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EXPLICATION DU PSAUME CIX. 1. « LE SEIGNEUR DIT A MON SEIGNEUR : ASSEYEZ-VOUS A MA DROITE. »ANALYSE. 1. Saint Chrysostome va montrer que ce psaume sape par la base les
fausses doctrines des Juifs, de Paul de Samosate, d'Arias, de
Marcion, des Manichéens et de ceux qui ne croient pas à la résurrection. Les
premières paroles du psaume affirment l'existence et la divinité du Fils. 2. Le Juif, en refusant de croire aux prophéties qui concernent
le Christ, renversa la plus grande partie de l'Ancien Testament. La parole : Ex utero ante
luciferum genui te, fait tomber
les hérésies de Paul de Samosate et d'Arias. 3. et 4. Explication du verset : Virgam
vtrtutis tuca emittet
Dominus ex Sion. La croix est la venge de la puissance du
Christ. 5. Tecum principium
in die virtutis viae : Le Christ
possède la toute-puissance qui ne saurait lui être enlevée. 6. Puissance du Christ et gloire des saints au dernier jour du monde. 7. Ante Luci ferum genui
te. 8. et 9. Explication du 4° verset. Melchisédech figure de
Jésus-Christ. Il boira en passant l'eau du torrent. La vie simple et
frugale du Christ doit étre le modèle de la nôtre. 1. Je vous en prie, que votre esprit s'éveille et demeure attentif. Car le psaume nous entretient aujourd'hui des plus sublimes spéculations, et il se tient prêt a confondre l'hérésie; et non pas une seule hérésie, mais l'hérésie sous toutes ses formes. Il combat en effet les Juifs, Paul de Samosate, les disciples d'Arius, ceux de Marcion, les Manichéens, et tous ceux qui ne croient pas à la résurrection. Puisque la lutte est engagée contre tant d'adversaires, il nous faut regarder de tous nos yeux, afin d'apprécier exactement le mérite des combattants. Dans les autres luttes, quand un détail échappe au spectateur, il n'en éprouve aucun dommage , car l'assemblée dont il fait partie s'est réunie non pour profiter d'un enseignement, mais pour satisfaire sa curiosité. Mais maintenant, si vous n'examinez pas avec une scrupuleuse attention, comment l'adversaire engage la lutte, et comment nous repoussons son attaque, ce ne sera pas un dommage ordinaire que vous aurez à éprouver. Pour éviter donc ce fâcheux inconvénient, que votre intelligence s'éveille, que votre attention soit vive et soutenue. C'est aux Juifs que nous nous attaquons d'abord et contre eux que nous entrons en ligne, et nous faisons combattre avec nous le Prophète en lui empruntant ses propres paroles. Nous disons, nous, qu'il fait manifestement allusion au Christ, tandis qu'ils n'admettent pas notre explication et en imaginent une autre. Commençons par détruire leurs arguments, et après nous développerons les nôtres. Et, en attendant, demandons-leur quel est celui que le juste appelle son Seigneur quand il s'exprime ainsi. « Le Seigneur dit à mon Seigneur.» (105) Il ne parle pas ici d'une seule personne, mais de deux personnes dont l'une adresse la parole à l'autre. Quelle est, d'après eux, celle qui a pris la parole ? C'est Dieu. Et celle qui écoute? C'est Abraham. D'autres disent due c'est Zorobabel, et d'autres encore indiquent une autre personne. Ils sont comme des gens ivres qui parlent sans pouvoir s'entendre , ou plutôt comme des gens qui marchent dans les ténèbres, et qui se heurtent les uns les autres. Comment donc, dites-moi, Zorobabel serait-il le seigneur David ? Et comment pourrait-on raisonnablement expliquer qu'il ait tenu à grand honneur d'être appelé David ? La suite prouve jusqu'à l'évidence, qu'il ne s'agit nullement ici ni de Zorobabel, ni de David ; ni l'un ni l'autre n'ont eu les honneurs du sacerdoce. Or il est ici question d'un personnage qui exerce un sacerdoce nouveau et merveilleux. « Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (4). » Cependant développons le point que nous avons à traiter maintenant. Ils avancent d'autres raisons encore plus faibles que celles-là, ils disent que ces paroles s'adressent au peuple Juif. Mais ce peuple n'a pas été prêtre, et ce qui suit ne peut pas davantage se rapporter à lui. Ainsi donc laissons cet argument de côté, il est sans valeur et ne mérite pas les honneurs d'un siège en règle, et produisons une autre de leurs objections. Que disent-ils encore ? Que c'est l'esclave d'Abraham qui parle ainsi de son Seigneur. Mais en vérité quoi de plus absurde ? Que vient faire ici l'esclave d'Abraham? Comment son Seigneur aurait-il été prêtre, lui gui avait recours à Melchisédech, comme au prêtre de Dieu, et qui lui demandait sa bénédiction ? Comment expliquer raisonnablement que les paroles qui suivent ont trait à Abraham, « Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore? » Et comment les rapporter soit à David, soit à Zorobabel, soit au peuple Juif? Ces paroles ne conviennent qu'à un être d'une nature supérieure. Et cette expression, « asseyez-vous « à ma droite, » comment s'explique-t-elle si elle s'adresse aux personnages qu'on vient de supposer ? Elle ne s'explique pas. Comment Dieu irait-il dire à Abraham : « Asseyez-vous à ma droite , » quand ce même Abraham se regarde comme très-honoré de pouvoir se tenir debout à côté des anges. Mais enfin nos adversaires doivent avoir quelque objection spécieuse à nous faire, quelle est-elle donc? La voici: Eh quoi ! disent-ils, vous faites intervenir un autre Seigneur, quand l'Ecriture a déclaré ouvertement que « le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur, et que vous n'adorez que lui , et que, hors de lui il n'y a pas de Dieu ? » (Deut. VI, 4, 43 ; et IV, 35. ) A qui donc s'adressent ces paroles, dites-moi ? A qui. si ce n'est surtout à votre intelligence, ô Juif? Pourquoi n'a-t-on rien dit de pareil ni à Abraham, ni à Isaac, ni à Jacob, ni à Moïse, mais à vous seul, et cela quand, après la sortie d'Egypte, vous adoriez le veau d'or? Pourquoi donc, dites-le moi? Peut-être êtes-vous embarrassé sur ce que vous avez à dire: eh bien ! moi je vais répondre pour vous. Comme, après votre sortie d'Egypte, vous aviez fait un veau d'or, et que vous l'aviez adoré, que vous vous étiez fait initier au culte de Belphégor (Nomb. XXV), que la multitude des dieux des païens vous en imposait, et que vous adoptiez cette foule de dieux, quoique cela fût contraire à la loi; c'est pour arrêter les progrès de votre maladie, et pour arrêter aussi cette invasion des faux dieux que le Prophète ajouta ce mot « un seul, » et non pour nier l'existence du Fils unique. Pourquoi en effet est-il dit au commencement de l'Ecriture : « Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance? » (Gen. 1, 26.) Et une autre fois : « Venez, descendons et mettons le désordre dans leur langage. » (Gen. II, 7.) Et David dit aussi : « C'est pourquoi Dieu, votre Dieu, a sacré d'une onction de joie, qui vous élève au-dessus de ceux qui doivent la partager. » (Ps. XLIV, 8.) Si Moïse se sert de ces expressions, « Le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur, » c'est à cause de votre faiblesse d'esprit. Et pourquoi vous étonnez-vous que cela ait eu lieu pour le dogme, puisque Dieu, quand il s'est agi de la morale s'est départi de la règle parfaite pour une moins parfaite, afin de condescendre à notre faiblesse? Ainsi, il a permis le divorce, quoiqu'il eût dans l'origine porté une loi tout autre. Il a établi beaucoup de distinctions pour les animaux, quoique au commencement il eût pris une décision contraire, puisqu'il disait : « Je vous ai donné toutes choses comme les légumes d'un jardin. » (Gen. IX, 3.) Il a aussi porté plusieurs lois concernant le lieu où il voulait être adoré et n'a pas permis qu'on lui offrit partout ses prières, et cependant il n'avait pris dans le principe aucune mesure à ce (106) sujet. Car il apparut à Abraham dans la terre des Perses, et en Palestine et partout, et plus tard il se montra à Moïse dans le désert. 2. Eh quoi! dira-t-on, l'Ecriture est donc en contradiction avec elle-même? Loin de nous une pareille supposition. Dieu règle chaque chose à propos et suivant l'utilité, afin de remédier à la faiblesse de chaque génération. C'est pour cela qu'il vous a été dit, ô Juifs: « Le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur.» Quant à son Fils, les Prophètes ont témoigné qu'il existait et la Bible garde le dépôt de leur témoignage, mais ils ne l'ont pas déclaré ouvertement, pour ne lias heurter votre faiblesse d'esprit, ils ne l'ont pas caché non plus, afin que vous puissiez plus tard venir à résipiscence, et recueillir dans cette Bible, votre livre national, les dogmes de la religion vraie. C'est pair là surtout que nous pourrons prouver aux Gentils, quand nous discuterons contre eux, que les Prophètes étaient vraiment Prophètes, et c'est par là que nous démontrerons que l'Ancien Testament est tout à fait digne de foi. Mais si vous supprimez cette preuve, comment fermer la bouche aux Gentils? Que leur direz-vous, en effet? Leur citerez-vous la sortie d'Egypte, et les prophéties qui vous concernent? Mais certainement ils n'admettront rien de tout cela. Tandis que si vous leur racontez ce qui a été dit du Christ dans l'Ancien Testament, et que Nous leur montriez que les événements sont venus témoigner en faveur des prophètes, ils ne pourront pas même essayer de résister. Si vous critiquez nos dogmes, ô Juifs, comment ferez-vous pour défendre votre Ancien Testament. ? Et si l'on vous dit, prouvez-moi que Moïse a dit vrai, que répondrez-vous? Que vous croyez en ces paroles. Notre Nouveau Testament est donc beaucoup plus authentique , puisque nous aussi nous y croyons. Or vous, vous ne formez qu'une seule nation, tandis que nous, nous représentons tous les habitants de la terre, de plus, la parole de Moïse n'a pas eu sur vous autant d'action qu'en a eu sur nous celle de Jésus-Christ, votre puissance n'est plus, et la nôtre subsiste encore. Aurez-vous recours aux prédictions? Mais nous en avons bien plus. Ainsi donc en supprimant nos dogmes, vous obscurcissez les vôtres. Aurez-vous recours aux miracles? Eh bien ! montrez-nous un miracle de Moïse vous ne le pouvez, puisqu'il n'existe plus, tandis que nous, nous pouvons montrer encore les miracles si nombreux et si divers que le Christ opère encore aujourd'hui, et ses prédictions plus éclatantes que le soleil. Aurez-vous recours à votre loi? Mais la nôtre est d'une perfection beaucoup plus haute. Mais. quoi ! Vous êtes sortis d'Egypte malgré les Egyptiens! Peut-on comparer ce triomphe remporté sur les seuls Egyptiens à la conquête de la terre entière ameutée contre nous ? Et si je dis cela, ce n'est pas pour mettre en lutte l'Ancien et le Nouveau Testament : le ciel m'en préserve. Non, mais c'est pour fermer la bouche à l'ignorance juive. C'est Dieu, le même Dieu, qui nous a donné, qui a fait l'un et l'autre. Ce que je veux prouver c'est que le Juif en détruisant les prophéties qui concernent le Christ, ruine presque toutes les prophéties, et qu'il ne saurait prouver la noble origine de l'Ancien Testament, s'il n'admet le Nouveau. La preuve que Dieu né s'adresse pas à un homme, c'est qu'il lui dit: «Asseyez-vous à ma droite, » et que celui auquel il parle est appelé « Seigneur » comme lui, et qu'il l'a engendré de son sein avant l'aurore, et qu'il était son prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et que le Seigneur s'exprime en ces termes, la domination est avec vous. Voilà qui est d'une éclatante évidence pour ceux qui sont dans leur bon sens. Si un autre Juif, portant le masque du chrétien, s'élève contre nous, je veux parler de Paul de Samosate, nous pourrons le confondre même en nous servant du Nouveau Testament. Cependant, afin de ne point paraître abandonner le sujet que nous traitons en ce moment pour changer de tactique, repoussons ce nouvel adversaire avec les mêmes armes. Que dit-il donc celui-là? Que Jésus-Christ n'était qu'un homme, et qu'il n'a commencé d'être que du jour où il est né de Marie. Que répondras-tu donc, dis-moi, à cette parole du psaume : « Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore? » Ce que nous avons déjà dit contre les Juifs, il nous faut le répéter contre cet homme et contre ses sectateurs. Et la faute n'en est pas à nous, mais à eux qui ont emprunté une si grande partie de leurs croyances aux Juifs : ce qui fait que nous nous servirons des mêmes armes pour les combattre. Car ceux qui nous attaquent de la même manière, nous devons les frapper des mêmes traits. Pourquoi donc le Prophète nous (107) représente-t-il Dieu et son interlocuteur assis sur le même trône? C'est pour nous montrer qu'il y a entre eux égalité d'honneur, ce qui suffit à fermer la bouche aux partisans d'Arius. Aussi Jésus répondait-il aux Juifs, qui disaient que le Christ était fils de David : « Comment donc David l'appelle-t-il en esprit son Seigneur par ces paroles : Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite?» (Matth. XXII, 43, 44.) Plus tard saint Paul ayant à parler de la mission de Jésus-Christ, donne de ce passage une explication très-claire, et qui porte un coup mortel à Marcion, et à Manichéus, et à tous ceux qui sont malades de la même maladie; car il explique avec nue sagesse tout à fait à la hauteur de son sujet comment Jésus a été prêtre selon l'ordre de Melchisédech. Pour nous, revenons encore au texte déjà
cité : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : «Asseyez vous à ma droite. »
Voyez-vous l'égalité d'honneur? Car le trône est le symbole de la royauté, et s'il n'y
a qu'un seul trône, c'est que la royauté a été partagée entre ceux qui s'y sont
assis. Ce qui a fait dire à saint Paul : « Il se sert des esprits pour en faire ses
anges, et des flammes ardentes pour en faire ses ministres. Mais il dit à son Fils :
Votre trône, ô Dieu, sera un trône éternel. » (Hébr. I, 7, 8.) C'est ainsi que
Daniel voit la création tout entière debout autour du Seigneur, avec les anges et les
archanges, pendant que le Fils de l'homme s'avance sur les nuées et s'approche de
l'ancien des jours. (Dan. VII.) Si cette manière de parler
scanda 3. Avez-vous remarqué l'accord qui règne entre les paroles du Prophète et celles de l'Apôtre ? L'un a dit : « Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marche-pied, » et l'autre, « Jusqu'à ce qu'il lui ait pris tous ses ennemis sous les pieds. » Mais pas plus chez l'un que chez l'autre ce terme de « Jusqu'à ce que » ne désigne une limite de temps. Autrement, que deviendrait cette parole du Prophète : « Sa puissance est une puissance éternelle, et sa royauté est une royauté qui ne périra jamais, et sa royauté n'aura pas de fin, » s'il ne devait régner que jusqu'à cette époque-là? Voyez-vous bien qu'il ne faut pas prendre simplement les textes au pied de la lettre, ruais qu'il faut en approfondir le sens ? En entendant le Prophète dire que le l'ère place les ennemis de son Fils sous ses pieds, ne vous troublez pas. S'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il regarde le Fils comme dépourvu de vigueur. Saint Paul prétend que c'est lui-même qui met ses ennemis sous ses pieds : « Il doit régner jusqu'a ce qu'il ait mis ses ennemis sous ses pieds. » (I Cor. XIV, 25.) Et de nouveau il met tout à ses pieds, quand il dit : « Lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père, lorsqu'il aura anéanti toute puissance et tout empire. » (I Cor. XV, 24.) C'est-à-dire, quand il mettra le bon ordre dans son royaume. il fera cesser toute puissance. Tel est le sens du mot katarkhesei. En disant que tout lui appartient, le Prophète ne sépare pas son Père de lui, pas plus que du père il ne sépare le Fils. Ce qui appartient à celui-là , appartient à celui-ci, et ce qui appartient à celui-ci appartient à celui-là. Aussi est-il dit: « Tout ce qui est à moi, est à toi, tout ce qui est à toi, est à moi. » (Jean, XVIII, 10.) Quand donc vous entendrez dire que le Père a soumis les ennemis du Fils, n'allez pas croire que le Fils soit étranger à ce succès, et si vous comprenez que c'est le Fils qui les a soumis, ne dites pas que le Père n'y est pour rien. Leurs succès sont communs comme toutes leurs actions. « Le Seigneur va faire sortir de Sion la verge de votre puissance (2). » La verge de sa puissance, c'est sa
puissance elle-même. Le Prophète parle de Sion, parce que c'est là que le Christ a
commencé le cours de ses triomphes. C'est là qu'il a donné sa loi, là qu'il a fait ses
miracles; c'est de là quest partie la bonne nouvelle pour s'étendre sur toute la
surface de la terre. Si vous voulez (108) dégager de ces paroles le sens élevé qu'elles
renferment, écoutez saint Paul : « Mais approchez-vous de la montagne de Sion, et de la
ville du Dieu vivant, la Jérusalem céleste, et de l'Eg Remarquez cette prophétie plus éclatante que le soleil. Quel est le
sens de ces mots « Au milieu de vos ennemis ? » C'est-à-dire au milieu des Gentils, au
milieu des Juifs? Et c'est ainsi que nos Eg 4. Et cette puissance , ils l'exerçaient, non-seulement sur les fidèles, mais encore sur les infidèles. A quoi reconnaît-on l'esclave, dites-moi ? N'est-ce pas à le voir faire tout ce que son maître lui ordonne ? Et à quoi reconnaît-on le maître ? N'est-ce pas à le voir obtenir de ses esclaves tout ce qu'il lui plaît de recommander ? Quels sont donc ceux qui ont obtenu alors tout ce qu'ils voulaient sous la domination des rois et des gouverneurs ? Ne sont-ce pas les apôtres? Oui, sans doute. Car les rois et les gouverneurs voulaient retenir la terre sous le joug de l'impiété, et ordonnaient aux hommes d'adorer les démons : tandis que les apôtres ordonnaient le contraire, et c'est leur volonté qui s'est accomplie. Si vous me parlez de la prison, du fouet, des tourments, vous ne faites que montrer davantage la puissance de ces hommes. Et comment ? Parce que leur volonté (109) a triomphé malgré ces mêmes obstacles. Car leur domination repose non sur la loi des maîtres de la terre, mais sur la vertu, elle n'a besoin d'aucun secours étranger, bien plus elle brille d'autant plus qu'elle trouve plus d'adversaires. Souvent les maîtres d'ici -bas ont vu leur puissance détruite par les complots de leurs esclaves, car cette puissance est vile et sans force réelle, tandis que tous leurs efforts n'ont rien pu contre la puissance des apôtres, et n'ont servi qu'à la rendre plus éclatante. Quel est donc le maître le plus glorieux, de celui qui a besoin de beaucoup d'aides pour maintenir ses esclaves dans l'obéissance, ou de celui qui, sans tout cet appareil, dispose à son gré de ceux qui lui sont soumis ? N'est-il pas évident que c'est celui-ci ? Bien souvent ces maîtres-là auraient perdu la puissance qu'ils exercent sur de nombreux esclaves, s'ils n'avaient eu pour eux l'aide des lois et le séjour des villes où leur répression est aisée et même ils auraient perdu à la fois la puissance et la vie : Paul au contraire faisait éclater sa puissance partout et jusque dans le désert. Voulez-vous vous assurer de vos propres yeux que sa dénomination était plus glorieuse que celle des rois ! Il fit admettre ses lois par toute la terre , et partout les hommes laissant de côté celles des rois venaient se conformer aux injonctions qu'il leur faisait par écrit. Les rois étaient maîtres des corps, les apôtres étaient maîtres des âmes. Quel est l'esclave qui obéissait à son maître, le sujet qui obéissait à son roi avec autant de bonne volonté que les fidèles à saint Paul, seulement an reçu de ses lettres ? Comment exprimer l'attachement, le dévouement de ces pommes qui étaient prêts à s'arracher les yeux pour lui ? Qui jamais posséda d'aussi fidèles serviteurs ? C'est en voyant tout cela, en les voyant se faire obéir si facilement des fidèles, se rendre si redoutables aux infidèles qu'ils chassaient et repoussaient comme un vil troupeau, en voyant le Christ triompher si glorieusement par eux, que le Prophète au lieu de dire simplement, « soyez maître au milieu de vos ennemis, » a dit, «soyez maître souverain au milieu de vos ennemis, » montrant ainsi toute l'étendue de sa domination. Voilà ce que virent les ennemis des apôtres, et ils ne purent rien faire contre eux, quoiqu'ils eussent pour eux et lois, et bourreaux et puissance sans limites. Les apôtres étaient encore plus puissants grâce à celui qui habitait en eux. Le Christ a été maître souverain par eux, et il n'a pas été simplement maître, il a été encore maître souverain, car sa victoire était complète. Animé par celui qu'ils portaient en eux, les fidèles bravaient et le feu, et les bêtes féroces et tous !es autres supplices. C'est que le Christ était avec eux dans toutes leurs épreuves : aussi luttaient-ils contre les supplices comme si leur corps eût appartenu à d'autres, et dégagés de tout souci terrestre, ils étaient dans la joie et dans l'allégresse, ne reconnaissaient que l'autorité du Christ, et n'épargnaient ni leur fortune, ni leur corps, ni leur vie d'ici-bas. Voilà ce que faisaient ceux qui jadis avaient été les adversaires et les ennemis du Christ qui, non content de leur faire sentir son irrésistible puissance et d'étouffer leur haine, leur inspira cet attachement, ce dévouement extraordinaire. Ainsi donc, quand on dit que le Père place ses ennemis sous ses pieds, on ne le dit pas, comme je l'ai déjà fait remarquer, pour faire croire que le Fils n'a pas de puissance par lui-même, mais, comme j'en ai fait plus haut l'observation, c'est pour qu'on pense que le Père et le Fils sont un seul Dieu en deux personnes distinctes, et pour qu'on ne pense pas qu'il y ait dans le monde deux êtres incréés. Pour bien comprendre que la victoire remportée par le Fils sur ses ennemis lui appartient tout entière, rappelez-vous ses autres triomphes, et n'allez pas prendre les paroles du psaume dans leur sens vulgaire : autrement on n'aboutirait qu'à des absurdités. Afin de vous en convaincre écoutez ce que je vais dire : Les uns, d'ennemis qu'ils étaient, sont devenus les amis du Christ, les autres furent et sont encore ses ennemis. D'ailleurs saint Paul lui aussi indique que de ses ennemis il fera ses amis quand il dit: Lorsqu'il remettra son royaume à Dieu son Père. » (I Cor. XXV, 21.) C'est à quoi fait encore allusion le Sauveur lorsque, s'adressant à son Père lui-même, il lui dit : « Je vous ai glorifié dans le monde, j'ai terminé la tâche que vous m'aviez confiée. » (Jean, XVII , 4.) Quant à la soumission de ses ennemis, ç'a été l'oeuvre du Père. Et ce qu'a fait le Fils est encore plus grand. Car ce n'est pas la même chose de châtier ceux qui persistent dans leur inimitié, ou de changer leurs sentiments de haine en sentiments d'amour. Mais tout cela ne fait pas que le Fils soit inférieur au Père, ou que le Père soit inférieur au Fils. Pour vous (110) convaincre que l'une et l'autre chose sont autant l'oeuvre du Père que l'oeuvre du Fils, écoutez ces paroles : « Eloignez-vous de moi, maudits, et allez au feu éternel qui est préparé pour le diable et pour ses anges. » (Matth. XXV, 41.) Et celui qui envoie ses anges pour recueillir la mauvaise herbe, c'est le Fils unique, et nous le voyons en toute circonstance punir le diable. Et cela , les démons eux-mêmes le reconnaissent quand ils disent : « Venez-vous ici avant le temps pour nous tourmenter? » (Matth. VIII, 29.) Preuve que c'est lui qui doit les tourmenter un jour. Voyez-vous bien que, quand on dit que c'est le Père qui a fait triompher le Fils , il faut entendre en même temps que le Fils, lui aussi, a pris part au triomphe? Mais ce qui prouve encore que ce qui appartient au Père appartient aussi au Fils, ce sont ces paroles du Fils : « Nul ne vient à moi, s'il n'est amené par mon Père. » (Jean, VI, 41.) Et celles-ci . « Personne ne vient au Père que par moi. » (Jean, XIV, 6.) Il ne faut donc pas prendre ces paroles dans le sens vulgaire, et l'on ne doit pas croire que par cette expression «vos ennemis » on ne désigne que les ennemis du Fils seul, car il dit : « Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père. » (Jean, V, 23.) 5. Ainsi les Juifs étaient non-seulement les ennemis du Fils, mais encore les ennemis du Père. C'est pourquoi il les a frappés d'une ruine complète, a renversé leur ville, et n'en a fait qu'un amas de décombres. Et s'il ne s'est pas vengé aussitôt après avoir é'é mis en croix, c'est qu'il leur donnait ainsi le temps de se repentir s'ils en avaient la volonté, et il leur envola les apôtres afin qu'en apprenant par eux quelle était sa puissance, ils pussent quoique bien tard revenir à de meilleurs sentiments. Mais comme ils étaient atteints d'une maladie incurable, il mit le comble à leurs malheurs, ce qui était un autre moyen de les rappeler au repentir et de les faire renoncer à l'ancienne loi, en les amenant, par la force même des choses, à reconnaître la vérité, dont ils ne devraient plus douter en voyant adoré partout celui qu'ils avaient insulté, en voyant leur puissance entièrement détruite. Mais comme ils n'en ont lias profité pour devenir meilleurs, ils se sont rendus indignes de pardon et seront voués aux châtiments éternels. Quand on nous parle de marche-pied, n'allez pas croire qu'il s'agisse d'un objet sensible et matériel, le Prophète se sert de ce mot pour exprimer l'assujettissement des ennemis du Christ. La preuve qu'il les tient assujettis, c'est que là où il n'y a qu'un trône, il n'y a aussi qu'un marche-pied. « La domination est avec vous au jour de votre puissance (3). » Comme le Prophète a dit plus haut: «Jusqu'à ce que je réduise vos
ennemis à vous servir de marche-pied, » et qu'il ne veut pas
qu'on se figure que le Fils est sans force et qu'il a besoin d'être aidé, comme si
c'était un simple apôtre, écoutez comme il détruit à l'avance ce soupçon, lorsqu'il
dit: « La domination est avec vous au jour de votre puissance. » Quel est le sens de ces
mots: « la domination est avec « Nous? » En vous, dit-il, est la domination, elle n'y
est pas survenue plus tard, mais elle est en vous de toute éternité. C'est aussi ce qu
Isaïe voulait exprimer quand il disait: « Qui porte sa domination sur son épaule
(Isaïe, IX, 6), » c'est-à-dire qui la porte en lui-même, dans son essence, dans sa
nature, ce qui n'a pas lieu pour les rois (car leur domination à eux repose sur la
multitude de leurs années), ce qui n'avait pas lieu non plus pour les apôtres (car leur
domination à eux aussi ne pouvait se passer d'un appui étranger, de l'appui du Christ),
tandis que le Christ possédait la domination par sa propre nature, par essence, et ce
n'est pas plus tard, après sa naissance, qu'il a acquis cette domination. Ce n'est pas
chez lui une chose venue du dehors, il est né tel aussi: comme on l'interrogeait sur sa
royauté, il répondit,: « C'est pour cela que je suis né, et
que je suis venu dans le monde (Jean, XVIII, 37.) « La domination est avec vous au jour
de votre puissance.» Ces paroles: « La domination est avec vous » n'ont pas que ce
sens-là, elles en ont encore un autre, non-seulement elles
indiquent que la domination du Christ vient de lui et non d'un autre, mais encore qu'elle
dure et durera toujours. Les hommes perdent souvent leur puissance, même de leur vivant,
et si ce n'est pas de leur vivant, ils la perdent toujours au moment où ils meurent : ou
plutôt la domination n'est pas avec eux-mêmes, quand ils vivent, elle est, comme je
viens de le dire, dans leurs armées, dans leurs gardes du corps, dans leurs grandes
richesses, dans les fortifications dont ils s'entourent, elle est en un mot dans tous les
moyens dont ils usent pour la conserver. Il n'en est pas ainsi pour Dieu, sa domination
est en lui, elle y est (111) perpétuellement et sans interruption; et de mène qu'il est
impossible qu'il n'existe pas, de même il est impossible qu'il ne soit pas le maître
souverain. « Au jour de votre puissance. » On peut entendre par là soit le jour où sa
puissance s'est déjà montrée, soit le jour où elle se montrera encore. A chaque fois
il fera éclater souverainement sa puissance. Ne croyez-vous pas que ce soit une preuve
extraordinaire de puissance, que d'anéantir la mort par sa propre mort, de briser les
portes d'airain , d'effacer le péché, de supprimer la
malédiction originelle, de détruire tout ce triste héritage de maux et de vices, qui
nous avait légué le temps passé, et d'introduire à la place de nouveaux biens et de
nouvelles vertus? Quoi d'égale à cette puissance, soit que l'on considère les prodiges
par elle accomplis, soit que l'on considère le succès final? Les morts ressuscitaient,
les lépreux étaient guéris, les démons chassés, la mer était enchaînée, les
péchés effacés, les paralytiques recouvraient leurs forces, le paradis était ouvert,
les rochers se fendaient, le voile du temple se déchirait, les rayons du soleil se
détournaient et les ténèbres voilaient la face de la terre, les saints endormis du
sommeil de la mort se réveillaient, l'ennemi du genre humain reprenait le chemin de son
ancienne demeure, la voûte du ciel s'entrouvrait et s'élargissait, la nature humaine si
longtemps foulée aux pieds s'élevait par-dessus les cieux jusqu'aux plus sublimes
hauteurs, et, ce qu'il y avait de plus merveilleux, prenait place sur le trône royal, et
voyait debout à ses côtés les anges et les dominations : tous les vices étaient mis en
fuite, la vertu était ramenée, le Saint-Esprit répandait sa grâce ; des pêcheurs, des
publicains et des faiseurs de tentes fermaient 1a bouche aux philosophes et aux orateurs,
et détruisaient la tyrannie des démons ; ils détruisaient les autels, les temples, les
fêtes elles solennités des païens ; ils supprimaient de vive force et l'odeur de la
graisse des victimes, et la fumée de l'encens offert aux dieux, et les sacrifices impurs;
ils mettaient en fuite et les devins, et les quêteurs de la grande déesse, et toute la
cohue de ces serviteurs du diable: sur toute la surface de la terre s'élevaient des ég 6. Si vous voulez vous représenter le
dernier jour, et comprendre comment ce jour-là, lui aussi, est le jour de sa puissance,
songez quel imposant spectacle ce sera, que de voir le ciel se replier lui-même, de voir
la nature entière se relevant enfin de sa longue corruption ; de voir, sur un signe du
Christ, tous les morts apparaître, de voir le diable confondu, les démons humiliés, les
justes couronnés, tous les hommes rendant compte de leurs péchés ou recevant le prix de
leurs bonnes actions; et quel imposant spectacle que de voir enfin commencer une autre vie
! Alors plus de mort, de vieillesse, ni de maladie, plus de pauvreté, de mauvais
traitements, ni d'embûches, plus de maisons, de villes, de métiers ,
ni de voyages sur mer, plus de vêtements pour se couvrir le corps, plus de nourriture, ni
de boissons, ni de toits, ni de lits, ni de tables, ni de lampes, plus d'embûches, de
combats, ni de tribunaux, plus de mariages, de douleurs d'enfantement, ni d'accouchements.
Tout cela se dissipe et disparaît comme de la poussière. A la vie d'ici-bas succède une
vie meilleure, notre corps devient incorruptible, immortel et très-robuste.
C'est à quoi font allusion ces paroles de saint Paul : « Car la figure de ce monde
passe. » (I Cor. VII, 31.) Si vous ne croyez pas aux choses qu'on vous dit, parce que
vous lie les voyez pas se réa Si vous voulez une preuve tirée d'un fait particulier, demandez-vous pourquoi de tous les points de la terre habitée les hommes accourent en foule pour voir un tombeau vide, quelle est cette puissance qui attire les voyageurs des extrémités du monde pour voir le lieu où il est né, le lieu où il a été enseveli , le lieu où il a été mis en croix: représentez vous cette croix elle-même, et demandez-vous de quelle puissance elle est le signe. Car avant que le Christ y pérît, on regardait la croix comme un instrument de supplice abominable, comme le plus ignominieux, comme le plus infâme. Mais voilà que ce genre de mort est devenu plus honorable que la vie elle-même, voilà que cette croix est devenue plus glorieuse que les diadèmes, voilà que tous les hommes en portent le signe sur leur front, et qu'ils s'en parent, bien loin d'en rougir. Et ce ne sont pas seulement les simples particuliers qui en agissent ainsi, ceux-là même dont le front est couronné portent la croix au-dessus de leur diadème, et ce n'est pas à tort: la croix en effet ne vaut-elle pas mieux que dix mille diadèmes? Car si le diadème pare notre tête, la croix sauve notre âme. Voilà notre défense contre les démons, voilà le diadème qui préserve notre âme de la maladie du péché, voilà notre arme invincible et notre rempart inexpugnable, voilà ce qui nous protége infailliblement contre tous les assauts, et qui non-seulement nous met à l'abri des invasions des barbares et des incursions des ennemis, mais encore nous défend contre les phalanges des démons acharnés à notre perte. « Au milieu des splendeurs des saints, » un autre, « au milieu de la gloire du saint, » un autre « au milieu de la gloire des saints. » Ici encore le Prophète parle du jour de
la puissance, et de celui que nous voyons, et de celui qui viendra plus lard: pour lui la
splendeur des saints, c'est leur beauté. Quelle splendeur peut riva 7. Puis, après avoir signalé cette grande et sublime métamorphose, il ajoute : « Selon cette « vertu efficace par laquelle il peut s'assujettir toutes choses. » (Ibid.) Ne cherchez point, dit-il, comment, ni de quelle manière. Car il peut tout ce qu'il veut. Pourquoi le Prophète n'a-t-il pas dit au milieu de la splendeur, mais: « Au milieu des splendeurs des saints? » Parce que les récompenses éternelles, en quoi (113) consistent ces splendeurs, sont nombreuses et de différentes sortes. « Le soleil a son éclat, la lune le sien et les étoiles le leur : et, entre les étoiles, l'une est plus éclatante que l'autre. Il en arrivera de même dans la résurrection des morts. » (I Cor. XV, 41, 42) Le Christ a dit aussi : « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. » (Jean, XIV, 2.) C'est pourquoi cette splendeur n'a pas de fin. Elle ne cède ni à la nuit, ni aux ténèbres, mais elle est grande et indescriptible, elle surpasse de beaucoup celle que nous voyons, et, ce qu'il y a de plus admirable en elle, c'est. qu'elle est sans limites. C'est aussi en quoi se manifeste l'ineffable puissance du Roi des cieux qui donne à des corps faibles et sujets à la corruption une telle force et une telle puissance. Puis, après avoir peint. à grands traits ce sublime spectacle, après avoir enlevé les auditeurs sur l'aile de l'espérance, il prouve que ces merveilles doivent naturellement avoir lieu, puisque celui qui les accomplit est si grand. Quel est-il donc celui qui les accomplit? C'est Celui qui est consubstantiel au Père; aussi le Prophète ajoute-t-il : « Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore. » Ceux qui forcent le sens de ces paroles pour les rendre conformes à leur opinion, disent qu'il s'agit de la génération selon la chair. Et alors, dites-moi , pourquoi cette expression « avant l'aurore? » Le Prophète veut dire qu'il a été engendré la nuit, et qu'il est né avant le matin. Mais si c'était là ce que voulait dire le Prophète, l'expression aurait trahi sa pensée, et puis le Prophète né parlait pas avec la précision de l'historien, autrement on ne pourrait plus dire que ce que les Evangélistes ont enseigné, d'une manière exacte, les Prophètes l'avaient annoncé à l'avance, mais en le laissant suivant leur coutume enveloppé de certaines ombres. En se servant de cette expression : « Avant l'aurore, » le Prophète a donc voulu dire non pas avant le lever de l'aurore, mais avant la nature, avant l'existence de l'aurore. C'est là une distinction que l'Écriture ne manque pas de faire, et elle dit avant la nature, tantôt avant la fonction , comme par exemple-: « On doit avancer le matin pour vous rendre grâces, et venir à vous avant le lever de la lumière. » (Sagesse, XVI, 28.) Ici le Prophète veut parler du matin. Il a dit : « avant le lever du soleil; » et non avant le soleil, ou avant la nature du soleil, parce qu'il n'existait rien ici-bas avant la nature du soleil : il a dit : « avant le lever du soleil, » afin de bien montrer qu'il s'agit ici du matin. Ailleurs lorsqu'il s'agit de !a nature du soleil, l'Écriture ne dit pas avant le lever du soleil, mais : « Avant le soleil , » ainsi : « Son nom subsiste avant le soleil et avant la lune, pendant les générations des générations. » (Ps. LXXI, 17-5.) De même que cette expression : « Avant le soleil, » et celle-ci : « Avant le lever du soleil » offrent un sens différent, car l'une nous représente la fonction du soleil, et désigne le matin, tandis que l'autre désigne la nature de cet astre; de même, si, dans ce passage, le Prophète avait voulu désigner la nuit, il n'aurait pas dit « avant l'aurore. » mais avant le lever de l'aurore. Du reste, le Christ n'interprétait pas ce passage dans le sens de la génération selon la chair, mais dans le sens de la. génération selon l'Esprit. « Que vous semble du Christ, » disait-il aux juifs : « et de qui est-il fils? » Comme ils répondaient : « Il est fils de David, » il leur citait ce psaume et disait : « Comment se fait-il que David dise : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma, droite? Si donc celui auquel Dieu s'adresse est le Seigneur de David, comment se fait-il que vous disiez qu'il est le fils de David? » (Matth. XXII, 42-45.) Dans quel but Jésus-Christ parlait-il ainsi? Pour montrer qu'il était bien le Fils de Dieu. Quoi donc? Est-ce qu'il n'a pris naissance qu'avant l'aurore ? nullement. Car il est dit autre part : « Son trône existe avant la lune. » Et ce n'est pas seulement avant la lune, puisque le Prophète dit du Père: « Avant que les montagnes fussent créées ; avant que la terre fût formée, avant qu'elle fût habitée , et depuis le commencement des siècles vous existez, et vous existerez tant que les siècles dureront.» (Ps. LXXXIX, 2.) Cependant Dieu n'existe pas seulement depuis le commencement des siècles, mais il existait encore avant eux, et son existence ne dure pas seulement autant que celle des siècles , car elle dure infiniment. N'allez donc pas vous déconcerter à la lecture des textes sacrés, et sachez leur donner l'interprétation qui convient à la majesté de Dieu. Remarquez aussi l'habileté du Prophète: il n'a point commencé le psaume par ces mots: « Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore. » Il nous montre d'abord le Christ dans son triomphe, il le célèbre par ses oeuvres, (114) puis au moment opportun, il nous dévoile sa divine majesté. C'est encore ainsi que le Christ lui-même disait: « Si je ne fais pas les uvres de mon Père , ne croyez pas en moi; mais si je les fais, quand même vous ne croiriez pas en moi, croyez en mes oeuvres.» (Jean, X, 37.) Il parlait ainsi afin qu'en apprenant que celui qui est assis à la droite du Père , que celui qui est appelé Seigneur comme le Père, que celui qui partage sa royauté, que celui qui l'exerce avec tant d'éclat, que celui qui est maître souverain des nations, afin qu'en entendant dire que celui-là est le fils de Dieu et qu'il existe avant toute la création, vous n'alliez pas vous étonner et vous troubler. Il faut encore admirer le Prophète pour l'art avec lequel tantôt il fait parler Dieu en personne, tantôt il parle en sort propre nom. Ces expressions : « Asseyez-vous à ma droite, » et: « Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore, » qui sont les plus majestueuses, il les met dans la bouche du Seigneur; dans le reste du psaume, c'est lui-même qui parle. Examinez aussi comme il se sert de l'expression propre. Il lui suffisait. de dire : « Je vous ai engendré; » mais pour se mettre à la portée de ceux qui rampent sur cette terre, et pour leur faire comprendre que le Christ est vraiment le fils de Dieu, il complète cette expression en disant. « Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore. » De même que s'il parle de la main de Dieu, ce n'est pas pour nous faire croire qu'il s'agisse réellement d'une main , mais pour nous donner une image de, la puissance créatrice ; de même il ne parle du sein de Dieu que pour nous faire connaître que Jésus est bien son fils. 8. Ensuite voulant donner à sa prophétie la solennité d'un arrêt rendu par un juge, il s'adresse à Dieu lui-même, ce qui dénote un amour bien vif et une joie extrême, et ce qui est la marque d'une, âme toute pleine de l'esprit de Dieu (4.) « Le Seigneur a juré, et il ne s'en repentira pas: vous êtes le prêtre éternel, selon l'ordre de Melchisédech. » Voyez-vous comme il revient à prendre un ton moins élevé, suivant qu'il parle de ce qui entre dans les attributs de Dieu ou de ce qui entre dans les attributs de l'homme ? C'est aussi ce que font les évangélistes, afin de conserver intact le dogme sous ses deux aspects. Pourquoi ces mots: « Selon l'ordre de Melchisédech ? » Par allusion aux mystères, car celui-ci porta le pain et le vin à Abraham , et parce que ce sacerdoce est en dehors de la loi, et parce qu'il n'a ni commencement ni fin, comme le remarque saint Paul. Car Melchisédech n'avait que l'ombre, tandis que Jésus possède la réalité: même ressemblance pour les noms, si les noms de Jésus et de Christ annonçaient la mission du Sauveur; le nom même de Melchisédech annonçait aussi la sienne (1). On ne connaît ni le commencement, ni la fin de la vie de Melchisédech, non qu'il n'ait eu ni commencement ni fin, mais cela vient de ce qu'on n'a pas sa généalogie. De même Jésus n'a ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie, non pas seulement comme Melchisédech, mais sa durée n'a réellement et absolument parlant, ni commencement ni fin. L'un était l'ombre, l'autre est la réalité. Quand vous entendez prononcer ce nom de Jésus, vous ne vous représentez que la signification qui lui est propre, sans rien chercher de plus et sans vous figurer que Jésus est réellement là; de même quand vous entendez dire que Melchisédech n'a eu ni commencement ni fin, n'allez pas vous le représenter ainsi dans la réalité , contentez-vous de lui appliquer, cette épithète , et gardez ce qu'elle a de réel pour Jésus. Quand vous entendrez dire que Dieu a prononcé un serment, ne le croyez pas. La colère de Dieu n'est ni de la colère., ni de la passion, ce que nous appelons ainsi n'est chez lui que la volonté de punir : il en est de même du serment. Car Dieu ne jure pas, il dit seulement: « Cela sera. » Après avoir parlé de la splendeur des
saints, après avoir mis les ennemis du Seigneur sous ses pieds, et nous avoir annoncé le
jour de sa puissance, le Prophète ne fait plus que prédire ce que nous voyons se réa Soyez maître souverain au milieu de vos ennemis. » Après quoi il revient aux événements à venir : « La domination est avec vous 1 Voir l'explication qu'en donne saint, Paul. (Hébr. V, 2.) 115 au jour de votre puissance, et dans les splendeurs des saints. » Ensuite il parle de nouveau des événements présents, et ce n'est plus dans un esprit de sévérité, mais dans un esprit de douceur: « Vous êtes le prêtre éternel a selon l'ordre de Melchisédech, » ce qui est le signal de la délivrance du péché et du retour à Dieu. Après avoir insisté là-dessus autant qu'il le jugeait à propos, il nous entretient encore de la mission du Christ, prend un ton moins élevé et s'exprime ainsi : « Le Seigneur est assis à votre droite (6). » Cependant il a dit plus haut que c'était lui qui était assis à la droite du Seigneur. Voyez-vous comme il faut se garder de lire à la légère les textes sacrés? Qu'est-ce donc que cette expression. « le Seigneur est assis à votre droite? » Comme il vient de toucher au mystère de l'incarnation , la liaison des idées l'amène à parler de la chair et des secours qu'elle reçoit, car il voit le Sauveur dans l'agonie, dans la sueur, et dans une sueur de sang, il le voit aussi qui reprend ses forces. (Luc, XXII, 44.) Telle est en effet la nature de la chair. « Il écrasera les rois au jour de sa
colère. » On pourrait avec raison appliquer ces paroles à ceux qui sont présentement
en révolte contre l'Eg 9. Ceci s'applique non à la divinité, mais à la chair qui boit de l'eau du torrent, et qui se relève. Car cette simplicité loin de lui faire tort ne fait que la grandir extraordinairement. Vous donc, mon cher frère, grâce à ces exemples méprisez le luxe et la magnificence, recherchez un genre de vie modeste et facile, si vous voulez devenir vraiment grand et illustre. Votre maître est venu pour cela, pour vous tracer cette route. C'est pour cela que le Prophète, après avoir dit les triomphes du Christ, ajoute ces paroles qui peuvent presque se traduire' ainsi : Parce que vous avez entendu parler de victoires et de trophées, ne vous attendez pas à voir des armes et des soldats, des chars, des chevaux et des cavaliers, des hoplites, des mêlées bruyantes et tumultueuses. Ce triomphateur est si modeste, si humble qu'il boit l'eau du torrent; et cependant c'est lui qui accomplira tous ces prodiges. Qu'ils écoutent ces enseignements ceux qui ont des tables aussi richement servies que celles des Sybarites, qui ne rêvent que plats, que desserts de toute sorte , qui rassemblent de tous côtés des cuisiniers de spécialités différentes, qui enrégimentent à leur service marins, pilotes et rameurs pour se faire apporter des pays étrangers des vins, des essences et tout l'attirail de la gourmandise, pour se précipiter eux-mêmes dans l'abîme et tomber au dernier degré de l'abjection. Nous ne sommes pas plus haut parce que nous avons beaucoup de besoins, que nous ne sommes plus bas parce que nous en avons peu. Et, si vous le voulez bien, représentons-nous l'une et l'autre condition : supposons un homme qui (116) entretienne partout une foule de personnes chargées de subvenir à ses besoins, des marins, des pilotes, des artisans, des serviteurs, des tisseurs et des brodeurs, des bouviers et des bergers, des écuyers et des palefreniers, qu'il ait en un mot pour accomplir tous ses ordres un nombreux personnel : supposons en regard un autre homme qui ne jouisse d'aucun de ces avantages, qui se contente de pain et d'eau, qui ne porte qu'un vêtement très-simple. Quel est celui qui est au-dessus de l'autre, quel est celui qui est au-dessous ? N'est-il pas évident que le plus grand est celui qui n'a qu'un seul vêtement. Lui, pourra mépriser même le roi sur son trône, tandis que l'autre est l'esclave de ceux qui lui procurent tous ces biens, il s'incline devant eux, il leur adresse des paroles flatteuses, car il craint, en perdant leurs bons offices, d'éprouver un dommage considérable. Rien ne nous rend esclaves comme d'avoir beaucoup de besoins; de même aussi rien ne nous rend libres comme de n'avoir besoin que d'une seule chose. C'est ce qu'on peut voir même chez les animaux. Que gagne un âne à porter des fardeaux considérables, dût-il en jouir mille et mille fois? Où est le dommage pour celui qui est débarrassé de tous ces fardeaux, s'il peut compter sur la nourriture nécessaire ? C'est pourquoi le Christ voulant faire de ses disciples des hommes supérieurs aux autres, car ils allaient parler devant la terre entière, les débarrassa de toutes ces préoccupations, leur donna des ailes, leur donna des murs plus rigides que l'acier. Rien ne fortifie l'âme, comme de la dégager de ces entraves, et rien ne l'affaiblit, comme de ne pas l'en dégager. Dans le premier cas nous ne sommes pas plus exposés à rencontrer la douleur, que nous ne le sommes, dans le second, à rencontrer le plaisir. De ces deux hommes, en effet, l'un a des maîtres et des maîtresses nombreux, difficiles et cruels, l'autre n'est l'esclave de personne et est le maître de tous, et cela en toute sécurité il jouit de la lumière du soleil, est insensible aux intempéries de l'air, et ne connaît nulle contrariété. La colère ne le surexcite pas, la haine, la jalousie, les soucis ne rident pas son front, ni ces passions, ni aucune autre de ce genre. Son âme est aussi calme qu'une rade aux eaux paisibles où ne pénètre pas la tempête, et il suit d'un pas tranquille le chemin qui le conduit vers le ciel, sans se laisser détourner par les biens d'ici-bas. Afin donc que nous aussi nous jouissions de cette sécurité, et de ce calme inaltérable pendant la vie présente, et que nous franchissions le grand passage avec autant de sérénité, efforçons-nous de nous conformer à ce genre de vie, c'est ainsi que nous jouirons des biens éternels, de ces biens qui défient toute description, qui surpassent notre imagination et notre intelligence, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel appartiennent la gloire et la puissance, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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