HOMÉLIE XXX

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TRENTIÈME HOMÉLIE. « Toute la terre avait une même, langue et une même parole. » (Gen. XI, 1.)

 

ANALYSE.

 

1. L'orateur exhorte ses auditeurs à la vigilance, il parle des heures qui étaient en ce temps-là plus ou moins longues selon la durée des jours, de la confession des péchés, de la semaine que l'on nomme grande. — 2. La nature humaine ne sait pas se contenter; elle est toujours inquiète. Les descendants de Noé vont habiter la terre de Sennaar ; à peine y sont-ils qu'ils veulent construire une tour qui aille toucher le ciel : vanité. — 3. Contre ceux qui veulent éterniser leur mémoire sur la terre par des bâtiments et des édifices. Le Seigneur descendit, explication de cette parole. — 4. Après avoir dit : le Seigneur descendit, la sainte Ecriture ajoute ces paroles qu'elle met dans la bouche du Seigneur et que le Seigneur adresse à des égaux: Venez, et descendons.

 

1. Nous voici enfin au terme de la sainte Quarantaine , nous avons achevé la navigation du jeûne, et, par la grâce de Dieu, nous touchons au port. Mais que cela ne nous rende pas négligents, que ce soit pour nous, au contraire, une raison de redoubler de zèle, d'activité et de vigilance. Quand les matelots ont traversé plusieurs mers à voiles déployées et qu'ils vont entrer dans le port, après avoir déchargé leurs marchandises, c'est alors qu'ils (203) ont le plus de soin et d'attention de ne pas choquer une pierre ou un écueil, et perdre ainsi le fruit de leurs peines passées. C'est aussi ce que font les coureurs; quand ils arrivent au bout de l'arène , ils pressent leur course pour toucher le but et mériter le prix. Les athlètes encore, après bien des combats et des victoires, lorsqu'il faut disputer la couronne, cherchent à l'obtenir en redoublant leurs efforts. Ainsi, de même que les matelots, les coureurs, les athlètes, en approchant du terme, sont de plus en plus actifs et vigilants; de même devons-nous faire , puisque nous sommes arrivés, grâce à Dieu , dans cette sainte semaine où nous devons jeûner avec plus de rigueur, prier avec plus de ferveur, faire des confessions plus sincères et plus complètes de nos péchés, et redoubler de bonnes œuvres, larges aumônes, justice , douceur et toutes les autres vertus, afin qu'avec de pareils soutiens, quand nous serons arrivés au dimanche de Pâques, nous jouissions de la libéralité du Seigneur. Nous disons que c'est là une grande semaine , non pas que les heures y soient plus longues, car il y en a où les heures de jour sont bien plus grandes; ce n'est pas qu'elle ait plus de jours que les autres, car elles en ont toutes le même nombre. Pourquoi donc l'appelons-nous grande? Parce que c'est celle où nous sont arrivés des biens grands et inexprimables. C'est dans cette semaine qu'on a vu cesser la guerre qui avait duré si longtemps, mourir la mort, lever la malédiction, briser la tyrannie du démon et enlever ses armes, réconcilier Dieu avec les hommes, ouvrir les portes du ciel, réunir les hommes aux anges; rapprocher ce qui était séparé, supprimer la haie , écarter la barrière et s'étendre la paix de Dieu sur toutes les choses du ciel et de la terre. Voilà pourquoi nous l'appelons la grande semaine, puisque c'est celle où le Seigneur nous a accordé tant et de si grands bienfaits. Voilà pourquoi tant de fidèles redoublent alors les jeûnes, les veilles, les méditations nocturnes et les aumônes, afin de montrer le respect qu'ils doivent à cette semaine. Car, puisque c'est celle où le Seigneur nous a fait des dons si précieux, ne devons-nous pas, autant qu'il est en notre pouvoir , lui témoigner notre hommage et notre respect ?

Aussi les empereurs eux-mêmes montrent par leurs ordonnances quelle vénération doit s'attacher à ces jours, puisqu'ils décident qu'il y a congé et vacances pour tous les offices civils, que les portes des tribunaux sont fermées et que l'on écarte toute apparence de procès et de discussions pour que l'on puisse s'occuper tranquillement et en repos de ses affaires spirituelles. Outre cela, ils donnent encore une preuve de générosité en délivrant les prisonniers de leurs chaînes, et en imitant ainsi Dieu autant que la puissance humaine le comporte. De même, en effet, que Dieu nous délivre de la cruelle prison de nos péchés et nous comble de biens innombrables; de même nous devons nous efforcer, autant qu'il est en nous, d'imiter la miséricorde de Dieu Notre-Seigneur. Vous voyez donc que chacun de nous, suivant sa position, rend l'honneur et le respect qu'il doit à ces jours où nous avons reçu tant de bienfaits. Aussi je vous prie plus que jamais de repousser toutes les idées temporelles et de ne venir ici qu'après en avoir avec soin débarrassé votre esprit. Que personne n'apporte dans l'église ses préoccupations temporelles, afin de pouvoir remporter au logis la digne récompense de ses peines. Je vous ai donc préparé notre banquet accoutumé; le festin que j'offre à votre charité est emprunté à la lecture que vous avez entendue d'un passage du bienheureux Moïse : je vais vous l'expliquer en vous signalant toute la précision de l'Ecriture sainte. Après avoir terminé l'histoire du bienheureux Noé, elle expose de même la généalogie de Sem, et dit: Et des fils naquirent à Sem, le père de tous les enfants d'Héber et le frère de Japhet, l'aîné des fils. Après en avoir donné la liste, elle dit : Deux fils naquirent à Héber ; le nom de l'un d'eux fut Phalec, car de soie temps la terre fut divisée. Voyez comme elle fait pressentir par le nom de cet enfant le miracle qui doit bientôt survenir, afin qu'on ne s'étonne point de le voir s'accomplir ensuite , puisqu'il était prédit par le nom de l'enfant. Car après avoir ainsi fait la liste de ceux qui sont nés ensuite, elle dit: Toute la terre avait une même langue et une même parole. Ce n'est point de la terre qu'elle parle, mais du genre humain, pour nous apprendre que la race humaine ne parlait d'abord qu'un seul langage. Et toute la terre n'avait qu'une même langue et une même parole. Ici langue signifie idiome, et le mot parole veut dire la même chose : voilà ce qu'elle entend par l'usage d'une même langue et d'une même parole. Pour voir que le mot langue signifie langage, écoutez cet autre (204) passage de l'Ecriture : Le venin des serpents est sous leurs langues (Ps. CXXXIX, 4): ainsi, par le mot langue, l'Ecriture entend langage. Et il arriva, comme ils partirent d'Orient, qu'ils trouvèrent une campagne dans la terre de Sennaar, et ils y habitèrent.

2. Voyez comme la nature humaine ne peut rester dans ses limites propres, mais comme toujours ambitieuse, elle cherche de nouveaux avantages. Ce qui la perd c'est de ne pas connaître les bornes qui lui sont imposées, de chercher toujours mieux qu'elle n'a et plus qu'elle n'est appelée à avoir. Aussi ceux qui soupirent après les biens du monde, s'ils. sont entourés de richesses et de puissance, arrivent à oublier leur nature et veulent s'élever au faîte des grandeurs, jusqu'à ce qu'ils en soient précipités jusqu'au fond de l'abîme. C'est ce que nous voyons arriver à quelques-uns tous les jours sans que cela rende les autres plus sages :l'exemple retient un instant, mais bientôt on oublie tout, on suit la même route et l'on tombe dans le même précipice. Nous en voyons ici un exemple. Et il arriva, comme ils partirent d'Orient, qu'ils trouvèrent une campagne dans la terre de Sennaar, et ils y habitèrent. Voyez comme nous reconnaissons peu à peu l'instabilité de leur pensée. Quand ils virent cette campagne, ils émigrèrent, abandonnèrent leur premier établissement et habitèrent là. L'Ecriture dit ensuite : Chacun dit à son voisin : Venez, faisons des briques et cuisons-les au feu. Ainsi ils rendirent les briques comme de la pierre et le bitume leur servait de ciment. Et ils dirent Venez, bâtissons-nous une ville et une tour dont la tête monte jusqu'au ciel, afin de nous faire un nom avant d'être dispersés sur toute la terre. Vous voyez comment ils abusent de leur idiome commun , et comment cette orgueilleuse proposition engendre tous leurs maux. Venez, faisons des briques et cuisons les au feu : Ainsi, ils rendirent les briques comme de la pierre, et le bitume leur servait de ciment. Voyez avec quelle sécurité ils songent à édifier sans penser à cette vérité : Si le Seigneur n'aide pas à élever la maison, ceux qui la construisent travaillent en vain. (Ps. CXXVI, 1.) Bâtissons-nous, disent-ils, une ville : non pour Dieu, mais pour nous. Voyez jusqu'où va eur perversité ! malgré le souvenir si présent encore de la destruction universelle , ils n'en tombent pas moins dans une pareille folie. Et bâtissons-nous, disent-ils, une ville et une tour dont la tête monte jusqu'au ciel. Par ce mot de ciel, l'Ecriture sainte a voulu nous montrer l'excès de leur audace. Et faisons-nous un nom. Remarquez ici le germe du mal. C'est afin, disent-ils,,de laisser un souvenir éternel, afin que notre mémoire vive toujours. Cette oeuvre, cet édifice sera tel que l'oubli ne pourra l'effacer. Faisons cela avant d'être dispersés sur la surface de toute la terre. Pendant que nous sommes encore ensemble, disent-ils, accomplissons ce projet, afin de laisser un souvenir ineffaçable aux générations futures.

Il y a encore maintenant bien des gens qui les imitent et qui veulent éterniser leur nom par des travaux semblables, en construisant des palais, des bains, des portiques ou des promenades. Si vous demandez à un de ces hommes pourquoi il travaille et se fatigue ainsi, pourquoi il dépense tant d'argent et aussi inutilement, il vous répondra aussi que c'est pour sauver sa mémoire de l'oubli et pour- que l'on dise que c'est sa maison ou son champ. Mais ce n'est pas là glorifier sa mémoire, c'est plutôt l'accuser. Car ce nom sera suivi aussitôt de mille qualifications injurieuses; on dira qu'un tel est avare, avide, spoliateur de la veuve et de l'orphelin. Ce n'est donc pas là se faire un nom, mais se mettre en butte à d'éternelles accusations qui poursuivent même après la mort et aiguiser les langues pour maudire et condamner la possession de tous ces biens. Si vous tenez absolument à laisser un souvenir ineffaçable, je vous montrerai le chemin pour y parvenir tout en vous ménageant des éloges et des bénédictions même- dans l'avenir. Comment pourrez-vous donc faire parler de vous chaque jour et mériter des louanges même après avoir quitté cette vie ? C'est en distribuant ces richesses aux pauvres, sans vous occuper de pierres, de palais, de campagnes et de bains. Voilà un souvenir immortel, voilà un souvenir qui vous procure mille trésors, qui vous aide à porter le poids de vos. péchés et vous réconcilie avec Dieu. Songez, je vous prie, aux noms que chacun vous donnera, en vous appelant compatissant, humain, doux, généreux, inépuisable dans ses charités. Il a donné, partagé son bien aux, pauvres. Sa justice demeure éternellement. (Ps. III, 9.) Voilà ce qui arrive des richesses ainsi répandues, elles subsistent, mais accumulées et renfermées, elles perdent leur maître avec elles. Il a donné, partagé son bien aux pauvres. Mais remarquez la suite . Sa (205) justice demeure éternellement. Il a distribué ses richesses en un jour, mais sa justice demeure dans l'éternité et rend sa gloire immortelle.

3. Vous avez vu quel est ce souvenir qui s'étend jusqu'à l'éternité, ce souvenir qui procure des biens immenses et inépuisables. Cherchons donc à nous éterniser par des travaux de cette nature; car les travaux de pierres entassées non-seulement ne peuvent nous profiter, mais élèveront la voix contre nous comme un monument d'infamie. Nous partons en emportant tous les péchés dont tous ces édifices ont été l'occasion pour nous; mais quant aux édifices eux-mêmes, nous les laissons, et nous n'avons même pas la frivole et inutile consolation d'y laisser notre nom, nous n'en retirons que des accusations, et bientôt on les appellera du nom d'un autre. En effet, c'est ce qui arrive : une propriété passe d'un premier maître à un second, puis d'un second à tin troisième. Aujourd'hui la maison porte un nom, demain elle en porte un autre, le jour suivant un autre encore. Nous nous trompons volontairement croyant avoir une propriété tandis que ce n'est qu'un usufruit et que, bon gré, mal gré, il faudra le laisser à d'autres. Ce ne sera pas toujours à ceux que nous aurions choisis, mais je n'insiste pas là-dessus. Mais si vous avez une telle passion de célébrité, si vous attachez tant de prix au souvenir, voyez celui que les veuves avaient gardé de Tabitha, comment elles entouraient Pierre en pleurant et en montrant les tuniques et les robes que cette Dorcas leur avait faites quand elle vivait parmi elles. Après qu'elles eurent entouré Pierre en pleurant à chaudes larmes, en se rappelant la nourriture et les secours qu'elles recevaient, Pierre les fit sortir toutes, se mit à genoux et pria; après l'avoir ressuscitée il rappela les saints et les veuves et la leur présenta vivante. (Act. IX, 39, 41.) Si donc vous voulez que votre souvenir demeure; si vous aimez la véritable gloire, imitez cette femme. Laissez des monuments semblables, non pas construits avec des matériaux achetés à grands frais, mais en déployant toute votre charité envers vos semblables. C'est là une mémoire digne d'éloges et véritablement profitable i

Mais revenons à notre sujet et voyons toute (audace des hommes de ce temps. Si nous voulons y bien regarder, leurs passions seront un enseignement pour vous. Bâtissons-nous, disent-ils, une ville et une tour dont la tête monte jusqu'au ciel, afin de nous faire un nom avant d'être dispersés sur la terre. Voyez-vous comme ils montrent toute la corruption de leur âme. Bâtissons-nous une ville et faisons-nous un nom. Mais voyez qu'après une extermination aussi épouvantable les hommes n'en ont pas moins de vices. Qu'arrivera-t-il? Comment seront-ils punis de leur extravagance? Dieu a promis que, fidèle à sa bonté, il ne ferait plus de déluge; mais les hommes ne se sont point corrigés par les châtiments, ni rendus meilleurs parles bienfaits.

Ecoutez la suite pour connaître l'ineffable miséricorde de Dieu. Le Seigneur Dieu descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Voyez comme l'Ecriture s'exprime au point de vue humain. Le Seigneur Dieu descendit. Ne comprenons point cela d'une manière purement humaine, mais comme une leçon, pour nous montrer qu'il ne faut jamais condamner légèrement ses frères et qu'il ne faut point juger seulement sur des propos vagues, mais s'assurer par des preuves certaines. Telle est toujours l'intention de Dieu, et c'est pour instruire le genre humain qu'il s'abaisse jusque notre langage. Et le Seigneur Dieu descendit pour voir la ville et la tour. Vous voyez qu'il ne réprime pas leur folie dès l'abord, il fait preuve d'une grande patience et attend que toute leur perversité se soit montrée dans leur oeuvre avant de s'opposer à leurs efforts. Afin qu'on ne puisse pas dire que tout était resté en projet dans leur esprit, mais qu'ils n'avaient rien entrepris, Dieu attend qu'ils aient en effet commencé leur ouvrage, pour montrer combien leur tentative était insensée. Et le Seigneur Dieu descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Voyez l'excès de sa miséricorde ! s'il les a laissés travailler et se fatiguer, c'était afin que l'expérience fût pour eux une instruction suffisante. Mais quand il vit que leur malice augmentait et que le mal gagnait toujours, il montra encore sa bonté en les empêchant de continuer, de même qu'un bon médecin, quand il voit le mal s'accroître et la plaie devenir incurable a recours à l'amputation pour enlever la cause de la maladie. Et le Seigneur Dieu dit : Celle race n'a qu'une langue, la même pour tous. (c'est-à-dire le même langage, le même idiome.) Ils ont commencé cette oeuvre et ne cesseront pas de travailler à leur entreprise.

4. Remarquez la bonté de Dieu voulant (206) arrêter leurs efforts, il commence par expliquer sa conduite; il montre du doigt, pour ainsi dire, la grandeur de leur faute et l'excès de leur folie, il fait voir .qu'ils ont abusé de cette communauté de langage. Cette race, dit-il, n'a qu'une langue. Ils ont commencé cette oeuvre et ne cesseront pas de travailler à leur entreprise. C'est, en effet, l'usage de Dieu, quand il s'apprête à punir, de faire ressortir. d'abord la grandeur des péchés, afin d'expliquer sa conduite, avant de corriger les coupables. A l'époque du déluge, alors qu'il faisait cette terrible menace, l'Ecriture dit: Le Seigneur Dieu voyant que les vices des hommes se sont multipliés et que chacun, depuis sa jeunesse; ne nourrit dans son coeur que des idées perverses. (Gen. VI, 5.) Voyez-vous comme il commence par montrer l'excès de leurs vices? et il dit ensuite : Je détruirai l'homme; et maintenant : Cette race n'a qu'une langue, la même pour tous, et ils ont commencé cette oeuvre. Puisque cet accord, qui provient de l'unité de leur langage, les a conduits à une pareille folie, ne les conduirait-il pas plus tard à des, actions encore plus coupables? Ils ne cesseront pas de travailler à leur entreprise; rien ne pourra arrêter leur élan et leur ardeur, mais ils s'empresseront de faire tout ce qu'ils ont résolu, si le châtiment ne les arrête à l'instant. On peut voir que Dieu a agi de même avec le premier homme; car au moment de le chasser du paradis, il dit : Qui t'a fait savoir que tu étais nu ? (Gen. III, 2) ; et plus loin il ajoute : Adam est devenu comme l'un de nous, pour connaître le bien et le mal. Et maintenant, il ne faut pas qu'il étende la main, ,qu'il prenne le fruit de l'arbre de vie et qu'il le mange pour vivre perpétuellement. Et le Seigneur Dieu le renvoya du paradis. (Gen.III, 22,23:) Maintenant il dit : Cette race n'a qu'une langue, là même pour tous : ils ont commencé cette couvre et ne cesseront pas de travailler à leur entreprise. Venez donc, descendons, et confondons leur langage, pour que personne ne comprenne son voisin.

Voyez encore dans ces paroles la condescendance de Dieu pour notre nature. Venez et descendons. Que veulent dire ces mots ? Dieu a-t-il besoin d'un aide pour corriger ou d'un secours pour punir? Non certes ! Mais, de même que l'Ecriture a déjà dit: Le Seigneur est descendu, nous indiquant par là qu'il avait examiné à fond l'excès de leur perversité, elle nous dit maintenant : Venez et descendons, paroles tout à fait dites comme à des égaux : Venez, dit-il, et descendons pour confondre leur langage, afin que personne ne comprenne son voisin. Je leur inflige , dit-il , une punition, qui , monument éternel de leur folie , durera perpétuellement, pour qu'aucun siècle ne puisse l'oublier. Car, puisqu'ils ont abusé de l'unité de langage, ils seront punis parla diversité des langages. C'est ainsi qu'agit constamment le Seigneur. Il l'a fait dès l'origine à l'égard de la femme, elle abusait des dons qu'elle avait reçus; il la soumit à son mari. Il en fut de même pour Adam; comme il n'avait pas profité de son bonheur parfait et du séjour du paradis, mais qu'il avait mérité d'être puni . pour sa désobéissance, Dieu le chassa du paradis, et lui infligea une punition perpétuelle, en lui disant : La terre te produira des épines et des chardons. (Gen. III, 18.) De même ces hommes qui jouissaient de l'unité de langage ayant fait un mauvais usage de ce don qu'ils avaient reçu , Dieu punit leur méchanceté par la diversité des idiomes. Confondons, dit-il, leur langage, afin que personne ne comprenne son voisin, afin que ces hommes, réunis tait que leur langage était le même, soient séparés quand il sera différent. Car ceux qui n'ont pas le même idiome et le même dialecte, comment pourraient-ils vivre ensemble? Le Seigneur-Dieu les dispersa de cet endroit sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour.

Vous voyez que Dieu, dans sa bonté, se borna, à les rendre incapables de persévérer; ils res. semblaient alors à des insensés. L’un demandait une chose à son voisin, qui lui en donnait une autre, et tous leurs efforts n'aboutissaient à rien. Aussi, ils cessèrent de bâtir la ville et la tour; c'est pourquoi on l'appela confusion, parce que c'était là que Dieu avait confondu les langues de la terre. De là le Seigneur Dieu les dispersa sur, toute la terre. Voyez comme tout a été fait pour que le souvenir en soit éternel. D'abord, la division des langues avait été pronostiquée à l'avance par un nom, celui de Phalec, qu'Héber avait donné à son fils, et qui signifie séparation. Ensuite l'emplacement même fut appelé confusion, ce qui correspond à Babylone. Enfin Héber lui-même conserva l'ancien langage pour que ce fût encore une preuve évidente de la division. Vous voyez de combien de manières Dieu a pourvu à ce que le souvenir (207) s'en conservât et que jamais un pareil événement ne pût s'oublier. Du reste, le père était ensuite obligé de dire à son fils la cause de cette diversité, et le fils demandait au père d'où venait le nom de cet endroit. Car on l'avait appelé Babylone, c'est-à-dire confusion, parce que c'était là que le Seigneur Dieu avait confondu les langues de toute la terre, et c'était à partir de là qu'il avait dispersé les habitants; en effet, le nom de cet emplacement me paraît s'appliquer aux deux choses, à la confusion des langues et à la dispersion des hommes.

5. Vous avez appris, mes bien-aimés, ce qui a causé la dispersion des hommes, ainsi que la confusion des langues. Evitons, je vous en conjure, d'imiter ces hommes et n'abusons jamais des bienfaits de Dieu; méditons sur la faiblesse de la nature humaine, pour modérer nos désirs comme il convient à des mortels; songeons à la fragilité de l'existence présente, à la brièveté de notre vie, et mettons notre confiance dans nos bonnes oeuvres. Pendant ces jours, ne montrons pas seulement la rigueur de notre jeûne, mais l'abondance de nos aumônes, et l'assiduité de nos prières. En effet, les prières doivent toujours accompagner le jeûne. Pour vous en assurer, écoutez le Christ: Ce genre de démons n'est chassé que par la prière et le jeûne. (Matth. XVII, 20). Et il est encore dit à propos des Apôtres: Après avoir prié et jeûné, ils les recommandèrent au Dieu auquel ils avaient cru. (Act. XIV, 22.) Et l'Apôtre dit encore: Ne vous privez point l'un de l'autre, excepté pendant la prière et le jeûne. (I Cor. VII, 5.) Vous voyez comme le jeûne et les prières se soutiennent. C'est alors que l'on peut prier avec plus d'attention, que notre esprit est plus dégagée, n'est point appesanti par le funeste fardeau de la sensualité. La prière est une arme puissante, un appui solide, un trésor inépuisable, un port sans orages, un asile inviolable, pourvu que nous nous présentions devant le Seigneur avec attention et vigilance, l'âme entièrement recueillie pour ne pas laisser la moindre place où puisse pénétrer l'ennemi de notre salut. Il sait, en effet, que pendant ce temps nous pouvons avoir des conversations édifiantes, confesser nos péchés, montrer nos plaies au médecin et en obtenir l'entière guérison ; aussi c'est alors surtout qu'il nous assiège, qu'il déploie toutes ses forces et son adresse pour nous terrasser ou nous séduire. Veillons donc , je vous en conjure, et connaissant les embûches qu'il nous dresse, efforçons-nous, surtout à cette époque, de le combattre comme si nous pouvions le voir présent devant nos yeux et de repousser toutes les pensées dont il voudrait nous troubler. Faisons tout notre possible pour parler à Dieu comme nous le devons, non pas seulement de manière à faire résonner notre voix, mais de sorte que notre pensée suive notre discours. Car si la langue profère les paroles, mais que l'esprit voyage au dehors regardant ce qui se passe à la maison , songeant aux affaires publiques, cela ne nous sert à rien, ou même concourt à notre condamnation. En nous présentant devant un homme, nous y attachons souvent tant d'importance, que nous ne voyons pas les assistants, mais nous recueillons notre esprit, pour ne songer qu'à celui que nous abordons: à plus forte raison devons-nous en faire autant avec Dieu, et penser constamment aux prières que nous disons.

Aussi Paul écrivait : Priez dans tous les temps, priez en esprit (Eph. VI, 18); non pas seulement -par la langue et sans interruption, mais par l'âme, en esprit. Que vos prières soient véritablement spirituelles, que votre raison soit attentive et votre pensée toujours dirigée sur ce que vous dites. Ne demandez rien qu'on ne puisse demander à Dieu, afin que vous puissiez l'obtenir. Ne vous laissez point aller au sommeil ni à l'engourdissement, maintenant votre esprit dans l'attention et la vigilance, sans bâiller, sans vous gratter, sans promener vos idées d'un sujet à un autre, mais en travaillant à votre salut avec crainte et tremblement. Bienheureux celui qui craint tout à cause de sa piété. (Prov. XXVIII, 14.) La prière est un grand bien: car si l'on en retire beaucoup de profit quand on s'adresse à un homme vertueux, quel avantage n'en retire-t-on pas quand on jouit du bonheur de s'entretenir avec Dieu?, car la prière est un entretien avec Dieu. Pour le savoir, écoutez le prophète. Que mon langage plaise à Dieu (Ps. CIII, 34), c'est-à-dire que ma parole paraisse agréable à Dieu. Peut-il accorder avant qu'on ne lui demande ? Mais il attend l'occasion qui nous rend avec justice dignes de sa providence. Que nos demandes soient exaucées ou non, persévérons dans nos prières et rendons grâces à Dieu , non-seulement quand elles sont satisfaites, mais quand elles ne le sont pas; si Dieu refuse, cela vaut autant pour nous que s'il accordait tout, (208) car nous ne savons pas comme lui ce qui nous convient. Et comment s'étonner de ce que nous ne sachions pas ce qu'il nous faudrait? Paul, cet homme si grand et si supérieur, à qui les mystères avaient été révélés, ne savait pas ce qu'il devait demander. Car se voyant soumis à tant de peines et de tentations renaissantes, il demanda d'en être délivré, non pas une fois ou deux, mais plusieurs fois. Trois fois, dit-il, j'ai imploré le Seigneur. (II Cor. XII, 8.) Ce mot, trois fois, montre qu'il a prié souvent sans être exaucé.

Voyons comment il l'a supporté. En est-il devenu plus chagrin, moins zélé, moins actif? Nullement. Mais que dit-il? Il m'a répondu. ma grâce te suffit; car la force s'accomplit dans la faiblesse. Ainsi Dieu ne l'a point délivré de ses maux présents, et les a laissés s'attacher à lui soit; mais comment voyons-nous qu'il ne s'en est pas affligé? Écoutez Paul quand il connut la volonté du Seigneur: Je me glorifierai donc volontiers dans mes faiblesses. Non-seulement, dit-il, je ne demanderai pas à en être délivré, mais je m'en glorifierai avec plus de plaisir. Voyez quelle reconnaissance , quelle piété ! Écoutez ce qu'il dit ailleurs : Nous ne savons ce que nous devons demander dans nos prières. (Rom. VIII, 26.) Il est impossible, dit-il; que nous autres hommes sachions tout. Il faut laisser cela au souverain Créateur de toutes choses, accepter avec joie et plaisir les épreuves qu'il nous envoie et ne pas juger les événements d'après l'apparence, mais considérer que c'est la volonté du Seigneur. Car c'est lui qui sait mieux que nous-mêmes ce qui nous convient, lui qui sait nous conduire à notre salut.

6. Ne songeons donc qu'à une chose, à prier constamment, sans nous fâcher si nos prières tardent à être exaucées, mais en montrant une grande patience. Si Dieu recule l'effet de nos prières, ce n'est pas pour nous refuser, mais c'est un moyen ingénieux qu'il emploie pour accroître notre assiduité et nous attirer sans cesse à lui : car un tendre père commence par refuser à son enfant ce qu'il veut pourtant bien lui donner , mais c'est pour le garder plus longtemps près de lui. Puisque nous le savons, ne désespérons jamais , ne cessons point d'avoir recours à lui et de lui adresser nos prières. Puisque la persistance de cette femme dont parle l'Evangile a fini par vaincre ce juge cruel et inhumain qui ne craignait même pas Dieu (Luc, XVIII, 2, etc.), et l'amener à lui rendre justice, à plus forte raison, si nous voulons imiter cette femme, nous engagerons notre doux et miséricordieux Seigneur a nous secourir , lui qui est si compatissant et qui veille si constamment à notre salut ! Prenons donc l'habitude invincible de nous livrer sans cesse aux prières le jour et la nuit ; mais surtout la nuit, quand rien ne nous trouble, quand nos pensées sont plus calmes , quand la maison est tranquille, quand personne ne peut nous distraire ou nous déranger, quand l'esprit s'élève et s'examine avec soin devant le médecin des âmes. Si le bienheureux David, en même temps roi et prophète, accablé de tant d'affaires, couvert de la pourpre et du diadème, disait : Je me levais au milieu de la nuit pour me confesser â toi sur les jugements de ta justice. (Ps. CXVIII, 62), que pourrions-nous dire, nous simples particuliers oisifs, qui n'en faisons pas autant que lui? Comme il était pendant tout le jour entouré de soins, d'affaires et d'embarras, et ne :trouvait pas le moment de se livrer à Dieu, ce roi si occupé prenait, pour se présenter au Seigneur, le temps de tranquillité que d'autres consacrent au sommeil sur une couche moelleuse où ils se retournent à droite et à gauche : alors il restait seul à seul avec Dieu, livré à une prière sincère et assidue; aussi obtenait-il tout ce qu'il demandait : ses supplications combattaient pour lui, élevaient ses trophées et gagnaient , victoire sur victoire. Il eut des armes invincibles, je veux dire le secours d'en-haut, qui suffit, non-seulement pour réussir dans les guerres humaines, mais aussi pour mettre en fuite les cohortes des démons. Écoutez encore ce qu'il dit ailleurs : Mes larmes étaient mon pain le jour et la nuit. (Ps. XLI, 4.) Voyez quelle componction continuelle! Et aussi: Mes souffrances m'ont fait gémir; chaque nuit je baignerai mon lit de mes larmes. (Ps. VI, 7.) Que pourrons-nous dire pour notre excuse, nous qui ne cherchons pas à montrer la même componction que ce roi entouré de tant d'occupations? Est-il rien de plus beau que ces yeux d'où les pleurs s'échappent sans cesse comme des perles? Voyez ce roi plongé jour et nuit dans les larmes et les prières; voyez aussi ce docteur du monde emprisonné et enchaîné avec Silas, priant toute la nuit, sans que sa douleur ni ses fers puissent l'en empêcher, et montrant au contraire un amour plus ardent pour le Seigneur. Paul et Silas priaient et louaient le Dieu ait milieu de la nuit. (Act. XVI, 25.)

David sur le trône et sous son diadème passait sa vie dans les larmes et les prières; l'Apôtre, ravi trois fois au ciel, à qui les mystères avaient été révélés, offrait au milieu de la nuit et dans les chaînes ses prières et ses louanges au Seigneur : le roi se réveillait à minuit pour confesser ses fautes, et les apôtres, à minuit, ne tarissaient pas de louanges et de prières. Rien ne peut nous faire obstacle, si nous sommes attentifs. Quel besoin avons-nous de temps et de lieu? Tous les temps, tous les lieux sont bons pour aller à Dieu. Ecoutez encore le précepteur du monde qui vous dit : Levez en tous lieux des mains pures sans colère et sans contestations. (I Tim. II , 8.) Si vous avez l'esprit délivré d'affections illicites, que vous soyez sur la place publique, à la maison, dans la rue ou en prison, sur la mer, dans une auberge, dans une boutique, partout enfin vous pouvez invoquer Dieu et être exaucé. Puisque nous savons tout cela, unissons, je vous eh conjure, les prières au jeûne, pour nous préparer le secours d'en-haut : fortifiés par cette assistance céleste, passons notre vie présente de manière à la rendre agréable à Dieu, et de mériter sa pitié pour l'avenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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