humain, il en a voulu être la victime. Mais l'unité de son corps mystique fait que le chef s'étant immolé, tous les membres doivent être aussi des hosties vivantes ; ce qui fait dire à saint Augustin (2) que l'Eglise catholique apprend tous les jours dans le sacrifice qu'elle offre, qu'elle doit aussi s'offrir elle-même avec Jésus-Christ qui est sa victime, parce qu'il a (a) tellement disposé les choses, que nul ne peut avoir part à son sacrifice, s'il ne se consacre en lui et par lui pour être un sacrifice agréable.

Comme cette vérité est très-importante, et comprend le fondement principal du culte que les fidèles doivent rendre à Dieu dans le Nouveau Testament, il a plu aussi à notre Sauveur de nous en donner une belle preuve dès le commencement de sa vie. Car, chrétiens, n'admirez-vous pas dans la solennité de ce jour que tous ceux qui paraissent dans notre évangile, nous y sont représentés par le Saint-Esprit dans un état d'immolation. Siméon, ce vénérable vieillard, désire d'être déchargé de ce corps mortel ; Anne, victime de la pénitence, paraît toute exténuée par ses abstinences et par ses veilles; mais surtout la bienheureuse Marie apprenant du bon Siméon qu'un glaive tranchant percera son âme, ne semble-t-elle pas être déjà sous le couteau du sacrificateur, et comme elle se soumet en tout aux ordres et aux lois de Dieu avec une obéissance profonde, n'entre-t-elle pas aussi dans la véritable disposition d'une victime immolée ? Quelle est la cause, Messieurs, que tant de personnes concourent à se dévouer à Dieu comme des hosties, si ce n'est que son Fils unique, pontife et hostie tout ensemble de la nouvelle alliance, commençant en cette journée à s'offrir lui-même à son Père, il attire tous ses fidèles à

 

1 I Tim., I, 15. — 2 De Civ. Dei, lib. X, cap. XX.

 

(a) Var. : Parce que ce divin Sauveur a.

 

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son sentiment et répand, si je puis parier de la sorte, cet esprit d'immolation sur tous ceux qui ont part à son mystère?

C'est donc l'esprit de ce mystère et c'est le dessein de notre évangile, de faire entendre aux fidèles qu'ils doivent se sacrifier avec Jésus-Christ. Mais il faut qu'ils apprennent de la suite du même mystère et de la doctrine du même évangile, par quel genre de sacrifice ils pourront se rendre agréables. C'est pourquoi Dieu agit en telle manière dans ces trois personnes sacrées qui paraissent aujourd'hui dans le temple avec le Sauveur, que faisant toutes pour ainsi dire leur oblation à part, nous pouvons recevoir de chacune d'elles une instruction particulière. Car comme notre amour-propre nous fait appréhender ces trois choses comme les plus grands de tous les maux : la mort, la douleur, la contrainte, pour nous inspirer des pensées plus fortes, Siméon détaché du siècle présent immole l'amour de la vie ; Anne pénitente et mortifiée détruit devant Dieu le repos des sens ; et Marie soumise et obéissante sacrifie la liberté de l'esprit (a). Par où nous devons apprendre à nous immoler avec Jésus-Christ par trois genres de sacrifice: par un sacrifice de détachement, en méprisant notre vie; par un sacrifice de pénitence, en mortifiant nos appétits sensuels ; par un sacrifice de soumission, en captivant notre volonté: et c'est le sujet de ce discours.

 

PREMIER POINT.

 

Quoique l'horreur de la mort soit le sentiment universel de toutes les créatures vivantes (b), il est aisé de reconnaître que l'homme est celui des animaux qui sent le plus fortement cette répugnance ; et encore que je veuille bien avouer que ce qui nous rend plus timides (c), c'est que notre raison prévoyante ne nous permet pas d'ignorer ce que nous avons sujet de craindre, il ne

 

(a) Var. : Il faut apprendre à s'offrir avec Jésus-Christ qui s'offre; c'est pourquoi tous ceux qui lui appartiennent s'offrent. Siméon veut mourir; Anne se consume par veilles et abstinences ; Marie offre Jésus-Christ, s'offre en lui et elle est comme sous le couteau du sacrificateur : Tuam ipsius animam pertransibit gladius. Trois sacrifices : Siméon immole l'amour de la vie, c'est le sacrifice de la charité; Anne, le repos des sens, c'est le sacrifice de la pénitence; Marie, la liberté de l'esprit, et c'est le sacrifice de l'obéissance. — (b) Tout ce qui vit et qui respire. — (c) Appréhensifs.

 

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laisse pas d'être indubitable que cette aversion prodigieuse que nous avons pour la mort vient d'une cause plus relevée (a). En effet il faut penser, chrétiens, que nous étions nés pour ne mourir pas ; et si notre crime nous a séparés de cette source de vie immortelle, il n'a pas tellement rompu les canaux par lesquels elle coulait avec abondance, qu'il n'en soit tombé sur nous quelque goutte, qui nourrissant en nos cœurs cet amour de notre première immortalité, fait que nous haïssons d'autant plus la mort, qu'elle est plus contraire à notre nature. « Car si elle répugne de telle sorte à tous les autres animaux qui sont engendrés pour mourir, combien plus est-elle contraire à l'homme, ce noble animal, qui (b) a été créé si heureusement que s'il avait voulu vivre sans péché, il eût pu vivre sans fin ? » Il ne faut donc pas s'étonner si le désir de la vie est si fort enraciné dans les hommes, ni si j'appelle par excellence sacrifice de détachement celui qui détruit en nous cet amour qui fait notre attache la plus intime (c).

Mais de là nous devons conclure que pour nous donner le courage d'offrir à Dieu un tel sacrifice, nous avions besoin d'un grand exemple. Car il ne suffit pas de montrer à l'homme, ni la loi universelle de la nature, ni cette commune nécessité à laquelle est assujetti tout ce qui respire. Comme il a été établi par son Créateur pour une condition (d) plus heureuse, ce qui se fait dans les autres n'a point de conséquence pour lui et n'adoucit point ses disgrâces. Voici donc le conseil de Dieu pour nous détacher de la vie; conseil certainement admirable et digne de sa sagesse.   Il envoie son Fils unique, immortel par sa nature aussi bien que lui, revêtu par sa charité d'une chair mortelle, qui mourant volontairement quoique juste, apprend le devoir à ceux qui meurent nécessairement comme coupables, et qui désarmant notre mort par la sienne, « délivre, dit saint Paul, de la servitude ceux que la crainte de mourir tenait dans une éternelle sujétion (e) : » Ut liberant eos qui timore mortis per totam vitam obnoxii erant servituti (2). Voici, Messieurs, un grand mystère, voici une conduite surprenante,

 

1 S. August., serm. CLXXII, n. 1. — 2 Hebr., II, 15.

 

(a) Var. : Plus haute. — (b) Lequel. — (c) Notre inclination la plus inhérente. — (d) Comme il a été formé par son Créateur dans une condition, — avec une condition. — (e) Tenait éternellement dans la sujétion.

 

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et un ordre de médecine bien nouveau. Pour nous guérir de la crainte de la mort, on fait mourir notre Médecin. Cette méthode paraît sans raison ; mais si nous savons entendre (a) l'état du malade et la nature de la maladie, nous verrons que c'était le remède propre et s'il m'est permis de parler ainsi, le spécifique infaillible.

Donc, mes Frères, notre maladie c'est que nous redoutons tellement la mort, que nous la craignons même plus que le péché ; ou plutôt que nous aimons le péché, pendant que nous avons la mort en horreur. Voilà, dit saint Augustin (1), un désordre étrange, un extrême dérèglement, que nous courions au péché que nous pouvons fuir si nous le voulons, et que nous travaillions avec tant de soin d'échapper des mains de la mort dont les coups (b) sont inévitables. Aveuglement de l'homme, qui choisit toujours le pire et qui veut toujours l'impossible !

Et toutefois, chrétiens, si nous savons pénétrer les choses, cette mort qui nous paraît si cruelle, suffira pour nous faire comprendre combien le péché est plus redoutable. Car si c'est un si grand malheur que le corps ait perdu son âme, combien plus que l’âme ait perdu son Dieu ? Et si nos sens sont saisis d'horreur en voyant ce corps abattu par terre sans force et sans mouvement, combien est-il plus horrible de contempler l’âme raisonnable, cadavre spirituel et tombeau vivant d'elle-même, qui étant séparée de Dieu par le péché, n'a plus de vie ni de sentiment que pour rendre sa mort éternelle? Comment une telle mort n'est-elle pas capable de nous effrayer? Mais voici ce qui nous abusé. Quoique le péché soit le plus grand mal, la mort toutefois nous répugne plus, parce qu'elle est la peine forcée de notre dépravation volontaire. Car c'est, dit saint Augustin, un ordre immuable de la justice divine que le mal que nous choisissons soit puni par un mal que nous haïssons : de sorte que c'a été une loi très-juste qu'étant allés au péché par notre choix, la mort nous suivît contre notre gré, et que « notre âme ayant bien voulu abandonner Dieu, par une juste punition elle ait été contrainte de quitter son corps (c) : »

 

1 In Joan., tract. XLIX, n. 2.

 

(a) Var. : Comprendre. — (b) Les atteintes. — (c) Et que notre âme fût contrainte de quitter son corps par une juste punition de ce qu'elle avait bien voulu abandonner Dieu.

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Spiritus, quia volens deseruit Deum, deserat corpus invitus (1). Ainsi, en consentant au péché, nous nous sommes assujettis à la mort : parce que nous avons choisi le premier pour notre roi, l'autre est devenu notre tyran. Je veux dire qu'ayant rendu au péché une obéissance volontaire comme à un prince légitime, nous sommes contraints de gémir sous les dures lois de la mort comme d'un violent usurpateur. Et c'est ce qui nous impose. La mort qui n'est que l'effet nous semble terrible, parce qu'elle domine par force ; et le péché qui est la cause nous paraît aimable, parce qu'il ne règne que par notre choix; au lieu qu'il fallait entendre parle mal que nous souffrons malgré nous, combien est grand celui que nous avons commis volontairement, (a)

Vous reconnaissez, chrétiens, l'extrémité de la maladie (b), et il est temps maintenant de considérer le remède. O remède vraiment efficace et cure vraiment heureuse ! Car puisque c'était notre mal de ne craindre pas le péché parce qu'il est volontaire, et de n'appréhender que la mort à cause qu'elle est forcée , qu'y avait-il de plus convenable que de contempler le Fils de Dieu, qui ne pouvant jamais vouloir le péché, nous montre combien il est exécrable; qui embrassant la mort avec joie , nous fait voir qu'elle n'est point si terrible ; mais qui enfin ayant voulu endurer la mort pour expier le péché, enseigne assez clairement à tous ceux qui veulent entendre qu'il n'y a point à faire de comparaison, que le péché seul est à craindre comme le vrai mal, et que la mort ne l'est plus puisque même elle a pu servir de remède, (c) C'est pour commencer ce mystère que Jésus entre aujourd'hui dans le temple, non pour s'y faire voir avec majesté comme le Dieu qu'on y adore, mais pour se mettre en la place de toutes les victimes qu'on y sacrifie : tellement qu'il n'y reçoit pas encore le coup de la mort, mais il l'accepte, mais il s'y prépare , mais il s'y dévoue. Et c'est tout le mystère de cette journée, (d)

 

1 De Trinit., lib. IV, n. 16.

 

(a) Note marg. : Et nous ne voulons pas entendre que notre grand mal, c'est toujours celui que nous nous faisons. — (b) Var. : Notre maladie. — (c) Note marg. : Paraissez donc, il est temps, ô le Désiré des nations, divin Auteur de la vie, glorieux Triomphateur de la mort, et venez vous offrir pour tout votre peuple. — (d) Ne craignons donc plus la mort, chrétiens, après  qu'un Dieu veut bien la souffrir pour nous, mais avec cette différence bienheureuse qui fait l'espérance de tous les fidèles, qu'il y est allé par l'innocence, au lieu que nous y tombons parle crime; et c'est pourquoi, dit saint Augustin, « notre mort n'est que la peine du péché, et la sienne est le sacrifice qui l'expie : » Nos per peccatum ad mortem venimus, ille per justitiam : et ideò cùm sit mors nostra pœna peccati, mors illius facta est hostia pro peccato (De Trin., lib. IV, n. 15).

 

 

251

 

Ah ! je ne m'étonne pas si le bon Siméon ne craint plus la mort, et s'il la défie hardiment par ces paroles : Nunc dimittis (1). On doit craindre la mort avant que l'on ait vu le Sauveur. On doit craindre la mort avant que le péché soit expié, parce qu'elle conduit les pécheurs aune mort éternelle. Avant le Sauveur on ne peut mourir qu'avec trouble. Maintenant que j'ai vu le Médiateur, qui expie le péché par sa mort, ah ! je puis, dit Siméon , m'en aller en paix : en paix, parce que mon Sauveur vaincra le péché et qu'il ne peut plus damner ceux qui croient ; en paix, parce qu'on lui verra bientôt désarmer la mort et qu'elle ne peut plus troubler ceux qui espèrent ; en paix, parce qu'un Dieu devenu victime va pacifier le ciel et la terre et que le sang qu'il est tout prêt à répandre nous ouvrira l'entrée des lieux saints.

Que tardons-nous, chrétiens, à immoler notre vie avec Siméon? Il pouvait, ce semble, désirer de vivre, puisque Jésus-Christ était sur la terre : niais il s'estime si heureux d'avoir vu Jésus, qu'il ne veut plus voir autre chose ; et il aime mieux l'aller attendre avec espérance que de demeurer en ce monde où il l'aurait vu véritablement , mais où il aurait vu avec lui quelque autre spectacle que ses yeux ne pouvaient plus souffrir désormais. Nous donc qui ne voyons que les vanités, dont les yeux sont profanés tous les jours par tant d'indignes objets, combien devons-nous désirer le royaume de Jésus-Christ, où nous le verrons à découvert, où nous le contemplerons dans sa gloire, où nous ne verrons que lui, parce qu'il y sera tout à tous, illuminant tous les esprits par les rayons de sa face et pénétrant tous les cœurs par les traits de sa bonté infinie (a) ?

Songez quelle douceur (b) sentent ceux qui s'aiment d'une amitié forte, quand ils se trouvent ensemble. On ne peut écouter sans

 

1 Luc., II, 29.

 

(a) Var. : Où nous le verrons dans sa gloire, où nous le verrons à découvert , où nous ne verrons que lui, parce qu'il sera tout à tous, comme dit l'Apôtre. — (b) Quel ravissement.

 

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larmes ces tendres paroles de Ruth à Noémi sa belle-mère, qui lui persuadait de se retirer. «Non, non, ne croyez pas que je vous quitte ; partout où vous irez, je veux vous y suivre ; partout où vous demeurerez, j'ai résolu de m'y établir. Votre peuple sera mon peuple, votre Dieu sera mon Dieu. Ah ! je le prends à témoin que la seule mort est capable de nous séparer : encore veux-je mourir dans la même terre où vos restes seront déposés, et c'est là que je choisis le lieu de ma sépulture : » Quœ te terra morientem acceperit, in eà moriar, ibique locum inveniam sepulturœ (1). Quoi ! la force d'une amitié naturelle produit une liaison si parfaite et fait même que les amis étant unis dans la sépulture, leurs os semblent reposer plus doucement et les cendres mêmes être plus tranquilles, quel sera donc ce repos d'aller immortels à Jésus-Christ immortel, d'être avec ce divin Sauveur, non dans les ombres de la mort, ni dans la terre des morts, mais dans la terre des vivants et dans la lumière de vie ?

Après cela, chrétiens, serons-nous toujours enchantés de l'amour de cette vie périssable? C'est vainement, dit saint Augustin, que vous paraissez passionnés pour elle. « Cette maîtresse infidèle vous crie tous les jours : Je suis laide et désagréable, et vous l'aimez (a) avec ardeur ; elle vous crie : Je vous suis rude et cruelle, et vous l'embrassez avec tendresse; elle vous crie : Je suis changeante et volage, et vous vous y attachez (b). Elle est sincère en ce point, qu'elle vous avoue franchement qu'elle ne sera pas longtemps avec vous, et que bientôt elle vous manquera comme un faux ami au milieu de vos entreprises ; et vous faites fondement sur elle, comme si elle était bien sûre et fidèle à ceux qui s'y fient, (c) » Mortels , désabusez-vous, vous qui ne cessez de vous tourmenter (d) et qui faites tant de choses pour mourir plus tard. « Songez plutôt, dit saint Augustin, à entreprendre quelque chose de considérable pour ne mourir jamais : » Qui tanta agis, ut

 

1 Ruth, I, 16, 17.

 

(a) Var. Et vous la chérissez. — (b) Et vous l'aimez avec attache. — (c) Note marg. : Clamat tibi: Fœda sum, et tu amas? Clamat: Dura sum, et tu amplecteris? Clamat: Volatica sum, et tu sequi conaris? Ecce respondet tibi amata tua: Non tecum stabo (S. August., sem. CCCII, n. 6). — (d) Var. : Vous qui vous tourmentez.

 

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paulò seriùs moriaris, age aliquid, ut nunquàm moriaris (1). Cessons donc de nous laisser tromper plus longtemps à cette amie inconstante, qui ne nous peut cacher elle-même ses faiblesses insupportables. Mais comme les voluptés s'opposent à cette rupture et que pour empêcher ce dégoût, elles nous promettent de tempérer les amertumes de cette vie par leurs flatteuses douceurs, faisons un second sacrifice, et immolons à Dieu l'amour des plaisirs avec Anne la prophétesse.

 

SECOND  POINT.

 

C'est un précepte du Sage de s'abstenir des eaux étrangères. « Buvez, dit-il, de votre puits et prenez l'eau dans votre fontaine (a) : » Bibe aquam de cisternà tuà et fluenta putei tui (2). Cette parole simple mais mystérieuse s'adresse, si je ne me trompe, à l’âme raisonnable faite à l'image de Dieu. Elle boit d'une eau étrangère , lorsqu'elle va puiser le plaisir dans les objets de ses sens ; et le Sage lui veut faire entendre qu'elle ne doit pas sortir d'elle-même, ni aller détourner de quelque montagne écartée les eaux, puisqu'elle a en son propre fonds une source immortelle et inépuisable (b).

Il faut donc entendre, Messieurs, cette belle et sage pensée. La source du véritable plaisir, qui fortifie le coeur de l'homme , qui l'anime dans ses desseins et le console dans ses disgrâces, ne doit pas être cherchée hors de nous, ni attirée en notre âme par lé ministère des sens; mais elle doit jaillir au dedans du cœur toujours pleine, toujours abondante. Et la raison, chrétiens, se prend de la nature de l’âme, qui ayant sans doute ses sentiments propres, a aussi par conséquent ses plaisirs à part ; et qui étant seule capable de se réunir à l'origine du bien et à la bonté primitive qui n'est autre chose que Dieu, ouvre en elle-même en s'y appliquant une source toujours féconde de plaisirs réels, lesquels certes quiconque a goûtés, il ne peut presque plus goûter autre chose, tant le goût en est délicat, tant la douceur en est ravissante.

 

1 Serm. CCCII, n. 4. — 2 Prov., V, 15.

 

(a) Var. : Buvez, dit-il, de l'eau de votre puits et prenez-la dans votre fontaine — (b) Ni détourner de bien loin les eaux, puisqu'elle a en son propre fonds une fontaine immortelle et inépuisable.

 

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D'où vient donc que le sentiment de ces plaisirs immortels est si fort éteint dans les hommes? Qui a corrompu, qui a détourné, qui a mis à sec cette belle source (a) ? D'où vient que notre âme ne sent presque plus par les facultés qui lui sont propres, par la raison, par l'intelligence, et que rien ne la touche ni ne la délecte que ce que ses sens lui présentent? Et en effet, chrétiens, chose étrange, mais trop véritable, quoique ce soit à l'esprit à connaître la vérité, ce qui ne se connaît que par l'esprit nous paraît un songe. Nous voulons voir, nous voulons sentir, nous voulons toucher. Si nous écoutions la raison , si elle avait en nous quelque autorité, avec quelle clarté nous ferait-elle connaître (b) que ce qui est dans la matière n'a qu'une ombre d'être qui se dissipe, et que rien ne subsiste véritablement, effectivement, que ce qui est dégagé de ce principe de mort? Et nous sommes au contraire si aveugles et si malheureux, que ce qui est immatériel nous semble une ombre, un fantôme; ce qui n'a point de corps une illusion, ce qui est invisible une pure idée, une invention agréable. O Dieu, quel est ce désordre ! et comment avons-nous perdu le premier honneur de notre nature en nous ravilissant (c) à la ressemblance des animaux muets et déraisonnables ? N'en cherchons point d'autre cause : nous nous sommes attiré nous-mêmes un si grand malheur :nous avons voulu goûter les plaisirs sensibles, nous avons perdu tout le goût des plaisirs célestes; et il est arrivé, dit saint Augustin, par un grand et terrible changement, que et l'homme, qui devait être spirituel même dans la chair, devient

tout charnel même dans l'esprit : » Qui.....futurus fuerat etiam

carne spiritalis, factus est etiam mente carnalis (1).

Méditons un peu cette vérité, et confondons-nous devant notre Dieu dans la connaissance de nos faiblesses. Oui, créature chérie, homme que Dieu a fait à sa ressemblance, tu devais être spirituel même dans le corps, parce que ce corps que Dieu t'a donné devait être régi par l'esprit ; et qui ne sait que celui qui est régi, participe en quelque sorte à la qualité du principe qui le meut et

 

1 De Civit. Dei, lib. XIV, cap. XV.

(a) Var. : Qui a détourné cette belle source. — (b) Nous montrerait-elle. — (c) En nous rangeant.

 

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qui le gouverne par l'impression qu'il en reçoit? Mais, ô changement déplorable ! la chair a pris le régime , et l’âme est devenue toute corporelle. Car qui ne voit par expérience que la raison, ministre des sens et appliquée toute entière à les servir, emploie toute son industrie à raffiner leur goût, à irriter leur appétit, à leur assaisonner leurs objets, et ne se peut déprendre elle-même de ces pensées sensuelles?

Ce n'est pas que nous ne fassions quelques efforts, et qu'il n'y ait de certains moments dans lesquels à la faveur d'un léger dégoût il nous semble que nous allons rompre avec les plaisirs. Mais disons ici la vérité, nous ne rompons pas de bonne foi (a). Apprenons , Messieurs, à nous connaître. Il est de certains dégoûts qui naissent d'attache profonde ; il est de certains dégoûts qui ne vont pas à rejeter les viandes, mais à les demander mieux préparées. O raison, tu crois être libre dans ces petits moments de relâche (b), où il semble que la passion se repose ; tu murmures cependant contre les plaisirs déréglés, tu loues la vertu et l'honnêteté, la modération et la tempérance ; mais la moindre caresse des sens, ce qui montre trop clairement combien notre engagement est intime, te fait bientôt revenir à eux et dissipe (c) ces beaux sentiments que l'amour de la vertu avait réveillés : Redactus sum in nihilum; abstidisti quasi ventus desiderium meum, et velut nubes pertransiit salus mea (1) : « Tous mes bons desseins s'en vont en fumée, les pensées de mon salut ont passé en mon esprit comme un nuage, et ces grandes résolutions ont été le jouet des vents. »

Telle est la maladie (d) de notre nature ; mais maintenant, Messieurs, voici le remède ; voici le Sauveur Jésus, nouvel homme et nouvel Adam, qui vient détacher en nous l'amour des plaisirs sensibles. Que si l'amour des plaisirs est si fort inhérent à nos entrailles, il faut un remède fort, un remède violent pour le détacher. C'est pourquoi ce nouvel Adam ne s'approche pas comme le premier d'un arbre fleuri et délectable, mais d'un arbre terrible et rigoureux. Il est venu à cet arbre, non pour y voir un objet

 

1 Job, XXX, 15.

 

(a) Var. : Jamais nous ne rompons de bonne foi. — (b) Dans ces petits intervalles. — (c) Et dissipe trop tôt. — (d) Le mal.

 

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« plaisant à la vue, et y cueillir (a) un fruit agréable au goût : » Bonum ad vescendum, et pulchrum oculis, aspectuque delectabile (1); mais pour n'y voir que de l'horreur et n'y goûter que de l'amertume (b), afin que ses clous, ses épines, ses blessures et ses douleurs fissent une sainte violence aux flatteries de nos sens et à l'attache trop passionnée de notre âme.

Ce qu'il accomplit sur la croix, il le commence aujourd'hui dans le temple. Considérez cet enfant si doux, si aimable, dont le regard et le souris attendrit tous ceux qui le voient ; à combien de plaies, à combien d'injures, à combien de travaux il se consacre : Hic positus est in ruinam et in resurrectionem multorum, et in signum cui contradicetur (2) : « Il est mis pour être en butte, dit le saint vieillard , à toute sorte de contradictions. » Aussitôt qu'il commencera de paraître au monde , on empoisonnera toutes ses pensées, on tournera à contre-sens toutes ses paroles. Ah ! qu'il souffrira de maux et qu'il sera contredit ! contredit dans tous ses enseignements, dans tous ses miracles, dans ses paroles les plus douces, dans ses actions les plus innocentes, par les princes, par les pontifes, par les citoyens, par les étrangers, par ses amis, par ses ennemis, par ses envieux et par ses disciples. A quoi êtes-vous né, petit Enfant, et quelles misères vous sont réservées! Mais vous les souffrez déjà par impression ; et votre Prophète a raison de vous appeler « l'homme de douleurs, l'homme savant en infirmités : » Virum dolorum et scientem infirmitatem (3), parce que si vous savez tout par votre science divine, par votre expérience particulière vous ne saurez que les maux, vous ne connaîtrez que les douleurs (c) : Virum dolorum.

Mais ce Dieu, qui se dévoue aux douleurs pour l'amour de nous demande aussi, chrétiens, que nous lui sacrifiions l'amour des plaisirs. Car il faut appliquer à notre mal le remède qu'il nous présente. Et c'est pourquoi dans le même temps qu'il s'offre pour notre salut à toutes sortes de peines, il fait paraître à nos yeux cette veuve si mortifiée, qui nous apprend l'application de ce remède

 

1 Genes., III, 6. — 2 Luc., II, 34. — 3 Isai., LIII, 3.

 

(a) Var. : Et y manger.— (b) Mais pour y voir tout ce qui est amer. — (c) Les peines.

 

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admirable. La voyez-vous, chrétiens, cette Anne si renommée, cette perpétuelle pénitente exténuée par ses veilles et consumée par ses jeûnes? Elle est indignée contre ses sens, parce qu'ils tâchent de corrompre par leur mélange la source des plaisirs spirituels; elle veut aussi troubler à son tour ces sens gâtés par la convoitise, source des plaisirs déréglés. Et parce que l'esprit affaibli ne peut plus surmonter les fausses douceurs par le seul amour des plaisirs célestes, elle appelle la douleur à son secours, elle emploie les jeûnes, les austérités, les mortifications de la pénitence pour étourdir en elle tout le sentiment des plaisirs mortels après lesquels soupire notre esprit malade. Si nous n'avons pas le courage de les attaquer avec elle jusqu'au principe, modérons-en du moins les excès damnables; marchons avec retenue dans un chemin si glissant ; prenons garde qu'en ne pensant qu'à nous relâcher, nous n'allions à l'emportement ; fuyons les rencontres dangereuses, et ne présumons pas de nos forces, parce que, comme dit saint Ambroise, on ne soutient (a) pas longtemps sa vigueur quand il la faut employer contre soi-même : Causam peccati fuge, nemo enim diù fortis est contra seipsum (1).

Et ne nous persuadons pas que nous vivions sans plaisir, pour le transporter (b) du corps à l'esprit, de la partie terrestre et mortelle à la partie divine et incorruptible. C'est là au contraire, dit Tertullien, qu'il se forme une volupté toute céleste du mépris des voluptés sensuelles (c) : Quœ major voluptas, quàm fastidium ipsius voluptatis (2) ? Qui nous donnera, chrétiens, que nous sachions goûter ce plaisir sublime, plaisir toujours égal, toujours uniforme, qui naît non du trouble de l’âme, mais de sa paix ; non de sa maladie, mais de sa santé; non de ses passions, mais de son devoir ; non de la ferveur inquiète et toujours changeante de ses désirs, mais de la rectitude immuable de sa conscience? Que ce plaisir est délicat ! qu'il est généreux ! qu'il est digne d'un

 

1 Apol. II David., cap. III, n. 12. — 2 De Spect., n. 29.

 

(a) Var. : Nous n'allions à l'emportement; gardons-nous de présumer de nos forces et croyons, dit saint Ambroise, qu'on ne soutient.....—(b) Pour le vouloir transporter, — pour entreprendre de le transporter. — (c) Déréglées, — criminelles.

 

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grand courage, et qu'il est digne principalement de ceux qui sont nés pour commander! Car si c'est quelque chose de si agréable d'imprimer le respect par ses regards, et de porter dans les yeux et sur le visage un caractère d'autorité, combien plus de conserver à la raison cet air de commandement avec lequel elle est née; cette majesté intérieure qui modère les passions, qui tient les sens dans le devoir, qui calme par son aspect tous les mouvements séditieux, qui rend l'homme maître en lui-même ! Mais pour être maître en soi-même, il faut être soumis à Dieu. C'est ma troisième partie.

 

TROISIÈME POINT.

 

La sainte et immuable volonté de Dieu à laquelle nous devons l'hommage d'une dépendance absolue, se déclare à nous en deux manières, et Dieu nous fait connaître ce qu'il veut de nous, et par les commandements qu'il nous fait et par les événements qu'il nous envoie, (a) Car comme il est tout ensemble et la règle immuable de l'équité et le principe universel de tout être, il s'ensuit nécessairement que rien n'est juste (b) que ce qu'il veut, et que rien n'arrive (c) que ce qu'il ordonne ; de sorte que les préceptes qui prescrivent tout ce qu'il faut faire et l'ordre des événements qui comprend tout ce qui arrive, reconnaissent également pour première cause sa volonté souveraine.

C'est donc, Messieurs, en ces deux manières que Dieu règle nos volontés par la sienne, parce qu'y ayant deux choses à régler en nous, ce que nous avons à pratiquer et ce que nous avons à souffrir, il propose dans ses préceptes ce qu'il lui plaît qu'on pratique, il dispose par les événements ce qu'il veut que l'on endure, et ainsi par ces deux moyens il nous range parfaitement sous sa dépendance. Mais notre liberté (d) toujours rebelle s'oppose sans cesse

 

(a) Note marg. : Deux sortes de commandements , de père et de maître : de père, pour rendre meilleurs; de maître, pour exercer son empire et faire sentir aux esclaves leur servilité. La loi ancienne, presque toute ainsi; c'est pourquoi elle est appelée joug insupportable, loi d'esclaves. Pourquoi joug, vu que les préceptes du premier genre sont multipliés dans l'Evangile? C'est que ce sont des préceptes qui ne sont pas donnés pour peser sur les épaules, mais pour porter à la perfection. —. (b) Var. : Rien ne peut être juste. — (c) Rien ne peut arriver. — (d) Notre volonté.

 

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à Dieu et combat directement ces deux volontés ; celle qui règle nos mœurs en secouant ouvertement le joug de sa loi ; celle qui conduit les événements en s'abandonnant aux murmures , aux plaintes, à l'impatience dans les accidents fâcheux de la vie. Et pourquoi ces murmures inutiles dans des choses résolues et inévitables , si ce n'est que l'audace humaine, toujours ennemie de la dépendance, s'imagine faire quelque chose de libre, quand ne pouvant éluder l'effet, elle blâme du moins la disposition, et que ne pouvant être la maîtresse, elle fait la mutine et l'opiniâtre?

Prenons, mes Frères, d'autres sentiments ; considérons aujourd'hui le Sauveur pratiquant la Loi, le Sauveur abandonnant à son Père toute la conduite de sa vie ; et à l'exemple de ce Fils unique nous qui sommes aussi les enfants de Dieu, nés pour obéira ses volontés, adorons (a) dans ses préceptes les règles immuables de sa justice; regardons (b) dans les événements les effets visibles de sa toute-puissance ; apprenons dans ceux-là (c) ce qu'il veut que nous pratiquions avec fidélité, et reconnaissons dans ceux-ci (d) ce qu'il veut que nous endurions avec patience.

Et pour ôter tout prétexte à notre rébellion, toute excuse à notre lâcheté,, toute couleur à notre indulgence, la bienheureuse Marie , toujours humble et obéissante, recevant cet exemple de son cher Fils, le donne aussi publiquement à tous les fidèles. Elle porte (e) le joug d'une loi servile de laquelle, comme nous apprend la théologie, elle était formellement exceptée ; et quoiqu'elle soit plus pure et plus éclatante que les rayons du soleil, elle vient se purifier dans le temple, (f) Mais le temps ne me permet pas de vous décrire plus amplement cette obéissance. Voici le grand sacrifice; c'est ici qu'il nous faut apprendre à soumettre à Dieu tout l'ordre de notre vie, toute la conduite de nos affaires, toutes les inégalités de notre fortune. Voici un spectacle digne de vos yeux et digne de l'admiration de toute la terre.

« Cet enfant, dit Siméon à la sainte Vierge, est établi pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs. Il est posé comme un

 

(a) Var. : Regardons. — (b) Remarquons. — (c) Dans les uns.— (d) Dans les autres. — (e) Elle subit.— (f) Note marg. : Après cela, chrétiens, quelle excuse pourrons-nous trouver pour nous exempter de la loi de Dieu, et pour colorer nos rébellions ?

 

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signe auquel on contredira et votre âme sera percée d'un glaive. » Paroles effroyables pour une mère! je vous prie, Messieurs, de les bien entendre. Il est vrai que ce bon vieillard ne lui propose rien en particulier de tous les travaux de son Fils, mais ne vous persuadez pas que ce soit pour épargner sa douleur : au contraire c'est ce qui la porte au dernier excès (a), en ce que ne lui disant rien en particulier, il lui laisse à appréhender toutes choses. Car est-il rien de plus rude et de plus affreux que cette cruelle suspension d'une âme menacée d'un mal extrême, sans qu'on lui explique ce que c'est (b) ? C'est là que cette pauvre âme confuse , étonnée, pressée et attaquée de toutes parts, qui ne voit de toutes parts que des glaives pendants sur sa tête, qui ne sait de quel côté elle se doit mettre en garde, meurt en un moment de mille morts. C'est là que la crainte toujours ingénieuse pour se tourmenter elle-même (c), ne pouvant savoir sa destinée ni le mal qu'on lui prépare, va parcourant tous les maux pour faire son supplice de tous : si bien qu'elle souffre toute la douleur que donne une prévoyance assurée, avec toute cette inquiétude importune, toute l'angoisse et l'anxiété qu'apporte une juste frayeur qui doute encore et ne sait à quoi se résoudre (d). Dans cette cruelle incertitude, c'est une espèce de repos que de savoir de quel coup il faudra mourir ; et saint Augustin a raison de dire « qu'il est moins dur sans comparaison de souffrir une seule mort que de les appréhender toutes : » Longé satiùs est unam perferre moriendo quàm omnes timere vivendo (1). Tel est l'état de la sainte Vierge, et c'est ainsi qu'on la traite. O Dieu ! qu'on ménage peu sa douleur ! Pourquoi la frappez-vous de tant d'endroits ? Ou ne lui dites rien de son mal pour ne la tourmenter point par la prévoyance, ou dites-lui tout son mal pour lui en ôter du moins la surprise. Chrétiens, il n'en sera pas de la sorte. On lui annoncera son mal de bonne heure, afin qu'elle le sente longtemps ; on ne lui dira pas ce que c'est, de peur d'ôter (e) à la douleur la secousse violente que la surprise y ajoute. Ce qu'elle a ouï confusément du

 

1 De Civ. Dei, lib. I, cap. XI.

 

(a) Var. : A l'extrémité. — (b) Menacée de quelque grand mal et qui ne peut savoir ce que c'est. — (c) Pour nous tourmenter. — (d) Qu'apporte une crainte douteuse, — une crainte toujours tremblante. — (e) Pour ne pas ôter.

 

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bon Siméon, ce qui a déjà déchiré le cœur et ému toutes les en-t railles de cette mère ; elle le verra sur la croix plus horrible, plus épouvantable, qu'elle n'avait pu se l'imaginer. O prévoyance, ô surprise, ô ciel, ô terre, ô nature ! étonnez-vous de cette constance. Ce qu'on lui prédit lui fait tout craindre ; ce qu'on exécute lui fait tout sentir (a) ; voyez cependant sa tranquillité par le miracle de son silence. Là elle ne demande point : Qu'arrivera-t-il? ici elle ne se plaint point de ce qu'elle voit. Sa crainte n'est point curieuse, sa douleur n'est pas impatiente. Ni elle ne s'informe de l'avenir, ni elle ne se plaint du mal (b) présent ; et elle nous apprend par cet exemple les deux actes de résignation par lesquels nous nous devons immoler à Dieu : se préparer de loin à tout ce qu'il veut, se soumettre (c) humblement à tout ce qu'il fait, (d)

Après cela, chrétiens, qu'est-il nécessaire que je vous exhorte à offrir à Dieu ce grand sacrifice ? Marie vous parle assez fortement ; c'est elle qui vous invite à ne sortir point de ce lieu sans avoir consacré à Dieu ce que vous avez de plus cher. Est-ce un époux, est-ce un fils, et serait-ce quelque chose de plus grand et de plus précieux qu'un royaume, ne craignez point de l'offrir à Dieu. Vous ne le perdrez pas en le remettant entre ses mains. Il le conservera au contraire avec une bonté d'autant plus soigneuse , que vous le lui aurez déposé avec une plus entière confiance : Tutiùs habitura quem Domino commendasset (1).

C'est la grande obligation du chrétien, de s'abandonner tout entier à la sainte volonté de Dieu ; et plus on est indépendant, plus on doit être à cet égard dans la dépendance. C'est la loi de tous les empires, que ceux qui ont cet honneur de recevoir quelque éclat de la majesté du prince, ou qui ont quelque partie

 

1 S. Paulin., Ep. ad Sever., n. 9.

 

(a) Var. : Lui fait tout voir. — (b) De l'état. — (c) Se résoudre. — (d) Note marg. : On pèche principalement en deux manières à l'égard de soi-même : par des discours de vanité en publiant ce qu'il faut taire; par des discours de curiosité, en l'enquérant de ce qu'il ne faut pas savoir. La sainte Vierge le jour de la Purification... Il ne fallait point qu'elle dit rien de son Fils, elle s'en tait; Siméon lui prédit de grands maux sans lui dire quoi, elle ne s'en enquiert pas. Elle montre son humilité doublement, en se taisant sur ses avantages et en se reposant sur Dieu de sa conduite.

 

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autorité entre leurs mains, lui doivent une obéissance plus ponctuelle et une fidélité plus attentive à leur devoir, parce qu'étant les instruments principaux de la domination souveraine, ils doivent s'unir plus étroitement à la cause qui les applique. Si cette maxime est certaine dans les empires du monde et selon la politique (a) de la terre, elle l'est beaucoup plus encore dans la politique du ciel et dans l'empire de Dieu; si bien que les souverains, qu'il a commis pour régir ses peuples, doivent être liés immuablement aux dispositions de sa providence plus que le reste des hommes. Il n'est pas expédient à l'homme de ne voir rien au-dessus de soi ; un prompt égarement suit cette pensée, et la condition de la créature ne porte pas cette indépendance. Ceux donc qui ne découvrent rien sur la terre qui puisse leur faire loi, doivent être d'autant plus préparés à la recevoir d'en haut. S'ils font la volonté de Dieu, je ne craindrai point de le dire, non-seulement leurs sujets, mais Dieu même s'étudiera à faire la leur; car il a dit par son Prophète « qu'il fera la volonté de ceux qui le craignent : » Voluntatem timentium se faciet (1).

Sire, Votre Majesté rendra compte à Dieu de toutes les prospérités de son règne, si vous n'êtes aussi fidèle à faire ses volontés, comme il est soigneux d'accomplir les vôtres. Plus la volonté des rois est absolue, plus elle doit être soumise, parce que Dieu, qui régit le monde par eux, prend un soin plus particulier de leur conduite et de la fortune de leurs Etats. Rien de plus dangereux à la volonté d'une créature que de penser trop qu'elle est souveraine : elle n'est pas née pour se régler elle-même, elle se doit regarder dans un ordre supérieur. Que si Votre Majesté regarde ses peuples avec amour comme les peuples de Dieu, sa couronne comme un présent de sa providence, son sceptre comme l'instrument de ses volontés, Dieu bénira votre règne; Dieu affermira votre trône comme celui de David et de Salomon ; Dieu fera passer Votre Majesté d'un règne à un règne, d'un trône à un trône, mais trône bien plus auguste et règne bien plus glorieux, qui est celui de l'éternité que je vous souhaite, au nom du Père, etc.

 

1 Psal. CXLIV, 19.

 

(a) Var. : Et dans la politique.

 

SECOND EXORDE DU PREMIER SERMON
POUR
LA FÊTE DE LA PURIFICATION
DE LA SAINTE VIERGE (a).

 

Le crucifiement de Jésus-Christ a paru publiquement sur le Calvaire (b), mais il y avait déjà longtemps que le mystère en avait été commencé et se continuait invisiblement. Jésus-Christ n'a jamais été sans sa croix, parce qu'il n'a jamais été sans avancer l'œuvre (c) de notre salut. Ce Roi a toujours pensé (d) au bien de ses peuples; ce Médecin a l'esprit toujours occupé des besoins et des faiblesses de ses malades; et comme ni ses peuples ne peuvent être soulagés ni ses malades guéris, que par sa croix, par ses clous et par ses blessures, il a toujours porté devant Dieu tout l'attirail et toute l'horreur de sa passion douloureuse. Nulle paix, nul repos pour Jésus-Christ; travail, accablement, mort toujours présente : mais travail enfantant les hommes, accablement réparant nos chutes, et mort nous donnant la vie.

Pour dire quelque chose de plus haut, nous apprenons de l'Apôtre (1) que Jésus-Christ en venant au monde s'était offert à son Père pour être la victime du genre humain. Mais ce qu'il avait fait dans le secret dès le premier moment de sa vie, il le déclare aujourd'hui par une cérémonie publique en se présentant à Dieu devant ses autels ; de sorte que si nous savons pénétrer ce qui se passe en cette journée, nous verrons des yeux de la foi Jésus-Christ demandant sa croix au Père éternel, et le Père qui, prévenant la fureur des Juifs, la lui met déjà sur les épaules. Nous verrons le Fils unique et bien-aimé qui prie son Père et son Dieu qu'il puisse porter tous nos crimes, et le Père en même temps

 

1 Hebr., X, 5.

 

(a) On verra que cet exorde est la première rédaction de celui qu'on a lu dans le sermon. Toutes les éditions, même celles qui paraissent en ce moment, mêlent et brouillent ces deux compositions pour n'en faire qu'une.

(b) Var. : A paru à tout le monde sur le Calvaire, — a paru sur le Calvaire a la vue du monde. — (c) L'ouvrage. — (d) A pensé sans relâche.

 

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qui les lui applique si intimement, que le Fils de Dieu paraît tout à coup revêtu devant Dieu de tous nos péchés, et par une suite nécessaire investi de toute la rigueur de ses jugements, percé de tous les traits de sa justice, accablé de tout le poids de ses vengeances. Voilà, Messieurs, l'état véritable dans lequel le Sauveur Jésus s'offre pour nous en ce jour. C'est de là qu'il nous faut tirer quelque instruction importante pour la conduite de notre vie. Mais la sainte Vierge ayant tant de part dans ce mystère admirable, gardons-nous bien d'y entrer sans implorer son secours par les paroles de l'ange. Ave.

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