HOMÉLIE XXVIII

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HOMÉLIE XXVIII. QUE L'HOMME DONC S'ÉPROUVE SOI-MÊME, AVANT DE MANGER DE CE PAIN ET DE BOIRE DE CE CALICE. (CHAP. XI, VERS. 28, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.)

 

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ANALYSE.

 

1. De la nécessité de s'éprouver soi-même avant de manger le pain de vie et de boire le calice du Seigneur.

2. Pourquoi les pécheurs ne sont pas tous présentement punis. — Les fidèles, assemblés pour manger, doivent s'attendre les uns les autres.

3-5. Contre l'excès de la douleur dans le deuil. — Développement curieux , à l'adresse des femmes. — En opposition, la sublime résignation de Job au sein des plus cruelles douleurs.

 

1. Que signifient ces paroles, quand le sujet proposé est tout autre? C'est l'habitude de Paul, je l'ai déjà dit, non-seulement de traiter le sujet qu'il s'est proposé, mais, s'il se présente incidemment quelqu'autre pensée, de la suivre avec une grande ardeur, surtout quand il s'agit de choses tout à fait nécessaires, urgentes. En effet, quand il s'agissait des personnes mariées, et qu'il se trouva à parler des serviteurs, il traita cette question incidente avec une grande force et beaucoup de développements. Et, quand il s'étendait sur cette vérité, que l'on ne doit pas disputer en justice, l'occasion se présentant d'adresser à l'avarice des exhortations, il développa ses pensées sur ce point. C'est ce qu'il fait encore en ce moment. Une fois qu'il s'est vu engagé à parler des mystères, il a jugé qu'il était nécessaire de traiter à fond cette question à cause de son importance, et, de là, ces exhortations, faites pour inspirer la terreur, et ce discours qui prouve que le premier des biens c'est de s'approcher de la table sainte avec une conscience pure. Il ne lui suffit plus de ce qu'il avait dit auparavant, il ajoute: « Que l'homme  donc s'éprouve soi-même »; c'est ce qu'il dit aussi, dans la seconde épître : « Sondez-vous vous-mêmes, éprouvez-vous vous-mêmes ». Ce n'est pas ce que nous faisons aujourd'hui, où ce qui nous détermine, c'est plutôt la circonstance de temps, que l'ardeur de notre volonté. En effet, nous ne nous appliquons pas à nous préparer, à nous purifier, à nous pénétrer de componction, avant de nous approcher, mais nous venons parce que c'est un jour de fête, et parte que tous en font autant.

Mais ce n'est pas là ce que conseillait Paul; il ne reconnaît qu'un temps où il convienne de s'approcher, de communier; c'est lorsque notre conscience est pure. Si jamais nous ne prenons notre part des tables de ce monde, lorsque nous avons la fièvre ou que nous sommes travaillés par nos humeurs; si nous nous abstenons par raison de santé, à bien plus forte raison, devons-nous nous abstenir de cette table auguste, quand nous sommes travaillés par nos mauvais désirs, plus funestes que toutes les fièvres. J'entends par mauvais désirs, les passions du corps, les désirs d'argent, les colères, les rancunes, en un mot toutes les passions dépravées et désordonnées. Il faut dépouiller tout cela, quand on s'approche des mystères, quand on veut participer à ce sacrifice si pur; il ne suffit pas d'une volonté indolente, de dispositions misérables, de cette considération que c'est un jour de fête, et de venir forcément; il ne faut pas, non plus, que la componction d'une âme bien préparée s'abstienne parce que l'on n'est pas dans un jour de fête. Ce qui constitue la fête, c'est l'abondance des bonnes oeuvres; c'est la piété, c'est l'application à tous ses devoirs; réunissez ces conditions, vous pourrez célébrer une fête perpétuelle, et vous approcher toujours; de (481) là, ce que dit l'apôtre : « Que chacun s'éprouve soi-même, avant d'approcher ». Et le précepte qu'il donne, ce n'est pas que l'un éprouve l'autre, mais que chacun s'éprouve soi-même. Il s'agit d'un jugement non public; d'un examen sans témoin. « Car quiconque en mange et en boit indignement, mange et boit le jugement du Seigneur (29) ».

Que dites-vous, je vous en prie? Cette table, cause de tant de biens, et qui nous verse la vie, devient elle-même notre jugement? Ce n'est pas, dit l'apôtre, en vertu de sa nature propre, mais de la volonté de celui qui s'en'approche. En effet, de même que la présence de cette table, qui nous procure de grands et ineffables biens, ne fait que condamner davantage ceux qui ne les reçoivent pas, ainsi ces mystères ne servent qu'à assurer un plus terrible supplice à ceux qui y participent indignement. Mais pourquoi mange-t-il son jugement? « Ne faisant point le discernement du corps du Seigneur »; c'est-à-dire, n'examinant pas, ne considérant pas, comme il faudrait le faire, la grandeur des biens qui nous sont proposés, et l'excellence du don. Si vous appliquez tous vos soins à comprendre quel est celui qui se livre, et à. qui il se livre; vous n'aurez pas besoin d'une autre raison. Cette réflexion vous suffira pour vous tenir en éveil, à moins que vous ne soyez tombés dans une léthargie bien profonde. « C'est pour cette raison qu'il y a parmi vous beaucoup de malades et de languissants, et que plusieurs dorment du sommeil de la mort (30) ». Ici, l'apôtre n'emprunte plus des exemples étrangers, comme il l'a fait au sujet des viandes consacrées aux idoles. On l'a entendu alors raconter les vieilles histoires, les plaies infligées dans la solitude. Il prend ses exemples chez les Corinthiens eux-mêmes ; ce qui donnait plus de force à son discours. Après avoir dit : « Mange son jugement et se rend coupable », ne voulant pas paraître produire uniquement des paroles, il y joint des faits; il prend les Corinthiens eux-mêmes à témoin, et, argument plus vif et plus pénétrant que les menaces, il montre que les menaces sont devenues des réalités. Et il ne se borne pas à ce spectacle, il parle aussitôt de l'enfer,.et il le prouve, et il inspire une double terreur, et il résout une question dont on s'occupait partout. Le peuple se demande, en effet, d'où viennent les morts prématurées, d'où viennent les maladies interminables; l'apôtre répond que tant de coups imprévus ont pour cause le péché.

2. Quoi donc, me direz-vous, ceux qui se portent toujours bien, et qui parviennent à une vieillesse vigoureuse, ne sont-ils pas, eux aussi, des pécheurs? Qui soutiendrait le contraire? Eh bien donc, me direz-vous, pourquoi ne sont-ils pas punis? parce qu'ils le seront plus tard, d'une manière plus terrible. Quant à nous, si nous le voulons, ni sur cette terre, ni ailleurs, nous ne serons punis. « En effet, si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu (31) ». L'apôtre ne dit pas, si nous nous corrigions nous-mêmes, si nous nous imposions un châtiment, il se borne à dire : Si nous voulions reconnaître nos péchés , si nous voulions nous-mêmes réprouver nos mauvaises actions, nous serions affranchis et du supplice présent et du supplice à venir. Car celui qui se condamne lui-même, apaise Dieu à double titre : et parce qu'il reconnaît ses péchés, et parce que dans la suite il est moins prompt à en commettre d'autres. Eh bien, quoique nous rie nous soumettions pas même à cette légère obligation, le Seigneur, même malgré notre négligence, ne veut pas nous envelopper dans le châtiment universel ; il nous fait grâce en nous punissant, ici-bas, sur cette terre, où le supplice est momentané, et renferme une grande consolation. Car c'est, à la fois, l'affranchissement du péché, et le doux espoir du bonheur à venir, si bien fait pour adoucir les épreuves du temps présent. Voilà ce que dit l'apôtre pour consoler les infirmes, et pour ranimer, en même temps, le zèle des autres. De là, ses paroles : « Mais lorsque nous sommes jugés de la sorte, c'est le Seigneur qui nous reprend (32) ». L'apôtre ne dit pas : Qui nous châtie ; il ne dit pas : Qui nous livre au supplice, mais : « Qui nous reprend », ce qui ressemble bien plus à un avertissement qu'à une condamnation; à un remède qu'à un supplice ; à une correction qu'à un châtiment.

Et l'apôtre ne se contente pas de ces paroles; mais, en montrant la peine plus terrible dont nous sommes menacés, il nous rend plus légère, encore la peine présente : « Afin que  nous ne soyons. pas condamnés avec le monde ». Voyez-vous comme il nous fait voir (482) et la géhenne, et ce tribunal horrible, et la nécessité de l'enquête, de la punition à venir; car si les fidèles, si ceux dont le Seigneur prend soin ne doivent pas obtenir l'impunité de leurs fautes, comme le prouvent les douleurs présentes, à bien plus forte raison les infidèles et ceux qui commettent de grands crimes et dont la conscience est incurable. « C'est pourquoi, mes frères, quand vous vous assemblez pour manger, attendez-vous les uns les autres (33) ». Il profite de la crainte encore vive de l'enfer, du tremblement qu'elle leur cause, pour les avertir une seconde fois de ce qu'ils doivent aux pauvres. Voilà pourquoi il a fait tout ce discours, il a voulu leur montrer que le mépris pour les pauvres, les rend indignes de la communion; que si le refus de répandre largement l'aumône suffit pour écarter de cette table, à bien plus forte raison le vol et le rapt. Et l'apôtre ne dit pas C'est pourquoi lorsque vous vous rassemblez, donnez aux indigents; mais, ce qui était plus délicat . « Attendez-vous les uns les autres ». Ce conseil en effet préparait, renfermait l'autre, rendait l'avertissement plus convenable. L'apôtre se remet ensuite à les confondre : « Si quelqu'un est pressé de manger, qu'il mange chez lui (34) ». Cette permission était plus éloquente pour retenir qu'une défense formelle ; cette manière d'exclure de l'Eglise, de renvoyer le coupable chez lui; est un moyen adroit pour lui infliger une vigoureuse réprimande, et de le ridiculiser comme un esclave de son ventre, qui ne saurait attendre pour manger. L'apôtre ne dit pas : Si quelqu'un méprise les pauvres, mais : Si quelqu'un est pressé de manger. Il a l'air de s'adresser à des enfants qui ne savent pas endurer la faim, à des brutes esclaves de leur ventre; c'eût été chose absolument ridicule que le pressant désir de manger les eût retenus chez eux.

L'apôtre y joint encore une réflexion terrible : « Afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation ». Afin que vous ne vous exposiez pas au châtiment, au supplice, en insultant l'Eglise, en faisant rougir votre frère. Si vous vous rassemblez, dit-il, c'est pour vous prouver une affection mutuelle, pour recevoir et vous prêter assistance. Si le contraire doit arriver, mieux vaudrait manger chez vous. Ce qu'il ne disait que pour mieux les attirer. Voilà pourquoi il montre le grand tort qu'ils se font et la gravité de leur faute; par tous les moyens il les effraye, par les mystères, par les maladies, par les morts, par tout ce qui a été dit précédemment. Ensuite, il les effraye encore d'une autre manière. Il leur dit : « Je règlerai les autres choses lorsque je serai venu ». Saint Paul parle ici ou de ce qu'il vient de marquer, ou de quelque autre chose. Il est vraisemblable qu'ils lui avaient soumis d'autres questions, et que l'apôtre n'avait pas pu faire entrer toutes les décisions dans sa lettre. Observez en attendant, dit-il, les avis que je vous ai donnés; maintenant si vous avez quelqu'autre chose à me dire, réservez-le pour mon arrivée. Il entend par là, comme je l'ai dit, ou la question présente ou quelques autres qui ne pressaient pas autant. Or, ce qu'il fait ici, c'est pour les rendre plus appliqués, attendu que l'inquiétude où ils seraient de son arrivée les porterait à s'amender. En effet, ce n'était pas un petit événement que l'arrivée de Paul, .ce qu'il indiquait en ces mots : « Je vous irai voir et je reconnaîtrai quels sont les effets de ceux qui sont « enflés de vanité » ; et encore : « Comme si je ne devais pas aller vous trouver, il y en a parmi vous qui s'enflent de présomption», (I Cor. IV, 18.) Et dans un autre passage encore . « Comme vous avez toujours été obéissants, ayez soin, non-seulement lorsque je « suis présent, mais encore plus en mon ab« sente, d'opérer votre salut avec crainte et a tremblement ». (Philip. II, 12.) Il ne promet donc pas de les aller voir uniquement pour affermir leur foi et prévenir leur relâchement, mais il leur marque même une raison pour laquelle il doit nécessairement les aller voir «Je règlerai les autres choses lorsque je serai venu ». Il montre que la nécessité de corriger d'autres désordres, quoique moins pressante; suffira pour l'attirer auprès d'eux.

3. Puis donc qu'il nous est donné d'entendre toutes ces paroles, prenons grand soin des pauvres, réprimons notre ventre, affranchissons-nous de l'ivresse, appliquons-nous à nous rendre dignes de la participation aux mystères. Tout ce que nous avons à souffrir supportons-le avec résignation et en nous mêmes et dans les autres : ainsi les morts prématurées, ainsi les maladies interminables. Car c'est ce qui nous affranchit du supplice, c'est ce qui nous corrige, c'est ce qui nous donne le meilleur des avertissements. Qui tient ce langage? celui qui portait le Christ (483) parlant dans son coeur. Et pourtant même après ces paroles, nombre de femmes ont été assez dépourvues de sens pour surpasser par l'excès de leur deuil même les infidèles. Les unes s'ensevelissent dans leur douleur comme dans des ténèbres; les autres s'y abandonnent par ostentation pour éviter les accusations du monde; je dis que celles-ci n'ont pour elles aucune excuse. Afin qu'un tel ne m'accuse pas, disent ces femmes, eh bien que Dieu m'accuse; afin que des hommes plus insensés que des brutes ne nous condamnent pas, foulons aux pieds la loi du roi de l'univers. Quelle foudre n'attirerait pas un tel délire? Si après ton deuil on t'appelle à un repas, nul n'y trouvera à redire parce que la loi humaine trouve cette conduite dans l'ordre; et quand Dieu commande de ne pas pleurer, tous contredisent la loi.

Ne penses-tu pas à Job, ô femme, oublies-tu les paroles qu'il fit entendre, au jour désastreux où il perdit ses fils, paroles admirables qui ont décoré sa tête sacrée (le milliers de couronnes, qui ont publié sa gloire avec plus de retentissement que mille trompettes; ne penses-tu pas à la grandeur d'une telle infortune, à ce naufrage inouï, à cette tragédie étrange, étonnante. Tu n'as perdu, toi, qu'un fils ou un second ou un troisième, mais lui tant de fils à la fois et tant de filles; et celui qui avait tant d'enfants, le voilà tout à coup sans enfants, et ces entrailles ne furent pas peu à peu déchirées, mais tout à coup tout le fruit de ses entrailles en était arraché ; et cela non pas par la commune loi de la nature, non pas parce qu'ils étaient parvenus à la vieillesse, mais par une mort prématurée, violente, frappant tous ses enfants à la fois; et cela non pas en sa présence, près de lui, de telle sorte qu'en recueillant leur dernière parole, il pût avoir au moins quelque consolation de leur mort si cruelle. Ils meurent contre toute attente, dans la complète ignorance pour lui de ce qui arrive; et tous à la fois sont engloutis, et cette maison fut en même temps leur tombe et leur piège: mort non-seulement prématurée , mais escortée de mille sujets de douleur : tous dans la fleur de la jeunesse, tous doués de vertu, tous aimables, tous à la même heure, et de l'un ou de l'autre sexe, pas un survivant; et ils ne mouraient pas par une nécessité commune à tous les hommes; et ils lui étaient enlevés après la perte de tous ses biens, et c'était sans qu'il se sentit coupable d'aucun crime, ni lui, ni ses enfants, qu'il souffrait tous ces maux.

Un seul de ces coups suffisait à bouleverser l'âme; quand ils fondent tous ensemble sur une tête, mesurez, calculez la violence des flots, la fureur de la tempête. Et, douleur plus amère, cause de deuil plus cruelle que le deuil même, pourquoi était-il frappé, Job ne pouvait le comprendre. Aussi, dans son impuissance d'expliquer ce désastre, il s'en réfère à la volonté de Dieu : « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, il n'est arrivé que ce qui a plu au Seigneur; que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles des siècles». (Job, I 21.) Et quand il prononçait ces paroles, il se voyait dans la dernière des misères, lui qui avait pratiqué toutes les vertus, et des scélérats, des imposteurs, il les voyait heureux, vivant dans les délices, comblés de toutes les prospérités. Et il ne fit entendre aucun de ces discours que débitent certains hommes sans énergie est-ce donc pour cela que j'ai nourri mes enfants, que je les ai entourés de tant de soins? est-ce donc pour cela que j'ai ouvert ma maison aux voyageurs ? après tant de courses pour les indigents, pour ceux qui étaient nus, pour les orphelins, voilà donc mon salaire! Au lieu de ces paroles, il prononça ce qui a plus de prix que tout sacrifice : « Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et je m'en retournerai nu ». Que s'il a déchiré ses vêtements, rasé sa chevelure, ne vous en étonnez pas; c'était un père, un père qui aimait ses enfants, et il était bon que l'on pût voir sa tendresse naturelle et en même temps la sagesse qui le gouvernait. S'il n'eût rien fait pour exprimer sa douleur, on aurait pu attribuer sa sagesse à l'insensibilité, voilà pourquoi il montre et ce qu'il a d'entrailles et la sincérité de sa piété; il souffre, mais il n'est pas renversé. La lutte se poursuit et il acquiert encore d'autres couronnes pour sa réponse à son épouse : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n'en recevrons-nous pas aussi les maux? » (Job, II, 10.) Il ne lui restait plus que sa femme ; tout s'était évanoui pour lui, ses enfants, ses trésors, jusqu'à son corps; et sa femme ne lui était laissée que pour le tenter, pour lui tendre des piéges. Voilà pourquoi le démon ne la lui enleva pas avec ses enfants; voilà pourquoi il ne demanda pas sa mort, sa mort violente ; il attendait de cette (484) femme de grands secours dans ses attaques contre ce saint personnage. Aussi le démon se la réserva comme l'arme la plus puissante à employer contre lui. Le démon se dit : Si j'ai par le moyen de la femme chassé l'homme du paradis, à bien plus forte raison pourrai-je avec son secours accabler l'homme sur son fumier.

4. Et voyez l'habileté du démon; ce n'est pas après la perte des boeufs qu'il emploie cette machine, ni après celle des ânes ou des chameaux, ni quand la maison a été renversée, ni après que les enfants ont été ensevelis sous ses ruines : il laisse quelque temps l'athlète respirer; ruais quand les vers pullulent, quand la peau tombe de toutes parts en putréfaction, quand les chairs consumées répandent l'infection, lorsqu'un feu plus ardent que tous les grils, que toutes les fournaises; lorsque la main même du démon torturait le patient, quand cette bête plus féroce que les plus féroces le déchirait et le dévorait,. après tout le temps dépensé à composer cet horrible malheur; c'est alors qu'il amène cette femme auprès de l'infortuné desséché, épuisé. En effet, s'il se fût servi d'elle au commencement du désastre, elle ne l'aurait pas trouvé affaibli comme il l'était, elle n'aurait pu par ses discours exagérer, amplifier le malheur; mais c'est quand elle le voit après un si long temps altéré de délivrance, appelant à grands cris la fin de ses maux, c'est alors qu'elle s'approche vivement de lui. Il était accablé, brisé; il ne pouvait plus respirer; il désirait mourir. Ecoutez ses paroles : [Si je pouvais me donner la mort ou la demander à un autre, je le ferais (1).]

Voyez maintenant la malignité de la femme. Remarquez ses premières paroles, la pensée qui les lui inspire, c'est la longueur de la souffrance ; elle dit : « Jusques à quand sup« porterez-vous? » (Job, ri, 9.) Réfléchissez; souvent même, dans des épreuves sans importance, de simples paroles amollissent les courages. Considérez ce que dut éprouver ce malheureux, que torturaient et ce discours et des souffrances trop réelles. Et ce qu'il y avait de plus affreux, c'est que ces paroles venaient

 

1. Ces paroles de Job, qui témoignent de son désespoir, ne se rencontrent pas dans les exemplaires que nous possédons actuellement. Elles sont néanmoins susceptibles d'une interprétation adoucie et conforme au vrai et au bien. Si je pouvais peut s'entendre dans le sens de s'il m'était permis, si je pouvais sans pécher.

 

de son épouse, d'une épouse qui était tombée avec lui et qui désespérait, et qui voulait pour cette raison le précipiter lui-même dans le désespoir. Voulons-nous d'ailleurs bien voir cette machine du démon approcher contre ce mur de diamant, écoutons les paroles mêmes. Quelles sont-elles? « Jusques à quand supporterez-vous en disant : encore un peu de temps, j'espère être sauvé? » Vos paroles, lui dit-elle, sont réfutées par le temps, qui s'allonge et ne montre aucune délivrance. Or ce que disait cette femme, ce n'était pas seulement pour le jeter, lui, dans le désespoir, c'était un reproche et une raillerie; car pendant qu'elle le troublait, il la consolait, il corrigeait ses paroles, il lui disait : attendez encore un peu de temps et bientôt viendra la fin de ces épreuves. Elle lui fait donc des reproches en lui disant: persisterez-vous encore maintenant à faire entendre les mêmes paroles ? Voilà déjà bien du temps de passé et nous ne voyons nullement la fin de ces maux. Et considérez la méchanceté : elle ne lui parle pas de ses boeufs, de ses brebis, de ses chameaux, elle savait bien que ce n'était pas là ce qui le tourmentait le plus; mais elle s'attaque tout de suite à sa tendresse naturelle en lui parlant de ses enfants. Elle l'avait vu au moment de cette perte déchirer ses vêtements, raser sa chevelure, et elle ne lui dit pas : vos enfants sont morts, mais de manière à émouvoir profondément la pitié : « Votre souvenir est détruit sur la terre », parce que c'est là ce qui donne tant de prix aux enfants.

En effet, si même de nos jours, malgré la foi en la résurrection à venir, ce qui donne du prix aux enfants , c'est qu'ils conservent le souvenir de ceux qui ne sont plus, c'était encore bien plus vrai alors. Voilà ce qui rend la malédiction plus amère ; dans l'imprécation on ne dit pas : que ses fils soient exterminés, mais : « Que sa mémoire périsse de dessus la terre » (Job, XVIII, 17); ce qui veut dire: les fils et les filles. En effet, après avoir parlé de mémoire, elle distingue avec soin les deux sexes : Si ces choses ne vous touchent pas, regardez-moi au moins, pensez et « aux douleurs de mes entrailles , douleurs souffertes inutilement »; ce qui revient à dire: C'est moi qui ai souffert la plus grande douteur; j'ai été humiliée à cause de vous, j'ai subi les souffrances et j'en ai perdu tous les fruits. Et voyez, elle ne parle pas des pertes d'argent, (485) elle ne garde pas non plus le silence, elle ne l'effleure pas en courant, mais elle y touche d'une manière émouvante, elle l'indique par ces mots : « Et moi vagabonde, esclave, de lieu en lieu, de maison en maison , courant partout ». C'est ainsi qu'elle indique la perte et d'une manière tout à fait lamentable , car ces paroles mêmes grossissent le malheur : Je vais, dit-elle, aux portes des autres ; et non-seulement je mendie , mais encore je suis errante, je subis une servitude inattendue , nouvelle, allant de côté et d'autres partout, promenant partout les signes de mon malheur, montrant à tous les maux qui m'ont frappée; et ce qu'il y a de plus lamentable, c'est le perpétuel changement de demeure. Et ces lamentations ne s'arrêtent pas là , elle ajoute : « Attendant le coucher du soleil , je me reposerai des travaux et des douleurs qui m'entourent et me retiennent captive ». Ce qui est un charme pour les autres , l'aspect de la lumière, est un fardeau pour moi; je désire la nuit et les ténèbres; elles me donnent le repos après mes sueurs; elles sont dans mes malheurs ma seule consolation. « Mais maudissez le Seigneur et mourez ».

5. Remarquez-vous ici encore la malignité elle n'introduit pas tout de suite dans le conseil qu'elle lui donne cette funeste exhortation; elle commence par un récit lamentable de toutes ses douleurs, elle développe la tragédie, quelques paroles lui suffisent pour l'exhortation. Et elle ne s'exprime pas clairement; elle l'insinue, elle lui propose ce qu'il y a de plus désirable , la délivrance , elle lui parle de la mort qui était le plus cher de ses voeux. Et concluez encore de là la perfide habileté du démon; il connaissait l'amour de lob pour Dieu ; il ne laisse pas la femme accuser Dieu de peur que Job ne l'écarte tout de suite loin de lui comme une ennemie. Aussi n'en parle-t-elle nulle part, mais elle présente le tableau confus de tout ce qui est arrivé. Quant à vous maintenant, outre tout ce qui a été dit, ajoutez que l'auteur de ce conseil, c'était une femme, orateur entraînant, pour séduire ceux qui ne sont pas sur leurs gardes. Nombre de gens, certes, sans même être frappés par les malheurs, sont tombés par le seul conseil des femmes. Que fait donc ce bienheureux Job, plus fort que le diamant? Il lui suffit de jeter sur elle un regard sévère et à première vue, avant de faire entendre sa

voix, il a renversé les machines de Satan. Cette femme s'attendait à voir jaillir des sources de larmes, mais Job, plus fougueux qu'un lion, se montra plein de colère et d'indignation non à cause de ses souffrances, mais à cause des conseils, inspirés du démon, que sa femme lui transmettait. Il lui suffit de sa manière de la regarder pour montrer son indignation, et il la réprimande avec mesure. En effet, même au sein du malheur il gardait la modération. Que lui dit-il ? « Vous avez parlé comme une femme qui n'a point de sens ». (Job, II, 10.)

Ce n'est pas là, dit-il, ce que je vous ai enseigné, ce n'est pas là ce que je vous ai appris; je ne vous reconnais pas pour ma compagne ; ces discours dénotent une femme insensée, ce conseil tient du délire. Comprenez-vous cette manière de trancher dans le mal avec mesure, cette cure suffisante pour la guérison? Après la réprimande, il apporte le conseil qui peut la consoler, et il prononce ces paroles si raisonnables : « Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, n'en recevrons-nous pas aussi les maux? » Ressouvenez-vous, lui dit-il, de ces premiers biens, méditez en vous-même sur celui qui vous les a faits, et vous supporterez avec courage l'épreuve présente. Avez-vous compris cette modération? Ce n'est pas à son courage que Job attribue sa patience; il la montre comme une conséquence de la nature des choses. En effet, pour quelle rémunération de notre part Dieu nous a-t-il donné ces biens? En récompense de quoi? En récompense de rien, par un effet de sa seule bonté. C'était un don et non une rétribution; c'était une faveur et non une rémunération. Supportons donc avec force nos malheurs ; gravons cette parole dans nos coeurs, hommes et femmes gravons ces pensées dans notre âme, et, avec ces pensées, les pensées qui précèdent. Fixons l'histoire de ces malheurs , comme un tableau dans notre imagination ; je dis : perte d'argent, fils frappés de mort, plaies du corps, opprobres, dérisions, artifices d'une femme, piéges du démon, en un mot, toutes les douleurs de ce juste. Que ce soit pour nous comme un port préparé où nous chercherons un refuge, qui nous enseigne à tout supporter avec courage, en rendant à Dieu des actions de grâces, afin de passer la vie présente affranchie de toute tristesse; afin de mériter la récompense réservée à qui bénit Dieu, par la grâce et la bonté de (486) Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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