Visitation II
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SECOND SERMON
POUR LA
FÊTE DE LA VISITATION DE LA SAINTE VIERGE (a).

 

Intravit Maria in domum Zachariœ, et salutavit Elisabeth.

 

Marie étant entrée dans la maison de Zacharie, elle salua Elisabeth. Luc, I, 40.

 

Jésus-Christ, Messieurs, étant envoyé pour être la lumière du monde, aussitôt qu'il y eut fait sa première entrée, aussitôt il commença d'enseigner les hommes. Encore que vous le voyiez au-

 

 (a) Prêché à Paris, dans la maison de Saint-Lazare, le 2 juillet 1657.

On sait que Bossuet, lié avec Vincent de Paul par les nœuds d'une sainte estime et d'une confiance réciproque , annonça souvent la parole divine dans rétablissement formé par l'apôtre de la charité. C'est là qu'il prêcha, si je ne me trompe, le second sermon pour la fêle de la Visitation. Evidemment il parlait devant une réunion de prêtres. Car il dit, dans l'exorde de son discours : « Exerçons nos entendements dans le champ des Ecritures sacrées, c'est là notre véritable exercice; » et plus expressément encore : « Il paraîtra que de toutes les solennités par lesquelles nous honorons la très-sainte Vierge , celle-ci était une des plus dignes d'être choisie singulièrement pour la congrégation des prêtres. »

D'un autre côté Bossuet, venu de Metz, fit un long séjour et prêcha plusieurs fois dans la capitale en 1657. Des indices manifestes nous commandent de rapprocher notre sermon de cette date; sans entrer dans d'autres considérations, voici trois passages qui révèlent des souvenirs récents de l'Ecole : « Si nous vieillissons selon l'homme animal, l'Eglise dont nous faisons partie selon l'homme spirituel ne vieillit jamais; » ensuite : « La philosophie dit que les jeunes gens sont naturellement enivrés; » enfin : « Si l'Eglise est un ciel, on peut dire que les prêtres sont comme le premier mobile, ou plutôt comme les intelligences qui meuvent ce ciel et qui ne reçoivent leurs mouvements que de Dieu. » On voit que l'image du jeune orateur est empruntée à cette philosophie qu'a baptisée l'ange de l'Ecole, à la philosophie d'Aristote.

On a retranché dans cette édition plusieurs crochets, c'est-à-dire plusieurs commentaires, c'est-à-dire plusieurs interpolations de Déforis. Le lecteur verra que le discours, sans rien perdre de sa clarté, marche d'un pas plus libre et plus rapide.

 

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aujourd'hui dans les entrailles de sa sainte Mère sans parole, ce semble, et sans action, ne vous persuadez pas qu'il se taise. Etant la Parole du Père éternel, non-seulement tout ce qu'il fait et tout ce qu'il souffre, mais encore tout ce qu'il est parle, et d'une manière très-intelligible, à ceux qui ont comme vous l'esprit exercé dans la connaissance (a) des divins mystères. Je vous prie, mes Frères, de jeter les yeux sur cette belle structure de l'univers. Y a-t-il aucune partie où il ne paroisse de l'art et de la raison? Combien la disposition en est-elle sage! combien l'harmonie (b) en est-elle juste ! comme toutes choses y sont mesurées ! quel ordre et quelle conduite y règne partout ! D'où vient cette beauté, et d'où vient cet ordre dans cette grande machine du monde? C'est à cause qu'elle a été faite par le Fils de Dieu , qui étant né de l'intelligence du Père comme sa Parole et son Verbe, est lui-même tout raison, tout sagesse, tout entendement. De là vient, Messieurs, que cet univers est un ouvrage si bien entendu, un ouvrage de raison et d'intelligence, parce qu'il est tiré sur une idée infiniment belle, qu'il vient d'une science très-accomplie et de cette Raison souveraine qui est tout ensemble et le Verbe et le Fils de Dieu, « par qui toutes choses ont été faites, » par qui elles seront toujours gouvernées.

Mais si le monde fait reluire de toutes parts tant d'art, tant de raison, tant d'intelligence parce qu'il a été fait parle Fils de Dieu : quels trésors de sagesse seront enfermés en ce chef-d'œuvre incompréhensible de l'humanité qui lui est unie, où Dieu a recueilli toutes les merveilles de sa puissance ! S'il fait paraître tant de sagesse dans l'ouvrage qu'il a produit hors de lui-même, combien en aura-t-il fait éclater dans l'ouvrage qu'il a produit afin de se l'unir à lui-même, je veux dire dans l'humanité, qu'il s'est rendue propre par cette union si intime? Et si nous apprenons des Lettres sacrées que ce monde publie la gloire de Dieu par un langage

 

(a) Var. : Dans la contemplation. — (b) L'économie.

 

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qui se fait entendre jusqu'aux peuples les plus barbares (1), à plus forte raison doit-on dire que tout ce qui se fait en Jésus est plein de sagesse ; qu'il parle hautement et divinement, même lorsqu'il semble le plus qu'il se taise ; qu'il nous enseigne avant que de naître ; et que le ventre de sa sainte Mère n'est pas seulement le sanctuaire de ce Dieu fait homme, ni le lit chaste et virginal où il consomme son mariage avec l'humanité son épouse, mais encore que c'est une chaire où ce docteur céleste commence à prêcher les saintes vérités de son Evangile. Saint Jean l'entend, et il saute d'aise; et cette éloquence muette va émouvoir le cœur d'un enfant jusque dans le sein de sa mère. Rendons-nous attentifs, Messieurs, à cette prédication de Jésus qui ne frappe point les oreilles, mais qui parle si fortement aux esprits : écoutons ce que le Sauveur nous veut dire, et considérons dans cette pensée le mystère que nous honorons.

Encore qu'il pourrait peut-être sembler que l'Evangile et la Loi soient bien éloignés, toutefois vous savez, Messieurs, qu'il n'y a rien qui soit mieux uni, et que Jésus-Christ n'est venu au monde que pour accomplir la loi et les prophéties par les vérités de son Evangile. C'est ce qui fait dire à Tertullien : O Christum in novis veterem (2) ! « O que Jésus-Christ est ancien dans sa nouveauté ! » Et de là vient que ce grand homme l'appelle en un autre endroit (3) l'illuminateur des antiquités, parce qu'il n'y a dans la loi ni point ni virgule, si je puis parler de la sorte, qui ne trouve son vrai sens en Jésus-Christ seul; et que Jésus-Christ n'a jamais fait un seul pas que pour accomplir exactement, et de point en point, ce qui était écrit de lui dans la loi. Ainsi quelque différence qui nous y paroisse, Moïse et Jésus-Christ se touchent de près, la Synagogue et l'Eglise se tendent les mains : et je considère aujourd'hui dans la visite que rend Marie à Elisabeth et dans leurs embrassements mutuels, l'Evangile qui baise la Loi, l'Eglise qui embrasse la Synagogue. Voilà l’âme, voilà le sens de la mystérieuse variété de ce grand spectacle, de Jésus-Christ allant à saint Jean, de Marie visitant sainte Elisabeth, d'un enfant qui saute de joie, de sa mère qui prophétise, d'une Vierge qui éclate en actions de grâces. Vous

 

1 Psal. XVIII, et seq. — 2 Advers. Marcion., lib. IV, n. 21. — 3 Ibid., n. 40.

 

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verrez que toutes les circonstances de l'histoire de notre Evangile conviennent si bien et si justement à la vérité que je vous propose, que vous admirerez sans doute avec moi la conduite impénétrable de l'Esprit de Dieu dans la dispensation des mystères.

Entrons donc, Messieurs, en cette matière avec le secours de la grâce ; étalons les richesses des secrets célestes ; exerçons (a) nos entendements dans le champ des Ecritures sacrées ; c'est là notre véritable exercice. Considérons premièrement les raisons pour lesquelles Elisabeth tient la place de la Synagogue, et Marie celle de l'Eglise ; après cela nous verrons, dans les sincères embrassements de ces charitables cousines, la loi ancienne et la loi nouvelle qui vont à la rencontre l'une de l'autre. Et c'est le sujet de cette méditation, en laquelle nous trouverons des instructions salutaires, pour comprendre la dignité et tous les devoirs de notre ordre : si bien qu'il paraîtra manifestement que de toutes les solennités par lesquelles nous honorons la très-sainte Vierge, celle-ci était une des plus dignes d'être choisie singulièrement par la congrégation des prêtres.

 

PREMIER  POINT.

 

La première chose que je remarque dans le tableau que je vous présente, de l'Evangile embrassant la Loi, de Marie saluant sainte Elisabeth, c'est l'âge bien différent de ces deux cousines. L'Evangile nous montre sainte Elisabeth dans une extrême vieillesse, et la divine Marie dans la fleur de l'âge ; et je vois en la vieillesse d'Elisabeth la mourante caducité de la Loi, et dans la jeunesse de la sainte Vierge l'éternelle nouveauté de l'Eglise. La jeunesse de l'Eglise est telle, Messieurs, que le temps n'est pas capable de l'altérer, ni de s'acquérir aucun droit sur elle. Les choses éternelles ont cela de propre, qu'elles ne vieillissent jamais; au contraire ce qui doit périr ne cesse jamais de tendre à sa fin, et par conséquent il vieillit toujours. C'est pourquoi l'Apôtre, parlant de la loi : « Ce qui vieillit, dit-il, est presque aboli (1). » Ainsi la Synagogue vieillissait toujours, parce quelle devait être un jour abolie. L'Eglise

 

1 Hebr., VIII, 13.

 

(a) Var. ; Apprenons à exercer.

 

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chrétienne ne vieillit jamais, parce qu'elle doit durer éternellement. Car, Messieurs, vous n'ignorez pas que comme l'Eglise remplit tous les lieux , elle doit aussi remplir tous les temps. La fin du monde ne limitera point sa durée : alors elle cessera d'être sur la terre ; mais elle commencera de régner au ciel : elle ne sera pas éteinte; mais elle sera transférée en un lieu de gloire, où elle demeurera toujours florissante dans une perpétuelle jeunesse. Et d'où vient cette jeunesse éternelle? C'est que l'éternité n'aura qu'un seul jour, parce que dans l'éternité rien ne passe; ce n'est qu'une présence continuée, une présence qui ne coule point. Saint Jean le représente excellemment dans l'Apocalypse : «Ils n'auront point, dit-il, besoin de soleil, parce que le Seigneur Dieu sera leur lumière; et ils régneront aux siècles des siècles (1). » Remarquez, s'il vous plaît, cette conséquence : le Seigneur Dieu sera leur lumière, et ils régneront aux siècles des siècles. Pourquoi les choses d'ici-bas périssent-elles, sinon parce qu'elles sont sujettes au temps, qui se perd toujours, et qui entraîne avec soi ainsi qu'un torrent tout ce qui lui est attaché, tout ce qui est dans sa dépendance? Le soleil, qui nous éclaire, fait en même temps et défait les jours; il fait tout ensemble et défait le temps, par la rapidité de son mouvement. Mais le soleil qui éclairera le siècle futur, ce sera Dieu même. Ce Soleil ne porte pas sa lumière d'un lieu à un autre par la rapidité de sa course : il est tout à tous ; il est éternellement devant tous; il éclaire toujours et demeure toujours immobile. C'est pourquoi, comme nous disions, l'éternité n'aura qu'un seul jour, et ce jour n'aura ni couchant ni aucune différence d'heures : et l'Eglise des prédestinés, qui n'aura point d'autre Soleil que son Dieu, fixée immuablement dans l'éternité, sera toujours dans la nouveauté. O beau jour, et ô jour unique de l'éternité bienheureuse, quand verrons-nous ta sainte lumière, qui ne sera cachée par aucune nuit, qui ne sera obscurcie par aucun nuage? O sainte Sion, où toutes choses sont stables et éternellement permanentes, qui nous a précipites sur ces eaux courantes, dans ce flux et reflux des choses humaines?

Mais, chrétiens, réjouissons-nous : si nous vieillissons dans ce

 

(1) Apoc., XXII. 5.

 

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monde selon notre homme animal, l'Eglise dont nous faisons partie selon l'homme spirituel ne vieillit jamais, parce qu'au lieu de tendre à sa fin à la manière des choses mortelles, elle tend à cette jeunesse éternelle de la bienheureuse immortalité. C'est donc avec beaucoup de raison qu'Elisabeth vieille représente la Synagogue prête à tomber; et Marie dans la fleur de l'âge, l'Eglise de Jésus-Christ toujours jeune, toujours forte, toujours vigoureuse. Donc, mes Frères, puisque l'esprit du christianisme est un esprit de jeunesse et de nouveauté, « purifions-nous du vieux levain (1), » comme dit l'Apôtre; que notre zèle ne vieillisse pas, qu'il soit toujours jeune et toujours fervent.

La philosophie dit que les jeunes gens sont comme naturellement enivrés, parce que leur sang chaud et bouillant est semblable en quelque sorte à un vin fumeux et plein d'esprits, qui les rend toujours ardents, toujours animés dans la poursuite de leurs entreprises. Si nous voulons vivre, Messieurs, selon cette jeunesse spirituelle de la loi de grâce, il faut être toujours fervents, toujours intérieurement enivrés de ce vin de la nouvelle alliance, que Jésus-Christ promet aux fidèles dans le royaume de Dieu son Père, c'est-à-dire dans son Eglise. C'est le Sauveur Jésus-Christ lui-même qui compare à un vin nouveau l'esprit de la loi nouvelle ; et c'est afin que nous entendions que de même que le vin nouveau chasse tout ce qui lui est étranger et se purge lui-même par sa propre force, ainsi nous devons conserver cet esprit nouveau du christianisme dans sa force et dans sa ferveur, afin qu'il chasse toutes nos ordures, et qu'il éloigne cette froideur paresseuse qui nous rend lents et comme engourdis dans les œuvres de piété.

Mais cette sainte et divine ardeur qui est le vrai esprit du christianisme , doit se trouver particulièrement dans notre ordre, et nous la devons tous les jours apprendre du sacrifice que nous célébrons. L'Apôtre dans la divine Epître aux Hébreux, jugeant de la loi par le sacerdoce, conclut que « la loi de Moïse doit être abolie, parce que son sacerdoce devait passer : » Translate enim sacerdotio, necesse est ut et legis translatio fiat (2). En effet quelles étaient les victimes de ces anciens sacrificateurs? C'étaient des

 

1 I Cor., V, 7. — 2 Hebr., VII, 12.

 

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animaux égorgés ; tout y sentait la corruption et la mort : dignes victimes, dignes sacrifices d'une loi vieille et mourante. Mais il n'en est pas de la sorte du sacrifice de la nouvelle alliance. Notre victime est morte une fois ; mais elle est ressuscitée pour ne mou ri r plus. L'hostie que nous présentons est vivante : le sang du Nouveau Testament, que nous répandons mystiquement sur ces saints autels, n'est pas le sang d'une victime morte ; c'est un sang tout vif et tout chaud, si je puis parler de la sorte : tellement que nous devrions être toujours fervents, nous qui offrons au Père éternel une victime toujours nouvelle, et un sang qui ne souffre point de froideur. Ni le temps, ni l'accoutumance , qui ralentissent ordinairement la ferveur des hommes, ne devraient point diminuer la nôtre, parce que notre victime, qui ne change point, veut toujours trouver en nous une même ardeur. Cependant nous vieillissons tous les jours, quand notre première ferveur se perd; au lieu que nous devrions toujours être jeunes, parce que le caractère que nous portons nous oblige d'être les membres les plus fervents du corps de l'Eglise, qui est toujours jeune, et qui pour cette raison nous est figurée de la jeunesse dans la sainte Vierge.

Et non-seulement l'âge de Marie nous représente la sainte Eglise, mais encore son état de perpétuelle virginité. Je sais que le mariage est sacré, et que « son lien est très-honorable en tout et partout : » Honorabile connubium in omnibus (1). Mais si nous le comparons à la sainte virginité, il faut nécessairement avouer que le mariage sent la nature, et que la virginité sent la grâce. Et si nous considérons attentivement ce que dit l'Apôtre de la virginité et du mariage, nous y trouverons une peinture parfaite de la Synagogue et de l'Eglise chrétienne. « L'une est toute occupée du soin des choses du monde : » Cogitat quœ sunt mundi (2); c'est le but de la Synagogue, qui a pour partage la rosée du ciel et la graisse de la terre : De rore cœli et de pinguedine terrœ (3) : elle n'a que des promesses terrestres, cette terre coulante de lait et de miel. Mais que fait la virginité? « Elle est uniquement occupée du soin des choses du Seigneur : » Cogitat quœ Domini sunt (4). C'est le but de la sainte Eglise, « qui ne considère point les choses visibles, mais les

 

1 Hebr., XIII, 4. — 2 I Cor., VII, 31. — 3 Gen., XXVII, 28. — I Cor., VII, 34.

 

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invisibles : » Non contemplantibus nobis quœ videntur, sed quœ non videntur »(1). C'est, Messieurs, cet unique objet que se doivent proposer les prêtres, qui par l'éminence du sacerdoce font la partie la plus relevée et la plus céleste de la sainte Eglise. Si l'Eglise est un ciel, on peut dire que les prêtres sont comme le premier mobile, ou plutôt comme les intelligences qui meuvent ce ciel, et qui ne reçoivent leurs mouvements que de Dieu : aussi sont-ils appelés des anges (2).

Mais continuons de vous faire voir la figure de l'Eglise dans la sainte Vierge, et celle de la Synagogue dans Elisabeth. Vous savez que cette Vierge très-pure était mariée , et c'est par ce divin mariage qu'elle nous représente encore mieux l'Eglise. Car j'apprends de saint Augustin (3) que le mariage de Joseph avec Marie, n'étant point lié parles sentiments de la chair, n'avait point d'autre nœud de son union que la foi mutuelle qu'ils s'étaient donnée ; et c'est là aussi ce qui joint l'Eglise avec Jésus-Christ son Epoux. La foi de Jésus est engagée à l'Eglise, celle de l'Eglise à Jésus : Sponsabo te mihi in fide (4) : « Je vous rendrai mon épouse par une inviolable fidélité, » par une fidélité réciproque : Fide pudicitiœ conjugalis (5).

Mais ce que je trouve très-remarquable, c'est qu'Elisabeth vivant avec son mari, l'Ecriture la nomme stérile; Marie au contraire fait profession d'une perpétuelle virginité; et la même Ecriture, qui ne ment jamais, la fait voir féconde. Voyez la stérilité de la Synagogue, qui d'elle-même ne peut engendrer des enfants au ciel; et la divine fécondité de l'Eglise, de laquelle il est écrit: Lœtare, sterilis, quœ non paris (6). Toutefois, Messieurs, la stérile enfante; Elisabeth a un fils aussi bien que la sainte Vierge. Aussi la Synagogue a-t-elle enfanté, mais des figures et des prophéties. Elisabeth a conçu, mais un Précurseur à Jésus, une voix qui prépare les chemins : Marie enfante la Vérité même.

Et admirez ici, chrétiens, la dignité de la Vierge, aussi bien que celle de la sainte Eglise, par le rapport qu'elles ont ensemble. Dieu engendre son Fils dans l'éternité par une génération

 

1 II Cor., IV, 18. — 2 Apoc., II, 1 et seq. — 3 Contra Julian., lib. V, cap. XII, n. 48. — 4 Osée, II, 20. — 5 S. August, de Bono viduit., n. 5. — 6 Galat., IV, 27.

 

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ineffable autant éloignée de la chair et du sang que la vie de Dieu est éloignée de la vie mortelle. Ce Fils unique, engendré dans l'éternité doit être engendré dans le temps. Sera-ce d'une manière charnelle? Loin de nous cette pensée sacrilège : il faut que sa génération dans le temps soit une image très-pure de sa chaste génération dans l'éternité. Il n'appartenait qu'au Père éternel de rendre Marie féconde de son propre Fils; puisque ce Fils lui devait être commun avec Dieu, il fallait que Dieu fît passer en elle sa propre fécondité; engendrer le Fils de Dieu ne devait pas être un effet d'une fécondité naturelle, il fallait une fécondité divine. O incroyable dignité de Marie !

Mais l'Eglise, le croiriez-vous? entre en partage de cette gloire. Il y a une double fécondité en Dieu : celle de la nature et celle de la charité, qui fait des enfants adoptifs; la première est communiquée à Marie, la seconde est communiquée à l'Eglise. Et c'est, Messieurs, l'honneur de notre ordre, parce que nous sommes établis ministres de cette mystérieuse génération des enfants de la nouvelle alliance. C'est notre honneur; mais c'est notre crainte : l'une et l'autre génération demande une pureté angélique; l'une et l'autre produit le Fils de Dieu. Notre mauvaise vie n'empêche pas que la grâce ne passe par nos mains au peuple fidèle. Les mystères que nous traitons sont si saints, qu'ils ne peuvent perdre leur vertu même dans des mains sacrilèges; mais la condamnation demeure sur nous : comme celui qui viole le sacré baptême, quoi qu'il fasse, il ne le peut perdre. Ce caractère imprimé par le Saint-Esprit, ne peut être effacé par les mains des hommes : « il pare le soldat et convainc le déserteur : » Ornat militem, convincit desertorem (1). Ainsi les mystères que nous traitons ne perdent pas leur force dans les mains des prêtres, quoique ces mains soient souvent impures. Mais comme des  mystères profanés portent toujours quelque malédiction avec eux, n'étant pas juste qu'elle passe au peuple, elle s'accumule sur le ministre; comme la paix retourne à nous, quand on ne la reçoit pas : autant qu'il est en nous, nous les maudissons; autant qu'il est en nous, nous leur donnons des mystères vides de grâces, mais des mystères

 

1 S. August., in Psal. XXXIX, n. 1.

 

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pleins de malédictions, parce que nous les leur donnons profanés.

Evitons cette condamnation; donnons au Saint-Esprit des organes purs : ne contraignons point cet Esprit sacré de se servir de mains sacrilèges; autrement, il se vengera. Il se servira de nous, puisqu'il l'a dit, pour la sanctification des autres, tout indignes que nous soyons d'un tel ministère ; mais autant de bénédictions que nous donnerons sur le peuple, autant de malédictions contre nous. Imitons la pureté de Marie, qui nous représente si bien celle de l'Eglise, dont nous avons l'honneur d'être les ministres.

 

SECOND POINT.

 

Il me reste maintenant à vous proposer la partie la plus mystérieuse de notre Evangile. Vous avez déjà vu que la loi est figurée dans Elisabeth, l'Eglise chrétienne en la sainte Vierge : il faut maintenant qu'elles se rencontrent. Déjà vous voyez qu'elles sont cousines, pour montrer que la loi ancienne et la loi nouvelle se touchent de près, qu'elles sont parentes, qu'elles viennent toutes deux de race céleste. Mais ce n'est pas assez qu'elles soient parentes, il faut encore qu'elles s'embrassent : et quand Jésus a accompli les prophéties, quand il a été immolé, en lui la loi ancienne et la loi nouvelle ne se sont-elles pas embrassées? Et voyez cela très-clairement en la personne de saint Jean-Baptiste. Saint Jean, dit saint Augustin (1), est comme le point du jour, qui n'est ni la nuit ni le jour, mais qui fait la liaison de l'un et de l'autre. Il joint la Synagogue à l'Eglise : il est comme l'envoyé de la Synagogue à Jésus, afin de reconnaître le Libérateur. Il est aussi l'envoyé de Dieu, pour montrer Jésus à la Synagogue. Jésus a tendu les mains à Jean, quand il a reçu son baptême : Jean a tendu les mains à Jésus, quand il a dit : Ecce Agnus Dei (2); c'est pourquoi Jésus vient à Jean, et Marie à Elisabeth. Il prévient : le propre de la grâce est de prévenir.

La grâce ne nous est pas donnée à cause que nous avons fait de bonnes œuvres ; mais afin que nous les fassions : elle est tellement accordée à nos bons désirs, qu'elle prévient même nos bons

 

1 In Joan., tract. II, serm. CCXCIII. — 2 Joan., I, 29.

 

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désirs. La grâce s'étend dans toute la vie; et dans tout le cours de la vie, elle est toujours grâce. Le bon usage de la grâce en attire d'autres; mais ce ne laisse pas d'être toujours grâce: Gratiam pro gratiâ (1). Ce ruisseau retient toujours dans son cours le beau nom qu'il a pris dans son origine : Ipsa gratia meretur augeri, ut aucta mereatur perfici (2). Mais jamais elle ne se montre mieux ce qu'elle est, c'est-à-dire grâce, que lorsqu'elle vient à nous sans être appelée : c'est pourquoi Marie prévient sainte Elisabeth, et Jésus prévient Jean-Baptiste.

Voyez comment Jésus prévient son Précurseur même : il faut aussi qu'il nous prévienne dans la grâce du sacerdoce. Il y en a qui préviennent Jésus-Christ : ce sont ceux qui viennent sans être appelés. Jésus-Christ a été appelé par son Père; Jean était choisi pour son Précurseur, néanmoins il le prévient. La marque que nous sommes appelés, c'est le zèle du salut des âmes. Jésus vient à Jean, le libérateur au captif : Jésus visite Jean, parce qu'il faut que le médecin aille visiter son malade; mais Jésus est dans le sein, et Jean dans le sein : ne semble-t-il pas que le médecin soit aussi infirme que le malade? Jésus a pris nos infirmités, afin d'y apporter le remède. C'est le devoir des prêtres de se rendre faibles avec les faibles pour les guérir ! Quis infirmatur et ego non infirmor? «Qui est faible, disait l'Apôtre, sans que je m'affoiblisse avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle?» Quis scandalizatur, et ego non uror (3)? » Voulez-vous savoir, demande saint Augustin, jusqu'où l'Apôtre est descendu pour se rendre faible avec les faibles? Il s'est abaissé jusqu'à donner du lait aux petits enfants (4). Ecoutez-le lui-même dire aux Thessaloniciens : « Je me suis conduit parmi vous avec une douceur d'enfant, comme une nourrice qui a soin de ses enfants (5). » Et en effet nous voyons les nourrices et les mères s'abaisser, pour se mettre à la portée de leurs petits enfants : et si, par exemple, elles savent parler latin, elles apetissent les paroles et rompent en quelque sorte leur langue, afin de faire d'une langue diserte un amusement d'enfant. Ainsi un père éloquent, qui a un fils encore dans l'enfance,

 

1 Joan. I, 16. — 2 S. August., Ad Paul.,  Epist. CLXXXVI, n.  10   — 3 II Cor. XI, 29. — 4 Cor., III, 2. — 5 I Thess., II, 7.

 

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qu'il rentre dans sa maison, il dépose cette éloquence qui l'avait fait admirer dans le barreau, pour prendre avec son fils un langage enfantin. Quœre quo descendent. Usque ad lac parvulis dandum. « Factus sum parvulus in medio vestrûm, tanquam si nutrix foveat filios suos. » Videmas enim et nutrices et maires descendes ad parvulos : et si nonmt latina verba dicere, decurtant illa, et quassant quodam modo linguam suam, ut possint de linguà disertà fieri blandimenta puerilia...... Et disertus aliquis pater..... si habeat parvulum filium, cùm ad domum redierit, seponit forensem eloquentiam quà ascenderat, et linguà puerili descendit ad parvulum (1).

Mais revenons à Marie et à Elisabeth : elles s'embrassent ; elles se saluent. La Loi honore l'Evangile, en le prédisant : l'Evangile honore la Loi, en l'accomplissant; c'est le mutuel salut qu'ils se donnent. Ecoutons maintenant leurs saints entretiens. Benedicta tu in mulieribus (2). « Vous êtes bénite entre toutes les femmes. » O Eglise ! ô société des fidèles ! ô assemblée chérie entre toutes les sociétés de la terre! vous êtes singulièrement bénite, parce que vous êtes uniquement choisie : Una est columba mea, perfecta mea (3) : « Une seule est ma colombe et ma parfaite amie. » Beata es tu quœ credidisti (4) : « Vous êtes bienheureuse d'avoir cru, » dit Elisabeth à Marie; et avec raison, puisque la foi est la source de toutes les grâces : « car le juste vit de la foi : » Justus autem meus ex fide vivit (5). Perficientur ea quœ dicta sunt tibi à Domino (6). « Tout ce qui vous a été dit de la part du Seigneur sera accompli. » Tout s'accomplira ; voilà la vie chrétienne. Les chrétiens sont enfants de promesse, enfants d'espérance; voilà le témoignage que la Synagogue rend à l'Eglise. L'Eglise ne désavoue passes dons ni ses avantages; au contraire elle reconnaît que « le Tout-Puissant a fait en elle de grandes choses : » Fecit mihi magna qui potens est. Mais elle rend la louange à Dieu : Magnificat anima mea Dominum (7) : « Mon âme glorifie le Seigneur. » Ainsi dans cette aimable rencontre de la Synagogue avec l'Eglise, pendant que la Synagogue selon son devoir rend un fidèle témoignage

 

1 S. August, in Joan., tract. VII, n. 22. — 2 Luc, I, 42, — 3 Cant., VI, 8. — 4 Luc., I, 45. — 5 Hebr., X, 38. — 6 Luc, I, 45. — 7 Ibid., 46.

 

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à l'Eglise, l'Eglise de son côté rend témoignage à la miséricorde divine, afin que nous apprenions, chrétiens, que le vrai sacrifice de la nouvelle loi, c'est le sacrifice d'actions de grâces. « Aussi nous avertit-on, dans la célébration des saints mystères, de rendre grâces au Seigneur notre Dieu : » In isto verissimo sacrificio agere gratias admonemur Domino Deo, ut agnoscamus gratiarum actionem proprium esse Novi Testamenti sacrificium.

Il faut donc confesser que nous sommes un ouvrage de miséricorde; notre sacrifice est un sacrifice d'Eucharistie. C'est le sacrifice que Jean offre; en sautant de joie, il rend grâces au Libérateur. S'il fait tressaillir Jean, qui ne le voit pas, qui ne le touche pas, qui ne l'entend pas, où il n'agit que par sa présence seule; que sera-ce dans le ciel, où il se montrera à découvert, face à face? Jean est dans les entrailles de sa mère, et il sent Jésus qui est aussi dans le sein de la sienne. Jésus entre dans nos entrailles, et à peine le sentons-nous.....

 

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