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HOMÉLIE V. ET COMME ILS N'ONT PAS MONTRÉ QU'ILS AVAIENT LA CONNAISSANCE DE DIEU, DIEU LES A LIVRÉS A UM SENS RÉPROUVÉ, DE,SORTE QU'ILS ONT FAIT LES CHOSES QUI NE CONVIENNENT PAS. ( I, 28, JUSQU'À II, 16.)

 

Analyse.

 

1 Autres péchés qui sont la conséquence de l'oubli de Dieu. — Ceux qui les commettent sont inexcusables, et Dieu les punira.

2. Malheur à l'homme qui abuse de la longanimité de Dieu.

3. Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres : aux bons, la récompense, la gloire et la vie éternelle ; aux méchants, à ceux qui auront acquiescé, consenti au mal, le supplice éternel.

4. Dieu ne fait pas acception des personnes. — Tous les hommes seront jugés, les Gentils suivant la loi naturelle, et les Juifs suivant-leur propre loi.

5. Ce qui justifie devant Dieu, ce n'est pas d'entendre la loi, c'est de la pratiquer.

6 et 7. Crainte du jugement dernier : avoir plus d'horreur du péché que de l'enfer. — Quel est l'amour de Dieu pour les hommes. — Ingratitude des hommes.

 

 

1. Pour ne pas avoir l'air de faire allusion aux Romains; après avoir longtemps insisté sur le crime contre nature, il passe à d'autres espèces de péchés, et s'adresse à d'autres personnages. Et comme toujours, en s'adressant aux fidèles pour leur parler du péché, et les exhorter à le fuir, il met en scène les païens, disant : « Non dans la passion de la convoitise comme les autres nations qui ignorent Dieu » (I Thess. IV, 5) ; et encore : « Afin que vous ne vous attristiez pas comme font les autres qui n'ont point d'espérance » (Ib. 13); de même ici il expose les crimes de ces philosophes et leur ôte toute espèce d'excuse : car ces crimes sont les fruits audacieux de la réflexion et non de l'ignorance. Aussi ne dit-il pas : Et comme ils n'ont pas connu, mais « Et comme ils n'ont pas montré qu'ils avaient « la connaissance de Dieu n : attribuant le péché plutôt à un jugement perverti et à l'esprit d'opposition qu'à l'entraînement, et montrant que ce n'est pas de la chair, comme le disent certains hérétiques, mais de l'âme que naissent les désordres d'une coupable concupiscence, et que là est la source de tous les maux. Car dès que l'âme est réprouvée, le cocher étant corrompu, tout est renversé, tout est sens dessus dessous.

« Remplis de toute iniquité, malice, ava« rite, méchanceté... (29) ». Voyez tout à la fois: « Remplis», dit-il, et: « De toute ». Après avoir nommé la malice en général, il en (214) désigne les espèces en particulier et avec hyperbole. « Pleins d'envie, de meurtre ». Car l'un naît de l'autre, comme on l'a vu pour Abel et pour Joseph. Puis, après avoir ajouté : « De l'esprit de contention, de fraude, de malignité, délateurs, détracteurs, haïs de Dieu, « insolents... (30) », et avoir rangé parmi les crimes des choses qui passent pour indifférentes aux yeux d'un grand nombre, il aggrave encore son accusation et porte, pour ainsi dire, le mal au faîte en disant : « Arrogants ». En effet, l'orgueil dans le péché est plus grave que le péché lui-même; c'est pourquoi il fait ce reproche aux Corinthiens : « Et « vous êtes gonfles d'orgueil? » (I Cor. V, 2.) En effet, si l'homme qui s'enorgueillit d'une bonne action, en perd tout le mérite, quel ne sera pas le châtiment de celui qui s'enorgueillit dans le péché? Car la résipiscence lui devient impossible. Il continue : « Inventeurs de nouveaux crimes » ; faisant voir que non contents des maux qui existaient, ils en inventaient d'autres : preuve qu'ils agissaient avec préméditation et par calcul, et non par surprise et par entraînement. Après avoir détaillé les genres de malice et montré que là encore ils résistaient à la nature « Désobéissants à « leurs parents », dit-il, il attaque le mal même à sa racine, en les appelant « Sans « affection, sans fidélité ». Le Christ avait aussi assigné cette origine au vice, en disant « Et parce que l'iniquité aura abondé, la charité d'un grand nombre se refroidira ». (Matth. XXIV, 12.) C'est ce que Paul dit ici, en les appelant : « Dissolus, sans affection, sans fidélité, sans miséricorde... (31) », et montrant qu'ils ont trahi les dons mêmes de la nature. Car nous avons un penchant naturel les uns pour les autres, lequel se retrouve même chez les animaux. « Tout animal aime son semblable et l'homme aime son prochain ». (Ecclé. XIII, 19.) Mais ils ont été plus sauvages que les animaux.

Par là l'apôtre nous fait comprendre la maladie que de fausses croyances ont introduite dans le monde, et nous montre clairement que ce double mal est le fruit de la négligence des malades. Du reste il les déclare encore inexcusables ici, comme il l'a déjà fait à propos des croyances: ce qui lui fait dire : « Qui, ayant connu la justice de Dieu, n'ont pas compris que ceux qui font ces choses sont dignes de mort, et non-seulement ceux qui les font, mais. quiconque aussi approuve ceux qui les font... (32) ». Il pose ici deux objections et les détruit victorieusement. Pourquoi, leur dit-il, objecter que vous ne saviez pas ce qu'il fallait faire? Quand cela serait, vous seriez encore coupables d'avoir abandonné le Dieu qui vous l'aurait fait connaître. Mais maintenant nous vous prouvons de plus d'une manière que vous lé saviez et que vous péchiez volontairement. Vous étiez, dites-vous, entraînés par la passion. Pourquoi alors coopérer au mal et l'approuver ? « Non seulement ceux qui les font, mais quiconque approuve aussi ceux qui les font ». Après avoir d'abord établi pour la détruire la supposition la plus grave, celle où le pardon ne peut s'admettre, (car celui qui approuve le péché est bien plus coupable que celui qui le commet) : après avoir, dis-je, d'abord établi ce point, il l'attaque encore plus vivement dans ce qui suit : « C'est pourquoi, ô homme, qui que tu sois, tu es inexcusable de juger. « Car en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même (II, 1) ». Il parle ici comme à des princes : car Rome était alors chargée du gouvernement de l'univers. Il débute donc ainsi : Qui que vous soyez, vous vous ôtez tout moyen de défense : car en condamnant l'adultère, quand vous êtes vous-même adultère, bien que personne ne vous juge et ne vous condamne, vous avez porté contre vous la sentence dont vous frappez le coupable. « Nous savons, en effet, que Dieu juge selon la vérité ceux qui font ces choses (2) ». Pour que personne ne dise . J'ai cependant échappé, il les épouvante en disant qu'il n'en est pas devant Dieu comme devant les hommes. Ici l'un est puni, et l'autre, aussi coupable, échappe au châtiment ; là, il n'en est pas de même; ce juge connaît la justice, nous dit l'apôtre; il n'ajoute pas comment il la connaît : ce serait inutile. Il démontre donc ces deux points touchant l'impiété : Que l'impie faisait le mal quoiqu'il connût Dieu, et qu'il connaissait Dieu par la création. Mais comme cela n'était pas évident pour tout le monde, il en a donné la raison: ici il l'omet comme étant chose convenue. Toutefois quand il dit:.« Quiconque juge », il ne parlé pas seulement aux princes, mais aux particuliers et aux sujets.

2. Car tous les hommes, bien qu'ils ne soient pas sur le trône et n'aient à leur disposition ni (215) bourreaux ni potence, jugent cependant les coupables, dans leurs entretiens, dans les assemblées, dans leur propre conscience; et personne n'oserait dire qu'un adultère ne mérite pas de châtiment. Mais, dira-t-on, on condamne les autres et non soi-même. Et c'est contre cela que l'apôtre s'élève avec violence : « Penses-tu donc, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu  (3)? » Après avoir montré le grand crime de la terre et dans la croyance et dans les actes; prouvé que quand ils étaient sages et que la nature les guidait en quelque sorte par la main, ils ont non-seulement abandonné Dieu, mais adoré des images de reptiles, méprisé la vertu, embrassé le vice librement malgré la résistance de la nature, et même agi contre la nature; après cela, dis-je, il s'attache à démontrer que ceux qui font ces choses seront punis: Déjà il a mentionné le supplice en parlant du crime, quand il disait : « Recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement » ; mais comme ils ne sentent point cette peine, il en signale une autre qu'ils redoutaient extrêmement. Et déjà il l'avait clairement indiquée; car c'était là le sens de ces paroles ; « Dieu juge selon la vérité ». Toutefois il le répète ici plus au long, en disant : « Penses-tu, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu? ». Tu échappes à ton propre jugement, échapperas-tu à celui de Dieu? qui voudrait le dire? Or tu t'es jugé toi-même. Mais puisque l'autorité de ce tribunal est si grande, et que tu n'as pas su t'épargner toi-même, à combien plus forte raison Dieu, qui, est infaillible; qui est la souveraine justice, ne t'épargnera-t-il pas. Quoi ! tu t'es condamné toi-même, et Dieu t'approuvera, te louera? Peut-on le dire raisonnablement? Vous êtes certainement digne d'un plus grand châtiment que celui que vous avez condamné. Car ce n'est pas la même chose de pécher simplement, ou de punir le coupable et de tomber dans son péché. Voyez-vous comme la culpabilité s'aggrave? Si vous punissez un. pécheur moins coupable que vous au moment même de vous déshonorer, comment Dieu qui ne peut se déshonorer, ne vous jugera-t-il pas, ni vous condamnera-t-il plus sévèrement, vous qui commettez une faute plus grande et êtes déjà condamné par votre propre conscience? Si vous me dites : Je sais que je mérite d'être puni; et qu'ensuite la patience , divine vous porte à ne tenir aucun compte de votre état, que le délai de la punition vous inspire une fausse confiance : c'est là une juste raison de craindre et de trembler. Ce n'est point pour vous exempter du supplice que Dieu le diffère, mais pour le rendre plus terrible, si vous restez incorrigible. Que le Ciel vous en préserve ! aussi l'apôtre ajoute-t-il : « Est-ce que tu méprises les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimté? Ignores-tu que la bonté de Dieu t'invite à la pénitence (4)? »

Après avoir loué la longanimité de Dieu, et montré le très-grand profit qu'on en peut tirer (c'était une manière d'attirer les pécheurs au repentir), il augmente leur terreur. Car comme elle est un principe de salut pour ceux qui en usent convenablement, ainsi elle prépare un châtiment plus terrible .à ceux qui la méprisent. C'est une opinion vulgaire que Dieu, étant bon et patient, ne punit pas; mais dire cela c'est annoncer un plus grand supplice. Si Dieu montre de la bonté, c'est pour que vous votes débarrassiez de vos péchés et non pour que vous en augmentiez le nombre; sinon, la vengeance sera plus terrible. C'est surtout parce que Dieu est patient qu'il ne faut plus pécher, et ne pas faire de sa bonté un motif d'ingratitude. Bien qu'il soit patient, il punit à la fin. Comment le voyons-nous? Par ce. qui va suivre. Si en effet le mal est grand et que les coupables n'aient pas été punis, nécessairement ils le seront. Car si les hommes tiennent compte de cela, comment Dieu ne le tiendrait-il pas? Aussi est-ce de là que l'apôtre prend occasion de parler du jugement. Après avoir montré que beaucoup ont encouru le châtiment à moins qu'ils n'aient fait pénitence, et qu'ils ne le subissent cependant point en ce monde, il établit qu'un jugement, et un jugement très-sévère, aura certainement lieu, et dit : « Cependant, par la dureté de ton coeur impénitent, tu t'amasses un trésor de colère (5) ».

Quoi de plus dur en effet que celui qui ne se laisse ni toucher par la douceur, ni fléchir par la crainte? Après avoir parlé de la bonté de Dieu, l'apôtre en vient au châtiment qui sera intolérable pour celui que de tels moyens n'ont pas converti. Et voyez quelle énergie dans ses expressions : « Tu t'amasses un trésor de (216) colère ! » Trésor certainement tenu en réserve, par la faute du coupable, et non par celle du juge. « Tu t'amasses un trésor », toi, et non Dieu. Car il a fait tout ce qu'il fallait faire, il t'a donné la connaissance du bien et du mal, il s'est montré patient, il t'a invité à la pénitence, il t'a menacé d'un avenir terrible, il a employé tous les moyens pour t'amener à résipiscence; si tu t'obstines à résister « tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation et du juste jugement de Dieu ». Et pour que ce mot de colère n'éveille pas en vous l'idée de la passion, il a soin d'ajouter : « Du juste jugement de Dieu ». Et il a raison de dire : « De la manifestation » ; car la révélation aura lieu quand chacun sera traité selon ses mérites. Ici-bas souvent un grand nombre commettent des, injustices ou tendent des piéges contre les lois de l'équité; là il n'en sera pas ainsi. « Qui rendra à chacun selon ses oeuvres; à ceux qui par leur persévérance dans les bonnes oeuvres, etc. (6,7) ».

3. Après s'être montré terrible et sévère, en parlant du jugement et des peines futures, contre toute attente, au lieu d'insister sur le supplice, il revient tout à coup à un sujet plus doux, à la récompense des bons, et dit : « A ceux qui par la persévérance dans les bonnes oeuvres cherchent la gloire, l'honneur, et l'immortalité; la vie éternelle ». Ici il relève ceux qui avaient failli dans les tentations et leur montre qu'il ne faut pas se fier à la foi seule; car, devant ce tribunal, les actions aussi sont examinées. Et voyez comment, en parlant de l'avenir, il ne peut expliquer clairement en quoi consistent ces biens, mais parle de gloire et d'honneur. En effet, comme ces biens surpassent tous les biens terrestres, il ne trouve rien qui puisse en donner l'image; mais il leur applique comme il peut le nom des choses qui brillent le plus à nos yeux, la gloire, l'honneur, la vie : car voilà surtout ce que les hommes recherchent. Mais tels ne sont pas les biens du ciel, qui l'emportent d'autant plus sur ceux-ci qu'ils sont incorruptibles et immortels.

Voyez-vous comme, en parlant d'incorruptibilité, il nous ouvre la porte pour traiter de la résurrection du corps? Car cette incorruptibilité concerne ce corps de corruption. Et comme ce n'était pas assez, il y ajoute la gloire et l'honneur. Car tous nous ressusciterons incorruptibles, mais non tous pour la gloire-: les uns pour le supplice, les autres pour la gloire. « Mais », continue-t-il, « à ceux qui ont l'esprit de contention (8) » ; il refuse de nouveau le pardon à ceux qui vivent dans le vice, et montre qu'ils y sont tombés par un certain esprit de contention et par lâcheté. « Qui ne se rendent pas à la vérité, mais qui acquiescent à l’iniquité ». Autre accusation. Quelle sera en effet l'excuse de celui qui fuit la lumière et préfère les ténèbres? Il ne dit pas : qui sont contraints par violence ou par tyrannie, mais « qui acquiescent à l'iniquité » ; pour vous apprendre que la chute est volontaire, et non l'effet de la nécessité. « Tribulation et angoisse à l'âme de tout homme qui fait le mal (9) »; c'est-à-dire qu'on soit riche, consul, roi, le jugement n'en tiendra aucun compte; là les dignités ne tiendront point de place.

Après avoir décrit l'excès de la maladie, en avoir signalé la source, à savoir la lâcheté de ceux qui en sont atteints; puis indiqué le terme, qui est la perdition, et la facilité de s'en guérir, il fait retomber principalement sur le Juif le poids du châtiment. « Du Juif d'abord, puis du Grec ». Car celui qui a en la plus grande part à la doctrine, doit, s'il prévarique, avoir aussi la plus grande part au châtiment. Ainsi plus nous sommes éclairés ou puissants, plus nos fautes seront punies. En effet si vous êtes riche, on exigera de vous plus d'aumônes que d'un pauvre; si vous êtes plus intelligent, plus de soumission; si vous êtes revêtu de la puissance, des oeuvres plus éclatantes; en tout et partout, vous devez produire selon vos forces et votre capacité.

« Mais. gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d'abord, puis au Grec (10) ». De quel Juif, de quels grecs parle-t-il ici ? De ceux qui ont existé avant le Christ; car il ne parle point encore du temps de grâce, mais des temps qui ont précédé, faisant disparaître d'avance et de loin la différence entre le Grec et le Juif, afin que la chose ne paraisse plus nouvelle ni pénible, quand il s'agira du temps de grâce. En effet si dans les âges antérieurs, quand la grâce n'avait point encore brillé d'un tel éclat, quand la nation juive était honorable , illustre et glorieuse entre toutes, si déjà il n'y avait pas de différence, qu'aura-t-on à dire après qu'une si grande grâce se sera manifestée? Aussi met-il le plus grand intérêt à prouver ce point.. Et l'auditeur (217) informé qu'il en était déjà ainsi dans les temps précédents, sera beaucoup plus disposé à l'admettre. pour l'époque de la foi. Or il appelle ici Grecs, non les idolâtres, mais ceux qui honoraient Dieu, qui obéissaient à la loi naturelle, ceux qui placés en dehors du judaïsme, observaient tout ce qui porte à la piété : tels que Melchisédech, Job, les Ninivites, Corneille. Déjà il commence à,saper par la base la différence entre la circoncision et l'incirconcision, et attaque de loin cette distinction, de manière à n'exciter aucun soupçon et paraître y être amené forcément par une autre raison; ce qui est le propre de la prudence apostolique. Car s'il eût avancé qu'il en était ainsi au temps de grâce, son langage eût paru fort suspect; mais en entrant dans ce sujet à la suite d'autres raisonnements, à l'occasion du vice et de la corruption qui régnaient autrefois dans le monde, il n'éveillait aucun soupçon contre son enseignement.

4. Voici la preuve que c'était là son intention et qu'il disposait son discours dans ce but. S'il n'avait pas voulu prouver ce point, il lui suffisait de dire : « Par ta dureté et ton coeur impénitent tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère », puis de couper court sur ce sujet, comme étant épuisé. Mais comme il n'avait pas seulement en vue de traiter du jugement dernier, mais de montrer que le Juif n'avait rien de plus que le Grec; pour que le Juif ne s'enorgueillisse pas, il va plus loin et procède par ordre. Voyez : il a épouvanté l'auditeur, il a fait retentir le terrible jugement, il a dit quel mal c'est de vivre dans le vice; il a démontré que personne ne pèche par ignorance ni ne restera impuni, et que, pour être différée, la punition n'en viendra pas moins; maintenant il veut prouver que la doctrine de la toi n'était pas chose absolument indispensable; que la peine et la récompense dépendent des oeuvres, et non de la circoncision ou de l'incirconcision. Donc après avoir dit que le Grec sera certainement puni, et avoir posé ce principe comme avoué, et prouvé par là même qu'il sera aussi récompensé, il démontre que la loi et la circoncision étaient choses superflues.

Ici il combat surtout les Juifs. Cap comme les Juifs étaient trop enclins à discuter, d'abord par orgueil et parce qu'ils ne voulaient point être comptés parmi les gentils, ensuite parce qu'ils se moquaient de ceux qui disaient que la foi efface tous les péchés : L'apôtre attaque d'abord les Grecs, dont il s'agissait en ce moment, afin d'attaquer ensuite les Juifs librement et sans exciter de soupçon; puis quand il en vient à parler du jugement, il fait voir que non-seulement la loi ne sera d'aucune utilité au Juif, mais qu'elle lui sera à charge, et il en a déjà la preuve plus haut. En effet si le Grec est inexcusable de ne s'être pas corrigé sur l'invitation de la nature et de la raison, à plus forte raison le Juif qui a reçu en outre l'enseignement de la loi. Après lui avoir donc fait accepter ce raisonnement pour ce qui regarde les péchés des autres, il le force à l'admettre aussi pour ce qui concerne les siens. Et pour mieux faire agréer son langage, il l'adoucit en disant : « Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d'abord, puis au Grec ». Ici-bas en effet, quelques biens que l'on possède, ils sont accompagnés dé beaucoup de troubles, fût un riche, puissant ou roi ; si l'on .n'est point en guerre avec d'autres, on y est au moins avec soi-même, avec ses propres pensées; mais dans l'autre vie, rien de pareil; tout est tranquille, exempt de trouble, rempli de la véritable paix.

            Après avoir donc prouvé plus haut que ceux qui n'ont pas la loi jouiront des mêmes avantages, il continue son raisonnement en disant « Car Dieu ne fait point acception des personnes (11) ». Quand il dit que le Juif et le Grec seront punis pour avoir péché, il n'a pas besoin de recourir au raisonnement; mais pour établir que le Grec sera récompensé, il lui faut une preuve. Cela semblait en effet quelque chose d'étonnant, de paradoxal, de dire que celui qui n'avait ni la loi ni les prophètes, serait récompensé pour ses bonnes actions. Aussi, comme je l'ai déjà dit, habitue-t-il d'abord, leurs oreilles à entendre parler des temps qui ont précédé la grâce, afin de les amener plus facilement à sa pensée, à l'aide de la foi. Ici surtout il n'est plus suspect puisqu'il ne parle plus. d'après lui-même. Donc, après avoir dit : « Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d'abord, puis au Grec », il ajoute : « Car Dieu ne fait point acception des personnes ».

O ciel ! quelle surabondance d'arguments ! Il prouve d'abord par l'absurde que si la chose n'était pas ainsi, elle ne serait pas selon Dieu, puisqu'il y aurait acception, de personnes; ce qui ne peut convenir à Dieu. Il ne dit pas : (218) S'il n'en était ainsi, Dieu ferait acception de personnes, mais, avec plus de dignité : « Dieu ne fait point acception des personnes », c'est-à-dire, Dieu ne regarde point à la. qualité des personnes, mais à la différence des choses. Il montre ensuite qu'entre le Juif et le Grec il n'y a de différence que dans la personne, et non dans la chose. Par conséquent il fallait dire : Ce n'est pas parce que l'un est Juif et l'autre Grec que le premier est honoré et le second méprisé; mais les oeuvres seules déterminent la différence. Cependant ce n'est pas ainsi qu'il parle; il eût irrité le Juif; mais il fait quelque chose de plus en abattant et comprimant leur orgueil, pour leur faire admettre sa proposition. Et comment cela? La suite va nous le dire.

« Car quiconque a péché sans la loi, périra sans la loi ; et quiconque a péché sous la loi, sera jugé par la loi ». Ici, comme je le disais plus haut, non-seulement il établit l'égalité entre le Juif et le Grec, mais il démontre que la concession de la loi aggrave beaucoup la condition du Juif, car le Grec est jugé sans la loi, et ce mot, « Sans la loi » indique une circonstance plutôt atténuante qu'aggravante , c'est-à-dire, n'a pas la loi pour l'accuser. Car c'est là le sens de cette expression, « Sans la  loi » ; c'est-à-dire, il 'sera condamné en dehors de l'accusation légale, d'après les seules données de la nature. Mais le Juif sera jugé d'après la Loi : C'est-à-dire sur la double accusation de la nature et de la Loi; et il sera puni d'autant plus sévèrement qu'il aura été l'objet de plus de soins.

5. Voyez-vous comme il fait sentir aux Juifs un plus grand besoin de recourir à la grâce? Car comme ils prétendaient être justifiés par la Loi seule et n'avoir pas besoin de la grâce, il leur prouve qu'ils en ont plus besoin que les Grecs, puisqu'ils doivent être punis plus sévèrement. Ensuite il fait un autre raisonnement pour appuyer ce qu'il vient de dire : « Car ce ne sont pas ceux. qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu (13) ». Il a raison de dire « Devant Dieu » ; car ils peuvent paraître honorables devant les hommes, et beaucoup se vanter, tandis que devant Dieu c'est tout le contraire. « Mais ce sont les observateurs de la loi qui seront justifiés ». Voyez-vous avec quelle vigueur il retourne son raisonnement dans le sens opposé? Si vous demandez, dit-il, à être sauvé par la loi, le Grec sera sauvé avant vous, lui qui paraît avoir, observé ce qui est écrit. Et comment., direz-vous, a-t-il pu observer sans avoir entendu? Cela est possible, répond l'apôtre, et même plus encore, car non-seulement on peut accomplir sans avoir entendu, mais on peut avoir entendu et ne pas accomplir; ce qu'il exprime dans la suite plus clairement. et plus énergiquement, en disant : « Toi qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas toi-même ? » En attendant il prouve ici son premier point : « En effet lorsque les gentils, qui n'ont pas la loi, font naturellement ce qui est selon la loi; n'ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi (14) ».

Je ne rejette pas la loi, dit-il, mais par elle je justifie les gentils. Voyez-vous comment, en minant par la base la gloire du Judaïsme, il évite de donner prise à une accusation de mépris pour la loi, puisqu'il l'exalte au contraire, -la glorifie, et prouve ainsi toute sa. thèse? Quand il dit « :Naturellement », il entend à l'aide des raisonnements naturels. Il leur fait voir qu'il y en a d'autres,. meilleurs qu'eux, et, qui plus est, meilleurs. précisément parce qu'ils n'ont pas reçu et ne possèdent point la loi, dont les Juifs semblent se prévaloir. Et voilà, ajoute-t-il, en quoi ils sont admirables; c'est qu'ils n'ont pas eu besoin de loi et qu'ils ont néanmoins observé la loi, gravant dans leurs âmes, non des paroles, mais des oeuvres. Car il dit : « Montrant l'oeuvre de la loi écrite dans leurs oeuvres, leur conscience leur rendant témoignage, et leurs pensées s'accusant et se défendant l'une l'autre, au jour où Dieu jugera par. Jésus-Christ, selon mon Evangile, ce qu'il y a de caché dans les hommes (15, 16) ».

Voyez-vous comme il rappelle encore ce jour et le rend en quelque sorte présent, jetant le trouble dans leur âme, et leur montrant que ceux-là seront surtout honorés qui auront fait sans la loi, les oeuvres de la loi ? Il est juste de dire maintenant, ce qu'il y a de plus admirable dans la prudence de l'apôtre. Après avoir donné la preuve que le Grec l'emporte sur le Juif, il omet ce point dans le résumé et la conclusion de ses raisonnements, pour ne pas exaspérer les Juifs. Afin de rendre ma pensée plus claire, je rapporterai ses paroles mêmes. Car après avoir dit : « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui seront justifiés, mais ceux qui l'observent », il devait logiquement dire : (219) « En effet, lorsque les gentils qui n'ont pas la loi font naturellement ce qui est selon la loi », ils valent mieux que ceux qui ont reçu l'enseignement de la loi. Il ne le dit pourtant pas; mais il s'arrête à l'éloge des Grecs, et ne pousse pas plus loin la comparaison, afin de faire accepter son langage aux Juifs. Il ne dit donc point cela; mais que dit-il? « En effet lorsque les gentils qui n'ont pas la loi font naturellement ce qui est selon la loi ; n'ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi; montrant ainsi l'oeuvre de la loi écrite dans leurs coeurs, leur conscience leur rendant témoignage ».

Ainsi la conscience et la raison tiennent lieu de la loi. Par là il fait voir encore que Dieu a donné à l'homme des forces suffisantes pour embrasser la vertu et fuir le vice. Et ne vous étonnez point s'il le prouve une fois, deux fois, bien des fois. Ce point était capital pour lui, à cause de ceux qui- disaient : Pourquoi le Christ est-il venu si tard? Où était donc autrefois cette grande Providence? Après avoir réfuté cette objection en passant, il montre que dans les anciens temps, même avant la concession de la loi, la nature humaine était l'objet de tous les soins de la Providence. Car « ce qui est connu de Dieu était manifeste en eux » ; ils savaient ce qui était bien, ce.. qui était mal, par quoi ils jugeaient les autres, et c'est ce qu'il leur reprochait en disant « En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même ».

Quant aux Juifs, outre ce que nous avons dit, la raison et la conscience, ils avaient la loi. Mais pourquoi ces expressions : « S'accusant ou se défendant? » S'ils ont la loi écrite dans leurs coeurs et qu'ils en fassent voir les oeuvres, comment la raison peut-elle les accuser? Mais ce n'est pas seulement à cela que s'applique le mot « Accusant », mais à la nature entière. Ici-bas nos raisonnements sont là, tantôt pour nous accuser, tantôt pour nous défendre, et devant cet autre tribunal, l'homme n'a pas besoin d'autre accusateur. Ensuite, pour augmenter la crainte, il ne dit pas : les péchés des hommes, mais : « Ce qu'il y a de caché  dans les hommes ». Après avoir dit: « Penses-tu donc, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu? » Pour que vous ne subissiez point la sentence que vous portez vous-même, et que vous compreniez que celle de Dieu est bien plus juste que la vôtre, il ajoute : « Ce qu'il y a de caché dans les hommes », et encore : « Par Jésus-Christ, selon mon Evangile ». En effet, les hommes ne jugent que les apparences. Or, plus haut il ne parlait que du Père, mais après les avoir abattus par la crainte, il parle maintenant du Christ, non d'une manière simple, mais après avoir fait mention du Père ; et par là il relève la dignité de sa prédication. La prédication, dit-il, annonce ce que la nature avait déjà fait voir d'avance.

6. Voyez-vous avec quelle prudence il les attire et les attache au Christ et à l'Evangile et leur démontre que notre destinée ne se borne pas à la vie présente , mais qu'elle s'étend au delà? C'est ce qu'il avait déjà indiqué plus haut, en disant : « Tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère », et tout à l'heure »encore : « Dieu juge ce qu'il y a de caché dans les hommes ». Que chacun donc descende dans sa conscience, recherche ses fautes et s'en demande à lui-même un compte sévère, afin de n'être pas condamné avec le monde. Car ce jugement sera terrible; ce tribunal, effrayant; ce compte, plein de terreur; là couleront des torrents de feu. « Là où un frère ne rachètera pas, un homme rachètera-t-il? » (Ps. XIV.) Rappelez-vous ce qui est dit dans l'Evangile : les anges volant çà et là, la salle des noces fermée, les flammes qui ne s'éteignent pas, les puissances qui entraînent dans la fournaise. Songez que si l'un de nous voyait son crime secret révélé dans cette église seulement, il aimerait mieux mourir et voir la terre s'entr'ouvrir sous ses pieds que d'avoir tant de témoins de sa faute. Qu'éprouverons-nous donc, quand tout sera manifesté à la face du. monde entier, sur ce théâtre éclatant, resplendissant de lumière, sous les regards de tous, connus et inconnus? O malheur ! de quoi donc suis-je forcé de vous épouvanter? de l'opinion des hommes, quand vous devriez craindre Dieu et son redoutable arrêt ? que deviendrons-nous, dites-moi donc, quand, enchaînés, grinçant les dents, nous serons entraînés dans les ténèbres extérieures ? Et, ce qui est plus terrible encore, que ferons-nous, quand nous serons face à face avec Dieu?

Pour quiconque a du sentiment et de la raison, c'est déjà un enfer que d'être privé de la vue de Dieu; mais comme ce motif ne fait (220) pas d'impression sur l'homme, Dieu le menace du feu. Ce n'est pas le châtiment, mais la faute qui devrait nous causer de la douleur. Ecoutez Paul gémissant et pleurant des péchés dont il ne devait pas être puni : « Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise ». (I Cor. XV, 9.) Ecoutez David qui, bien que dispensé du châtiment, appelle sur lui la vengeance parce qu'il croit avoir offensé Dieu : « Que votre main s'appesantisse sur moi et sur la maison de mon a père ». (II Rois, XXIV, 17.) Car il est plus malheureux d'offenser Dieu que d'en être puni. Mais maintenant nous sommes si misérables, que, sans la crainte de l'enfer, nous ferions à peine quelque chose de bien. Aussi, à part toute autre raison, nous mériterions déjà l'enfer pour l'avoir craint plutôt que le Christ. Il n'en était pas ainsi du bienheureux Paul; c'était chez lui tout le contraire. Mais parce que nos dispositions sont différentes, nous sommes condamnés à l'enfer. Si nous aimions le Christ comme nous devrions l'aimer, nous saurions, qu'offenser son amour est un malheur plus horrible que l'enfer même; mais comme nous ne l'aimons pas, nous ne comprenons pas l'étendue de ce supplice. Et voilà ce qui fait le principal sujet de mes gémissements et de mes larmes.

Pourtant que n'a pas fait Dieu, pour s'attirer notre amour? Quel moyen n'a-t-il pas employé? Qu'a-t-il négligé? Et nous l'avons offensé, lui qui ne nous avait point fait de mal, qui nous avait même combles de bienfaits ; quand il nous appelait et nous invitait de toutes manières, nous nous sommes détournés; il rie s'est point vengé pourtant, mais il est accouru, il a cherché à nous retenir, et nous nous sommes dégagés de ses mains pour courir au démon ; il ne s'est point découragé encore, il nous a envoyés des milliers de prophètes; de messagers, de patriarches pour nous rappeler; et non-seulement nous ne les avons point accueillis, mais nous les avons injuriés. Malgré tout cela, il ne nous a point rejetés; comme ces amants passionnés dont les mépris ne sauraient éteindre l'affection, il s'en allait çà et là, s'adressant à tous : au ciel, à la terre, à Jérémie, à Michée, non pour nous accuser, mais pour se justifier; et par l'entremise des prophètes, il allait lui-même à ceux qui se détournaient, prêt à leur rendre compte, les priant d'entrer en pourparlers avec lui, et invitant à des entretiens ceux qui lui fermaient absolument l'oreille. « Mon peuple », lui disait-il, « que t'ai-je fait? En quoi t'ai-je contristé ? réponds-moi ». (Mich. VI, 3.) Après tout cela, nous avons tué les prophètes, nous les avons lapidés, nous leur avons fait tous les maux possibles. Comment s'en est-il vengé? Il ne nous a plus envoyé de prophètes, ni d'anges, ni de patriarches, mais son propre Fils; son Fils est venu et a été mis à mort; son amour, loin de s'éteindre , s'en est enflammé davantage; même après la mort de son Fils, il persiste à nous inviter et ne néglige rien pour nous ramener à lui. Et Paul s'écrie: « Nous faisons les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche. Réconciliez-vous avec Dieu ». (II Cor. V, 20.)

7. Mais rien de tout cela ne nous a réconciliés. Et il ne nous abandonne pas encore; il insiste,'nous menace de l'enfer, nous promet son royaume, afin de nous attirer; mais nous restons toujours insensibles. Qu'y a-t-il de pire que cette dureté? Si un homme en avait autant fait, ne nous serions-nous pas mis cent fois à son service ? O lâcheté ! O ingratitude ! Nous vivons toujours dans le péché et dans le crime; et si nous faisons quelque peu de bien, à l'exemple des serviteurs ingrats, nous l'examinons scrupuleusement, nous exigeons rigoureusement la récompense, s'il en mérite une. Et pourtant la récompense sera plus grande, si vous agissez sans espoir de récompense : car en parler, en tenir un compte exact, est le propre d'un mercenaire plutôt que d'un serviteur reconnaissant. Il faut tout faire pour le Christ, et non pour la récompense; car c'est pour s'attirer notre amour, qu'il nous a menacés de l'enfer, qu'il nous a promis son royaume. Aimons-le donc, comme il faut l'aimer : car c'est là la grande récompense, le royaume, le plaisir, la volupté, la gloire, l'honneur, c'est là cette félicité infinie que la langue ne peut exprimer ni l'esprit comprendre. Mais je ne sais comment j'ai été entraîné à dire ces choses, à exhorter des hommes qui ne dédaignent ni le pouvoir, ni la gloire présente, à les mépriser cependant pour l'amour du Christ; quoique, du reste, ces grands et généreux personnages aient porté l'amour jusque-là. Ecoutez comme Pierre brûle de charité pour lui et le préfère à son âme, à sa vie, à tout; et après qu'il l'eut renié, il pleura, non à cause du châtiment, mais (221) parce qu'il avait renié son bien-aimé: tourment plus cruel que les plus durs supplices. Et tout cela se passait avant la grâce du Saint-Esprit; souvent il insistait et disait : « Où « allez-vous ? » Et auparavant : « A qui irons-nous? » Et encore : « Je vous suivrai partout où vous irez ». (Jean, XIII, 36, et VI, 69; Matth. VIII, 19.) Car le Christ était tout pour eux; ils ne préféraient ni le ciel ni le royaume des cieux à leur bien-aimé. Vous êtes tout pour moi, lui disaient-ils.

Et pourquoi s'étonner que Pierre fût dans ces sentiments? Ecoutez ce que le prophète avait dit : Qu'y a-t-il pour moi dans le ciel? « et que désiré-je de vous sur la terre? » (Ps. LXXII.) C'est-à-dire, de tout ce qui est en haut, de tout ce qui est en bas, je ne désire rien que vous. Voilà l'amour, voilà l'affection, si nous aimons ainsi, le présent ni l'avenir ne seront rien pour nous au prix de cet attachement, et nous obtiendrons le royaume dans les délices de son amour. Et comment cela, direz-vous? En réfléchissant combien de fois nous l'avons outragé après tant de bienfaits, sans qu'il cessât de nous exhorter; combien de fois nous l'avons négligé, tandis que lui ne nous néglige point, lui, mais qu'il accourt, qu'il nous invite et nous attire à lui. Ces pensées et d'autres semblables pourront allumer en nous cet amour. Si celui qui aime ainsi était un homme de basse condition, et que l'objet de cet amour fui un roi ; ce roi ne serait-il pas enchanté d'une si grande affection ? Certainement il le serait.

Mais quand c'est le contraire qui a lieu ; quand la beauté, la gloire, les richesses de celui qui nous aime sont ineffables, et que nous sommes absolument sans valeur, comment ne mériterions-nous pas mille châtiments, nous, êtres vils et abjects, si, étant aimé à l'excès par un être si grand, si admirable, nous répudiions son amour? Il n'a besoin de rien de ce qui nous appartient, et il ne laisse pas de nous aimer; nous avons le plus grand besoin de ses dons, et nous ne répondons point à son amour, nous lui préférons la richesse, l'amitié des hommes, le repos, les aides du corps, le pouvoir et la gloire, tandis qu'il nous estime au-dessus de tout. Il avait un Fils, légitime et unique; il l'a sacrifié pour nous; et nous lui préférons mille choses ! Ne méritons-nous pas l'enfer et le supplice, fût-il deux fois, trois fois, mille fois plus grand? Qu'aurons-nous à dire, quand nous préférons les ordres de Satan aux lois du Christ, quand nous sacrifions notre salut, quand nous préférons les œuvres du vice à celui qui a tout souffert pour nous? Quel pardon espérer pour une telle conduite? Comment là justifier? C'est impossible. Tenons-nous donc fermes pour ne pas courir au précipice; venons à résipiscence; réfléchissons à tout cela et rendons-lui gloire par nos oeuvres (car il ne suffit pas de le glorifier en paroles), afin de jouir de sa gloire. Puissions-nous l'obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui,la gloire, la force, l'honneur appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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