HOMÉLIE XX

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VINGTIÈME HOMÉLIE. « Et Caïn dit à son frère Abel : Sortons dans la campagne. » (Gen. IV. 8.)

 

ANALYSE.

 

1. L'orateur résume son enseignement sur l'histoire de Cain et d'Abel. — 2. Continuant l'explication du texte, il arrive à Lamech dont il commente la confession. Il fait ressortir le mérite de cette confession à laquelle Lamech s'est soumis par la seule impulsion de sa conscience. — 3. Il prend de là occasion de parler de la confession en général, de sa nécessité, de son efficacité, de sa facilité comme moyen de guérison. — 4. Interprétation du texte concernant la naissance de Seth. — 5. Eloquente exhortation à la pratique de l'aumône.

 

1. La suite du texte expliqué hier nous fournira encore la matière de l'instruction d'aujourd'hui; nous continuerons à vous entretenir des livres de Moïse, ou plutôt des oracles de l'Esprit-Saint, oracles que la grâce divine nous a communiqués par l'organe de son prophète. Mais pour plus de clarté , il ne sera pas hors de propos de rappeler à votre charité ce que nous avons déjà exposé , et où notre enseignement en est resté ; de la sorte nous pourrons le reprendre où nous l'avons laissé, et l'enchaînement de la doctrine ne sera pas rompu. Nous avons donc traité le sujet d'Abel et de Caïn; nous avons montré (120) par leur histoire , comme par les sacrifices qu'ils offraient au Seigneur , que la connaissance du bien que nous devons faire et du mal que nous devons éviter de faire est inhérente à notre nature ; que l'Ouvrier divin, Celui qui a tout fait, nous a doués du libre arbitre; que c'est la disposition de notre coeur qui nous vaut la condamnation ou la couronne; que ce fut, en effet, la raison pour laquelle le sacrifice d'Abel fut agréé et celui de Caïn rejeté ; que la jalousie que Caïn en conçut le poussa au meurtre de son frère ; qu'après cet exécrable forfait, Dieu le provoqua à faire l'aveu de son péché, que le malade repoussa ce remède divin, qu'il attira enfin sur sa tête le sévère châtiment que vous savez, pour avoir ajouté le mensonge au meurtre; qu'il se priva ainsi de tout secours d'en-haut, devint un exemple capable de retenir dans le devoir ceux qui viendraient après lui; que par la sentence portée contre lui, il instruit tout le genre humain, comme s'il lui disait à haute- voix : que personne parmi vous ne commette le même crime, s'il ne veut éprouver le même châtiment. A ce sujet je vous ai fait remarquer la bonté du Seigneur, qui a voulu, parla peine qu'il a infligée, non-seulement corriger Caïn, mais encore apprendre à tous ceux qui naîtraient après lui, à se garder d'un crime semblable.

Voyons donc maintenant la suite, et considérons ce que raconte aujourd'hui ce bienheureux prophète instruit par la vertu de l'Esprit-Saint. Après qu'il eut entendu sa sentence, Caïn sortit de devant la face de Dieu. Que veut dire cette parole : sortit de devant la face de Dieu ? Elle veut dire qu'il fut privé de l'assistance divine à cause de son abominable action. Et il habita dans la terre de Naïd, en face de l'Eden. L'écrivain sacré nous dit le lieu où Caïn fit désormais sa demeure, et il nous enseigne qu'il vécut non loin du paradis, afin qu'il conservât perpétuellement le souvenir et de ce qui était arrivé à son père après sa prévarication et de l'énormité de son propre crime, et du châtiment qui lui avait été infligé, parce qu'il n'avait pas su profiter, pour se conduire sagement, de l'exemple de son père. Le lieu lui-même qu'il habitait, lui rappelait continuellement par son nom à lui et à ses descendants, l'agitation et le tremblement, supplice de sa vie terrestre, car le nom de Naïd est un mot hébreu qui signifie agitation. Dieu l'établit donc là, afin que le lieu lui-même ne cessât Je lui reprocher son crime, comme s'il eût été gravé sur une colonne d'airain.

La sainte Ecriture continue : Et Caïn connut sa femme, et, ayant conçu, elle enfanta Enoch. Puisque les hommes étaient devenus mortels, ils avaient raison de se perpétuer par la procréation des enfants. Mais, me dira peut-être quelqu'un, où Caïn eut-il une femme, puisque, à cet âge du. moins, l'Ecriture ne fait mention d'aucune autre que d'Eve? Ne vous en étonnez point, mon cher auditeur ; nulle part l'Ecriture ne donne exactement la généalogie des femmes; toujours soigneuse d'éviter le superflu, elle ne mentionne individuellement que les hommes et encore pas tous , car souvent elle dit sous une forme abréviative qu'un tel engendra des fils et des filles. Il faut donc croire qu'Eve mit au monde, après Caïn et Abel, une fille que Caïn prit pour femme. Dans ces premiers commencements du monde, la nécessité de propager la race faisait qu'il était permis aux hommes d'épouser leurs soeurs. Nous laissant donc faire ces conjectures, d'ailleurs certaines, la sainte Ecriture se. borne à raconter que Caïn connut sa femme, laquelle ayant conçu, enfanta Enoch. Et il construisit une ville du nom de son fils Enoch. Voyez comme ils deviennent peu à peu ingénieux et avisés. Mortels, ils veulent du moins immortaliser leur mémoire, soit en engendrant des enfants, soit en bâtissant des villes auxquelles ils donnent les noms de leurs enfants. On pourrait dire avec raison que toutes ces choses étaient autant de monuments de leurs péchés et de leur déchéance de cette gloire primitive dont jouissaient Adam et Eve, dans laquelle ils n'avaient nul besoin de toutes ces précautions, puisqu'alors ils étaient dans un état où ne pouvait. les atteindre aucun des accidents contre lesquels ils se prémunissaient maintenant.

A Enoch lui-même naquit Gaïdad, et Gaïdad engendra Maléléel, et Maléléel engendra Mathusala, et Mathusala engendra Lamech. Vous voyez comme l'écrivain sacré passe en courant sur les généalogies, ne mentionnant que les hommes, et laissant les femmes sans les nommer. De même, qu'au sujet de Caïn, il dit qu'il connut sa femme, sans nous dire d'où il l'avait eue; de même encore, à propos de Lamech , il dit : et Lamech épousa deux femmes ; la première se nommait Ada, et la (121) seconde se nommait Sella. Et Ada enfanta Jobel; celui-ci fut le père de ceux qui habitent sous des tentes et qui nourrissent des troupeaux. Et le nom de son frère fut Jubal : c'est lui qui inventa le psaltérion et la cithare.

2. Remarquez ici l'exactitude de l'Ecriture. Elle nous apprend les noms des enfants (le la femme de Lamech, ainsi que leurs occupations : l'un faisait paître des troupeaux, l'autre inventa le psaltérion et la cithare. Sella mit au monde Tobel, qui travailla les métaux, le cuivre et le fer. Ici encore, la sainte Ecriture nous fait connaître de genre d'occupation du fils de Sella; il était forgeron. Remarquez de quelle manière naissent peu à peu les arts utiles à la vie des hommes. Premièrement, Caïn donne le nom de son fils à la ville qu'il fonde. Ensuite les fils de Lamech s'occupent, l'un à nourrir des troupeaux, l'autre à travailler les métaux, le troisième découvre le psaltérion et la cithare. Or, la soeur de Tobel fut Noéma. Voici dans une généalogie le nom d'une fille; c'est une chose nouvelle, mais qui a sa raison, raison secrète et mystérieuse que nous réservons pour un autre temps, afin de ne pas interrompre le fil de notre histoire. Le passage qui suit est en effet très-important, il exige tous nos efforts et le plus sérieux examen pour être bien expliqué et pour nous fournir les plus précieux enseignements.

Lamech dit à ses femmes, Ada et Sella écoutez ma voix, femmes de Lamech, prêtez l'oreille à mes paroles : j'ai tué un homme qui m'a blessé, et un jeune homme qui m'a meurtri. On expiera sept fois la mort de Caïn et septante fois sept fois celle de Lamech. Prêtez-moi, je vous prie, toute votre attention, et rejetant toute pensée séculière et toute distraction , scrutons avec soin ces paroles ; il faut que nous descendions à toute la profondeur que nous pourrons, pour que nous recueillions, sans rien perdre, tout le trésor qui est enfoui dans cet étroit espace. Et Lamech dit à ses femmes Ada et Sella écoutez ma voix, femmes de Lamech, prêtez l'oreille à mes paroles. Et d'abord remarquez combien la punition de Caïn a été utile à Lamech. Il n'attend pas qu'un autre vienne le convaincre de son crime, mais, sans que personne l'accuse, ni lui fasse de reproche, il se découvre lui-même, il avoue ce qu'il a fait, il dévoile à ses femmes la grandeur de son crime, il accomplit presque la parole du Prophète : Le juste est lui-même son accusateur en premier lieu. (Prov. XVIII, 17.) Pour la correction des péchés, il n'existe pas de meilleur remède que la confession. C'est quelque chose de plus grave que le péché lui-même, que de le nier après qu'on l'a commis : le fratricide Caïn l'a bien éprouvé, lui qui, interrogé par le Dieu bon, non-seulement n'avoua pas son forfait, mais osa mentir à Dieu, et fut pour cela condamné à traîner une longue et misérable existence sur la terre. Tombé dans le même péché, Lamech a compris que ce qui avait aggravé le châtiment de Caïn, c'était d'avoir nié sa faute; c'est pourquoi il appelle ses femmes, et, sans que personne le contraigne ou témoigne contre lui, il fait lui-même de sa propre bouche la confession de ses péchés, et comparant son crime avec celui de Caïn, il détermine lui-même sa peine.

Voyez-vous la sollicitude de Dieu, comme il se ménage des occasions de montrer sa miséricorde, jusque dans les punitions qu'il inflige, comme les effets de cette miséricorde ne s'arrêtent pas à celui qui- reçoit la punition, mais s'étendent, tels que des remèdes salutaires, à tous ceux qui ont la bonne volonté d'en profiter? Quel autre motif aurait pu amener Lamech à faire cette confession, excepté le souvenir qu'il avait des maux soufferts par Caïn, souvenir qui bouleversait son âme? Il dit donc : Ecoutez ma voix et prêtez l'oreille à mes paroles. C'est comme un tribunal qu'il dresse contre lui-même, et la chose lui paraît si grave qu'il veut qu'on l'écoute avec une profonde attention. Car ces mots : Ecoutez ma voix, prêtez l'oreille à mes discours, équivalent à ceux-ci : Rendez votre esprit attentif, appliquez-vous, écoutez soigneusement ce que je vais dire. Ce ne sont pas des choses indifférentes que celles dont j'ai à vous entretenir, j'ai à vous révéler des faits cachés, des faits que personne ne sait que moi seul, et cet oeil qui ne se ferme jamais; c'est la crainte que me donne ce témoin, qui me presse et me force aujourd'hui à. vous découvrir ce que j'ai eu le malheur de faire, et à vous dire à quelle vengeance je me suis exposé par mes oeuvres criminelles ; car j'ai tué un homme qui m'a blessé, et un jeune homme qui m'a meurtri. Et s'il a été tiré sept vengeances de Caïn, il en sera tiré de Lamech septante fois sept. Grande, et même très-grande parole et qui dénote en cet homme une âme des mieux disposée. Non-seulement il avoue ce (122) qu'il a fait, et dévoile le meurtre qu'il a commis, mais il s'impose une peine en comparant son crime à celui de Caïn. De quel pardon semble-t-il dire, est digne celui qui n'a pas profité de l'exemple d'autrui pour devenir meilleur, celui qui ayant continuellement dans l'esprit le souvenir du châtiment infligé au premier meurtrier, n'a pas laissé néanmoins que de commettre deux meurtres? J'ai tué, dit-il, un homme qui m'a blessé, et un jeune homme qui m'a meurtri. C'est comme s'il disait : J'ai moins fait de mal à ceux que j'ai tués que je ne m'en suis fait à moi-même. Car j'ai encouru un châtiment inévitable, puisque j'ai commis des crimes trop énormes pour être pardonnés. Si Caïn, pour un seul meurtre, a mérité sept vengeances, j'en ai encouru, moi, septante fois sept. Pourquoi, par quelle raison ? En effet, bien qu'il ait été homicide et même fratricide, cependant il n'avait point devant les yeux l'exemple d'un homme qui eût osé un pareil crime, qui en eût été châtié, qui eût par là attiré sur soi le poids de la colère de Dieu; deux circonstances aggravantes pour moi, puisque j'avais sous les yeux le double exemple du crime et du châtiment, et que je n'en ai pas été meilleur. C'est pourquoi, dusse-je subir septante fois sept vengeances, je n'aurais pas encore suffisamment payé ce que j'ai fait.

3. Voyez-vous, mon cher auditeur, comment Dieu a créé nôtre volonté libre et maîtresse de ses déterminations; comment, lorsque nous tombons, c'est notre négligence qui en est cause, et comment, lorsque nous voulons être vigilants, nous savons clairement distinguer le devoir? Qui donc, dites-moi, a poussé cet homme à faire une telle confession? Personne, si ce n'est la conscience, cet incorruptible juge. Après que, suivant le penchant de la mauvaise nature, il eut mis à exécution un dessein coupable, aussitôt la conscience se souleva en lui en élevant la voix contre l'énormité des crimes commis et en lui dénonçant de combien de punitions il s'était rendu passible. Tel est le péché avant qu'il soit commis et accompli, il obscurcit le raisonnement et trompe l'esprit. Mais lorsqu'il est consommé, c'est alors que nous en voyons clairement l'absurdité; et ce rapide et absurde plaisir s'envole, nous laissant après lui une douleur durable; il s'envole, emportant avec soi cette noble assurance qui faisait la joie de la conscience, après y avoir substitué la honte dans laquelle reste abîmé le malheureux pécheur. Le Dieu bon nous a attaché cet accusateur intime, avec ordre de ne jamais nous quitter, de crier sans cesse, en nous demandant compte de nos prévarications. Il ne faut, pour s'en convaincre, que consulter l'expérience. Le fornicateur, l'adultère, ont beau n'avoir pas été surpris, ils n'en sont pas plus tranquilles; grâce à cet énergique et infatigable accusateur, ils ont peur des soupçons, ils tremblent pour une ombre, ils craignent ceux qui savent, ceux qui ne savent pas, c'est dans leur âme une tempête- incessante, des flots succédant aux flots. Le sommeil, pour un tel homme, n'a plus de douceur, il n'a plus que des craintes et des terreurs. Rien ne le récrée, rien n'apaise son trouble intérieur: ni la suavité des mets, ni le charme d'une conversation amicale. Après cette mauvaise action, faite cependant sans témoin, il est comme s'il portait partout en lui-même un bourreau qui le flagellerait toujours. Telles sont les peines qu'il endure sans autre juge, sans autre accusateur que lui-même.

Si cependant le coupable veut profiter des avertissements de sa conscience, recourir à la confession de ses fautes, montrer sa blessure au médecin spirituel qui l'attend pour le guérir et non pour lui faire des reproches, s'il veut recevoir ses remèdes, s'entretenir seul à seul avec lui sans témoin et tout dire sans rien dissimuler, il obtiendra vite et facilement l'absolution de ses péchés. La confession du mal qu'on a fait est l'abolition des péchés commis. Si Lamech n'a pas refusé d'accuser devant ses femmes les meurtres commis par lui; de quel pardon serons-nous dignes, nous, si nous ne voulons pas accuser nos péchés devant Celui qui sait exactement jusqu'à la moindre de nos fautés? Car il n'ignore rien et ce n'est pas pour s'instruire qu'il veut que nous nous confessions, puisqu'il sait toutes choses avant même qu'elles arrivent. Il commande la confession afin que nous ayons nous-mêmes le sentiment de nos fautes, et afin que nous fassions preuve de bonne volonté à son égard. Est-il question en cela de grandes dépenses à faire, de longs voyages à entreprendre? Le traitement à subir est-il pénible et douloureux? Au contraire, la guérison a lieu sans frais, sans douleur et promptement. Le divin Médecin approprie ses remèdes au degré de bonne volonté de celui qui vient à lui pour être guéri de ses blessures. Que celui donc qui veut promptement (123) recouvrer la santé et soigner les plaies de son âme, vienne au médecin, l'âme sobre et vigilante, et dégagée de toutes les préoccupations séculières, qu'il répande d'abondantes larmes, qu'il donne des marques d'une grande assiduité, qu'il apporte une foi ferme et une entière confiance dans la science du médecin, et il ne tardera pas à retrouver sa santé. O médecin dont la bonté efface celle du père le plus tendre ! Est-il rien de moins pénible et de moins dur que les conditions qu'il demande de nous, la contrition du coeur, la componction de l'âme, l'aveu de la faute, une assiduité constante? Et il ne nous fait pas seulement la grâce de guérir nos blessures, mais il en efface jusqu'à la moindre trace. Nous étions auparavant accablés du poids de mille péchés et il nous fait justes. O miséricorde infinie, bonté incomparable! Un pécheur vient, il confesse ses péchés, il en demande pardon, il montre une ferme résolution de ne plus pécher à l'avenir, et le voilà juste. Et pour que vous ne doutiez pas de ce miracle, écoutez cette parole du prophète : Dis tes péchés le premier, afin que tu sois justifié. (Isaï. XLIII, 26.) Il ne dit pas simplement : dis tes péchés, mais il ajoute : le premier; c'est-à-dire, n'attends pas qu'un autre t'accuse et te convainque; préviens l'accusation, hâte-toi de prendre la parole, ferme cette bouche étrangère qui parlerait contre toi.

4. Voyez-vous la clémence du juge ? Devant les tribunaux humains, si un accusé suivait cette conduite ; si, prévenant les preuves, il avouait tout ce qu'il a fait, il s'épargnerait peut-être la question avec ses épreuves et ses tortures, si toutefois il avait affaire à un juge clément; mais la sentence qui condamne au dernier supplice, il ne l'éviterait certainement pas. Quant à notre Dieu, ce charitable médecin de nos âmes, sa bonté est infinie, et sa miséricorde ineffable. Si nous prenons les devants sur notre adversaire, sur le diable qui se fera notre accusateur au. dernier jour et qui l'est déjà dès cette vie, si nous faisons notre confession avant que de comparaître devant le tribunal, si de nous-mêmes nous prenons la parole pour nous accuser, nous exciterons la miséricorde du souverain Juge, au point que non content de nous absoudre de nos fautes, il inscrira encore notre nom parmi ceux des justes.

Lamech n'était instruit par aucune loi positive; il n'avait pas entendu de prophètes, il n'obéissait à aucune exhortation venue du. dehors, il n'avait que sa conscience pour lui faire sentir la gravité de ses fautes, et néanmoins cette voix intérieure suffit pour lui arracher l'aveu et la condamnation de ce qu'il avait fait, et nous serions excusables, nous, de ne pas montrer soigneusement nos blessures au médecin charitable qui n'exige que cela pour les guérir ! Et cette confession, si nous ne la faisions pas maintenant que le temps du jeûne nous en offre l'occasion propice, par le calme qu'il a mis dans nos pensées, par .l'exclusion qu'il a donnée à toute espèce de volupté, quand donc pourrions-nous rentrer en nous-mêmes de manière à mettre ordre aux affaires dé notre conscience ? Soyons donc sobres et vigilants, je vous en conjure, consacrons-nous tout entiers à cette affaire importante, et à force d'assiduité et de soin évitons un châtiment qui sera si sévère, sauvons-nous du feu de l'enfer. C'est maintenant qu'il y faut travailler, maintenant que le temps du jeûne vous offre plus de ressources parles fréquentes instructions que vous recevez.

Or, Adam connut Eve sa femme, et celle-ci ayant conçu, enfanta un fils, et elle le nomma Seth, disant : Dieu m'a suscité une autre postérité à la place d'Abel, que Caïn a tué. Arrêtant la liste généalogique à Lamech, la sainte Ecriture remonte à Adam et à sa femme, et dit : Or, Adam connut sa femme, et celle-ci ayant conçu, enfanta un fils, et elle le nomma Seth, disant : Dieu m'a suscité une autre postérité ci la place d'Abel tué par Caïn. Elle enfanta, est-il écrit, un fils, et elle lui donna le nom de Seth. Non contente d'avoir donné un nom à son nouveau-né, la mère ajoute encore : Dieu m'a suscité une autre postérité ci la place d'Abel tué par Caïn. Remarquez le soin que prend cette mère, par le nom qu'elle donne à son fils, de perpétuer la mémoire de ce crime abominable; c'est afin que les générations futures apprennent le meurtre commis par Caïn, qu'elle dit : au lieu d'Abel tué par Caïn. Parole d'une mère affligée par la douleur, troublée par le souvenir d'un triste événement, parole d'action de grâce pour le fils que Dieu envoie, mais parole qui, dans le nom du nouveau-né, imprime d'une manière. ineffaçable le crime d'un autre fils. Et en vérité, quel deuil amer Caïn n'avait-il pas causé à ses parents, lorsqu'il avait armé sa main contre son frère, lorsqu'il leur avait fait voir cet enfant si tendrement (124) aimé, étendu par terre, mort, privé de mouvement. Adam avait bien entendu prononcer son arrêt : Tu es terre et tu retourneras en terre; et encore : Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort; mais jusque là la sentence était demeurée en paroles, et nos premiers parents n'avaient pas encore vu ce que c'était que la mort; Caïn poussé par sa haine contre son frère, et par l'envie qui le rongeait intérieurement , se jeta sur Abel et le tua, et il fit voir à ses parents un horrible spectacle. C'est pourquoi la mère, à qui la naissance d'un nouvel enfant aidait à soulever un peu le poids de son deuil, rend grâce au Seigneur de la consolation qu'il lui accorde, mais en même temps elle veut perpétuer le souvenir du fratricide, punissant ainsi à son tour le coupable d'un nouveau et sévère châtiment.

Voyez-vous quel mal c'est que le péché ; comme il inflige une marque publique de honte et d'infamie à ceux qui le commettent; comme après avoir privé Caïn du secours d'en-haut, il en a fait le jouet du monde ? Voyez-vous comme, par son détestable péché, il est devenu odieux même à ses parents, que la nature cependant incline si fort à la tendresse pour leurs enfants. Fuyons donc, je vous en conjure, ce péché qui nous environne de tant de maux, et embrassons la vertu, qui nous procurera la faveur céleste, et éloignera de nous la punition.

Et il naquit un fils à Seth : et il lui donna le nom d’Enos ; celui-ci mit sa confiance à invoquer le nom du Seigneur. Remarquez ici de quelle manière les hommes prennent peu à peu l'habitude. de témoigner à Dieu leur reconnaissance dans les noms qu'ils donnent à leurs enfants. Seth eut donc un fils et il le nomma Enos, raconte la sainte Ecriture ; puis pour interpréter le sens de ce nom elle ajoute : Celui-ci mit sa confiance à invoquer le nom du Seigneur. Aussi est-ce par Seth, et par Enos et leurs descendants que le bienheureux Prophète établira sa généalogie; désormais il laisse de côté Caïn et sa descendance depuis Lamech. Caïn a perdu son privilège de naissance, je veux dire son privilège de premier-né : il l'a perdu librement par sa méchanceté, et lui et sa postérité sont exclus de la liste. Au contraire, Seth obtient par sa vertu une prérogative que la nature lui a refusée: les droits de primogéniture lui sont transférés en dépit de la nature, parce que sa volonté s'est tournée vers le bien , et ses descendants sont appelés à l'honneur de former la généalogie des premiers ancêtres de l'humanité. Enos fut ainsi appelé à cause de sa confiance à invoquer le nom du Seigneur Dieu, et ceux qui naîtront de lui porteront le même nom. Ici notre bienheureux Prophète suspend sa narration, et remonte encore une fois à l'origine pour commencer un autre récit.

5. Mais ne nous lançons pas dans ce nouveau chapitre, pour ne pas prolonger notre instruction au delà des bornes; à l'exemple de l'auteur sacré, arrêtons-nous à cet endroit, et remettons- à une autre fois, si Dieu le permet, l'explication de la suite. Maintenant je voudrais exhorter votre charité à profiter de plus en plus de notre enseignement, à vous examiner chaque jour, vous demandant à vous-mêmes quel fruit vous avez retiré de telle instruction, quel fruit de telle autre; à ne pas vous contenter de recevoir nos paroles dans vos oreilles sans les faire pénétrer plus loin, mais à leur ouvrir vos coeurs pour qu'elles s'y fixent à demeure, affermies et fortement implantées par la méditation. Je voudrais aussi que; non contents de vous instruire pour vous-mêmes, vous devinssiez des .maîtres pour les autres, pour les avertir et les guider dans le chemin de la vertu, non-seulement par vos paroles, mais surtout par vos exemples. Songez que si vous vouliez, chaque fois que vous venez ici, en remporter quelque fruit, corriger quelque chose des mauvaises passions qui vous tourmentent, songez en combien peu de temps vous pourriez parvenir au faite même de la vertu. En effet, nous n'oublions jamais dans nos instructions de vous inculquer lés principes de la vie parfaite, afin de vous amener à extirper de vos âmes ces passions qui leur donnent la mort, telles que la colère, la jalousie, l'envie. Celles-là supprimées, votre amour déréglé des richesses se corrigera plus aisément, et quand vous l'aurez enfin éteint, il vous sera beaucoup plus facile de vous défaire de vos pensées déshonnêtes, de vos impures imaginations.

La racine de tous les maux, c'est en effet l'amour de l'argent. (I Tim. VI, 10.) Si donc nous tranchons la racine, si nous l'arrachons entièrement, nous viendrons ensuite facilement à bout des rameaux. Oui, dirai-je à mon tour, la forteresse des maux, la citadelle de tous les péchés, c'est la rage des richesses, et si nous voulions en triompher, nous aurions (125) beau jeu pour nous débarrasser de toutes les funestes passions qui en dépendent. Et ne pensez pas que ce soit une chose bien grande et bien difficile que de mépriser les richesses. Lorsque je considère que tant d'hommes qui, pour une frivole satisfaction à donner à leur vanité, sacrifient de si grosses sommes pour rien, pour gagner la faveur de cette vile multitude, de cette populace en haillons qui encombre les places d'une ville, faveur qui prend fin avec le soir, qui n'attend pas même souvent le soir pour se dissiper, faveur qui produit quelquefois tant de déboires même avant que le jour finisse; lorsque je considère aussi ces autres qui, chez les Gentils, conçoivent une telle passion pour la gloire qu'ils renoncent à tout ce qu'ils possèdent pour l'acquérir, ne se réservant qu'un vieux manteau avec un bâton, qu'ils se résignent à passer ainsi toute leur vie, à supporter toute cette peine et cette misère parce qu'ils espèrent s'acquérir ainsi un peu de renommée chez les hommes; lorsque je réfléchis à ces choses, je ne sais plus sur quelle excuse, sur quel pardon nous pouvons compter, nous qui n'avons pas le courage de nous imposer les plus légers sacrifices pour accomplir les commandements de Dieu, pour acquérir une immortelle et impérissable gloire. Oui, nous faisons moins que ces hommes, et cependant quelle différence entre les récompenses à conquérir ! Eux, c'est pour le gain d'une vaine renommée parmi les hommes leurs semblables qu'ils font ces grands sacrifices, au lieu que nous c'est pour notre Maître, pour Celui de qui nous tenons tout, pour Celui qui nous promet encore d'ineffables biens, que nous ne voulons pas même donner la plus petite aumône à un pauvre !

Et de quels yeux regarderons-nous notre Juge après avoir négligé un commandement si facile? Je ne vous demande pas de renoncer à tous vos biens. Jouissez largement de votre abondance, et lorsque vos besoins seront satisfaits, employez à un usage nécessaire ce que vous avez de superflu et d'inutile; distribuez-le, ce superflu, à ceux qui souffrent de la faim, à ceux qui grelottent de froid, et, par leur moyen, envoyez-le dans votre patrie où vous irez bientôt le retrouver. Ces malheureux vous serviront beaucoup au transport de vos richesses dans l'autre monde; et quand vous y arriverez, vous les retrouverez parfaitement conservées, en sorte que vous vivrez dans l'abondance, grâce à ces biens ainsi transportés, et même multipliés par la bonté de Dieu. Est-ce donc là une chose bien difficile, bien laborieuse, bien épineuse? Ce transport s'effectue sans bête de somme, sans escorte, sans aucun appareil. Nul voleur ne fréquente cette route et ne peut dérober ce que vous expédiez ainsi. Ce que vous mettez dans les mains des pauvres, vous le déposez en lieu sûr; puisque vous le déposez dans la main de Dieu. Elle conservera votre dépôt intact, cette main divine et lorsque vous entrerez dans votre patrie elle vous le rendra; elle vous le rendra avec des éloges, avec des couronnes, avec la plénitude d'un bonheur sans limites comme sans déclin. Ainsi donc versez, versez vos richesses et vos épargnes dans le sein des pauvres; semons tandis qu'il en est temps, afin que nous moissonnions quand la saison sera venue; ne laissons point passer le temps opportun, notre négligence serait suivie de regrets inutiles.

Si Dieu vous a départi les biens de ce monde plus largement qu'à d'autres, est-ce donc pour qu'employant à votre seul usage une partie de ce qu'il vous donne, vous entassiez le reste dans vos coffres et dans vos greniers? Non, il n'en est pas ainsi; mais selon la parole de l'Apôtre, il veut que votre abondance subvienne à l'indigence de vos frères. (II Cor. VIII, 14.) Et peut-être usez-vous de ces biens plus qu'il n'est permis, dépensant votre argent en voluptés, en vêtements, en luxe de toutes sortes, en esclaves, en bêtes de toutes espèces? Le pauvre ne demande rien de tout cela; ce qu'il attend de vous, c'est que vous apaisiez sa faim, que vous lui donniez le pain de chaque jour, que vous lui procuriez les autres choses nécessaires pour qu'il vive, qu'il ne périsse pas, et vous ne daignez pas le faire ! et cependant vous devriez songer que là plupart du temps, subitement enlevé , vous abandonnez tout ce que vous avez amassé, parfois à des étrangers, à des ennemis; et vous, que vous reste-t-il ? vos péchés que vous avez commis pour amasser ces biens, voilà tout ce que vous emportez avec vous. Et que direz-vous en ce jour terrible ? comment vous excuserez-vous d'avoir traité avec tant de négligence l'affaire de votre salut? Ainsi écoutez mes conseils , et pendant qu'il en est encore temps, distribuez vos richesses superflues aux pauvres, c'est le moyen d'assurer votre salut en l'autre monde et d'obtenir, en échange de vos biens périssables, des biens immortels que je vous souhaite à tous, (126) par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, .avec qui soient, au Père et au Saint-Esprit , gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. JEANNIN.

 

 

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