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EXPLICATION DU PSAUME CXXVII. 1. « HEUREUX TOUS CEUX QUI CRAIGNENT LE SEIGNEUR. »ANALYSE. 1. Il n'y a de bonheur possible ici-bas, que dans la crainte du
Seigneur; les richesses, la santé, la gloire, les honneurs, les foies de la famille ne
procurent qu'une félicité mensongère et toujours incomplète. Dieu seul fait trouver la
joie jusque dans les épreuves de ses saints, comme le prouve l'exemple de Joseph à la
cour de Putiphar. 2. La sainteté conservée n'est pas nécessaire pour cela. Ceux
qui, après l'avoir perdue par le péché l'ont recouvrée par la pénitence, jouissent
des mêmes avantages, témoins le bon larron et Madeleine. Dieu fait tourner toutes ces
choses à l'avantage de ceux qui le craignent et qui vivent dans ses voies, comme
on le voit par ce qui arriva à Lazare et à Job. 3. II faut, qu'à l'exemple de tous ces saints, nous soyons
occupés à louer et à remercier Dieu au milieu de nos tribulations, bien persuadés que
ce qui nous arrive ici-bas n'est rien en comparaison du bonheur qui nous attend au ciel. 4. Ayons donc ce bonheur sans cesse présent à l'esprit, qu'il
soit l'objet de toutes nos pensées et de toutes nos demandes, comme nous l'indique la
prière que Notre-Seigneur lui-même nous a enseignée, et qui, sur sept demandes, en
renferme à peine une ayant trait aux choses temporelles. La volonté des hommes, leurs
actions bonnes ou mauvaises arrêtent le cours des bienfaits de
Dieu en suspendant l'effet de ses menaces. Veillons donc sans cesse et prions. 1. Remarquez au commencement de ce psaume, la même idée qu'à la fin du précédent. Car, de même que le Prophète proclamait bienheureux et à l'abri de lhumiliation, ceux qui avaient Dieu pour aide et pour protecteur, aussi commence-t-il par exprimer la même pensée en disant : « Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur ! » Et comme précédemment, partant de cette idée qui lui sert de principe, il parle en général, il a bien raison de dire : « Tous ceux, n pour montrer que maître ou esclave , pauvre ou difforme de corps, tout le monde peut parvenir à cette béatitude qu'il proclame. Il y a bien un autre bonheur vain, mensonger, que beaucoup vantent, et qu'une foule de circonstances réunies procurent à peine. Car remarquez que si une seule de ces circonstances vient à manquer, cette félicité humaine disparaît. Ainsi par exemple qu'un homme soit riche, ce n'est point assez pour son bonheur s'il n'a encore la santé. Ou bien, si ce riche est difforme de corps, son bonheur est incomplet, il est plus malheureux que les pauvres. Beaucoup de riches luttant contre les maladies proclament bienheureux les pauvres qui parcourent les routes en mendiant, et ils s'estiment très-misérables avec dix mille talents. Mais supposons la santé unie aux richesses, si la gloire et les honneurs font défaut, ce n'est rien encore; car l'on rencontre des mortels, possesseurs d'immenses trésors et d'une santé parfaite, et qui souffrent beaucoup en considérant ceux qui sont au premier rang. Ils se croient les plus malheureux parce qu'ils sont exclus des honneurs, et, pour les obtenir, ils rampent (195) devant ceux qui souvent sont au-dessous de leurs propres esclaves. J'admets encore la gloire, les richesses, la santé, il faudra que vous y ajoutiez la sécurité, ou bien cet heureux du siècle en butte aux intrigues, à l'envie, à la malveillance, à la haine, aux accusations calomnieuses, sera le plus infortuné , passant sa vie à trembler comme un lièvre, se déliant de son ombre et regardant tout le monde avec effroi. Mais aucun de ces inconvénients n'existe : notre homme est aimé de tous, tout lui réussit à souhait; à lui la gloire, les richesses, la sécurité, les honneurs (choses qui ne sauraient aller ensemble; mais supposez-les un instant réunies). Eh bien ! quoique la prospérité l'inonde, que rien ne lui résiste, que l'amour de ses semblables, la santé du corps, une paix parfaite, la victoire et la domination sur tous concourent à son bonheur, je le vois cependant plus à plaindre que ceux qui n'ont rien de tout cela, parce qu'il est uni à une femme méchante et perverse. Mais sa femme est parfaite et selon ses désirs, seulement ses enfants sont mauvais; et alors comment voulez-vous qu'il ne soit pas le plus infortuné ? Ou bien, il n'en a point et pour le coup il pleure et se lamente. Et c'est ainsi qu'en considérant chacune des choses humaines on ne rencontre que misères. A quoi bon poursuivre cet examen ? Souvent il suffit d'un serviteur pervers pour tout bouleverser, tout confondre, en sorte que rien n'est si peu stable due la gloire qui vient des hommes. Que bien différent est celui qui craint Dieu. A l'abri des flots tumultueux (lui monde il reste assis au port, où il jouit d'une véritable et solide félicité. Aussi le Prophète ne voit que lui à proclamer bienheureux. C'est que la félicité du monde n'est parfaite qu'autant que tout contribue à la procurer ; et même malgré ce concours, elle est bientôt ébranlée par les choses même qui ont servi à la former. C'est la fortune qui a subi un échec, c'est une épouse, souvent fort belle, qui vous est ravie par la mort; ce sont des serviteurs qui vous ont trahi; des fils qui ont été parricides ; enfin, comme je l'ai déjà dit, ce bonheur n'offre partout qu'incertitude et déception. Pour celui qui craint Dieu, au contraire, quand tout s'élèverait contre lui, non-seulement sa félicité n'en recevrait aucune atteinte, mais elle en deviendrait plus solide et plus durable. Ni la pauvreté, ni l'ignominie, ni les difformités corporelles, ni la malice d'une épouse, ni la perversité des enfants, rien en un mot de tout ce qu'on peut imaginer, ne saurait affaiblir ni altérer ce bonheur. Comme il ne repose sur aucun de ces objets, leur ruine ne saurait l'atteindre : c'est au ciel qu'il prend sa source, et voilà ce qui le rend inattaquable. Mais si vous le voulez, confirmons par des exemples, ce que nous avançons. Voyez Joseph : il est esclave, sur une terre étrangère, loin de sa patrie, au pouvoir des barbares, des Sarrasins d'abord, puis des cruels Egyptiens; il est accusé d'adultère, mis en jugement, exposé aux calomnies, jeté en prison, chargé de fers. Quelle atteinte reçoit-il de toutes ces épreuves ? Aucune; elles sont pour lui au contraire une source de bonheur. Et ce qui est surtout admirable, comme je vous l'ai déjà observé, c'est que non-seulement les adversités ne sauraient porter atteinte à cette félicité, mais elles la rendront plus éclatante. Car, sans les circonstances dont nous venons de parler, Joseph n'eût pas été aussi heureux. 2. Faut-il vous parler maintenant de ceux qui , après s'être plongés dans le vice , ont été subitement transformés et se sont dépouillés de toutes leurs iniquités? Quoi de plus misérable que le bon larron? Et dans un instant il devint le plus heureux des mortels. Cependant il avait commis une foule de meurtres qui lui avaient valu le supplice de la croix et il était prêt de mourir: tous l'accusaient; tout son temps s'était consumé, toute sa vie s'était passée dans le crime; mais pendant un court moment il craignit Dieu comme il fallait, et il devint heureux. La pécheresse publique avait fait de sa beauté un trafic honteux, elle s'était livrée aux outrages de tous, ce qui en avait fait la dernière des créatures, mais elle fut heureuse à L'instant où elle craignit Dieu comme il fallait. C'est qu'il n'y a aucun mal qui ne disparaisse devant la crainte du Seigneur. De même que le feu rend brillant et beau le fer, quelque tortueux et souillé qu'il soit, en enlevant la rouille et en corrigeant complètement tous les défauts, ainsi la crainte de Dieu opère en un clin d'oeil les mêmes transformations et aucun événement ne peut abattre ceux qui sont sous sa protection. Timothée n'était-il pas faible , continuellement exposé aux maladies et à la souffrance? Qui fût plus heureux que lui cependant? Et Job ? (196) Privé de ses biens, de ses enfants, couvert d'ulcères, chargé d'opprobres, d'insultes et d'injures, n'était-il pas en outre tourmenté par la faim et par tous les maux humains? Et cependant, quel bonheur comparable au sien ? Non-seulement aucune de ces épreuves ne l'abattit, mais il en devint plus fort. Ajoutez à tout cela les invectives dont le chargeait sa femme, et qui ne servirent qu'à faire éclater davantage sa fermeté. Aussi bien, est-ce la considération de tous ces exemples qui faisait dire au Prophète: « Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur et qui marchent dans ses voies ! » Vous auriez pu penser que la crainte seule suffisait si le Psalmiste n'eût ajouté: « Qui marchent dans ses voies. » Ce qui prouve qu'il faut deux choses: « Craindre et marcher. » Car on en a vu qui avaient une foi parfaite, mais que leur vie coupable rendait les plus misérables des hommes. Et c'est pour ne point paraître applaudir à leur état que le Prophète a ajouté: « Qui marchent dans ses voies. » Et quelles sont ses voies, sinon la vie vertueuse? Car c'est par elle qu'on peut monter au ciel, parvenir à cette cité par excellence, voir Dieu lui-même autant qu'il peut être vu par la créature. On les appelle «les voies de Dieu,» parce que c'est par elles qu'on peut parvenir à Dieu dans le ciel : on ne dit pas « la voie, » mais « les voies, » pour marquer qu'elles sont nombreuses et variées. Dieu nous en prépare plusieurs afin qu'à raison de leur nombre, il nous soit plus facile d'y entrer. En effet, parmi les hommes, les uns sont remarquables par la virginité, d'autres vivent honnêtement dans le mariage, d'autres dans la viduité; ceux-ci ont tout abandonné, ceux-là une partie seulement; il en est qui s'avancent par la voie droite, d'autres par la pénitence. Et ainsi le Seigneur a mis à notre disposition un grand nombre de voies afin que nous y entrions facilement. Vous n'avez pu conserver la pureté de votre baptême, mais vous pouvez la recouvrer par la pénitence, par vos libéralités ou vos aumônes. L'argent vous manque? Vous pouvez visiter les malades, consoler les prisonniers, donner l'hospitalité, un verre d'eau, offrir deux oboles, comme la veuve, gémir avec ceux qui sont dans l'affliction, car c'est là un genre d'aumône. Mais vous manquez de tout, vous êtes si pauvre, votre corps est si débile que vous ne pouvez exécuter aucun mouvement ! Supportez toutes ces privations avec courage, rendant grâces à Dieu, et vous recevrez une grande récompense. C'est précisément en cela que consista la belle conduite de Lazare : car il n'aida personne de ses richesses. Comment l'aurait-il pu, lui qui manquait des aliments nécessaires? Il n'entra dans aucun cachot, dans l'impossibilité où il était de se tenir debout, ou de se soutenir. Il ne visita aucun malade comment l'aurait-il pu, lui dont les chiens léchaient les ulcères? Et cependant il obtint la récompense promise à la vertu pour avoir supporté avec courage les épreuves de sa position, et pour n'avoir pas laissé échapper le plus petit murmure en voyant un homme cruel et inhumain vivre dans les honneurs et les délices, tandis qu'il était exposé à tant de maux. Et voilà pourquoi il fut reçu dans le sein d'Abraham, bien que la mort ne l'eût pas rendu meilleur, et que pendant sa vie il eût été complètement inutile, alors qu'il gisait dans le vestibule du riche. Et ainsi il était couronné avec ce patriarche qui avait opéré tant et de si belles choses, il était proclamé vainqueur et il reposait clans son sein, lui qui n'avait fait aucune aumône, qui n'avait pu voler au secours de l'infortune, exercer l'hospitalité, ni faire rien de semblable : mais il avait rendu grâces à Dieu en toutes choses et il avait gagné la couronne admirable de la patience. C'est une grande chose que l'action de grâces, la sagesse et la patience au milieu de tant et de si grands maux, il n'y a même rien au-dessus. C'est ce qui a valu à Job sa couronne , c'est ce qui faisait dire à Satan : « L'homme donnera toujours la peau d'autrui pour conserver sa propre peau, et il abandonnera volontiers tout ce qu'il possède pour sauver sa vie. Mais étendez votre main et frappez. sa chair. » (Job, II, 4, 5.) Car c'est un point capital que de pouvoir dominer tellement son âme dans la douleur qu'elle ne pèche pas. C'est un mérite comparable à celui du martyre, c'est le plus grand de tous les biens. 3. Maintenant, mes très-chers frères, lorsque vous êtes en proie à la maladie, à la fièvre ou à la douleur, ce qui arrive souvent, et que la violence des tourments vous porte à blasphémer, si vous savez vous maîtriser et rendre grâces à Dieu en le louant et en l'adorant, vous recevrez la même récompense. A quoi bon, je vous le demande, blasphémer, et prononcer des paroles amères? Votre douleur en devient-elle moins vive? Quand même ce serait un moyen de (197) l'adoucir il ne faudrait pas compromettre le salut de votre âme pour soulager votre corps. Non-seulement votre douleur n'est pas diminuée mais elle en devient plus forte. Car aussitôt que le diable voit qu'il a pu vous amener à blasphémer, il rend plus ardent le feu qui vous brûle, plus cuisante votre peine, afin de vous faire assouvir sa soif du mal. Donc, je le répète, quand même le blasphème vous soulagerait, il faudrait vous en abstenir. Mais puisqu'il ne sert de rien, à quoi bon vous tuer vous-même ? Impossible de se taire, direz-vous ? Rendez grâces à Dieu, comblez-le de gloire et d'honneur, tandis qu'il vous éprouve par le feu de la souffrance. Qu'à la place des blasphèmes, les louanges du Seigneur sortent de votre bouche, ce sera le moyen tout à la fois de mériter une grande récompense et d'adoucir vos maux. Ecoutez encore notre bienheureux de tout à l'heure disant à Dieu : « Le Seigneur m'avait tout donné, le Seigneur m'a tout ôté (Job, 1, 21); » et encore : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en recevrions-nous pas aussi les a maux? » (Job, II, 40. ) Mais, répondez-vous, je n'ai pas reçu les richesses en partage. Alors votre blessure est moins profonde d'autant. Car il n'y a pas de comparaison entre ne plus rien posséder après avoir été riche et vivre dans la pauvreté où l'on a toujours été. Si en voyant les maux des autres et en les comparant avec leurs infortunes, beaucoup de pauvres se croient plus malheureux par ce rapprochement; quand il ne s'agit plus des autres, mais qu'on compare le présent avec le passé, la douleur est d'autant plus grande que la jouissance d'autrefois fait ressentir plus vivement la privation actuelle. Ainsi est-il moins pénible de n'avoir jamais eu d'enfants que d'en avoir pour les perdre ensuite. Car autre chose est de n'avoir rien reçu, autre chose d'être privé de ce qu'on possédait. Supportez donc avec courage tout ce qui vous arrive, c'est là un vrai martyre. En effet, le refus de sacrifier aux idoles, fallût-il souffrir la mort, n'est pas la seule chose qui fasse le martyre; on peut également en mériter la palme en supportant avec patience une grande douleur qui nous porte à blasphémer et en s'abstenant de toute parole inconvenante. Job ne fut pas couronné mur avoir refusé de sacrifier, mais pour avoir enduré courageusement ses douleurs et ses amertumes, Paul ne fut-il pas proclamé vainqueur à cause des verges, des tourments et des autres persécutions qu'il souffrit avec actions de grâces? « Vous mangerez en paix le fruit des travaux de vos mains ; vous êtes heureux et tout vous réussira heureusement (2). » Pourquoi avoir répété le mot « heureux? » Parce que le Psalmiste, connaissant toute la grandeur de cette expression, s'arrête avec complaisance pour la méditer. Que signifie cet « heureusement? » «Votre épouse sera comme une vigne fertile appuyée sur les côtés de votre maison (3). » Une autre leçon porte : « Votre femme sera dans le secret, » ou bien, « dans le lieu le plus retiré de votre maison, comme une vigne qui porte beaucoup de fruits. Vos enfants seront autour de votre table, comme de jeunes oliviers autour de a l'arbre qui les a produits. C'est ainsi que sera béni l'homme qui craint le Seigneur (4). » Que dites-vous de ce bonheur, de ces avantages? L'abondance intérieure, la paisible jouissance de ces travaux, une épouse, une multitude d'enfants? Ce n'est point là le bonheur promis par le Prophète. Ce n'est qu'un accessoire, un surcroît, selon ce mot de saint Luc : Cherchez avant tout le royaume. de Dieu et tout le reste vous sera donné comme par « surcroît. » (Luc, XII, 31.) Comme le Psalmiste s'adressait à des âmes encore faibles, il les élève comme des enfants par la comparaison des choses sensibles. Et n'en soyons point surpris. Si saint Paul, malgré la sublimité de ses enseignements, emploie ce langage avec ceux qui rampaient encore à terre, à plus forte raison le Prophète devait le faire. Est-ce bien vrai pour saint Paul? Très-souvent même. Ainsi quand il traite de la virginité, il ne dit mot des avantages réservés à ceux qui la garderont, mais il parle simplement de l'affranchissement des ennuis du mariage. Et quand il s'agit du respect des enfants pour leurs parents, il en use de même, disant « que c'est le premier des commandements auxquels Dieu ait promis une récompense. » (Eph. VI, 2.) Et quels sont les termes du précepte ? «Honore ton père et ta mère et tu auras une longue vie en ce monde. » Et quand il écrit sur la conduite à tenir envers ses ennemis, il propose encore une récompense sensible, « agissant de la sorte, dit-il, « vous amasserez des charbons de feu sur sa tête. » (Rom. XII, 20.) (198) Il n'en est pas de même du Sauveur, car il n'a pas affaire aux faibles, mais pour prix de la virginité, il propose le royaume des cieux. (Matth. XIX, 12.) Et à ceux qui aiment leurs ennemis, il promet qu'ils seront semblables à Dieu, autant que les hommes peuvent l'être. (Matth. V, 44, 45.) Même dans l'Ancien Testament, alors que les chrétiens étaient conduits par des objets sensibles, nous voyons les sages s'élever à des considérations plus hautes, selon cette parole de saint Paul : « Tous ces saints sont morts dans la foi et y ont persévéré jusqu'à la fin, sans avoir reçu l'effet des promesses que Dieu leur avait faites, mais les voyant et comme les saluant de loin. » (Hébr. XI, 13.) Ceux qui craignent Dieu n'auront donc pas pour récompense unique la jouissance des biens terrestres, comme une épouse, des enfants, la prospérité dans leurs affaires, ce ne seront là que des accessoires et comme un certain superflu, mais l'essentiel consistera en premier lieu, dans cette crainte même de Dieu qui porte en elle sa récompense: et ensuite, dans la révélation de ces biens ineffables que « loeil n'a point vus, que l'oreille n'a point entendus et que le coeur de l'homme n'a jamais conçus. » (I Cor. II, 9.) « Que le Seigneur vous bénisse de Sion afin que vous contempliez les biens de Jérusalem (5). » Ou bien ; « et voyez Jérusalem dans les biens. » Les biens dont il s'agit ici sont la cité, les richesses, la gloire, les victoires, les honneurs, la prospérité, la fertilité, la sécurité et la paix. 4. « Tous les jours de votre vie. » Ces dernières paroles font un effet admirable. Car la marque la plus grande que Dieu tiendrait ses promesses, la preuve la plus éclatante de sa providence, c'était qu'ils ne subissent aucun échec ni aucun changement, qu'ils ne succombassent pas, tant qu'ils n'auraient point provoqué son indignation, et par là modifié ses heureuses dispositions à leur égard. « Et que vous voyiez les enfants de vos enfants. (6). » Je vous entends m'objecter que plusieurs de ceux qui ont marché dans la crainte du Seigneur n'ont jamais eu d'enfants. Mais qu'est-ce que cela prouve? Ce n'est pas pour le présent que nous nous dépouillons de tout, mais c'est principalement pour plaire à Dieu et en vue des biens futurs. Autrefois, il pouvait en être ainsi; mais maintenant nous recherchons le ciel et les récompenses qu'il renferme. Que si, malgré votre crainte de Dieu vous n'avez pas eu d'enfants, qui sait s'il ne vous a pas dédommagé par d'autres avantages préférables à celui-ci. Il ne nous rémunère pas tous de la même manière, mais il varie ses récompenses, car il est riche. Combien n'en avons-nous pas vus qui avec des enfants estimaient heureux ceux qui n'en avaient pas? Combien qui, avec d'immenses richesses, sont sortis de cette vie plus misérablement que les pauvres ! Combien avaient acquis la gloire, qui en ont été percés comme d'un glaise, et ont eu à endurer les plus grands maux ! Ne courez pas après les charges et cessez de demander compte à Dieu de ces actes, mais supportez tout avec courage et actions de grâces. De plus, n'attachez votre coeur à aucune des choses présentes. Voilà pourquoi la prière que Dieu lui-même nous a enseignée ne renferme qu'une demande ayant trait aux choses matérielles, et rien de plus. Et encore cette demande devient spirituelle par la restriction de son objet. Toutes les autres demandes se rapportent au ciel et au royaume céleste, à la manière de vivre dans la perfection et à notre délivrance des péchés. Relativement aux choses sensibles il ne nous est recommandé de dire qu'une chose. Laquelle? « Donnez« nous aujourd'hui notre pain qui est au-dessus de toute substance (Matth. VI, 11), » et voilà tout. C'est qu'étant appelés à une autre patrie et destinés à une vie plus parfaite, nos demandes doivent être conformes à notre vocation, et quand même les faveurs de ce monde nous inonderaient, il faudrait les rejeter avec une grande confiance. « Que la paix soit sur Israël! » Une autre leçon porte : « Et voyez les enfants de vos enfants et la paix sur Israël. » C'est là une prière commune. Les juifs désirent par-dessus tout la paix, parce qu'ils ont été accablés et épuisés par une longue guerre. Que leur importe tout le reste sans la paix? Le Psalmiste leur promet le principal bienfait qui pût leur être accordé, celui duquel dépendait leur sécurité, je veux dire la paix, et il la leur promet perpétuelle : ce qui est particulièrement l'oeuvre de la providence de Dieu, laquelle donne et assure la jouissance de ce qu'elle accorde. Les choses humaines étant de leur nature fragiles et passagères, pour leur montrer que les biens qu'il leur annonce ne leur viendront pas du hasard, mais de Dieu même et de sa volonté sainte, il ajoute tous les jours et il leur promet une paix durable. Ils (199) en jouirent tant que la chose dépendit de Dieu si elle fut interrompue, ce fut l'effet de leur malice. De même que parfois le Seigneur suspend ses châtiments dont il avait menacé ceux qui fléchissent sa colère par la pénitence, ainsi révoque-t-il ses engagements si ceux auxquels il avait promis ses biens se rendent indignes de les obtenir. Pour lui donc, il leur a promis la paix tous les jours, mais leur malice a arrêté l'exécution de ses promesses. Ce que je vous prie de bien observer, afin que ses menaces ne nous désespèrent pas, mais que nous apaisions sa colère par la pénitence, et aussi pour que nous ne nous endormions pas dans la promesse des biens qui nous a été faite, mais que nous hâtions l'accomplissement par notre zèle et notre diligence à améliorer notre vie. Sans cela la promesse serait insuffisante pour notre salut. N'avait-il pas été promis à Judas, comme aux autres apôtres, qu'il s'assoirait sur un trône? S'il ne s'y assit pas, ce ne fut pas la faute de Dieu qui avait fait la promesse, mais celle du traître qui s'en rendit indigne. Nous donc, qui avons reçu la promesse d'un royaume, ne soyons point lâches, mais faisons tous nos efforts pour parvenir aux biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. Traduit par M. l'abbé GAGEY.
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