HOMÉLIE XXXI

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HOMÉLIE XXXI. OR, L'OEIL NE PEUT PAS DIRE A LA MAIN : JE N'AI PAS BESOIN DE VOUS, NON PLUS, QUE LA TÊTE NE PEUT DIRE AUX PIEDS : JE N'AI PAS BESOIN DE VOUS. (CHAP. XII, 21, JUSQU'AU VERSET 26.)

 

ANALYSE.

 

1. Contre l'orgueil dé ceux qui se croient les préférés de Dieu.

2. Suite de la comparaison entre l'Eglise et le corps humain. — Les membres les plus faibles sont les plus-nécessaires.

3. Discussion un peu subtile, souvent très-ingénieuse sur l'égalité dans la diversité des membres, soit du corps, soit de l'Eglise.

4. Du respect pour tous ; ce respect, les attentions, la prévoyance, tout de la part de tous doit être ; pour tous, égal. — Contre l'envie. — Différence de l'envie et de l'émulation. — Comparaison piquante. — Développement chaleureux, éloquent contre la bassesse funeste et exécrable de l'envie.

 

1. Il vient de corriger l'envie des inférieurs; il vient de consoler le chagrin qu'inspirait naturellement la vue de ceux qui avaient reçu des dons plus glorieux. Maintenant il réprime l'orgueil de ceux qui ont été jugés dignes de faveurs plus hautes. C'est d'ailleurs ce qu'il avait déjà fait quand il discutait avec eux; (en effet, leur dire qu'ils avaient reçu un don gratuit, qu'ils ne jouissaient pas du fruit de leurs bonnes oeuvres , c'était exprimer la même pensée); mais maintenant cette pensée, il la reprend d'une manière plus vive, en conservant la même image. C'est toujours le corps et l'unité du corps, et la comparaison, de ses membres, qui lui inspirent les réflexions les plus agréables pour les fidèles. Ce fait que tous ne formaient qu'un seul corps, ne les consolait pas autant que cette vérité, que la diversité des fonctions ne constituait pas une grande infériorité, et il leur dit : « Or, l'oeil ne peut pas dire à la main : je n'ai pas besoin de vous; non plus que la tête ne peut dire aux pieds : je n'ai pas besoin de vous ». Car, si 1e don est moindre , il est nécessaire ; et, de môme que si le pied manquait dans le corps, il en résulterait une grande incommodité, de même, sans les membres inférieurs l'Eglise boîte, et n'a pas sa plénitude. Et l'apôtre ne dit pas : Or, l'oeil ne dira pas, mais : « Ne peut dire ». Comprenez bien : Quand même ïl aurait voulu dire, quand même il dirait, ses paroles seraient sans valeur, non fondées en nature. Voilà pourquoi l'apôtre , prenant les deux extrêmes, leur prête la parole. D'abord il suppose la main et l'œil, ensuite la tête et le pied, pour développer son exemple. Quoi de (503) plus vil que le pied? Quoi de plus noble que la tête, et de plus nécessaire? Car, c'est là surtout ce qui constitue l'homme, la tête. Et cependant la tête ne suffit pas; elle ne pourrait tout faire par elle-même; si elle pouvait tout faire, les pieds seraient superflus. Toutefois, il ne s'arrête pas là, mais il veut prouver surabondamment son dire, c'est son habitude ; la juste mesure ne lui suffit pas, il va plus loin, et voilà pourquoi il ajoute : « Mais au contraire, les membres du corps qui paraissent les plus faibles, sont, bien plus nécessaires. Nous honorons même davantage les parties du corps qui paraissent moins honorables, et nous couvrons avec plus de soin et d'honnêteté, celles qui sont moins honnêtes (22,  23) ».

Il continue sa comparaison avec les membres du corps, et, par là, il console et il réprime. Je ne dis pas seulement, dit l'apôtre, que les parties les plus considérables aient besoin de celles qui le sont moins,.mais encore qu'elles en ont un grand besoin. S'il y a en effet, en nous, quelque chose d'infirme, de peu honnête, cela est nécessaire, et reçoit un plus grand honneur, et c'est avec raison qu'il dit: « Qui paraissent, et que nous considérons comme moins honnêtes », montrant par là que ce n'est pas la nature qui parle, mais l'opinion. II n'y a rien en nous qui ne soit honorable, car tout est l'ouvrage de Dieu. Par exemple; qu'est-ce qui paraît moins mériter d'être honoré que les organes de la génératien ?Nous les entourons cependant de plus d'honneur que les autres parties du corps, et ceux qui sont tout à fait pauvres, eussent-ils tout le reste du corps à nu ; ne. souffriront jamais de montrer ces parties nues. Et cependant, ce.n'est pas ainsi que l'on se comporte avec les choses qui sont en réalité moins honorables; il conviendrait de leur marquer plus de mépris qu'aux autres. En effet, dans l'intérieur d'une maison , l'esclave regardé aveu ignominie, non-seulement n'a pas un traitement supérieur, mais il ne reçoit même pas un traitement égal. Ici, au contraire, ces membres jouissent d'un plus grand honneur, et c'est l'oeuvre de la sagesse de Dieu. Parmi nos membres, la nature a donné, aux uns les honneurs, de manière qu'ils n'aient pas à les réclamer; la nature les a refusés aux autres, pour nous forcer à les leur rendre; niais ils ne sont pas pour cela sans honneur, puisque les animaux naturellement n'ont besoin de rien, ni de vêtements, ni de chaussures, ni d'abri, le plus grand nombre d'entre eux du moins. Noire cors néanmoins n'est pas moins honorable que leur corps, pour avoir tous ces besoins. Il suffit de la réflexion pour voir que la nature même a fait ces parties et honorables et nécessaires. C'est ce que l'apôtre lui-même a insinué, ne se fondant ni sur le soin que nous en prenons, ni sur le plus grand Bonheur dont nous les entourons; mais sur la nature même. Aussi,.après avoir parlé des membres faibles et moins honorables, il dit : « Qui paraissent ». Quand il en proclame la nécessité, il ne dit,plus : qui paraissent nécessaires, mais, sans hésitation aucune, il dit qu'ils sont nécessaires. Et c'est avec raison, car, et pour la procréation des enfants et pour la succession de notre race, ces membres nous sont utiles. Aussi les lois romaines punissent-elles ceux qui les détruisent et qui font des eunuques. C'est un attentat contre notre race; c'est un outrage fait à la nature même; périssent les impudiques qui calomnient les ouvrages de Dieu ! De même que les malédictions contre le vin, résultent du vice de ceux qui s'enivrent ; de même pour les malédictions contre le sexe des femmes, il faut s'en prendre aux adultères. Si l'on a regardé ces membres comme honteux, c'est à cause du mauvais usage que quelques-uns en font. Ce n'est pas ainsi qu'il fallait raisonner; ce n'est pas à la nature de la chose que le péché s'attache, c'est à la volonté criminelle qui lé produit. Maintenant quel(lues interprètes pensent que ces membres faibles, et ces membres peu honnêtes et nécessaires, et qui jouissent d'un plus grand honneur, dans-la pensée de Paul, sont les yeux, lesquels sont sans force , mais d'une utilité supérieure aux autres; que les parties lus moins honnêtes sont les pieds, car eux aussi sont entourés d'un grand nombre de soins prévoyants.

2. Ensuite, pour ne rien ajouter à ce développement déjà surabondant, l'apôtre dit « Car pour celles qui sont honnêtes,  elles n'en « ont pas besoin (24) ». L'apôtre ne veut pas qu'on lui dise : est-il juste de dédaigner les parties honorables, et d'entourer de ses soins les moins honorables? Ce n'est pas par dédain, dit l'apôtre , que nous agissons ainsi ; mais c'est que ces parties n'ont pas besoin de nos soins. .Et. voyez quel grand éloge il fait (504) de ces parties, avec autant de rapidité que d'à-propos et d'utilité; il ne se contente pas de ce qu'il vient de dire, il y joint une explication : « Mais Dieu a mis un admirable tempérament dans tout le corps., en honorant davantage ce qui était défectueux, afin qu'il « n'y ait point de schisme dans le corps (24,  25) ». Dieu a tempéré, c'est-à-dire, qu'il n'a pas laissé apparaître ce qui était moins honorable. En effet, ce que l'on tempère et que l'on mêle devient un, et on ne voit pas ce que pouvait être auparavant l'objet qui a été mêlé à l'ensemble. Nous ne saurions même pas dire s'il y a. eu un mélange. Et voyez combien de fois l'apôtre dit en passant : « Ce qui était défectueux » ; il ne dit pas : ce qui était déshonnête ou honteux, mais : « Ce qui était défectueux ». Ce qui était défectueux, comment cela? selon la nature. « Lui accordant plus d'honneur » ; et pourquoi? afin qu'il n'y eût point de schisme dans le corps. Les fidèles recevaient là une immense consolation ; cependant , comme ils s'affligeaient d'avoir été moins bien partagés, l'apôtre leur montre qu'ils ont reçu plus d'honneur. « Accordant plus d'honneur », dit-il, « à ce qui était défectueux »; et ensuite, il explique comment Dieu a parfaitement ordonné, et que tel membre fût défectueux, et qu'il reçût plus d'honneur. Pourquoi? « Pour qu'il n'y ait pas », dit-il, « de schisme dans le corps ». Il ne dit pas : dans les membres, mais : « Dans le corps ». Et en effet, il y aurait eu une bien grande superfétation si quelques membres avaient été enrichis à la fois des dons de la nature et de ceux de notre prévoyance; tandis que d'autres membres n'auraient rien eu, de ces deux côtés, en partage. Ils se seraient séparés du tout, n'étant pas capables de supporter l'union. Et maintenant, cette séparation ne se serait pas opérée sans dommage pour les autres parties.

Voyez-vous comme l'apôtre montre la nécessité d'honorer davantage ce qui est défectueux? Supprimer ce privilège d'honneur, t'eût été la perte pour tous. En effet, si nous n'avions pas pris un grand soin de ces membres inférieurs, ils auraient souffert, et du dédain de la nature, et du tort que nous leur aurions fait. Leur perte eût été pour le corps un déchirement, et le corps étant déchiré, les autres parties bien supérieures encore auraient péri. Voyez-vous comme le soin de quelques-uns, de ces membres est uni à la prévoyance qui s'occupe des autres? En effet, ils trouvent moins dans leur nature propre leur raison d'être, qu'ils ne trouvent dans le corps leur raison d'être un tout. Aussi que le corps vienne à périr, il ne leur sert à rien d'être séparément pleins de santé; que l'oeil demeure, ou le nez; que chaque membre conserve ce qui lui appartient, mais que le lien avec le corps soit rompu, il n'y a désormais, pour ces membres , aucune raison d'exister. Au contraire , supposez que le corps subsiste, et que ces membres soient endommagés, ils continuent à faire partie du corps; et bientôt ils retrouvent la santé. Mais, dira-t-on peut-être, dans le corps cela s'explique; on comprend qu'un membre défectueux reçoive un plus grand honneur. Mais dans la société des hommes , le, moyen qu'il en soit ainsi? C'est surtout dans la société humaine que vous verrez cette vérité se réaliser. Et en effet, ceux qui sont venus vers la onzième heure, ont reçu les premiers leur salaire; la brebis errante a engagé le pasteur à laisser les quatre-vingt-dix-neuf autres pour courir à sa recherche, et, quand il l'a eu retrouvée, il l'a portée sur ses épaules, et il ne l'a pas chassée; l'enfant prodigue a reçu plus d'honneur que celui qui s'était bien conduit; le larron a reçu la couronne, avant les apôtres, et il les a devancés dans la gloire ; l'histoire des talents vous montre le même fait : celui qui avait reçu cinq talents, et celui qui en avait reçu deux, ont été jugés dignes du même salaire.

Et c'est la marque d'une grande providence , que l'un ait reçu deux talents ; car si on lui eût confié cinq talents , quand il était incapable de les augmenter, il aurait perdu tout ce à quoi il pouvait prétendre; mais ayant reçu deux talents, ayant accompli tout ce qui dépendait de lui, il a obtenu la même récompense que celui qui avait opéré avec cinq talents, et il a eu l'avantage sur lui d'avoir avec moins de labeurs gagné les mêmes couronnes. En effet, c'était un homme comme celui qui- avait reçu les cinq talents, et cependant le Seigneur n'exige pas de lui des comptes aussi sévères; il ne réclame pas de lui autant que de son compagnon d'esclavage ; il ne lui dit pas : pourquoi ne peux-tu pas faire cinq talents? ce qu'il était en droit de lui dire. Pénétrés de ces vérités, n'insultez pas, si vous êtes plus grands, ceux qui sont (505) plus petits. Craignez die vous blesser, avant de les blesser eux-mêmes. Ceux-ci étant séparés de vous, c'en est fait de tout le corps; car qu'est-ce que le corps, sinon un ensemble de membres , comme l'apôtre le dit lui-même : « Aussi, le corps n'est pas un seul membre, mais un ensemble de membres ». Donc, si c'est là ce qui constitue le corps, ayons grand soin que le plus grand nombre reste le plus grand nombre; car autrement, nous recevons une blessure mortelle. Aussi l'apôtre ne se contente-t-il pas, d'exiger que nous ne nous séparions pas les uns des autres; il veut de plus que nous demeurions étroitement unis. En effet après avoir dit : « Afin qu'il n'y ait point de schisme dans le corps », il ajoute : « Mais que tous les membres aient un égal souci les uns des autres », et il donne ainsi la seconde raison de la supériorité d'honneur accordée aux membres inférieurs. Car Dieu n'a pas voulu seulement qu'il n'y eût pas de séparation, mais de plus qu'il y eût l'abondance de la charité, et la plénitude de la concorde. Eu effet, si c'est un besoin pour chaque membre de veiller au salut du prochain, ne parlez ni du plus ni du moins, car ii n'y a là ni plus ni moins. Tant que le corps subsiste, il peut y avoir une différence; au contraire, que le corps périsse, il n'en est plus de même. Or, le corps périra si les parties moindres ne subsistent pas.

3. Si donc les membres supérieurs péris;, sent lorsque les inférieurs en sont violemment séparés , ces membres supérieurs doivent avoir autant de souci des autres que d'eux-mêmes, puisque c'est de l'union avec les membres les plus modestes, que dépend le, salut des membres plus grands. Aussi vous aurez beau répéter à satiété, membre obscur, membre inférieur, si vous n'avez pas, pour cet inférieur, autant de souci que pour vous-même; si vous le négligez comme moins important que vous, c'est vous qui souffrirez de cette négligence. Voilà pourquoi l'apôtre ne dit pas seulement : Que les membres aient souci les uns des autres; il dit plus : « Que les membres aient un égal souci les uns des autres » ; c'est-à-dire, que l'attention, que,la prévoyance doit s'étendre sur le plus petit autant que sur le plus grand. Ne dites donc pas : un tel n'est que d'une condition vulgaire ; cet homme, que vous regardez comme le premier venu; considérez que c'est un membre du corps, qui se compose de toutes ses parties; tout aussi bien que 1'œil, ce membre quel qu'il puisse être, contribue à. faire que le corps soit le corps. En ce qui concerne la constitution du corps, nul ne possède plus que le prochain. Car ce qui constitue le corps, ce n'est pas que l'un soit plus grand , l'autre plus petit, mais qu'il y ait pluralité et diversité. De la même manière que vous, plus grand, vous aidez à former le corps; de même cet autre y contribue aussi, en étant plus petit que vous. De telle sorte que la petitesse de celui-ci, en ce qui concerne la constitution du corps, est aussi précieuse que votre grandeur, pour cet harmonieux agencement; il a la même efficacité que vous; c'est ce que va rendre évident une supposition. Supprimons la différence du plus petit et du plus grand, parmi les membres; qu'il n'y en ait plus, ni de plus honorables ni de moins honorables; que tout soit oeil, ou bien que tout soit tête, n'est-il pas vrai que le corps périra? C'est de la dernière évidence. Faisons le contraire; amoindrissons tous les membres; même résultat; de sorte que, par là encore, éclate l'égalité d'importance des inférieurs avec les supérieurs. Faut-il dire encore quelque chose de plus fort? ce n'est que pour faire subsister le corps, que le moindre est le moindre; si donc tel membre est moindre, ce n'est qu'à cause de vous , ce n'est qu'afin que vous soyez grand: Voilà pourquoi l'apôtre réclame de tous , une égalité d'attention mutuelle; après avoir dit : « Que les membres aient un égal souci les uns des autres », il explique encore cette pensée, en disant : « Et si l'un des membres souffre , tous les autres membres souffrent avec lui; ou si l'un des membres reçoit de l'honneur, tous les autres s'en réjouissent avec lui (26) ».

Si Dieu a voulu, dit l'apôtre, que l'attention réciproque des membres s'étendît sur tous, c'était pour assurer, au sein de la diversité même, l'unité, afin que tout ce qui arriverait fût ressenti dans une communion parfaite. Car, si l'attention pour le prochain est le salut de tous, il est nécessaire et que tous les sujets de gloire et toutes les causes d'afflictions soient ressenties en commun par tous. L'apôtre fait donc ici trois recommandations : pas de division, union parfaite; égale réciprocité d'attention; regarder toute chose qui survient, comme arrivant pour tous. Sans doute, il dit (506) précédemment qu'un honneur plus grand été fait à ce qui est défectueux, précisément à cause de ce que le membre a de défectueux, il veut montrer que l'infériorité même donne un titre à une plus grande part de considération ; mais ici, le point de vue est changé, l'égalité entre les membres se fonde sur- l'égalité d'attention mutuelle. Ce qu'il a voulu, .dit-il, 'en accordant une supériorité, d'honneur , c'est empêcher que le membre inférieur ne fût jugé moins digne d'attention. Mais, pour unir les membres d'une manière parfaite, il ne se borne pas là, il les unit encore par la sympathie dans les joies et dans les douleurs qui surviennent. Souvent, lorsqu'une épine est entrée dans la plante du pied, tout le corps s'en ressent et s'en inquiète, le dos se courbe, et le ventre et les cuisses se contractent, et les mains, comme des satellites, comme des domestiques, s'avancent, retirent ce qui s'est enfoncé, la tête se penche, et les yeux retardent avec une attention soucieuse. Il est évident par là que si le pied a l'infériorité parce qu'il ne peut s'élever comme d'autres membres, il ressaisit l'égalité en forçant la tête à se baisser, il partage ses honneurs, et remarquons surtout cette égalité d'honneurs quand les pieds conduisent la tête, non pour lui faire plaisir, mais par devoir. D'où il suit que si la tête, au point de vue de la considération, a quelque avantage sur les pieds, il suffit pour rétablir l'égalité parfaite que la tête, qui est si noblement partagée, doive honneur et assistance à ce qui est au-dessous d'elle, et ressente également toutes les souffrances du membre inférieur. Car, quoi de pins vil que la plante des pieds? Quoi de plus noble que la tête? Mais le pied marche pour la tête, et emporte tous les membres avec lui.

Voyez encore :s'il arrive quelque accident aux yeux, c'est pour tous les membres, et de la douleur et une inaction forcée; les pieds ne marchent plus; les mains ne travaillent plus ; le ventre ne reçoit plus sa ration ; ce n'est pourtant qu'un mal d'yeux. D'où vient que votre ventre se dessèche, que vos pieds ne vont plus, que vos mains sont liées? C'est que tout le corps est un système où tout se tient, de là l'inexprimable communauté de toutes les affections. Sans cette communauté, il n'y aurait pas la réciprocité d'attention et d'inquiétudes. Voilà pourquoi l'apôtre, après avoir dit : « Que les membres aient un égal souci les uns des. autres »,

a vite ajouté : « Et si l'un des membres souffre, tous les autres membres souffrent avec lui; ou si l'un des membres reçoit de l'honneur, tous les autres s'en réjouissent avec lui ». Et comment, dira-t-on, se réjouissent-ils par sympathie? C'est la tête que l'on couronne, et l'homme tout 'entier se glorifie ; ce n'est que la bouché qui parle, et les yeux rient et se réjouissent ; ce qui cause la joie, ce n'est pourtant pas la beauté des yeux, mais ce que dit la langue. Autre preuve : les yeux sont beaux, et toute la femme en est embellie; et maintenant, si le nez est droit, le cou élégant, les autres membres gracieux, voici que les yeux, à leur tour, respirent la joie et la fierté; et ces mêmes yeux pleurent à chaudes larmes, dans les douleurs; dans les catastrophes qui arrivent aux autres membres, fussent-ils personnellement sans aucune atteinte.

4. Donc méditons ces pensées, tous tant que nous sommes, imitons l'amour mutuel de ces membres bien unis, ne faisons pas le contraire de ce qu'ils font, n'insultons pas aux malheurs du prochain, ne portons pas envie à sa prospérité, une telle conduite n'appartient qu'à des hommes -en délire, qu'à des furieux. Se crever un oeil, c'est la preuve d'une insigne démence, se ronger le poing, c'est la marque d'une folie qui éclate au grand jour. Se conduire ainsi envers ses membres, , tenir la même conduite envers ses frères, c'est également s'assurer le renom d'un insensé, c'est se faire un tort qui mérite qu'on y pense. Tant que ce membre resplendit, c'est votre beauté en même temps qui brille, et tout votre corps est embelli : car cette beauté particulière, le membre ne l'accapare pas pour lui seul, mais il vous donne, à vous aussi, un sujet de vous glorifier : si vous l'éteignez, vous produisez des ténèbres qui enveloppent tout le corps, vous créez un malheur commun à tous les membres; si au contraire, vous conservez sa splendeur, c'est la beauté du corps tout entier que vous conservez. En effet, vous n'entendez jamais dire : voila un bel oeil ; mais, que dit-on ? Voilà une belle femme; et l'éloge de l'oeil ne vient qu'après l'éloge de tout le corps. Il en est de même pour l'Église. En effet, s'il en est, dans son sein, qui jouissent d'une bonne renommée, tout le corps de l'Église recueille le fruit de cette estime. Car les ennemis de l'Église ne cherchent pas les distinctions des personnes (507) dans les éloges, ils adressent leurs éloges à tout le corps. Si tel a l'éloquence en partage, ce n'est pas lui seulement qu'on célèbre par des éloges, mais toute l'Église. En effet; on ne dit pas, un tel est admirable, mais que diton? C'est un docteur admirable que possèdent les chrétiens, et l'éloge est, pour tous, un bien commun. Ainsi ce que les gentils unissent, vous, c'est vous qui 1e divisez, et vous faites la guerre à votre propre corps, à vos propres membres ? Et vous ne voyez pas que vous bouleversez tout? « Tout  royaume »; dit Jésus, « divisé contre lui-même sera ruiné ». (Matth. XII, 25.)

Or, maintenant rien ne produit autant la division, la séparation, que l'envie et la haine jalouse, maladie funeste, pour laquelle il n'y a pas de pardon, maladie plus funeste que la racine même de tous les maux. L'avare en effet a du plaisir au moins quand il reçoit quelque chose; l'envieux, au contraire, ne se réjouit pas quand il reçoit, mais quand uri autre ne reçoit pas : car ce qu'il prend pour un bienfait personnel, c'est le malheur d'autrui, ce n'est pas le bonheur qui lui arrive à lui-même; c'est un ennemi commun de toute la nature humaine, et qui se plaît à frapper les membres du Christ : quelle fureur plus détestable que celle-là? Le démon est jaloux de qui?-des hommes, mais il ne porte envie à aucun démon : tandis que vous, qui êtes un homme, c'est contre des hommes que vous ressentez de l'envie, vous vous élevez contre celui qui est de la même famille , du même sang que vous, et c'est ce que le démon lui-même ne fait pas. Et quel pardon pouvez-vous espérer, quelle justification faire entendre, vous qui, à la vue du bonheur d'un frère, tremblez et pâlissez de rage,, au lieu de vous réjouir, de tressaillir d'allégresse.? Soyez l'émule de votre frère, je n'y mets pas d'obstacle : mais soyez son émule par les vertus qui le font estimer; son émule, non pas pour le dénigrer, mais pour vous élever au même faîte que lui, pour montrer la même perfection. Voilà la bonne rivalité; on cherche à imiter, non à faire la guerre; on s'afflige, non du bonheur d'autrui; ruais du mal que l'on ressent en soi :c'est précisément le contraire de la basse envie, qui, négligeant ses maux propres, se dessèche à la vue du bonheur des autres. Le pauvre ne souffre pas tant de sa pauvreté que de l'abondance du prochain : quoi de plus déplorable qu'une telle disposition? L'envieux, je l'ai déjà dit, est en cela plus odieux que l'avare : l'avare en effet se réjouit quand il a reçu quelque chose; ce qui fait au contraire la joie de l'envieux , c'est qu'un autre ne reçoive pas. Donc, je vous en prie, abandonnez cette voie perverse, changez votre envie en une émulation généreuse (car cette émulation est plus puissante pour l'action et communiqué à l'âme unie ardeur plus dévorante que le feu) , et de cette émulation vous recueillerez de grands biens. C'est ainsi que Paul amenait les Juifs à la foi : « Pour tâcher », disait-il, « d'exciter de l'émulation dans l'esprit des Juifs, qui me sont unis selon la chair, et d'en sauver quelques-uns ». (Rom. XI, 14.) Celui qui ressent l'émulation que voulait l'apôtre, ne se dessèche pas à la vue d'un autre jouissant d'une bonne. renommée, mais il soutire de se voir lui-même en retard.

Il n'en est pas de même de l’envieux quand il voit la prospérité d'autrui , il est comme ces frelons qui vont gâter le travail d'autrui ; jamais il ne fait personnellement d'efforts pour s'élever, mais il pleure à la vue d'un autre qui s'élève, et tente tout pour le rabaisser. A quoi pourrait-on comparer cette maladie ? Il me semble voir un âne lourd et,surchargé d'embonpoint attelé au même timon qu'un agile coursier; l'âne ne veut passe lever, et il cherché, cet animal massif, à tirer l'autre en bas. L'envieux ne pense pas à s'affranchir de son profond sommeil, c'est un soin qu'il ne prend jamais; mais ii n'est rien qu'il ne fasse pour faire tomber, pour abattre celui qui prend son essor vers le ciel; l'envieux c'est le parfait imitateur du démon. Celui-ci, à la vue dé l'homme dans le paradis, n'a pas senti le zèle qui porte à se convertir, mais uniquement l'envie de faire chasser l'homme du paradis: et en le voyant ensuite établi dans le ciel, et les fidèles de la terre jaloux de parvenir là-haut, le démon poursuivant toujours le même dessein , ne cherche qu'à les faire tomber, entassant ainsi plus de charbons ardents sur sa tête. C'est là en effet ce qui arrive toujours : si l'homme à qui l'on porte envie, se tient sur ses gardes, il acquiert une gloire plus brillante ; l'envieux ne fait que rendre son mal plus affreux. C'est ainsi que Joseph a brillé d'une gloire si pure; c'est l'histoire du prêtre Aaron ; les intrigues et le déchaînement de (508) l'envie ont provoqué une fois, deux fois la même sentence de Dieu , et fait fleurir la verge. C'est ainsi que Jacob a joui de l'abondance, et de tous les autres biens. C'est ainsi que les envieux se sont jetés dans mille douleurs inextricables. Pénétrés de toutes ces vérités, fuyons la basse envie. Car pourquoi , répondez-moi, êtes-vous envieux? Parce que votre frère a reçu une grâce spirituelle? Et de qui l'a-t-il reçue ? Répondez-moi : N'est-ce pas de Dieu ? C'est donc à Dieu que s'adresse votre haine, puisque Dieu est l'auteur du présent. Voyez-vous jusqu'où glisse la passion rampante, quel édifice gigantesque de péchés elle élève, quel gouffre de châtiments et de vengeances elle creuse sous vos pieds? Fuyons donc cette odieuse passion, mes bien-aimés; loin de nous l'envie; prions pour les envieux, et faisons tout pour éteindre ce feu qui les mine. Mais gardons-nous du délire de ces malheureux qui, en cherchant à nuire au prochain, ne font qu'allumer contre eux-mêmes une flamme inextinguible. Ne les imitons pas, pleurons, gémissons sur eux. Ce sont eux qui sont blessés, au lieu de faire des blessures aux autres , ils portent dans leur coeur éternellement le ver rongeur, et ils amassent une source de poisons plus amers que toute espèce de fiel. Prions donc le Dieu de bonté, et de guérir ces malheureux , et de nous préserver à tout jamais de leur mal. Il n'y a pas de ciel pour celui que ronge cette lèpre , et en attendant le ciel , la vie présente n'est pas pour cet infortuné une vie. Il n'est pas de teigne, rongeant le bois ou la laine, qui se puisse comparer à ce feu dévorant de l'envie, qui consume les os des envieux et détruit toute la vigueur de l'âme. Voulons-nous nous affranchir, et les autres avec nous, d'incalculables malheurs , repoussons loin de nous cette fièvre détestable, cette corruption la plus funeste de toutes ; pénétrons-nous de la force de l'esprit,, nécessaire pour achever le combat présent, pour obtenir les couronnes à venir; puissions-nous tous les recevoir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui appartient , comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. C. PORTELETTE.

 

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