HOMÉLIE XXV

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VINGT-CINQUIÈME HOMÉLIE. « Noé avait six cents ans lorsque les eaux du déluge inondèrent la terre. »(Gen VII. 6.)

 

ANALYSE.

 

1 . Le texte qu'on vient de lire montre l'excellence de la bonté de Dieu et l'excès de la malice des hommes. — 2. De même que le repentir peut faire révoquer à Dieu ses menaces; ainsi, la persistance dans le péché le force quelquefois à envoyer le châtiment plus tôt qu'il ne l'avait annoncé. Dans le châtiment de la vie future, Dieu tient compte de ce que les pécheurs ont déjà souffert en ce monde. — 3. Nouveau délai de sept jours accordé aux hommes; saint Chrysostome affirme que ce délai eût suffi aux hommes pour obtenir leur pardon s'ils avaient voulu faire pénitence. — 4. Explication de ces mots : Dieu ferma l’arche par dehors. — 5. Noé le juste, recouvre dans l'arche l'ancien pouvoir du premier homme sur les animaux. — 6. Tableau de la destruction du monde par le déluge. — 7. Exhortation.

 

1. Je veux vous entretenir de nouveau du sujet qui nous a occupés hier, mes très-chers frères, et reprendre l'histoire du juste Noé. Les vertus de ce juste sont un trésor de richesses, et il est de notre devoir de faire tous les efforts dont nous sommes capables, de passer en revue, pas à pas, lentement, ces vertus, afin d'augmenter par là les richesses de vos âmes. Faites en même temps que moi des efforts; soyez attentifs, je vous en prie; ne laissez échapper ici aucune des pensées que nous allons trouver en réserve. Ce qu'il faut d'abord, c'est vous rappeler, mes frères, où s'est terminé l'enseignement d'hier , pour reprendre, aujourd'hui , notre discours à cet endroit; les paroles que nous avons aujourd'hui à vous faire entendre auront ainsi plus de clarté. Où s'est donc arrêté l'enseignement d'hier? Le Seigneur Dieu, dit le texte, dit à Noé : Entre, toi, et toute ta maison avec toi, dans l'Arche, parce que je t'ai vu juste et parfait devant moi, au milieu de cette génération; de tous les animaux purs, introduis dans l'arche sept couples; et, des animaux impurs, deux couples. Car je n'attendrai plus que sept jours, et après cela, je ferai pleuvoir sur la terre, durant quarante jours et quarante nuits, et j'exterminerai de dessus la terre toutes les créatures que j'ai faites, depuis l'homme jusqu'aux animaux; et Noë accomplit tout ce que le Seigneur Dieu lui avait commandé (Gen. VII, 1, 5.). C'est jusque là que nous nous sommes avancés; c'est là que s'est arrêté l'enseignement que nous vous avons donné. Peut-être n'avez-vous pas oublié notre explication, mes frères, sur la . question de savoir pourquoi Dieu donna l'ordre d'introduire dans l'arche sept couples des an{maux purs et deux des animaux impurs. Eh bien, abordons aujourd'hui la suite de l'Ecriture, et voyons ce qu'elle nous dit après que Noé fut entré dans l'arche. C'est maintenant, plus que jamais, qu'il nous faut montrer notre zèle, lorsque le temps du jeûne nous permet de jouir plus souvent de vos réunions si douces; nous affranchit des voluptés honteuses; réveille nos âmes et facilite notre attention, notre application à la parole. Nous devons donc à présent, parler sur le texte qui commence la lecture de ce jour. Noé avait, dit le texte, six cents ans, lorsque les eaux du déluge inondèrent la terre. Appliquez-vous, je vous prie, ne passons pas négligemment sur cette parole; (161) elle est courte, et néanmoins elle renferme quelque trésor caché ; elle nous révélera si nous sommes attentifs, l'excellence de la bonté de Dieu et l'excès de la malice des hommes. Noé avait six cents ans. Ce n'est pas sans raison que la divine Ecriture nous a enseigné le nombre des années du juste, ce n'est pas seulement pour nous apprendre son âge, mais c'est que l'Ecriture nous a d'abord dit: Noé avait cinq cents ans. (Gen. V , 31.) Et, après nous avoir montré ce nombre d'années, elle nous a raconté la corruption des hommes dépassant toute mesure, la pensée de chaque homme s'appliquant au mal, dans chacun d'eux, dès sa jeunesse; et voilà pourquoi Dieu dit : Mon esprit ne demeurera pas toujours avec ces hommes, parce qu'ils ne sont que chair. (Gen. VI, 3.) Il leur annonce ainsi d'avance que son indignation déborde ; ensuite , voulant leur donner un temps suffisant pour se repentir, pour échapper aux effets de son indignation, il dit : Le temps de l'homme ne sera plus que de cent vingt ans (Ibid. VI, 3) ; c'est-à-dire j'attendrai encore, j'ajouterai, à ces cinq cents ans, pendant lesquels cet homme juste, rien que par le nom qu'il porte, les a suffisamment avertis, leur a suffisamment conseillé, pour peu qu'ils voulussent être attentifs, de renoncer à l'iniquité, de se convertir à la vertu. Maintenant encore, malgré tant de patience dans le passé , je leur fais la promesse de les supporter cent vingt années de plus, afin qu'ils emploient comme il convient le temps qui s'écoulera encore; afin qu'ils s'écartent de l'iniquité qu'ils embrassent la vertu. Et il ne lui suffit pas de promettre cent vingt ans, il commanda au juste de construire une arche dont le seul aspect, suffisait pour raviver leur mémoire, et ne permettait à personne d'ignorer la grandeur du châtiment à venir. Car, ce seul fait, que ce juste, qui était parvenu à la vertu la plus haute, construisait l'arche avec tant d'ardeur, devait suffire pour inspirer à tous ceux qui n'étaient pas dépourvus de sens l'angoisse et l'épouvante; pour leur persuader d'apaiser enfin le Dieu qui leur montrait ainsi sa clémence et sa bonté. En effet, si ces barbares, je parle des habitants de Ninive (il est nécessaire que je les produise encore au milieu de vous, ce sera une preuve plus éclatante et de l'excessive malignité des hommes du déluge et de la grande sagesse des pécheurs qui se sont sauvés).... (1) en effet, Notre

 

1 Cette phrase inachevée est la reproduction exacte du texte. Il ne faut, pas oublier que le style du commentaire sur la Genèse est très-négligé. On voit un exemple remarquable de ces longues parenthèses fréquentes dans saint Chrysostome et particulièrement dans ce. commentaire.

 

Seigneur dans ce jour terrible, j'entends le jour du jugement , faisant comparaître les serviteurs avec les serviteurs, prononcera la condamnation, en montrant que ceux qui ont joui des mêmes biens, qui ont reçu dés mêmes biens leur part, n'ont pas pratiqué la même vertu : souvent encore il compare l'inégalité des conditions, pour condamner plus rigoureusement les négligents et les lâches. C'est ainsi qu'il dit dans les Evangiles : Les Ninivites s'élèveront, au jour du jugement, contre cette race, et la condamneront, parce, qu'ils ont, fait pénitence à la prédication de Jonas, et cependant il y a ici plus que Jonas. (Matth. XII, 41.) Ces paroles revenaient à dire : Des barbares, dont on n'a pris aucun soin ,qui n'ont pas entendu l'enseignement des prophètes , qui n'ont pas vu de signes, qui n'ont pas contemplé de miracles, qui n'ont vu qu'un homme, un seuls un échappé de naufrage; après avoir entendu des paroles faites pour les jeter dans le désespoir, et la dernière perplexité, à tel point qu'ils auraient eu raison dé mépriser et cet homme et ses discours, ces barbares non-seulement n'ont pas méprisé les paroles du prophète, mais, dans le court espace de trois jours, ces hommes ainsi surpris, ont fait une pénitence si active, si fervente, qu'ils ont fait révoquer l'arrêt du Seigneur. Ces Ninivites, dit-il, condamneront cette génération pour qui on a dépensé tant de soins, qui a été nourrie des livrés des prophètes, qui a vu chaque jour des signes et des miracles. Ensuite, pour montrer l'excès de l'incrédulité de ces juifs, il constate l'admirable sagesse des Ninivites, parce qu'ils ont fait pénitence à la prédication de Jonas ; et cependant il y a ici plus que Jonas : Voyez, dit-il, ces Ninivites, à l'aspect d'un homme méprisable, à l'aspect de Jonas, ont accueilli sa prédication , et ils ont accompli là plus parfaite pénitence : et ceux-ci, à l'aspect de Celui qui est beaucoup plus que Jouas, qui est le Créateur même de l'univers, vivant au milieu d'eux; opérant tant et de si grands miracles, chaque jour purifiant les lépreux, ressuscitant les morts, corrigeant les vices de la nature, chassant les démons, guérissant les maladies, accordant dans sa pleine puissance la rémission des péchés, ils n'ont pas montré la même foi que les barbares.

 

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2. Mais reprenons la suite de notre discours, pour volis faire voir l'excès du délire des uns, la laborieuse diligence, la sagesse des autres : les Ninivites, resserrés dans l'étroit espace de trois jours, n'ont pas désespéré de leur salut, ils se sont hâtés de faire pénitence, de se laver de leurs fautes, de se rendre dignes de la bonté du Seigneur; au contraire, ces hommes du déluge, à qui on ajoutait cent vingt ans pour se repentir , n'ont retiré de ce délai aucun avantage. C'est pourquoi le Seigneur, devant l'excès de leur malignité, les voyant précipités de plus en plus dans les crimes, leur inflige un remède qui agit promptement; il fait disparaître le ferment de la perversité; il en purge le monde. De là ces paroles : Noé avait six cents ans lorsque les eaux du déluge inondèrent la terre. Déjà nous avons appris à quelle époque le Seigneur déclara son indignation, et en prédit l'effet; Noé avait cinq cents ans : quand le déluge tomba, il avait six cents ans; il y eut donc ainsi, entre la prédiction et le déluge, un intervalle de cent ans. Dans le cours d'un si grand nombre d'années, ils ne firent pas le moindre progrès vers le bien, malgré ce grand enseignement de la construction de l'arche par Noé. Mais peut-être, demandera-t-on, pourquoi le Seigneur qui avait dit : Le temps de l'homme ne sera plus que de cent vingt ans, le Seigneur qui avait promis que sa patience attendrait pendant ce nombre d'années, n'attend-il pas que les années promises soient entièrement accomplies pour opérer la destruction universelle? Je dis que cela même est la plus forte marque de sa bonté. Quand il vit que, chaque jour, ils commettaient des fautes irréparables; que, non. seulement son inexprimable patience ne leur était d'aucune utilité, mais que les ulcères s'étendaient, alors il retrancha du temps pour les empêcher de s'exposer à des châtiments plus sévères. Mais, m'objecte-t-on, quel châtiment peut être plus sévère que celui-ci ? Il est, n'en doutez pas, mes bien-aimés, un châtiment plus sévère, plus terrible, le châtiment sans fin, le châtiment de l'âge à venir. Quelques pécheurs, pour avoir ici subi le châtiment, n'échappent pas cependant à l'autre; seulement l'autre châtiment sera plus léger; la rigueur des supplices endurés ici-bas, c'est autant de moins pour l'avenir. Ecoutez le Christ, déplorant le malheur de Bethsaïde : Malheur à toi, Chorazim ! dit-il; malheur à toi, Bethsaïde ! parce que, si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, avaient été faits dans Sodome, il y a longtemps qu'elle aurait fait pénitence, dans le sac et dans la cendre. C'est pourquoi je vous déclare qu'au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que vous. (Matth. XI, 21, 22; Luc, X, 13, 14.) Voyez-vous, mon bien-aimé, comment cette expression, moins rigoureusement, montre que ces villes, quoiqu'elles aient subi sur la terre un si grand châtiment, cet incendie étrange, étonnant, supporteront aussi, dans l'avenir, un autre châtiment encore, plus léger toutefois, parce qu'elles ont déjà éprouvé un effet terrible de l'indignation de Dieu? Donc, pour préserver les hommes du déluge, des supplices plus rigoureux auxquels les exposeraient les péchés qu'ils amoncelaient sur eux, le Dieu de bonté, le Dieu de clémence, voyant qu'ils étaient incapables de repentir, abrégea le temps pendant lequel il avait promis de patienter encore. Car, de même qu'à l'égard de ceux qui s'empressent d'obéir à ses avertissements, il écoute sa naturelle bonté, révoque ses décrets, agrée les repentirs, affranchit ceux qui se convertissent des supplices qui les menaçaient; de même, quand il promet d'accorder quelques biens, par exemple, un temps pour se repentir, s'il voit que ses promesses ont été faites à des pécheurs indignes, alors aussi il révoque ses promesses. Voilà pourquoi il disait par la voix du prophète : Quand j'aurai prononcé l'arrêt contre un peuple, ou contre un royaume, pour le perdre et pour le détruire jusqu'à la racine; si cette nation fait pénitence, je me repentirai aussi moi-même du mal que j'avais résolu de lui faire. Et ensuite : Quand je me serai déclaré en faveur d'une nation, ou d'un royaume, pour l'établir et pour l'affermir, si ce royaume, ou si cette nation pèche, je me repentirai moi aussi dit bien que j'avais résolu de lui faire. (Jérém. XVIII, 7, 8, 9, 10.) Voyez-vous comme c'est de nous que Dieu reçoit les occasions, aussi bien de la miséricorde qu'il nous an. nonce, que de la colère qu'il fait éclater? C'est pourquoi, au moment du déluge, il écourte le temps , parce que les hommes abusaient de la longueur du temps. Aussi Paul disait à ces stupides qui n'admettent pas le salut opéré par le repentir : Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longue tolérance ? Ignorez-vous que la bonté de Dieu vous invite à la pénitence ? et cependant, (163) par votre dureté, et par l'impénitence de votre coeur, vous vous amassez un trésor de colères, pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu. (Rom. II, 4, 5.) Voyez-vous comment cet illustre docteur de l'univers nous enseigne que ceux qui abusent de la patience de Dieu à attendre notre repentir s'exposent à une peine plus grave, à de plus rigoureux châtiments ? Et voilà pourquoi, dans le texte qui nous occupe, le Dieu de bonté, comme s'il voulait s'excuser, se justifier, nous donner la raison qui l'a porté à faire pleuvoir le déluge, avant que le temps promisse fût écoulé, nous dit : Noé avait six cents ans. Ceux qui, dans l'intervalle de cent années, n'ont pas voulu se convertir, qu'auraient-ils gagné à vingt ans de plus, sinon qu'ils auraient ajouté d'autres péchés à leurs péchés ? D'ailleurs Dieu, voulant montrer sa miséricorde ineffable et l'excellence de sa bonté, a donné encore sept jours avant le déluge, pour leur permettre, dans ce court intervalle, de montrer quelque apparence de repentir.

3. Et considérez la bonté du Seigneur, la diversité des moyens qu'il emploie pour la guérison. Voyant que leurs blessures étaient incurables, il ne leur laisse qu'un très-bref délai, parce qu'il veut, s'ils peuvent, dans un intervalle si court, revenir à résipiscence, révoquer l'arrêt de sa colère. Car, c'est son habitude, parce qu'il se soucie de notre salut, de prédire les châtiments qu'il infligera , et sa raison, c'est qu'il désire ne pas être contraint de les infliger; il prend soin de les annoncer d'avance , afin que cet avertissement nous inspire une terreur qui nous corrige, qui détourne sa colère , qui nous permette de rendre ses décrets inutiles. Rien, en effet, ne le réjouit plus que notre conversion et notre retour à la vertu. Voyez donc avec quelle adresse il s'efforce de les guérir de leur mal; d'abord il leur a accordé un temps considérable pour se repentir; ensuite, quand il a vu qu'ils étaient comme privés de sentiment, que la longueur du temps ne leur servait à rien, qu'ils continuaient leur vices au moment même que le déluge était, pour ainsi dire, à leurs portes, il renouvelle la prédiction ; il ne dit pas: dans trois jours comme pour les Ninivites, mais : dans sept jours. Et je n'hésite pas à le dire, parce que je connais combien est grande la clémence de notre Dieu, si, même dans ces derniers sept jours, ils avaient vraiment voulu faire pénitence, certes, ils auraient échappé au déluge. Voilà donc pourquoi, vu que les délais ajoutés à un temps si long ne pouvaient les arracher à leurs vices, Dieu a fait pleuvoir le déluge, l'an six cent de la vie de Noé. Noé, dit le texte, avait six cents ans lorsque les eaux du déluge inondèrent la terre. Avez-vous bien compris , mes bien-aimés, quelle grande utilité nous avons recueillie à savoir le nombre des années de la vie du juste,. quel âge il avait quand vint le déluge? Eh bien, avançons , voyons la suite maintenant,, Lorsque le déluge commença, dit le texte, Noé entra dans l'arche, et, avec lui, ses fils; sa femme et les femmes de ses fils, pour sauver, des eaux du déluge. Et des oiseaux purs, et des oiseaux impurs, et des reptiles, deux, à deux entrèrent dans l'arche; et de tous ces animaux les mâles et les femelles, selon que le Seigneur l'avait commandé à Noé. (Gen. VI, 7-9.) Ce n'est pas sans dessein chie l'Écriture a ajouté : Selon que le Seigneur l'avait commandé à Noé; c'est pour faire, une seconde fois, l'éloge de l'homme juste  qui a tout accompli, selon que le Seigneur lui avait commandé, et qui n'a négligé aucun de ses ordres. Après donc que les sept jours furent passés, selon la promesse du Seigneur, dit le texte, les eaux du déluge se répandirent sur la terre, l'année six cent de la vie de Noé, le vingt-septième jour du second mois. (Ibid. X, 11) Voyez le soin que prend l’Ecriture de nous apprendre, non-seulement l'année, du déluge , mais le mois et le jour. Ensuite, pour que ce récit puisse servir à corriger les descendants, pour ajouter à la terreur, l'Ecriture dit : En ce jour-là, toutes les sources du grand abîme des eaux furent rompues, et les cataractes du ciel furent ouvertes, et la pluie tomba sur la terre pendant quarante jours et quarante nuits. (Ibid. 12.) Voyez encore comme la sainte Ecriture sait conformer ses expressions à notre infirmité; tous les mots sont appropriés au langage humain. Il n'y a pas de cataracte dans le ciel, mais ce sont des manières de parler familières; c'est comme si l'Écriture disait : le Seigneur se borna à commander, et, tout de suite, les eaux obéirent à l'ordre du Créateur, et réunissant de toutes parts tous leurs courants, inondèrent le monde entier. Quant à ce que le déluge dura quarante jours et quarante nuits, c'est encore là une grande marque de la divine bonté. En effet, dans sa profonde (164) miséricorde, Dieu voulait que quelques hommes au moins, de cette génération qu'il châtiait, pussent échapper à la destruction universelle, quand ils verraient périr, soin leurs yeux, des créatures leurs semblables, quand ils verraient la perte commune prête à les envelopper. Il est vraisemblable, en effet, qu'une bonne partie périrent le premier jour de l'inondation; le second jour, la proie du déluge s'augmenta, et de même le troisième jour et les jours suivants. Dieu donc différa de quarante jours et de quarante nuits l'achèvement du déluge pour ôter aux hommes toute excuse. S'il avait voulu se borner à ordonner le déluge, en un moment, il pouvait tout inonder, mais écoutant encore sa clémence, il employa la longueur des jours. Ensuite, le texte dit: aussitôt que ce jour parut, Noé entra dans l'arche avec ses fils, Sem, Cham et Japhet, sa femme, et les trois femmes de ses fils. Tous les animaux selon leur espèce y entrèrent aussi, selon que le Seigneur Dieu l'avait commandé à Noé. (Ibid. 13, 14, 46.) Ainsi, dit le texte, lorsque le déluge commença, selon le commandement du Seigneur, Noé entra dans l'arche, avec ses fils et sa femme, et les épouses de ses fils, et tous les animaux selon leur espèce. Et, dit le texte , le Seigneur Dieu ferma l'arche par dehors.

4. Voyez, encore ici, la. déférence de la parole qui s'accommode à notre infirmité: Dieu ferma l'arche par dehors. C'est pour nous apprendre qu'il mit le juste dans une parfaite sécurité. Voilà pourquoi le texte dit, ferma, et le texte ajoute: par dehors, afin que ce juste ne pût voir la destruction universelle, qui lui aurait causé une trop cruelle douleur; car, s'il se fût représenté dans son âme cet atroce, cet épouvantable bouleversement, s'il eût pu s'imaginer la destruction de l'espèce humaine, la fin commune de tous les êtres sans raison, la mort frappant à la fois les hommes et les bêtes de somme, et, pour ainsi dire, la destruction de la terre elle-même; saisi d'une noire tristesse, il eût été trop fortement troublé dans son coeur. Sans doute, c'étaient des pervers qui périssaient, mais les âmes honnêtes éprouvent une pitié profonde à la vue des châtiments qui frappent les hommes. Et vous verrez que tous les prophètes, les justes, bien souvent, adressent à Dieu des prières pour les méchants. Ainsi faisait le patriarche pour les habitants de Sodome, ainsi n'ont cessé de faire les prophètes; il en est un qui disait: Hélas! Seigneur Dieu, perdrez-vous donc tout ce qui reste d'Israël? (Ezéch. IX, 8. ) Un autre maintenant s'écrie: Ferez-vous donc les hommes semblables aux poissons de la mer, qui n'ont point de chef? (Habac. I, 14.) Donc, parce qu'un homme juste était d'ailleurs confondu, troublé, pour que cet affreux spectacle ne le plongeât pas dans une trop amère tristesse, Dieu, pour ainsi dire, l'emprisonne dans l'arche; il épargne à ses regards un spectacle qui le frapperait de terreur. Il est à croire, en effet, que si Noé avait pu voir cette inondation, tant de flots amoncelés, il aurait craint d'être lui-même destiné à périr. Donc, par intérêt, par bonté pour lui, Dieu n'a pas voulu qu'il contemplât la rage cruelle des eaux, qu'il vît la destruction des hommes, l'extermination universelle. Pour moi, quand je médite sur la vie de ce juste dans l'arche, je m'étonne, j'admire et j'attribue encore son existence, j'attribue tout à la bonté de Dieu. Si cette bonté n'eût raffermi son âme, ne lui eût rendu facile une épreuve si accablante, comment, répondez-moi, je vous en prie, aurait-il pu subsister, enfermé comme dans une prison, comme dans un affreux cachot? Comment, je vous le demande, aurait-il pu résister à la fureur de tant de flots? Les hommes qui sont sur un navire, voguant à l'aide des voiles, qui aperçoivent le pilote assis près du gouvernail, opposant son art à la violence des vents, s'il leur arrive de voir les flots en fureur, ils meurent d'effroi, ils désespèrent presque de leur salut. Que penserons-nous donc de cet homme juste ? Il était là, je l'ai dit, comme dans une prison, laquelle deçà delà l'emportait dans tous les sens. Il ne voyait pas le ciel; il n'avait rien pour reposer ses regards ; il était là renfermé captif, et il ne pouvait rien voir de nature à le consoler. Les marins, si haut que les flots s’élèvent, peuvent souvent apercevoir le ciel, les sommets des montagnes, de grandes cités, c'est une consolation. Si la tempête redouble, s'il est impossible d'y résister, après dix jours ou un peu plus, après tous ces ouragans, après tous ces dangers, ils sont jetés sur la côte, et, se réconfortant peu à peu, ils finissent par oublier fatigues et douleurs. Mais ici, rien de pareil. Pendant une année tout entière, il fut là, dans cette prison étrange, horrible, pleine de stupeur, sans pouvoir respirer l'air pur : était-ce possible, puisque l'arche était fermée de (165) toutes parts? Comment, je vous en prie, a-t-il résisté? Comment a-t-il duré? Je suppose qu'ils eussent des corps de ter, des corps de diamant, comment ces corps mêmes auraient-ils pu, privés d'air, privés du vent, qui n'est pas moins utile que l'air à la santé du corps, supporter cette noire, étouffante captivité ? Comment ne devinrent-ils pas aveugles dans un si long séjour? Si nous voulons, pour comprendre une telle situation , nous rappeler nos préoccupations ordinaires, où trouvaient-ils de l'eau potable , ces vivants renfermés dans l'arche? Négligeons ce détail; comment put-il, ce juste, avec ses fils et leurs femmes, supporter cette existence en commun, avec les êtres sans raison, les bêtes sauvages, et tous les autres animaux? Supporter l'infection? supporter la cohabitation avec eux ? Mais que dis-je? comment ces animaux mêmes purent-ils résister si longtemps, comment ne périrent-ils pas, ne pouvant ni respirer, ni se mouvoir, dans cette seule et unique place où ils étaient tous si étroitement serrés? Vous savez bien, vous savez parfaitement qu'il nous faut nécessairement, et à nous, et aux animaux, plus que de l'air, plus que de la nourriture, qu'on nous enferme, qu'on nous mette à l'étroit dans une place unique, nous dépérissons, nous mourons. Comment donc ce juste a-t-il pu, avec tous les êtres -vivants gni étaient dans l'arche, subsister si longtemps? Ne cherchez pas d'autre cause que la grâce d'en-haut, la grâce toute-puissante. Cette arche, agitée deçà, delà, qu'une telle fureur des eaux n'engloutit pas, qui n'a pas de pilote, expliquez ce prodige sans la grâce d'en-haut ! Impossible de prétendre que cette arche fût comme un vaisseau que l'on pût diriger. L'arche était fermée de toutes parts, et, parce que l'architecte l'avait voulu ainsi, non-seulement le choc des flots ne lui porta aucune atteinte, mais l'arche, s'élevant sur leurs têtes, conserva dans une parfaite sûreté ceux qui l'habitaient.

Lorsque Dieu opère, mon bien-aimé, une oeuvre de ses mains , quelle qu'elle soit, ne cherchez pas à l'expliquer par une méthode humaine: les ouvrages de Dieu dépassent notre pensée; jamais l'intelligence de l'homme ne peut atteindre, comprendre la raison de ce qui est l'industrie de Dieu.

5. Donc il convient, quand nous entendons ce que Dieu commande, d'obéir à son ordre, de croire à ses paroles. Il est le Créateur de la nature; il change, il transforme tout comme il lui plaît. Et le Seigneur Dieu ferma l'arche par dehors. La vertu de ce juste fut grande , et sa foi excellente. C'est même là ce qui fit que l'arche fut construite, que tous supportèrent une telle habitation, une prison si étroite, une existence en commun avec les bêtes sauvages et les animaux de toute espèce. De là les paroles du bienheureux Paul, publiant la vertu de l'homme juste: C'est par la foi que Noé, divinement averti, appréhendant ce qu'on ne voyait point encore, bâtit l'arche, pour sauver sa famille, et, en la bâtissant, condamna le monde, et devint héritier de la justice qui naît de la foi. (Hébr. XI, 7.) Avez-vous bien compris comment la foi dans le Seigneur a été, pour le juste, comme une ancre solide; comment la foi, qui l'assurait de tout, lui a fait construire l'arche, et supporter une pareille habitation? Cette foi qui l'animait, lui a procuré son salut, et en la bâtissant, dit le texte, il condamna le monde, et devint héritier de la justice qui naît de la foi. Ce n'est pas qu'il ait lui-même été juge, mais. c'est que Dieu condamne par comparaison les hommes qui, avec les mêmes ressources que ce juste, n'ont pas pris, comme lui, le chemin de la vertu ; donc, c'est la foi qu'il a montrée qui a condamné les autres, ces incrédules qui n'ont pas ajouté foi à la prédiction. Quant à moi j'admire, entre toutes les autres vertus de ce juste, qu'il ait pu, grâce à la bonté, à l'ineffable miséricorde de Dieu, vivre au milieu de ces animaux sauvages, de ces lions, de ces léopards, de ces ours, de toutes les autres bêtes féroces.

Rappelez-vous, mon bien-aimé, je vous en prie, quelle était la puissance, la suprématie de l'homme avant la désobéissance, et méditez sur la bonté de Dieu. Lorsque l'infraction au commandement eut diminué le pouvoir qui nous était donné, après le premier homme, le Dieu de bonté en trouva un autre qui put restaurer l'ancienne image, conserver les caractères de la vertu, montrer une parfaite obéissance aux ordres de Dieu. Le Seigneur le réintégra dans le premier honneur, comme pour nous montrer, par la réalité des faits, jusqu'où s'étendait le pouvoir d'Adam avant sa désobéissance. C'est ainsi que la vertu de l'homme, aidé par la divine clémence, reconquit l'antique domination, et les animaux reconnurent une seconde fois notre empire. En effet, à la vue d'un juste, ils oublient leur propre nature; (166) ou plutôt non, ils n'oublient pas leur nature, mais leur férocité, et, tout en persistant dans leur nature, ils changent leur férocité en douceur. Voyez-en la preuve dans ce qui arrive à Daniel. (Dan. VI, 22.) Entouré de lions, il paraissait comme entouré de brebis qui lui faisaient une garde d'honneur. Telle était, au milieu de cette troupe, sa sécurité; c'est que la confiance que le juste puisait dans sa vertu réprimait le naturel des bêtes féroces, et ne leur permettait plus de montrer leur férocité; de la même manière, ce juste admirable supportait facilement le contact des bêtes féroces, et, ni la place trop étroite, ni la longueur du temps, ni cette captivité sans air respirable, ne lui causèrent de malaise et de dégoût; sa foi en Dieu lui faisait trouver tout facile, et il était, dans cet affreux cachot, comme nous dans les prairies et sous les frais ombrages. C'est parce qu'il accomplissait le commandement du Seigneur que les choses difficiles lui paraissaient faciles. Telle est, en effet, la vertu ordinaire des justes; quand ils supportent quelque chose pour Dieu, ils ne considèrent pas la réalité qui se montre, mais ils apprécient la cause qui leur commande de supporter ce qu'ils supportent sans peine. Ainsi le bienheureux Paul, ce docteur des nations, chargé de fers, tant de fois traîné devant les juges, affrontant chaque jour les périls, appelle tant de tribulations, d'afflictions insupportables des épreuves légères, . non qu'elles le fussent en réalité, mais la pensée de la cause qui les lui imposait lui inspirait un courage qui allait jusqu'à l'indifférence, au milieu de tant d'assauts. Entendez ses paroles : Car le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire. (II Cor. IV, 18.) L'attente, dit-il, de cette gloire qui sera dans l'avenir notre partage, de cette éternelle félicité, nous rend légères ces afflictions continuelles. Voyez-vous comme l'amour de bien rend moins pesante la charge des tribulations, et en supprime le sentiment? N'en doutez pas; voilà pourquoi notre bienheureux juste aussi trouvait des charmes dans ces jours de désolation; c'est que la foi et l'espérance en Dieu nourrissaient son âme. Et le Seigneur Dieu, dit le texte, ferma l'arche par dehors; le déluge se répandit pendant quarante jours et quarante nuits, et la terre fut remplie d'eau, et l'arche s'éleva au-dessus de la terre. Voyez encore comme le récit est fait pour augmenter la terreur, pour ajouter à l'horreur du sinistre ! le déluge se répandit pendant quarante jours et quarante nuits, et la terre fut remplie d'eau, et l'arche s'éleva au-dessus de la terre, et l'eau s'accrut et couvrit toute la surface de la terre, et l'arche était portée sur l'eau; l'eau s'accrut et grossit prodigieusement au-dessus de la terre.

6. Vous voyez quel soin prend l'Ecriture pour montrer la grande quantité des eaux, l'inondation grossissant chaque jour. Et l’eau s'accrut, dit le texte, prodigieusement, et toutes les plus hautes montagnes qui sont sous le ciel furent couvertes. L'eau s'éleva de quinze coudées, et inonda toutes les montagnes. Le Dieu de bonté fit bien de fermer l'arche pour épargner au juste. ce spectacle; car si nous, après un si grand nombre d'années , après tant de siècles écoulés , au seul récit de l'Ecriture, nous sommes saisis d'épouvante et de stupeur, qu'aurait éprouvé , ce juste , si ses regards avaient vu cet effroyable abîme? aurait-il pu supporter, un seul moment, ce spectacle? Ne serait-il pas aussitôt, rien qu'en l'entrevoyant, tombé sans vie, glacé, absolument incapable de résister à cette affreuse image? Méditez ici, considérez, mes bien-aimés, ce qui nous arrive, quand une pluie médiocre tombe sur nos têtes; nous sommes dans les angoisses, et nous désespérons,. pour ainsi dire, et de l'univers et de notre vie. Qu'aurait éprouvé ce juste, s'il avait vu, à cette prodigieuse hauteur, les eaux montant toujours? L'eau, dit le texte, s'éleva au-dessus des montagnes, de quinze coudées. Rappelez-vous ici, mes bien-aimés, les paroles du Seigneur, quand il disait : Mon Esprit ne demeurera pas avec les hommes de cette génération, parce qu'ils ne sont que chair; et encore : La terre est corrompue et remplie d'iniquités; et encore : Dieu vit la terre et elle était corrompue, car toute chair avait corrompu sa voie. (Gen. VI, 3, 11, 12.) Le monde entier avait donc besoin d'être complètement purifié ; il fallait en laver toutes les taches , supprimer tout le ferment de la première malignité, ne laisser, de cette malignité aucune trace, renouveler, pour ainsi dire, les éléments; un bon ouvrier, qui voit un vase que ronge une rouille invétérée, le jette au feu, en fait disparaître toute trace de rouille, et rend au vase sa première beauté : c'est ce qu'a fait le Seigneur notre Dieu; il a purifié le monde entier par ce déluge; il l'a délivré de la malice des hommes , de la corruption dès longtemps amassée et profonde; il en a renouvelé la face; il l'a rétabli, il l'a rendu plus beau, ne permettant pas qu'il restât la moindre trace de ce qui le souillait auparavant. L'eau s'éleva au-dessus des montagnes, dit le texte, de quinze coudées. Ce n'est pas sans dessein que l'Ecriture nous fait ce récit; elle veut nous apprendre que, non-seulement les hommes , les bêtes de somme, les quadrupèdes, les reptiles furent engloutis, mais, avec eux, et les oiseaux du ciel, et tous les animaux qui vivaient sur les montagnes: je veux dire les animaux sauvages et tous les autres êtres dépourvus de raison. Voilà pourquoi le texte dit : L’eau s'éleva au-dessus des montagnes de quinze coudées. C'est pour vous apprendre que l'arrêt de Dieu a été accompli en réalité. En effet, Dieu avait dit : Je n'attendrai plus que sept jours, et je ferai pleuvoir le déluge sur la terre, et j'exterminerai de dessus la terre toutes les créatures que j'ai faites, depuis l'homme jusqu'aux animaux, depuis les reptiles jusqu'aux oiseaux du ciel. (Gen. VII, 4.) L'Ecriture nous fait ce récit, non-seulement pour nous apprendre à quelle hauteur tes eaux sont parvenues, mais pour nous faire voir, en même temps, qu'aucun animal absolument, soit bête féroce, soit bête de somme, n'a été épargné, mais que tout a été supprimé avec le genre humain. Comme tous ces animaux avaient été produits à cause de l'homme, en détruisant l'homme, il était juste de les détruire. Ensuite, après nous avoir montré jusqu'à quelle hauteur les eaux se sont accrues, à savoir, de manière à dépasser de quinze coudées les cimes des plus hautes montagnes, le texte, avec son exactitude accoutumée, nous dit : Toute chair qui se meut sur la terre fut consumée; tous les oiseaux, toutes les bêtes de somme, toutes les bêtes sauvages, tous les reptiles, tous les hommes moururent, et généralement tout ce qui a vie et qui respire sur la terre. (Gen. VII, 21, 22.) Et ce n'est pas sans dessein et sans raison particulière que le texte a dit : Et tout ce qui respire sur la terre, mais c'est pour vous montrer que tous ont péri, que le juste seul, avec tous ceux qui étaient dans l'arche, a été sauvé; car ceux-ci, selon le commandement du Seigneur, ayant quitté la terre, étaient montés dans l'arche. Et les eaux détruisirent toutes les créatures qui étaient de la surface de toute la terre, depuis l'homme jusqu'aux bêtes, tant les reptiles que les oiseaux du ciel, tout périt de dessus la terre. Voyez comme, une fois, deux fois, à mainte reprise, le texte nous enseigne que la destruction a été générale, universelle; qu'aucun être vivant n'y a échappé; que tout a été étouffé sous les flots, aussi bien tous les hommes que tous les animaux. Il ne demeure que Noé seul, et ceux qui étaient avec lui dans l'arche, et les eaux couvrirent la terre pendant cent cinquante jours.(Ibid. 24. ) Pendant ce grand nombre de jours, dit le texte, les eaux restèrent à cette merveilleuse hauteur; considérez encore ici la grandeur d'âme de l'homme juste et l'excellence de son courage. Que n'a-t-il pas éprouvé dans l’âme en concevant, en Voyant, pour ainsi dire, par la pensée, les corps des hommes, des animaux domestiqués, des animaux purs ou impurs, subissant la mort commune à tous, mêlés ensemble, sans aucune différence, indistinctement? En outre, qu'a-t-il éprouvé, quand il réfléchissait en lui-même sur le monde dévasté, sur cette vie pleine de douleurs, de toute part dépourvue de tente consolation, sans aucun entretien, sans aucun aspect pour charmer les yeux, quand il ignorait combien de temps il lui faudrait supporter la vie dans cette prison.? Tant que le fracas des eaux, que le tourbillon des vagues retentit à son oreille, il sentait chaque jour grandir en lui l'épouvante. Quelles douces pensées pouvaient récréer celui qui voyait, cent cinquante jours durant, toujours le même niveau des ondes, les flots portés à cette hauteur, et rien pour indiquer qu'ils commençassent si peu que ce fût, à s'abaisser. Mais, sachez-le bien, il supportait tout avec courage, parce qu'il connaissait la toute-puissance du Seigneur; il ne doutait pas de cette vérité, que le Créateur de la nature fait tout, transforme tout comme il lui plaît; et l'homme juste se résignait â sa condition. C'est que la grâce de Dieu vivifiait, fortifiait son courage, lui procurait une consolation suffisante, prévenait en lui les défaillances, ne lui permettait pas de concevoir une pensée qui ne fût pas virile, qui ne fût pas généreuse. Ce juste avait commencé par montrer tout ce qui dépendait de lui, je veux dire, le zèle de la vertu, la vigueur de la justice, l'excellence de la foi; bientôt il obtint l'abondance des dons du Seigneur, c'est-à-dire la patience, la force, la douceur de la parfaite résignation, (168) le don de supporter. le séjour dans l'arche; sans indisposition, sans dégoût, sans se plaindre de la cohabitation avec tous ces animaux.

Imitons donc ce juste, nous aussi, je vous en conjure. Hâtons-nous, empressons-nous de contribuer de notre part, afin de nous rendre nous-mêmes dignes aussi des présents du Seigneur. S'il attend les occasions qui viennent de nous, ce n'est que pour nous montrer toute sa munificence. Donc, il ne faut pas que notre indolence nous prive de ses dons; soyas pleins de zèle , mettons la main à l'oeuvre du salut ; prenons résolument la route qui mène à la vertu, afin que nous puissions, aidés du secours d'en haut, atteindre promptement à notre fin bienheureuse ; suspendons-nous à l'espérance en le Seigneur, que ce soit là, pour nous, comme une ancre sûre et solide ; ne regardons pas ce que la vertu a de labeurs , mais voyons après les labeurs, calculons les récompenses, tout fardeau nous sera léger. Le marchand , sorti du port, en pleine mer, ne songe pas seulement pirates, naufrages, monstres marins, vents furieux, tempêtes continuelles, désastres sans nombre ; il calcule les gains à venir quand il aura échappé à tous les périls; son espérance fait sa force; il brave aisément tous ces malheurs pour grossir le trésor qu'il rapportera chez lui. L'agriculteur ne pense pas seulement aux travaux pénibles, aux pluies, à la terre stérile , à la nielle, aux sauterelles funestes; il se représente son grenier rompant sous le poids de ses gerbes, et,son courage supporte tout, et l'attente des biens le rend insensible à la peine; quelqu'incertaine que soit l'espérance, n'importe ! il se nourrit de l'espérance qui lui montre l'avenir joyeux, et il ne renonce pas aux fatigues; il fait, au contraire, tout ce qui dépend de lui, attendant le jour où il recevra, de ses fatigues, le riche salaire. Le soldat qui revêt ses armes et va combattre ne pense pas seulement blessures, membres . meurtris, attaques subites des ennemis vainqueurs, tous les autres désastres ; il se représente les victoires et les triomphes et il s'équipe de toutes ses armes, quelque incertain que soit l'avenir, quelque perte qui le menace; chassant de lui toutes ces idées, animé d'une bonne espérance, il secoue l'engourdissement, la torpeur, prend ses armes, court à l'ennemi. Donc, mes bien-aimés, si le marchand, si le soldat, si l'agriculteur, quelqu'incertaine que soit l'espérance, malgré tant de déceptions, tant d'obstacles, vous venez de l'entendre, tant d'empêchements si divers, ne redoutent pas la fatigue, n'abdiquent pas l'espérance de voir d'heureux jours, quelle sera notre excuse si nous reculons devant les difficultés de la vertu? si nous n'acceptons pas volontiers pour elle tous les labeurs, quand notre espoir est si solide, quand nous voyons, en réserve pour nous, tant de récompenses, tant de couronnes d'un prix infiniment supérieur à tous nos mérites? Ecoutez donc le bienheureux Paul; après tant d'afflictions, si souvent traîné devant les juges, si souvent chargé de chaînes, après tant de morts affrontées chaque jour: Je suis persuadé que les souffrances de la vie présente n'ont point de proportion avec cette gloire qui sera un jour découverte en nous. (Rom. VIII,18.) Quand chaque jour, dit-il, nous subirions la mort, ce qui est impossible à la nature, quoique, par la bonté du Seigneur, l'âme triomphe de la nature et se pare dé si glorieuses couronnes, non, nous ne supportons rien, dit-il, qui mérite les biens qui nous attendent, la gloire qui doit un jour nous être révélée. Voyez de quelle gloire splendide jouissent les partisans de la vertu ! cette gloire dépasse l'éclat des plus belles oeuvres que le plus saint puisse montrer à Dieu : eût-il atteint à la plus haute cime de la vertu, cette gloire rayonne plus: encore. Car enfin quelles oeuvres magnifiques peut montrer l'homme, qui le soient assez pour répondre à la libéralité du Seigneur? Si Paul, un tel homme, un si grand homme, disait : Je suis persuadé que les souffrances de la vie présente n'ont point de proportion avec cette gloire qui sera un jour découverte en nous; s'il disait encore : Je meurs chaque jour. (I Cor. XV, 31); et encore : J'ai travaillé plus que tous les autres (Ibid. V, 10), que dirons-nous, nous qui refusons de prendre la moindre peine pour la vertu? nous qui, dans le relâchement de notre indolence, n'avons pour unique souci que de nous préserver de quelque mince chagrin, quoique pourtant nous sachions bien qu'il n'est possible d'atteindre à la céleste béatitude que par la patience qui supporte les douleurs présentes en aspirant au bonheur à venir? Ces douleurs nous rendent agréables à Dieu, cette courte fatigue d'ici-bas nous assure la félicité dont jouissent en haut les élus : il nous suffit de vouloir, de suivre le conseil du docteur des (169) nations, d'aller où sa voix nous dit de marcher. Considérez, mes bien-aimés, que quelque tristes que soient les malheurs, ces malheurs n'ont qu'un temps; les biens qui nous attendent là-haut sont impérissables, éternels. Les choses visibles sont temporelles , les invisibles sont éternelles. (Il Cor. IV, 18.) Supportons donc avec courage ces afflictions temporelles, ne nous fatiguons pas du travail qui fait la vertu, afin de jouir des biens éternels assurés pour jamais; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, et maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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