ROMAINS XV

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HOMÉLIE XV. OR, NOUS SAVONS QUE TOUT COOPÈRE AU BIEN POUR CEUX QUI AIMENT DIEU. (VIII, 28, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)

 

309

 

Analyse.

 

1. Tout, sans aucune exception, et les afflictions même de la vie , et le retard même de la vocation, contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qui sont appelés à être saints ?

2. Si Dieu est pour nous qu'est-ce que les hommes pourront contre nous ? — Et que nous refusera Dieu qui nous a donné son Fils ?

3. Comment saint Paul, après avoir énuméré les preuves d'amour que Dieu nous a données, se laisse aller à ce mouvement sublime : qui donc nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? — Que l'élection est un signe de vertu.

4. Que nous pouvons mourir tous les jours et gagner autant de couronnes.

5. Amour de l'apôtre saint Paul pour Notre-Seigneur Jésus-Christ.

6. L'orateur condamne l'amour des choses de la terre, il fait parler Notre-Seigneur qui nous exhorte à la pratique de l'aumône.

 

1. Il me semble que tout ce passage est destiné à ceux qui sont dans les dangers ; et non-seulement  ce passage, mais encore ceux qu'on a lus un peu plus haut. En effet cette phrase : « Les souffrances du temps présent n'ont point de proportion avec la gloire future qui sera révélée » ; et celle-ci : « Toutes les créatures gémissent » ; puis : « C'est en espérance que nous avons été sauvés » ; et encore : « Nous attendons par la patience »; et enfin : « Nous ne savons ce que nous devons demander, dans la prière a : tous ces textes, dis-je, semblent aller à la même adresse. Paul leur apprend en effet que ce n'est point ce qu'ils jugent utile qui l'est réellement et qu'ils doivent toujours choisir, mais bien ce que l'Esprit leur inspire. Car beaucoup de choses qui leur paraissent avantageuses, leur sont quelque fois très-nuisibles. Le  repos , par exemple , l'éloignement du danger, la sécurité de la vie, leur semblaient des avantages. Et comment s'étonner qu'ils jugeassent ainsi , quand le bienheureux Paul lui-même partageait cette opinion ? Et cependant il apprit plus tard que la situation contraire est celle qui procure les vrais avantages, et dès qu'il le sut, il s'y attacha. Ainsi, lui qui avait trois fois prié le Seigneur de le délivrer des périls, lui ayant entendu dire : « Ma grâce te suffit ; car ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse », triomphait de joie plus tard quand il était persécuté, injurié, accablé de maux intolérables. « Je me complais » , disait-il , « dans les persécutions, dans les outrages, dans les nécessités ». (II Cor. XII, 9, 10.) C'est pour cela qu'il disait: «  Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière », et il les exhortait tous à s'en remettre là-dessus à l'Esprit. Car l'Esprit-Saint a grand soin de nous, et c'est le bon plaisir de Dieu.

A ces continuelles exhortations, il ajoute ce que nous venons de dire : un raisonnement propre à leur rendre le courage. « Nous savons », dit-il, « que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu». Or, ce mot : « Tout » renferme aussi les choses pénibles. Que ce soit l'affliction qui survienne, ou la pauvreté, ou la prison, ou la faim, ou la mort, ou toute autre chose, Dieu peut tourner tout cela en sens contraire, puisque son infinie puissance sait nous alléger et changer en moyen de salut tout ce qui nous semble pénible. Aussi l'apôtre ne dit-il ,point : l'adversité n'atteint pas ceux qui aiment Dieu, mais : « Coopère au bien » ; c'est-à-dire, Dieu fait tourner les périls à la gloire de ceux à qui on tend des embûches ; ce qui est bien plus que d'écarter le danger, ou d'en délivrer quand il (310) survient. C'est ce qu'il a fait dans la fournaise de Babylone. Il n'a pas empêché qu'on y jetât les trois saints, et quand ils y furent, il n'éteignit point la flamme ; mais il la laissa brûler pour les rendre par là même plus glorieux. A l'occasion des apôtres, il a fait constamment d'autres prodiges du même genre. S'il suffit à l'homme d'être sage pour savoir tourner en sens contraire la nature des choses, paraître au sein de la pauvreté plus a l'aise que les riches, et tirer de la gloire du mépris même dont ils sont l'objet; à bien plus forte raison Dieu peut-il en faire autant, et beaucoup plus encore, à l'égard de ceux qui l'aiment. Une seule chose est nécessaire : l'aimer sincèrement, et tout le reste vient à la suite. Et de même que les choses qui semblent nuisibles sont profitables à ceux qui l'aiment ; ainsi , celles qui sont utiles deviennent nuisibles à ceux qui ne l'aiment pas. Les miracles, la pureté des dogmes, la sagesse de la doctrine ont fait tort aux Juifs; à cause des miracles, ils appelaient le Christ démoniaque, à cause de sa doctrine ils le traitaient d'impie ; ils essayaient même de le faire mourir à raison de ses prodiges. D'autre part, le larron crucifié , percé de clous, accablé d'injures , souffrant des douleurs sans nombre; non-seulement n'en éprouva aucun dommage, mais en tira le plus grand profit. — Voyez-vous comme tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu ?

Après avoir établi que c'est là un grand bien, un avantage qui surpasse de beaucoup la nature humaine, comme cela semblait incroyable à un grand nombre, il le confirme par le passé, en disant: «Pour ceux qui, selon son décret, sont appelés ». Considérez qu'il parle ainsi en présupposant la vocation. Pourquoi Dieu n'a-t-il pas dès l'abord appelé tous les hommes, ou pourquoi n'a-t-il pas appelé Paul avec les autres apôtres, puisque ce délai semblait désavantageux? Et pourtant l'événement a prouvé que ce délai était utile. Il parle ici de décret, pour ne pas tout attribuer à la vocation, parce que les Gentils et les Juifs auraient pu le contre-dire. Si en effet la vocation avait suffi, pourquoi tous n'étaient-ils pas sauvés?Voilà pourquoi il dit que ce n'est pas la vocation seule, mais le décret, qui a opéré le salut des élus : car la vocation n'imposait aucune nécessité, ne faisait point de violence. Tous donc étaient appelés, mais tous n'ont pas obéi. « Car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être cou« formes à l'image de son Fils ». Voyez-vous ce comble d'honneur? Ce que le Fils unique était par nature, ceux-ci le deviennent par grâce. Et cependant il ne se contente pas de dire « Conforme » ; il y ajoute encore autre chose : « Afin qu'il fût lui-même le premier né (29) ». Et il ne se borne encore pas là, car il ajoute : « Entre beaucoup de frères », voulant en tout montrer le lien de parenté. Mais comprenez bien que tout ceci s'entend de l'Incarnation; car, selon la divinité, le Christ est Fils unique.

2.Voyez-vous que de grâces il nous a accordées? Ne doutez donc point de l'avenir; car l'apôtre nous fait assez voir la Providence quand il nous parle de préfiguration. En effet, les hommes changent d'opinion d'après les événements; mais les pensées de Dieu et ses dispositions à notre égard sont anciennes. L'apôtre. dit donc : « Et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ». Il les a justifiés par la régénération du baptême. « Et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (30) ». Il les a glorifiés par la grâce, par l'adoption. « Que dirons-nous donc après cela? » C'est comme s'il disait : Ne me parlez donc plus de périls, ni d'embûches dressées de toutes parts. Si quelques-uns doutent encore de l'avenir, au moins ne peuvent-ils nier les bienfaits déjà accordés, par exemple l'amour de Dieu pour nous, la justification, la gloire. Or il a accordé tout cela par des moyens qui semblaient fâcheux ; ce que vous regardiez comme un opprobre, la croix; la flagellation, les chaînes, c'est ce qui a restauré l'univers entier. Comme donc c'est par ses souffrances, en apparence si tristes, qu'il a procuré la liberté et le salut à tout le genre humain ; ainsi en agit-il avec vos propres souffrances, en les faisant tourner à votre gloire et à votre honneur. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous (31) ? »

Et qui n'est pas contre nous? dira-t-on. Nous axons contre nous le monde entier, les tyrans, les peuples, nos parents, nos concitoyens; et pourtant tous ces ennemis sont si loin de nous nuire qu'ils nous tressent malgré eux des couronnes, qu'ils nous procurent des biens infinis : la sagesse de Dieu tournant leurs embûches à notre gloire et à notre salut. Voyez-vous comme personne n'est contre nous? Ce qui a augmenté la gloire de Job (311) c'est que le démon s'est armé contre lui. Le démon a en effet tout mis en oeuvre pour lui nuire : ses amis, sa femme, ses plaies, ses serviteurs; et rien de cela ne lui a fait de mal. Ce n'était pas encore beaucoup pour lui , bien que cela eût déjà une grande importance; mais ce qui était bien plus, c'est que tout a tourné à son profit. Car comme Dieu était pour lui, tout ce qui semblait être contre lui, lui est devenu avantageux. Ainsi en a-t-il été pour les apôtres. En effet les Juifs, les gentils, les faux frères, les princes, les peuples, la faim, la pauvreté, mille autres choses encore étaient contre eux, et pourtant rien n'était contre eux. C’est même 1à ce qui les a rendus glorieux , illustres et louables devant Dieu et devant l'es hommes. Pensez donc quelle grande parole Paul a prononcée en faveur des fidèles , de ceux qui sont vraiment crucifiés , parole que ne sauraient s'appliquer ceux mêmes qui sont ceints du diadème. En effet, contre un prince les barbares prennent les armes, les ennemis font irruption, les gardes du corps tendent des embûches, les sujets se révoltent souvent, mille autres dangers se présentent; mais contre le fidèle , attentif à observer exactement les lois de Dieu, l'homme ni le démon ne peuvent rien. En lui enlevant ses richesses , vous lui préparez une récompense ; en disant du mal de lui , vous le rendez par là même plus glorieux devant Dieu ; en le réduisant à la faim , vous augmentez sa gloire et sa récompense ; en le livrant à la mort, ce qui semble être le pire, vous lui tressez la couronne du martyre. Qu'y a-t-il donc de comparable à cette vie où rien ne peut nuire ; où ceux mêmes qui tendent des piéges ne sont pas moins utiles que des bienfaiteurs? Aussi Paul dit-il : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? »

Ensuite, non content de ce qu'il vient de dire, il rappelle encore le plus grand signe de l'amour de Dieu pour nous, celui qu'il ne perd jamais de vue : l'immolation du Fils. Non-seulement, nous dit-il, Dieu les a justifiés, glorifiés , rendus conformes à l'image de son Fils; mais il n'a pas même épargné ce Fils pour vous. Aussi ajoute-t-il-: « Lui qui n'a pas épargné même son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous , comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui (32) ? » L'apôtre emploie ici des expressions énergiques et brûlantes , pour faire comprendre l'amour divin. Comment donc Dieu nous abandonnerait-il, lui qui n'a pas ménagé son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous? Et songez quelle bonté c'est de ne pas ménager son propre Fils, mais de le livrer, et de le livrer pour tous, pour des êtres sans valeur, pour des ingrats, des ennemis, des blasphémateurs: « Comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui ? » L'apôtre veut dire : S'il nous a donné son Fils, non pas simplement donné, mais donné pour être immolé, comment mettrez-vous le reste en doute, quand vous avez reçu le Maître lui-même? Comment douterez-vous de la propriété , quand vous avez le propriétaire? Comment celui qui a donné le plus à des ennemis, refusera-t-il le moins à des amis? « Qui accusera les élus de Dieu?... (33) ».

3. Ici Paul s'adresse à ceux qui disaient que la foi ne sert à rien , et qui ne croyaient pas à un changement soudain. Et voyez comme il leur ferme promptement la bouche en parlant de la dignité de celui qui a élu. Il ne dit pas Qui accusera les serviteurs de Dieu, ni : Les fidèles de Dieu, mais : « Les élus de Dieu » car l'élection est un signe de vertu. Si, en effet, quand un dompteur de chevaux choisit les poulains propres à la course , personne ne peut l'en blâmer à moins d'encourir le ridicule : à bien plus forte raison, quand Dieu choisit les âmes, serait-on ridicule de lui en faire un reproche. «C'est Dieu qui les justifie; qui est celui qui les condamnerait? » Il ne dit pas : C'est Dieu qui remet les péchés; mais, ce qui est beaucoup plus : « C'est Dieu qui les justifie ». Quand le suffrage du juge, et d'un tel juge, proclame quelqu'un juste; quelle sera la peine de l'accusateur? Donc il ne faut pas craindre les épreuves, car Dieu est pour nous, et il l'a assez prouvé par les faits; ni les niaiseries judaïques, car Dieu nous a Choisis et justifiés, et justifiés , chose étonnante ! par la mort de son Fils. Qui donc nous condamnera quand Dieu nous couronne, quand. le Christ a été immolé pour nous, et non-seulement a été immolé, mais intercède encore en notre faveur ? « C'est le Christ Jésus », nous dit-il, « qui est mort pour eux, qui de plus est ressuscité des morts, est à la droite du Père et qui même intercède pour nous (34) ».

Bien qu'en possession de sa dignité propre, il n'a point cessé de s'occuper de nous, mais (312) il intercède en notre faveur, et nous conserve toujours la même affection. Car il ne s'est pas contenté d'être mis à mort; pour nous donner une plus grande preuve de son amour, il n'a pas seulement payé de sa personne, il en engage encore un autre à agir dans le même but. C'est là uniquement ce que Paul entend par le mot intercéder; employant une expression plus humaine, plus humble , pour désigner cet amour. Si on ne le prenait pas dans ce sens, le terme: « N'a pas épargné», entraînerait beaucoup d'absurdité. Et la preuve que c'est là ce qu'il veut dire , c'est qu'après avoir d'abord dit: « Est à la droite »,. il ajoute : « Il intercède pour nous » ; montrant par là tout à la fois que lé Fils est égal au Père, et que son intercession n'est point un indice d'infériorité , mais uniquement une preuve de son amour. Car comment celui qui est la vie et la source de tous les biens, qui a la même puissance que le Père, qui ressuscite les morts, qui vivifie, et qui fait tout le reste, comment, dis-je, aurait-il besoin d'intercéder pour nous être utile? Comment celui qui, par sa propre puissance, a sauvé, de la condamnation ceux qui étaient désespérés et condamnés, qui les a faits justes et enfants de Dieu, qui les a conduits aux suprêmes honneurs, qui a réalisé ce qu'on n'eût jamais osé espérer ; comment, après avoir accompli tout cela et avoir fait asseoir notre nature sur le trône royal, aurait-il eu besoin de prier pour des oeuvres plus faciles?

Voyez-vous comme il est démontré de toutes manières que Paul ne parle ici d'intercession que pour faire comprendre l'ardeur, la vivacité de l'amour du Christ pour nous ? En effet, il est dit aussi que le Père exhorte les hommes à se réconcilier avec lui. « Nous faisons donc les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche ». (Il Cor. V, 20.) Et pourtant quand- Dieu nous exhorte, quand des hommes font les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ vis-à-vis d'autres hommes, nous ne voyons rien là qui soit indigne de la majesté divine; tout ce que nous en pouvons conclure , c'est l'étendue de l'amour de Dieu. Faisons de même ici. Si donc l'Esprit demande avec des gémissements inénarrables, si le Christ est mort, s'il intercède pour nous, si le Père n'a point ménagé pour vous son propre Fils, s'il vous a élu et justifié, que craignez-vous encore? Quand vous êtes l'objet d'un tel amour, d'une telle Providence, pourquoi tremblez-vous? Aussi, après avoir montré cette Providence , l'apôtre continue en toute liberté , et ne se contente plus de dire : Donc vous devez aussi l'aimer; mais, comme saisi d'enthousiasme à l'aspect de cette bonté infinie, il s'écrie : « Qui nous séparera de l'amour du Christ? » Il ne dit pas : De Dieu; tant il lui est indifférent de nommer le Christ ou Dieu. « Est-ce la tribulation? Est-ce l'angoisse? Est-ce la persécution? Est-ce la faim? Est-ce la nudité? « Est-ce le péril? Est-ce le glaive (35) ? »

Voyez la prudence de Paul : Il ne parle point des piéges où nous tombons tous les jours, de l'amour des richesses, de la passion de la gloire, de la tyrannie de la colère ; mais de choses bien plus tyranniques, qui font violence à. la nature elle-même, qui ébranlent souvent malgré nous la fermeté du caractère, à savoir les tribulations et les angoisses. Bien que l'on puisse compter toutes ses expressions , néanmoins chacune d'elle renferme des milliers d'épreuves; ainsi quand il parle d'affliction, il entend la prison, les chaînes, la calomnie, l'exil, toutes les misères; d'un mot il parcourt un vaste océan de périls, d'une seule expression il indique tout ce qu'il y a de pénible pour l'homme. Et cependant il brave tout cela. Aussi procède-t-il par interrogation, comme si la contradiction était impossible, puisque rien ne peut séparer de l'objet de son amour celui qui est aimé à ce point et qui jouit du soin d'une telle Providence.

4. Ensuite, pour que ces épreuves ne soient pas considérées comme un signe de délaissement , il cite le prophète qui les a prédites longtemps d'avance en ces termes : « A cause de vous nous sommes mis à mort tout le jour, on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie (36) », c'est-à-dire Nous sommes exposés à subir des mauvais traitements de la part de tout le monde, néanmoins contre tant et de si grands périls, contre tant de nouvelles et sanglantes cruautés, une consolation nous suffit : la raison même de ces combats. Non-seulement elle nous suffit, mais elle dépassé de beaucoup nos besoins. Car, ce n'est pas pour les hommes ni pour rien de terrestre que nous souffrons tout cela, mais pour le Roi de l'univers. Et ce n'est point là la seule couronne que Dieu réserve à (313) ses élus, mais il leur en prépare une autre multiple et variée. Car comme, en qualité d'hommes, ils ne sauraient souffrir mille morts, il leur montre que la récompense n'en sera pas moindre pour autant: Bien que ce soit une loi de notre nature que nous ne mourions qu'une fois, Dieu cependant nous donne la faculté de mourir tous les jours, si nous le voulons. D'où il suit clairement que nous aurons, à l'heure du départ, autant de couronnes que nous aurons vécu de jours, et même beaucoup plus : car on peut mourir une fois, deux fois, bien des fois par jour. Et celui qui est prêt à cela, reçoit toujours la récompense entière.

C'est à quoi font allusion ces mots du prophète : « Tout le jour ». Aussi l'apôtre invoque-t-il son témoignage , pour mieux exciter leur ardeur. Si en effet, leur dit-il, ceux qui vivaient sous l'Ancien Testament, qui n'avaient pour prix de leurs travaux que la terre et ce qui passe avec la vie, ont pu ainsi dédaigner la vie présente, les épreuves, les périls

comment serions-nous excusables de tomber dans le relâchement, de ne pas même atteindre à leur mesure, quand on nous a promis le royaume du ciel et des biens ineffables? L'apôtre n'exprime pas cette pensée , mais, l'abandonnant à la conscience de ses auditeurs, il se contente du témoignage du prophète, il leur montre que leurs corps sont une victime, et qu'ils ne doivent point s'en troubler, ni s'en effrayer, puisque Dieu l'a ainsi réglé. Il les anime encore d'une autre manière. Pour qu'on ne dise pas qu'il fait là simplement de la spéculation avant l'expérience des faits, il ajoute : « On nous regarde comme des brebis de tuerie », indiquant par là que les apôtres mouraient tous les jours. Voyez-vous sa force et sa modestie ? Comme , dit-il, les brebis qu'on égorge n'opposent aucune résistance, ainsi en est-il de nous. Mais comme la faiblesse de l'esprit humain redoutait encore, même après tant et de si grandes choses, la multitude des épreuves, voyez comme il relève l'auditeur, comme il le rend haut et fier, en disant : « Mais en tout cela nous triomphons par celui qui nous a aimés (37) ».

Ce qu'il y a d'étonnant, ce n'est pas seulement que nous triomphions, mais que nous triomphions par les piéges même qu'on nous tend. Et non-seulement nous triomphons, mais nous faisons plus que triompher, c'est-àdire que nous remportons la victoire avec une extrême facilité, sans fatigues et sans peines. Et. ce n'est pas en souffrant réellement, mais par la simple disposition à souffrir, que nous dressons des trophées contre nos ennemis. Et cela est juste : car c'est Dieu qui combat avec nous. Ne faites donc aucune difficulté de croire que, flagellés, nous sommes vainqueurs de ceux qui nous flagellent; que, proscrits, nous dominons ceux qui nous proscrivent; que, mourants, nous supplantons ceux qui vivent. Une fois supposé la puissance de Dieu et son amour pour nous, rien ne s'oppose à ce que ces choses étonnantes, incroyables, aient lieu, et que, le triomphe soit éclatant. Et ils ne remportaient pas une simple victoire, mais une victoire miraculeuse, en sorte que leurs ennemis comprissent qu'ils faisaient la guerre non plus à des hommes, mais à la puissance invincible. Voyez-vous les Juifs les tenir au milieu d'eux, puis hésiter et dire : « Que ferons-nous à ces hommes? » (Act. IV, 16.) Et voilà la merveille : c'est que, les retenant, les regardant comme coupables, les jetant dans les fers, les frappant, ils étaient dans l'embarras et dans l'incertitude, et se trouvaient vaincus par ceux mêmes par qui ils espéraient vaincre. Ni le tyran, ni les bourreaux, ni les légions infernales, ni le démon lui-même ne purent triompher d'eux; la défaite fut complète; on vit tourner à leur profit les moyens mêmes qu'on employait contre eux. Aussi l'apôtre dit-il : « Nous sommes plus que vainqueurs ». C'était la nouvelle loi de la guerre, de vaincre par les contraires, de n'être jamais défait et d'aller au combat comme si on était assuré du succès. « Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni ce qu'il y a de plus haut, ni ce qu'il y a de plus bas, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus (38, 39) ».

5. Voilà de grandes paroles, mais nous ne les comprenons pas, parce que nous ne savons pas aimer ainsi. Cependant bien qu'elles soient grandes, pour montrer que son amour n'est rien en comparaison de l'amour de Dieu pour lui, il n'en parle qu'en second lieu, de peur de paraître se vanter. Voici ce qu'il veut dire A quoi bon parler du présent, et des maux (314)

attachés à cette vie? Quand même on parlerait de choses à venir et de puissances, de choses comme la mort et la vie, de puissances comme les anges et les archanges, de tout ce qu'il y a de plus élevé dans la création: tout cela me paraîtrait petit, en comparaison de l'amour du Christ. Quand on me menacerait d'une mort éternelle, quand on me promettrait une vie sans terme pour me séparer du Christ, je n'accepterais pas. A quoi bon me parler de tel ou tel roi terrestre, de tel ou tel consul? Quand vous me parleriez des anges et de toutes les puissances célestes, de tout ce qui est, de tout ce qui sera, de tout ce qui est sur la terre ou dans les cieux, de tout ce qui est sous la terre ou au-dessus des cieux, tout me semblerait peu de chose en comparaison de cet amour. Et comme si cela ne suffisait pas encore à exprimer son amour, il y ajoute autre chose, en disant : « Ni aucune autre créature », c'est-à-dire : aucune autre création aussi grande que celle que nous voyons, aussi grande qu'on puisse l'imaginer, rien ne me détachera de cet amour.

S'il parle ainsi, ce n'est pas que quelque ange ou quelque autre puissance ait essayé de lui enlever cet amour, à Dieu ne plaise ! mais il emploie ces hyperboles pour montrer l'amour qu'il porte au Christ. Car il n'aime pas le Christ à cause de ses dons, mais, les dons à cause du Christ; c'est lui seul qu'il a en vue, et il ne craint qu'une chose : perdre cet amour. Le perdre serait pouf' lui plus terrible qui l'enfer, comme y persévérer lui est plus cher qu'un empire. Comment donc., quand Paul n'estime pas même-les choses du ciel en comparaison de l'amour du Christ, comment serions-nous excusables de mettre de la boue et de l’argile au-dessus du Christ? Paul est prêt, sil le faut, à tomber en enfer et à être privé du ciel plutôt que de perdre l'amour du Christ; et nous ne méprisons pas même la vie présente ! Sommes-nous seulement dignes de délier les cordons de ses souliers, nous qui sommes à une telle distance de cette âme magnanime? A cause du Christ il dédaigne même le royaume du ciel, et nous, nous méprisons le Christ et estimons beaucoup ses dons.

Et plût au ciel que nous estimassions ses dons ! mais ce n'est pas même cela: le royaume du ciel est devant nous, et nous le laissons pour courir chaque jour après des ombres et des songes. Pourtant Dieu qui est bon et miséricordieux fait comme un père tendre qui, voyant son fils dégoûté de vivre toujours avec lui, invente d'autres moyens de le retenir. En effet comme son amour n'est pas pour nous un lien assez puissant, il met en couvre beaucoup d'autres moyens pour nous rattacher à lui. Mais cela ne nous retient pas encore, et nous courons à des jeux d'enfants. Il n'en était pas ainsi de Paul; comme un fils bien né, généreux et plein de piété filiale, il ne recherche que la compagnie de son père, et se soucie bien moins du reste; que dis-je? il est plus qu'un fils; car il n'unit pas dans son estime son père et ses dons; mais quand il voit son père, il dédaigne tout le reste, et aimerait mieux être puni et flagellé en restant avec lui, que de vivre dans les délices loin de lui.

6. Tremblons donc, nous qui ne méprisons pas même les richesses pour Dieu, bien plus, qui ne les méprisons pas pour nous-mêmes. Paul seul souffrait tout pour. le Christ, non en vue 'du royaume, non en vue de l'honneur, mais par pure affection pour lui. Et nous, ni le Christ, ni les biens du Christ, ne sauraient nous détacher des choses terrestres ; mais comme les serpents, comme les vipères, comme les pourceaux ou d'autres animaux de ce genre, nous nous traînons dans la fange. En quoi, en effet, différons-nous de ces animaux, nous qui, après tant et de si beaux exemples, avons encore les yeux fixés sur la terre et ne supportons pas même de les diriger un instant vers le Ciel? Et pourtant Dieu nous a donné son Fils; et vous, vous 'ne donnez pas même un morceau de pain à celui qui a été livré et immolé pour vous ! Pour vous, le Père n'a pas même ménagé son Fils, son Fils légitime; et vous, vous le dédaignez, ce Fils, quand il meurt de faim, quand vous ne dépenseriez que ce qui vient de lui et que vous le dépenseriez pour vous. Qu'y a-t-il de pire qu'une telle iniquité? Il a été livré pour vous, il a été immolé pour vous, il erre çà et là dévoré par la faim; vous donneriez de ce qu'il vous a donné lui-même, et vous le donneriez pour votre profit, et vous ne donnez cependant rien ! Ceux qui, malgré tant de motifs propres à les toucher, persévèrent dans cette inhumanité diabolique ne sont-ils pas plus insensibles que les pierres?

Il ne s'est pas contenté de la mort et de la (315) croix; mais il a voulu être pauvre, étranger, errant, nu, prisonnier, malade, afin de vous attirer à lui. Si vous ne me rendez rien, nous dit-il, pour tout ce que j'ai souffert pour vous, ayez pitié de ma pauvreté ; et si la pauvreté ne vous touche pas, que ce soit au moins la maladie, la captivité; et si rien de tout cela ne vous inspire un sentiment de bonté, faites attention au peu que je demande. Je ne demande rien de coûteux; mais dû pain, tin abri, une parole de consolation. Que si votre dureté persiste, eh bien ! songez au royaume céleste, aux récompenses que je vous ai promises, et devenez meilleur. Vous ne tenez. encore aucun compte de cela? Cédez au moins à la nature, et en voyant cet homme nu, songez à la nudité que j'ai supportée pour vous sur la croix. Si cette nudité-là ne vous émeut pas, souvenez-vous de celle que je subis maintenant dans la personne des pauvres. J'ai été alors dans le besoin à cause de vous, j'y suis encore aujourd'hui à cause de vous, afin que, pour l'une ou l'autre de ces raisons, vous nie fassiez quelque aumône; j'ai jeûné à cause de vous, j'ai encore faim à cause de vous;  j'ai eu soif sur la croix, j'ai encore soif dans la personne des pauvres, afin que par tous ces motifs je puisse vous attirer à moi et vous rendre humain dans votre propre intérêt. Et p6ur les services sans nombre que je vous ai rendus, je vous demande un retour, non comme dette, mais comme grâce, et, pour le peu que je demande, je vous couronne, je vous donne un royaume. Je ne vous dis pas.: Délivrez-moi de. la pauvreté, ni : Donnez-moi la richesse, bien que j'aie été pauvre pour vous; je vous demande simplement du pain, un vêtement, un faible soulagement à ma faim. Et si je suis en prison, je ne vous oblige pas à briser mes chaînes ni à me tirer delà; je vous demande seulement de jeter un regard sur un homme enchaîné à cause de vous, et cette grâce me suffit, et pour ce simple fait je vous donne le ciel. Pourtant je vous ai délivré d'une captivité bien plus dure; mais je suis content, si vous venez me voir comme prisonnier. Je pourrais vous couronner sans cela; mais je veux être votre débiteur, afin que vous ayez quelque confiance à saisir la couronne. Voilà pourquoi, pouvant me nourrir moi-même, je vais mendier de tous côté s, je me tiens à votre porte et vous tends la main. C'est de vous que je désire recevoir ma nourriture; car je vous aime beaucoup; je désire m'asseoir à votre table, comme c'est le propre des amis, et j'en suis fier; en présence du monde entier, je proclame vos louanges, et, devant l'auditoire attentif, je montre celui qui m'a nourri.

Pourtant, nous autres hommes, quand quelqu'un nous nourrit, nous en rougissons, nous le tenons dans l'ombre ; mais lui, parce qu'il nous aime beaucoup, proclame le fait, même quand nous gardons le silence, le relève par de grands éloges et ne rougit point de dire que nous l'avons vêtu quand il était nu et nourri quand il avait faim. Pensons donc à tout cela, et ne nous en tenons pas aux éloges, mais accomplissons tout ce qui a été dit. A quoi bon ces applaudissements et ce bruit? Je ne vous demande qu'une chose: la démonstration parles faits, l'obéissance par les oeuvres; voilà mon éloge, voilà votre profit, voilà qui brillera plus qu'un diadème à mes yeux. Donc, au sortir d'ici, tressez cette couronne pour vous et pour moi par les mains des pauvres, afin de vivre tous ensemble ici-bas, dans une douce espérance, et d'obtenir des biens sans nombre, lors du départ pour l'autre vie. Puissions-nous tous avoir ce bonheur, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'empire, l'honneur appartiennent au Père en même temps qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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