SILVESTRE
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SAINT SILVESTRE

 

Silvestre vient de sile qui veut dire lumière, et de terra terre, comme lumière de là terre, c'est-à-dire de l’Église qui, semblable à une bonne terre, contient la graine des bonnes oeuvres, la noirceur de l’humilité et la douceur de la dévotion. C'est, à ces trois qualités, dit Pallade, qu'on distingue la bonne terre. Ou bien Silvestre viendrait de silva, forêt et Theos, Dieu, parce qu'il attira à la foi des hommes sylvestres, incultes et durs. Ou comme il est dit dans le Glossaire : Sylvestre signifie vert, agreste, ombreux, couvert de bois. Vert dans la contemplation dés choses célestes, agreste par la culture de soi-même, ombreux, en refroidissant en lui toute concupiscence, couvert de bois, c'est-à-dire planté au milieu des arbres du ciel. Sa légende fut compilée par Eusèbe de Césarée; le bienheureux Gélase rappelle qu'elle a du être lue par les catholiques dans un comité de soixante-dix évêques, ce qui est relaté aussi dans le décret.

 

Silvestre naquit d'une mère appelée Juste de non et d'effet; il fut instruit par Cyrien, prêtre, et il exerçait l’hospitalité avec un grand zèle. Un homme fort .chrétien, nommé Timothée, fut reçu chez lui, alors qu'on fuyait le saint à cause de la persécution. Ce Timothée prêcha l’espace d'un an et trois mois et obtint ensuite la couronne du martyre pour avoir annoncé avec un zèle persévérant la foi de J.-C. Or, le préfet Tarquinius, pensant que Timothée regorgeait de biens, les exigea de Silvestre avec menaces de mort; Toutefois, après s'être assuré que véritablement Timothée ne possédait pas les richesses qu'on lui supposait, il commanda à Silvestre de sacrifier aux idoles, autrement il aurait à passer le lendemain par divers genres (117) de supplices. Silvestre lui dit : « Insensé, tu mourras cette nuit, puis tu subiras des tourments éternels, et que tu le veuilles ou non, tu reconnaîtras le vrai Dieu que nous honorons. » Silvestre est donc conduit en prison et Tarquinius est invité à un dîner: Or, en mangeant, il se mit, dans le gosier, une arête de poisson qu'il ne put ni rejeter ni avaler, en sorte qu'au milieu de la nuit, le défunt fut porté au tombeau avec deuil. Et Silvestre, qui était aimé singulièrement non pas tant des chrétiens que des païens, fut délivré de prison, et il y eut grande joie. Il avait, en effet, un aspect angélique, une parole éloquente ; il était bien fait de corps; saint en oeuvres, puissant en conseil, catholique dans sa foi, fort d'espérance, et d'une immense charité. Après la mort de Meletriade, évêque de la ville de Rome, Silvestre fut, élu, malgré lui, souverain Pontife par tout le peuple. Il conservait écrits sur un registre les noms de tous les orphelins, des veuves et des pauvres qu'il pourvoyait de tout ce qui leur était nécessaire. Ce fut lui qui institua le jeûne du quatrième, du sixième jour et du samedi, et qui fit réserver le jeudi comme le dimanche. Les chrétiens grecs prétendant qu'on devait célébrer le samedi de préférence au jeudi, Silvestre répondit que cela ne pouvait pas être, parce que c'était une tradition apostolique et qu'on devait compatir à la sépulture du Seigneur. Ils lui répliquèrent: « Il y a un samedi où l’on honore la sépulture et où l’on jeûne une fois par an. » Silvestre répondit: « De même que tout dimanche est honoré à cause de la résurrection, de même tout samedi est honoré pour la sépulture du Seigneur. » Ils (118) cédèrent donc sur le samedi, mais ils firent beaucoup d'opposition par rapport au jeudi, en disant que ce jour ne  devait pas faire partie des solennités chrétiennes. Mais Silvestre en démontra la dignité en trois points principaux. En effet, c'est le jour où le Seigneur monta au ciel, où il institua le sacrifice de son corps et de son sang, et où l’Eglise fait le Saint-Chrême tous alors acquiescèrent à ses raisons.

Pendant la persécution de Constantin, Silvestre sortit de la ville et resta avec ses clercs sur une montagne. Or, en punition de sa tyrannie; Constantin devint couvert d'une lèpre incurable. D'après l’avis des prêtres des idoles, on lui amena trois mille enfants pour les faire égorger et puis se baigner dans leur sang frais et chaud. Quand il sortit pour 'aller ait lieu oit le bain devait être préparé, les mères des enfants vinrent au-devant de lui et, les cheveux épars, elles se mirent à pousser des hurlements pitoyables; alors Constantin, ému, fit arrêter son char et se leva pour parler : « Ecoutez-moi, dit-il, chevaliers, compagnons d'armes, et vous tous qui êtes ici : la dignité du peuple romain a pris naissance dans la source de compassion qui fit porter cette loi que celui-là serait condamné à mort qui tuerait un enfant à la guerre. Combien grande donc serait notre cruauté d'infliger à nos enfants ce que nous proscrivons nous-mêmes de faire aux enfants des étrangers! Que nous servirait-il d'avoir dompté les barbares, si nous sommes vaincus par la cruauté? Car avoir vaincu les nations étrangères par la force, c'est le fait des peuples belliqueux, mais vaincre ses vices et ses fautes, c'est l’excellence (119) des bonnes mœurs. Or, dans les premiers combats nous somme plus forts que les barbares, et dans les seconds nous sommes les vainqueurs de nous-mêmes. Celui qui est défait dans cette lutte, obtient la victoire quoique vaincu; mais le vainqueur est vaincu après sa victoire, si la pitié ne l’emporté sur la cruauté. Que la pitié soit donc victorieuse en cette rencontre. Nous ne pourrons être véritablement vainqueurs de tous nos adversaires, si nous sommés vaincus en pitié. Celui-là se montre le maître de tous qui cède à la compassion. Il me vaut mieux de mourir en respectant la vie de ces innocents, que de recouvrer, par leur mort, une vie entachée de cruauté, vie qu'il n'est pas certain que je recouvre, mais qui certainement serait entachée de cruauté, si je la sauvais ainsi.» Il ordonna donc que les enfants seraient rendus à leurs mères, auxquelles il fit fournir une quantité de voitures. Ce fut ainsi que ces mères,  qui étaient venues en versant des larmes, retournèrent chez elles pleines de joie. Quant à l’empereur, il revint à son palais *. La nuit suivante saint Pierre et saint Paul ltii apparurent et lui dirent

« Puisque tu as eu horreur de répandre le sang innocent, le Seigneur J.-C. nous a envoyés pour te fournir le moyen de recouvrer la santé. Fais venir l’évêque Silvestre qui est caché sur le mont Soracte; il te montrera une piscine, dans laquelle tu te laveras trois fois, après quoi tu seras entièrement guéri de ta lèpre. Et en réciprocité de cette guérison due à J.-C., tu détruiras

 

* Lettre du pape Adrien Ier à Constantin et à Irène ; — Nicéphore, Histoire, VII, XXXIV.

 

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ras les temples des idoles; tu élèveras des églises en l’honneur de ce même J.-C., et désormais sois son adorateur. » A son réveil, Constantin envoya aussitôt des soldats vers Silvestre. En les voyant, le saint, crut être appelé à l’honneur du martyre; il se recommanda à Dieu et, après avoir exhorté ses compagnons, il se présenta sans crainte devant Constantin. L'empereur lui dit : « Je vous félicite de votre heureuse venue. » Et quand Silvestre l’eut salué à son tour, le prince lui raconta en détail la vision qu'il avait eue pendant son sommeil. Sur la demande qu'il lui adressa pour savoir ,quels étaient les deux dieux qui lui étaient apparus, Silvestre répondit qu'ils n'étaient pas des dieux, mais les apôtres de J.-C. Sur la prière de l’empereur, Silvestre se fit apporter les ,images des apôtres; et l’empereur ne les eut pas plutôt regardées, qu'il s'écria

« Ils ressemblent à ceux qui me sont apparus. » Silvestre l’admit au nombre des catéchumènes, lui imposa huit jours de jeûne, et l’invita à ouvrir les prisons. Or, quand l’empereur descendit dans les eaux du baptistère, un admirable éclair de lumière y brilla : il en sortit, guéri * et il assura avoir vu J.-C. Le premier jour après son baptême, il ordonna par une loi que J.-C. fût adoré comme le vrai Dieu dans la ville de Rome; le second jour, que tout blasphémateur serait puni de mort; le troisième que quiconque insulterait

 

* Livre pontifical du pape Damase. Binius dans ses notes sur ce livre prouve par l’autorité d'auteurs chrétiens et païens que réellement Constantin fut guéri de la lèpre dans son baptême, quoique Eusèbe n'en fasse aucune mention, dans la crainte de déplaire aux successeurs de ce prince.

 

un chrétien fût privé de la moitié de ses biens; le quatrième que, comme l’empereur à Rome, le pontife romain serait tenu pour chef de tous les évêques; le cinquième, que celui qui se réfugierait dans une église, serait à l’abri de toute poursuite; le sixième, que personne n'eût à construire une église dans l’enceinte d'une ville, sans la permission de son évêque; le septième, que la dîme des domaines royaux serait accordée pour la construction des églises; le huitième, l’empereur vint à d'église de saint Pierre s'y accuser avec larmes de ses fautes, et prenant ensuite une bêche, il ouvrit le premier la terre pour les fondations de la basilique qui allait être construite, et il tira douze corbeilles de terre qu'il porta sur ses épaules pour les jeter au dehors.

Aussitôt qu'Hélène, mère de l’empereur Constantin, qui habitait Béthanie, eut appris ces événements, elle écrivit à son fils pour le louer d'avoir renoncé aux faux dieux; mais elle lui reprocha amèrement d'adorer comme Dieu, à la place de celui des Juifs, un homme qui avait été attaché à une croix. Alors l’empereur répondit à sa mère qu'elle amenât avec elle des docteurs pris parmi les Juifs, que lui-même produirait des docteurs chrétiens, afin qu'à la suite de la discussion, on vît de quel côté se trouvait la vraie foi. Or, sainte Hélène amena cent quarante et un Juifs très doctes, parmi lesquels s'en trouvaient douze qui l’emportaient de beaucoup sur les autres en sa, gesse et en éloquence. Silvestre avec ses clercs et les Juifs dont on vient de parler se réunirent par devant l’empereur pour disputer; d'un commun accord, on établit deux juges qui (122) se trouvaient être des gentils très éclairés et probes : Craton et Zénophile, auxquels il appartiendrait de dire leur sentiment sur lés matières à traiter. Quoique gentils, ils étaient très loyaux et fidèles ; ils convinrent donc ensemble que quand l’un serait levé pour parler, l’autre se tairait. Le premier des douze qui s'appelait Abiathar commença et dit : « Puisque ceux-ci reconnaissent trois dieux, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, il est manifeste qu'ils vont contre la loi qui dit : Voyez que je suis le seul Dieu et qu'il n'y a point d'autre Dieu que moi. Enfin s'ils disent que le Christ est Dieu, parce qu'il a opéré beaucoup. de signes, dans notre loi aussi, il y eut beaucoup de personnes qui firent plusieurs miracles, et cependant jamais elles n'osèrent s'en prévaloir pour usurper le nom de la divinité, comme ce Jésus, que ceux-ci adorent. » Silvestre: lui répondit : «Nous adorons un seul Dieu, mais nous ne disons pas qu'il vive dans un si grand. isolement; qu'il n'ait pas la joie de posséder un fils. Nous sommes en mesure de vous démontrer par vos livres mêmes la trinité de personnes. Nous appelons Père celui dont le prophète a dit : « Il  m’a invoqué, vous êtes mon Père. » Fils, celui dont il est dit au même livre : « Tu es mon fils, je t'ai engendré aujourd'hui. » Le Saint-Esprit, dont le même a dit: «Toute leu force est dans l’esprit de sa bouché. » Nous y lisons encore : « Faisons l’homme à notre image et a ressemblance », d'où l’on peut conclure évidemment la pluralité de personnes et l’unité de la divinité ; car ,quoique ce soient trois personnes, elles ne font cependant qu'un Dieu ; ce qu'il nous est facile de montrer (123) jusqu'à un certain point par un exemple visible. Alors il prit la pourpre de l’empereur et y fit trois plis. «Voici, dit-il, trois plis;» et en les dépliant : « vous voyez, ajouta-t-il, que les trois plis font une seule pièce, de même trois personnes sont un seul Dieu. Pour ce qu'on dit qu'il ne doit pas être un Dieu d'après ses miracles, puisque bien d'autres saints en ont fait et ne se sont cependant pas dits des dieux, comme J.-C., lequel a voulu prouver par là qu’il est Dieu ; certainement Dieu n'a jamais laissé sans châtier grandement ceux qui s'enorgueillissaient contre lui; comme cela est prouvé par Dathan et Myron, et par beaucoup d'autres; comment donc a-t-il pu mentir et se dire Dieu, ce qui n'était pas, lorsque en se disant Dieu, il ne s'en est suivi aucun châtiment ? et cependant ses actions merveilleuses restent efficaces. » Alors les juges dirent : « Il est constant qu'Abiathar a été vaincu par Silvestre, et la raison enseigne que s'il n'eût pas été Dieu en se disant Dieu, il n'eût pu donner la vie aux morts. » Le premier, ayant été écarté, le second qui s'appelait Jonas s'approcha au combat : « Abraham, dit-il, en recevant de Dieu la circoncision, a été justifié et tous les enfants d'Abraham sont encore justifiés par la circoncision donc celui qui n'aura pas été circoncis ne sera pas justifié.» Silvestre lui dit : « Il est constant que Abraham, avant sa circoncision, a plu à Dieu et qu'il a été appelé l’ami de Dieu, donc la circoncision ne l’a pas sanctifié; mais c'est par sa foi et sa justice qu'il plut à Dieu; donc il n'a pas reçu la circoncision comme justification, mais comme signe de distinction. » Celui-ci ayant été (124) vaincu à son tour, Godolias, le troisième, vint dire : « Comment votre Christ peut-il être Dieu, puisque vous convenez qu'il est né, qu'il a été tenté, trahi, dépouillé, abreuvé de fiel, lié, crucifié, enseveli? Tout cela n'est pas d'un Dieu. » Silvestre lui répondit : « Par vos livres nous allons prouver que toutes ces choses ont été prédites de J.-C. Ecoutez les paroles d'Isaïe touchant sa naissance. « Voici qu'une vierge enfantera »; celles de Zacharie sur sa tentation : « J'ai vu Jésus le grand prêtre debout devant un ange et Satan qui se tenait debout à sa droite » ; celles du psalmiste par rapport à sa trahison : « Celui qui mangeait mon pain « a fait éclater sa trahison contre moi. » Le même sur son dépouillement. « Ils ont partagé mes vêtements » ; et encore au sujet du fiel dont il a été abreuvé : « Ils  m’ont donné du fiel pour ma nourriture et du vinaigre pour ma boisson. » Esdras dit de ce qu'il a été lié « Vous  m’avez lié, non pas comme un père qui vous a délivrés de la terre d'Égypte; vous avez crié devant le tribunal du juge, vous  m’avez humilié en  m’attachant sur le bois, vous  m’avez trahi. » Jérémie parle ainsi de sa sépulture : « Dans sa sépulture, les morts revivront. » Godolias n'ayant rien à répondre, les juges le firent retirer. Vint le quatrième, Annas, qui parla ainsi : « Silvestre attribue à son Christ ce qui s'applique à d'autres, il lui reste à prouver que ces prédictions regardent le Christ. » Silvestre lui dit : « Montrez m’en donc un autre que lui qu'une vierge ait conçu, qui ait -été abreuvé avec du fiel, couronné d'épines, crucifié, qui soit mort et ait été enseveli, qui soit ressuscité d'entre les morts et monté aux cieux ? » Alors (125) Constantin dit : «S'il ne démontre pas qu'il s'agit d'un autre, il est vaincu. » Comme Annas ne le pouvait faire, il est remplacé par un cinquième appelé Doeth. « Si, dit-il, ce Christ, né de la race de David, avait été autant sanctifié que vous l’avancez, il n'a pas dû être baptisé pour être sanctifié de nouveau? » Silvestre lui répliqua : « De même que la circoncision a pris sa fin dans la circoncision de J.-C., de même nôtre baptême reçut son commencement de sanctification dans le baptême de J.-C., donc il n'a pas été baptisé pour être sanctifié, mais pour sanctifier. » Comme Doeth se taisait, Constantin dit : « Si Doeth avait quelque réplique à faire, il ne se tairait pas. » Alors le sixième, qui était Chusi, prit la parole : « Nous voudrions, dit-il, que Silvestre nous exposât les causes de cet enfantement virginal. » Silvestre lui dit : « La terre dont Adam fut formé était vierge et n'avait pas encore été souillée, car elle ne s'était pas encore ouverte pour boire le sang humain ; elle n'avait pas encore porté d'épines de. malédiction; elle n'avait pas encore servi de sépulture à l’homme ; ni été donnée pour nourriture au serpent : Il a donc fallu que de la vierge Marie fût formé un nouvel Adam, afin que comme le serpent avait vaincu celui qui était né d'une vierge, de même il fût vaincu à son tour par le fils d'une vierge ; il a fallu que celui qui avait été. le vainqueur d'Adam dans le paradis devînt aussi le tentateur du Seigneur dans le désert, : afin que celui qui avait vaincu;Adam par la gourmandise, fût vaincu par le jeûné : en Notre-Seigneur. » Celui-ci vaincu, Benjamin, le septième, se mit à dire : « Comment votre (126) Christ peut-il être le fils,de Dieu, quand il a pu être tenté par le diable, à tel point que, ici il est pressé dans sa faim de faire du pain avec des pierres; là il est transporté sur les hauteurs du temple; ailleurs, il est induit à adorer le diable lui-même. » A cela Silvestre répondit : « Donc s'il a vaincu le diable, parce qu'il avait été écouté d'Adam, qui mangea; il est certain qu'il a été vaincu en ce qu'il a été méprisé par J.-C., qui jeûna. Au reste, nous avouons bien qu'il a été tenté non en tant que Dieu, mais en tant qu'homme. Il a été tenté trois fois pour éloigner de nous toutes les tentations, et pour nous enseigner la manière de vaincre. Souvent, en effet, dans l’homme, la victoire par l’abstinence est suivie de la tentation de la gloire humaine, et celle-ci est accompagnée du désir des possessions et de la domination. Il a été vaincu par J.-C. afin de nous apprendre à vaincre. A Benjamin mis hors de cause succéda Aroël qui était le huitième : « Il est certain, dit-il, que Dieu est souverainement parfait et que par conséquent il n'a besoin,de personne; qu'a-t-il eu besoin alors de naître dans le Christ? Pourquoi encore l’appelez-vous le Verbe. Il est certain encore que Dieu avant d'avoir un fils n'a pu être appelé Père donc si plus tard il a pu être appelé le père du Christ, il n'était pas immuable. » A cela Silvestre répondit : « Le Fils a été engendré par le Père avant les temps, pour créer ce qui n'était point, et il est né dans le temps, pour restaurer ce qui avait péri. Quoi qu'il eût pu tout restaurer d'un seul mot, toutefois, il ne pouvait pas, ans devenir homme, racheter par sa passion, puisqu'il n'était pas apte à souffrir dans sa (127) divinité. Or, ce n'était pas imperfection, mais perfection, de n'être pas passible dans sa divinité. Il est évident encore que le Fils de Dieu est appelé Verbe, par ces paroles du prophète : « Mon coeur a émis un bon Verbe. » Enfin Dieu fut toujours Père parce que toujours son Fils a existé; car son Fils est son Verbe, sa sagesse, sa force. Or, le Verbe a toujours été dans le Père, selon ces mots : « Mon cœur a émis un bon verbe. » Toujours sa sagesse a été avec lui : « Je suis sortie de la bouche de Dieu, je suis la première née avant toute créature. » Toujours sa force a été en lui. « J'étais enfanté avant les collines; les fontaines n'avaient pas encore jailli de la terre que j'étais avec lui. » Or, puisque le Père n'a jamais été sans son Verbe, sans sa sagesse, sans sa force, comment pouvez-vous penser que ce nom lui ait été attribué dans le temps? » Aroel se retira et Jubal, le neuvième, s'avança et dit : « Il est constant que Dieu ne condamne pas les mariages et qu'il ne les a pas maudits ; pourquoi donc niez-vous que celui que vous adorez soit sorti du mariage? à moins que vous ne veuilliez aussi nous jeter de la poudre aux yeux à cet égard. Et encore pourquoi est-il puissant et se laisse-t-il tenter? pourquoi a-t-il la force et souffre-t-il ? pourquoi est-il la vie et meurt-il ? Enfin vous serez amené à dire qu'il y a deux fils : l’un que le Père a engendré, l’autre que là Vierge a mis au monde. De plus, comment peut-il se faire que la souffrance ait eu prise sur un homme qui a été enlevé au ciel, sans que celui par lequel il a été enlevé eût subi aucune lésion? » Silvestre répliqua : « Nous ne disons (128) pas que J.-C. est né d'une vierge pour condamner les mariages ; mais nous acceptons , avec raison les causes de cet enfantement virginal. Par cette assertion les mariages ne sont pas rendus méprisables mais louables, puisque cette vierge qui enfanta le Christ est née de mariage. Ensuite J.-C. est tenté pour vaincre toutes les tentations du diable : il, souffre pour surmonter toutes les souffrances; il meurt pour détruire l’empire de la mort. Le fils de Dieu est unique dans le Christ et de même qu'il est invisible en tant qu'il est Fils de Dieu, de même il est visible en tant qu'il est J.-C. Il est invisible par cela qu'il est Dieu et il est visible par cela qu'il est homme. Que cet homme ait souffert et qu'il ait été enlevé au ciel sans souffrance de la part de celui qui l’a enlevé, nous pouvons le démontrer par un exemple. Prenons-le dans la pourpre du roi : elle fut laine et la teinture ajoutée à cette laine a donné la couleur pourpré. Alors qu'on la tenait dans les doigts et qu'elle était tordue en fil, qui est-ce qui était tordu? était-ce la couleur qui est celle de la dignité royale, où ce qui était laine avant d'être pourpre? La laine c'est l’homme, la pourpre c'est Dieu qui étant avec l’humanité a souffert sur la croix, mais n'a reçu aucune atteinte de la passion. » Le dixième s'appelait Thara. Il dit : « Cet exemple ne me plaît pas, car la couleur et la laine sont foulées ensemble. » Quoique tous eussent réclamé, Silvestre dit : « Prenons alors un autre exemple : un arbre couvert des rayons du soleil, quand il,est abattu, reçoit le coup et la lumière resté sans atteinte. Il en est de même, alors c'est l’homme qui souffre et non pas le Dieu. »

 

129

 

Le onzième, gui était Siléon, dit : « Si c'est de ton Christ que les prophètes ont prédit, nous voudrions savoir les causes des étranges moqueries qu'il a endurées, les motifs de sa passion et de sa mort. »

« J.-C., reprit Silvestre, a eu faim pour nous rassasier; il a eu soif pour offrir à notre soif ardente la coupe de vie ; il a été tenté, afin de nous délivrer de la tentation; il a été détenu, pour nous faire échapper à la capture des démons et il a été moqué, pour nous arracher à leur dérision; il a été lié, pour nous délier des noeuds de la malédiction; il a été humilié, pour nous exalter; il a été dépouillé, pour couvrir la nudité de la première prévarication du manteau de l’indulgence; il a reçu une couronne d'épines, pour nous restituer les fleurs du paradis que nous avions perdues; il fut suspendu au bois, pour condamner la concupiscence engendrée dans le bois; il a été abreuvé de fiel et de vinaigre, pour introduire l’homme dans uire terre où coule le lait et le miel et nous ouvrir des fontaines de miel; il a pris notre mortalité, pour nous donner son immortalité; il a été enseveli, pour bénir les sépultures des saints; il est ressuscité, pour rendre la vie aux morts; il est monté au ciel, pour ouvrir la porte du ciel; il est assis à la droite de Dieu, pour exaucer les prières des croyants. » Pendant que Silvestre développait ces vérités, tous, l’empereur comme les juges et les Juifs, se mirent d'une voix unanime à acclamer Silvestre de louanges. Alors le douzième indigné, il s'appelait Zambri, dit avec un extrême dédain : « Je  m’étonne que des juges, sages comme vous l’êtes, ajoutiez foi à des ambiguïtés de mots et que vous (130      ) estimiez que la toute-puissance de Dieu puisse se conclure de raisonnement humain. Mais plus de mots et venons-en aux faits : ce sont de grands fous ceux qui adorent un crucifié; car je sais, moi, le nom du Dieu tout-puissant, dont la force est plus grande que les rochers et aucune créature ne saurait l’entendre. Et pour vous prouver la vérité de ce que j'avance, qu'on  m’amène le taureau le plus furieux et dès l’instant que ce nom aura sonné, dans ses oreilles, tout aussitôt le taureau mourra. » Silvestre lui dit : « Et toi, comment donc as-tu appris ce nom sans l’avoir entendu? » Zambri reprit : « Il n'appartient pas à toi, l’ennemi des Juifs, de connaître ce mystère. » On amène donc un taureau très féroce, que cent hommes des plus robustes peuvent à peine traîner, et aussitôt que Zambri a proféré un mot dans son oreille, à l’instant le taureau rugit, roule les yeux et expire. Alors tous les Juifs poussent des acclamations violentes et insultent Silvestre. Mais celui-ci leur dit : « Il n'a pas prononcé le nom de Dieu, mais il a nommé celui du pire de tous les démons, car mon Dieu, J.-C., non seulement ne fait pas mourir les vivants, mais il vivifie les morts. Pouvoir tuer et rie pouvoir point rendre la vie, cela appartient aux lions, aux serpents et aux bêtes féroces. Si donc il veut que je croie qu'il n'a pas proféré le nom du démon, qu'il le dise encore une fois et qu'il rende la vie à ce qu'il a tué. Car il a été écrit de Dieu : « C'est moi qui tuerai et c'est moi qui vivifierai; » s'il ne le peut, c'est sans aucun doute qu'il a proféré le nom du démon, qui peut tuer un être vivant et qui ne peut rendre la vie à un mort. » Et comme Zambri (131) était pressé par les juges de ressusciter le taureau, il dit : « Que Silvestre le ressuscite au nom de Jésus le Galiléen et tous nous croirons en lui; car quand bien même il pourrait voler avec des ailes, il ne saurait pas faire cela. » Tous les Juifs donc promettent de croire s'il ressuscite le taureau. Alors Silvestre fit une prière et se penchant à l’oreille du taureau : « O nom de malédiction et de mort, dit-il, sors par l’ordre de Notre-Seigneur J.-C., au nom duquel je te dis : taureau, lève-toi et va tranquillement rejoindre ton troupeau. » Aussitôt le taureau se leva et s'en alla avec grande douceur. Alors la reine, les Juifs, les juges et tous les autres furent convertis à la foi. * Mais quelques jours après, les prêtres des idoles vinrent dire: à l’empereur : « Très saint empereur, depuis l’époque où vous avez reçu la foi du Christ, le dragon qui est dans le fossé tue de son souffle plus de trois cents hommes par jour. » Constantin consulta là-dessus Silvestre, qui répondit : « Par la vertu de J.-C., je ferai cesser tout ce mal. » Les prêtres promettent que, s'il fait ce miracle, ils croiront. Pendant sa prière, saint Pierre apparut à Silvestre et lui dit : « N'aie pas peur de descendre vers le dragon, toi et deux des prêtres qui t'accompagnent; arrivé auprès de lui, tu

 

* Le comte de Douhet, dans le Dictionnaire des Légendes, de Migne, avance que. le récit qu'on vient de lire n'est qu'un abrégé des Acta Sancti Silvestri, publié, par le P. Combéfis, d'après deux mss. existant aux bibliothèques Médicienne et Mazarine: La dispute avec les docteurs juifs, la destruction du dragon sont exposées avec encore plus de détails que dans Voragine. Nouvelle preuve que l’évêque de Gênes n'a rien inventé de son propre fonds:

 

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lui adresseras ces paroles : « N.-S. J.-C., né de la Vierge, qui a été crucifié et enseveli, qui est ressuscité et est assis à la droite du Père, doit venir pour juger les vivants et les morts. Or, toi, Satan, attends-le dans cette fosse tant qu'il viendra ». Puis tu lieras sa gueule avec un fil et tu apposeras dessus un sceau où sera gravé le signe de la croix; ensuite revenus à moi sains et saufs, vous mangerez le pain que je vous aurai préparé. » Silvestre descendit donc avec les deux prêtres les quarante marches de la fosse, portant avec lui deux lanternes. Alors il adressa au dragon les paroles susdites, et, comme il en avait reçu l’ordre, lia sa gueule, malgré ses cris et ses sifflements. En remontant, il trouva deux magiciens qui les avaient suivis, pour voir s'ils descendraient jusqu'au dragon : ils étaient à demi morts de la puanteur du monstre. Il les ramena avec lui aussi sains et saufs. Aussitôt ils se convertirent avec une multitude infinie. Le peuple romain fut ainsi délivré d'une double mort, savoir de l’adoration des idoles et du venin du dragon. Enfin le bienheureux Silvestre, à l’approche de la mort, donna ces trois avis à ses clercs : conserver entre eux la charité, gouverner leurs églises avec plus de soin et préserver leur troupeau contre la morsure des loups. Après quoi il s'endormit heureusement dans le Seigneur, environ l’an 330.

 

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