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XIVe SEMAINE. LES EFFETS QUE PRODUIT SUR LES HOMMES LE VERBE INCARNÉ
INCONTINENT APRÈS SON INCARNATION.
PREMIÈRE ÉLÉVATION. Marie va visiter sainte Elisabeth.
IIe ELEVATION. Jésus-Christ moteur secret des cœurs : divers mouvement qu'il
excite dans les âmes dont il s'approche.
IIIe ÉLÉVATION. Le cri de sainte Elisabeth et son humble étonnement.
IVe ÉLÉVATION. Le tressaillement de saint Jean.
Ve ÉLÉVATION. Le cantique de Marie : première partie.
VIe ÉLÉVATION. Seconde partie du cantique à ces paroles : Le Tout-Puissant m'a
fait de grandes choses.
VIIe ÉLÉVATION. Suite du cantique, où sont expliqués les effets particuliers de
l'enfantement de Marie et de l'incarnation du Fils de Dieu.
VIIIe ÉLÉVATION. Effets particuliers de l’enfantement de Marie dans les deux
derniers versets de son cantique.
IXe ÉLÉVATION. Demeure de Marie avec Elisabeth.
« Aussitôt après » que Marie eut
conçu le Verbe dans son sein, « elle part et marche avec promptitude dans le
pays des montagnes de Judée (1), » pour visiter sa cousine sainte Elisabeth. Ne
sentons-nous point la cause de cette promptitude, de cette élévation, de cette
visite? Quand on est plein de Jésus-Christ, on l'est en même temps de charité,
d'une sainte vivacité, de grands sentiments ; et l'exécution ne souffre rien de
languissant. Marie, qui porte la grâce avec Jésus-Christ dans son sein , est
sollicitée par un divin instinct à l'aller répandre dans la maison de Zacharie,
où Jean-Baptiste vient d'être conçu.
C'est aux supérieurs à
descendre, à prévenir. Marie, qui se voyait prévenue par le Verbe descendu en
son sein, pouvait-elle n'être pas touchée du désir de s'humilier et de descendre
à son exemple? Jésus doit être précédé par saint Jean au dehors ; mais au dedans
c'est Jésus qui le devait prévenir, qui le devait sanctifier. Il fallait que
Jean reçût de Jésus la première touche de la grâce.
Si vous sortez, âmes saintes et
cachées, que ce soit pour chercher les saintes, les Elisabeths qui se cachent
elles-mêmes : allez vous cacher avec elles : cette sainte société honorera Dieu
et fera paraître ses grâces.
Dans toutes les visites que nous
rendons, imitons Marie : rendons-les en charité : alors sous une simple
civilité, il se cachera
1 Luc., I, 39.
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de grands mystères : la grâce s'augmentera ou se déclarera
par
l'humilité et par l'exercice d'une amitié sainte.
Cultivez , âmes pieuses, les
devoirs de la parenté : soyez amies, femmes chrétiennes, comme Marie et
Elisabeth : que votre amitié s'exerce par la piété : que vos conversations
soient pleines de Dieu. Jésus sera au milieu de vous, et vous sentirez sa
présence.
Hommes, imitez aussi ces saintes
et humbles femmes. O Dieu, sanctifiez les visites: ôtez-en la curiosité,
l'inutilité, la dissipation , l'inquiétude, la dissimulation et la tromperie :
faites-y régner la cordialité et le bon exemple.
Merveille de cette journée !
Jésus-Christ est caché, et c'est lui qui opère tout : il ne paraît en lui aucun
mouvement, il meut tout : non-seulement Marie et Elisabeth , mais encore
l'enfant qui est au sein de sa mère, agissent sensiblement. Jésus , qui est en
effet le moteur de tout, est le seul qui paraît sans action , et son action ne
se produit que par celle qu'il inspire aux autres.
Nous voyons ici dans ces trois
personnes sur lesquelles Jésus-Christ agit, trois dispositions différentes des
âmes dont il approche : « D'où me vient ceci (1), » dit Elisabeth ? Elle
s'étonne de l'approche de Dieu ; et n'en pouvant découvrir la cause dans ses
mérites, elle demeure dans l'étonnement des bontés de Dieu. En d'autres âmes
Dieu opère le transport et de saints efforts pour les faire venir à lui : c'est
ce qui paroitdans le tressaillement de saint Jean-Baptiste. Sa dernière
opération est la paix dans la glorification de la puissance divine ; et c'est ce
qui paraît dans la sainte Vierge. Voyons donc dans ces trois personnes si
diversement émues, ces trois divines opérations de Jésus-Christ dans les âmes :
dans Elisabeth l'humble étonnement d'une âme de qui il
1 Luc., I, 43.
239
approche : dans Jean-Baptiste le saint transport d'une âme
qu'il attire : et dans Marie l'ineffable paix d'une aine qui le possède.
A la voix de Marie et à sa
salutation , « l'enfant tressaillit dans son sein ; et remplie du Saint-Esprit
elle s'écria : » Ce grand cri de sainte Elisabeth marque tout ensemble et sa
surprise et sa joie; « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de
vos entrailles est béni (1). » Celui que vous y portez est celui en qui toutes
les nations seront bénies : il commence par vous à répandre sa bénédiction : «
D'où me vient ceci, que la Mère de mon Seigneur vienne à moi (2) ? » Les âmes
que Dieu aborde, étonnées de sa présence inespérée, le premier mouvement
qu'elles font est de s'éloigner en quelque sorte comme indignes de cette grâce :
« Retirez-vous de moi, Seigneur, disait saint Pierre, parce que je suis un
pécheur (3). » Et le Centenier : « Seigneur, je ne suis pas digne que vous
entriez dans ma maison (4). » Dans un semblable sentiment, mais plus doux,
Elisabeth , quoique consommée dans la vertu, ne laisse pas d'être surprise de se
voir approchée par le Seigneur d'une façon si admirable. « D'où me vient ceci,
que la Mère de mon Seigneur, » et qui le porte dans son sein, » vienne à moi? »
Elle sent que c'est le Seigneur qui vient lui-même, mais qui vient et qui agit
par sa sainte Mère : « A votre voix, dit-elle, l'enfant que je porte a
tressailli dans mon sein (5) : » il sent la présence du maître, et commence à
faire l'office de son précurseur, si ce n'est encore par la voix, c'est par ce
soudain tressaillement : la voix môme ne lui manque pas, puisque c'est lui qui
secrètement anime celle de sa mère. Jésus vient à lui par sa mère , et Jean le
reconnaît par la sienne.
Dans cette dispensation des
grâces de Jésus-Christ sur Elisabeth et sur sou fils à la Visitation de la
sainte Vierge, l'avantage
2 Luc., I, 41, 42. — 2 Ibid.,
13. — 3 Ibid., V, 8. — 4 Matth., VIII, 8— 5 Luc., I, 44.
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est tout entier du côté de l'enfant. C'est ce qui fait dire
à un saint Père (1) : « Elisabeth a la première écouté la voix , mais Jean a le
premier senti la grâce : Elisabeth, » poursuit saint Ambroise, « a la première
aperçu l'arrivée de Marie : mais Jean a le premier senti l'avènement de Jésus :
» Illa Mariœ, iste Domini sensit adventum.
Elisabeth, comme revenue de son
étonnement, s'étend sur la louange de la sainte Vierge : « Vous êtes heureuse
d'avoir cru : ce qui vous a été dit par le Seigneur sera accompli (2) : » vous
avez conçu vierge, vous enfanterez vierge : votre Fils remplira le trône de
David, et son règne n'aura point de fin.
Croyons donc, et nous serons
bienheureux comme Marie : croyons comme elle au règne de Jésus et aux promesses
de Dieu : Disons avec foi : « Que votre règne arrive (3) : » Crions avec tout le
peuple : « Déni soit celui qui est venu au nom du Seigneur, et béni soit le
règne de notre père David (4) ! »
La béatitude est attachée à la
foi : « Vous êtes bienheureuse d'avoir cru : Vous êtes bienheureux, Simon, parce
que ce n'est point la chair et le sang qui vous ont révélé » la foi que vous
devez annoncer, « mais que c'est mon Père céleste (5). » Et où est cette
béatitude de la foi ? « Bienheureuse d'avoir cru : ce qui vous a été dit
s'accomplira (6). » Vous avez cru, vous verrez : vous vous êtes fiée aux
promesses, vous recevrez les récompenses : vous avez cherché Dieu par la foi ,
vous le trouverez par la jouissance.
Mettons donc tout notre bonheur
dans la foi : ne soyons point insensibles à cette béatitude : c'est Jésus-Christ
lui-même qui nous la propose : la gloire de Dieu et sa volonté se trouvent dans
notre béatitude : ce qui est bienheureux est excellent en même temps : il est
plus heureux de donner que de recevoir, c'est-à-dire il est meilleur. On est
bienheureux de croire : il n'est rien de plus excellent ni de meilleur que la
foi, qui appuyée sur les promesses, s'abandonne aux bontés de Dieu et ne songe
qu'à lui plaire : Beata quœ credidisti.
1 Ambr., 1. II, in Luc.,
n. 23. — 2 Luc., I, 45. — 3 Matth., VI, 10. — 4 Marc., XI,
9, 10. — 5 Matth., XVI, 17. — 6 Luc., I, 45.
241
Quand l’âme dans son ignorance
et ses ténèbres ressent les premières touches de la divine présence, après ce
premier étonnement par lequel elle semble s'éloigner, rassurée par sa bonté,
elle se livre à la confiance et à l'amour. Elle sent je ne sais quels
mouvements, souvent encore confus et peu expliqués : ce sont des transports vers
Dieu et des efforts pour sortir de l'obscurité où l'on est, et rompre tous les
liens qui nous y retiennent. C'est ce que veut faire saint Jean, saisi d'une
sainte joie il voudrait parler ; mais il ne sait comment expliquer son
transport. Jésus-Christ qui en est l'auteur, en connaît la force ; et quoiqu'en
apparence il ne fasse rien, il se fait sentir au dedans par un subit ravissement
qu'il inspire à l’âme. Ame qui te sens saisie d'un si doux sentiment, s'il ne
t'est pas encore permis de parler, il t'est permis de tressaillir!
Venez, Seigneur, venez me
toucher d'un saint et inopiné désir d'aller à vous. Que ce désir s'élève en moi
aujourd'hui à la voix de votre mère : faites-moi dire avec Elisabeth : « D'où me
vient ceci? » Faites-moi dire : Elle est « heureuse d'avoir cru, » et je veux
imiter sa foi. Faites-moi tressaillir comme Jean-Baptiste ; et enfant encore
dans la piété, recevez mes innocents transports. Je ne suis pas un Jean, en qui
votre grâce avance l'usage de la raison ; je suis un vrai enfant dans mon
ignorance : agréez mon bégaiement, et l'a, a, a de ma langue (1), qui n'est pas
encore dénouée : c'est vous du moins que je veux ; c'est à vous seul que
j'aspire ; et je ne puis exprimer ce que votre grâce inspire à mon cœur.
1 Jerem., I, 2.
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Ces premiers transports d'une
âme qui sort d'elle-même et qui déjà ne se connaît plus , sont suivis d'un calme
ineffable , d'une paix qui passe les sens et d'un cantique céleste.
« Mon âme glorifie le Seigneur,
et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur (1). » Que dirai-je sur ce
divin cantique ? Sa simplicité, sa hauteur qui passe mon intelligence m'invite
plutôt au silence qu'à parler. Si vous voulez que je parle, ô Dieu, formez
vous-même mes paroles.
Quand l’âme entièrement sortie
d'elle, ne glorifie plus que Dieu et met en lui toute sa joie, elle est en paix,
puisque rien ne lui peut ôter celui qu'elle chante.
« Mon âme glorifie : mon âme
exalte le Seigneur : » après qu'elle s'est épuisée à célébrer ses grandeurs,
quoi qu'elle ait pensé, elle l'exalte toujours le perdant de vue, et s'élevant
de plus en plus au-dessus de tout.
« Mon esprit est ravi de joie en
Dieu mon Sauveur. » Au seul nom de Sauveur, mes sens sont ravis ; et ce que je
ne puis trouver en moi, je le trouve en lui avec une inébranlable fermeté.
« Parce qu'il a regardé la
bassesse de sa servante. » Si je croyais de moi-même pouvoir attirer ses
regards, ma bassesse et mon néant m'ôterait le repos avec l'espérance. Mais
puisque de lui-même , par pure bonté il a tourné vers moi ses regards, j'ai un
appui que je ne puis perdre, qui est sa miséricorde par laquelle il m'a
regardée, à cause qu'il est bon et libéral.
Elle ne craint point après cela
de reconnaître ses avantages, dont elle a vu la source en Dieu et qu'elle ne
peut plus voir que dans ce principe : « Et voilà, dit-elle, que tous les siècles
me reconnaîtront bienheureuse. »
Ici étant élevée à une plus
haute contemplation, elle commence
1 Luc., I, 46 et seq.
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à joindre son bonheur à celui de tous les peuples rachetés,
et c'est comme la seconde partie de son cantique.
« Celui qui seul est puissant a
fait en moi de grandes choses, et son nom est saint, et sa miséricorde s'étend
d'âge en âge et de race en race sur ceux qui le craignent (1) » Elle commence à
voir que son bonheur est le bonheur de toute la terre, et qu'elle porte celui en
qui toutes les nations seront bénies. Elle s'élève donc à la puissance et à la
sainteté de Dieu, qui est la cause de ces merveilles.
Celui qui est seul puissant a
fait en moi un ouvrage seul digne de sa puissance : un Dieu homme, une mère
vierge, un enfant qui peut tout ; un pauvre dépouillé de tout et néanmoins
sauveur du monde, dompteur des nations et destructeur des superbes.
« Et son nom est saint : » Dieu
est la sainteté même : il est saint et sanctifiant : et quand est-ce qu'il le
paraît davantage, que lorsque son Fils qui est aussi celui de Marie, répand la
miséricorde . la grâce et la sainteté d'âge en âge sur ceux qui le craignent?
Si nous voulons participer à
cette grâce, soyons saints ; et publions en même temps avec toutes les nations,
que Marie est bienheureuse.
Pour expliquer de si grands
effets, Marie en revient à la puissance de Dieu : « Il a, dit-elle, déployé la
puissance de son bras : il a dissipé ceux qui étaient enflés d'orgueil dans les
pensées de leur cœur. Il a renversé les puissants de dessus le trône , et il a
élevé les humbles (2). » Quand est-ce qu'il a fait toutes ces
1 Luc., I, 49, 50. — 2 Ibid., 51, 52.
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merveilles, si ce n'est quand il a envoyé son Fils au
monde, qui a confondu les rois et les superbes empires par la prédication de son
Evangile ? Ouvrage où sa puissance a paru d'autant plus admirable , « qu'il
s'est servi de la faiblesse pour anéantir la force, et de ce qui n'était pas
pour détruire ce qui était, afin que ne parois-sant rien du côté de l'homme (1),
» on attribuât tout à la seule puissance de son bras. C'est pourquoi il a paru
au milieu des hommes comme n'étant rien. Et lorsqu'il a dit : « Je vous loue,
mon Père, Dieu du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces mystères
aux sages et aux prudents, et que vous les avez révélés aux petits (2) : »
n'a-t-il pas véritablement confondu les superbes et élevé ceux qui étaient vils
à leurs yeux et à ceux des autres ?
Marie elle-même en est un
exemple : il l'a élevée au-dessus de tout, parce qu'elle s'est déclarée la plus
basse des créatures. Quand il s'est fait une demeure sur la terre, ce n'a point
été dans les palais des rois : il a choisi de pauvres, mais d'humbles parents et
tout ce que le monde méprisait le plus pour en abattre la pompe. C'est donc là
le propre caractère de la puissance divine dans la nouvelle alliance, qu'elle y
fait sentir sa vertu par la faiblesse même.
« Il a rassasié les affamés, et
il a renvoyé les riches avec les mains vides (3). » Et quand ? Si ce n'est
lorsqu'il a dit : « Heureux ceux qui ont faim, car ils seront rassasiés (4) :
Malheur à vous qui êtes rassasiés, car vous aurez faim (5). » C'est ici qu'il
faut dire avec Marie : Mon âme glorifie le Seigneur et n'exalte que sa
puissance, qui va paraître par l'infirmité et par la bassesse.
C'est là que l’âme trouve sa
paix, lorsqu'elle voit tomber toute la gloire du monde, et Dieu seul demeurer
grand.
Les palais et les trônes sont à
bas : les cabanes sont relevées :
1 I Cor., I, 27-29. — 2 Matth.,
XI, 25. — 3 Luc., I, 53. — 4 Matth., V, 6. — 5 Luc., VI,
25.
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toute fausse grandeur est anéantie : c'est un effet général
de l'enfantement de Marie dans toute la terre. Mais ne dira-t-elle rien de la
rédemption d'Israël et de ces brebis perdues de la maison de Jacob, pour
lesquelles son Fils a dit qu'il était venu? Ecoutons la fin du divin cantique :
« Il a pris en sa protection Israël son serviteur (1). » Ce n'est point à cause
des mérites dont se vantaient les présomptueux : au contraire il a abattu le
faste pharisaïque et les superbes pensées des docteurs de la loi : il a reçu un
Nathanaël, vrai Israélite, simple, sans présomption comme sans fard et sans
fraude : et voilà les Israélites qu'il a protégés, à cause qu'ils mettaient leur
confiance, non point en eux-mêmes, mais en sa grande miséricorde : « Il s'est
souvenu des promesses qu'il a faites à Abraham et à sa postérité, » qui doit
subsister « aux siècles des siècles (2). »
Heureux que Dieu ait daigné
s'engager avec nous par des promesses. Il pouvait nous donner ce qu'il eut voulu
: mais quelle nécessité de nous le promettre, si ce n'est qu'il voulait, comme
dit Marie, faire passer d'âge en âge sa miséricorde, en nous sauvant par le don
et nos pères par l'attente. Attachons-nous donc avec Marie aux immuables
promesses de Dieu qui nous a donné Jésus-Christ. Disons avec Elisabeth : Nous
sommes heureux d'avoir cru : ce qui nous a été promis s'accomplira. Si la
promesse du Christ s'est accomplie tant de siècles après, doutons-nous qu'à la
fin des siècles tout le reste ne s'accomplisse? Si nos pères avant le Messie ont
cru en lui, combien maintenant devons-nous croire, que nous avons Jésus-Christ
pour garant de ces promesses? Abandonnons-nous à ces promesses de grâce, à ces
bienheureuses espérances et noyons dedans toutes les trompeuses espérances dont
le monde nous amuse.
« Nous sommes les vrais enfants
de la promesse : enfants selon la foi, et non pas selon la chair (3); » qui ont
été montrés à Abraham, non point en la personne d'Ismaël, ni dans les autres
enfants sortis d'Abraham selon les lois de la chair et du sang, mais en la
personne d'Isaac qui est venu selon la promesse par grâce et par miracles.
Abraham a cru à cette promesse, « pleinement persuadé
1 Luc., I, 54. — 2 Ibid., 54, 55. — 3
Galat., IV, 28; Rom., IX, 7, 8.
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et sachant très-bien que Dieu est puissant pour faire ce
qu'il a promis (1). » Il ne dit pas seulement qu'il prévoit ce qui doit arriver,
mais qu'il fait ce qu'il a promis : il a promis à Abraham des enfants selon la
foi : il les fait donc. Nous sommes ses enfants selon la foi : il nous a donc
faits enfants de foi et de grâce, et nous lui devons cette nouvelle naissance.
Si Dieu nous a faits par grâce selon sa promesse, ce n'a point été par nos
œuvres, mais par sa miséricorde qu'il nous a produits et régénérés. Nous sommes
ceux que voyait Marie, quand elle voyait la postérité d'Abraham : nous sommes
ceux au salut de qui elle a consenti, quand elle a dit : « Qu'il me soit fait
selon votre parole (2). » Elle nous a tous portés dans son sein avec
Jésus-Christ, en qui nous étions.
Chantons donc sa béatitude avec
la nôtre : publions qu'elle est bienheureuse, et agrégeons-nous à ceux qui la
regardent comme leur mère. Prions cette nouvelle Eve qui a guéri la plaie de la
première, au lieu du fruit défendu dont nous sommes morts, de nous montrer le
fruit béni de ses entrailles. Unissons-nous au saint cantique, où Marie a chanté
notre délivrance future. Disons avec saint Ambroise : « Que l’âme de Marie soit
en nous pour glorifier le Seigneur : que l'esprit de Marie soit en nous pour
être ravis de joie en Dieu notre Sauveur (3). » Comme Marie, mettons notre paix
à voir tomber toute la gloire du monde, et le seul règne de Dieu exalté, et sa
volonté accomplie.
« Marie demeura environ trois
mois dans la maison d'Elisabeth, et elle retourna en sa maison (4). » La charité
ne doit pas être passagère : Marie demeure trois mois avec Elisabeth : quiconque
porte la grâce ne doit point aller en courant, mais lui donner le temps
d'achever son œuvre. Ce n'est pas assez que l'enfant ait tressailli une fois, ni
qu'Elisabeth ait crié : « Vous êtes heureuse, » il faut fortifier l'attrait de
la grâce, et c'est ce qu'a fait Marie, ou plutôt
1 Rom.,
IV, 20, 21.— 3 Luc., I, 38. — 3 Ambr., in Luc., l. II, n.
26.— 4 Luc., I, 58.
247
ce qu'a fait Jésus en demeurant trois mois avec son
précurseur.
Regardons ce saint précurseur
sanctifié dès le ventre de sa mère. Gomme les autres il était conçu dans le
péché : mais Jésus-Christ a voulu prévenir sa naissance, et la rendre sainte. Il
a voulu qu'il fît son office de précurseur jusque dans le ventre de sa mère. Il
ne faut pas s'étonner si dès le commencement de l'évangile de l'apôtre saint
Jean, on voit Jean-Baptiste si étroitement uni à Jésus. Jean-Baptiste, qui «
n'était pas la lumière , » devait pourtant et devait avant sa naissance, et dès
le sein de sa mère, « rendre témoignage à la lumière (1) » encore cachée. Il
n'était pas la lumière, puisque conçu dans le péché, il attendait pour en sortir
la présence du Sauveur. « Il y avait une véritable lumière qui illumine tout
homme venant au monde (2) ; » et c'est par cette lumière que Jean a été
illuminé, afin que nous entendions que s'il montre Jésus-Christ au monde, c'est
par la lumière qu'il reçoit de Jésus-Christ même. O Marie, ô Elisabeth, ô Jean,
que vous nous montrez aujourd'hui de grandes choses! Mais, ô Jésus, Dieu caché,
qui sans paraître faites tout dans cette sainte journée, je vous adore dans ce
mystère et dans toutes les œuvres cachées de votre grâce.
Savoir si la sainte Vierge vit
la naissance de saint Jean, l'Evangile n'a pas voulu nous le découvrir.
Elisabeth était dans son sixième mois, quand Marie la vint visiter : elle fut
environ trois mois avec elle : elle était donc ou à terme ou bien près de son
terme : et l'Evangile ajoute aussi que « le temps d'Elisabeth s'accomplit (3), »
insinuant selon quelques-uns qu'il s'accomplit pendant que Marie était avec
elle. Mais qui osera l'assurer, puisque l'Evangile semble avoir évité de le
dire? Quoi qu'il en soit, ou Marie attachée à sa solitude, et prévoyant l'abord
de tout le monde au temps de l'enfantement d'Elisabeth, le prévint par sa
retraite : ou si elle est demeurée avec tous les autres, elle y a été humble et
cachée, inconnue, sans s'être fait remarquer dans une si grande assemblée et
contente d'avoir agi envers ceux à qui Dieu l'avait envoyée. O humilité! ô
silence, qui n'a été interrompu que par un cantique inspiré de Dieu, puissé-je
vous imiter toute ma vie !
1 Joan., I, 8. — 2 Ibid.,
9. —3 Luc., I, 57.
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