ROMAINS XVIII

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HOMÉLIE XVIII. COMMENT DONC INVOQUERONT-ILS CELUI EN QUI ILS N'ONT POINT CRU? COMMENT CROIRONT-ILS EN CELUI QU'ILS N'ONT PAS ENTENDU? ET COMMENT ENTENDRONT-ILS SI PERSONNE NE LES PRÊCHE ? ET COMMENT PRÊCHERA-T-ON SI ON N'EST PAS ENVOYÉ? COMME IL EST ÉCRIT. (X, 14, 15, JUSQU'A XI, 6.)

 

336

 

Analyse.

 

1. Comment saint Paul continue à résoudre toutes les difficultés que les Juifs soulevaient contre la foi en Jésus-Christ. — Le salut dépend de l'invocation du nom du Seigneur Jésus; l'invocation dépend de la foi ; la foi, de l'audition ; l'audition, de la prédication ; et la prédication, de la mission : or, les apôtres ont reçu cette mission. — Il ne faut pas vouloir ne s'en rapporter qu'aux miracles, ta foi vient de l'audition de la parole de Dieu.

2. Les Juifs ne peuvent dire qu'ils n'ont pas entendu la prédication, puisqu'elle a éclaté dans tout l'univers; ni qu'ils ne l'ont pas comprise, puisque les prophéties d'Isaïe et de Moise touchant la vocation et la conversion des Gentils, ont dû leur ouvrir les yeux. — Ce qui aggrave encore la faute des Juifs, c'est que Dieu n'a pas cessé de les appeler et qu'ils se sont obstinés dans une incrédulité et une contradiction également prédites par les prophètes.

3. Les expressions : Je me suis montré, j'ai été trouvé, marquent l'action de la grâce, sans exclure le mérite de ceux qui ont su voir et trouver.— Cependant Dieu n'a pas rejeté absolument son peuple.

4. Celui dont Dieu a prévu qu'il croirait en Jésus-Christ , il ne l'a point rejeté. — Il en est de lui comme de ceux qui demeurèrent fidèles au temps d'Elie. — Quoique la promesse regarde tout le peuple, il n'y a cependant de sauvés que ceux qui en sont dignes, et que ceux que Dieu s'est réservés selon l'élection de sa grâce.

5-7. De la reconnaissance des grâces de Dieu. — En quoi consiste la véritable action de grâces. — De l'excellence d'une âme chrétienne.

 

1. Encore une fois, il leur ôte tout espoir de pardon. Après avoir dit : « Je leur rends ce témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science »; et encore : « Ignorant la justice de Dieu, ils ne se sont pas soumis », il montre qu'ils doivent être punis de Dieu pour cette ignorance. Il ne le dit cependant pas aussi expressément; mais il le prouve en procédant par interrogation, et en tissant tout ce passage d'objections et de réponses, pour rendre sa proposition plus évidente. Examinez un peu. « Autrefois », dit-il, « le prophète a dit : Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ». Mais quelqu'un objectera peut-être : Comment invoqueront-ils celui en qui ils n'ont point cru? Après quoi, une question de sa part, après l'objection : Et pourquoi n'ont-ils pas cru? Puis une objection encore : Car on pourrait évidemment dire : Comment croiront-ils sans avoir entendu? Or, répond-il, ils ont entendu. Puis encore une autre objection : Et comment ont-ils pu entendre, si personne ne les prêchait? Ensuite la solution : Or, beaucoup ont prêché et ont été envoyés pour cela. Et comment voit-on que ces prédicateurs ont été envoyés ?Alors Paul invoque le témoignage du prophète qui dit: « Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent le bonheur ! (Is. LII, 7.) Voyez-vous comme il désigne les prédicateurs par le genre même de la prédication? Ils ne prêchaient pas autre chose que le bonheur ineffable et la paix qui s'était faite entre Dieu et les hommes. Ainsi, dit-il, en ne croyant pas, ce n'est pas à notre parole que vous êtes incrédules, mais à celle d'Isaïe, qui a annoncé, depuis bien des années, que nous serions envoyés, que nous prêcherions et que nous dirions ce que nous avons dit. Si donc le salut dépend de l'invocation; l'invocation, de la foi; la foi, de l'audition; l'audition, de la prédication, et la prédication, de la mission; les apôtres ont reçu la mission et ils ont prêché, et (337) le prophète s'en allait avec eux, pour les montrer, les proclamer et dire : Voilà ceux que j'ai annoncés dès les anciens temps, ceux dont j'ai chanté les pieds à cause de l'objet de leur prédication. Il est donc clair que s'ils n'ont pas cru, c'est de leur faute : car Dieu a tout fait de son côté.

« Mais tous n'ont pas obéi à l'Evangile. Car Isaïe dit : Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous? Donc la foi vient par l'audition et l'addition par la parole de Dieu » (16, 17.) On faisait une autre objection en disant : Si ceux-là étaient les envoyés, et les envoyés de Dieu, comment n'ont-ils pas persuadé tout le monde? Or, voyez la prudence de Paul, et comme il démontre que ce qui causait le trouble des incrédules était précisément ce qui devait l'empêcher. Qu'est-ce qui vous scandalise? ô Juif, leur dit-il. Vous vous étonnez de ce que tous n'ont pas cru à l'Evangile, après un témoignage d'une telle nature, d'une telle autorité, après la démonstration par les faits? C'est précisément ce fait que tous n'ont pas obéi, qui, joint aux autres preuves, doit vous faire ajouter foi à ce que nous disons Car le prophète l'avait prédit dès les temps anciens. Voyez- cette admirable sagesse , comme il démontre plus qu'on ne s'y attendait, plus qu'on n'en pouvait réfuter. Qu'objectez-vous? leur dit-il. Que tous n'ont pas obéi à l'Evangile? Mais Isaïe l'avait annoncé d'avance ; il avait non seulement annoncé cela, mais beaucoup plus encore. En effet, vous objectez que tous n'ont pas obéi à l'Evangile; or, Isaïe en a prédit davantage. Que dit-il donc? « Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous? »

Ensuite, après avoir détruit cette cause de trouble en citant le témoignage du prophète, Paul revient à son premier sujet. En effet, après avoir dit qu'il faut pour se sauver invoquer le nom de Jésus-Christ, que, pour l'invoquer, il faut croire, que pour croire, il faut entendre, que pour entendre, il faut des prédicateurs à qui on prête l'oreille ; que pour prêcher il faut être envoyé, et avoir démontré que des prédicateurs ont été envoyés et que la prédication a eu lieu; sur le point de présenter une autre objection, il prend occasion de l'autre témoignage du prophète, qui lui a servi à résoudre l'objection qu'il vient dé rapporter, et il rattache et entrelace ainsi la seconde objection à la première. En effet, comme il a cité cette parole du prophète : « Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous ? » Saisissant à propos ce témoignage, il dit : « La foi vient donc par l'audition ». Il ne se contente pas de dire cela; mais comme en tout temps les Juifs demandaient continuellement des miracles, et voulaient tous les jours voir ressusciter des morts, il leur dit que le prophète a annoncé que la foi doit nous venir par l'audition. Voilà pourquoi il commence par là et dit : « La foi vient donc par l'audition ». Ensuite, comme ce point paraissait de peu d'importance, voyez comme il le relève : Je ne prétends pas simplement, dit-il, qu'il faut écouter, ni qu'il faut écouter des paroles humaines et y croire, mais je parle d'une audition de grande importance : L'audition de la parole de Dieu. Car les apôtres ne parlaient pas d'eux-mêmes, mais ils annonçaient ce qu'ils avaient appris de Dieu : ce qui est le plus grand des miracles. Car il faut également croire et obéir à Dieu, soit qu'il parle, soit qu'il fasse des prodiges. Car les oeuvres et les miracles sont les fruits de sa parole, puisque c'est ainsi que le ciel et la terre ont été créés.

2. Après avoir démontré qu'il faut croire aux prophètes qui annoncent toujours la parole de Dieu et qu'il ne faut rien demander de plus que l'audition, il produit l'objection dont j'ai parlé et dit : « Cependant, je le de« mande : est-ce qu'ils n'ont pas entendu? » — Mais, dira-t-on, si les prédicateurs ont été envoyés, et s'ils ont prêché ce qu'ils avaient reçu l'ordre de prêcher, et qu'on n'ait point entendu ? — Voici la solution complète de l'objection. « Certes, leur voix a retenti par toute la terre , et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde (18) ». Que dites-vous? demande-t-il. lis n'ont pas entendu? Le monde entier et les extrémités de la terre out entendu et vous chez qui les prédicateurs ont passé si longtemps, de la race desquels ils étaient, vous n'avez pas entendu? Est-ce possible? Si les extrémités de la terre ont entendu, à plus forte raison vous.

Puis vient une autre objection. « Je demande encore : Est-ce qu'Israël n'a point connu (19)?... » Et que direz-vous s'ils ont entendu et qu'ils n'aient point compris ce qu'on disait ni su que les prédicateurs étaient envoyés de Dieu ? Cette ignorance ne les excuse t-elle pas? Nullement. Car Isaïe a caractérisé les prédicateurs en disant : « Qu'ils (338) sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! » Et, avant lui, le législateur lui-même en avait parlé. Aussi Paul ajoute-t-il « Moïse le premier a dit : Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un; je vous mettrai en colère contre une nation insensée ». (Deut. XXXII, 21.) Ainsi il fallait reconnaître les prédicateurs, non-seulement parce qu'on n'ajoutait pas foi à leur parole , non-seulement parce qu'ils prêchaient la paix, non-seulement parce qu'ils annonçaient le bonheur et que leur parole se répandait dans le monde entier, mais encore parce que les Juifs voyaient les nations, jusqu'alors inférieures à eux, plus honorées qu'eux. En effet, les gentils admettaient tout à coup une philosophie dont ni eux ni leurs pères n'avaient ouï parler : ce qui était un insigne honneur, ce qui les irritait, provoquait leur jalousie et rappelait la parole de Moïse : « Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un ». Et ce n'était pas seulement un si grand honneur qui excitait leur jalousie, mais encore de voir que le peuple appelé à jouir de ces biens avait été si misérable jusque-là qu'il ne méritait même pas d'être regardé comme un peuple. « Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un, je vous mettrai en colère contre une nation insensée ». En effet, qu'y avait-il de plus insensé que les gentils? Quoi de plus méprisable? Voyez comme Dieu leur donnait de toutes façons des indices et des signes évidents de ces temps, de manière à ouvrir les yeux des aveugles. Car tout cela ne s'est pas passé dans un lieu obscur, mais sur toutes les terres et les mers, mais dans le monde entier; ils ont vu jouir de bienfaits sans nombre ceux-là même qu'ils méprisaient auparavant. Il fallait donc reconnaître que c'était là le peuple dont Moïse parlait : « Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un , je vous mettrai en colère contre une nation insensée ».

Mais Moïse était-il le seul qui l'eût dit? Non : Isaïe l'avait répété après lui. Aussi Paul dit-il : « Moïse le premier » pour montrer qu'il en viendra un second qui dira les mêmes choses plus ouvertement et plus clairement. Comme donc il avait dit plus haut : « Isaïe s'écrie » , il dit ici : « Isaïe ne craint pas de dire... (20) ». Voici la pensée de l'apôtre : Le prophète dit hautement et résolument, il n'a point voulu laisser d'ombre, il a osé mettre les choses à nu devant nos yeux; il a mieux aimé s'exposer au danger en parlant clairement, que de pourvoir à sa propre sûreté en laissant un prétexte à votre ingratitude, quoique le propre de la prophétie né soit pas de parler si clairement. Cependant pour vous fermer absolument la bouche, il a tout prédit avec clarté, avec précision. Tout ! dites-, vous : mais quoi, enfin? Votre déchéance et l'initiation des gentils, quand il disait : «J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas ». (Is. LXV, 1.) Quels étaient donc ceux qui ne le cherchaient pas? quels étaient ceux qui ne le demandaient pas? Évidemment ce n'étaient pas les Juifs, mais bien les nations qui ne l'avaient pas connu. Ainsi comme Moïse les avait caractérisées, en disant : « Un peuple qui n'en est pas un », et encore : « Une nation insensée » ; de même ici le prophète les désigne par le même indice, à savoir leur extrême ignorance. Et c'était là le plus grave reproche à l'adresse des Juifs : que ceux qui ne cherchaient pas avaient trouvé, tandis qu'eux s'étaient perdus en cherchant.

Et à Israël il dit : « Tout le jour j'ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant ». Voyez comme la difficulté, comme le doute proposé par un grand nombre, est démontré avoir sa solution, dès les temps anciens, dans les paroles des prophètes? Quelle était cette difficulté? Vous avez entendu Paul dire plus haut : « Que dirons-nous donc ? Que

les gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice ; et qu'Israël, au  contraire , en recherchant la justice , n'est point parvenu à la loi de justice ». C'est aussi ce que dit Isaïe ; car ces paroles : « J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas », ont le même sens que celle-ci : « Les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice ». Ensuite, pour nous montrer que la conversion des gentils n'est pas seulement l'effet de la grâce, mais aussi de leur bonne volonté, écoutez ce qu'il ajoute : « Et à Israël il dit : « Tout le jour j'ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant » ; désignant ici par le mot jour tout le temps passé, et par ces expressions : « J'ai tendu les mains », la vocation, l'attrait et les invitations. Ensuite, pour (339) indiquer tout le crime des Juifs, il dit: « A ce peuple incrédule et contredisant ».

3. Voyez-vous quelle grave accusation? Ils n'ont point obéi à l'appel de Dieu, mais ils l'ont contredit non pas une fois, ni deux, ni trois, mais tant qu'ils ont vu Dieu le faire; et d'autres qui ne connaissaient point -e Dieu ont pu se l'attirer. Paul ne dit pas qu'ils ont pu se l'attirer, mais pour ne pas donner d'orgueil aux gentils, et montrer que la grâce divine a tout fait, il dit : « Je me suis montré », et : « J'ai été trouvé ». Donc, direz-vous, les gentils sont donc sans mérite ? Erreur; ils ont su saisir ce qu'ils ont trouvé , reconnaître ce qui s'est montré , voilà leur part. Et pour que les Juifs ne disent pas Pourquoi ne s'est-il pas montré à nous? Dieu leur répond par quelque chose de plus : non-seulement  je me suis montré , mais j'ai attendu, les mains tendues, exhortant, déployant la sollicitude d'un père aimant, d'gne mère tendre. Voyez quelle solution claire et nette Paul a donné à toutes les difficultés proposées plus haut, en montrant aux Juifs que leur perte est le résultat de leur volonté et qu'ils sont absolument indignes de pardon. En effet, bien qu'ils eussent entendu et compris ce qui leur avait été dit, ils ne voulurent point se rendre. Bien plus : non-seulement Dieu avait eu soin de leur faire tout entendre et tout comprendre; mais il y avait ajouté ce qui était le plus propre à les exciter, à attirer des hommes amis de la contention et de la contradiction. Qu'était-ce donc? Il les avait piqués au vif, il avait éveillé leur jalousie. Vous connaissez la force de cette passion, la vertu de la jalousie pour terminer toute discussion et relever les défaillances. Et à quoi bon parler des hommes, quand nous en voyons l'effet même chez les animaux et chez les enfants de l'âge le plus tendre? En effet, souvent le petit enfant ne cède pas aux invitations de son père et montre de l'obstination; mais quand il en voit caresser un autre, il revient, sans être invité, au sein paternel, et la jalousie produit ce que n'avait pu faire une simple exhortation. Ainsi Dieu a agi. Non-seulement il a exhorté, tendu les mains; mais il a aussi éveillé en eux le sentiment de la jalousie, en appelant des peuples qui leur étaient bien inférieurs (ce qui est le plus sûr moyen de rendre jaloux), en les appelant, dis-je, non à jouir de leurs avantages, mais chose plus grave et plus irritante, à posséder des biens beaucoup plus considérables et plus nécessaires, et tels que les Juifs eux-mêmes n'eussent jamais osé les rêver. Et pourtant ils ne se sont pas rendus. Comment donc seraient-ils excusables d'avoir montré une telle obstination ? C'est impossible. Toutefois Paul ne dit pas cela expressément; mais il laisse à la conscience de ses auditeurs le soin de tirer cette conséquence de tout ce qu'il vient de dire, et il continue à donner la preuve avec sa sagesse accoutumée.

En effet, comme précédemment, il a présenté des objections sur la loi et sur le peuple, objections renfermant l'accusation la plus grave; et qu'ensuite dans la solution destinée à réfuter cette accusation, il a fait toutes les concessions qu'il a voulu et que le sujet comportait, de peur que son langage ne parût blessant ; ainsi fait-il encore ici, en écrivant

« Je dis donc : Est-ce que Dieu a rejeté son peuple, qu'il a connu dans sa prescience? « Loin de là (XI, 1) ». Il a l'air d'un homme embarrassé; comme s'il prenait son début dans ce qu'il vient de dire, il pose une question effrayante; puis il la détruit et dispose par là â accepter ce qui va suivre, et prouve encore ici ce qu'il avait pour but de démontrer dans tout ce qui précède. Qu'est-ce donc ? Que la promesse subsiste, malgré le petit nombre de ceux qui sont sauvés. C'est pourquoi il ne dit pas simplement « Son peuple », mais il ajoute « Qu'il a connu dans sa prescience ». Ensuite il donne la preuve que Dieu n'avait point rejeté son peuple. « Car », dit-il, « moi-même je suis israélite, de la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin ». Moi, le docteur, moi le prédicateur. Et comme cela semblait contredire ce qui a été dit plus haut, à savoir : « Qui a cru à ce qu'il a ouï de nous? » et encore: «Tous les jours j'ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant »; et aussi: « Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un » : il ne se contente pas de nier et de dire : «Loin de là »; mais il y revient une seconde fois en disant: « Dieu n'a pas rejeté son peuple (2) ». Mais direz-vous, c'est là une affirmation et non une preuve. Voyez donc la première preuve et celle qui suit. La première, c'est qu'il était juif; or, si Dieu eût rejeté son peuple, ce n'est pas chez lui qu'il aurait choisi l'homme à qui confier toute la prédication, les intérêts du monde entier, tous les mystères, toute l'administration. Voilà (340) d'abord une preuve; la seconde est dans ces mots: « Son peuple qu'il a connu dans sa prescience », c'est-à-dire qu'il connaissait parfaitement comme propre à recevoir la foi et comme devant la recevoir. Car trois mille, cinq mille et une foule d'autres avaient cru.

4. Et pour qu'on ne dise pas : Etes-vous donc le peuple? Parce que vous avez été appelé, le peuple l'a-t-il été ? il ajoute : « Il n'a pas repoussé son peuple qu'il a connu par sa prescience. » C'est comme s'il disait : Il y en a avec moi trois mille, cinq mille, dix mille. Quoi donc? c'est à trois mille, à cinq mille, à dix mille que se réduit cette race qui devait égaler en nombre les astres du ciel et les grains de sables de la mer? Et vous nous trompez, vous vous jouez de nous, jusqu'à vous donner pour tout un peuple, vous et quelques autres avec vous? Et vous nous avez nourris de vaines espérances en nous disant que la promesse s'accomplirait, tandis que tous périssent et qu'un petit nombre seulement sont sauvés? C'est là de la jactance et de l'orgueil, et nous ne pouvons supporter ces sophismes. Pour prévenir ce langage, voyez comme il amène la solution dans ce qui va suivre, sans poser l'objection, mais en la résolvant d'avance par un argument tiré de l'histoire ancienne. Quelle est donc cette solution? « Ne savez-vous pas», leur dit-il « ce que l'Ecriture dit d'Elie, comment il interpelle Dieu contre Israël en disant : Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels; et moi, je suis resté seul, et ils recherchent mon âme. Mais que lui dit la réponse divine? Je me suis réservé sept mille hommes qui n'ont point fléchi le genou devant Baal. De même donc, en ce temps  aussi, un reste a été sauvé selon l'élection de la grâce (3-5)».

Ce qui veut dire : Dieu n'a point rejeté son peuple; car s'il l'eût rejeté, il n'aurait reçu personne; et s'il en a reçu quelques-uns, c'est qu'il ne l'a point rejeté. Mais, dira-t-on, s'il ne l'avait point rejeté, il aurait reçu tout le monde. Point du tout, car si, dans le temps d'Elfe, il n'y en eut que sept mille de sauvés, on ne peut nier qu'aujourd’hui un grand nombre croient. Si vous ignorez ce nombre, cela n'est pas étonnant , puisque Elie, cet homme si grand, si distingué, ne le savait pas lui-même : mais Dieu réglait, ses affaires, à l'insu même du prophète. Et voyez la prudence de Paul; comme, en prouvant sa proposition, il aggrave implicitement l'accusation contre les Juifs. Car il ne cite ce témoignage que pour faire éclater leur ingratitude et montrer qu'elle date de loin. Si ce n'eût été là son but et qu'il eût seulement voulu prouver que le peuple se réduisait à un petit nombre, il se serait contenté de dire que, au temps d'Elie, sept mille hommes étaient réservés; tandis qu'au contraire il cite le passage en entier. Partout en effet il s'attache à leur démontrer qu'ils n'ont rien fait de nouveau à l'égard du Christ et des apôtres, mais qu'ils se sont conformés à leurs habitudes et à leurs traditions. Et pour qu'ils ne disent pas : nous avons fait mourir le Christ comme séducteur et les apôtres comme imposteurs, il produit le témoignage qui dit : « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels ».

Mais pour ne pas les blesser, il donne à cette citation un autre motif : car ce n'est pas une accusation qu'il à principalement en vue, mais il semble se proposer autre chose, et il leur ôte ainsi toute excuse même d'après l'histoire du passé. Et voyez comme l'accusation prend du poids d'après l'autorité du personnage ! En effet ce n'est ni Paul, ni Pierre, ni Jacques, ni Jean, qui les accusent ; mais l'homme qu'ils admiraient le plus, le chef des prophètes, l'ami de Dieu, celui qui brûlait de zèle pour eux jusqu'à endurer la faim, celui qui n'est pas encore mort aujourd'hui. Que dit-il donc? « Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels; et moi, je suis resté seul, et ils me cherchent pour m'ôter la vie ». Quoi de plus cruel, de plus barbare que cette conduite? Au lieu de prier pour leurs crimes passés, ils voulaient encore mettre à mort Elie : ce qui les rendaient absolument indignes de pardon. Car ce n'était pas sous l'empire de la faim, mais au milieu de l'abondance, quand l'opprobre d'Israël était levé, les démons confondus, la puissance de Dieu manifestée, le roi humilié, qu'ils osaient méditer de tels crimes, passant du meurtre au meurtre, et mettant à mort leurs maîtres, ceux qui s'attachaient à corriger leurs moeurs.

Qu'avaient-ils à dire ? Ceux-là étaient-ils aussi des séducteurs? Ne savaient-ils pas d'où ils étaient? —  Mais ils vous attristaient, dites-vous? — Oui, mais ils vous disaient des choses utiles. Et ces autels ? Vous avaient-ils aussi contristés ? Vous avaient-ils irrités ? Voyez (341) quelles preuves d'obstination, d'insolence, ils ont toujours données ! Voilà pourquoi Paul dit ailleurs, en écrivant aux Thessaloniciens « Vous avez souffert, vous aussi, ce qu'elles » (les Eglises de Dieu) « ont souffert elles-mêmes des Juifs qui ont tué même le Seigneur et leurs propres prophètes, qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes ». (I Thess. II, 14, 15.) C'est ce qu'Elie leur dit ici, en leur reprochant d'avoir démoli les autels et tué les prophètes. Mais que lui répond l'oracle divin? «Je me suis réservé sept mille hommes qui « n'ont point fléchi le genou devant Baal ». Mais, direz-vous, quel rapport cela a-t-il avec le présent ? Un très-grand. Car cela prouve que Dieu ne sauve que ceux qui en sont dignes, bien que la promesse s'adresse à tout le peuple. Déjà Isaïe l'avait indiqué en disant : « Le nombre d'Israël fût-il comme le sable de la mer, il n'y aura qu'un reste de sauvé », et encore : « Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome ». (Rom. IX, 27-29.) C'est sur ces textes que Paul appuie ses preuves; puis il ajoute : « De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé, selon l'élection de la grâce ».

5. Voyez comme chaque expression a sa valeur propre, et montre la grâce de Dieu et la bonne volonté de ceux qui sont sauvés. En effet, en disant : « L'élection », il indique leur mérite, et en ajoutant : « De la grâce », il fait voir le don de Dieu. « Mais si c'est par la grâce, ce n'est donc point par les oeuvres ; autrement la grâce ne serait plus grâce (6)». Or si c'est par les oeuvres ce n'est plus une grâce, autrement l'oeuvre ne serait plus une oeuvre. Après avoir dit cela, il revient encore sur l'obstination des Juifs, la combat et leur ôte par là toute excuse. Vous ne pouvez pas, leur dit-il, objecter que, si les prophètes vous appelaient, si Dieu vous exhortait, si les faits mêmes élevaient la voix, alors que la jalousie aurait suffi, à elle seule, à vous attirer : objecter, dis-je, que les commandements étaient difficiles, que vous ne pouviez pas avancer parce qu'on exigeait de vous des actes, des efforts pénibles : non, vous ne pouvez pas employer ce prétexte. Comment Dieu aurait-il pu exiger de vous ce qui eût atténué l'effet de sa grâce? En disant cela, il veut leur montrer que Dieu désirait vivement leur salut. En effet

non-seulement leur salut eût été facile, mais Dieu en eût retiré une très-grande gloire, en faisant ainsi éclater sa bonté. Pourquoi donc craigniez-vous d'avancer, quand on n'exigeait point de vous les oeuvres? Pourquoi vous soulever et discuter, quand la grâce vous est offerte, et. parler de loi au hasard et sans fruit? Cela ne vous sauvera pas, et vous perdrez le don. En rejetant obstinément cette voie de salut, vous détruisez la grâce de Dieu. Et pour qu'on ne trouve pas ce langage étrange, il affirme que les sept mille dont il a parlé, ont été sauvés par la grâce. En effet, en disant que, dans ce temps aussi; un reste a été sauvé selon l'élection de la grâce, il indique que ces sept mille ont été sauvés par la grâce. Et il ne dit pas cela seulement; car par ces expressions : « Je me suis réservé », Dieu fait entendre que c'est à lui qu'appartient en cela le rôle principal.

Mais, dira-t-on, si on est sauvé par la grâce, pourquoi ne le sommes-nous pas tous? Parce que vous ne le voulez pas : car la grâce, toute grâce qu'elle est, sauve ceux qui veulent être sauvés, et non ceux qui ne veulent pas l'être, ceux qui la repoussent, et sont continuellement en guerre et en opposition avec elle. Le voyez-vous s'attacher sans cesse à prouver : « Que la parole de Dieu n'est pas restée sans effet » (Rom. IX, 6), et faisant voir que la promesse s'est réalisée pour ceux qui en étaient dignes, et qu'ils ont pu, quoiqu'en petit nombre, former le peuple de Dieu? Du 'reste, au commencement de son épître, il exprime cette vérité avec plus de force, quand il dit : « Car qu'importe, si quelques-uns n'ont pas cru ? » (Rom. III, 3), et, ne s'en tenant pas là, il ajoutait : « Dieu est véritable, mais tout homme est menteur ». Maintenant il donne une autre preuve de cette vérité, montre la force de la grâce, et affirme encore que les uns sont sauvés et les autres perdus.

Rendons donc grâces d'être du nombre des sauvés, et de l'avoir été par le don de Dieu, puisque nous ne pouvions pas l'être par nos oeuvres. Et ne soyons pas seulement reconnaissants en paroles , mais en actions et en pratique. Car la véritable reconnaissance c'est de faire ce qui doit procurer de la gloire à Dieu, c'est de fuir les maux dont nous avons été délivrés. Si après avoir injurié un roi , nous étions récompensés au lieu d'être punis, et que nous l'insultassions de nouveau ; (342) convaincus par là d'une ingratitude extrême, nous serions justement punis du dernier supplice, bien plus sévèrement que nous ne l'eussions été la première fois. En effet, le premier outrage aurait moins fait voir notre ingratitude que le second, infligé après le pardon, après l'honneur reçu. Fuyons donc les maux dont nous avons été délivrés, ne soyons pas reconnaissants seulement en paroles, et qu'on ne dise pas de nous : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais par le coeur, il est loin de moi ». (Ps. XXIX,13.) Comment ne serait-il pas absurde que, pendant que les cieux racontent la gloire de Dieu, vous, pour qui ont été faits ces cieux qui glorifient Dieu , vous fissiez blasphémer par votre conduite celui qui vous a créés? Aussi ce n'est pas seulement le blasphémateur qui sera puni, mais vous subirez aussi le châtiment. Car ce ne sont pas les cieux qui élèvent la voix pour glorifier Dieu, mais ils y excitent les hommes par leur aspect, et voilà pourquoi on dit qu'ils racontent la gloire de Dieu. Ainsi ceux qui mènent une vie édifiante, glorifient Dieu, même en gardant le silence, parce qu'ils le font glorifier par d'autres. Car le ciel n'excite pas autant l'admiration qu'une vie pure. Aussi quand nous parlons aux gentils, ce n'est pas le ciel que nous leur montrons, mais ces hommes qui étaient pires que des animaux et que Dieu a faits les émules des anges. C'est en leur parlant de ce changement que nous leur fermons la bouche.

6. Car l'homme vaut mieux que le ciel, et il peut donner à son âme une beauté, que le ciel n'a point. Depuis longtemps on voyait le ciel, et cet aspect n'a guère converti; Paul n'a prêché que peu de temps et il a attiré à lui le monde entier. C'est qu'il possédait une âme qui n'était point inférieure au ciel et capable de tout attirer à elle. Notre âme n'est pas même digne de la terre, et la sienne était comparable aux cieux. En effet, le ciel reste dans ses limites propres, et observe des lois fixes; mais l'âme de Paul surpassait en hauteur tous les cieux et vivait familièrement avec le Christ même ; et sa beauté était telle que Dieu lui-même la proclamait. Les anges admirèrent les astres au moment de leur création; mais Dieu lui-même admira Paul, en disant : « Il est pour moi un vase d'élection ». (Act. IX, 15.) Souvent les nues voilent le ciel; jamais la tentation n'obscurcit l'âme de Paul; mais au milieu des tempêtes il paraissait plus brillant que les feux du midi et ne perdait rien de l'éclat qu'il avait avant l'orage. Car le soleil qui brillait en lui lançait des rayons que toutes les tentations réunies ne pouvaient obscurcir, qui en devenaient au contraire plus resplendissants. Aussi Dieu lui disait-il : « Ma grâce te suffit : car ma puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse ». (II Cor. XII, 9.)

Imitons-le donc, et ni ce ciel visible, ni le soleil, ni le monde entier ne seront rien en comparaison de nous, si nous le voulons; car ils ont été faits pour nous, et non pas nous pour eux. Montrons que nous sommes dignes qu'ils aient été faits pour nous. Si nous nous en montrons indignes, comment serons-nous dignes du royaume? Et si ceux qui vivent pour blasphémer Dieu sont indignes de voir le soleil, ceux qui blasphèment sont également indignes de jouir des créatures qui glorifient Dieu, comme un fils qui outrage son père ne mérite pas d'être servi par des domestiques fidèles. C'est pourquoi les couvres de Dieu seront revêtues d'une grande gloire, tandis que nous subirons le châtiment et la vengeance. Combien donc il serait misérable que des créatures formées pour nous, fussent conformes à la liberté de la gloire des enfants de Dieu ; et que nous, devenus enfants de Dieu, nous fussions, par notre extrême lâcheté, perdus et précipités en enfer : nous pour qui ces créatures jouiront d'une si grande félicité !

Pour que cela n'arrive pas, que ceux qui ont l'âme pure, la conservent en cet état; qu'ils augmentent même son éclat; mais que ceux qui ont l'âme souillée, ne désespèrent pas pour autant : car il est écrit : « Quand vos péchés seraient couleur de pourpre, je les rendrai blancs comme la neige; et quand ils seraient comme du safran, je les rendrai blancs comme la laine ». (Isaïe, I, 18.) Or, quand Dieu promet, n'hésitez pas, mais faites tout ce qu'il faut pour mériter l'exécution de ses promesses. Vous avez commis une multitude d'iniquités? qu'importe ?Vous n'êtes pas encore tombé en enfer, où personne ne se confesse plus; votre rôle n'est pas encore terminé, vous êtes encore dans l'arène, et vous pouvez, par une lutte énergique, réparer toutes vos défaites. Vous n'êtes pas encore descendu où est le mauvais riche, pour vous entendre dire : « Entre vous et nous il y a un abîme » (Luc, XVI, 26) ; l'époux n'est pas encore arrivé, pour qu'on craigne de vous donner (343) de l'huile ; vous pouvez encore en acheter et en verser dans votre lampe. Personne ne vous dit encore : « De peur qu'il n'y en ait pas assez pour nous et pour vous » (Matth. XXV, 9) ; mais le nombre des vendeurs est grand, ceux qui sont nus, ceux qui ont faim, les malades, les prisonniers. Nourrissez les uns, revêtez les autres, visitez ceux qui sont sur. le lit de douleur, et l'huile vous viendra en surabondance. Le jour des comptes n'est pas encore venu. Usez du temps comme il faut; remettez les dettes, dites à celui qui doit cent mesures d'huile : « Prenez votre obligation et écrivez cinquante ». (Luc XVI, 6.) Faites-en autant pour l'argent, pour les paroles, pour tout, à l'exemple de cet économe ; excitez-vous à tenir cette conduite et exhortez y vos proches. Car vous pouvez encore dire tout cela; vous n'êtes pas encore dans la nécessité de recourir à un intercesseur; vous pouvez user de ces conseils et les donner aux autres ; mais quand vous serez sorti de ce monde, vous ne pourrez plus faire ni l'un ni l'autre. Vous qui avez eu de si longs termes, et qui n'avez été utile ni à vous-même ni aux autres, quelle grâce aurez-vous à attendre, quand vous serez aux mains de votre juge?

Faisant donc ces réflexions, travaillons avec ardeur à notre salut, et ne laissons point échapper les occasions que le temps présent nous offre. On peut, oui, on peut jusqu'au dernier souffle se réconcilier avec Dieu; on le peut encore même par son testament, non pas cependant autant que pendant sa vie, mais enfin on le peut. Et comment cela? En inscrivant le Christ parmi vos héritiers, en lui attribuant une part de votre succession. Vous ne l'avez pas nourri pendant. que vous viviez? Au moment du départ, quand vous n'êtes plus en état de jouir, donnez-lui une partie de votre fortune; il est bon, il ne sera point trop sévère avec vous. Sans doute il eût été plus généreux et plus méritoire de le nourrir pendant votre vie; mais si vous ne l'avez pas fait, usez au moins de ce second moyen : donnez-le pour cohéritier à vos enfants. . Et si vous hésitez encore, songez que le Père vous a fait cohéritier de son Fils, et dépouillez votre inhumanité. Quelle excuse aurez-vous, si vous refusez de faire entrer en partage avec vos enfants celui qui vous a donné part à son ciel, et qui a été immolé pour vous? D'autre part, tout ce qu'il a fait, il l'a fait par grâce, et non en acquit de dette, tandis qu'après tant de bienfaits vous êtes devenu son débiteur. Et néanmoins, les choses étant ce qu'elles sont, il vous récompense comme s'il avait reçu un don et non comme ayant recouvré une créance, bien que tout ce qu'il réclame soit à lui.

7. Donnez-lui donc un argent qui désormais vous est inutile, dont vous n'êtes plus le maître, et il vous donnera un royaume dont vous jouirez à perpétuité, et, avec ce royaume, encore tous les biens d'ici-bas. S'il est héritier avec vos enfants, il allégera leur situation d'orphelins, il les garantira de l'injustice, écartera d'eux les embûches, fermera la bouche aux calomniateurs; et s'ils ne peuvent eux-mêmes pourvoir à l'exécution du testament, il s'en chargera et ne permettra pas qu'on en viole les dispositions, et s'il le permet, il n'en sera que plus empressé à les remplir lui-même avec plus de générosité, dès qu'une fois il y aura été inscrit. Constituez-le donc héritier; car c'est vers lui que vous devez aller : c'est lui qui doit porter le jugement sur tout ce que vous aurez fait ici-bas. Mais il y a des hommes tellement misérables, tellement aveugles, que, quoique sans enfants, ils refusent de prendre ce parti et aiment mieux distribuer leur fortune à des parasites et à des flatteurs, à un tel ou un tel, qu'au Christ même qui leur a fait tant de bien. Peut-il y avoir quelque chose de plus déraisonnable? En comparant ces gens-là à des ânes, à des pierres, on n'exprimerait pas encore suffisamment leur stupidité, leur insensibilité; il est impossible de trouver une image qui peigne leur folie et leur déraison. Comment seraient-ils pardonnables de n'avoir pas nourri le Christ pendant leur vie, quand, sur le point d'aller à lui, ils ne veulent pas même lui laisser une petite partie d'une fortune dont ils ne sont plus les maîtres; quand ils sont à son égard dans des dispositions tellement malveillantes, tellement hostiles, qu'ils ne lui donnaient aucune part de leurs biens désormais inutiles pour eux?

Ne voyez-vous pas combien d'hommes ne sont pas même jugés dignes de mourir ainsi, mais sont enlevés par une mort subite? Mais Dieu vous a laissé la faculté de pourvoir à vos intérêts, de disposer de votre fortune et de mettre ordre à tout dans votre maison. Quelle sera donc votre excuse, si malgré la grâce qu'il vous accorde, vous abusez des bienfaits et adoptez une conduite diamétralement opposée (344) à celle de vos pères dans la foi? Car ils vendaient, de leur vivant, tout ce qu'ils possédaient et en apportaient le prix aux pieds des apôtres; et vous, vous ne donnez pas même en mourant la moindre portion de votre bien aux indigents. Certes il serait bien meilleur, bien plus rassurant, de soulager les pauvres pendant sa vie; mais si vous ne le voulez pas, faites au moins, en mourant, quelque acte de générosité. Ce n'est pas là une preuve de grand amour pour le Christ : c'est de l'amour pourtant. Vous ne seriez pas sans doute au premier rang parmi les agneaux; mais ce n'est pas peu de chose d'être avec eux, et non à gauche, au milieu des boucs. Si vous ne faites pas cela , quel salut pouvez-vous espérer, quand la crainte de la mort, l'inutilité de votre fortune, l'intérêt de vos enfants, l'espoir d'obtenir vous-même une grande indulgence dans l'autre vie, n'ont pu vous inspirer des sentiments d'humanité?

C'est pourquoi je vous exhorte à donner, pendant que vous vivez, la plus grande partie de votre bien aux pauvres. S'il en est qui aient l'âme assez étroite pour s'y refuser, qu'ils deviennent au moins humains par nécessité. Pendant votre vie, vous vous attachiez à votre fortune comme si vous eussiez été immortel mais maintenant que vous savez que vous êtes mortel, renoncez à vos desseins, et disposez de vos biens comme un homme qui doit mourir, ou plutôt comme un homme qui doit jouir d'une vie immortelle. Bien que ce que je vais vous dire soit désagréable et même enrayant, il faut cependant que je vous le dise : Comptez le Seigneur parmi vos esclave. Vous affranchissez des esclaves? Affranchissez le Christ de la faim, du besoin, de la prison, de la nudité. Ces mots vous font frissonner? Ce sera bien plus terrible, si vous ne le faites pas. Ce langage vous frappe aujourd'hui de stupeur; mais quand vous serez sorti de ce monde, quand vous entendrez des choses bien autrement terribles, quand vous verrez des supplices que rien ne peut adoucir, que direz-vous? A qui recourrez-vous? Quel aide, quel défenseur invoquerez-vous? Sera-ce Abraham? Il ne vous écoutera pas. Sera-ce les vierges sages? Elles ne vous donneront point d'huile. Sera-ce votre père, votre aïeul? Mais aucun d'eux, quelque saint qu'il soit, n'aura le pouvoir de faire révoquer cette sentence. Par toutes ces considérations, priez, suppliez, rendez-vous propice Celui qui peut seul effacer votre cédule et éteindre les flammes; dès ce moment nourrissez-le, revêtez-le sans relâche; afin de sortir de ce monde avec de bonnes espérances et de jouir dans le ciel des biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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