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OPUSCULES (suite).
EXERCICE DE LA SAINTE MESSE.
A l'Introït.
Au Kyrie, eleison.
Au Gloria in excelsis.
A L'Evangile.
A L'Offertoire.
A la Préface.
A l'Elévation.
Pour la Communion spirituelle.
Aux dernières Oraisons.
PRIÈRES POUR SE PRÉPARER A LA SAINTE COMMUNION.
Ire PARTIE DE LA PRIÈRE.
IIe PARTIE DE LA PRIÈRE.
IIIe PARTIE DE LA PRIÈRE.
DISCOURS SUR L'ACTE D'ABANDON A DIEU. Ses caractères, ses conditions et ses
effets.
SUR LE PARFAIT ABANDON.
ACTE D'ABANDON.
AUTRE ACTE.
SUR L'ATTENTE DE LA GRACE ET L'UNION AVEC LE BIEN-AIMÉ (a).
RÉNOVATION DE L'ENTRÉE DANS LA SAINTE RELIGION.
DU PROPHÈTE ISAIE.
RÉFLEXIONS.
ÉLÉVATION POUR LE RENOUVELLEMENT DES VŒUX, LE JOUR DE LA TOUSSAINT.
RETRAITE DE DIX JOURS SUR LA PÉNITENCE.
AVERTISSEMENT.
PREMIER JOUR.
IIe JOUR.
IIIe JOUR.
IVe JOUR.
Ve JOUR.
VIe JOUR.
VIIe JOUR.
VIIIe JOUR.
IXe JOUR.
Xe JOUR.
CONCLUSION.
Au commencement de la Messe,
voyant le prêtre, vous vous représenterez Jésus-Christ revêtu de cet habit
blanc, qui est signifié par l'aube du prêtre, adorant le Père éternel ; et vous
lui offrirez ce sacrifice, lui disant de cœur :
Mon Dieu, je vous adore de
toutes les forces de mon âme ; et je vous offre ce saint sacrifice [tour honorer
et renouveler la passion de mon Jésus, et par lui le mérite de ses douleurs. Je
vous demande pardon de mes crimes et la grâce d'une parfaite conversion : que je
sois par amour totalement à vous, confessant, mon Dieu, que je suis indigne
d'assister à ce grand sacrifice. Mais je m'accuse à vos pieds de tous les péchés
que j'ai commis, selon la parfaite connaissance que vous en avez ; je vous en
demande pardon et miséricorde, et une véritable douleur de vous avoir offensé.
Dites le Confiteor.
Vous honorerez la première
entrée du Fils de Dieu dans le monde pour la rédemption des hommes, et tâcherez
de reconnaître cet amour par amour, lui disant :
Ah ! mon doux Jésus, je vous
aime ; et je veux vous aimer de toutes les forces de mon âme, et qu'à jamais je
reconnaisse les bontés que vous avez pour tous les hommes et pour mon âme en
particulier.
Faites en sorte
que votre esprit s'applique à la reconnaissance des miséricordes de Jésus-Christ
venant au monde.
Imaginez-vous toute la nature
humaine prosternée devant la majesté de Dieu, demandant miséricorde à ce bon
Jésus, qui ne
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vient au monde que pour vous la faire. Honorez toujours
cette première entrée, et lui dites :
Ah! mon Seigneur, faites-moi
miséricorde, s'il vous plaît, et à tout votre pauvre peuple qui vous la demande
avec moi.
Vos anges, Seigneur, nous ont
annoncé par ce cantique la réconciliation des hommes avec votre majesté. Vous
promettez, mon Dieu, que la paix et la tranquillité seront assurées aux hommes
de bonne volonté. Donnez-la-moi bonne, s'il vous plaît, puisque je ne veux
chercher de véritable repos qu'en vous, qui êtes mon souverain bien.
Honorez la charité infinie de
Jésus-Christ venant au monde, et voyez que c'est pour glorifier le Père éternel
et sauver le genre humain. Demandez-lui que vous reconnaissiez cette bonté par
une grande fidélité à son service.
Vous tâcherez de l'entendre avec
respect, vous représentant que c'est la vraie publication des œuvres du Fils de
Dieu étant au monde, pour servir de modèle de perfection aux âmes chrétiennes et
aux religieuses plus particulièrement, puisque, pour imiter Jésus-Christ, elles
ont renoncé à tout pour suivre, aimer et servir Dieu, sachant qu'on ne peut
avoir deux maîtres sans aimer l'un et haïr l'autre, comme dit le même Seigneur
(1). Anéantissez-vous; avouez que vous n'avez pas ouï la parole du saint
Evangile avec le respect que vous deviez, puisque bien souvent, quoique
consacrée à Dieu, vous avez voulu en le servant aimer le monde avec lui. Pendant
que l'on achèvera l'évangile, faites des résolutions contraires.
Pendant le Credo, vous ne
ferez autre chose que dire intérieurement à Dieu : Je crois ce que la sainte
Eglise me commande de croire, sans en douter; et je vous remercie, ô mon Dieu,
de ce que vous m'avez fait naître dans la vraie Eglise ; je vous supplie que j y
meure, et que par votre sang et l'amour que vous lui portez
1 Matth., VI, 24.
528
comme à votre Epouse, vous augmentiez le nombre de ses
enfants et la renouvelliez, convertissant les Juifs, avec tous les infidèles et
les hérétiques à la vraie et unique foi pour laquelle je souhaite par votre
grâce donner ma vie.
Si cela ne suffit pas pour vous
occuper pendant le Credo, vous n'avez qu'à vous arrêter intérieurement
aux paroles qui y sont dites, que Jésus est né d'une vierge, qu'il a souffert la
mort, et est descendu aux enfers, ressuscité et assis à la droite de son Père,
où il prie pour nous et est notre unique avocat ; voyant en tous ces mystères
l'amour de votre Dieu pour tous les hommes.
L'offertoire de la Messe
représente ce que Jésus a fait dans le jardin des Olives, acceptant la mort et
s'offrant à son Père. Renouvelez cette même offrande, disant intérieurement :
Père de toute bonté, je vous
offre mon Jésus et l'acceptation qu'il fit de souffrir pour mon salut, vous
suppliant qu'elle me soit méritoire, que je sois toute à vous et que j'accepte
toutes les souffrances qu'il vous plaira m'envoyer, comme je fais maintenant de
tout mon cœur.
Il faut que votre cœur s'élève
d'une façon plus spirituelle, vous détachant de toutes sortes de pensées pour
paraître devant Dieu avec plus de pureté, vous unissant avec tous les esprits
bienheureux pour entonner : Sanctus, Sanctus, Sanctus.
Adorez Jésus-Christ avec foi et
respect, le priant qu'il vous élève et attire à lui par sa grâce et par sa
présence dans le très-saint Sacrement. Offrez-vous à sa divine majesté en ce
moment pour honorer l'offrande qu'il a faite de lui-même à son Père, pour vos
péchés et pour ceux de tout le monde, tâchant de vous unir à lui intimement par
amour et par foi.
Pendant le Pater,
appliquez-vous à quelqu'une des demandes de l'Oraison Dominicale, en en prenant
une pour chaque jour, vous unissant avec le prêtre dans l'esprit de l'Eglise.
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Aux Agnus Dei, vous
demanderez au Père éternel par Jésus-Christ le pardon de vos péchés, et vous le
lui offrirez comme le vrai Agneau sans tache, puisqu'il n'est venu que pour
effacer les péchés du monde et pour vous faire miséricorde.
Vous tacherez de faire une
communion spirituelle, vous y préparant par une confession intérieure en la
présence de Dieu, auquel vous demanderez pardon, et produirez quelque acte de
contrition. Excitez votre cœur à le recevoir chez vous d'une façon toute
spirituelle ; après vous l'adorerez profondément et produirez des actes d'une
vive foi en la présence sacramentelle de votre Dieu, avec lequel vous unirez les
puissances de votre âme le plus intimement que vous pourrez ; et vous vous
abandonnerez toute à lui, pour qu'il prenne une pleine possession de votre cœur
et qu'il en dirige tous les rnouvements. Vous veillerez avec soin sur vous-même,
pour vous conserver dans cette union avec le divin Epoux, et vous entretiendrez
Jésus aussi familièrement comme si vous aviez reçu les saintes espèces. Ainsi
vous pourrez, durant tout le jour, manger spirituellement Jésus, vous unissant
intimement à lui avec de profonds actes d'adoration. Il ne faut point qu'il y
ait obstacle en l’âme, si petit soit-il, pour rendre la communion spirituelle
efficace.
Le reste de la Messe se doit
employer à entretenir Jésus, et lui exposer vos nécessités spirituelles.
Demandez à Dieu, dans l'esprit
de l'Eglise, qu'il vous fasse la grâce d'avoir participé à ce saint sacrifice,
le priant par les mérites d'icelui que vous ne vous éloigniez jamais de la
fidélité que vous lui devez, soit en ce jour, soit pendant toute votre vie.
A la bénédiction du prêtre,
priez la sainte Trinité de vous donner la sienne. Ainsi soit-il.
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Le chrétien reconnaît le dessein du Sauveur dans
l'institution de l'Eucharistie, et admire l'excès de son amour.
Il faut avouer, ô Jésus mon
Sauveur, que vous avez voulu nous témoigner votre amour par des effets
incompréhensibles. Cet amour a été la cause de cette union réelle par laquelle
vous vous êtes fait homme. Cet amour vous a porté à immoler pour nous ce même
corps aussi réellement que vous l'aviez pris : et voulant, ô Jésus, faire
ressentir à chacun de vos enfants , en vous donnant à lui en particulier, la
charité que vous avez témoignée à tous en général, vous avez institué
l'admirable sacrement de l'Eucharistie, ce chef-d'œuvre de votre
toute-puissance, ce rare effet de votre bonté, par lequel vous nous rendez tous
réellement participants de votre corps divin, afin de nous persuader par là que
c'est pour nous que vous l'avez pris et que vous l'avez offert en sacrifice. Car
si les Juifs dans l'ancienne Alliance mangeaient la chair des hosties pacifiques
offertes pour eux, comme une marque de la part qu'ils avoient à cette
immolation : de même, ô Jésus, vous avez voulu, après vous être fait vous-même
notre victime, que nous mangeassions effectivement cette chair de notre
sacrifice, afin que la manducation actuelle de cette chair adorable fût un
témoignage perpétuel à chacun de nous en particulier que c'est pour nous que
vous l'avez prise, et que vous l'avez immolée. O prodige de bonté ! ô abîme de
charité ! ô tendresse de l'amour de notre Sauveur! quel excès de miséricorde ! ô
Jésus , quelle invention de votre sagesse ? Mais quelle confiance nous inspire
la manducation de cette chair sacrifiée pour nos péchés !
531
quelle assurance de notre réconciliation avec vous ! Il
était défendu à l'ancien peuple de manger de l'hostie offerte pour ses crimes ,
pour lui faire comprendre que la véritable expiation ne se faisait pas dans
cette loi par le sang des animaux : tout le monde était comme interdit par cette
défense, sans pouvoir actuellement participer à la rémission des péchés. Ce
n'est pas ainsi que vous traitez vos enfants, divin Sauveur : vous nous
commandez de manger votre corps, qui est la vraie hostie immolée pour nos
fautes, pour nous persuader que la rémission des péchés est accomplie dans le
Nouveau Testament. Vous ne vouliez pas non plus, ô mon Dieu, que ce même peuple
mangeât du sang (1) ; et une des raisons de cette défense était que le sang nous
est donné pour l'expiation de nos âmes. Mais au contraire, vous nous donnez
votre sang et vous nous ordonnez de le boire , parce qu'il est répandu pour la
rémission des péchés; nous marquant par là en même temps que la manducation de
votre corps et de votre sang est aussi réelle à la sainte table, que la grâce et
l'expiation des péchés est actuelle et effective dans la nouvelle alliance.
Le chrétien excite sa foi sur ce mystère, et renonce au
jugement des sens.
Il est ainsi, mon Dieu , je le
crois ; c'est la foi de votre Eglise : c'est ce qu'elle a toujours cru, appuyée
sur votre parole. Car vous l'avez dit vous-même de votre bouche sacrée : «
Prenez, c'est mon corps ; buvez , c'est mon sang (2). » Je le crois ; votre
autorité domine sur toute la nature. Sans me mettre donc en peine comment vous
exécutez ce que vous dites, je m'attache avec votre Eglise précisément à vos
paroles. Celui qui fait ce qu'il veut, opère ce qu'il dit en parlant : et il
vous a été plus aisé, ô Sauveur, de forcer les lois de la nature pour vérifier
votre parole, qu'il ne nous est aisé d'accommoder notre esprit à des
interprétations violentes, qui renversent toutes les lois du discours. Cette
parole toute-puissante a tiré toutes choses du néant :
1 Levit., XVII, 10, 11. — 2 Matth., XXVI,
26-28.
532
lui serait-il donc difficile de changer en d'autres
substances ce qui était déjà ? Je crois, Seigneur ; mais augmentez ma foi :
rendez-la victorieuse dans le combat que lui livrent les sens. Ce mystère est un
mystère de foi : que je n'écoute donc que ce qu'elle m'en apprend ; que je croie
sans aucun doute que ce qui est sur cet autel est votre corps même, que ce qui
est dans le calice est votre propre sang répandu pour la rémission des péchés.
Le chrétien demande à Jésus-Christ les saintes
dispositions qu'il faut apporter à la réception d'un si grand sacrement.
Qu'il opère en moi, mon Sauveur,
la rémission de mes péchés : que ce sang divin me purifie , qu'il lave toutes
les taches qui ont souillé cette robe nuptiale , dont vous m'aviez revêtu dans
le baptême, afin que je puisse m'asseoir avec assurance au banquet des noces de
votre Fils. Je suis, je l'avoue, une épouse infidèle, qui ai manqué une infinité
de fois à la foi donnée : « Mais revenez, » nous dites-vous, ô Seigneur, «
revenez, je vous recevrai (1) ; » pourvu que vous ayez repris votre première
robe, et que vous portiez dans l'anneau que l'on vous met au doigt la marque de
l'union où le Verbe divin entre avec vous. Rendez-moi cet anneau mystique :
revêtez-moi de nouveau, ô mon Père, comme un autre enfant prodigue qui retourne
à vous, de cette robe de l'innocence et de la sainteté que je dois apporter à
votre table. C'est l'immortelle parure que vous nous demandez , vous qui êtes en
même temps l'époux, le convive et la victime immolée qu'on nous donne à manger.
Les riches habits sont une marque de joie ; et il est juste de se réjouir à
votre table, ô roi tout-puissant, lorsque vous célébrez les noces de votre Fils
avec les âmes saintes ; lorsque vous nous en donnez le corps pour en jouir, et
pour nous faire devenir un même corps et un même esprit avec lui par la
communion. Car ce festin nuptial est aussi en un autre sens, ô mon Dieu, la
consommation de ce mariage sacré où l'Eglise et toute âme sainte s'unit à
l'Epoux corps à corps, cœur à cœur, esprit à esprit; et c'est là qu'on
1 Jerem., III, 1.
533
trouve l'accomplissement de cette parole : « Qui me mange,
vivra par moi (1). » Qu'elle s'accomplisse en moi, mon Sauveur, que j'en sente
l'effet : transformez-moi en vous, et que ce soit vous-même qui viviez en moi.
Mais pour cela que je m'approche de ce céleste repas avec les habits les plus
magnifiques : que j'y vienne avec toutes les vertus, que j'y coure avec une joie
digne d'un tel festin et de la viande immortelle que vous m'y donnez. « Ce pain
est un pain du ciel ; c'est un pain vivant, qui donne la vie au monde (2).
Venez, mes amis, » nous dites-vous, ô céleste Epoux; « venez, mangez, buvez,
enivrez-vous, mes très-chers (3), » de ce vin qui transporte l’âme et lui fait
goûter par avance les plaisirs des anges. Mais, ô Jésus, pour avoir part à ces
chastes délices, faites-moi cesser de vivre selon les sens : car la
mortification doit faire une des parties de notre habit nuptial ; et il faut se
mortifier pour célébrer votre mort, ô mon Sauveur.
Je voudrais
qu'on lût attentivement le chapitre X de l'Evangile de saint Luc, depuis le
verset 38 jusqu'à la fin. Après l'avoir lu et un peu considéré en grand silence,
je souhaiterais que par un acte de foi on se mit aux pieds de Jésus avec Marie,
pour entendre sa parole.
Jésus parle encore tous les
jours dans son Evangile ; mais il parle d'une manière admirable dans l'intime
secret du cœur : car il est la Parole même du Père éternel, où toute vérité est
renfermée. Il faut donc lui prêter ces oreilles intérieures dont il est écrit :
« Vous avez, Seigneur, ouvert l'oreille à votre serviteur (4). »
1 Joan., VI, 58. — 2 Ibid.,
33, 51. — 3 Prov.. IX, 5; Cant., V, 1. — 4 II Reg., VII,
27.
534
Heureux ceux à qui Dieu a ouvert
l'oreille en cette sorte ; ils n'ont qu'à la tenir toujours attentive , leur
oraison est faite de leur côté. Jésus leur parlera bientôt, et il n'y a qu'à se
tenir en état d'entendre sa voix.
« Marie était assise aux pieds
de Jésus (1). » Assise, tranquille aux pieds de Jésus: humilité, soumission; se
soumettre à la parole éternelle, à la vérité. Silence : que tout se taise : « Il
se fit un silence dans le ciel, environ d'une demi-heure (2). » Qui parle durant
ce temps? Dieu seul. « Environ une demi-heure. » Ce grand silence de l’âme, où
tout cesse, où tout se tait devant Dieu dans le ciel, dans la haute partie de
notre âme, ne dure guère durant cette vie : mais pour peu qu'il dure, qu'il se
dit de choses et que Dieu y parle! Sois attentive, âme chrétienne; ne te laisse
pas détourner dans ces bienheureux moments.
« Entrez dans le cabinet et
fermez la porte sur vous : priez votre Père dans le secret ; et votre Père, qui
vous voit dans le secret, vous le rendra (3). » Que vous rendra-t-il? Parole
pour parole : pour la parole par laquelle vous l'aurez prié de vous instruire ,
la parole par laquelle il vous fera entendre ce qu'il veut de vous, et son
éternelle vérité.
« Entrez donc, et fermez la
porte. » Entrez en vous-même, et ne vous laissez détourner par quoi que ce soit.
Quand ce serait une Marthe, une âme sainte qui viendrait vous inviter à servir
Jésus, demeurez toujours enfermée dans ces saints et bienheureux moments. Jésus
ne veut point de vous ces services extérieurs : tout le service qu'il veut de
vous, c'est que vous l'écoutiez seul et que vous prêtiez l'oreille du cœur à sa
parole.
« Parlez donc, Seigneur ; » il
est temps : « votre serviteur écoute (4), » parlez , et que direz-vous? «
Marthe, Marthe , tu es empressée, et tu te troubles dans le soin de beaucoup de
choses : or il n'y a qu'une seule chose qui soit nécessaire (5). » Ne faut-il
donc pas s'acquitter de tous ses devoirs, de toutes ses obédiences? Il le faut,
sans doute : mais il ne faut jamais être empressée ; et il y a d'heureux moments
où tout autre devoir, tout autre exercice ,
1 Luc., X, 39. — 2 Apoc.,
VIII, 1. — 3 Matth., VI, 6. — 4 I Reg., III, 10. — 5 Luc.,
X, 41.
533
toute autre obédience cessent en vous : il n'y a pour vous
d'autre obédience que celle d'écouter Jésus qui veut vous parler.
« Il n'y a qu'une seule chose
qui soit nécessaire. » Il n'y a que Dieu seul qui soit nécessaire : il est tout
: le reste n'est rien, et « tout ce qui est disparait devant sa face , et toutes
les nations sont un vide et un néant à ses yeux (1). » Il est le seul
nécessaire à l'homme ; c'est lui seul qu'il faut désirer et à qui il faut
s'unir. « Crains Dieu et observe ses commandements ; car c'est là tout l'homme
(2). » Tout le reste lui est étranger ; cela seul lui appartient comme une chose
qui lui est propre : c'est tout le fond de l'homme , toute sa substance , tout
son être. Quoi que tu perdes, ô homme, pourvu que tu ne perdes pas Dieu , tu
n'as rien perdu du tien. Laisse donc écouler le reste : ne te réserve que de
craindre et aimer Dieu; c'est là tout l'homme.
« Il n'y a qu'une chose qui soit
nécessaire. » Comme Dieu est seul et que l'homme se considère comme seul devant
lui, il faut trouver quelque chose en l'homme qui soit parfaitement un, un acte
qui renferme tout dans son unité, qui d'un côté renferme tout ce qui est dans
l'homme, et d'autre côté réponde à tout ce qui est en Dieu.
Faites-moi trouver cet acte, ô
mon Dieu , cet acte si étendu, si simple, qui vous livre tout ce que je suis,
qui m'unisse à tout ce que vous êtes. O Jésus, je suis à vos pieds ; faites-le
moi trouver, faites-moi trouver cet « un nécessaire. » Tu l'entends déjà, âme
chrétienne : Jésus te dit dans le cœur, que cet acte c'est l'acte d'abandon. Car
cet acte livre tout l'homme à Dieu , son âme, son corps en général et en
particulier, toutes ses pensées, tous ses sentiments , tous ses désirs , tous
ses membres, toutes ses veines avec tout le sang qu'elles renferment, tous ses
nerfs jusqu'aux moindres linéaments, tous ses os , et jusqu'à l'intérieur et
jusqu'à la moelle , toutes ses entrailles , tout ce qui est au dedans et au
dehors. Tout vous est abandonné, ô Seigneur, faites-en ce que vous voulez. O mon
Dieu, je vous abandonne ma vie et non-seulement celle que je mène en captivité
et en exil sur la terre, mais encore ma vie dans l'éternité. Je vous abandonne
mon salut ; je
1 Isa., XL, 17. — 2 Eccle., XII, 13.
536
remets ma volonté entre vos mains : je vous remets l'empire
que vous m'avez donné sur mes actions. Faites-moi selon votre cœur; et « créez
en moi un cœur pur (1), » un cœur docile et obéissant. «Tirez-moi; nous courrons
après vous et après les douceurs de vos parfums. Ceux qui sont droits vous
aiment (2). » Faites-moi donc droit, ô mon Dieu, afin que je vous aime de tout
mon cœur, de ce cœur que vous formez en moi par votre grâce. Je vous ai tout
livré ; je n'ai plus rien : c'est là tout l'homme.
Que si cet acte répond à tout ce
qui est en l'homme, il répond aussi en même temps à tout ce qui est en Dieu. Je
m'abandonne à vous, ô mon Dieu ; à votre unité, pour être fait un avec vous ; à
votre infinité et à votre immensité incompréhensible, pour m'y perdre et m'y
oublier moi-même ; à votre sagesse infinie , pour être gouverné selon vos
desseins, et non pas selon mes pensées ; à vos décrets éternels, connus et
inconnus, pour m'y conformer, parce qu'ils sont tous également justes ; à votre
éternité, pour en faire mon bonheur ; à votre toute-puissance, pour être
toujours sous votre main ; à votre bonté paternelle, afin que, dans le temps que
vous m'avez marqué, vous receviez mon esprit entre vos bras ; à votre justice,
en tant qu'elle justifie l'impie et le pécheur, afin que d'impie et de pécheur
vous le fassiez devenir juste et saint. Il n'y a qu'à cette justice qui punit
les crimes, que je ne veux pas m'abandonner, car ce serait m'abandonner à la
damnation que je mérite : et néanmoins, Seigneur, elle est sainte cette justice,
comme tous vos autres attributs; elle est sainte, et ne doit pas être privée de
son sacrifice. Il faut donc aussi m'y abandonner. Et voici que Jésus-Christ se
présente, afin que je m'y abandonne en lui et par lui.
Donc, ô Dieu saint, ô Dieu
vengeur des crimes, j'adore vos saintes et inexorables rigueurs ; et je m'y
abandonne en Jésus-Christ, qui s'y est abandonné pour moi afin de m'en délivrer:
car il s'est soumis volontairement à porter tous mes péchés et ceux de tout le
monde, et s'est livré pour eux tous aux rigueurs de votre justice, parce qu'il
avait un mérite et une sainteté infinie à lui opposer. Je m'y livre donc en lui
et par lui ; et je vous
1 Psal. I, 12. — 2 Cant., I, 3.
537
offre, pour vous apaiser envers moi, ses mérites et sa
sainteté , dont il m'a couvert et revêtu. Ne me regardez pas en moi-même; mais
regardez-moi en Jésus-Christ, et comme un membre du corps dont il est le chef.
Donnez-moi telle part que vous voudrez à la passion de votre saint fils Jésus,
afin que « je sois sanctifié en vérité, en celui qui s'est sanctifié pour moi, »
comme il dit lui-même (1).
Enfin , ô Dieu , unité parfaite,
que je ne puis égaler ni comprendre par la multiplicité, quelle qu'elle soit, de
mes pensées, et au contraire dont je m'éloigne d'autant plus que je multiplie
mes pensées; je vous en demande une , si vous le voulez , ou je ramasse en un,
autant qu'il est permis à ma faiblesse, toutes vos infinies perfections, ou
plutôt cette perfection seule et infinie qui fait que vous êtes Dieu, le seul
qui est, de qui tout est, en qui tout est, qui est heureux par lui-même. O Dieu,
soyez heureux éternellement ; je m'en réjouis : c'est en cela que je mets tout
mon bonheur. En cet esprit, ô mon Dieu, « grand dans vos conseils,
incompréhensible à penser, qui vous êtes fait un nom et une gloire immortelle
(2) » par la magnificence de vos œuvres, je m'abandonne à vous de tout mon cœur,
à la vie et à la mort, dans le temps et dans l'éternité. Vous êtes ma joie, mon
consolateur, mon refuge , mon appui ; qui m'avez donné Jésus-Christ pour être «
la pierre posée dans les fondements de Sion, la pierre principale, la pierre de
l'angle , la pierre éprouvée, choisie, affermie, inébranlable, la pierre solide
et précieuse; et qui espère en cet appui , qui s'y abandonne, ne sera point
confondu dans son espérance (3). »
Faisons donc comme ceux qui
accablés de travail et ne pouvant plus se soutenir, aussitôt qu'ils ont trouvé
quelque appui solide, quelque bras ferme et puissant, mais bienfaisant tout
ensemble, qui se prête à eux , s'y abandonnent, se laissent porter et se
reposent dessus. Ainsi nous qui ne pouvons rien par nous-mêmes que nous
tourmenter vainement jusqu'à l'infini, laissons-nous aller avec foi entre les
bras secourables de notre Dieu, notre Sauveur et notre Père : car c'est alors
que nous apprenons véritablement à l'appeler de ce nom, puisque comme de petits
enfants
1 Joan., XVII, 19. — 2 Jerem.,
XXXII, 19, 20.— 3 Isa., XXVIII, 16.
538
innocents et simples, sans peine, sans inquiétude, sans
prévoyance en un certain sens pour l'avenir, « nous rejetons en lui toutes nos
inquiétudes, parce qu'il a soin de nous, » comme dit saint Pierre (1), fondé sur
cette parole du Sauveur : « Votre Père sait que vous avez besoin de ces choses
(2). »
Je te dis donc, aine chrétienne
, quelle que tu sois et de quelques soins que tu sois agitée, je te dis au nom
du Sauveur : « Votre Père sait de quoi vous avez besoin. » Ne vous laissez donc
point agiter ; et comme dit le même Sauveur en saint Luc, « ne vous laissez
point élever en haut (3) » et comme tenir en suspens entre le ciel et la terre,
incertain de quel côté vous allez tomber ; mais laissez-vous doucement tomber
entre les bras secourables de votre Père céleste.
Avec cet acte, mon cher frère,
ma chère sœur, chrétien qui que vous soyez, ne soyez en peine de rien : ne soyez
point en peine de votre faiblesse, car Dieu sera votre force. Le dirai-je? Oui,
je le dirai : ne soyez point en peine de vos péchés mêmes, parce que cet acte ,
s'il est bien fait, les emporte tous : et toutes les fois qu'il n'a pas tout son
effet, c'est à cause qu'il n'est pas fait dans toute sa perfection. Tâchez donc
seulement de le bien faire et livrez-vous tout entier à Dieu , afin qu'il le
fasse en vous, et que vous le fassiez avec son secours. Tout est fait, et vous
n'avez qu'à y demeurer.
Cet acte est le plus parfait et
le plus simple de tous les actes : car ce n'est pas un effort comme d'un homme
qui veut agir de lui-même ; mais c'est se laisser aller pour être « mû et poussé
par l'Esprit de Dieu, » comme dit saint Paul (4) : non pas toutefois, à Dieu ne
plaise ! à la manière des choses inanimées , puisque c'est se laisser aller à
cet Esprit qui nous meut volontairement, librement , avec une sincère
complaisance pour tout ce que Dieu est et par conséquent pour tout ce qu'il
veut, puisque sa volonté, c'est Dieu lui-même, pour dire avec le Sauveur : «
Oui, mon Père, il est ainsi, parce qu'il a été ainsi déterminé devant vous (5).
»
Il ne faut donc pas s'imaginer,
comme quelques-uns, qu'on
1 I Petr., V, 7. —2 Matth.,
VI, 32. — 3 Luc., XII, 29.— 4 Rom., VIII, 14. — 5 Matth.,
XI, 26.
339
tombe par cet abandon dans une inaction ou dans une espèce
d'oisiveté. Car au contraire, s'il est vrai, comme il l'est, que nous soyons
d'autant plus agissants que nous sommes plus poussés, plus mus, plus animés par
le Saint-Esprit, cet acte par lequel nous nous y livrons et à l'action qu'il
fait en nous, nous met, pour ainsi parler , tout en action pour Dieu. Nous
allons avec ardeur à nos exercices, parce que Dieu, à qui nous nous sommes
abandonnés , le veut ainsi : nous recourons continuellement aux saints
sacrements comme aux secours que Dieu, à qui nous nous sommes livrés, nous a
donnés pour nous soutenir. Ainsi un acte si simple enferme tous nos devoirs , la
parfaite connaissance de tous nos besoins, et un efficace désir de tous les
remèdes que Dieu a donnés à notre impuissance.
C'est cet acte qui nous fait
dire : « Que votre nom soit sanctifié. » Car nous sanctifions , autant qu'il est
en nous , tout ce qui est en Dieu , quand nous nous y unissons de tout notre
cœur. Ce même acte nous fait dire encore : « Que votre règne arrive (1) , »
puisque nous ne nous livrons à Dieu qu'afin qu'il règne en nous et qu'il règne
sur nous, qu'il règne surtout ce qui est, qu'il fasse en nous son royaume, ainsi
que dit le Sauveur : « Le royaume de Dieu est au dedans de vous (2).» Cet acte
nous fait dire aussi : « Votre volonté soit faite dans la terre comme au ciel
(3), » parce que nous consentons de tout notre cœur de la faire en tout ce qui
dépend de nous, et que Dieu la fasse en tout ce qui n'en dépend pas : en sorte
qu'il soit maître en nous, comme il l'est au ciel sur les esprits bienheureux,
qui n'ont lorsque Dieu agit qu'un Amen à dire, c'est-à-dire ainsi
soit-il, qu'un Alléluia à chanter, c'est-à-dire Dieu soit loué
de tout ce qu'il fait, comme il parait dans l’Apocalypse (4) et comme dit
l'apôtre saint Paul : « Abondant en actions de grâces, rendant grâces en tout
temps et en toutes choses à Dieu le Père par Notre Seigneur Jésus-Christ (5) »
Ainsi le partage du chrétien est
une continuelle action de grâces, rendue à Dieu de tout ce qu'il fait, parce que
tout ce qu'il fait tourne à sa gloire : et cette action de grâces est le fruit
de cet
1 Luc., XI, 2. — 2 Luc.,
XVII, 21. — 3 Matth., VI, 10. — 4 Apoc., XIX, 4.— 5
Coloss., II, 7 ; Ephes., V, 20.
540
abandon, par lequel nous nous livrons à lui par une entière
complaisance pour ses volontés.
Vous trouverez dans cet acte,
âme chrétienne, un parfait renouvellement des promesses de votre baptême : vous
y trouverez une entière abnégation de tout ce que vous êtes née, parce que si
vous n'étiez née dans l'iniquité, et que vous ne fussiez point par votre
naissance toute remplie de péché et d'ordure, vous n'auriez pas eu besoin de
renaître : vous y trouverez un entier abandon à «cet esprit de nouveauté (1), »
qui ne cesse de vous réformer intérieurement et extérieurement, en remplissant
tout votre intérieur de soumission à Dieu et tout votre extérieur de pudeur, de
modestie, de douceur, d'humilité et de paix.
Vous trouverez dans le même
acte, âme religieuse, le renouvellement de tous vos vœux, parce que si Dieu seul
est votre appui, auquel vous vous livrez tout entière, vous ne voulez donc nul
appui dans ces biens extérieurs qu'on nomme richesses, et ainsi vous êtes
pauvre. Vous en voulez encore moins dans tout ce qui flatte les sens; et ainsi
vous êtes chaste : et encore moins sans hésiter en tout ce qui flatte au dedans
votre volonté, et ainsi vous êtes obéissante.
Car qu'est-ce que l'amour des
richesses, si ce n'est un emprunt qu'on fait des choses extérieures, et par
conséquent une marque de la pauvreté du dedans? Et qu'est-ce que l'amour des
plaisirs des sens, sinon encore un emprunt que l’âme va faire à son corps et aux
objets qui l'environnent, et par conséquent toujours une pauvreté du dedans? Et
qu'est-ce que l'amour de sa propre volonté , si ce n'est encore un emprunt que
l’âme se va faire continuellement à elle-même pour tâcher de se contenter, sans
pouvoir jamais en venir à bout; au lieu de se faire riche une bonne fois, en
s'abandonnant à Dieu, et en prenant tout en lui ou plutôt en le prenant lui-même
tout entier?
Te voilà donc, âme chrétienne,
rappelée à ton origine, c'est-à-dire à ton baptême. Te voilà, âme religieuse,
rappelée à ton origine, c'est-à-dire au jour bienheureux de ta profession. Que
reste-t-il maintenant, sinon que tu renouvelles ta ferveur, et que
1 Psal. L, 12.
541
ton sacrifice soit agréable comme le sacrifice des premiers
jours, lorsque tout abîmée en Dieu et toute pénétrée du dégoût du monde, tu
ressentais la première joie d'une âme renouvelée et délivrée de ses liens?
Cet abandon est la mort du péché
: et premièrement c'est la mort des péchés passés, parce que, lorsqu'il est
parfait, il les emporte. Car cet acte, qu'est-ce autre chose qu'un amour parfait
et une parfaite conformité de nos volontés avec celle de Dieu? A qui se
peut-on-livrer, sinon à celui qu'on aime? Et qui est celui qu'on aime, sinon
celui à qui on se fie souverainement ? Qu'est-ce donc, encore un coup, qu'est-ce
que cet acte, sinon, comme dit saint Jean, « cet amour parfait, cette parfaite
charité qui bannit la crainte (1) ? » Il n'y a donc plus rien à craindre pour
ceux qui feront cet acte avec toute la perfection que Dieu y demande : il n'y a
plus rien à craindre, ni péchés passés, ni supplice, ni punition. Tout disparaît
devant cet acte, qui enferme par conséquent toute la vertu de la contrition et
celle du sacrement de pénitence, dont elle emporte le vœu. Mais quels regrets,
quelle repentance ne reste-t-il point de cet abandon? Quelle douleur d'avoir
abandonné, quand ce ne serait qu'un seul moment, celui à qui on s'est livré en
s'abandonnant tout entier?
O mon Dieu, je n'aurai jamais
assez de larmes pour déplorer un si grand malheur, quand je serais tout changé
en pleurs. Mais si jamais j'ai des larmes, si je regrette jamais mes péchés, ce
sera pour avoir tant offensé et outragé cette divine bonté, à laquelle je
m'abandonne.
Mais aussi pour faire un tel
acte et s'abandonner tout à fait à Dieu, à quoi ne faut-il pas renoncer? à
quelles inclinations? à quelles douceurs? Car puis-je me livrer à Dieu avec
l'amour, pour petit qu'il soit, des biens de la terre, sans craindre cette
sentence du Sauveur : «Vous ne pouvez pas servir deux maîtres (2)? » Il faut
renoncer à tout autre maître , c'est-à-dire à tous les désirs qui me maitrisent
et qui dominent dans le cœur. Il faut renoncer jusqu'au bout ; car il serait
encore mon maître où je ne voudrais pas renoncer tout à fait. Ainsi cet abandon
n'est pas seulement la mort »
1 Joan., IV, 18. — 2 Matth., VI, 24.
542
des péchés passés, c'est encore celle des péchés à venir.
Car quelle âme qui se livre à Dieu, pourrait dans ce saint état se livrer à
l'iniquité et à l'injustice ? Et en même temps c'est la mort de tous les
scrupules, parce que l’âme livrée à Dieu et à sa bonté infinie, afin qu'il fasse
et excite en elle tout ce qu'il faut pour lui plaire, ne peut rien craindre, ni
d'elle-même, ni de son péché, puisqu'elle est toujours unie par son fond au
principe qui les guérit et les purifie.
Comment donc, direz-vous, une
telle âme n'est-elle pas assurée de sa sainteté et de son salut? Comment, si ce
n'est pour cette raison, qu'il ne lui est jamais donné en cette vie de savoir si
elle s'abandonne à Dieu de bonne foi, ni si elle persévérera à s'y abandonner
jusqu'à la fin ? Ce qui la porte à s'humilier jusqu'aux enfers, et en même temps
lui sert d'aiguillon pour s'abandonner à Dieu de nouveau à chaque moment, avec
la même ferveur et la même ardeur que si elle n'avait jamais rien fait, mettant
sa force, son repos et sa confiance, non en elle-même ni dans ce qui est en
elle, mais en Dieu, dont tout lui vient.
C'est là enfin, pour revenir à
l'évangile que nous avons lu au commencement, et à Marie que nous y avons vue si
attentive au Sauveur : c'est là, dis-je, ce qui s'appelle être véritablement
«assise aux pieds du Sauveur» pour écouter ce qu'il veut, et se laisser
gouverner par ce qu'on écoute comme sa loi. C'est là cet «un nécessaire » que
Jésus explique, et que Marie avait déjà choisi ; et il ne faut pas s'étonner si
Jésus ajoute : « Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée
(1). »
Elle a choisi d'être assise aux
pieds du Sauveur; d'être tranquille , attentive, obéissante à sa parole,
c'est-à-dire à sa volonté, à sa parole intérieure et extérieure, à ce qu'il dit
au dedans et au dehors ; d'être unie à sa vérité, et abandonnée à ses ordres.
« Elle a choisi la meilleure
part, qui ne lui sera point ôtée. » La mort viendra ; et « en ce jour toutes les
pensées des hommes périront (2) : » mais cette pensée, par laquelle l'homme
s'est livré à Dieu, ne périra pas; au contraire elle recevra sa perfection : car
«la charité, dit saint Paul, ne finira jamais, pas même lorsque
1 Luc., X, 43.— 2 Psal. CXLV, 4.
543
les prophéties s'évanouiront et que la science humaine sera
abolie (1) : » la charité ne finira pas, et rien ne périra que ce qu'il y a
d'imparfait en nous.
Viendra le temps de sortir de la
retraite et de rentrer dans les exercices ordinaires : mais le partage de Marie
ne périra pas. La parole qu'elle a écoutée, la suivra partout : l'attention
secrète qu'elle y aura, lui fera tout faire comme il faut : elle ne rompra ce
silence intime qu'avec peine et lorsque l'obéissance et la charité le
prescriront : une voix intérieure ne cessera de la rappeler dans son secret.
Toujours prête à y retourner, elle ne laissera pas de prêter son attention à ses
emplois : mais elle souhaitera avec une infatigable ardeur sa bienheureuse
tranquillité aux pieds du Sauveur, et encore avec plus d'ardeur la vie
bienheureuse, où la vérité sera manifestée et où Dieu sera tout en tous. Amen,
Amen.
« Au reste, mes frères, que tout
ce qui est véritable, tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce
qui est saint, tout ce qui nous peut rendre aimables (sans vouloir plaire à la
créature), tout ce qui est d'édification et de bonne odeur : s'il y a quelque
sentiment raisonnable et vertueux et quelque chose de louable dans le règlement
des mœurs; que tout cela soit le sujet de vos méditations et l'unique entretien
de vos pensées (2). » Car à quoi pense celui qui est uni à Dieu, sinon aux
choses qui lui plaisent? « Que si quelqu'un parle, que ce soit comme si Dieu
parlait en lui. Si quelqu'un sert dans quelques saints exercices, qu'il y serve
comme n'agissant que par la vertu que Dieu lui donne, afin qu'en tout ce que
vous faites, Dieu soit glorifié par Jésus-Christ (3). Et tout ce que vous ferez,
faites-le de tout votre cœur, » jamais avec nonchalance , par coutume et comme
par manière d'acquit : « faites-le, dis-je, de tout votre cœur, comme le faisant
pour Dieu, et non pour les hommes. Servez Notre-Seigneur Jésus-Christ (4); » que
ce soit votre seul Maître. Amen, Amen. «Oui, je viens bientôt. Ainsi soit-il.
Venez, Seigneur Jésus; venez. La grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec
vous (5). » Amen, Amen.
1 I Cor., XIII, 8-10. — 2
Philip., IV, 8. — 3 I Petr., IV, 11. — 4 Coloss., III, 23, 24.
— 5 Apoc., XXII, 20, 21.
544
Quand on est bien abandonné à
Dieu, on est prêt à tout, on suppose le pis qu'on en puisse supposer et on se
jette aveuglément dans le sein de Dieu. On s'oublie, on se perd ; et c'est là la
plus parfaite pénitence qu'on puisse faire, que cet entier oubli de soi-même :
car toute la conversion ne consiste qu'à se bien renoncer et s'oublier, pour
s'occuper de Dieu et se remplir de lui. Cet oubli est le vrai martyre de
l'amour-propre : c'est sa mort et son anéantissement, où il ne trouve plus de
ressource : alors le cœur se dilate et s'élargit. On est soulagé en se
déchargeant du dangereux poids de soi-même, dont on était accablé auparavant. On
regarde Dieu comme un bon père, qui nous mène comme par la main dans le moment
présent; et on trouve tout son repos dans l'humble et la ferme confiance en sa
bonté paternelle.
Si quelque chose est capable de
rendre un cœur libre et de le mettre au large, c'est le parfait abandon à Dieu
et à sa sainte volonté : cet abandon répand dans le cœur une paix divine, plus
abondante que les fleuves les plus vastes et les plus remplis. Si quelque chose
peut rendre un esprit serein, dissiper les plus vives inquiétudes, adoucir les
peines les plus amères, c'est assurément cette parfaite simplicité et liberté
d'un cœur entièrement abandonné entre les mains de Dieu. L'onction de l'abandon
donne une certaine vigueur dans toutes les actions, et épanche la joie du
Saint-Esprit jusque sur le visage et dans les paroles. Je mettrai donc toute ma
force dans ce parfait abandon entre les mains de Dieu par Jésus-Christ, et il
sera ma conclusion pour toutes choses en la vertu du Saint-Esprit. Amen.
O Dieu saint, ô Dieu vengeur
des crimes, j'adore vos saintes et
545
inexorables rigueurs, et je m'y abandonne entièrement en
Jésus-Christ, qui s'y est abandonné pour moi, afin de m'en délivrer. Il s'est
soumis volontairement à porter mes péchés et ceux de tout l'univers. Il s'est
livré pour eux tous aux rigueurs de votre justice, parce qu'il a un mérite
infini à lui opposer pour vous apaiser envers moi. Je vous offre ses mérites et
sa sainteté parfaite, dont il m'a couvert et revêtu : ne me regardez pas en
moi-même ; mais regardez-moi en Jésus-Christ, comme un membre dont il est le
chef : donnez-moi telle part que vous voudrez à son sacrifice et à sa sainte
mort et passion, afin qu'en Jésus-Christ votre Fils je sois sanctifié en vérité.
Amen.
Mon Dieu, qui êtes la bonté
même, j'adore cette bonté infinie ; je m'y unis, je m'appuie sur elle, plus
encore en elle-même que dans ses effets. Je ne sens en moi aucun bien, aucunes
bonnes œuvres faites dans l'exactitude de la perfection que vous voulez, ni par
où je puisse vous plaire : aussi n'est-ce pas en moi ni en mes œuvres que je
mets ma confiance; mais en vous seul, ô bonté infinie, qui pouvez en un moment
faire en moi tout ce qu'il faut pour vous être agréable. Je vis dans cette foi ;
et je remets durant que je vis, jusqu'au dernier soupir, mon cœur, mon corps,
mon esprit, mon âme, mon salut et ma volonté entre vos divines mains.
O Jésus, Fils unique du Dieu
vivant, qui êtes venu en ce monde pour racheter mon âme pécheresse, je vous la
remets. Je mets votre sang précieux, votre sainte mort et passion, et vos plaies
adorables, et surtout celle de votre sacré coeur, entre la justice divine et mes
péchés ; et je vis ainsi dans la foi et dans l'espérance que j'ai en vous, ô
Fils de Dieu, qui m'avez aimé et qui vous êtes donné pour moi. Amen.
Ne craignez rien avec cet acte (a),
qui efface les péchés en un moment. Faites-vous le lire dans vos peines ;
tenez-le tant que vous pourrez entre vos mains ; et quand vous croyez ne le
pouvoir plus produire, tenez-en le fond et incorporez-le dans l'intime de votre
cœur.
(a) Avec cet acte de charité parfaite.
546
Demeurez en attente de ce que
Dieu veut faire de vous, et en vous ; c'est à lui d'y mettre la main : éloignez
votre cœur de toute attention à vous-même, je veux dire que ni l'amour, ni
l'estime de la créature, soit celle que vous avez, soit celle qu'on a pour vous,
ne vous soit plus rien. Dites en attente le Psaume XIV : « Seigneur, qui
habitera dans votre tabernacle, ou qui se reposera sur votre sainte montagne? »
Pesez en foi toutes ces paroles et toutes celles qui suivent : revêtez-vous de
cordialité, de douceur, de sincérité, de charité envers tout le monde ; et quand
vous viendrez à ces paroles : Qui facit hœc, non movebitur in œternum : «
Celui qui fait ces choses demeure ferme éternellement, » faites un acte de foi
sur cette immobilité que Dieu seul peut faire, et qu'il ne peut faire que dans
ceux qui s'y préparent et qui se livrent à lui, afin qu'il les y prépare
lui-même. C'est là donc où vous trouverez cette continuelle oraison, dans
l'immobilité d'une âme fondée en foi et en amour : c'est là que vous deviendrez
vous-même comme une montagne sainte où Dieu fera sa demeure, conformément à
cette parole du Psaume CXXIV : Qui confidunt, etc. : « Ceux qui mettent
leur confiance au Seigneur seront comme la montagne de Sion : les habitants de
Jérusalem ne seront jamais ébranlés. » Ne faites aucun effort de tête ni même de
cœur pour vous unir ; tirez seulement votre cœur à part. L'Epoux vous trouvant
dans la solitude, fera son œuvre. Ne faites rien d'extraordinaire, ni aucune
austérité particulière. Ouvrez tout à l'Epoux, qui ne veut que jouir. Oh ! quel
admirable secret ! Est-il possible qu'un Dieu fasse de telles choses dans sa
créature? Il agit en maître, puisque
(a) Ne se trouve pas dans les éditions précédentes.
517
c'est un maître si rempli d'amour. Vous me demandez le
moyen de faire écouler en Jésus-Christ tout son amour : quoi que je vous dise
pour cela, vous me pourrez demander encore le moyen de pratiquer ce moyen, et
ainsi on irait à l'infini. Sachez donc qu'il y a des choses où le moyen de les
faire est de les faire sans autre moyen ; car les faire c'est les vouloir
fortement, c'est commencer tout d'abord à les vouloir fortement en soi,
c'est-à-dire dans la confiance que Dieu fait en nous le vouloir et le faire',
comme dit saint Paul. Mais ce qu'on demande ordinairement quand on demande des
moyens, c'est qu'on demande à quelle pratique particulière, extérieure ou
intérieure, il faut s'attacher, ou quel effort il faut faire ; au lieu que
très-souvent le moyen, c'est de ne se faire aucun effort violent et de ne faire
dépendre son action d'aucune pratique particulière, mais de se laisser conduire
aussi librement que doucement à l'Esprit qui nous pousse. Expectans expectavi
Dominum : « J'ai attendu le Seigneur en l'attendant. » Ceux qui se
tourmentent, comme si en se tourmentant ils faisaient venir l'Epoux, attendent,
mais ce n'est pas en attendant, parce qu'ils l'attristent et qu'ils
s'empressent. Attendre en attendant, c'est attendre en simplicité, sans rien
faire comme pour violenter l'Epoux céleste : ce qu'il faut faire uniquement,
c'est de se séparer, se mettre à part, se laisser tirer à l'écart hors de la
foule, hors des distractions, des amusements, des vaines satisfactions, des
propres recherches, etc., et là attendre en attendant ce que l'Epoux voudra
faire. Si en attendant il caresse l'aine ou la pousse à le caresser, il faut
livrer son cœur, et lui dire tout ce qu'inspire un amour libre qui ne peut
souffrir de contrainte. Je n'en dirai pas davantage : c'est en cela que consiste
la fidélité de l'épouse ; c'est son état, c'est son caractère.
Que vous puis-je dire sur
l'union avec le bien-aimé? L'union, c'est l'union, et non autre chose ; le moyen
de l'union, c'est l'union même : se séquestrer et laisser faire l'Epoux, c'est
là toute la correspondance de l'Epouse ; elle ne doit ni recevoir, ni donner des
bornes à son amour, à ses transports, etc. L'onction vous enseignera ce que je
ne vous puis dire ; où je manque, je vous donne Dieu et son Esprit pour docteur
: mon ignorance est heureuse.
548
L'Epoux compare son épouse à une belle cavale mise sous le
joug ; c'est là comme il veut les âmes; nul mouvement irrégulier, ni aucun pas
qui ne soit utile. Attendez donc en attendant : revenons-en là ; mais observez
certains égards où le Saint-Esprit met l’âme tout en mouvement par rapport à lui
: c'est alors ordinairement qu'il prépare à la chaste jouissance ; mais souvent
elle est faite sans qu'on le sache; la cinquième préparation contient l'effet,
et on a ce que l'on cherche. Il ne faut point cesser de chercher ce qu'on ne
peut jamais avoir assez trouvé en cette vie. Cela est ainsi. Amen.
Il faut la célébrer tous les ans
dans les transports de joie, de reconnaissance et d'amour, pour le choix plein
de miséricorde et de bonté que Dieu a fait de nous, en nous attachant pour
jamais à lui. « O mon âme, bénissez le Seigneur ; et que tout ce qui est en moi
loue son saint nom » en Jésus-Christ et par Jésus-Christ. « O mon âme, bénissez
le Seigneur, et n'oubliez jamais toutes les grâces qu'il vous a faites (1) ; »
et efforcez-vous sans cesse avec son divin secours à y répondre de plus en plus,
à mériter celles qu'il vous prépare, et à parvenir à leur parfaite consommation
par une heureuse persévérance. Amen.
Laissons de nouveau évanouir le
monde et tout son faux éclat tout ce qui le compose et qui fait l'empressement
des hommes insensés ; et quand par les lumières de la foi tout sera mis en
pièces et en morceaux et que nous le verrons comme déjà détruit, restons seuls
avec Dieu seul, environnés de ce débris et de ce vaste néant : laissons-nous
écouler dans ce grand tout qui est Dieu, en sorte que nous-mêmes nous ne soyons
plus rien qu'en lui seul.
1 Psal., CII, 1, 2.
549
Nous étions en lui avant tous les temps dans son décret
éternel; nous en sommes sortis pour ainsi dire par son amour qui nous a tirés du
néant. Retournons à cette fin adorable, à cette idée, à ce décret, à ce principe
et à cet amour ; et le jour anniversaire que nous partîmes pour aller à la
maison de Dieu, la sainte religion, afin de nous immoler à lui, disons avec une
plénitude de cœur, dans une joie pure, le Psaume CXXI : Lœtatus sum in his.
Le jour de notre arrivée et de notre entrée, le Psaume LXXXIII : Quam dilecta;
et le LXXXIV : Benedixisti, appuyant sur les versets 8 et 9. Le
lendemain, le Psaume XC : Qui habitat; et le LXXXI : Memento, Domine,
David; arrêter sur le vers. 15. Le troisième jour, le Psaume LXXXVI :
Fundamenta. Admirons les fondements de Sion, qui sont l'humilité et la
confiance. Le quatrième jour, pour rendre grâces à Dieu de notre liberté, les
Psaumes CXIV : Dilexi, quoniam exaudiet, et CXV : Credidi propter, qui
n'en font qu'un dans l'original et qui sont de même dessein. Appuyer sur les
versets 7, 8 du Psaume Credidi. Le cinquième jour dans les mêmes vues
encore, mais avec une plus intime joie de notre sortie du monde, le Psaume CXIII
: In exitu Israël de AEgypto. Le sixième jour, le Psaume CXXV et le XXII
: In convertendo, et Dominus regit me. Le septième jour, adorons l'Epoux
céleste dans le sein et à la droite de son Père, et au sortir des temps de sa
sainte enfance, par les Psaumes XXIX : Exaltabo te, Domine ; et XXXIX :
Expectans expectavi. Le huitième jour de l'octave, disons avec une pleine
effusion de cœur, en éclatant en reconnaissance et en action de grâces, le
Psaume CII : Benedic, anima mea, Domino; le CXLIV : Exaltabo te ;
et le CXVII : Confitemini. Ainsi se célébrera notre heureuse délivrance
de la servitude du siècle.
Consacrons-nous donc de nouveau
au Seigneur notre Dieu, de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos
forces, comme des victimes qu'on mène librement à l'autel, qui est le sens des
versets 26, 27 de ce dernier Psaume. Voilà les Psaumes pour la veille et
l'octave de la fête de notre sainte dédicace. Lisons encore, durant cette
aimable octave, les chapitres LI et LIV d'Isaïe, le chapitre VIII de l'Evangile
de saint Jean ; et demandons à Dieu la liberté véritable, qui est celle que
Jésus-Christ donne par la vérité.
550
Ecoutons plutôt les promesses que les menaces ;
accoutumons-nous à craindre la vérité, mais à espérer encore davantage en la
grande bonté de Dieu : lisons-en les merveilles dans le chapitre V de l’Epître
aux Romains.
CHAPITRE LII, VERSETS CHOISIS.
1. Levez-vous, Sion, levez-vous
; revêtez-vous de votre force, parez-vous des vêtements de votre gloire,
Jérusalem ville du Saint, parce qu'à l'avenir il n'y aura plus d'incirconcis et
d'impurs qui passent au milieu de vous.
2. Sortez de la poussière,
levez-vous, asseyez-vous, ô Jérusalem, rompez les chaînes de votre col, filles
de Sion captive.
3. Car voici ce que dit le
Seigneur : Vous avez été vendues pour rien, et vous serez rachetées sans argent.
4. Il viendra un jour auquel mon
peuple connaîtra la grandeur de mon nom ; un jour auquel je dirai : Moi qui
parfois autrefois, me voici présent.
7. Que les pieds de celui qui
annonce et qui prêche la paix sur les montagnes, sont beaux ! les pieds de celui
qui annonce la bonne nouvelle, qui prêche le salut, qui dit à Sion : Votre Dieu
va régner.
8. Alors vos sentinelles se
feront entendre : ils élèveront leur voix ; ils chanteront ensemble des
cantiques de louanges, parce qu'ils verront de leurs yeux que le Seigneur aura
converti Sion.
9. Réjouissez-vous, désert de
Jérusalem ; louons tous ensemble le Seigneur, parce qu'il a consolé son peuple
et racheté Jérusalem.
10. Le Seigneur a fait voir son
bras saint à toutes les nations, et toutes les régions de la terre verront le
Sauveur que notre Dieu doit envoyer.
11. Retirez-vous, sortez de
Babylone, ne touchez rien d'impur: sortez du milieu d'elle; purifiez-vous, vous
qui portez les vases du Seigneur.
12. Vous n'en sortirez point en
tumulte, ni par une fuite précipitée, parce que le Seigneur marchera devant
vous, le Dieu d'Israël vous rassemblera.
551
13. Mon serviteur sera rempli
d'intelligence; il sera grand et élevé ; il montera au plus haut comble de la
gloire.
14. Il paraîtra sans gloire et
sans éclat devant les hommes, et dans une forme méprisable.
15. Il arrosera beaucoup de
nations; les rois se tiendront devant lui dans le silence : ceux à qui il n'a
pas été annoncé le verront, et ceux qui n'avoient point entendu parler de lui le
contempleront.
CHAPITRE LV, VERSETS CHOISIS.
1. Vous tous qui avez soif,
venez aux eaux; vous qui n'avez point d'argent, hâtez-vous, achetez et mangez ;
venez et achetez sans argent et sans aucun échange, le vin et le lait.
2. Pourquoi employez-vous votre
argent à ce qui ne peut vous nourrir, et vos travaux à ce qui ne peut vous
rassasier? Ecoutez-moi avec attention : nourrissez-vous de la bonne nourriture
que je vous donne; et votre âme, en étant comme engraissée, sera dans la joie.
3. Abaissez votre oreille, et
venez à moi; écoutez-moi, et votre âme trouvera la vie : je ferai avec elle une
alliance éternelle.
6 . Cherchez le Seigneur pendant
qu'on le peut trouver ; invoquez-le pendant qu'il est proche.
7. Que l'impie quitte ses
voies, et l'injuste ses pensées, et qu'il retourne au Seigneur ; et il lui fera
miséricorde : qu'il retourne à notre Dieu, parce qu'il est plein de bonté pour
pardonner.
8. Car mes pensées ne sont pas
vos pensées ; et vos voies ne sont pas mes voies, dit le Seigneur.
9. Mais autant que le ciel est
élevé au-dessus de la terre, autant mes voies et mes pensées sont au-dessus de
vos pensées.
10. Et comme la pluie et la
neige descendent du ciel et n'y retournent plus, mais qu'elles abreuvent la
terre, la rendent féconde et la font germer ; et qu'elle donne la semence pour
semer, et le pain pour s'en nourrir :
11. Ainsi ma parole, qui sort de
ma bouche, ne retournera point sans fruit ; mais elle fera tout ce que je veux.
12. Vous sortirez avec joie et
vous serez conduits dans la paix.
552
Les campagnes et les collines retentiront de cantiques de
louanges.
13. Le sapin s'élèvera au lieu
des herbes les plus viles ; le myrte croîtra au lieu de l'ortie ; et le Seigneur
éclatera comme un signe éternel qui ne disparaîtra jamais.
Il y a un livre éternel où est
écrit ce que Dieu veut de tous ses élus, et à la tête ce qu'il veut en
particulier de Jésus-Christ, qui en est le chef. Le premier article de ce livre
est que Jésus-Christ sera mis à la place de toutes les victimes, en faisant la
volonté de Dieu avec une entière obéissance. C'est à quoi il se soumet; et David
lui fait dire : « Mon Dieu, je l'ai voulu, et votre loi est au milieu de mon
cœur (1). »
Soyons donc à l'exemple de
Jésus-Christ en esprit de victime, soyons abandonnés sans réserve à la volonté
de Dieu : autrement nous n'aurons point de part à son sacrifice. Fallût-il être
un holocauste entièrement consumé par le feu, laissons-nous réduire en cendres
plutôt que de nous opposer jamais à ce que Dieu veut de nous. C'est dans la
sainte volonté de Dieu que se trouvent l'égalité et le repos. Dans la vie des
passions et de la volonté propre, on pense aujourd'hui une chose et demain une
autre, une chose durant la nuit et une autre durant le jour, une chose quand on
est triste, une autre quand on est de bonne humeur. Le seul remède à ces
alternatives journalières et à ces inégalités de notre vie, c'est la soumission
à la volonté de Dieu. Comme Dieu est toujours le même dans tous les changements
qu'il opère au dehors, l'homme chrétien est toujours le même lorsqu'il est
soumis à sa volonté. On n'a pas besoin de chercher des raisons particulières
pour se calmer ; c'est l'amour-propre ordinairement qui les fournit ; la
souveraine raison, au-dessus de toute raison, c'est ce que Dieu veut. La volonté
de Dieu, seule sainte en elle-même, est elle seule sa raison et toute notre
raison pour toutes choses. Prenons garde néanmoins que ce ne soit pas par
paresse, et pour nous donner un faux repos, que nous ayons recours à la volonté
de Dieu : elle nous fait reposer, mais en agissant et en faisant tout ce qu'il
faut.
1 Psal. XXXIX, 8.
553
Qu'importe donc ce que nous devenions sur la terre? Arrive
ce qui pourra de nous! Il n'y a qu'une seule chose à vouloir et à demander
toujours : c'est d'accomplir la divine volonté, parce que quiconque fait la
volonté de Dieu, demeurera éternellement. Amen.
Seigneur, qui ne manquez jamais
de vous laisser trouver à ceux qui vous cherchent, qui avez tendu la main à
votre peuple toutes les fois qu'il a levé les siennes vers vous, et que du
comble de son iniquité et de son ingratitude, aussi bien que de son affliction
et de son malheur, il a eu recours à votre clémence.
Seigneur, de qui les yeux sont
incessamment ouverts sur les besoins de ceux qui s'appliquent à ne rien vouloir
en ce monde, que l'exaltation de votre saint nom et la sanctification de leurs
âmes, recevez dans votre miséricorde les promesses que nous vous faisons
aujourd'hui pressés par le désir de réparer les maux que nos langueurs, nos
négligences et nos infidélités nous ont causés, et par la crainte que nous avons
de continuer à vous déplaire et enfin de vous perdre.
Formez dans le fond de nos cœurs
ces protestations saintes que nous allons faire, avant que nos bouches les
prononcent, afin qu'étant votre œuvre beaucoup plus que la nôtre, le même esprit
qui les aura dictées veille sans cesse pour les rendre inviolables ; et que
malgré les tentations qui s'opposent toujours aux résolutions les plus saintes,
rien n'empêche que celle-ci n'ait son effet et son accomplissement tout entier.
Nous renouvelons donc, Seigneur , dans la présence de tous
vos Saints dont nous célébrons aujourd'hui la fête, et sous la
554
protection de votre sainte Mère que nous regardons comme le
soutien de notre faiblesse et l'appui de notre fragilité, les engagements que
nous avons déjà pris au pied de vos sacrés autels ; et nous vous promettons tout
de nouveau de garder notre sainte règle d'une manière plus exacte que nous
n'avons fait jusqu'ici, conformément aux usages, aux pratiques et aux maximes
établies dans ce monastère, que nous avons reçues de nos Pères et de nos saints
instituteurs , comme si vous nous les aviez données par le ministère de vos
anges. Nous vous promettons donc de nouveau de vivre dans l'oubli de toutes les
choses qui passent, dans la fuite et dans l'éloignement des hommes, dans l'amour
de la retraite , dans la prière, dans l'observation d'un silence rigoureux ,
dans la mortification des sens, dans l'austérité de la nourriture, dans la
pauvreté, dans les travaux des mains , dans l'humiliation de l'esprit , dans
l'exercice des humiliations si utiles et si sanctifiantes, dans cette obéissance
, dans ce parfait délaissement et abandon de nous-mêmes entre les mains de celui
qui aura l'autorité pour nous conduire, tant qu'il aura votre esprit et vos
lumières ; et que conformément à nos obligations et à nos désirs, il n'aura
point d'autres vues que de nous élever à la perfection à laquelle notre
profession nous destine ; dans cette confiance sincère et cette affection
cordiale que notre règle nous ordonne d'avoir pour nos supérieurs ; et enfin
dans cette charité si ardente, si soigneuse et si tendre, que nous devons
exercer à l'égard de nos frères , et que nous reconnaissons selon votre parole
être le véritable caractère qui distingue vos élus de ceux qui ne le sont pas.
Nous espérons, Seigneur, que
vous ferez descendre les flammes sacrées de votre divin amour sur le sacrifice
que nous vous offrons, comme vous fîtes autrefois tomber le feu du ciel sur
celui qui vous fut offert par votre prophète ; et que l'odeur qui s'élèvera de
l'embrasement de la victime, étant portée jusqu'à votre trône, obtiendra de
votre bonté toutes les grâces qui nous sont nécessaires; afin que persévérant
tous ensemble, d'un même zèle et d'une même fidélité, dans cette sainte carrière
dans laquelle nous nous trouvons engagés par l'ordre de votre providence, nous
puissions terminer nos combats et consommer heureusement notre
555
course ; et que dans ce jour redoutable auquel vous
viendrez juger le ciel et la terre, lorsque votre archange nous éveillera de
notre sommeil, nous allions malgré toutes les puissances de l'air à votre
rencontre, pleins de cette joie et de cette confiance que vous donnerez à tous
ceux qui, selon vos déterminations éternelles, doivent avoir part à votre gloire
et à votre triomphe.
Quand je dis dans tout ce
discours : Qu'on pèse, qu'on appuie , qu'on considère sérieusement, je veux dire
qu'on s'arrête un peu en faisant un acte de foi : Je crois ; cela est vrai ;
celui qui l'a dit est la vérité même.
Considérer cette vérité
particulière comme une parcelle de la vérité qui est Jésus-Christ même ;
c'est-à-dire Dieu même Rapprochant de nous, se communiquant et s'unissant à nous
: car voilà ce que c'est que Jésus-Christ. Il faut donc considérer cette vérité
qu'il a révélée de sa propre bouche , s'y attacher par le cœur, l'aimer, parce
qu'elle nous unit à Dieu par Jésus-Christ qui nous l'a enseignée, et qui dit
qu'il est « la voie , la vérité et la vie (1). »
AVANT LA LECTURE OU MÉDITATION.
Veni, sancte Spiritus,
etc.
Parlez , Seigneur; votre
serviteur, votre servante vous écoute.
En finissant.
Faites croître , ô mon Dieu ,
dans mon âme la divine semence que vous venez d'y jeter : je vous le demande par
les mérites
1 Joan., XIV, 6
556
infinis et au nom de votre Fils Jésus-Christ
Notre-Seigneur, par l'intercession de la très-sainte Vierge, de saint Joseph et
de tous les anges et saints.
Lisez le chapitre m de saint
Matthieu, pesez sur ces paroles : « Faites pénitence; car le royaume des cieux
est proche, » vers. 2 ; et sur celles-ci : « Préparez les voies du Seigneur ;
faites ses sentiers droits , » vers. 3. Entrez dans les dispositions qui ouvrent
le cœur à Dieu, et l'invitent à demeurer en nous : faites ses sentiers droits :
redressez votre cœur : excitez-vous à aimer Dieu, après avoir tant aimé la
créature, vous-même principalement et la moindre partie de vous-même ,
c'est-à-dire votre corps. Rétablissez en vous-même la droiture, en préférant
l’âme au corps, et Dieu à l'un et à l'autre : c'est ce qui rend le cœur droit et
les voies droites.
Pesez sur ces paroles du verset
A : « Jean avait un habit de poil de chameaux, » etc. Si un innocent et un juste
si parfait s'affligeait ainsi lui-même, combien plus les pécheurs ? Pesez encore
sur les paroles du verset 6 : « Ils étaient baptisés par lui au Jourdain, » etc.
C'est faire sortir le pus de l'ulcère ; et celles-ci: « Faites de dignes fruits
de pénitence, » vers. 8, en vous corrigeant, et en évitant comme la mort les
choses d'ailleurs innocentes, ou même permises ou les moins défendues, si elles
vous disposent au péché : en vous châtiant vous-même par des mortifications
volontaires, lorsqu'on trouvera à propos de vous en prescrire ou de vous en
permettre. Pesez enfin ces paroles du vers. 9 : « Dieu peut de ces pierres faire
naître des enfants d'Abraham. » Ne désespérez jamais de votre conversion : d'un
cœur endurci, Dieu en peut faire un cœur pénitent ; d'un cœur de pierre , un
cœur de chair, pourvu qu'on lui soit fidèle : car il faut de la fidélité et du
courage, pour faire de dignes fruits de pénitence.
Il se faut faire violence , a
afin que la coutume de pécher cède à la violence du repentir, » comme dit saint
Augustin (1). Méditez et goûtez cette parole.
1 S. August In Joan., Tract XLIX, n. 19.
557
Le même jour, le Psaume vi, qui
est le premier de la pénitence. Se présenter soi-même à Dieu, comme un malade
ulcéré , gangrené, affaibli, épuisé : demander à Dieu qu'il nous guérisse ; lui
dire du fond du cœur : Sed tu, Domine, usquequo? « Mais vous, Seigneur,
jusqu'à quand?» vers, 4 : jusqu'à quand me laisserez-vous dans ma nonchalance ?
Excitez ma langueur, excitez ma foi ; donnez-moi de la force et du courage, car
il faut vous être fidèle. Vous m'excitez au dehors par vos ministres , vous
m'excitez au dedans par vous-même ; et si je n'étais pas sourd, j'entendrais
votre voix. Tâchez d'attendrir votre cœur sur ce verset : « J'ai été travaillé
dans mon gémissement : toutes les nuits je laverai mon lit, et je l'arroserai de
mes larmes, » vers. 7.
O Dieu, quand pleurerai-je ma
malheureuse âme, plongée volontairement dans les ombres de la mort ? O Dieu,
frappez cette pierre, et faites-en découler les larmes delà pénitence.
Je n'étends et n'exclus pas les
autres pensées; je vous donne celle-ci pour vous aider : si une suffit, vous
vous y tiendrez. Vous passerez une demi-heure le matin , et autant
l'après-dînée, dans cet exercice. Vous laisserez passer dans la lecture ce que
vous n'entendrez pas, sans même vous efforcer de l'entendre ; et vous tâcherez
de graver dans votre cœur ce que vous entendrez , en pesant chaque parole ,
surtout celles que je viens de marquer, en en remarquant quelques-unes pour les
rappeler de temps en temps durant le jour et la nuit.
Vous commencerez par vous mettre
à genoux, en invoquant le Saint-Esprit et vous mettant devant Dieu. Vous pourrez
lire le chapitre assise , et vous direz le Psaume à genoux, et ainsi tous les
autres jours.
Lisez le même chapitre in de
saint Matthieu ; appuyez sur ces paroles : « La hache est déjà à la racine de
l'arbre. » Vers. 10. Etat d'une âme pécheresse sous le coup inévitable et
irrémédiable de la justice divine, prête à trancher non-seulement les branches,
mais la racine : la main déjà appliquée et le tranchant enfoncé ; il va tomber,
et il n'y a plus que le feu pour un tel arbre. Mais quel
558
feu ! Pesez ces paroles : « Il brûlera la paille dans un
feu qui ne s'éteindra jamais. » Vers. 12.
A ces paroles : « Celui qui
vient après moi est plus fort que moi, » vers. 11, pensez à Jésus-Christ, qui
est venu laver nos péchés en nous donnant le baptême et le feu du Saint-Esprit
pour nous purifier; et après le baptême de l'eau, il nous donne encore le
baptême de la pénitence et des larmes : s'exciter aux regrets et dire : O mon
âme, seras-tu encore longtemps insensible ? O Jésus, attendrissez, amollissez
mon cœur. En continuant, appuyez sur cette parole : « C'est ici mon Fils
bien-aimé, en qui je me plais uniquement. » Vers. 17. Excitez votre cœur à se
plaire en celui en qui le Père met toute sa complaisance.
Le Psaume XXXI, qui est le
second de la pénitence. Appuyez sur ces mots : « Bienheureux l'homme à qui les
iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts. » Vers. 1. Goûtez le
bonheur de celui à qui les péchés sont pardonnes, et qui est réconcilié avec
Dieu. Et encore sur ces paroles : « J'ai dit : Je confesserai mon iniquité au
Seigneur. » Vers. 5. O bonté, j'ai dit : Je confesserai ; et vous avez déjà
pardonné : vous prévenez même l'exécution de la résolution de me confesser, et
vous me pardonnez avant que je m'acquitte de ce devoir. C'est ce qui arrive à
ceux qui ont le cœur contrit de la contrition parfaite ; et pour les autres,
c'est déjà un commencement de pardon que de leur donner un commencement de
repentir. Dieu achèvera son ouvrage : mais il faut lui être fidèle et coopérer à
sa grâce, c'est-à-dire en suivre les impressions et les mouvements.
Sur ces paroles : « Ne soyez pas
comme le cheval et le mulet, » vers. 9 ; inclinations bestiales, l'abrutissement
dans les sens de la chair, impétuosité, aveuglement, volonté indomptable;
toujours devant soi au gré de son appétit insensé ; mais dans la suite écoutez :
O Seigneur , « tenez-leur la mâchoire par le mors et par la bride : » puisqu'ils
sont comme des chevaux et des mulets, traitez-les comme ces animaux. Toi-même,
âme chrétienne, prends la bride en main, retiens tes emportements : car il faut
être fidèle ; et pendant qu'il tient la bride, la tenir aussi soi-même et se
faire violence.
559
Lisez le chapitre XIII de saint
Luc , jusqu'au vers. 18. Appuyez sur la parabole de l'arbre infructueux, vers.
6. C'est un figuier, un excellent arbre , dont le fruit est des plus exquis. Ce
que Dieu attend de nous est excellent, un très-bon fruit, qui est son amour.
Pesez ces paroles : « Il y a trois ans que je cherche du fruit sur cet arbre, et
je n'en trouve point ; » et celles-ci : « Coupez l'arbre,» vers. 7 : pourquoi
tient-il la bonne place , et occupe-t-il inutilement la culture et les soins de
l'Eglise ? Et encore ces paroles : a Laissez-le encore cette année. » Vers. 8.
Prolongation du temps de la pénitence, les soins de la culture redoublés, le
coup bientôt après si on n'est fidèle : espérer, mais craindre, et se souvenir
de cette hache terrible , et de son tranchant appliqué par une main
toute-puissante à la racine , dans l'évangile des jours précédons.
Le Psaume XXXVII, qui est le
troisième de la pénitence, vers. 5. Considérer encore les plaies de notre âme ,
ses ulcères invétérés, la corruption, la gangrène , la mort dans les veines, le
cœur attaqué et déjà presque tout pénétré par le venin. Appuyez encore sur ces
paroles : « Ma force m'a délaissé, et la lumière de mes yeux n'est plus avec
moi, » vers. 11 ; et sur celles-ci : « Mes amis et mes proches se sont approchés
de moi, et se sont arrêtés pour me considérer , » vers. 12. Les prêtres , les
confesseurs , les supérieurs sont venus auprès de moi, pour m'aider dans mon mal
extrême : saisis d'étonnement, ils se sont arrêtés, ne sachant plus que me faire
: enfin ils se sont retirés, ils se sont éloignés de moi: De longé steterunt.
O Seigneur, où en suis-je ? Mais, « ô Seigneur , j'espère en vous : » In te
speravi, Domine. Vers. 10. « Ne me délaissez pas, Seigneur : » Ne
derelinquas me, ne discesseris à me : intende in adjutorium meum. « O
Seigneur, Dieu de mon salut, qui en êtes le seul auteur, appliquez-vous à mon
secours. » Vers. 22, 23. Apprenez par ces paroles qu'il faut faire tous nos
efforts pour prendre de bonnes résolutions ; mais encore en faire davantage pour
demander de tout son cœur à Dieu son secours, sans lequel on ne peut rien. Il
faut encore appuyer sur ce verset : « J'annoncerai mon péché : » Iniquitatem
meam annuntiabo.
560
Vers. 19. C'est la confession; mais il faut y joindre :
Cogitabo pro peccato meo : « Je penserai pour mon péché ; » je ferai
réflexion sur un si grand mal et sur les moyens de m'en délivrer.
Le même chapitre XIII de saint
Luc jusqu'au même endroit. Appuyez sur cette femme qui avait, depuis dix-huit
ans, un esprit d'infirmité, une habitude de faiblesse, qui la rendait incapable
de soutenir sa tête, et qui ne pouvait même en aucune sorte regarder en haut,
vers. Il. Appliquez-vous le tout à vous-même; et prenez cette habitude dans
toutes les lectures que vous faites. Passez au vers. 12 : Et Jésus la guérit.
Il n'y a rien à désespérer : le mal est grand ; mais le médecin est
tout-puissant. Pesez encore, dans le vers. 16 : «Ne fallait-il pas délivrer
cette fille d'Abraham, que Satan tenait liée ? » etc. Songez ce que c'est une
âme liée par Satan, par l'habitude du mal : nul autre que Jésus-Christ ne la
pouvait délier. Il s'applique avec un amour particulier à délivrer les filles
d'Abraham : celles qui sont dans l'alliance; celles qui, à l'exemple de ce
patriarche, ont quitté leur pays et tout ce qu'elles avoient pour suivre Dieu.
Il en a pitié : «Ne fallait-il pas, dit-il, la délier et rompre ses mauvaises
habitudes? » Finissez enfin votre lecture avec ces paroles : «Tout le peuple se
réjouissait, » vers. 17. Coûtez la joie que vous donnerez à tous ceux qui, ayant
été témoins de votre indifférence pour votre salut, le seront du renouvellement
de votre zèle.
Le Psaume L, qui est le
quatrième de la pénitence. Tout y parle également en faveur du pécheur, qui a
pitié de lui-même, et qui prie Dieu de le regarder aussi avec compassion.
Appuyez sur ces paroles : « Créez en moi un cœur pur, » vers. 12. C'est un
ouvrage du Tout-Puissant, et plus qu'une création. Et encore sur ces paroles :
«Fortifiez-moi par l'esprit principal, » vers. 14, l'esprit de courage, de
persévérance et de force, opposé à cet esprit de faiblesse que vous venez de
voir dans cette femme de notre évangile. A ces mots : « Usez, Seigneur, de votre
bonté, afin que les murailles de Jérusalem soient rebâties, » vers. 20. Songez à
Jérusalem ruinée, ville autrefois si belle, si sainte, qui n'est plus qu'un amas
561
de pierres : ainsi est votre ame. Il la faut réédifier
depuis le fondement jusqu'au comble, avec tous ses ornements. Quel travail! quel
courage ! quelle application ! mais aussi quelle joie après l'accomplissement
d'un si bel ouvrage !
Lisez le chapitre XVI de saint
Luc., depuis le vers. 19 jusqu'à la fin. Considérez-y deux choses : la
fin des plaisirs par la mort, le commencement des supplices dans l'enfer. Pesez
ces mots : « Le riche mourut,» vers. 22. Que lui servirent ses plaisirs? Quelle
folie de tant travailler pour un corps mortel ! Appuyez sur la pensée de la mort
; c'est là où commence le supplice éternel de ceux qui sont attachés à leur
corps. Appuyez sur ces paroles : « Je suis tourmenté, je souffre cruellement
dans cette flamme ;» et sur celles-ci: « Qu'il trempe le bout de son doigt dans
l'eau pour rafraîchir ma langue, » vers. 24. A quoi en est-on réduit? A quoi se
termine cette abondance de plaisirs tant recherchés? On se réduit à demander une
goutte d'eau, éternellement demandée, éternellement refusée. Et encore sur ces
paroles : « Il y a un grand chaos entre vous et moi, » vers. 26. Voir de loin le
lieu de repos et de gloire : voir entre soi et ce lieu un espace immense, un
impénétrable chaos : on voudrait s'y élancer, on ne peut : on voudrait que
quelqu'un vint de ce lieu-là pour nous apporter quelque soulagement; rien n'en
viendra jamais : on n'aura que supplice, désespoir, grincements de dents, des
ennemis impitoyables autour de soi, soi-même plus ennemi que tous les autres
ennemis ensemble : trouble immense au dedans; au dehors nul secours, et rien à
espérer. Quel état ! Pesez enfin sur cette parole : « Ils ont Moïse et les
prophètes, » vers. 29. Ils sont inexcusables : combien plus le sommes-nous, nous
qui avons Jésus-Christ et les apôtres, tant de grâces, tant d'exemples des
saints, tant d'instructions et de moyens de sanctification?
Le Psaume CI, qui est le
cinquième de la pénitence. Pesez ces mots : « Hâtez-vous de m'écouter dans mon
extrême faiblesse ; j'ai besoin d'un prompt secours : mes jours se sont dissipés
comme une fumée ; j'ai oublié de manger mon pain, » vers. 3,4, 5. J'ai
562
perdu le pain de vie, la sainte parole, le goût de la
vérité et celui de la table sacrée de Jésus-Christ. Revenez encore à la pensée
de la mort, à ces mots : « Mes jours se sont abaissés et échappés comme l'ombre,
» vers. 12; et encore : « Il est. temps de vous souvenir de Sion, de Jérusalem
ruinée : les pierres en sont agréables à vos serviteurs, et ils les aiment, »
vers. 14, 15. Il faut aimer en soi-même ce qui reste de la ruine des nôtres :
ces pierres, quoique renversées, qui ont composé l'édifice : conserver
soigneusement dans son âme le peu qui reste de bien, et songer à rétablir
Jérusalem, c'est-à-dire à renouveler l’âme ruinée et désolée par le péché.
Lisez le chapitre IX de saint
Marc., depuis le vers. 42. Appuyez sur ces mots, que Jésus-Christ inculque tant
: « Où le ver ne mourra point, et où le feu ne s'éteindra jamais. » Ce ver
rongeur est la conscience réveillée après le long assoupissement de cette vie,
qui ne nous laissera de repos ni jour ni nuit. Songez à ce feu qui ne s'éteint
pas : pesez encore ces paroles de saint Matthieu (1) : « Les enfants du royaume,
» ceux à qui le royaume céleste était destiné, « seront envoyés, » à cause de
leurs infidélités, « dans les ténèbres extérieures, » hors de la lumière céleste
: « c'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents; » là, les
grades méprisées ou négligées se tourneront en fureur : il n'y aura plus moyeu
d'apaiser les reproches de sa conscience ; un mal si extrême ne laissera aux
damnés que la rage et le désespoir. Concluez que pour éviter un mal si étrange,
ce n'est pas trop nous demander que nos mains, nos pieds, nos yeux : il faut
arracher tous nos membres, toutes nos mauvaises habitudes, toutes nos mauvaises
inclinations les unes après les autres, plutôt que de périr à jamais dans de si
cruels supplices. Songez aussi à la violence qu'il se faut faire par la
pénitence, comme s'il fallait s'arracher un pied, une main, ses propres yeux.
Pesez enfin quel aveuglement c'est de s'attacher à son corps, qu'il faut pour
ainsi dire mettre en pièces, de peur qu'il ne soit l'instrument de notre
supplice après avoir été l'appât qui nous a trompés.
1 Matth., VIII, 12.
563
Le Psaume CXXIX , qui est le sixième de la pénitence.
Entonner un lugubre De prof midis, sur la mort de votre âme : vous représenter
dans l'enfer, au milieu de ces affreux et intolérables supplices que vous venez
de voir ; crier à Dieu du fond de cet abîme : De profundis, et n'attendre rien
que de sa miséricorde. Pesez surtout cette parole : Copiosa apud eum
redemptio : « La rédemption chez lui est abondante,» vers. 7. Pensez ici à
ses infinies miséricordes et aux mérites infinis du sang de Jésus-Christ. Ah!
que la rédemption est abondante du côté de Dieu! Que la fidélité soit égale de
votre côté par le secours de sa grâce, qu'il faut demander avec ardeur.
Interposez souvent dans vos prières, entre Dieu et vous, le nom adorable de
notre Sauveur Jésus-Christ, à l'exemple de l'Eglise, qui conclut toutes ses
prières par ces mots : Per Dominum nostrum Jesum Christum : Par
Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Lisez le chapitre XXV de saint
Matthieu, jusqu'au vers. 14 : « Le royaume des cieux est semblable à dix
vierges.» Elles ont toutes des lampes allumées : toutes étaient en grâce :
toutes également dans une profession sainte où elles attendaient l'Epoux
céleste, et ne demandaient que d'entrer dans son festin nuptial ; mais la moitié
en est exclue. Pesez sur cette huile qui devait entretenir les lampes : ce sont
les saintes pratiques et en particulier celles de la vie religieuse, toutes
faites pour entretenir la présence de Dieu et l'esprit de piété. Faute de
s'attacher à ces observances, les lampes s'éteignent. C'est en vain qu'on
demande aux autres une partie de leur huile ; chacun a à répondre de soi.
Pesez sur cette forte clameur,
ce grand cri qui se fait entendre tout à coup : « Voici l'Epoux qui vient, il
faut aller au-devant de lui, » vers. 6. Il faut mourir; il arrive, il faut aller
comparaître à son jugement. On craint d'y paraître avec des lampes éteintes ; on
va pour acheter de l'huile. On s'efforce près de la mort de faire de bonnes
œuvres, et on regretté le temps perdu : il n'est plus temps : il y avait le
moment à prendre. Ce n'est pas qu'il ne soit toujours temps à notre égard, parce
que nous ne savons pas jusqu'où
564
l'Epoux veut étendre ses miséricordes ; c'est pourquoi il
faut toujours approcher, à quelque heure qu'il nous invite. Mais l'Epoux sait
ses moments, et il faut aussi toujours veiller; parce qu'on ne sait ni le jour
ni l'heure; et si on la passe, on criera en vain : «Seigneur, Seigneur,
ouvrez-nous. » Le Seigneur nous répondra : Nescio vos : « Je ne vous
connais point, » vers. 12. O terribles paroles! Je ne vois en vous aucune des
marques que j'ai mises dans mes enfants, aucune marque de la vraie, piété
chrétienne , aucune vraie observance de la vie religieuse : retirez-vous ; la
porte est fermée à jamais; je ne sais qui vous êtes : allez, allez avec ceux que
je ne connais pas, et qui ne me connaissent pas aussi. Elles périrent donc par
leur négligence, et pour avoir méprisé ou négligé ce qui entretenait la lampe
allumée, c'est-à-dire la piété véritable, la piété fervente. Pesez encore le mal
de la négligence : ce n'est pas tant le crime qui nous perd que la négligence et
la tiédeur ; c'est elle qui, en empêchant d'entretenir l'esprit de piété, fait
venir les crimes qui l'éteignent tout à fait. Ceci est bien à peser.
Le Psaume CXLII , qui est le
septième de la pénitence. Appuyez sur ces paroles: «N'entrez point en jugement
avec votre servante, » vers. 2 : ne m'imputez point toutes mes négligences : qui
se peut sauver si vous les imputez? Mais il faut donc travailler sans cesse à
les diminuer; autrement c'est se moquer que de le prier de ne les pas imputer.
Et encore : « Mon ennemi m'a mis dans des lieux obscurs; ma vie est éteinte, et
on me va mettre en terre; je suis parmi les morts, » vers. 3, 4. Et encore : «
Mon âme est comme une terre desséchée ; hâtez-vous de m'écouter : mon esprit est
défailli, et je tombe sans force : si vous ne m'aidez, mes résolutions seront
vaines ; apprenez-moi à faire votre volonté, » vers. 6, 7, 10. Mais il faut donc
que je vous écoute; autrement je n'apprendrai rien, et tous vos enseignements
seront sans effet.
Le même chapitre XXV de saint
Matthieu, depuis le vers. li jusqu'à la fin. Les talents sont les dons de Dieu.
Pesez sur la nécessité de les faire valoir : pesez sur la rigueur extrême du
compte
565
qu'on vous en demandera. Appuyez sur ces paroles : « Le
serviteur inutile..., » vers. 30, et voyez où on le jette. Son crime, c'est son
inutilité ; c'est de n'avoir pas fait profiter les grâces. Ce sont des talents
enfouis ; ce qui est confirmé par ces paroles : « Serviteur paresseux et
mauvais, » vers. 26. Un serviteur est assez mauvais, quand il est paresseux,
lâche, nonchalant ; il n'en faut pas davantage pour le chasser : on lui ôte même
ce qu'il a, vers. 28, 20; il est nu, dépouillé, dans une indigence éternelle. Le
bon serviteur profite de sa perte, parce qu'il devient encore plus soigneux et
plus diligent par l'exemple d'une si sévère punition de la négligence. Pesez
encore ces paroles : « Parce que vous avez été fidèle en peu, il vous sera donné
beaucoup, » vers. 21 ; car il le répète deux fois. Prenez garde à ne pas
négliger les petites choses; car de là dépendent les grandes; et le Sage a
raison de dire : «Qui méprise les petites choses, tombe peu à peu (1). » L'on se
trouve sans y penser dans l'abîme, d'où l'on ne sort point ; car le Juge a dit :
« Allez, maudits, retirez-vous, » vers. 41. Cet abîme, c'est le chaos que vous
avez déjà vu. Tremblez à ces mots : « Retirez-vous ; » et à ceux-ci : «au feu
éternel; » et encore à ceux-ci : « préparé au diable et à ses anges. » Quel est
le lieu où l'on est banni? Avec qui est-on? Et pourquoi? On ne raconte point
d'autres crimes que celui d'avoir omis et négligé les bonnes œuvres. Ainsi, à
vrai dire, la négligence est le seul crime qu'on punit : donc tout faire, et
toujours avec zèle, avec ferveur, avec persévérance.
Le Psaume LXXXVII. Appuyez sur
ces mots : « Mon âme est remplie de mal; ma vie est proche de l'enfer : je suis
mis au rang de ceux qui ont été jetés dans le lac, » vers. 4, 5. C'est le cachot
des criminels, si profond qu'on a trouvé l'eau en le creusant ; et encore : «
Dans le lac inférieur, » vers. 7 ; dans le cachot le plus profond et le plus
ténébreux , « comme ceux qui sont blessés et déjà mis dans le tombeau, dont vous
ne vous souvenez plus, » vers. 6. Il faut donc crier jour et nuit, et prévenir
Dieu dès le matin : car encore que par votre long endurcissement vous vous soyez
mis au rang des morts, vous pouvez ressusciter par sa bonté.
1 Eccli., XIX, 1.
566
Les médecins ne ressuscitent pas : mais Jésus-Christ est un
médecin tout-puissant, qui peut rendre la vie à l’âme, et qui ressuscite les
morts.
Le chapitre XVI de saint
Matthieu, depuis le vers. 21 jusqu'à la fin ; et en saint Luc, le chapitre IX,
vers. 21 jusqu'au 27. Pesez ces mots : « Porter sa croix, » vers. 21; et ce mot
que saint Luc ajoute : « Tous les jours, » vers. 13. Crucifier ses passions,
c'est l'ouvrage de tous les jours. Pesez encore ces mots : « Qu'il renonce à
soi- même ; » à son corps, à ses sens, à tout ce qu'ils présentent; à son âme,
comme Jésus-Christ dit ailleurs, à sa propre volonté, à sa propre joie. Si cela
semble rude, deux choses adoucissent cette peine: la première, c'est que
Jésus-Christ nous a précédés dans cette voie ; c'est ce qu'il pose pour
fondement. Il ajoute : Qu'il faut le suivre. C'est la première considération,
Matth, XVI, 24 ; Luc, IX, 23.
La seconde, qui adoucit cette
croix et ce prodigieux renoncement que l'Evangile nous prescrit, c'est que par
là on sauve son âme : « Qui la perd» en cette sorte, la « sauve, » la trouve, la
garde : « mais qui la garde » en cette vie, qui lui épargne les croix, qui lui
procure les plaisirs, qui ménage ses inclinations , «la perd sans ressource (1).
» Jésus-Christ achève de surmonter la difficulté, en nous disant: « Que sert à
l'homme,» etc. Que lui sert d'avoir tout le monde, s'il perd son âme, s'il se
perd lui-même? «Et que donnera-t-il en échange pour son âme (2)?» Il faut donc
le répéter souvent pendant le jour. Quand il faut quitter quelque chose qui
plaît, se dire toujours, quand ce serait tout le monde : « Que sert à l'homme?»
Hélas! encore un coup, que sert à l'homme? Que peut gagner celui qui se perd
soi-même? que lui reste-t-il de ce qu'il croyait avoir gagné, après que lui-même
il s'est perdu? Cette parole a fait tous les solitaires, tous les pénitents,
tous les martyrs, tous les saints. Faute de l'avoir entendue, saint Pierre est
appelé Satan (3), et les apôtres sont jugés indignes d'annoncer Jésus-Christ.
Le Psaume XII : Usquequo,
Domine : « Jusqu'à quand, Seigneur,
1 Matth., XVI, 25 ; Luc.,
IX, 24. — 2 Matth., XVI, 26. — 3 Ibid., 23.
567
jusqu'à quand m'oublierez-vous ? » Mais vous ne m'oubliez
que parce que je m'oublie moi-même. Jusqu'à quand oublierai-je mon âme , et
tâcherai-je de lui gagner ce qui la perd? Serai-je encore longtemps à rouler de
vains desseins dans mon esprit? Ne me résoudrai-je jamais! Pourquoi veux-je
faire triompher mon ennemi ? Quel plaisir prends-je à me perdre ? Mon âme,
prends une fois une bonne résolution. Et vous, Seigneur, éclairez-moi de peur
que je ne m'endorme dans la mort. Pesez ces mots : « S'endormir dans la mort. »
Affreux sommeil, funeste repos, perte irréparable, quand on est dans la mort ;
et que loin de veiller pour en sortir, on s'y endort volontairement.
Le chapitre IX de saint
Matthieu, depuis le vers. 9 jusqu'au 14; et le chapitre XV de saint Luc tout le
long. Pesez ces paroles : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les
pécheurs (1). » Les pécheurs sont la cause de sa venue : il leur doit en quelque
sorte son être humain : combien donc les aime-t-il ? S'approcher de Jésus-Christ
comme d'un médecin des maux incurables , lui exposer ses plaies cachées,
considérer combien « il aime à exercer la miséricorde. » Contempler des yeux de
la foi la brebis égarée et perdue, soi-même ; le bon Pasteur , qui la cherche ,
qui s'abaisse pour la relever ; sa pitié, sa condescendance, qui la porte, parce
qu'elle est faible ; qui la charge sur ses épaules, et ne se plaint point de ce
fardeau, parce qu'il l'aime et qu'il ne la veut plus perdre ; la joie du ciel.
Le pécheur pénitent est, en un certain sens, préféré au juste ; et un seul, à
quatre-vingt-dix-neuf (2) : Le grand prix d'une âme devant Jésus-Christ, la
grande douleur qu'il a de la perdre, et la joie de la recouvrer comme la drachme
perdue, vers. 8. Le prodigue qui veut son bien hors des mains et de la maison de
son père, vers. 12 : il perd tout par ses plaisirs : ses propres excès le
ramènent : il a honte d'avoir à nourrir les pourceaux, ses passions, ses sens,
troupeau immonde et infâme. Il ne dit pas seulement : « Je me lèverai, » vers.
18, ne prend pas de vaines résolutions : il se lève , il marche , il arrive : a
Mon
1 Matth., IX, 13. — 2 Luc., XV, 4.
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père , dit-il, j'ai péché, je ne suis pas digne...., »
vers. 21. Dire cela du fond du cœur. Plus il s'humilie , plus le père
s'attendrit. Il le voit de loin ; dès le premier pas qu'il fait, il accourt, il
s'attendrit , il tombe sur son cou : remarquez, il ne s'y jette pas, il y tombe;
il ne se peut retenir, il s'incline, il s'abaisse lui-même : il semble qu'il ne
veuille plus avoir de soutien que ce fils qu'il a recouvré; et il le comble de
tant de biens, que le juste, qui a toujours persévéré, semble avoir quelque
sujet d'entrer en jalousie. Laissez-vous toucher à une telle bonté; dites
souvent, mais dites tout de bon : « Je me lèverai, j'irai à mon Père. » Ayez
pitié de vous-même, en disant : « Je meurs ici de faim , » vers. 17. Mon père
donne à toutes ses créatures, jusqu'aux plus viles, ce qui leur est nécessaire,
et il nourrit jusqu'aux corbeaux : et moi, qui suis son fils, «je meurs ici de
faim: » je cherche une nourriture qui m'affame, parce qu'elle me prive du pain
de vie : allons, allons, je me lèverai, j'irai à mon père : il est temps, il est
plus que temps.
Qui ne pleurerait son âme
égarée, en disant ces paroles? Qui ne s'empresserait de se ranger parmi les
pécheurs pénitents ? On a vu dans le second Psaume de la pénitence, que tous les
saints prient pour nous et pour notre iniquité : il faut donc les appeler tous à
notre secours et dire les Litanies des Saints avec les prières qui suivent; et
pour Psaume, le lxix, qui fait partie de ces prières. Pesez ces mots : «
Hâtez-vous. » Le prodigue, qui dit déjà : « Je me lèverai, j'irai... » sent
qu'il a eu besoin de Dieu pour le dire, et qu'il en a encore besoin pour
l'exécuter. Il dit donc, dans son besoin et dans sa faiblesse : Hâtez-vous,
hâtez-vous : je suis un mendiant, je suis un pauvre ; aidez-moi, Seigneur : je
n'ai rien à vous donner; je suis pauvre et mendiant, je suis votre pauvre; je
n'ai rien pour vous exciter à la pitié que mon extrême misère. Voulez-vous faire
un coup digne de votre miséricorde, voici une occasion dans mes péchés pour la
signaler. Mais, mon Aide , mon Libérateur, ne tardez pas : hâtez-vous, ne tardez
pas : hâtez-vous, je péris : la force me manque ; je ne puis me tenir à ce bâton
que vous me tendez au-dessus de l'eau : je n'en puis plus; mes mains défaillent.
Tirez-moi de cet abîme ; je me noie.
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Finir la retraite en lisant les
derniers versets de saint Matthieu, chapitre xi, depuis le verset 28 : « Venez à
moi, vous tous qui êtes chargés, » etc. C'est Jésus-Christ qui vous invite , le
même que vous avez offensé : il vous cherche , il revient à vous. A qui vient-il
? A moi qui suis un pécheur, un ingrat, un prodigue, un malade. Il revient donc
à moi comme un médecin, comme un Sauveur aussi bon que puissant. Venez , ô âme
malade et mourante ; venez, vous que vos faiblesses troublent, que vos péchés
accablent : venez ; imitez ma douceur. Ne vous plaignez pas , ne vous aigrissez
pas, ne vous soulevez pas contre ceux qui vous veulent guérir : soyez doux quand
on vous reprend ; je l'ai bien été quand on m'a mis à la croix, moi en qui il
n'y avait rien à reprendre. Soyez humble à mon exemple : si vous êtes humble,
vous vous laisserez conduire, vous vous laisserez reprendre : vous changerez
votre aigreur indocile en douceur et en reconnaissance. N'appréhendez pas mon
joug, il est doux; ni mon fardeau, il est léger. Le saint amour que j'inspire
adoucit tout, il rend tout agréable et aisé. C'est un joug cependant, c'est un
fardeau : il faut du courage pour le porter ; mais on est bien payé de sa peine
: j'ai beaucoup à donner en cette vie et en l'autre; on ne perd rien avec moi;
il n'y a qu'à venir lorsque j'appelle. Croyons toujours entendre cette douce
invitation du Sauveur, ce doux « Venez à moi. »
Quelle doit être notre espérance
et notre consolation, dans quelque angoisse que nous puissions nous trouver !
Comme c'est à titre de misère que Jésus-Christ nous invite de venir à lui, les
plus misérables sont les plus appelés. Amen.
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