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OPUSCULES (suite).

 

OPUSCULES (suite).

RETRAITE DE DIX JOURS  SUR LES JUGEMENTS TÉMÉRAIRES  ET AUTRES SUJETS.

PREMIER JOUR.

IIe JOUR.

IIIe JOUR.

IVe JOUR.

Ve JOUR.

VIe JOUR.

VIIe JOUR.

VIIIe JOUR.

IXe JOUR.

Xe JOUR.

RÉFLEXIONS  SUR LE TRISTE ÉTAT DES PÉCHEURS  ET LES RESSOURCES  QU'ILS ONT DANS LA MISÉRICORDE  DE  DIEU.

DISCOURS  AUX FILLES DE LA VISITATION, SUR  LA  MORT,

SENTIMENTS DU CHRÉTIEN  TOUCHANT  LA VIE ET  LA MORT,

RÉFLEXIONS  SUR L'AGONIE DE JÉSUS-CHRIST.

PRIÈRE.

PRIÈRE  POUR UNIR NOS SOUFFRANCES  A CELLES  DE JÉSUS-CHRIST.

PRÉPARATION A LA MORT.

PREMIÈRE PRIÈRE.  Le coupable attend son supplice, et adore la puissance qui le punit.

IIe PRIÈRE.  Le chrétien attend sa délivrance et adore son Libérateur.

IIIe PRIÈRE.  Le chrétien s'abandonne à la confiance.

IVe PRIÈRE.  A la vue de la mort, le chrétien renouvelle les actes de foi, d'espérance et de charité.

Ve PRIÈRE.  Le chrétien fait sa dernière confession pour mourir.

VIe PRIÈRE.  Le chrétien reçoit le Viatique.

VIIe PRIÈRE.  Le chrétien demande et reçoit l'Extrême-Onction.

VIIIe PRIÈRE.  Le chrétien expire en paix en s'unissant à l'agonie du Sauveur.

COURTES PRIÈRES  QUE  L’ON  PEUT  FAIRE  RÉITÉRER  SOUVENT  A  UN  MALADE,   AUX  APPROCHES DE  LA  MORT.

CONTRE LES TERREURS  DE  LA MORT.

CONTRE LES TERREURS DE LA CONSCIENCE.

DANS LES GRANDES DOULEURS.

EN  ADORANT ET BAISANT  LA  CROIX.

EXERCICE  POUR SE DISPOSER A BIEN MOURIR.

ACTE DE FOI.

ACTE DE DÉSIR DE VOIR DIEU.

ACTE DE CONTRITION.

ACTE D'AMOUR.

ACTE DE SOUMISSION.

 

 

RETRAITE DE DIX JOURS
SUR LES JUGEMENTS TÉMÉRAIRES
ET AUTRES SUJETS.

 

PREMIER JOUR.

 

« Ne jugez pas (1) ; car qui êtes-vous pour juger le serviteur d'autrui ? S'il demeure ferme ou s'il tombe, cela regarde son maître, et c'est à lui de le juger. Mais le Seigneur est puissant pour l'établir et le faire demeurer ferme (2), » soit en le soutenant ou en l'empêchant de tomber, soit en le relevant de sa chute. Celui que vous croyez tombé ou dont vous regardez la chute comme prochaine, sera peut-être élevé plus haut que vous dans le ciel. Car savez-vous la grâce que le Seigneur lui réserve? Songez à cette parole du Sauveur : « Les femmes de mauvaise vie et les publicains vous précéderont dans le royaume de Dieu (3). » Vous qui nous vantez votre zèle pour observer la loi, à qui donc oserez-vous désormais vous préférer, si les excès de ceux que vous méprisez n'empêchent pas la préférence que Dieu leur réserve en ses miséricordes? Qui êtes-vous donc, encore un coup, pour juger votre frère ? Qui vous a donné ce droit sur votre égal, ou pourquoi méprisez-vous votre frère ? « Car il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal de Jésus-Christ : chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi-même, » et non pour les autres qu'il juge si sévèrement. « Ainsi ne nous jugeons plus les uns les autres ; » nous devons être assez occupés du jugement que nous avons à craindre pour nous-mêmes.  Voyez saint Paul aux  Romains, XIV, 10, 12, 13.

Représentez-vous par la foi ce redoutable jugement de Jésus-Christ , et combien vous avez d'intérêt à en éviter la rigueur :

 

1 Matth., VII, 1. — 2 Rom., XIV, 4. — 3 Matth., XXI, 31.

 

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mais vous l'évitez en ne jugeant pas. « .Ne jugez point, dit-il, et vous ne serez pas jugés : car, poursuit-il, on vous jugera comme vous aurez jugé les autres et par la même règle (1). C'est pourquoi, dit saint Paul, vous êtes inexcusable, ô vous, qui que vous soyez , qui jugez votre frère : car en ce que vous jugez les autres, vous vous condamnez vous-même, puisque vous faites les mêmes choses que vous jugez (2) : » et quand vous lie feriez pas les mêmes, vous en faites d'autres qui ne sont pas moins mauvaises ; et vous devez vous souvenir de cette parole : « Celui qui transgresse la loi en un commandement, la méprise en tous les autres. Car celui qui a dit : Tu ne commettras point d'impureté , a dit aussi : Tu ne tueras point (3). »

Regarde-toi donc toi-même comme transgresseur de toute la loi, et vois si en cet état de criminel tu oseras entreprendre de juger ton frère. Prends garde, sévère censeur de la vie des autres et trop rigoureux exacteur de ses devoirs ; prends garde que tu ne prononces toi-même ta propre sentence, et qu'il ne te soit dit un jour : «Tu seras jugé par ta bouche, mauvais serviteur (4) »

 

IIe JOUR.

 

« Pourquoi voyez-vous ce fétu dans l'œil d'autrui, et que vous ne songez pas plutôt à la poutre qui crève le vôtre (5) ? » Songez premièrement à vous rappeler en votre mémoire les paroles de saint Paul : « En jugeant les autres, vous vous condamnez vous-mêmes. » Vous laissez vivre vos vices, et vous condamnez ceux d'autrui. Clairvoyant en ce qui ne vous touche pas, vous êtes aveugle pour vous-même. Que vous serviront vos lumières, votre vaine curiosité et la pénétration dont vous vous savez si bon gré à connaître les vices des autres, et à juger de leurs secrètes intentions? Que vous servira tout cela, sinon à vous perdre? Hypocrite , songez à la qualité que le Sauveur, c'est-à-dire la vérité même, donne à ces sévères censeurs, qui trop attentifs aux vices des autres, oublient les leurs que leur amour-propre leur cache. Vous auriez honte d'avoir à vous reprocher un vice si bas et si

 

1 Matth., VII, 1. —2 Rom.,  II, 1. — 3 Jacob.,  II, 10, 11. — 4 Luc., XIX, 22. — 5 Matth., VII, 3.

 

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honteux que celui de l'hypocrisie : c'est Jésus-Christ, c'est la vérité

même qui vous le reproche.

Songez à cette parole du Sauveur, lorsqu'on accusa devant lui la femme adultère : « Que celui qui est innocent jette la première pierre (1). »

Ne songez pas à accuser ou à juger les autres, mais à vous corriger vous-même. Lisez les paroles de saint Paul : « La charité est patiente , elle est douce, elle n'a point de jalousie, elle n'est point maligne ni malicieuse dans les jugements :   elle ne s'enfle point elle-même par la présomption ou par la fierté : elle n'est point ambitieuse , ni ne s'élève au-dessus des autres par les jugements : elle ne s'aigrit ni ne s'irrite contre personne : elle ne soupçonne pas le mal, elle ne prend pas plaisir de trouver le mal dans les autres : » toute sa joie est d'y trouver du bien , et elle regarde toujours le prochain du beau côté. Loin de se laisser aigrir par le mal qu'elle croit qu'on lui a fait, « elle souffre tout, elle croit tout, elle espère tout de son prochain, elle en endure tout (2), » trop heureuse, par l'équité qu'elle garde envers les autres et par la condescendance qu'elle a pour eux, d'obtenir de Dieu qu'il la traite avec une pareille miséricorde , et d'éviter ce reproche : Hypocrite !

Faisons donc un rigoureux examen de nos propres défauts, et laissons à Dieu à juger de ceux des autres.

 

IIIe JOUR.

 

« Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, ni les perles aux pourceaux (3). »

La chose sainte des chrétiens, c'est l'Eucharistie. L'ange, en parlant à la sainte Vierge de Jésus-Christ qu'elle devait concevoir dans ses bénies entrailles, lui dit : « La chose sainte qui naîtra de vous (4). » Cette chose sainte, c'est le corps de Jésus-Christ, c'est le même corps que nous recevons : ne le donnez pas aux chiens ni aux pourceaux.

Les chiens et les pourceaux, à qui il ne faut pas donner la chose sainte, sont ceux dont parle saint Pierre : « Un chien qui

 

1 Joan., VIII, 7. — 2 I Cor., XIII, 4-6. — 3 Matth., VII, 6. — 4 Luc., I, 35.

 

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ravale ce qu'il a vomi ; un pourceau qui, vraiment lavé, se vautre de nouveau dans le bourbier (1) ; » c'est-à-dire un pécheur qui ne prend aucun soin de se corriger, et se salit de nouveau après la communion et la pénitence : ne lui donnez pas aisément la chose sainte ; qu'il s'en rende digne par sa fidélité.

Les choses saintes aux saints : c'est ce qu'on ciïoit autrefois et ce que l'Eglise orientale crie encore avant la communion. «Quelle société entre la justice et l'iniquité, entre la lumière et les ténèbres, entre Jésus-Christ et le démon (2)? » Ne venez donc à la chose sainte que lorsque vous serez saints.

Mais quand donc y viendrons-nous? Dieu tiendra pour saint à cet égard celui qui aura un sincère désir de l'être ; et qui après avoir travaillé sérieusement à se corriger, va chercher la sainteté dans sa source et dans le corps du Sauveur, dans le dessein de s'en remplir et de soutenir sa faiblesse.

Les pourceaux qui foulent les perles aux pieds et se jettent avec fureur contre ceux qui les leur présentent, sont ceux qui étant repris et recevant de saints avis de leurs supérieurs ou de leurs frères, s'aigrissent par orgueil et s'irritent contre ceux qui les leur donnent. Prenez garde à n'être pas de ce nombre ; et en quelque sorte qu'on vous fasse connaître vos défauts, humiliez-vous et profitez de l'avis.

 

IVe JOUR.

 

« Demandez (3). » Ce n'est pas assez : n'attendez pas que Dieu vous donne tout sans vous-même, ni que les bonnes œuvres que vous souhaitez d'obtenir tombent du ciel toutes seules, sans que vous vous excitiez à coopérer à la grâce. Demandez et cherchez tout ensemble. Ne demandez pas faiblement : frappez fortement et persévéramment à la porte. Lisez attentivement la parabole de l'ami qui presse son ami, en saint Luc, XI, 5 et suiv.

Cherchez la cause profonde de ce que vous n'êtes pas toujours exaucé, et apprenez-la de saint Jacques, I, 5, 6, 7; et encore IV, 3.

Demandez à Dieu le vrai bien, qui est la sagesse du ciel : demandez-la persévéramment et avec foi au Père des lumières ; elle

 

1 II Petr., II, 22. — 2 II Cor., VI, 14, 15. — 3 Matth., VII, 7.

 

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vous sera donnée : car il donne abondamment et sans reprocher ses bienfaits.

Demandez à Dieu comme à un père , et pesez bien ces paroles : » Si vous qui êtes mauvais ; » et encore: « Si vous donnez volontiers les biens qui vous sont donnés » et que vous n'avez que par emprunt, « combien plus votre Père céleste, » qui est la source du bien et la bonté même, dont la nature pour ainsi parler est de donner, combien plutôt « vous donnera-t-il les biens véritables (1)? » Demandez donc, encore un coup, comme à un père; demandez avec foi et confiance ; votre Père céleste ne vous pourra rien refuser.

Demandez avec confiance jusqu'aux moindres choses : mais insistez principalement sur les grandes, qui sont le salut et la conversion , qui sont celles qu'il ne refuse jamais.

Ne vous découragez point de vos chutes si fréquentes ; ne dites pas : Jamais je ne viendrai à bout de ce défaut : « Opérez votre salut avec tremblement, » mais en même temps avec confiance , parce que ce n'est pas vous seul qui devez agir : « C'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire , » comme dit saint Paul (2). Appuyez-vous donc sur la grâce , et demandez-la avec foi à celui qui ne demande que de vous la donner.

 

Ve JOUR.

 

« Faites comme vous voulez qu'on vous fasse (3). » C'est la règle la plus simple qu'on se puisse proposer, et en même temps la plus droite et la plus naturelle. C'est sur cette loi qu'est fondée la société et l'équité naturelle ; mais Notre-Seigneur l'a relevée, en ajoutant : « C'est la loi et les prophètes. »

La racine de cette loi est dans ce précepte : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Tu lui souhaiteras la même chose qu'à toi-même : tu ne voudras donc point lui faire ce que tu ne voudrais pas en souffrir. Tous ces préceptes sont compris dans ce seul précepte: apprenez-le de saint Paul, Rom., XIII, 8, 9, 10.

Lisez aussi dans la même Epître, chapitre XII, 15,16, 17, 18,

 

1 Matth., VII, 11. — 2 Philip., II, 12, 13. — 3 Matth., VII, 12.

 

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19, 20, 21 ; appuyez sur ces paroles du vers. 18 : « S'il se peut et autant qu'il est en vous. » Quand votre frère ne répondrait pas au désir que vous avez de vivre en paix avec lui, vous de votre côté, « autant qu'il est en vous, gardez la paix et la charité : » car si vous aviez l'esprit droit, vous souhaiteriez qu'on en usât ainsi avec vous-même. Faites-le donc avec les autres, et imprimez dans votre cœur cette belle règle de l'Evangile.

 

VIe JOUR.

 

Appuyez sur ces paroles : « Efforcez-vous : » le salut ne se fait point avec mollesse et nonchalance : « Le royaume des cieux souffre violence , et les violents l'emportent (1). D'entrer : » ne vous contentez pas d'approcher ; entrez en effet « par la porte étroite » de la mortification de vos passions, par la crainte de votre humeur altière qu’il faut dompter en toutes choses. « La porte est large, la voie est spacieuse (2). » Se laisser aller à ses désirs, c'est la voie large : il est aisé d'entrer par cette porte, mais songez où elle mène : à la perdition. Peu entrent par la porte étroite; beaucoup trouvent la voie large. Ne songez donc pas à ce qu'on fait communément : les mauvais exemples l'emportent par le nombre. Imitez le petit nombre de ceux qui pensent solidement à leur perfection. Pesez encore sur cette parole : « Que la porte est petite , et que la voie est étroite! » comme qui dirait : Vous ne sauriez assez comprendre combien elle lest. Concluez donc : il faut faire effort, il faut se faire violence; point de paresse ni de langueur dans la voie du salut. Qui n'avance pas, recule. Ainsi le soin de la perfection et celui du salut sont inséparables. Qui ne vise pas à être parfait, à monter jusqu'au haut avec un effort continuel, retombe par son propre poids.

La voie étroite, en un autre sens, est la voie large. Plus on se met à l'étroit en mortifiant ses désirs, plus Dieu dilate le cœur par la consolation de la charité.

La vie religieuse est la voie étroite par l'observance des conseils évangéliques : il y faut donc entrer, non-seulement par la profession et par l'habit, mais par la pratique. Il ne suffit pas d'y être

 

1 Luc., XIII, 24; Matth., XI, 12. — 2 Matth., VII, 13.

 

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appelé, il faut entrer jusqu'au fond. « Beaucoup d'appelés et peu

d'élus (1) : » peu entrent de bonne foi dans la voie étroite.

 

VIIe JOUR.

 

« Vous les connaîtrez par leurs fruits (2). » Le figuier, que Jésus-Christ maudit avec ses feuilles, avait l'apparence d'un bel arbre; mais parce qu'il manquait de fruit, il fut maudit.

La malédiction consista à le priver de fruit à jamais : prenez-y garde.

Les feuilles sont l'apparence d'un bonne vie : les fleurs sont les fruits commencés. Si l'on ne porte de vrais fruits et des œuvres parfaites de la justice chrétienne, on est maudit.

« Faites de dignes fruits de pénitence (3). » Quand un arbre produit continuellement de mauvais fruits ou qu'il n'en porte pas de bons, il est mauvais : triste état d'un arbre qui, faute de porter des fruits, n'est plus propre que pour le feu. « Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu (4). » Songez à ces paroles : « La cognée est à la racine des arbres : » non aux branches, mais à la racine : tout va périr tout d'un coup.

Interrogez-vous vous-même : Quel bon fruit ai-je porté? Quelle passion ai-je corrigée? Quelle bonne habitude ai-je acquise?

Si un sage confesseur vous prive quelquefois des sacrements parce qu'il ne voit en vous que des feuilles ou des fleurs, et non des fruits, ne vous en étonnez pas.

Lisez le chapitre XIII de saint Luc jusqu'au verset 10; et appuyez sur la parabole du figuier infructueux malgré la culture, vers. 6 et suiv.

 

VIIIe JOUR.

 

Versets 21, 22, 23 (5) : ces versets sont la confirmation des précédents. Celui qui répète si souvent : « Seigneur, Seigneur, » et n'accomplit pas ses préceptes, c'est l'arbre qui porte des feuilles et des fleurs tout au plus, mais nul fruit. Il vaudrait mieux ne pas tant dire : Seigneur, Seigneur, et accomplir ses préceptes.

« Je ne vous connais pas, » ô vous qui n'avez que des paroles :

 

1 Matth., XX, 16. — 2 Matth., VII, 20. — 3 Matth., III, 8. — 4 Ibid, 10. — 5 Matth., VII.

 

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je ne vous connais pas; vous n'avez pas le vrai caractère du chrétien. « Retirez-vous; » vous n'êtes pas de mes brebis. Pesez et tremblez à ces paroles : « Je ne vous connais point; retirez-vous. » Et où irez-vous, en vous retirant de la vie et de tout le bien, sinon à la mort et à tout le mal ?

Eussiez-vous fait des miracles au nom de Jésus-Christ, retirez-vous ; il ne vous connaît pas. Les bonnes œuvres sont les vrais miracles et la vraie marque qu'il désire. Humiliez-vous, abaissez-vous aux pieds de tous vos frères et de toutes vos sœurs; cela vaut mieux que des miracles.

O   mon Jésus, comment pourrai-je entendre ces paroles : « Retirez-vous? » Quoi! mon bien et le seul objet de mon amour, vous perdrai-je à jamais? Ne vous verrai-je jamais dans toute l'éternité ? Ah ! plutôt mille morts.

 

IXe JOUR.

 

« Celui qui écoute et fait, » en qui la vertu se tourne en habitude par la pratique, « c'est l'homme sage qui bâtit sur la pierre, » versets 24, 25, 26, 27.

Ecouter n'est rien; faire c'est tout. Toutes les fois qu'on conçoit de bons désirs, ou qu'on forme de bonnes résolutions, on écoute; mais on est encore du nombre des écoutants. « Celui qui écoute mon Père et qui apprend, vient à moi (1), » dit Jésus-Christ. Ecoute, âme chrétienne ; écoute au dedans de toi-même : retire-toi à l'endroit intime où la vérité éternelle se fait entendre. Ecoute, et apprends sous un tel Maître ; écoute ce que dit l'Esprit qui te sollicite, et qui t'appelle à la perfection. Mais la marque que tu auras écouté et appris, c'est que tu viens à Jésus. Marche après lui ; suis ses exemples; c'est bâtir sur la pierre. Mais celui qui ne fait qu'écouter, c'est-à-dire que considérer et méditer la sainte parole sans en venir réellement à la pratique, bâtit sur le sable. Les tentations, les afflictions, les dégoûts viennent : la maison tombe, et la ruine est si grande que souvent elle devient irréparable. Songez à la véritable sagesse et à la véritable folie, dont vous voyez un exemple dans cette parabole du Sauveur.

 

Joan., VI, 45.

 

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Xe JOUR.

 

Qui n'admirerait la doctrine de Jésus-Christ, sa pureté, sa sublimité, son efficace dans la conversion du monde, dans la mort de tant de martyrs, dans le mépris des grandeurs et des plaisirs, qu'elle a inspiré à tant de millions d'âmes?

Par elle les honneurs du monde ont perdu tout leur éclat, toutes les fleurs sont tombées. L'homme est devenu un ange par le détachement de ses sens ; et il est porté à se proposer pour modèle la perfection de Dieu même : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (1). » Qui n'admirerait donc, encore un coup, cette doctrine céleste? Mais ce n'est pas tout de l'admirer. Jésus enseigne avec puissance comme ayant la souveraine autorité (2), parce qu'il est la vérité même : il faut que tout cède, que tout orgueil humain baisse la tête.

Dieu vous préserve d'un docteur timide et vacillant, qui n'ose vous dire vos vérités, ni vous faire marchera grands pas à la perfection , à la manière des pharisiens et des docteurs de la loi, qui ne songeaient qu'à s'attacher le peuple, et non à le corriger. Demandez à Dieu un docteur qui vous parle avec efficace et avec puissance, sans vous épargner : c'est à celui-là que votre conversion est réservée.

Songez à l'autorité de la doctrine de Jésus-Christ, et combien il lui appartient de parler avec puissance : ainsi laissez-vous conduire à sa direction et à ses maximes.

Lisez pour conclusion le chapitre XVII de saint Jean. Conformez-vous aux intentions et aux prières du Maître céleste ; et disposez-vous à en faire le sujet d'une autre retraite, si Dieu vous en fait la grâce.

Il est aisé de faire de cette matière des sujets de méditation pour plusieurs heures par jour.

Il n'est pas besoin de multiplier ses pensées : en faisant un acte de foi sur chacune des vérités et en le répétant souvent, ou plutôt en le continuant par une adhérence à la vérité qu'il contient et une soumission à l'autorité du Fils de Dieu qui l'enseigne, il en

 

1 Matth., V, 48. — 2 Marc., I, 22.

 

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naît naturellement des désirs et des résolutions. On priera Dieu qu'il les tourne en œuvres et en pratiques solides. D'un clin d'œil, on fait l'application de chaque vérité à son état, à sa vocation, à ses besoins particuliers. Plus de foi que de raisonnements ; plus d'affection que de considération. Digérer, c'est se nourrir; prendre beaucoup de nourriture sans la digérer, c'est se suffoquer : lire peu chaque fois, et en tirer le suc. Amen, Amen.

 

RÉFLEXIONS
SUR LE TRISTE ÉTAT DES PÉCHEURS
ET LES RESSOURCES  QU'ILS ONT
DANS LA MISÉRICORDE  DE  DIEU.

 

C'est une coutume ordinaire aux hommes, de s'appliquer sérieusement et assidûment à des affaires très-inutiles, et de ne se donner aucun soin pour celles qui leur sont de la dernière conséquence. Vous dépensez beaucoup et vous prenez bien de la peine, pour vous délivrer des maux que votre corps souffre. Certes le péché n'est pas un mal de peu d'importance, qui doive être négligé et dont le malade ait sujet de rire. Il n'y a point d'homme sage sur la terre qui n'aimât mieux perdre tous ses biens, et la vie-même, plutôt que de commettre un péché mortel. Les anges et les saints sont si sensibles à l'outrage que le péché fait à Dieu, que malgré la charité dont ils sont remplis pour les hommes, le zèle de la justice qui les dévore les porle à demander vengeance contre les pécheurs impénitents. Saint Paul, transporté du même zèle, trouvait qu'il lui serait plus doux de mourir et d'être anathème pour ses frères (1), que de voir régner dans leur cœur le péché qu'ils aimaient, qu'ils y souffroient sans se plaindre. Ce grand Apôtre parlait sincèrement, parce qu'il connaissait très-bien les deux

 

1 Rom., IX, 3.

 

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propriétés essentielles du péché de l'homme, qui sont d'être la

vraie mort de l’âme immortelle et la vraie cause de la mort d'un

Dieu.

Vous qui employez les années à penser à d'autres choses qu'à votre salut et qu'aux affaires de l'éternité, ne refusez pas à votre conscience le temps pour écouter ce qu'elle vous dira de la part de Dieu sur ce grand sujet. C'est alors que vous pourrez apprendre d'elle l'explication de ces paroles de saint Denis : « Que la lumière porte dans soi la connaissance de la nuit; qu'en se voyant et se connaissant, elle connaît les ténèbres. » Saint Denis veut dire que Dieu pense du péché de l'homme ce que le soleil penserait de la nuit, s'il pouvait se voir, et se connaître lui-même.

Et en effet, quoiqu'il n'y ait rien de ténébreux dans le soleil, néanmoins si cet astre avait de l'intelligence et des yeux vivants, comme il verroit mieux que personne que la lumière est la plus parfaite des beautés visibles, il verroit aussi mieux que la laideur, la plus effroyable des laideurs et la plus ennemie des yeux, c'est la nuit. Quoiqu'il n'ait jamais été avec elle et que jamais il ne l'ait vue, il suffirait à cet astre d'être parfaitement lumineux pour la connaître et la mesurer parfaitement. Il est vrai qu'il ne se trouve en Dieu aucune tache ni aucun péché, que tout y est parfaitement lumineux : néanmoins c'est dans cette essence pure et impeccable qu'il voit, mieux que tous les hommes ne l'ont jamais vu dans leur substance pécheresse et corrompue, ce que c'est que le péché.

Je vous laisse ici avec vous-même, âme chrétienne : levez les yeux ; contemplez en silence ces vérités théologiques, que Dieu par sa propre sainteté connaît votre péché, qu'il le considère, qu'il l'examine et qu'il en sait toutes les dimensions ; que c'est par elle qu'il mesure ce que vous êtes durant vos désordres; qu'autant qu'il voit d'infinité dans les beautés et les grandeurs de ses perfections divines, autant il en voit dans les laideurs, les bassesses et les opprobres de votre vie criminelle. Il mesure votre état au sien; et il trouve qu'il n'y a pas plus de hauteur ni de gloire dans les plus sublimes élévations de sa sagesse et de son amour envers son Verbe, qu'il y a de néant où vous êtes tombée en vous éloignant de lui. Il voit les unes et les autres par la même vision.

 

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Qu'est-ce ceci, grand Dieu, s'écrie le prophète, tremblant d'horreur ? Faut-il donc que ce soit dans un jour si éclatant que vous contempliez les disgrâces et les hontes de notre vie misérable ; et que, parmi les splendeurs du paradis, le siècle de notre ingratitude soit un spectacle de votre éternité ? Voilà comme Dieu connaît ce qui se passe parmi nous, et voilà ce qu'il pense d'un seul et du moindre des péchés.

Mais combien en voit-il? Regardez-vous tandis que votre juge vous regarde. Voyez dans votre âme ce qu'il y voit, ce nombre innombrable de péchés invétérés, cet amas de corruption ancienne et nouvelle, toutes ces funestes dispositions que Dieu contemple dans vous; contemplez-les vous-même, ne vous cachezrien.il connaît vos pensées ; connaissez les siennes et considérez ce qu'il médite. Au moins voyez ce qui est autour de vous, à l'heure que je vous parle : sa justice qui vous environne, qui observe et qui écrit votre vie ; sa miséricorde qui vous délaisse et qui vous livre à la mort ; l'une et l'autre, qui par des cris intérieurs vous reprochent ce que vous êtes aujourd'hui et vous annoncent ce que vous serez demain, ou cette nuit, et peut-être dans une heure, inopinément, au milieu de vos plaisirs, mort, jugé, condamné : en trois minutes ce grand changement sera fait. C'est Dieu qui vous parle ; pesez ses paroles ; méditez et accordez à votre conscience la solitude où elle vous appelle, afin que vous réfléchissiez un peu sur ces grands objets et que vous délibériez avec elle. Il est question de vous résoudre ou à périr, en demeurant par un choix de désespoir dans le déplorable état où vous êtes, ou bien à vous en retirer au plus tôt par la pénitence.

Peut-être que ni l'un ni l'autre ne vous plaît. Vous ne répondez que par des larmes, comme un malade désespéré, étendu sur son lit et agité par la violence de son mal, qui ne peut s'exprimer que par des cris ou des soupirs. Il semble que la pensée vous vienne de faire comme le pécheur dont parle le prophète, et de vous informer s'il n'y a point quelque endroit au monde où Dieu ne soit point, et où vous puissiez n'être point vu de lui et n'être point persécuté par sa voix foudroyante. Vous sentez combien il est terrible d'être vu d'un Dieu, tandis qu'on est dans le péché et qu'on

 

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ne fait aucun effort pour en sortir ; combien il est malheureux d'être appelé à une nouvelle vie par des inspirations si fortes et si douces, tandis qu'une longue accoutumance nous tient attachés à la vie mondaine, et qu'une cruelle et invincible passion nous engage à aimer la créature. Grand Dieu, dites-vous, ayez pitié de moi. Je ne vous demande qu'une grâce, qui est que vous me disiez ce que vous savez vous seul : en quel endroit du monde je pourrai m'enfuir pour me cacher à vos yeux et pour ne plus entendre les menaces de votre justice, ni le bruit des poursuites et des invitations de votre amour.

Voilà certes une résolution bien étrange, de demander à Dieu même ce qu'il faut faire, et où il faut aller pour s'enfuir de sa présence : mais c'est une merveille plus admirable, que ce grand Dieu ne refuse pas de répondre au pécheur et de l'instruire. La réponse qu'il lui donne et que je vous adresse, âme chrétienne, c'est d'aller à l'endroit où habite la miséricorde, c'est-à-dire sur le Calvaire; que là, pourvu que vous disiez sincèrement ce qui doit être dit à la miséricorde souveraine, et que vous la laissiez faire ce qu'il lui plaira dans votre cœur, vous y trouverez le repos et la sûreté que vous désirez.

Jusqu'à ce que les ombres se dissipent et que le jour de la bienheureuse éternité paraisse, j'irai dans la solitude, sur la montagne de la myrrhe et sur la colline de l'encens, pour contempler de là les vérités éternelles et pour m'élever à Dieu par la pénitence et par l'oraison, comme l'encens monte au ciel en se détruisant lui-même et en se consumant dans la flamme.

Ce n'est point ma voix, âme chrétienne, ni la voix de l'homme; c'est quelque chose de plus puissant et de plus digne d'être écouté, qui vous appelle au Calvaire et qui vous y attend, comme à l'endroit le plus propre pour apaiser les agitations de votre cœur, et pour vous établir en l'état heureux où vous aspirez. Dites-y d'abord ce que votre douleur vous inspirera. Continuez de vous y plaindre de la nécessité fatale où vous pensez être d'aimer partout votre péché, et partout d'être vu d'un Dieu et persécuté par ses inspirations et par ses menaces. Levez ensuite les yeux, et contemplez celui qui paraît sur la croix. Vous verrez dans son cœur

 

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ouvert une miséricorde qui voit à la vérité les pécheurs en quelque endroit qu'ils puissent être, mais qui ne les regarde que pour mesurer les grâces qu'elle leur destine sur ses bontés et les proportionner à la grandeur de leurs fautes et des châtiments qu'ils ont mérités. Vous y verrez que ce Dieu, que vous fuyez, ne vous poursuit que parce qu'il a dans ses mains ce que vous cherchez en le fuyant, le repos de votre âme; et ce que vous ne trouverez jamais, si cet incomparable Bienfaiteur manque à vous atteindre, avant que la mort qui vous poursuit elle-même l'ait prévenu.

Remarquez que le dernier état et le plus bas où l'homme puisse se trouver, est l'état du péché; et que l'éclat le plus haut et le plus divin où puisse être un Dieu, est celui de la grande miséricorde. Dieu et l'homme sont parvenus chacun à cette dernière extrémité, l'un de la hauteur et l'autre de la bassesse, le jour de la passion ; l'homme en répandant le sang du Sauveur crucifié, et Dieu le Père en recevant l'oblation de ce sang précieux. Voilà de quoi contempler et vous arrêter un peu. Je n'ai pas de longs discours à vous faire, pour vous porter à entrer dans les sentiments que demande de vous ce grand spectacle. Il me suffit de vous dire que s'il y a de grands péchés dans l'homme, il y a en Dieu une grande miséricorde.

Les grands péchés sont ceux qui se commettent contre les préceptes divins et qui naissent dans le cœur de l'homme ingrat, après le baptême, au milieu des grâces et des bienfaits de la rédemption, qui y renaissent après le pardon reçu et après toutes les promesses de la pénitence, qui se multiplient par les rechutes, qui se fortifient par l'impunité, qui s'endurcissent par le châtiment. Voilà les différents degrés par lesquels le pécheur est conduit dans l'abîme le plus profond de l'iniquité. Alors insensible sur ses désordres, il parvient à étouffer les cris de sa conscience ; il perd de vue les jugements de son Dieu, et bannit toutes les craintes qui pouvaient le retenir au commencement.

Mais si Dieu, pour troubler le funeste repos que goûte le pécheur, étend sur lui sa main et lui fait voir l'horreur de son état; bientôt cette fausse paix dont il jouissait, se dissipera; il ne pourra plus se souffrir lui-même ; et continuellement pressé par les

 

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inquiétudes qui le dévoreront, il se répandra de tous côtés pour se délivrer de ces insupportables agitations de son cœur : semblable à un cheval, qui, couvert d'une armée d'abeilles et piqué jusqu'aux entrailles parleurs aiguillons, se met en fuite, portant avec soi ses ennemis et son mal ; et qui brisant ce qu'il rencontre, terrassant ceux qui l'arrêtent, et les foulant aux pieds, s'égare où il peut et où la fureur le conduit, à travers les précipices, cherchant partout son remède et partout semblant demander où est la mort. Tel est l'état des pécheurs livrés aux cruels remords de leur conscience.

Quelque terrible que soit l'extrémité où ils se trouvent réduits, qu'ils ne perdent pas confiance : car ils ont encore une ressource assurée dans la grande miséricorde de leur Dieu. La grande miséricorde , c'est celle qui contemple ce spectacle du pécheur épuisé par de vains efforts avec des sentiments de compassion, et qui entreprend efficacement d'y remédier. Elle le fait lorsque rassemblant ce qu'il y a de plus fort et de plus doux dans sa grâce victorieuse, elle en forme une lumière semblable à celle de l'aurore. C'est par cette lumière répandue sur le visage des pécheurs profondément endormis, qu'elle ouvre leurs yeux aveugles ; et que sans violence et sans douleur brisant toutes les chaînes de leur sommeil, elle les éveille et les éclaire, et leur fait voir inopinément dans un grand jour toutes les beautés de la vertu. Grande et adorable miséricorde, qui n'a point de bornes dans l'étendue de ses bienfaits; et qui ne voit aucun crime sur la terre qu'elle ne soit prête d'oublier, si le pécheur après toutes ses impiétés, ses révoltes et ses désordres, entroit dans les sentiments d'une sincère pénitence, et soumettait son orgueil à faire l'aveu humble de toutes ses iniquités.

Chrétiens qui lisez ces lignes, combien de péchés en votre vie depuis le premier jour que vous avez commencé d'être pécheurs, et combien de bonté dans Dieu depuis ce moment ! Quel jour s'est-il passé où cet aimable Père des enfants prodigues ne vous ait attendus, où il ne vous ait été chercher pour vous tendre la main, et pour vous aider à sortir de cet état d'impénitence ? Que n'a-t-il pas fait pour vous ramener des portes de la mort et de l'enfer, où vous a conduits votre vie licencieuse ? De quelque côté que vous

 

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vous considériez, vous ne voyez en vous que de grands péchés et d'effroyables ingratitudes : mais aussi de quelque côté que vous examiniez la conduite que Dieu a tenue sur vous jusqu'à ce jour, vous ne découvrez en lui que d'ineffables miséricordes. Voudriez-vous ensuite exécuter la résolution que vous aviez prise de vous enfuir assez loin de Dieu pour ne plus entendre sa voix paternelle, et pour courir où le désespoir et l'aveuglement vous mèneront ? Ne préférerez-vous pas plutôt de vous abandonner à cette miséricorde si pleine de tendresse, qui vous ouvre son sein et vous invite avec tant d'amour à vous y réfugier?

Quoi ! pécheur, vous hésitez, vous êtes incertain sur le choix que vous devez faire! Hélas! disait saint Pierre, « à qui irons-nous, Seigneur, vous avez les paroles de la vie éternelle? » Ad quem ibimus, verba vitœ œternœ habes (1) ? Divin Sauveur, la grâce et la vie sont sur vos lèvres pour se répandre sur les hommes : mon cœur soupire après l'une et l'autre. Je suis pécheur, et je suis mort. Je porte dans mon sein la mort et le péché, qui m'étouffent : il ne me reste qu'un moment de vie ; et une éternité de peines m'attend, si je ne pense sérieusement à ma guérison. Où chercherai-je mon remède, si ce n'est auprès de celui qui peut seul me délivrer des maux que je souffre, et de ceux qui me menacent? « Où irai-je, » sinon « à vous qui avez les paroles de la vie éternelle ? » Pesez ces paroles, et tâchez d'entendre ce qu'on vous répond du ciel.

Je n'ai rien à vous dire davantage, que ce que je viens de vous représenter : vous avez de grands péchés ; vous avez par conséquent besoin d'une grande miséricorde. Allez au Calvaire; c'est l'unique endroit où elle se trouve, et l'unique endroit où vous la devez chercher. Il est vrai qu'on vous y accusera d'avoir répandu le sang du Sauveur et d'être le parricide qui l'avez crucifié : on vous y montrera sur le haut d'un arbre le plus énorme de tous les crimes, et c'est à vous qu'on l'attribue. Mais ne vous effrayez pas : ayez seulement soin, d'abord que vous entrerez et que vous verrez le Crucifié, de faire sortir la vérité de votre cœur et de votre bouche. Confessez que vous êtes le coupable contre qui le ciel et la terre crient vengeance : dites avec le prophète et dans les

 

1 Joan., VI, 69.

 

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mêmes dispositions : « Je reconnais mon iniquité : » Iniquitatem meam ego cognosco (1).Vous verrez aussitôt la miséricorde qui sortira du cœur de Dieu pour venir à votre rencontre, pour vous embrasser et joindre sur vos lèvres la grâce avec la vérité, c'est-à-dire la confiance du pardon à la sincérité de la douleur qui vous aura fait confesser votre injustice.

Parlez donc et avouez votre crime ; dites avec David : « Mon péché est toujours présent devant moi » : Peccatum meum contra me est semper (2). Il est vrai, Seigneur, mon péché est grand, puisqu'il comprend la multitude infinie des péchés que j'ai commis. Je le vois imprimé sur votre croix qui me le reproche : mais votre miséricorde y est aussi gravée en caractères ineffaçables. C'est sur elle que vous devez régler les desseins de votre cœur envers moi, et c'est par elle qu'il faut que vous appreniez la réponse que vous devez donner à mes larmes. Je n'implore pas la miséricorde des anges et des saints, ni la miséricorde d'un Dieu glorieux dans le ciel. J'ai besoin de la grande et suprême miséricorde, que je ne trouve que dans un Dieu crucifié. Celui que j'ai fait mourir est le seul qui me doit ressusciter. O Dieu souffrant et mourant, le mal que je vous montre en moi n'est pas un mal passager ou indifférent : c'est la mort de l’âme, pour le temps et l'éternité. Ramassez la multitude de vos grâces et des pardons que vous avez accordés aux pécheurs depuis le commencement du monde ; ramassez-les aujourd'hui pour moi seul. Vous trouverez en moi tous les pécheurs : il faut que je trouve en vous toutes les bontés et tout l'amour qui les a convertis jusqu'à cette heure. Divin Sauveur, glorifiez votre puissance ; et  faites voir dans cette créature si criminelle ce que c'est qu'un Dieu fait homme pour le salut des hommes, et ce que peut sa grâce sur un cœur désespéré.

 

1 Psal. L, 5. — 2 Ibid.

 

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DISCOURS
AUX FILLES DE LA VISITATION, SUR  LA  MORT,

 

Le jour du décès de M. Mutelle, leur confesseur.

 

La mort est la fin de toutes choses : tout passe, tout nous quitte, tout nous abandonne, tout finit; et nous passons et nous finissons aussi nous-mêmes.

C'est la mort, oui, c'est la mort qui finit tout, qui détruit tout, qui renverse tout et qui anéantit tout. Tout fait effort contre la mort, tout se révolte contre elle : les hommes, les bêtes mêmes emploient toutes leurs forces pour se défendre de la mort. Cependant rien ne lui peut résister : elle brise, elle écrase, elle détruit, elle anéantit tout. Grandeur, puissance, élévation, rois, empereurs , souverains, grands et petits de la terre, nul ne s'en peut défendre : elle confond et réduit en poussière les plus superbes monarques, comme les derniers de leurs sujets. C'est donc la mort qui finit tout, qui détruit tout, qui nous réduit au néant; et qui en même temps nous fait voir que nous ne pouvons sortir de ce néant et nous en relever, et que par conséquent nous ne pouvons être quelque chose qu'en nous élevant vers Dieu, qu'en nous portant à Dieu, qu'en nous attachant à Dieu par un immortel amour.

Rien n'établit et ne prouve mieux l'être souverain de Dieu et son domaine sur nous que la mort.

Dieu est celui qui est : tout ce qui est et existe, est et existe par lui. Il est cet Etre vivant, en qui tout vit et respire. Remarquez donc bien, mes filles, ce que je vais vous dire; écoutez-le avec une profonde attention. Quelle consolation et quel sujet de joie pour vous, en quelque état que vous soyez ! quand quelquefois même vous vous trouveriez à l'oraison l'esprit rempli de mille

 

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fantômes, sans aucun arrêt, ne pouvant assujettir l'imagination, cette folle de l’âme, comme l'appelle sainte Thérèse ; d'autres fois, sèches et arides, sans pouvoir produire une seule bonne pensée, comme une souche, comme une bête (1) devant Dieu : qu'importe ? Il n'y a alors qu'à consentir et qu'à adhérer à la vérité de l'être de Dieu. Consentir à la vérité, cet acte seul suffît. Prenez garde que je dis consentir à la vérité : car Dieu seul est le seul Etre vrai. Adhérer à la vérité, consentir à la vérité, c'est adhérer à Dieu, c'est mettre Dieu en possession du droit qu'il a sur nous. Cet acte seul comprend tous les actes : c'est le plus grand hommage de notre foi, c'est le plus élevé que nous puissions faire.

Mais vous me direz : Cela est bien difficile. Non, mes filles, il n'est point difficile; faites attention à ce que je vous dis. Cet acte est grand, il est parfait; mais en même temps je dis qu'il doit être fait fort simplement. Il n'y a rien de si simple que cet acte : adhérer à la vérité, consentir à la vérité, se rendre à la vérité, se soumettre à la vérité. Mais cet acte doit être fait sans effort, par un retour de tout le cœur vers Dieu : il doit être, je cherche un terme pour m'expliquer, il doit être affectueux, tendre, sensible. Me comprenez-vous? Mais me comprends-je bien moi-même? Car c'est un certain mouvement du cœur, qui n'est point sensible delà sensibilité humaine; mais qui naît de cette joie pure de l'esprit, de cette joie du Seigneur qu'on ne peut exprimer. Et partant réjouissez-vous ; et dites seulement en tout temps : Je consens, mon Dieu, à toute la vérité de votre Etre : je fais mon bonheur de ce que vous êtes ce que vous êtes; c'est ma béatitude anticipée; c'est mon paradis à présent, et ce sera mon paradis dans le paradis. Amen.

 

1 Psal. LXXII, 23.

 

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SENTIMENTS DU CHRÉTIEN
TOUCHANT  LA VIE ET  LA MORT,

 

Tirés du chap. Ve de la IIe Epitre aux Corinthiens.

 

Scimus enim, quoniam si terrestris dormis nostra hujus habitationis dissolvatur, quod œdificationem ex Deo habemus, domum non manufactam, œternam in cœlis. «Nous savons,» dit l'Apôtre; nous ne sommes pas induits à le croire par des conjectures douteuses; mais nous le savons très-assurément et avec une entière certitude, « que si cette maison de terre et de boue, dans laquelle nous habitons, » c'est-à-dire notre chair mortelle, « est détruite, nous avons une autre maison que Dieu nous a préparée au ciel, laquelle n'étant point bâtie de main d'homme, » ni sur des fondements caducs, ne peut jamais être ruinée, mais « subsiste éternelle» et inébranlable. C'est pourquoi lorsque nous approchons de la mort, nous ne nous affligeons pas comme des personnes qui vont être chassées de leur maison ; mais nous nous réjouissons au contraire comme étant prêts de passer à un palais plus magnifique : et en attendant ce jour, « nous gémissons continuellement par le désir que nous avons d'être bientôt revêtus de cette demeure céleste : » Nam et in hoc ingemiscimus, habitationem nostram, quœ de cœlo est, superindui cupientes. Ce qui nous arrivera infailliblement,  « pourvu que nous paroissiens devant Dieu comme revêtus, et non pas comme dépouillés : » Si tamen vestiti, nonnudi inveniamur, parce qu'il est écrit «qu'on ne donne rien, sinon à celui qui a déjà quelque chose l ; » et que nul ne peut espérer d'être revêtu de cet habillement de gloire, s'il n'a eu soin de couvrir sa nudité ignominieuse parle vêtement des

bonnes œuvres.

« Nous donc » qui vivons dans cette espérance, « tandis que

 

1 Matth., XXV, 29.

 

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nous sommes enfermés dans cette demeure terrestre, étant appesantis par ce corps de mort » qui est un fardeau insupportable et un empêchement étrange à l'esprit, « nous ne cessons de gémir : » Nam et qui sumus in hoc tabernaculo, ingemiscimus gravati: comme ceux qui étant dans une prison soupirent et gémissent, quand ils rappellent en leur souvenir les beautés et les douceurs de la maison paternelle; et la cause la plus pressante de nos gémissements, « c'est que nous ne voulons point être dépouillés : » Eo quòd nolumus expoliari. C'est pourquoi cette vie misérable dans laquelle les ans, qui vont et qui viennent, nous enlèvent continuellement quelque chose, nous est extrêmement à charge, parce que nous sentant nés pour être immortels, nous ne pouvons nous contenter d'une vie qui n'est qu'une ombre de mort. Mais nous soupirons de tout notre cœur après cette vie bienheureuse, qui nous revêtant de gloire de toutes parts, engloutira tout d'un coup ce qu'il y a en nous de mortel : Sed supervestiri, ut absorbeatur quod mortale est à vità.

Ce serait véritablement une témérité bien criminelle, si nous prenions de nous-mêmes des pensées si hautes ; mais c'est Dieu qui nous a faits pour cela : Qui autem efficit nos in hoc ipsum, Deus, parce qu'il nous a créés au commencement pour ne mourir jamais : et après que notre péché nous a fait déchoir de cette grâce en laquelle Jésus-Christ nous a rétablis, afin de soutenir notre confiance dans des prétentions si relevées, il nous adonné son Saint-Esprit, Esprit de régénération et de vie, pour nous être un gage certain de notre immortalité : Qui dedit nobis pignus Spiritus. C'est ce qui fait que, contre toute apparence humaine, nous osons espérer sans crainte des choses qui sont si fort au-dessus de nous : Audentes igitur semper. Et comme cette loi nous est imposée par un ordre supérieur et irrévocable, que tant que nous serons dans ce corps mortel, nous serons éloignés du Seigneur, nous nous excitons nous-mêmes à concevoir une volonté déterminée de nous éloigner du corps pour être présents devant Dieu: Scientes quoniam, dum sumus in corpore, peregrinamur à Domino..... Audemus autem et bonam voluntatem habemus magis peregrinari à corpore, et prœsentes esse ad Dominum.

 

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Car nous sentons en effet que nous sommes bien loin de lui, parce que « nous le connaissons par la foi, et non point encore en lui-même et en sa propre nature : » Per fidem enim ambulamus, et non per speciem. Cette obscurité de nos connaissances est une marque trop convaincante, que nous sommes fort éloignés de la source de la lumière. C'est pourquoi nous désirons ardemment que les nuages soient dissipés, que les énigmes s'évanouissent; et que nos esprits, qui ne font qu'entrevoir le jour parmi les ténèbres qui nous environnent, soient enfin réjouis par la claire vue de la vérité éternelle.

Nous devons entendre par là que nous avons à faire un double voyage : car tant que nous sommes dans le corps, nous voyageons loin de Dieu; et quand nous sommes avec Dieu, nous voyageons loin du corps. L'un et l'autre n'est qu'un voyage, et non point une entière séparation, parce que nous passons dans le corps pour aller à Dieu, et que nous allons à Dieu dans l'espérance de retourner à nos corps. D'où il faut tirer cette conséquence que lorsque nous vivons dans cette chair, nous ne devons pas nous y attacher comme si nous y devions demeurer toujours; et que lorsqu'il en faut sortir, nous ne devons pas nous affliger comme sinous n'y devions jamais retourner.

Ainsi étant délivrés par ces sentiments des soins inquiets de la vie et des appréhensions de la mort, nous tournons toutes nos pensées à celui auquel seul aboutit tout noire voyage, et nous ne songeons qu'à lui plaire soit que nous soyons absents ou présents, parce que pendant ce temps malheureux que nous passons loin de sa présence, nous travaillons à nous rendre dignes de paraître un jour devant sa face : Et ideo contendimus, sive absentes, sive prœsentes, placere illi.

Telle doit être la vie chrétienne; et pour vivre comme chrétiens, il faut vivre comme voyageurs : car vivre chrétiennement, c'est vivre selon la foi, selon ce qui est écrit : « Le juste vit de la foi : » Justus autem ex fide vivit (1). Or, vivre selon la foi, c'est vivre comme voyageur, « en ne contemplant pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas, » qui est la vraie disposition d'un

 

1 Rom., I, 17.

 

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homme qui passe son chemin : Non contemplantibus nobis quœ videntur, sed quœ non videntur (1). Que si nous vivons comme voyageurs, nous devons considérer tout ce que nous possédons sur la terre, non pas comme un bien véritable, mais comme un rafraîchissement durant le voyage : Instrumentum peregrinationis, non irritamentum cupidilatis, dit saint Augustin (2); comme un bâton pour nous soutenir dans le travail, et non comme un lit pour nous reposer; comme une maison de passage où l'on se délasse, et non comme une demeure où l'on s'arrête. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul appelle notre corps un tabernacle ; c'est-à-dire une tente, un pavillon, une cabane, en un mot un lieu de passage , et non une demeure fixe.

Cet esprit de pèlerinage qui est l'esprit de la foi, et par conséquent l'esprit du christianisme, nous est excellemment représenté par ces beaux mots de l'Apôtre : « Je vous le dis, mes frères, le temps est court : reste que ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas ; et ceux qui s'affligent, comme ne s'affligeant pas; et ceux qui se réjouissent, comme ne se réjouissant pas ; et ceux qui achètent, comme ne possédant pas ; et ceux qui usent de ce monde, comme n'en usant pas, parce que la figure de ce monde passe : » Hoc itaque dico, fratres, tempus breve est : reliquum est ut qui habent uxores, tanquam non habentes sint; et qui fient, tanquam non fientes; et qui gaudent, tanquam non gaudentes; et qui emunt, tanquam non possidentes; et qui utuntur hoc mundo, tanquam non utantur : prœterit enim figura hujus mundi (3). C'est-à-dire, selon saint Augustin, que « ceux qui ont des femmes, ne doivent point y être liés par aucun attachement corporel ; que ceux qui s'affligent par le sentiment du mal présent, doivent se réjouir par l'espérance du bien futur; que la joie de ceux qui s'emportent parmi les commodités temporelles, doit être tempérée par la crainte des jugements éternels; que ceux qui achètent doivent posséder ce qu'ils ont, sans que leur cœur y soit engagé; enfin que ceux qui usent de ce monde, doivent considérer qu'ils passent avec lui, parce que la figure de ce monde passe : » Qui habent uxores, non carnali concupiscentiœ subjugentur ;

 

1 II Cor., IV; 18. — 2 In Joan. Tract. XL, n. 10. — 1 I Cor., VII, 29-31.

 

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et qui fient tristitià prœsentis mali, gaudeant spe futuri boni; et qui gaudent propter temporale aliquod commodum, timeant œternum supplicium; et qui emunt, sic habendo possideant, ut amando non hœreant; et qui utuntur hoc mundo, transire se cogitent, non manere (1).

Si nous entrons comme il faut dans cet esprit de la foi, nous prendrons les choses comme en passant ;  et lorsque ceux qui nous sont chers s'en iront à Dieu devant nous, nous ne serons pas inconsolables comme si nous les avions perdus ; mais nous travaillerons à nous rendre dignes de les rejoindre au lieu où ils nous attendent. De là vient que nous ne devons pas nous laisser abattre par une douleur sans remède, comme si nous n'avions plus aucune espérance ; mais nous affliger seulement comme feroient des personnes proches qui ayant longtemps voyagé ensemble , seraient contraints de se séparer ; lesquels ayant donné quelques larmes à la tendresse naturelle , vont continuant leur chemin , où leurs affaires les appellent, non sans quelque regret qui les accompagne toujours, mais qui est notablement allégé par l'espérance de se revoir. « C'est ainsi, dit saint Augustin, qu'on permet à la tendresse des fidèles de s'attrister sur la mort de leurs amis, par le mouvement d'une douleur passagère. Que les sentiments de l'humanité leur fassent répandre des larmes momentanées , qui soient aussitôt réprimées par les consolations de la foi, laquelle nous persuade que les chrétiens qui meurent s'éloignent un peu de nous pour passer à une meilleure vie : » Permittuntur itaque pia corda charorum de suorum mortibus contristari dolore sanabili, et consolabiles lacrymas fundant conditione mortali; quas citò réprimat fidei gaudium, quel creduntur fideles, quando moriuntur, paululùm à nobis abire et ad meliora transire (2).

Mais si dans les pertes que nous faisons notre cœur est abattu et désolé , cela nous doit avertir de penser à nous : car c'est par là que nous connaissons qu'une grande partie de nous-mêmes est appuyée sur la créature, puisque ce fondement lui ayant manqué, elle s'abat et tombe par terre ; ou bien demeurant comme suspendue , elle souffre beaucoup d'inquiétude pour ne savoir plus

 

1 S. August. De Nupt. et Concup., lib.I, cap. XIII, n. 15.— 2 Serm. CXLII, n. 3.

 

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où se reposer : ce qui nous doit faire recueillir nos forces, pour retirer et réunir au Créateur cette partie de nous-mêmes qui se détachait sans que nous nous en fussions aperçus : d'où passant encore plus outre, nous devons apprendre à ouvrir les yeux pour reconnaître les autres liens , également imperceptibles, par lesquels notre cœur étant captivé dans l'amour des biens qu'il possède , ne se donne pas tout entier, et ne s'appuie qu'avec réserve sur celui en qui seul il doit espérer, s'il ne veut pas être confondu.

 

RÉFLEXIONS
SUR L'AGONIE DE JÉSUS-CHRIST.

 

Ce qui s'appelle agonie selon l'usage ordinaire, c'est, cet intervalle de temps qui se passe depuis que l’âme a à se séparer, et à se retirer au cœur qui est le dernier mourant, jusqu'à ce qu'elle s'en sépare effectivement par la mort.

Comme Jésus-Christ dans sa passion voulut que sa nature humaine fit en lui à la mort ce qu'elle fait dans les autres hommes et souffrit sur la croix cette agonie, ce fut dans les derniers moments qui se passèrent entre la plus belle de toutes les vies et la plus précieuse de toutes les morts, que le dernier moment fut celui où, ayant remis son esprit entre les mains de son Père, sa tête, pour donner passage à son âme vers son cœur, se baissa : et son âme divine s'y étant en effet retirée tout entière , s'en sépara pour s'y réunir au troisième jour par sa glorieuse résurrection.

Les chrétiens ont un si grand intérêt à savoir les mystères, et à prendre les sentiments et les dispositions de Jésus-Christ leur adorable Sauveur dans tous ses états, qu'ils devraient sans cesse s'y appliquer ; mais surtout à ces grands et terribles mystères de sa passion et de sa mort, par lesquels il a consommé l'œuvre de notre salut éternel par la rédemption, et terminé sa très-sainte vie. Puisque de tous les temps il n'y en a point de plus important que

 

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celui de la mort, qui est celui de la décision de notre sort pour toute l'éternité, c'est celui sur lequel Dieu et le démon ont de plus grands desseins pour ou contre nous : c'est enfin celui où l'on peut réparer toutes les pertes passées, puisque rien des sentiments de l’âme n'y étant médiocre , c'est le temps de pratiquer les plus hautes vertus d'une manière grande et héroïque sur le modèle de celles que le Fils de Dieu a voulu y pratiquer pour notre exemple.

C'est l'opinion de plusieurs célèbres docteurs et même de quelques saints Pères, que le démon, qui avait tenté lui-même Jésus-Christ au désert, fit encore visiblement un dernier effort lorsqu'il le vit attaché à la croix, ou pour reconnaître avec certitude s'il était effectivement le Messie promis et le Libérateur du genre humain , ce qu'il craignoit infiniment; ou, s'il ne l'était pas, pour le surprendre et pour lui faire commettre quelques péchés qui rendissent sa mort criminelle ou moins parfaite. Cette opinion a beaucoup de vraisemblance : car cet esprit infernal remarquant tant de sagesse , tant de courage , tant de sainteté en Jésus-Christ dans le désert, désespéra pour lors de le vaincre , et « se retira , dit saint Luc ; mais ce ne fut que pour un temps (1). »

Si nous cherchons ce temps auquel Satan ranima toutes ses espérances et sa rage par de nouveaux efforts, nous l'apprenons du Sauveur même. Car dans cet admirable discours qu'il fit à ses apôtres dans le cénacle immédiatement après l'institution de la divine Eucharistie, et avant que de partir pour aller au jardin des Olives, il leur dit : « Voici le prince du monde qui va venir, et il ne trouvera rien en moi qui lui appartienne (2). » Ce fut peut-être pour le surprendre d'une manière qui confondît davantage sa fausse et maligne prudence, que le Fils de Dieu s'écria sur la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné (3) ? » Le démon n'en pénétra ni le sens ni le mystère : il crut, comme il l'a inspiré depuis à un hérésiarque, que c'était un désespoir, étant pris lui-même au piège qu'il tendait au Sauveur et qui lui fut un sujet d'aveuglement. Il se trouva donc vaincu par un triomphe d'amour , de puissance, et de sagesse, au moment qu'il se croyait victorieux. On peut même, sans forcer les

 

1 Luc., IV, 13. — 2 Joan., XIV, 30. — 3 Matth., XXVII, 46.

 

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paroles, tirer cette opinion de saint Paul aux Colossiens : « que Jésus-Christ vainquit en lui-même , et mena en triomphe sur la croix les principautés et les puissances de l'enfer (1). » Ce terme, « en lui-même, » paraît nous devoir faire conclure que le combat se fit en lui-même et qu'il fut attaqué sur la croix, soit que le démon eût reçu le pouvoir de faire quelque impression sur l'imagination du Sauveur , ou que toute cette tentation demeurât au dehors et se bornât à des efforts inutiles. Le démon se mit dans la partie avec les Juifs et avec les Gentils, et se présenta dans l'agonie de Jésus-Christ pour l'y attaquer et l'y renverser.

Mais de ces mêmes paroles de l'Apôtre, les enfants de la nouvelle alliance tirent un grand sujet de confiance et de consolation : car il n'est pas dit seulement que le Sauveur vainquit les puissances infernales, il est encore ajouté qu'il les désarma. Les démons peuvent donc bien nous attaquer dans ces derniers mo-ments de la vie, comme ils attaquèrent Jésus-Christ ; mais étant sans armes, sans courage et sans force contre ceux qui s'appuient sur le secours d'un si puissant défenseur, ce n'est qu'une rage impuissante , laquelle jette dans l'air des feux et des flèches qui retombent sur elle. Si l'on menace tant les pécheurs du pouvoir et de la malice de Satan à la mort, ce ne sont que ceux qui jusque-là lui ont donné sur eux ce pouvoir et se sont mis à son égard dans une espèce de servitude, dans laquelle il les surprend. Ils ont bien voulu être surpris dans son esclavage ; ils s'y sont exposés librement, en voulant bien risquer leur salut : ils ne peuvent, il est vrai, échapper alors à ce pouvoir que par une grâce privilégiée d'une   puissance extraordinaire , laquelle il ne se faut pas promettre, parce que Jésus-Christ ne l'a jamais promise; qu'il a même menacé du contraire , en criant si souvent dans son Evangile que l'on veillât et que l'on se tint prêt (2) : car cette grâce s'étend en effet sur bien moins de personnes qu'on ne pense, même de celles qui meurent au milieu des prêtres et avec les sacrements.

Mais pour ceux que la dernière maladie trouvera dans l'union

 

1 Coloss., II, 15. — 2 Matth., XXIV, 42; Marc., XIII, 33 et seq.; Luc., XII, 37 et seq.

 

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avec Jésus-Christ, qui portent les chaînes sacrées de ceux que la charité fait ses esclaves et qui sont dans son parti comme étant les enfants de Jérusalem , et non pas de Babylone , c'est un droit que la victoire de Jésus-Christ leur a acquis pour ces derniers moments, que d'être hors de la portée des flèches du démon. Sa victoire a tiré la leur en conséquence : c'est pour eux comme pour lui qu'il a vaincu et triomphé, parce que c'est plutôt pour eux que pour lui qu'il a désarmé cet ennemi désespéré.

C'est enfin, en un sens , pour eux comme pour lui qu'il a dit que le démon n'a nul pouvoir contre eux (1), parce qu'étant sous la protection et sous la puissance du vainqueur, le vaincu ne trouve rien en eux qui lui appartienne.

Cette victoire du Fils de Dieu à l'agonie et sur la croix , de quelque manière qu'on la comprenne, est un des grands bienfaits dont les chrétiens lui sont redevables : car qui pourrait échapper dans ces moments de faiblesse à la rage d'un ennemi si puissant et si rusé? Ce doit donc être là un des principaux objets de la dévotion de ceux qui veulent rendre un hommage singulier à ce dernier état de la vie du Sauveur : ils doivent adorer cette puissance victorieuse et ce triomphe de Jésus-Christ sur la croix. S'il leur paraît alors agonisant, il doit être vu des yeux de la foi comme triomphant dans son agonie, et triomphant déjà par avance pour eux quand ils seront en cet état. Ils doivent se pénétrer de reconnaissance pour un si grand bienfait, se persuader du besoin qu'ils ont, pour avoir part à ce privilège et à ce droit, de vivre sous la puissance et dans le parti de Jésus-Christ, afin de n'être pas surpris dans un assujettissement contraire, qui ferait alors toute la force de Lucifer. Il faut qu'ils demandent à cet adorable victorieux, avec une humble instance , qu'il les associe à sa victoire et à son triomphe ; en un mot, ils doivent, par une entière confiance à cette victoire à laquelle ils ont droit, calmer toutes les agitations qu'une crainte trop vive de la mort, du démon , de leurs péchés passés et des jugements de Dieu, pourrait faire dans le cœur, en affaiblissant la foi.

Si c'est une grâce de l'agonie du Sauveur, que de rendre vains

 

1 Joan., XIV, 30.

 

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les efforts de Satan dans un temps où la raison obscurcie, affaiblie et préoccupée, aurait peine à s'en défendre, ou pour mieux dire ne s'en défendrait pas, c'est encore une plus grande grâce que d'associer cette âme, par un droit d'union, de société et de commerce entre le chef et les membres vivants, aux emplois divins de l’âme de Jésus-Christ et aux vertus héroïques qu'il pratiqua dans cet état. Le Sauveur s'était chargé non-seulement des péchés, mais aussi de tous les intérêts, des obligations et de tous les devoirs de ses enfants et de ses véritables membres mystiques : leur agonie était à la croix distinctement présente aux yeux de son cœur : il prévit le genre de maladie dont ils devaient mourir; et comme il n'ignorait pas combien les douleurs et les symptômes d'une maladie violente ou précipitée lieraient avec les sens les plus nobles puissances de l’âme, et les rendraient faibles et impuissantes dans leur abattement, qui pourrait comprendre l'étendue et l'effort de la charité avec laquelle il regarda leur agonie comme inséparable de la sienne? Tout ce qu'il fit alors, il le fit en acquit de leurs obligations, et en supplément de ce qu'ils ne pour-roient faire en ce temps : il consacra en lui la peine naturelle que l’âme ressent, quand elle est frappée des sombres et affreuses idées d'une séparation inévitable : il la sanctifia dans un esprit de soumission et de pénitence, de sacrifice et d'hommage à la souveraineté de son Père ; il offrit cette agonie de ses enfants et toute sa suite par un mouvement d'amour qu'il leur communiqua dès lors, s'ils sont en état d'y avoir part, et dont il leur fit le transport aux yeux et dans le sein de son Père en supplément de leur impuissance, si leur raison obscurcie les rendait incapables de les avoir actuelles : s'ils ne peuvent les avoir en eux-mêmes, ils les ont en Jésus-Christ; et les avoir en lui, c'est les avoir en soi par le droit de la société que la grâce de leur union avec lui met entre lui et eux. Que de grandeurs, que de privilèges de grâce, que de miracles d'amour qu'on ne connaîtra qu'après la mort ! Le chrétien les trouve en Jésus-Christ ; et que ceux-là sont malheureux que le péché mortel excommunie, tient séparés de lui et prive de ces avantages merveilleux en ces derniers moments ! Quelles pertes ! quelles angoisses ! quelles suites de justes frayeurs ! Il faut tirer

 

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trois instructions de ce principe, qui est une vérité constante dans la foi et très-bien établie dans les saintes Ecritures. Comme c'est au même degré que la grâce aura uni les âmes à Jésus-Christ et les aura fait participer à ses sentiments et à son esprit, qu'elles auront part à ce divin supplément, qui dans la foi blesse où la maladie réduit doit être d'un grand secours, il est donc d'une conséquence infinie de s'appliquer pendant la vie à se remplir de cet esprit, en prenant les mesures de sa conduite sur les sentiments , les maximes et les exemples du Sauveur.

Il est vrai que le moindre degré de la grâce justifiante, qui lie l’âme à Jésus-Christ, la rend participante de tout ce qu'il a fait pour elle dans cet état, c'est toujours là un grand fonds de consolation pour tant d'âmes que leur simplicité rend ignorantes des grandeurs de Dieu et du christianisme , et que l'on ne peut même en informer, parce qu'une éducation grossière et rustique les en rend incapables, et que la misère et la nécessité de leur condition leur fait compter les heures du jour par celles de leur travail. Ces âmes, si elles ont observé la loi de Dieu selon le degré de leur lumière, trouveront en Jésus-Christ ce supplément sur le pied de leur bonne foi et de leur innocente simplicité; c'est ce qui sanctifie leur mort, quoique les prêtres, qui seraient peu instruits de ces sentiments, ne les leur inspirent pas. La vertu de Jésus-Christ n'est bornée ni aux sacrements, ni aux ministres, ni à la connaissance de ceux qui y sont intéressés : il nous fait du bien sans nous le dire, parce qu'étant le Verbe et la parole du Père, il nous le dira pour nous charmer durant toute l'éternité. Cependant il n'est pas moins vrai que ces grands privilèges d'amour se communiquent aux âmes, avec des effusions beaucoup plus riches et plus abondantes, à qui une union plus étroite d'esprit et de sentiment y donne plus de droit. Ce lien, qui est aussi un canal de communication , à mesure qu'il sera fort et qu'il sera grand, portera du cœur de Jésus-Christ dans l’âme fidèle des gouttes, des ruisseaux, des torrents, des fleuves entiers de grâce et de miséricorde.

L'autre instruction est qu'au lieu d'embarrasser, par un zèle mal entendu, les âmes agonisantes de mille actes confus au hasard de l'imagination, il faut les faire entrer doucement, de temps en

 

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temps, dans la vue de ce que Jésus-Christ leur est et de ce qu'elles lui sont; leur insinuer par cette vue une entière confiance en lui e  en ce qu'il a fait pour elles; le leur faire voir agonisant avec elles, et se chargeant de leurs intérêts et de leurs obligations-exciter en elles le désir d'union et de société avec lui, dans toutes les dispositions de son agonie et de sa mort : et si on leur fait produire des actes de contrition,  de soumission,  de confiance, d amour, qu on ne les sépare jamais de Jésus-Christ dans ces actes ; mais qu on leur dise, par exemple : Le cœur sacré de Jésus-Christ a été rempli dans sa passion de la douleur de vos péchés; il faut participer a cette douleur, il faut s'y unir et la demander, l'offrir en supplément de la faiblesse de la vôtre; et pour l'exciter dans leur cœur, faire pour eux en peu de paroles des actes qui en expriment tout le sentiment. Mais animez, leur doit-on dire   un acte formé sur ce modèle par la soumission de Jésus-Christ. qui en acceptant et offrant sa mort, a accepté la vôtre et l'a offerte a son Père : il lui a remis entre les mains votre vie, en lui remettant la sienne; il l'a fait en votre nom et en acquit de votre obligation. Il faut donc dire avec lui, et avoir intention de le dire dans tous les sentiments dans lesquels il l'a dit : In manus tuas Domine, commendo spiritum meum (1).

C'est ainsi qu'il faut rendre conforme, autant qu'on peut l'agonie des âmes chrétiennes à celle du Fils de Dieu leur unique exemplaire, leur chef et leur espérance. Il n'y a presque autre chose a faire, si l'on suppose des âmes qui aient fait pendant leur vie une attention principale et souveraine à leur salut : car pour celles qui ont besoin qu'on s'applique alors à l'essentiel, à étonner leur insensibilité, à développer les replis corrompus de leur conscience, à réconcilier, à restituer, à réparer des scandales il faudrait tenir un autre langage : mais ce ne sont pas de pareilles âmes que nous avons ici en vue.

Enfin la troisième instruction qui regarde la dévotion à l'agonie de Jésus-Christ, c'est qu'il faut adorer tous les mouvements de son divin cœur en cet état, s'y consacrer, en implorer la puissance et la vertu, s'y unir de toute son âme par avance pour ces

 

1 Luc., XXIII, 46.

 

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moments là; et comme ces mouvements du sacré cœur de Jésus-Christ sont renfermés et exprimés prophétiquement, pour la plupart, en mêmes termes qu'il les exprima sur la croix, dans les Psaumes XXI et XXX, ce doit être l'application de l’âme de les prononcer souvent de cœur et de bouche, parce que le Sauveur l'a fait, d'en prononcer au moins les principaux versets.

La dévotion à l'agonie du Fils de Dieu doit aussi appliquer l’âme singulièrement à cette grande et importante parole, qui fut la dernière qu'il proféra : Consummatum est (1). Cette parole est comme le sceau du Nouveau Testament et de la nouvelle alliance ; mais sans entrer dans tous les sens dans lesquels on la peut entendre, en voici un de pratique et qui est très-propre à notre salut et à notre sujet.

Il n'y a rien de plus grand dans l'univers que Jésus-Christ; il n'y a rien de plus grand dans Jésus-Christ que son sacrifice ; et il n'y a rien de plus grand dans son sacrifice que son dernier soupir, et que le moment précieux qui sépara son âme très-sainte de son corps adorable. Ce fut dans cet instant fatal à l'enfer et infiniment favorable à l'Eglise, que toute la vieille loi étant finie et toutes les promesses du Testament étant confirmées, ce qui ne se pouvait accomplir que par l'achèvement du sacrifice du Médiateur, tous les anciens sacrifices des animaux perdirent alors leur vertu; tous les enfants des promesses prirent alors leurs places avec le Sauveur; et devenant des victimes, leur mort, qui n'aurait pu être jusque-là qu'une peine du péché, fut changée dans celle de Jésus-Christ en nature de sacrifice.

« Tout est consommé, » nous crie-t-il ; et les digues de mon cœur étant levées, mon amour va répandre sans bornes dans tout l'univers la vertu de mon sacrifice, a Tout est consommé : » et la mort de mes membres mystiques étant unie à la mienne, ne sera désormais que l'accomplissement de mes promesses et de mes desseins sur eux. « Tout est consommé : » et la consommation de leur vie, dans leur dernier moment, doit recevoir de ma mort la vertu d'être un sacrifice parfait, qui rende hommage à toutes les perfections de la Divinité. C'est dans ce sens que l'Apôtre la

 

1 Joan., XIX, 30.

 

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comprit, quand il dit aux Hébreux, que le Sauveur, « par une seule oblation, a consommé pour toujours ceux qu'il a sanctifiés (1), » c'est-à-dire que la mort des vrais chrétiens, consacrés dans le baptême pour être des victimes, est devenue dans celle de Jésus-Christ un sacrifice parfait et que de son oblation et de la leur il ne s'en est fait qu'une seule oblation.

Voilà le terme de la grâce des sacrements et de toute la religion. C'est donc là que toutes les agonies se terminent : c'est ce grand sacrifice qui en est le préparatif, et si on l'ose dire le pompeux appareil. Jésus-Christ en est le souverain Prêtre ; n'y envisageons rien de naturel; et un des grands emplois de sa sacrificature, jusqu'à la fin des siècles, sera de renouveler et de perpétuer son sacrifice, non-seulement dans le mystère de la divine Eucharistie, mais encore dans la mort de tous les vrais fidèles.

C'est dans cet esprit qu'il faut recevoir le saint viatique. Le grand Pontife de la loi nouvelle se transporte pour cela dans son temple, c'est-à-dire dans le corps et l'aine du chrétien; il y offre premièrement le sacrifice de lui-même, y étant en état de victime par le sacrement et y représentant cette destruction, qui se fit sur le Calvaire, de sa vie naturelle. Il exerça alors singulièrement auprès de son Père le grand emploi de sa médiation, y traitant avec lui de tous les intérêts éternels de ses élus ; et tout cela se fait dans l’âme et le corps du fidèle même : et celui qui est le temple du sacerdoce de Jésus-Christ pour ces augustes usages et ces divines fonctions de son sacerdoce, devient aussi prêtre et victime avec lui.

C'est en dernier ressort que le Pontife souverain prend possession de la victime dans ce sacrement; qu'il consacre sa mort, qu'il devient lui-même le sceau, qui est la marque du caractère de victime ; et qu'usant de ses droits sur une vie qui lui appartient, il se sert de la maladie comme du couteau et du glaive avec lequel il égorge et immole cette hostie. Ainsi le chrétien s'unissant alors, non-seulement au corps adorable de Jésus-Christ dans son sacrement, mais encore à son esprit et à son cœur; entrant par soumission et par adhérence dans tous ses desseins ; voulant disposer

 

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de son être et de sa vie, comme le grand sacrificateur en dispose, devient prêtre avec lui dans sa mort; et achève dans ce dernier moment ce sacrifice auquel il avait été consacré au baptême, et qu'il a dû continuer tous les moments de sa vie.

C'est ainsi que la vérité de ces paroles : Consummatum est, s'accomplit dans les membres comme en Jésus-Christ leur chef.

L'extrême-onction contribue encore à la perfection de ce sacrifice ; et c'était l'ancien usage de l'Eglise de la donner avant le saint viatique à ceux qui avoient perdu par des crimes l'innocence de leur baptême, et avoient été assujettis à la pénitence canonique. Car quoiqu'on supposât que le sacrement de la réconciliation leur avait rendu la grâce, l'on sa voit cependant que les crimes laissent ordinairement dans l’âme de certains vestiges, de certains déréglements qui sont des impuretés ou des taches. Or il faut à Dieu, qui est infiniment pur, des victimes pures et sans défaut. Ce sacrement et la grâce qu'il communique, était en partie pour rendre la victime pure : c'est pourquoi il précédait le saint viatique , afin que le grand Prêtre trouvant la victime en état d'être sacrifiée, put la présenter toute pure à son Père par l'oblation, avant que de l'immoler par la mort.

Mais quoique l'on donne ce sacrement après l'Eucharistie, l'on doit toujours le donner dans ce sentiment; y avoir en vue l'infinie pureté de Dieu; et aspirer à cette grâce de pureté dont le caractère est d'ôter de la victime les impuretés et les taches, qui rendent sa vie moins propre et moins digne d'être immolée à un Dieu si pur et si saint.

Une compagnie de fidèles qui assistent à la réception de ces sacrements et à l'agonie d'une âme, un prêtre qui tient lieu de Jésus-Christ comme son ministre, ne doivent-ils pas détourner leur esprit de tout ce qui frappe les sens, pour ne se remplir que de l'idée d'un sacrifice où celui du Sauveur va se renouveler, et auquel ils doivent concourir chacun en leur manière? Dieu nous fasse la grâce d'entrer dans ces vérités, et d'en être remplis à la

mort. Amen.

 

PRIÈRE.

 

En union et hommage des trois heures de vos extrêmes

 

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langueurs, et des douleurs de la séparation de votre âme très-sainte d'avec votre corps adorable, ô Jésus, je vous consacre ma dernière agonie et les douleurs de ma mort. Faites, mon cher Sauveur, que mon âme soit entre vos mains toute couverte de vos infinis mérites et de votre précieux sang ; que mon dernier instant honore le vôtre, et que le dernier mouvement de mon cœur soit un acte de votre très-saint et très-pur amour. Je réitère de tout mon cœur la protestation que j'ai faite tant de fois, que je déteste tous mes péchés et tout ce qui vous déplaît; que je vous aime pardessus toutes choses ; que je vous rends grâces de tous vos infinis bienfaits ; que je veux être à jamais uni à vous, et que je mets en vous seul et par yous en votre Père toute ma confiance, et que j'espère mon salut de son éternelle miséricorde par vos souffrances et par votre mort. O Jésus, victime sacrée, seule digne de Dieu, daignez nous joindre et nous unir à votre sacrifice.

O  Jésus, vous êtes le refuge et le salut des pécheurs ; soyez le mien et dites à mon âme : Je suis ton salut. Mettez votre croix, votre mort et votre passion entre nous et vos divins jugements, afin de nous faire grâce et miséricorde. O divine Marie, ouvrez-nous votre sein maternel ; recevez-nous en votre protection toute-puissante : mettez-nous dans le cœur adorable de Jésus-Christ votre Fils. O grand saint Joseph, saint Michel, saint Gabriel, saint Raphaël, tous les anges et saints, intercédez pour nous, maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.

 

PRIÈRE
POUR UNIR NOS SOUFFRANCES
A CELLES  DE JÉSUS-CHRIST.

 

Mon Dieu, je m'unis de tout mon cœur à votre saint Fils Jésus, qui dans la sueur de son agonie vous a présenté la prière de tous ses membres infirmes. O Dieu, vous l'avez livré à la tristesse, à

 

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l'ennui, à la frayeur ; et le calice que vous lui avez donné à boire était si amer et si plein d'horreur, qu'il vous pria de le détourner de lui. En union avec sa sainte âme, je vous le dis, ô mon Dieu et mon Père : « détournez de moi ce calice horrible; toutefois que votre volonté soit faite, et non pas la miennel. » Je mêle ce calice avec celui que votre Fils notre Sauveur a avalé par votre ordre. Il ne me fallait pas un moindre remède, ô mon Dieu : je le reçois de votre main avec une ferme foi que vous l'avez préparé pour mon salut, et pour me rendre semblable a Jésus-Christ mon Sauveur. Mais, ô Seigneur, qui avez promis de ne nous mettre pas à des épreuves qui passent nos forces, vous êtes fidèle et véritable : je crois en votre parole; et je vous prie par votre Fils de me donner de la force, ou d'épargner ma faiblesse.

Jésus mon Sauveur, nom de miséricorde et de grâce, je m'unis à la sainte prière du jardin, à vos sueurs, à votre agonie, à votre accablante tristesse, à l'agitation effroyable de votre sainte âme, aux ennuis auxquels vous avez été livré, à la pesanteur de vos immenses douleurs, à votre délaissement, à votre abandon, au spectacle affreux qui vous fit voir la justice de votre Père armée contre vous, aux combats que vous avez livrés aux démons dans ce temps de vos délaissements et à la victoire que vous avez remportée sur ces noirs et malicieux ennemis, à votre anéantissement et aux profondeurs de vos humiliations, qui font fléchir le genou devant vous à toutes créatures, dans le ciel, dans la terre et dans les enfers : en un mot, je m'unis à votre croix et à tout ce que vous choisissez pour crucifier l'homme. Ayez pitié de tous les pécheurs, et de moi qui suis la première de tous : consolez-moi, convertissez-moi, anéantissez-moi, rendez-moi digne de porter votre livrée. Amen.

 

1 Luc., XX, 42.

 

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PRÉPARATION A LA MORT.

 

PREMIÈRE PRIÈRE.
Le coupable attend son supplice, et adore la puissance qui le punit.

 

« Seigneur, vous n'avez pas fait la mort (1) : » elle n'était pas au commencement, et « elle n'est entrée dans le monde qu'en punition du péché (2). Vous avez créé l'homme immortel (3) ; » et s'il fût demeuré obéissant, la mort eût été pour lui un mal inconnu : mais c'était le moindre de nos malheurs. L’âme mortellement blessée par le péché, par la mort temporelle nous précipitait dans l'éternelle, et l'enfer était notre partage.

O  Dieu, voici la merveille de votre grâce. La mort n'est plus mort, après que Jésus-Christ l'a soufferte pour nos péchés et pour les péchés du monde. Elle n'est plus qu'un passage à l'immortalité ; et notre supplice nous a tourné en remède, puisqu'en portant avec foi et avec soumission la mort à laquelle nous avons été justement condamnés, nous l'évitons à jamais.

Voici donc, Seigneur, votre coupable qui vient porter la mort à laquelle vous l'avez condamné : enfant d'Adam, pécheur et mortel, je viens humblement subir l'exécution de votre juste sentence. Mon Dieu, je le reconnais, j'ai mangé le fruit défendu, dont vous aviez prononcé qu'au jour que je le mangerais, je mourrais de mort. Je l'ai mangé, Seigneur, ce fruit défendu, non-seulement une fois en Adam, mais encore toutes les fois que j'ai préféré ma volonté à la vôtre. Je viens donc subir ma sentence;je viens recevoir la mort que j'ai méritée. Frappez, Seigneur; votre criminel se soumet. J'adore votre souveraine puissance dans l'exécution de cette sentence, dont nul n'a jamais pu éviter l'effet, ni même le reculer d'un moment. Il faut mourir, vous l'avez dit, le riche comme le pauvre, le roi comme le sujet. C'est ce coup inévitable

 

1 Sapient., I, 13. — 2 Rom., V, 12. — 3 Sapient., II, 23.

 

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de votre main souveraine qui égale toutes les conditions, tous les Ages, tous les états et la vie la plus longue avec la plus courte, parce qu'il ne sert de rien d'écrire beaucoup, si en un moment et par une seule rature tout est effacé.

J'adore donc, ô mon Dieu, ce coup tout-puissant de votre main souveraine ; j'entre dans la voie de toute chair. Il fallait à notre orgueil et à notre mollesse ce dernier coup pour nous confondre. Les vanités nous auroient trop aisément enivrés, si la mort ne se fût toujours présentée en face ; si de quelque côté qu'on se peut tourner, on ne voyait toujours devant soi ce dernier moment, lequel lorsqu'il est venu, tout le reste de notre vie est convaincu d'illusion et d'erreur. O Seigneur, je vous rends grâces de ce secours que vous laissez à notre faiblesse, de cette humiliation que vous envoyez à notre orgueil, de cette mort que vous donnez à nos sens. O Seigneur, la vie de nos sens et de notre vanité serait trop vive, si vous ne la mortifiiez par la vue continuelle de la mort. Taisons-nous, mortels malheureux ; il n'y a plus de réplique : il faut céder ; il faut malgré qu'on en ait mépriser ce squelette, de quelques parures qu'on le revêtisse. La mort en montre le fond à tous les hommes, même à ceux qui y sont le plus attachés. Que toute chair demeure atterrée et anéantie! O Dieu, j'adore ce bras souverain, qui détruit tout par un seul coup. O mort, tu m'ouvres les yeux, afin que je voie mes vanités. Ainsi, ô mort, tu m'es un remède contre toi-même. Il est vrai, tu ôtes tout à nies sens; mais en même temps tu me désabuses de tous les faux biens que tu m'ôtes. O mort, tu n'es donc plus mort que pour ceux qui veulent être trompés. O mort, tu m'es un remède : tu envoies tes avant-coureurs, les infirmités, les douleurs, les maladies de toutes les sortes, afin de rompre peu à peu les liens qui me plaisent trop, quoiqu'ils m'accablent. O mort, Jésus-Christ crucifié t'a donné cette vertu. O mort, tu n'es plus ma mort : tu es le commencement de ma délivrance.

 

IIe PRIÈRE.
Le chrétien attend sa délivrance et adore son Libérateur.

 

O  Seigneur, nous avions fait un traité avec la mort et un pacte

 

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avec l'enfer : nous nous y étions vendus et livrés; et vous avez dit : « Je poserai en Sion une pierre fondamentale, une pierre précieuse et choisie, la pierre de l'angle fondée sur un fondement inébranlable. Que celui qui croit » en celui qui est figuré par cette pierre, « ne se presse pas » d'exécuter le traité qu'il a fait avec la mort et avec l'enfer. « Car le traité que vous avez fait avec la mort sera effacé, et le pacte que vous avez fait avec l'enfer ne tiendra pas (1). » Et voici comme ce pacte a été rompu. Le Juste, le Saint des saints, celui que Dieu a sacré par une onction qui est au-dessus de tout et par la Divinité même, s'est livré volontairement à la mort : il s'est soumis à la puissance des ténèbres, et en même temps le traité de notre servitude a été annulé. Jésus-Christ l'a mis en croix et l'a effacé par son sang. Il est entré dans le tombeau , il est descendu jusqu'aux enfers ; et au lieu d'y demeurer assujetti, il y a chanté ce cantique que David, son père selon la chair, avait composé pour lui : « J'avais toujours le Seigneur en vue; je le voyais à ma droite jusque dans les ombres de la mort, » jusque dans les tristes prisons dont j'ai été délivrer les âmes qui y attendaient ma venue. « C'est pour cela que mon cœur était plein de joie et que mon corps même s'est reposé en espérance parce que vous ne laisserez pas mon âme dans l'enfer, et vous ne permettrez pas que votre Saint éprouve la corruption. Vous m'avez montré le chemin de la vie (2) : » j'y retournerai victorieux de la mort. Je le crois ainsi, mon Sauveur. David, qui a composé ce divin cantique, ne l'a pas composé pour lui, puisque sa chair a été corrompue comme celle de tous les autres hommes (3) : mais il a vu en esprit la vôtre qui sortait de lui, et qui est demeurée incorruptible. Il est ainsi, je le crois; il est ainsi. Vous êtes ressuscité le troisième jour; et votre résurrection manifestée à toute la terre par le témoignage de vos saints apôtres, suivie de tant de miracles, a été le signal donné aux Gentils et aux Juifs que vous aviez choisis pour se rassembler sous l'invocation de votre nom : il est ainsi, je le crois.

Mais je crois encore que vous n'avez pas surmonté la mort pour vous seul : vous l'avez surmontée pour nous, qui croyons en vous.

 

1 Isa., XXVIII, 15. 16, 18. — 2 Psal. XV, 8-10; Act., II, 29-31. — 3 Act. II, 29.

 

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Nous n'aurons pas, à la vérité, votre privilège, de ne pas trouver la corruption dans le tombeau : car il faut que notre chair, qui est une chair de péché, soit dissoute et poussée jusqu'à la dernière séparation de ses parties. Mais notre corps sera mis en terre comme un germe qui se reproduira lui-même : « Il est mis en terre dans la corruption ; il sera reproduit incorruptible : il est mis en terre difforme et défiguré ; il sera reproduit et ressuscitera glorieux : il est mis en terre sans force et sans mouvement ; il en sortira plein de vie et de vigueur : il est mis en terre comme on y mettrait le corps d'un animal ; mais il ressuscitera comme un corps spirituel (1), » et ne laissera à la terre que la mort, la corruption, l'infirmité et la vieillesse.

Je vous adore, ô Jésus mon libérateur ; je vous adore, ô Jésus ressuscité pour vous-même et pour tous vos membres que vous avez remplis de votre esprit, qui est l'esprit de vie éternelle. Vous avez enduré la mort, « afin que la mort fût vaincue, Satan désarmé, son empire abattu, et afin d'affranchir ceux que la crainte de la mort tenait dans une éternelle servitude (2). Vous serez vraiment libres, quand le Fils vous aura délivrés (3). » Je le crois, Seigneur, il est ainsi. Mon unique libérateur, je vous adore : il faut que je meure comme vous, afin que je vive comme vous. « Je sais que mon Rédempteur est vivant, et au dernier jour je ressusciterai de la poussière, et je serai de nouveau environné de ma peau, et je verrai mon Dieu dans ma chair. Je le verrai moi-même de mes yeux ; ce sera moi, et non pas un autre. Je conserverai cette espérance dans mon sein (4) : » je la porterai jusqu'au milieu des ombres de la mort. « Qui me donnera que ce discours soit écrit comme avec le fer et le diamant sur le rocher (5) ; » que le caractère en soit immortel et gravé éternellement dans mon cœur, dans un cœur affermi dans la foi ?

Ce sera vous, ô Seigneur, ce sera vous qui mettrez votre main sur moi, et qui me direz comme vous dites à votre disciple bien-aimé : « Ne crains point ; je suis le premier et le dernier , je suis vivant, et j'ai été mort, et je vis aux siècles des siècles, et j'ai en

 

1 I Cor., XV, 42-44.— 2 Hebr., II, 14, 15.— 3 Joan., VIII, 36. — 4 Job., XIX, 25-28 . — 5 Ibid., 24.

 

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ma main les clefs de la mort et de l'enfer (1). » Tout le monde entendra ma voix; « et tous ceux qui sont dans les tombeaux, entendront la voix du Fils de Dieu : et ceux qui auront bien fait, ressusciteront pour la vie; et ceux qui auront mal fait, ressusciteront pour le jugement (2). »

 

IIIe PRIÈRE.
Le chrétien s'abandonne à la confiance.

 

O  mon Dieu, cette dernière parole me rejette dans de plus grandes frayeurs qu'auparavant : car elle m'annonce qu'il faudra comparaître devant votre tribunal redoutable. Et comment ose-rai-je y comparaître avec tant de péchés? Mais quoi, est-ce donc en vain que vous avez dit : « Qui espère en moi ne sera pas confondu(3)? » Et encore : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Celui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous à la mort, quels biens ne nous a-t-il pas donnés avec lui ? Qui osera accuser les élus de Dieu? c'est Dieu même qui les justifie. Qui les condamnera? c'est Jésus-Christ, qui est mort, mais qui est ressuscité, qui est à la droite de son Père, qui ne cesse d'intercéder pour nous (4). » Et encore : « Je vis en la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé, qui s'est livré pour moi (5), qui a porté nos péchés dans son propre corps sur le bois de la croix ; et nous avons été guéris par ses blessures (6). » Je n'ai donc point à craindre mes péchés, qui sont effacés au moment que je m'abandonne à la confiance. Je n'ai à craindre que de craindre trop : je n'ai à craindre que de ne me pas assez abandonner à Dieu par Jésus-Christ. O mon Dieu, ma miséricorde, ô mon Dieu, je m'abandonne à vous : je mets la croix de votre Fils entre mes péchés et votre justice.

Mou Sauveur, vous avez deux titres pour posséder l'héritage de Dieu votre Père : vous avez le titre de votre naissance, vous avez celui de vos travaux. Le royaume vous appartient comme étant le Fils, et il vous appartient encore en qualité de conquérant. Vous avez retenu pour vous le premier titre, et vous m'avez abandonné

 

1 Apoc., I, 17,  18. —  2 Joan., V, 28, 29. — 3 Eccli., II, 11. — 4 Rom., VIII, 31-34.— 5 Gal., II, 20.—  6 I Petr., II, 24.

 

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le second. Je le prends, je m'en saisis avec foi. Mon âme, il faut espérer en Dieu. « Mon âme, pourquoi es-tu triste, et pourquoi me troubles-tu? » Pourquoi me troubles-tu, encore une fois? « Espère en lui, » mon âme, et dis-lui de toutes tes forces : « O mon Dieu, vous êtes mon salut (1). » Mon âme, tu n'as rien à craindre que de ne pas crier assez haut.

 

IVe PRIÈRE.
A la vue de la mort, le chrétien renouvelle les actes de foi, d'espérance et de charité.

 

Le temps approche, Seigneur, que les ténèbres seront dissipées et que la foi se changera en claire vue; le temps approche où je chanterai avec le Psalmiste : O Seigneur, « nous avons vu ce que nous avons ouï (2). » O Seigneur, tout nous paraît comme il nous avait été prêché. Je n'ai plus qu'un moment; et dans un instant je verrai à découvert toutes vos merveilles, toute la beauté de votre face, la sainteté qui est en vous, votre vérité tout entière. « Mon Sauveur, je crois ; aidez mon incrédulité (3), » et soutenez ma faiblesse. O Dieu, je le reconnais, je n'ai rien à espérer de moi-même : mais vous avez commandé d'aller « en espérance contre l'espérance (4).» Ainsi en espérance contre l'espérance, je crois avec Abraham. Tout tombe ; cet édifice mortel s'en va par pièces. Mais « si cette maison de terre se renverse et tombe sur ses propres ruines, j'ai une maison céleste (5), » où vous me promettez de me recevoir. O Seigneur, j'y cours, j'y vole, j'y suis déjà transporté par la meilleure partie de moi-même. « Je me réjouis d'entendre dire que j'irai dans la maison du Seigneur. Je suis à ta porte, ô Jérusalem ; me voilà debout ; mes pieds sont en mouvement (6), » et tout mon corps s'élance pour y entrer.

Quand vous verrai-je, ô le bien unique, quand vous verrai-je? Quand jouirai-je de votre face désirable, ô vérité, ô vraie lumière , ô bien, ô source du bien , ô tout le bien, ô le tout parfait , ô le seul parfait, ô vous qui êtes seul, qui êtes tout, en qui

 

1 Psal. XLI, 6, 12, 13. — 2 Psal. XLVII, 9. — 3 Marc., IX, 23. — 4 Rom., IV, 18. — 5 II Cor., V, 1. — 6 Psal., CXXI, 1.

 

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je serai, qui serez en moi, qui serez tout à tous, avec qui je vais être « un seul esprit  (1) ? » Mon Dieu , je vous aime : mon Dieu, ma vie et « ma force , je vous aime, je vous aimerai (2) ; » je verrai vos merveilles. Enivré de votre beauté et de vos délices, je chanterai vos louanges. Tout le reste est passé , tout s'en va autour de moi comme une fumée ; mais je m'en vais où tout est. Dieu puissant , Dieu éternel, Dieu heureux , je me réjouis de votre puissance, de votre éternité, de votre bonheur. Quand vous verrai-je , ô principe qui n'avez point de principe ? Quand verrai-je sortir de votre sein votre Fils, qui vous est égal ?  Quand verrai-je votre Saint-Esprit procéder de votre union, terminer votre fécondité, consommer votre éternelle action? Tais-toi, mon âme, ne parle plus. Pourquoi bégayer encore quand la vérité te va parler?

Mon Sauveur, en écoutant vos saintes paroles j'ai tant désiré de vous voir et de vous entendre vous-même : l'heure est venue; je vous verrai dans un moment : je vous verrai comme juge, il est vrai ; mais vous me serez un juge sauveur. Vous me jugerez selon vos miséricordes, parce que je mets en vous toute mon espérance et que je m'abandonne à vous sans réserve. Sainte cité de Jérusalem, mes nouveaux citoyens, mes nouveaux frères ; ou plutôt mes anciens citoyens, mes anciens frères, je vous salue en foi. Bientôt, bientôt, dans un moment, je serai en état de vous embrasser : recevez-moi dans votre unité. Adieu,  mes frères mortels; adieu, sainte Eglise catholique. Vous m'avez porté dans vos entrailles, vous m'avez nourri de votre lait : achevez de me purifier par vos sacrifices, puisque je meurs dans votre unité et dans votre foi. Mais, ô Eglise, point d'adieu pour vous : je vais vous trouver dans le ciel dans la plus belle partie de vous-même. Ah ! je vais voir votre source et votre terme, les prophètes et les apôtres vos fondements, les martyrs vos victimes, les vierges votre fleur, les confesseurs votre ornement, tous les saints vos intercesseurs. Eglise , je ferme les yeux : je vous dis adieu sur la terre ; je vous trouverai dans le ciel.

 

1 I Cor., VI, 17. — 2 Psal. XVII, 1.

 

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Ve PRIÈRE.
Le chrétien fait sa dernière confession pour mourir.

 

« O Dieu, je vous découvre mes péchés, et je ne vous cache point mes injustices. J'ai dit : Seigneur , je confesserai mon injustice contre moi-même, et vous avez remis mon iniquité (1). » J'ai dit : Je confesserai ; et vous avez déjà remis. Je l'ai dit avec tant de foi et une si vive ardeur, avec tant de contrition et tant d'espérance, que la rémission a prévenu la confession. Mais comment sais-je si je l'ai dit de cette sorte ? Je n'ai pas besoin de le savoir, je ne veux pas le savoir ; ce n'en est pas ici le temps. Mais vous, Seigneur, qui savez ce qu'il faut faire pour le bien dire, donnez ce que vous commandez, et commandez ce qu'il vous plaira. Je vous le demande par vous-même, par votre bonté, par Jésus-Christ, par sa mort, par tous ses mystères. Je vous donne ma volonté , qui est à vous par tant de titres : faites en moi ce qu'il faut qui y soit pour vous plaire. Pour moi je ne puis vous prêter qu'un faible effort, qui encore vient de vous. J'ai dit : Je confesserai. Votre ministre m'ordonnera-t-il de repasser sur les péchés de ma vie passée, j'ai dit : Je confesserai. Me défendra-t-il de me troubler par cette vue effroyable, j'ai dit : Je confesserai de ma vie passée ce qu'il voudra que je confesse. Vous lui avez ordonné de me lier et de me délier, de pardonner, de retenir. lia vos clefs en sa main; et c'est à lui à y soumettre ce qu'il trouvera à propos : et vous lui avez donné votre Saint-Esprit ; Esprit de discernement qui sonde le fond des cœurs pour exercer cette fonction : « Recevez le Saint-Esprit (2), » avez-vous dit, grand Pontife. C'est vous qui me gouvernez, qui me purifiez par son ministère. Mon Sauveur, je me réjouis de ce que le péché va finir en moi. Je vous ai tant offensé, bon Père, bon Juge, bon Sauveur ; pardon. Mais les péchés vont finir : la mort ne sera pas la fin de ma vie ; elle le sera de mon péché. O mort, que je t'aime par cet endroit là ! Remettez tout, Seigneur, par votre bonté ; et retirez-moi promptement, de peur que je ne pèche de nouveau.

 

1 Psal. XXXI, 5. —2 Joan., XX, 22.

 

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VIe PRIÈRE.
Le chrétien reçoit le Viatique.

 

« Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, encore qu'il soit mort, il vivra ; et tout homme qui vit et qui croit en moi, ne mourra point à jamais. Le croyez-vous ainsi (1)? » O chrétien, je ne te dis plus rien ; c'est Jésus-Christ qui te parle en la personne de Marthe : réponds avec elle : « Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde (2). » Ajoute avec saint Paul : « Afin de sauver les pécheurs , desquels je suis le premier (3). »

Crois donc, âme chrétienne, adore, espère, aime. O Jésus, ôtez les voiles et que je vous voie. O Jésus, parlez dans mon cœur, et faites que je vous écoute. Parlez, parlez, parlez ; il n'y a plus qu'un moment, parlez. Donnez-moi des larmes pour vous répondre : frappez la pierre; et que les eaux d'un amour plein d'espérance , pénétré de reconnaissance, vraiment pénitent, coulent jusqu'à terre.

 

VIIe PRIÈRE.
Le chrétien demande et reçoit l'Extrême-Onction.

 

Venez, prêtres du Seigneur, venez soutenir mon infirmité de votre huile adoucissante, purifiante et confortative. Hélas ! j'ai désiré d'un grand désir de recevoir ce soutien de vos saintes mains. Je me souviens des prières avec lesquelles on a consacré cette huile sainte le jeudi saint, avec un si grand concours de saints ministres et une si grande attention de tout le peuple. Voici le temps de la lutte : Eglise sainte, oignez vos athlètes, afin que le démon soit vaincu. O saints prêtres, j'entends votre sainte voix qui m'annonce la promesse du Saint-Esprit, écrite par l'apôtre saint Jacques : « Le Seigneur soulagera le malade ; et s'il est en péché, il lui sera remis (4). » Voix de consolation et d'espérance! Effacez, Seigneur, tous mes péchés ; effacez, déracinez : purifiez tous mes sens, afin que je vous sois présenté comme « une oblation sainte (5), » et digne de vous.

 

1 Joan., XI, 25, 26. — 2 Ibid., 27. — 3 I Timoth., I, 15. — 4 Jacob., V, 15. — 5 Rom., XII, 1.                                                                                    

 

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VIIIe PRIÈRE.
Le chrétien expire en paix en s'unissant à l'agonie du Sauveur.

 

Mon Sauveur , je cours à vos pieds dans le sacré jardin : je me prosterne avec vous la face contre terre : je m'approche autant que je puis de votre saint corps, pour recueillir sur le mien les grumeaux de sang qui découlent de toutes vos veines. Je prends à deux mains le calice que votre Père m'envoie. Vous n'aviez pas besoin d'un ange pour vous consoler dans votre agonie (1) : c'est pour moi qu'il vient à vous. Venez , ange saint ; venez, aimable consolateur de Jésus-Christ souffrant et agonisant dans ses membres; venez. Fuyez, troupes infernales; ne voyez-vous pas ce saint ange , la croix de Jésus-Christ en main? Ah ! mon Sauveur, je le dirai avec vous : « Tout est consommé (2). Amen, amen; » tout est fait. « Je remets mon esprit entre vos mains (3). » Mon âme, commençons l’ Amen éternel, l’ Alléluia éternel, qui sera la joie et le cantique des bienheureux dans l'éternité.

« Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur : » Misericordius Domini in œternum cantabo (4).

 

Amen, alléluia.

 

O moment heureux,  où nous sortirons des ombres et des énigmes pour voir la vérité manifestée ! Courons-y avec ardeur. Hâtons-nous de purifier notre cœur, afin de voir Dieu selon la promesse de l'Evangile. C'a été le temps du voyage : « Là finissent les gémissements (5) ; » là s'achèvent les travaux de la foi, quand elle va pour ainsi dire enfanter la claire vue. Heureux moment, encore une fois ! Qui ne le désire pas, n'est pas chrétien.

 

1 Luc., XXII, 43. — 2 Joan., XIX, 30. — 3 Luc., XXIII, 46. — 4 Psal. LXXXVIII, 1. — 5 Apoc., XXI, 4.

 

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COURTES PRIÈRES
QUE  L’ON  PEUT  FAIRE  RÉITÉRER  SOUVENT  A  UN  MALADE,   AUX  APPROCHES DE  LA  MORT.

 

CONTRE LES TERREURS  DE  LA MORT.

 

« Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, quand il serait mort, il vivra; et celui qui vit et croit en moi, ne mourra point à jamais. Celui qui croit en moi ne connaîtra point la mort (1). »

O  Jésus , soyez ma vie et ma résurrection, selon votre parole.

Je me soumets, ô Dieu, ô juste Juge, à la sentence de mort que vous avez donnée contre moi à cause de mon péché. « O mort, je serai ta mort,» dit le Fils de Dieu. « O mort, ouest ta victoire? où est ton aiguillon (2) ? » où sont tes armes? Mon Seigneur t'a désarmée.

 

CONTRE LES TERREURS DE LA CONSCIENCE.

 

Mon Dieu, ayez pitié de moi, pauvre pécheresse. Mon Dieu , « j'ai péché contre le ciel et contre vous; je ne suis pas digne d'être appelée votre fille : traitez-moi comme le moindre de vos serviteurs (3). »

« Qui accusera les élus de Dieu? c'est Dieu qui les justifie. Qui les condamnera? c'est Jésus-Christ, qui est mort, qui est aussi ressuscité, qui est à la droite de son Père et qui intercède pour moi. Qui donc me séparera de la vérité et de la charité de Jésus-Christ (4)?» Qui me privera de son amour? Qui m'empêchera de l'aimer ?

« Celui à qui on remet davantage, aime davantage (5). »

In te, Domine, speravi; non confundar in œternum. In manus tuas. Domine, commendo spirittim meum.  Redemisti me, Domine Deus veritatis (6).

« Où le péché a abondé, la grâce surabonde (7). »

 

1 Joan., XI, 25, 26; VIII, 51, 52. — 2 Osée, XIII, 14 ; I Cor., XV, 55. — 3  Luc., XV, 18, 19. — 4 Rom., VIII, 33-35.— 5 Luc., VII, 47.— 6 Psal. XXX, 2, 6 — 7 Rom., V, 20.

 

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DANS LES GRANDES DOULEURS.

 

« Je suis attaché à la croix avec Jésus-Christ ; et je vis , non pas moi, mais Jésus-Christ en moi. Je vis en la foi du Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré à la mort pour moi (1). »

Que « je porte, » mon Dieu , « sur mon corps l'impression de la mort de Jésus , afin que la vie de Jésus se développe sur moi (2). O mon Père, si vous le voulez, vous pouvez détourner de moi ce calice ; mais, ô mon Dieu, votre volonté soit faite, et non pas la mienne (3). »

Mon Dieu, donnez-moi la patience. Vous nous avez promis « que vous ne nous laisseriez pas tenter au-dessus de nos forces (4).» Vous êtes fidèle, ô mon Dieu ; je me fie à votre promesse. Je le sais, Seigneur; si ce grain , si ce corps mortel n'est mortifié, il ne portera aucun fruit. Faites-moi faire de dignes fruits de pénitence. O Jésus, j'embrasse la croix que vous m'imposez : je la veux porter jusqu'au bout; donnez-moi la force de la soutenir.

Acceptez ce faible sacrifice ; et unissez-le au vôtre, qui est parfait et infini.

 

EN  ADORANT ET BAISANT  LA  CROIX.

 

O Jésus, vous avez été élevé sur cette croix pour être l'objet de notre espérance. « Il fallait que vous fussiez élevé » sur cette croix « comme le serpent dans le désert (5), » afin que tout le monde put tourner ses yeux vers vous. La guérison de tout l'univers a été le fruit de cette cruelle et mystérieuse exaltation. O Jésus, je vous adore sur cette croix ; et m'y tenant à vos pieds, je vous dis comme l'Epouse : « Tirez-moi ; nous courrons après vous (6). » La miséricorde qui vous fait subir le supplice de la croix, l'amour qui vous fait mourir et qui sort par toutes vos plaies, est le doux parfum qui s'exhale pour attirer mon cœur. Tirez-moi de cette douce et puissante manière dont vous avez dit que « votre Père tire à vous tous ceux qui y viennent (7), » de cette manière toute-puissante qui ne me permette pas de demeurer en

 

Galat., II, 19, 20. — 2 II Cor., IV, 10. — 3 Luc., XXII, 42. — 4 I Cor., X, 13. — 5 Joan., III, 14. — 6 Cant., I, 3. — 7 Joan., VI, 44.

 

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chemin. Que j'aille jusqu'à vous, jusqu'à votre croix : que j'y sois uni, percé de vos douleurs, crucifié avec vous ; en sorte que je ne vive plus que pour vous seul, et que je n'aspire plus qu'à cette vie immortelle, que vous nous avez méritée par la croix.

O  Jésus, que tout est vil à qui vous a trouvé , à qui est attiré jusqu'à vous, jusqu'à votre croix ! O Jésus, quelle vertu vous avez cachée dans cette croix! Faites-la sentir à mon cœur, maintenant que mes douleurs m'y tiennent attaché.

Le Psaume Miserere, versets choisis.

Le Psaume Lœtatus sum, de même.

Le Psaume Benedic, anima mea, Domino.

Le Psaume Quàm dilecta, de même.

Le Psaume Quemadmodum desiderat.

Il faut choisir les traits les plus perçants de la Préparation à la mort, et les réciter de temps en temps.

Misericordias Domini in œternum cantabo.

Deus meus, misericordia mea.

On peut dire en latin ce que le malade entend.

 

 

EXERCICE
POUR SE DISPOSER A BIEN MOURIR.

 

Vous ferez un acte de foi en la présence de Dieu , et demeurerez avec respect devant lui, comme si vous n'aviez plus que ce moment à vivre ; et en cet état, vous l'adorerez profondément, lui disant :

Mon Dieu, je vous adore de toute ma volonté, et pour le faire plus dignement, je m'unis à toutes les saintes âmes du ciel et de la terre, qui le font maintenant ; et je crois fermement que vous êtes mon Dieu et mon juste Juge, auquel je dois un jour, et peut-être dans ce moment, rendre un compte exact de toutes mes pensées, paroles et actions.

 

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ACTE DE FOI.

 

Je proteste aussi, mon Dieu, que je crois tout ce que l'Eglise croit ; et je veux mourir dans la vraie et vive foi de tout ce qu'elle m'enseigne , étant prête, par votre grâce , de donner ma vie et de répandre mon sang jusqu'à la dernière goutte pour confirmer cette divine foi.

 

ACTE DE DÉSIR DE VOIR DIEU.

 

Je désire ardemment, ô mon Dieu, de jouir de vous et de vous voir, puisque c'est vous qui êtes mon bonheur et ma vraie félicité. Mais je sais, ô mon Dieu, que je ne le mérite par aucune de mes œuvres, mais uniquement par les mérites de mon Jésus. C'est aussi par tout ce qu'il a fait et souffert pour moi que j'ose espérer, quoique misérable pécheresse, que je jouirai de vous éternellement.

 

ACTE DE CONTRITION.

 

Toute ma confiance, ô mon Dieu, est dans les mérites du sang précieux que Jésus-Christ a répandu pour effacer mes crimes; et c'est en son saint nom que je vous demande pardon, prosternée aux sacrés pieds de ce divin Sauveur de mon âme, dans un vrai ressentiment d'humiliation à la vue de mes résistances à vos grâces et des infidélités que j'ai commises contre vous. Je vous en demande pardon, dans la confiance que vous ne pouvez refuser un cœur contrit et humilié.

Miserere mei, Deus, etc.

 

ACTE D'AMOUR.

 

Ah ! mon Dieu, faites-moi miséricorde et la grâce que mon cœur brûle de votre saint amour pour le temps et pour l'éternité. Je ne le puis que par votre grâce ; ô mon Dieu, ne me la refusez pas : je vous la demande de tout mon cœur ; et vous proteste que je veux et consens d'être séparée par la mort de tout ce qui m'est le plus cher, quand il vous plaira et de la manière que vous le voudrez, puisque vous m'êtes plus cher que tout et que moi-même.

 

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ACTE DE SOUMISSION.

 

Prosternée à vos pieds cloués pour moi sur la croix, ô Jésus, je proteste que de toute ma volonté j'accepte la mort par soumission à votre volonté et par hommage à la votre, adorant le jugement que vous ferez de moi. Je vous supplie par les mérites de votre mort de me le rendre favorable, pour que je puisse m'unir à vous éternellement : car par votre grâce je vous aime et désire vous aimer de tout mon cœur, plus que moi-même et que toutes les choses de ce monde, que je vous sacrifie de toute ma volonté.

 

FIN  DU  SEPTIÈME   VOLUME.

 

 

 

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