|
|
HOMÉLIE V. EN EFFET, CONSIDÉREZ, MES FRÈRES, QUI SONT CEUX, D'ENTRE VOUS QUI ONT ÉTÉ APPELÉS. IL Y EN A PEU DE SAGES SELON LA CHAIR, PEU DE PUISSANTS, PEU DE NOBLES. MAIS DIEU A CHOISI LES MOINS SAGES SELON LE MONDE, POUR CONFONDRE LES SAGES. (VERS. 26, 27, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)321 ANALYSE. l. Les simples se sent convertis en
plus grand nombre que les savants. 2. Toute gloire appartient à Dieu ; les hommes ne doivent donc
pas se l'attribuer. 3-6. De la difficulté que les apôtres devaient naturellement
rencontrer dans l'établissement de la foi, si Jésus-Christ ne les eût aidés.
Des avantages d'une vie laborieuse et occupée comme celle des artisans. Que les
militaires ne doivent point se dispenser à cause de leur profession de servir Dieu et de
s'appliquer aux lectures saintes. 1. Après avoir, dit que ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, il a démontré, par le témoignage des Ecritures et par la marche des événements, que la sagesse humaine a été rejetée ; d'après le témoignage des Ecritures, puisqu'il est dit : « Je perdrai la sagesse des sages » ; d'après la marche des événements, quand il pose cette interrogation : « Que sont devenus les sages? Que sont devenus les docteurs de la loi? » De plus il a fait voir que ce n'était point une chose nouvelle, mais ancienne, désignée d'avance et prédite : « Car il est écrit : Je perdrai« la sagesse des sages ». Ensuite il a démontré que tout cela était utile et raisonnable: « Le monde, n'ayant point connu Dieu au moyen de la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient en. lui » ; puisque la croix est une preuve de puissance et de sagesse infinie, et que ce qui paraît folie en Dieu surpasse de beaucoup la sagesse humaine. Il le prouve de nouveau, non plus par les maîtres, mais par les disciples : « Considérez », dit-il, « qui sont ceux d'entre vous qui ont été appelés ». Car Dieu n'a pas seulement choisi des ignorants pour maîtres, mais aussi pour disciples : « Il y en a peu de sages selon la chair ». Il y a donc dans cette prédication plus de force et plus de sagesse, puisqu'elle entraîne la multitude et persuade même les ignorants. Il est en effet très-difficile de convaincre un ignorant, surtout quand il s'agit de choses importantes et nécessaires. Et cependant les apôtres l'ont fait, et il appelle les Corinthiens eux-mêmes en témoignage : « Considérez, mes frères, qui « sont ceux d'entre vous qui ont été appelés »; examinez, écoutez. Car la plus grande preuve de la sagesse du maître, c'est que des ignorants aient accepté des enseignements si sages, plus sages que tous les autres. Que veut dire : « Selon la chair? » C'est-à-dire, d'après les apparences, au point de vue de la vie présente et de la doctrine du dehors. Ensuite pour ne pas se contredire lui-même (car il a convaincu le proconsul, l'aréopagite, ainsi qu'Apollon ; et nous savons que d'autres sages ont assisté à sa prédication), il ne dit pas : Il n'y en a point de sages, mais : « Il y en a peu de sages ». Car il n'appelait point exclusivement les ignorants et ne renvoyait pas les sages ; il admettait ceux-ci, mais en bien plus grand nombre ceux-là. Pourquoi ? Parce que celui qui, est sage selon la chair est rempli de beaucoup de folie, et qu'il est surtout insensé en ce qu'il ne veut pas rejeter une doctrine corrompue. Si un médecin voulait enseigner son art, ceux de ses auditeurs qui en auraient déjà quelque notion fausse, contraire aux principes, (322) et qui tiendraient à la conserver, n'accueilleraient pas facilement ses leçons, tandis que ceux qui ne sauraient rien les recevraient volontiers. Il en a été de même ici : les ignorants ont été persuadés les premiers, parce qu'ils n'avaient pas l'extrême folie de se croire sages. Car c'est le comble de la folie de chercher par le raisonnement ce qui ne peut se découvrir que par la foi. Si un forgeron, retirant le fer rouge du feu, s'avisait d'y employer ses mains au lieu de tenailles, il serait certainement regardé comme un fou. Ainsi en est-il des philosophes qui veulent découvrir ces choses par eux-mêmes, au mépris de la foi. Aussi n'ont-ils rien trouvé de ce qu'ils cherchaient. « Peu de puissants, peu de nobles ». Les puissants et les nobles sont remplis d'orgueil. Or, rien n'est aussi inutile pour arriver à la connaissance de Dieu que l'arrogance et l'attachement aux richesses. De là vient qu'on admire les choses présentes, qu'on ne tient aucun compte des choses à venir, et que la multitude des soucis bouche les oreilles. « Mais Dieu a choisi les moins sages selon le monde ». Car c'est là le plus grand signe de supériorité : vaincre par des ignorants. 2. En effet, les Grecs ne rougissent pas autant d'être vaincus par des sages; mais ce qui les couvre de honte, c'est de se voir dépassés en philosophie par un artisan, par un homme du peuple. Aussi l'apôtre dit-il : « Pour confondre les sages ». Et ce n'est pas en ce point seulement, mais aussi en ce qui touche les autres avantages de la vie, que Dieu a ainsi procédé. Car « il a choisi les faibles selon le monde, pour confondre les forts ». Ce ne sont pas seulement des ignorants, mais des pauvres, des hommes méprisés et obscurs, qu'il a appelés pour humilier ceux qui étaient constitués en puissance. « Et les plus vils et les plus méprisés selon le monde, et ce qui n'était rien pour confondre ce qui est ». Et qu'appelle-t-il ici : « ce qui n'est rien ? » Ceux qui sont considérés comme rien, parce qu'ils n'ont aucune valeur. Dieu a fait preuve d'une grande puissance en renversant les grands par ceux qui semblent n'être rien. C'est ce qu'il exprime ailleurs, quand il dit : « Ma puissance éclate davantage dans la faiblesse ». (II Cor. XII, 9.) C'est en effet une marque de grand pouvoir que des hommes sans valeur, dépourvus de toute instruction, aient subitement appris à raisonner sur des questions plus élevées que le ciel. Nous admirons surtout le médecin, le rhéteur, ou tout autre maître, quand ils instruisent et forment parfaitement des ignorants. En cela, Dieu n'a pas seulement voulu faire un miracle et prouver sa puissance, mais réprimer la vaine gloire. Ce qui faisait dire d'abord à Paul : « Pour confondre les sages, pour détruire ce qui est» ; et ensuite: « Afin qu'aucun homme ne se glorifie devant Dieu». Car Dieu fait tout pour réprimer l'orgueil et la présomption, pour abattre la vaine jactance, et vous y persévérez ? Il fait tout pour que nous ne nous attribuions rien et que nous lui rapportions tout, et vous vous êtes livrés à un tel et à un tel ? Quel pardon obtiendrez-vous? Dieu nous a prouvé, et cela dès le commencement, que nous ne pouvons pas nous sauver par nous-mêmes. Car déjà alors les hommes ne pouvaient pas se sauver par eux-mêmes, mais ils avaient besoin de considérer la beauté du ciel, l'étendue de la terre et les autres corps créés, pour pouvoir s'élever jusqu'à l'auteur de ces ouvrages. Son but était déjà de réprimer d'avance la vaine estime de la sagesse. De même qu'un maître qui invite un élève à le suivre, et le voit rempli de préjugé et résolu à tout apprendre par lui-même, l'abandonne à son erreur, puis lui prouvant qu'il ne saurait suffire à sa propre instruction, en prend occasion de lui exposer sa doctrine : ainsi Dieu dès le commencement a invité les hommes à le suivre par le moyen de la création ; puis comme ils s'y refusaient, il leur a d'abord prouvé qu'ils ne pouvaient pas se suffire à eux-mêmes, et il les a appelés à lui par une autre voie . pour livre, il leur a donné le monde. Les philosophes n'ont pas su le méditer, ils n'ont point voulu obéir à Dieu, ni aller à lui par le chemin qu'il leur indiquait. Il a employé un autre moyen plus clair que le premier, pour convaincre l'homme qu'il ne peut se suffire à lui-même. Car alors il était permis d'employer le raisonnement, de tirer parti de la sagesse extérieure en se laissant guider par les choses créées; mais maintenant, à moins d'être fou, c'est-à-dire, à moins de se dégager de tout raisonnement et de toute sagesse, et de s'abandonner à la foi, il est impossible d'être sauvé. Et ce n'est pas peu de chose d'avoir, en facilitant ainsi la voie, extirpé l'ancienne maladie, en sorte que les hommes ne se glorifient plus et soient sans orgueil « Afin qu'aucun homme ne se glorifie ». Car (323) le mal venait de là: de ce que les hommes prétendaient être plus sages que les lois de Dieu et ne voulaient point s'instruire selon ses ordres. Aussi n'ont-ils absolument rien appris. Et il en a été ainsi dès le commencement. Dieu avait dit à Adam : Fais ceci, et évite cela. Mais Adam voulant trouver quelque chose de plus, n'obéit pas et perdit ce qu'il avait. Dieu dit ensuite aux hommes : Ne vous arrêtez pas à la créature, mais par elle contemplez le Créateur. Et les hommes, comme s'ils eussent trouvé quelque chose de plus sage que ce qu'on leur avait dit, s'engagèrent dans mille labyrinthes. De là des contradictions sans fin et avec eux-mêmes et avec les autres; et ils ne trouvèrent point Dieu, ne surent rien de clair sur la création, n'en eurent pas même une idée raisonnable et vraie. De nouveau pour ébranler vivement leur présomption, il suscita d'abord des ignorants, afin de montrer que tous ont besoin de la sagesse d'en-haut. Et ce n'est pas seulement en matière de connaissance, mais pour toute autre chose qu'il a voulu faire sentir le besoin que les hommes et 'toutes les créatures ont de lui, afin que les liens de l'obéissance et de la soumission étant plus forts, on ne courût point à sa perte par la résistance. Voilà pourquoi il n'a pas voulu que les hommes se suffisent. Car si beaucoup le dédaignent malgré le besoin qu'ils ont de lui, à quel degré d'orgueil ne seraient-ils pas montés, s'il en eût été autrement? Ce n'est donc point par jalousie que l'apôtre combat leur vaine ostentation, mais pour les préserver de la ruine qu'elle engendre. « C'est de lui que vous avez été établis en Jésus-Christ, qui nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption ». Ces mots : « De lui », ne se rapportent point ici , ce me semble, à là production , à l'existence, mais à la foi; il veut dire que les enfants de Dieu ne sont point formés du sang et de la volonté de la chair. Ne pensez donc pas qu'après nous avoir guéris de la vaine gloire, il nous laisse là : non ; il nous fournit une raison plus haute de nous glorifier. Il ne faut pas se glorifier devant lui. Vous êtes ses enfants, et vous l'êtes devenus par le Christ. En disant : « Il a choisi les moins sages selon le monde, les plus méprisables selon le monde », il fait voir que la plus grande. noblesse est d'avoir Dieu pour Père. Or cette noblesse, nous ne la devons point à un tel ou à un tel, mais au Christ qui nous a rendus sages, justes et saints : car c'est le sens de ces paroles : « Qui est devenu notre sagesse ». 3. Qui donc est plus sage que nous. qui. possédons, non la sagesse de Platon, mais le Christ lui-même, par la volonté de Dieu ? Que veulent dire ces mots : « Qui nous a été donné de Dieu? » Après avoir dit de grandes choses du Fils unique, il ajoute le nom du Père, pour que personne ne pense que le Fils ne soit pas engendré. Après avoir dit qu'il a pu de si grandes choses, et lui avoir tout attribué en disant qu'il est devenu notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, il ramène de nouveau tout au Père par le Fils, en disant : « Qui nous a été donné de Dieu ». Pourquoi n'a-t-il pas dit : qui nous a rendu sages, mais « qui est devenu notre sagesse ? » C'est pour nous faire sentir l'excellence du don ; car c'est comme s'il disait : Qui s'est donné lui-même à nous. Et voyez comme il procède. D'abord le Christ nous a rendus sages en nous délivrant de l'erreur; ensuite il nous a rendus justes et saints en nous donnant l'Esprit, et nous a délivrés de tous les maux, de manière que nous soyons à lui, non par l'essence, mais par la foi. En effet, ailleurs l'apôtre dit : Que nous sommes justes de la justice de Dieu, dans ce passage : « Pour l'amour de nous il a traité celui qui ne connaissait point le péché, comme s'il eût été le péché, afin qu'en lui nous devinssions justes de la justice de Dieu ». (II Cor. V, 21.) Maintenant il dit qu'il est devenu notre justice, en sorte que chacun peut à volonté y participer abondamment. Car ce n'est pas un tel ou un tel qui nous a rendus justes, mais le Christ. Que celui qui se glorifie se glorifie donc en lui, et non dans un tel ou un tel. Tout est l'oeuvre du Christ. C'est pourquoi, après avoir dit : « Qui est devenu notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption » , il ajoute : « Afin que, selon qu'il est écrit, celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur». (Jérém. IX, 23.) Voilà pourquoi encore il se déchaîne vivement contre la sagesse des Grecs, afin de persuader par là même aux hommes de se glorifier en Dieu, comme cela est juste. Rien n'est plus fou, rien n'est plus faible que nous, quand nous (324) voulons chercher par nous-mêmes ce qui est au-dessus de nous. Nous pouvons avoir une langue exercée, mais non des croyances solides; par eux-mêmes nos raisonnements ressemblent à des toiles d'araignées. Quelques-uns ont poussé la folie jusqu'à soutenir qu'il n'y a rien de vrai, et que tout est contraire aux apparences. Ne vous attribuez donc rien, mais pour tout glorifiez-vous en Dieu; n'attribuez jamais rien à personne. Car si l'on ne peut rien attribuer à Paul, encore bien moins à tout autre. «J'ai planté », dit-il, «Apollon a arrosé, mais Dieu a fait croître ». (I Cor. III, 6.) Celui qui a appris à se glorifier en Dieu, ne s'enorgueillira jamais, mais il sera toujours modeste et reconnaissant. Tels ne sont pas les Grecs qui s'attribuent tout à eux-mêmes. Aussi élèvent-ils les hommes au rang des dieux, tant leur orgueil les a égarés ! C'est maintenant l'heure d'entrer en lutte avec eux. Où en sommes-nous restés hier? Nous disions qu'humainement il n'était pas possible que des pêcheurs l'emportassent sur des philosophes; et pourtant cela est devenu possible; donc c'est évidemment l'effet de la grâce. Nous disions qu'il n'était pas possible qu;ils imaginassent de tels succès ; et nous avons montré qu'ils ne les ont pas seulement conçus, mais réalisés entièrement et avec une grande facilité. Aujourd'hui nous traiterons ce point capital de la question, à savoir : d'où leur serait venu l'espoir de triompher du monde entier, s'ils n'avaient pas vu le Christ ressuscité. Dans quel accès de folie auraient-ils rêvé une chose si absurde, si téméraire ? Car espérer une telle victoire sans la grâce de Dieu, c'est assurément le comble de la démence. Et comment, dans le délire de la folie, en seraient-ils venus à bout? Mais s'ils jouissaient de leur bon sens, comme l'événement l'a prouvé , comment douze hommes auraient-ils osé provoquer de tels combats, braver la terre et la mer, songer à réformer les moeurs du monde entier, si affermies par le temps, et soutenir l'assaut avec tant de courage, s'ils n'eussent reçu d'en-haut des gages assurés, et n'eussent obtenu la grâce divine? Bien plus encore : comment, en promettant le ciel et les demeures suprêmes, auraient-ils espéré convaincre leurs auditeurs? Eussent-ils été élevés dans la gloire, dans la richesse, dans là puissance, dans l'instruction, ils n'auraient sans doute pas osé aspirer à une oeuvre aussi hardie ; cependant leur espoir aurait eu quelque apparence de raison. Mais ce sont des pêcheurs, des fabricants de tentes, des publicains ; tous métiers les moins propres à la philosophie, les moins capables d'inspirer de grands projets, surtout quand il n'y a pas de précédents. Or, non-seulement ils n'avaient pas d'exemples qui leur promissent la victoire, mais il y en avait, et de tout récents, qui leur présageaient la défaite. Plusieurs, je ne dis pas parmi les Grecs (il ne s'agissait pas encore d'eux alors), mais parmi les Juifs contemporains , pour avoir essayé d'innover, avaient péri; et ce n'était pas à -la tête de douze hommes, mais avec une multitude de partisans, qu'ils avaient mis la main à l'oeuvre. En effet, Theudas et Judas, appuyés de nombreux partisans, avaient succombé avec eux. De tels exemples étaient bien propres à effrayer les apôtres, s'ils n'eussent été parfaitement convaincus qu'on ne peut triompher sans la puissance de Dieu. Et, même avec la confiance dans la victoire, quelle espérance les eût soutenus au milieu de tant de périls, s'ils n'avaient eu les yeux fixés sur l'avenir ? Supposons qu'ils comptaient triompher ! Mais à quels profits aspiraient-ils en menant le monde entier aux pieds d'un homme qui, selon vous, n'était point ressuscité ? 4. Si maintenant des hommes qui croient au royaume du ciel et à des biens infinis, ont tant de peine à soutenir, les épreuves, comment les apôtres auraient-ils supporté tant de travaux sans espoir d'en rien recueillir, sinon des maux? Car si rien de ce qui s'était réellement passé n'avait eu lieu , si le Christ n'était point monté au ciel, ceux qui forgeaient ces contes et cherchaient à les persuader aux autres, offensaient Dieu et devaient s'attendre à être mille fois frappés de la foudre. Que s'ils eussent eu un tel zèle du vivant du Christ, ils l'eussent perdu après sa mort; car, n'étant pas ressuscité, il n'eût plus été à leurs yeux qu'un imposteur et un fourbe. Ne savez-vous pas qu'une armée, même faible, tient ferme tant que le général et le prince vivent; et que, bien que forte, elle se dissout dès qu'ils sont morts ? Quels motifs plausibles, dites le moi, les auraient déterminés à entreprendre la prédication et à parcourir le monde entier? Quels obstacles ne les auraient pas retenus? S'ils étaient fous (je ne cesserai de le répéter), rien, absolument rien, ne leur eût réussi : car (325) personne ne croit à des fous. Mais s'ils ont réussi, comme le fait l'a prouvé , c'est donc une preuve qu'ils étaient les plus sages des hommes. Mais s'ils étaient les plus sages des hommes, il est évident qu'ils n'avaient point entrepris la prédication au hasard. Et s'ils n'avaient pas vu le Christ ressuscité, à quoi bon commencer une telle guerre? Tout ne lés en eût-il pas détournés? Il leur a dit : Je ressusciterai dans trois jours : il leur a promis le royaume des cieux; il leur a annoncé qu'après avoir reçu le Saint-Esprit ils soumettront la terre entière; il leur a dit mille autres choses encore, infiniment élevées au-dessus de la nature. En sorte que, si rien de cela n'était arrivé, eussent-ils cru en lui pendant qu'il vivait, ils auraient cessé d'y croire après sa mort, s'ils ne l'avaient vu ressuscité. Ils auraient dit : Il avait annoncé qu'il ressusciterait après trois jours, et il n'est pas ressuscité; il avait promis d'envoyer l'Esprit et il ne l'a pas envoyé; comment croirons-nous à ce qu'il a dit de l'avenir, quand ce qu'il a dit du présent est convaincu de fausseté? Comment auraient-ils prêché la résurrection d'un homme qui ne serait pas ressuscité? Parce qu'ils l'aimaient, dira-t-on. Mais ils l'eussent dès lors pris en haine, lui qui les avait trompés, et trahis; lui qui, par mille menteuses promesses, les avait arrachés à leurs maisons, à leurs parents, à tout ce qu'ils possédaient, lui qui, après avoir excité contre eux tout le peuple juif, les avait enfin abandonnés. Il l'eût été là un simple effet de faiblesse, ils l'eussent peut-être pardonné; mais il fallait maintenant y voir une grande scélératesse. Car il devait dire la vérité, et ne pas promettre le ciel, puisque, selon vous, il n'était qu'un homme. C'était donc une conduite tout opposée qu'ils auraient dû tenir, c'est-à-dire proclamer qu'ils avaient été trompés et le dénoncer comme un fourbe et un charlatan ; par là ils eussent échappé aux dangers et mis fin à la guerre. Si les Juifs ont payé des soldats pour dire que le corps avait été enlevé, quel honneur n'eussent pas obtenu les disciples s'ils avaient dit en passant : C'est nous qui l'avons enlevé, il n'est point ressuscité? Ils pouvaient donc recevoir des honneurs et des couronnes. Pourquoi alors auraient-ils préféré les injures et les périls, si une force divine, plus puissante que tout le reste, ne les y eût déterminés? Et (325) si ce raisonnement ne vous convainc pas encore, faites celui-ci : Si les choses n'eussent pas été ainsi, quelque décidés qu'ils y fussent d'abord, ils ne l'auraient point pris pour sujet de leur prédication; ils l'auraient au contraire pris en aversion : car vous savez bien que nous ne voulons pas même entendre prononcer le nom de ceux qui nous ont ainsi trompés. Et pourquoi l'auraient-ils prêché , ce nom ? Dans l'espoir de vaincre par lui ? C'était tout le contraire qu'ils devaient attendre puisque, même après la victoire, ils seraient morts en prêchant le nom d'un imposteur. Que s'ils voulaient jeter un voile sur le passé, il fallait se taire : car engager le combat, c'était donner un nouvel aliment à la guerre et au ridicule. D'où leur serait venue la pensée de forger de telles inventions? Ils avaient perdu le souvenir de tout ce qu'ils avaient entendu. Et si, au rapport de l'évangéliste, ils avaient oublié bien des choses et n'en avaient pas compris d'autres , alors même qu'ils n'avaient rien à craindre ; comment tout ne leur aurait-il pas échappé, au milieu d'un si grand, péril? Mais à quoi bon dire cela, quand leur affection pour le maître était déjà affaiblie par la crainte de l'avenir, ainsi qu'il le leur reprocha lui-même un jour. Car comme suspendus à sa bouche, ils lui avaient souvent demandé auparavant : Où allez-vous? et qu'ensuite après l'avoir entendu longuement exposer les maux qu'il devait subir dans le temps de sa passion, ils restaient bouche béante et muette de terreur, écoutez comme il le leur fait sentir, en disant : « Aucun de vous ne me demande : Ou allez-vous? mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre coeur ». (Jean, XVI, 6, 6.) Si donc ils étaient déjà tristes quand ils s'attendaient à sa mort et à sa résurrection ; comment, ne le voyant pas ressuscité, auraient-ils pu vivre? Comment , découragés par la déception et épouvantés des maux à venir, n'auraient-ils pas désiré rentrer dans le sein de la terre? 5. Mais d'où leur sont venus ces dogmes sublimes? Et il leur avait annoncé qu'ils en entendraient de plus sublimes encore. « J'ai encore bien des choses à vous dire », leur disait-il, « mais vous ne pouvez les porter présentement ». Ce qu'il ne disait pas était donc encore plus élevé. Mais un des disciples, entendant parler de dangers , ne voulait pas même aller en Judée avec lui. «Allons-y aussi (326) nous», disait-il, «afin de mourir avec lui ». (Idem, XI, 16.) L'attente de la mort lui était pénible. Mais si, étant avec lui, il s'attendait à mourir et s'en effrayait pourtant, à quoi, séparé de lui et des autres disciples, n'aurait-il pas dû s'attendre ? Et t'eût été d'ailleurs une grande preuve d'impudence. Qu'auraient-ils eu à dire? Le monde entier connaissait la Passion; le Christ avait été suspendu au gibet en plein jour, dans une capitale, pendant la fête principale, celle dont il était le moins permis de s'absenter; mais aucun étranger ne connaissait la résurrection : ce qui n'était pas un petit obstacle au succès de leur prédication. La rumeur disait partout qu'il avait été enseveli; les soldats et tous les Juifs affirmaient que son corps avait été enlevé par ses disciples; mais aucun étranger ne savait qu'il fût ressuscité. Comment auraient-ils espéré en convaincre l'univers? Si on avait pu déterminer des soldats, malgré des miracles, à attester le contraire, comment sans miracle auraient-ils eu la confiance de prêcher, et pu croire, eux qui n'avaient pas une obole, qu'ils persuaderaient le monde entier de la résurrection ? S'ils agissaient par ambition de la gloire,'ils se seraient attribué leur doctrine bien plutôt qu'à un mort. Mais on ne l'aurait point acceptée, dit-on. Et de qui l'eût-on plutôt acceptée ou d'un homme qui avait été pris et crucifié, ou d'eux qui avaient échappé aux mains des Juifs? Et pourquoi, de grâce, s'ils devaient prêcher, ne pas quitter aussitôt la Judée, et se rendre dans les villes étrangères, au lieu de rester dans le pays? Et comment auraient-ils fait des disciples, s'ils n'eussent opéré des miracles? Or, s'ils faisaient des miracles (et ils en faisaient), ce ne pouvait,être que par la puissance de Dieu; et s'ils eussent triomphé sans en faire, t'eût été bien plus étonnant encore. Ne connaissaient-ils pas, dites-moi, le peuple juif, ses mauvaises dispositions, son esprit de jalousie? Ils avaient lapidé Moïse après le passage de la mer à pied sec, après cette victoire, après ce trophée remporté contre les Egyptiens, leurs oppresseurs, par les mains de ce grand homme sans effusion d'une goutte de sang; après avoir mangé la manne; après avoir vu des torrents d'eau couler du rocher; après les mille prodiges de l'Egypte, de la mer Rouge et du désert, ils avaient jeté Jérémie dans la citerne et mis à mort beaucoup de prophètes. Ecoutez ce que dit Elie, quand il est forcé de s'éloigner du pays, après la terrible famine et la pluie miraculeuse, et,la flamme qu'il a fait descendre du ciel, et le merveilleux holocauste : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont détruit vos autels; je suis demeuré seul, et ils en veulent encore à ma vie ». (III Rois, XIX, 10.) Et pourtant ceux-là ne touchaient point à la loi. Comment donc, dites-le moi, aurait-on écouté les apôtres? Car ils étaient les plus misérables des hommes, et ils prêchaient les nouveautés qui avaient valu la croix à leur maître. Du reste, ce n'était pas une grande preuve d'habileté chez eux que de répéter ce que le Christ avait dit. On avait pu croire que le Christ agissait par amour de la gloire; on n'en aurait que plus haï ses disciples qui reprenaient la guerre au profit d'un autre. Mais, objectera-t-on, la loi romaine les favorisait. Ils y trouvaient, au contraire, un nouvel obstacle : car les Juifs avaient dit : « Quiconque se fait roi, n'est pas l'ami de César ». (Jean, XIX, 12.) Ainsi cela seul eût suffi à les entraver, d'être les disciples d'un homme qui était censé avoir voulu se faire roi et de soutenir son parti. Où donc auraient-ils puisé le courage de se jeter dans de tels dangers ? Que pouvaient-ils dire de lui qui fût propre à leur attirer la confiance? Qu'il avait été crucifié? qu'il était né d'une pauvre mère juive, mariée à un charpentier juif? qu'il appartenait à une nation haïe du monde entier? Mais tout cela était plus propre à irriter qu'à persuader et qu'à attirer des auditeurs, surtout dans la bouche d'un fabricant de tentes et d'un pêcheur. Et les disciples -n'avaient-ils pas songé à tout cela? Les natures timides (et telles étaient les leurs) savent s'exagérer les choses. D'où auraient-ils pu espérer le succès ? Ils en auraient désespéré au contraire, quand tant de raisons les détournaient de l'entreprise, si le Christ n'était pas ressuscité. 6. Les moins intelligents ne comprennent-ils pas que si les apôtres n'avaient reçu une grâce abondante et n'avaient eu des preuves certaines de la résurrection, non-seulement ils n'eussent pas formé et entrepris un tel dessein, mais qu'ils n'en auraient pas même eu la pensée? Et si, malgré tant d'obstacles, je ne dis pas à la réussite, mais à l'idée même de l'entreprise, ils l'ont cependant formée et réalisée au-delà , de toute espérance, n'est-il (327) pas évident pour tout le monde que ce n'est point là l'effet de la puissance humaine, mais de la grâce divine? Méditons donc ces sujets, non-seulement avec nous-mêmes, mais aussi avec les autres; ce sera le moyen d'arriver plus facilement à ce qui doit suivre. Et ne dites pas que vous n'êtes qu'un artisan, et que ces études vous sont étrangères. Paul était fabricant de tentes, et pourtant (il nous le dit lui-même) il fut rempli d'une grâce abondante, et ne parlait que par son inspiration. Avant de l'avoir reçue, il était aux pieds de Gamaliel, et il ne la reçut que parce qu'il s'en était montré digne; puis après, il reprit son métier. Que personne ne rougisse donc d'être ouvrier; mais que ceux-là rougissent qui vivent dans l'inutilité et la paresse, qui ont besoin de beaucoup de soins et de nombreux serviteurs. Car il y a une sorte de philosophie à ne gagner sa nourriture que par son travail; l'âme en devient plus pure, le caractère plus ferme. L'homme oisif parle bien plus au hasard, agit souvent sans but, passe des journées entières à ne rien faire, engourdi par la paresse; chez l'ouvrier, au contraire, il y a peu d'actions, de paroles ou de pensées inutiles : car une vie laborieuse tend tous les ressorts de l'âme. Ne méprisons donc point ceux qui gagnent leur vie par leur travail; félicitons-les plutôt. Quel mérite avez-vous, dites-moi, à passer votre vie à ne rien faire et à dépenser inutilement l'héritage que vous avez reçu de votre père? Ne savez-vous pas que nous ne rendrons pas tous le même compte? que ceux qui auront joui d'une plus grande abondance seront jugés plus sévèrement, tandis qu'on traitera avec plus d'indulgence ceux qui auront supporté les travaux, la pauvreté ou d'autres incommodités de ce genre? La parabole de Lazare et du mauvais riche est là pour le prouver. Vous serez justement accusé, vous qui n'employez vos loisirs à la pratique d'aucun devoir; mais le pauvre qui consacrait au devoir le temps que le travail lui laissait libre, recevra une riche couronne. M'objecterez-vous que vous êtes soldat et que cet état ne vous laisse pas de loisir? Mais cette excuse n'est pas raisonnable. Corneille était centurion, et cela ne l'empêchait point de remplir exactement ses devoirs. Quand il s'agit de fréquenter les danses et les comédies, de passer toute votre vie au théâtre, vous n'objectez plus l'état militaire ni la crainte des magistrats; mais quand nous vous appelons à l'église, mille obstacles se lèvent. Et que direz-vous en ce jour terrible où vous verrez les torrents de flamme, les chaînes qui ne se brisent plus, où vous entendrez les grincements de dents ? Qui est-ce qui prendra votre défense, quand vous verrez l'ouvrier qui aura bien vécu, nager au sein de la gloire; tandis que vous, jadis si mollement vêtu et respirant l'odeur des parfums, vous subirez des supplices sans fin? A quoi vous serviront vos richesses et votre opulence? En quoi la pauvreté nuira-t-elle à l'artisan? Afin donc d'éviter ces malheurs. Méditons ces paroles en tremblant, et employons tous nos loisirs aux oeuvres nécessaires. Ainsi, après avoir obtenu de Dieu le pardon de nos fautes passées, et au moyen de nos bonnes couvres à venir, nous pourrons obtenir le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
|