HOMÉLIE XIV

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HOMÉLIE XIV. C'EST POURQUOI JE VOUS AI ENVOYÉ TIMOTHÉE, QUI EST MON FILS BIEN-AIMÉ ET FIDÈLE DANS LE SEIGNEUR; IL VOUS RAPPELLERA MES VOIES EN JÉSUS-CHRIST. (CHAP. IV, 17, JUSQU'A LA FIN DU CHAP.)

 

 ANALYSE.

 

1. Pourquoi saint Paul fait porter sa mettre par son disciple Timothée.

2. Que les œuvres valent mieux que les paroles.

3. Comment s'acquiert le royaume des cieux. — Ce n'est pas vouloir le bien que de le vouloir faiblement et sans rien faire. — Pourquoi Dieu a donné à l'homme le libre arbitre.

4. Que la vertu est plus aisée que le vice. — Qu'un pauvre qui ne désire  rien est préférable à un riche cupide.

5. Insatiabilité des avares ; maux qu'elle cause.

 

1. Considérez ici, je vous prie, une âme généreuse, plus ardente, plus vive que le feu. Il aurait voulu être, chez les Corinthiens, si malades et Si divisés. Car. il savait combien sa présence était utile à ses disciples, combien son absence leur était nuisible. Il indique le premier point dans sa lettre aux Philippiens, quand il leur dit : «Non-seulement en ma présence, mais bien plus encore en mon absence, comme en ce moment, opérez votre salut avec crainte et tremblement. » (Phil. II, 12); et le second quand il dit encore dans (382) cette lettre-ci : « Quelques-uns s'enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus «venir vous voir; mais je viendrai (18, 19) ». Il avait donc hâte, il avait le désir de venir; mais comme cela n'était pas possible pour le moment, il les corrige par la promesse de son arrivée, et aussi par l'envoi de son disciple. « C'est pourquoi », leur dit-il, « je vous ai envoyé Timothée ». — « C'est pourquoi » qu'est-ce à dire? Parce que j'ai soin de Mous comme de mes enfants,, parce que c'est moi qui vous ai engendrés. Et la lettre est accompagnée de la recommandation de la personne : « Qui est mon fils bien-aimé et fidèle dans le Seigneur ». Il dit cela, et pour montrer l'amour qu'il lui porte et pour les préparer à le recevoir honorablement. Il ne dit pas simplement « fidèle », mais « fidèle dans le Seigneur », c'est-à-dire, dans tout ce qui est selon Dieu. Or, si c'est une gloire d'être fidèle dans les choses temporelles, à plus forte raison de l'être dans les choses spirituelles. Et si Timothée est le fils bien-aimé de Paul; songez à ce que doit être l'amour de Paul pour les Corinthiens, en faveur de qui il s'en sépare ! Mais s'il est fidèle, il règlera tout d'une manière irréprochable. « Qui vous rappellera ». Il ne dit pas : .Il vous enseignera , de peur qu'ils ne trouvassent mauvais de recevoir ses leçons. Aussi dit-il à la fin : « Car il travaille comme moi à l'oeuvre de Dieu » (XVI, 10), de peur que quelqu'un ne le méprise. Car il n'y avait pas de jalousie chez les apôtres .ils n'avaient qu'une chose en vue, l'édification de l'Eglise; et si l'ouvrier était de moindre valeur, ils le soutenaient et l'aidaient avec le plus grand dévouement. C'est pour. cela qu'il ne se contenté pas de dire ; « Il vous rappellera »; mais voulant couper court à leur jalousie (car Timothée était jeune); il ajoute : « Mes voies »; non pas les, siennes, mais les miennes, c'est-à-dire, les. règlements, les périls, les coutumes, les lois, les prescriptions, les canons des apôtres et tout le reste. Comme il a dit plus haut : « Nous sommes nus, souffletés; nous n'avons pas de demeure stable », il ajoute : « Il vous rappellera tout cela ainsi que « les lois du Christ », afin de détruire les hérésies.

Puis reprenant son sujet, il continue : « Mes voies en Jésus-Christ »; rapportant tout au maître, suivant son usage, et voulant rendre digne de foi ce qui doit suivre, car il ajoute : « Selon ce que j'enseigne partout, dans toutes les églises.». Je ne vous ai rien dit de nouveau : toutes les autres églises m'en rendent témoignage. Il affirme que ses voies sont en Jésus-Christ, pour montrer qu'elles n'ont rien d'humain et qu'avec le secours d'en-haut. il fait tout en règle. Après avoir dit cela et les avoir guéris, sur le point d'accuser l'incestueux, il reprend le langage de la colère, non qu'il soit réellement fâché , mais dans le but de les corriger ; et laissant de côté le coupable, il s'adresse aux autres, comme s'il jugeait celui-là indigne qu'on lui parlât :procédé dont nous usons nous-mêmes à l'égard de serviteurs qui nous ont grandement offensés. Après avoir dit : « Je vous envoie Timothée », pour prévenir la négligence où ils pourraient tomber, voyez ce qu'il ajoute : « Quelques-uns s'enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir ». Par là, il les attaque, eux et quelques autres, en ébranlant leur orgueil. Car c'est le propre de ceux qui ambitionnent le pouvoir; d'être arrogants en l'absence du maître. Quand il s'adresse -à la multitude, voyez comme il cherche à inspirer la honte; mais quand il s'adresse aulx auteurs du mal, son langage est bien plus violent. A ceux-là il dit : « La balayure rejetée de tous», puis, dans le but de les adoucir : « Ce n'est point pour vous donner de la confusion que j'écris ceci ». A ceux-ci il, dit : « Quelques-uns s'enflent en eux-mêmes, comme si je ne devais plus venir vous voir », montrant que l'arrogance est le fait d’une âme puérile; en effet, les enfants se relâchent en l'absence du maître. C'est ce qui est indiqué ici, et aussi, que la présence de ce même maître suffit à faire tout rentrer dans l'ordre.

`           2. Car comme la présence du lion terrifie les animaux, ainsi celle de Paul épouvante les fléaux de l'Eglise. Voilà pourquoi il ajouté: « Mais je viendrai vers vous bientôt, si le Seigneur le veut ».S'en tenir à ces paroles n'eût paru qu'une menace; mais promettre lui-même et exiger d'eux la démonstration par les oeuvres, voilà qui est d'une grande âme. Aussi, ajoute-t-il : « Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins d'eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Car leur arrogance avait pris sa source, non dans leurs succès propres,. mais dans l'absence du maître : ce qui était un signe de mépris. C'est pourquoi après avoir dit : « Je vous ai envoyé, (383) Timothée », il n'ajoute pas tout d'abord : « Je viendrai »; mais il commence par les accuser de s'enfler en eux-mêmes, puis il dit : « Je viendrai ». Si cette parole avait précédé l'accusation, il eût eu l'air de s'excuser comme s'il n'eût pas été abandonné; ce n'eût pas été une menace, et on n'y aurait pas ajouté foi ; mais comme elle suit l'accusation; elle le rend  digne de foi et terrible. Et voyez sa fermeté et son assurance ! Il ne dit pas seulement : « Je viendrai »; mais: « Si le Seigneur le veut », et il ne détermine pas le temps. Car comme pouvait réprouver du retard, il veut que l'incertitude les tienne en suspens et en crainte. Mais de peur qu'ils ne tombent dans d'abattement, il ajoute : « Bientôt ».

« Et je connaîtrai non quel est le langage de ceux qui sont pleins d'eux-mêmes, mais quelle est leur vertu ». Il ne dit pas je connaîtrai la sagesse ni les signes; que dit-il donc? « Non quel est le langage », abaissant l'un, et relevant l'autre. Et en attendant, il s'adresse à ceux qui prenaient le parti de l'incestueux. Si, en effet, il se fût adressé à celui-ci, il n'aurait pas dit « vertu » , mais oeuvres lesquelles étaient perverses chez lui. Et pourquoi ne vous inquiétez-vous pas de l'éloquence? Ce n’est pas que j'en sois dépourvu, mais, pour nous, tout consiste dans la vertu. Comme dans les combats, le succès n'est pas pour ceux qui parlent beaucoup, mais pour ceux qui agissent; de même ici la victoire n'est point le résultat des paroles, mais. des couvres. C'est leur dire : vous êtes fier de votre éloquence ; s'il s'agissait maintenant d'un .combat de rhéteurs; vous auriez raison d'être content de vous; mais si c'est une lutte d'apôtres prêchant la vérité et la confirmant par des miracles , pourquoi vous enfler d'une chose superflue qui n'est rien; qui ne peut servir à rien dans l'état présent? Qu'est-ce, en effet, qu’une vaine parade de mots pour ressusciter un dort, chasser les démons, ou opérer fout autre prodige? Or, c'est. ce qu'il faut maintenant, c'est par là que notre oeuvre s'accomplit. Aussi ajoute-t-il : « Car. ce n'est pas dans les paroles que consiste le royaume  de Dieu, mais dans la vertu ». C'est-à-dire : Ce n'est pas par les paroles que nous avons vaincu, mais par les signes; et parce que notre enseignement est divin, parce que nous annonçons le royaume des cieux, et que nous donnons pour preuve principale les miracles que nous faisons par la vertu de l'Esprit. Si donc ceux qui s'enflent maintenant veulent être grands, qu'ils fassent voir cette vertu; quand je serai arrivé, qu'ils ne m'offrent pas une vaine pompe de langage : cet art est pour nous sans valeur.

« Que voulez-vous ? que je vienne à vous avec une verge , ou avec charité et mansuétude?» Ces paroles sont tout à la fois effrayantes et pleines, de douceur. Dire : « Je connaîtrai »; c'était se contenir; mais dire : « Que voulez-vous?que je vienne à vous avec  une verge ? » c’est monter sur sa chaire de docteur, parler delà et prendre toute l'autorité. Qu'est-ce que cela veut dire : « Avec une verge ? » C'est-à-dire : avec la punition, avec le châtiment ; c'est-à-dire : je tuerai, je frapperai de cécité; ce que Pierre a déjà fait à Saphire , et lui-même à Elymas le magicien. Maintenant il ne parle plus comme se mettant à leur niveau , mais d'un ton d'autorité. Dans sa seconde lettre, il parle de la même manière quand il dit: « Est-ce que vous voulez éprouver celui qui parle en moi, le Christ? » (II Cor. XIII, 3.) « Que je vienne avec une verge ou avec charité ». Quoi ! cette verge ne serait-elle pas celle de la charité? Certainement si; mais il parle de la sorte parce que la charité ne se résout qu'avec peine à punir. Quand il s'agit de châtiment il ne dit plus: En esprit de douceur, mais : « avec une verge ». Et pourtant tout se faisait dans l'Esprit, qui est tout à la fois un Esprit de douceur et un Esprit de sévérité ; mais il ne l'appelle pas ainsi et préfère lui donner un nom plus doux. C'est pour cela que Dieu , bien qu'il punisse , est appelé souvent miséricordieux , patient, riche en pitié et en miséricordes ; et c'est à peine si, une fois sur deux, rarement au moins, on dit qu'il punit, et encore ne ledit-on que dans l'occasion et par nécessité. Et voyez la sagesse de Paul. Il a l'autorité, et pourtant il leur laisse le choix, disant: « Que voulez-vous ? » La chose .est en votre pouvoir. Et en réalité il dépend de nous de tomber en enfer ou d'obtenir le royaume du ciel ; ainsi Dieu l'a voulu. « Voilà l'eau et le feu ; étendez à votre choix la main vers l'un ou l'autre ». (Eccli. XV, 16.) Et encore : « Si vous le voulez, et si vous m'écoutez, vous mangerez les biens de la terre ». (Is. I, 19.)

3. Quelqu'un dira peut-être: Je le veux. Au fait, personne n'est assez insensé pour ne pas (384) vouloir; mais vouloir ne suffit pas. — Vouloir suffit, si,vous voulez comme il faut, si vous faites ce qu'il faut faire quand on veut; mais votre volonté n'est pas forte. Etudions cela dans d'autres sujets, si vous le voulez. Dites-moi: pour épouser une femme; est-ce assez de le vouloir? Non certainement: il faut chercher des entremetteuses , intéresser ses amis à l'affaire, se procurer de l'argent. Il ne suffit pas à un marchand de vouloir et de rester chez lui; mais il faut louer un navire, se fournir de pilotes et de rameurs, emprunter de l'argent , et s'informer soigneusement des lieux et du prix des marchandises. Comment donc ne serait-il pas absurde de se donner tant de peine pour les choses de la terre et de se .contenter de la volonté pour acheter le royaume du ciel? bien plus , de ne pas même montrer une véritable bonne volonté ? Car celui qui veut comme-il faut, fait tout ce qui peul le conduire à son but. En effet, quand la faim vous force à manger, vous n'attendez pas que les aliments viennent d'eux-mêmes à vous, mais-vous faites tout pour vous les procurer; quand vous avez soit ou froid , ou que vous éprouvez tout autre besoin, vous êtes également actif et empressé à soigner votre corps. Faites-en autant pour le royaume des cieux, et vous l'obtiendrez sûrement. Dieu vous a donné le libre arbitre précisément pour que vous ne l'accusiez pas de vous avoir contraint. Et vous vous fâchez de ce qui fait votre honneur ! J'en ai, en effet, .entendu beaucoup dire : Pourquoi m'a-t-il rendu maître de ma propre volonté ? Quoi ! devait-il vous amener au ciel pendant que vous dormez ou que vous sommeillez, que vous vous adonnez à tous les vices, Une vous vivez dans la volupté ou dans les plaisirs de la table ? Mais vous ne vous seriez pas abstenu dq mal. Car si vous ne vous en abstenez pas nous le coup de ses menaces; ne seriez-vous pas devenu plus liche et beaucoup plus vicieux,.s'il vous avait proposé le ciel pour récompense ? Et vous ne pouvez pas dire : Il m'a. fait voir, des biens et né m'a pas aidé à les acquérir , car il vous promet de grands secours: Mais, dites-vous, la vertu est désagréable et pénible, tandis qu'un grand plaisir se mêle au vice ; l'un est large et spacieux, et l'autre étroite et resserrée. Eh dites-moi: en fut-il ainsi dès le commencement? C'est malgré vous que vous parlez ainsi de la vertu ; tant la vérité a de force !

S'il y avait deux chemins dont l'un conduisît à une fournaise, et l'autre à un jardin, et que le premier fût large et le second étroit, lequel choisiriez-vous? Vous aurez beau disputer et contredire , même jusqu'à l'impudence, vous ne détruirez pas des vérités acceptées de tous. Je m'efforcerai de vous prouver, par des exemples sensibles, qu'il faut choisir la voie qui est rude au commencement et ne l'est plus à la fin. Si vous le voulez , commençons par les arts; ils sont très-pénibles d'abord et deviennent ensuite lucratifs. Mais , dites-vous, personne ne s'y applique sans y être forcé; si le jeune homme était maître de lui-même , il aimerait mieux vivre tout d'abord dans les délices, au risque de beaucoup souffrir à la fin , que de commencer par vivre misérablement pour recueillir plus tard les fruits de ses travaux. Donc c'est là une pensée d'enfant, d'orphelin, l'inspiration d'une paresse puérile ; la conduite opposée est celle de la prudence et du courage. Donc si nous ne sommes pas enfants par le caractère , nous n'imiterons pis, l'enfant privé de. ses parents eu de sa raison, mais celui qui a son père. Donc il faut dépouiller cet esprit puéril, ne pas accuser les choses, et donner à la conscience un guide qui ne lui permette pas de se livrer à la bonne chère, mais l'oblige à courir et à combattre. Comment ne serait-il pas absurde que des enfants dépensassent leurs peines et leurs sueurs à des métiers dont les débuts sont laborieux et les profits ne viennent qu'à la fin , et que nous tinssions une toute autre conduite dans les affaires spirituelles?

Et encore, dans lés questions matérielles, n'est-on pas toujours sûr d'arriver à un bon résultat. Car une mort prématurée, la pauvreté , la calomnie , les vicissitudes des événements, et beaucoup d'autres causes semblables, peuvent nous priver des fruits de nos longs travaux.. Et quand on atteint le but, on n'en retire pas grand avantage, puisque tout disparaît avec la vie présente. Mais ici nous ne courons pas pour des objets stériles et passagers, nous n'avons rien à craindre pour le résultat; nous espérons, après le départ de cette. vie, des biens plus grands et plus solides. Quel pardon, quelle excuse y a-t-il donc peur ceux qui ne, veulent pas travailler à acquérir la vertu? On demande encore : Pourquoi la voie est-elle étroite? On ne laisse pas entrer un débauché, un ivrogne, un libertin dans les palais des (385) princes de la terre; et vous voudriez qu'on entrât dans le ciel avec la licence, la volupté, 1'.ivrogrierie, l'avarice et tous les autres vices ! Cela est-il acceptable?

4. Ce n'est pas cela que je veux dire , reprend-on; mais pourquoi le chemin de la vertu n'est-il pas large? Si nous le voulons, il est très-facile. Lequel est le plus facile, dites-moi, Je percer les murailles, pour voler le bien d'autrui et être Ensuite jeté en prison ; ou de se contenter de ce que l'on a et de vivre sans crainte? Et je n'ai pas tout dit.. Lequel est le plus facile , dites-moi encore , de voler tout le monde, de jouir un moment d'une partie de ses vols, puis d’être torturé et flagellé éternellement; ou de vivre quelque temps dans une honnête pauvreté, pour jouir ensuite d'un bonheur sans fin ? Ne parlons pas encore de profit, mais de facilité.

Lequel est le plus doux d'avoir eu un songe agréable et d'être réellement puni, ou d'avoir eu un songe pénible et de jouir du bonheur? N'est-ce pas évidemment ce dernier cas? Comment donc appelez-vous la vertu âpre et difficile? Elle l'est en effet, eu égard à notre indolence. Mais le Christ nous dit qu'elle est facile et douce. Ecoutez-le : « Mon joug est doux et mon fardeau léger ». (Matth. XI, 30.) Et st vous ne sentez pas qu'il est léger, c'est que vous n'avez pas l'âme forte. Car comme tout ce qui est lourd lui devient léger quand elle est forte, ainsi tout ce qui est léger lui devient lourd quand elle ne l'est pas. Qu'y avait-il de plus agréable que la manne, de plus facile à. préparer? Pourtant les Juifs se dégoûtaient de cette délicieuse nourriture. Quoi de plus cruel que la faim et due toutes les souffrances endurées par Paul? Et i1 tressaillait de joie, et il se réjouissait, et il disait «Maintenant je me réjouis dans mes souffrances ». (Col. I, 24.) A quoi cela tient-il ? A la différence des âmes. Si votre âme est ce qu'elle doit être, vous verrez la facilité de la vertu. Quoi, direz-vous, la vertu devient facile parla disposition de l'âme ? Pas uniquement pour cela, mais aussi par sa nature. — En effet, si elle était toujours difficile et le vice toujours facile, ceux qui sont tombés auraient raison de dire que le vice est. plus facile que la vertu; mais si l'une est difficile et l'autre facile au commencement, et qu'à la fin ce soit tout le contraire, et que cette fin, heureuse ou malheureuse, doive durer éternellement, lequel, dites-moi, est le plus facile à choisir? Pourquoi donc un grand nombre d'hommes ne choisissent-ils pas le plus facile? Parce que les uns ne croient pas, et que tes autres, tout en croyant, ont le jugement perverti, et préfèrent une jouissance éphémère à un bonheur éternel. — Donc c'est plus facile. — Cela n'est pas plus facile, mais c'est l'effet de la faiblesse de l'âme. Comme les fiévreux aiment à boire de l'eau froide , non parce qu'une jouissance d'un moment est préférable à une longue souffrance, mais parce qu'ils ne peuvent contenir un désir déraisonnable; ainsi en est-il ici , tellement que si on les conduisait au supplice au milieu du plaisir, ils n'y voudraient point consentir. Voyez-vous combien le vice est plus facile ? Si vous le voulez, examinons encore ici la nature des choses. Quoi de plus doux, dites-moi, quoi de plus facile? Mais ne jugeons point d'après là passion de la multitude; car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu'on doit consulter. Quand vous me montreriez des milliers de fiévreux, recherchant ce qui est contraire à leur santé, au risque de souffrir ensuite; je n'accepterais pas leur manière de voir. Lequel est le plus facile, dites-moi, d'ambitionner de grandes richesses, ou d'être au-dessus de cette ambition ? C'est ce dernier point, ce me semble; et si vous n'êtes pas de mon avis, allons . au fond des choses. Supposons un homme qui désire beaucoup et un homme qui ne désire rien : lequel. de ces deux états vaut le mieux, lequel est le plus honorable

5. Mais laissons cela de côté : il est incontestable que le- dernier est plus honorable que l'autre; mais ce n'est point là la question; il s'agit de savoir lequel des deux vit le plus facilement, le plus agréablement. Or l'avare ne jouit pas même de ce qu'il a; il ne voudrait pas dépenser ce qu'il aime; il couperait lui-même sa chair et en jetterait su loin les morceaux plutôt que de jeter son or; tandis que celui qui méprise les richesses a au moins cet avantage qu'il jouit en toute liberté et sécurité de ce qu'il possède, et s'estime plus que ses biens Maintenant, lequel est le plus agréable, de jouir tranquillement de ce qu'on a, ou d'être esclave de la richesse jusqu'à n'oser toucher à ce que l'on possède? C'est à peu près, ce me semble, comme si deux hommes avaient chacun une femme qu'ils aimassent (386) beaucoup, et que l'un eût la faculté de jouir de la sienne, tandis que ce pouvoir serait refusé à l'autre. Je dirai encore autre chose pour faire voir combien la vertu procure de joie et le vice de tristesse. Jamais l'avare ne modérera sa passion, ni par la considération qu'il ne peut pas s'emparer du bien de tout le monde , ni parce qu'il regarde comme rien tout ce qu'il possède ; au contraire, celui qui méprise l'argent, regarde tout comme superflu, et n'est point tourmenté par des désirs insatiables. Car il n'est pas de supplice pareil à celui d'un désir inassouvi ; ce qui est l'indice d'un sens étrangement perverti.

Voyez en effet : Celui qui désire de l'argent et en possède déjà beaucoup, est aussi tourmenté que s'il n'avait rien. Or, quai de plus compliqué qu'une telle maladie? Non-seulement elle est grave par elle-même, mais encore parce que, tout en possédant, on ne semble rien posséder, et qu'on est tourmenté comme si l'on n'avait réellement rien; possédât-on les biens de tout le monde, on n'en serait que plus malheureux; si l'on a cent talents, on s'afflige de n'en pas avoir mille ; si on en a mille, on souffre de n'en avoir pas dix mille; si on en a dix mille, on est tourmenté de n'en avoir pas dix fois plus ; en sorte qu'un surcroît de fortune devient un surcroît de pauvreté, et que plus on a, plus on désire avoir. Donc, plus. on possède, plus on est pauvre : car celui qui désire le plus, est celui à qui il manque davantage. Avec cent talents, il n'est pas très-pauvre, car il n'en désire que mille; quand il en a mille, il devient plus pauvre; car il ne, se contente pas de mille, comme auparavant, mais il prétend qu'il lui en faut dix mille. Que si vous prétendez que ce soit un plaisir de désirer sans obtenir, il me semble que vous ignorez absolument la nature du plaisir. Prouvons, dans un autre ordre de choses, que c'est là, non une jouissance, mais un supplice.

Pourquoi, quand nous avons soif, goûtons-nous du plaisir à boire ? N'est-ce pas parce qu'en buvant, nous nous délivrons d'un grand tourment, qui est le désir de boire? Evidemment. Or, si ce désir devait toujours durer, notre sort ne serait pas meilleur que celui du riche qui n'eut pas pitié de Lazare, notre tourment ne serait pas moindre : car sa punition était de désirer ardemment une goutte d'eau sang pouvoir l'obtenir. C'est là, ce me semble, le perpétuel supplice des avares : ils ressemblent à ce riche qui demandait une goutte d'eau et ne l'obtenait pas; leur âme est même encore plus tourmentée que la sienne. Aussi a-t-on eu raison de les comparer aux hydropiques. Car comme ceux-ci, en portant beaucoup d'eau dans leur corps, n'en sont que plus brûlés parla soif; ainsi ceux-là, quoique chargés d'une grande quantité d'argent, tan désirent encore davantage. Et la raison en est que les uns ne portent pas leur eau dans les endroits convenables , ni les autres leur désir d'une manière raisonnable. Fuyons donc cette étrange; cette stérile maladie; fuyons la racine des maux; fuyons l'enfer de ce monde : car la passion de l'avare est un enfer. Pénétrez dans l'âme de celui qui méprise l'argent, et dans celle de celui qui ne le méprise pas ; et vous verrez que le premier, semblable aux fous furieux, ne veut rien voir, rien entendre; et que le second ressemble à un port à l'abri des flots, et qu'il est aimé de tout le monde matant que l'autre en est haï, En effet , si on lui prend, il ne s'attriste. pas; si on lui. donne, il ne s'enfle pas; il règne en lui une certaine indépendance pleine de sécurité ; il n'est pas obligé , comme l'avare, de flatter tout le monde et de faire l'hypocrite. Si donc l'avare est pauvre, lâche; dissimulé, rempli de terreur, livré aux châtiments et aux tortures, tandis que celui qui méprise l'argent jouit de tous les biens opposés ; n'est-il pas évident que la vertu est:plus douce que le vice ? Nous pourrions prouver encore par les autres défauts que le mal ne procure jamais la joie, si déjà nous n'avions longtemps parlé. Eclaircis sur ce point, choisissons donc la vertu, afin d’être heureux ici-bas et d'obtenir les biens futurs, par la grâce. et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il:

 

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