HOMÉLIE XXIX

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HOMÉLIE XXIX. POUR CE QUI EST DES DONS SPIRITUELS, MES FRÈRES, JE NE VEUX PAS, QUE VOUS IGNORIEZ CE QUE VOUS DEVEZ SAVOIR. VOUS VOUS SOUVENEZ BIEN QU'ÉTANT PAÏENS, VOUS VOUS LAISSIEZ. ENTRAÎNER SELON QU'ON VOUS MENAIT VERS LES IDOLES MUETTES. (CHAP. XII, VERS. 12.)

 

ANALYSE.

 

1. Sur la diversité des dons du Saint-Esprit. — Rivalité entre les chrétiens , à ce sujet. — Contre l'orgueil , d'une part, l'envie, de l'autre. — Différence entre les prophètes inspirés de Dieu et les devoirs du paganisme ; manière de les reconnaître.

2. Quelle que soit la diversité des dons , ils viennent tous d'un seul et même esprit.

3. Explication de chacun de ces dons différents.

4 et 5. De l'Esprit, égal au Père et au Fils, agissant de lui-même, sans être mis en mouvement par une cause étrangère à lui. — Il ne faut pas critiquer la distribution que Dieu fait de tous les biens.

6. Vanité des richesses. — Exhortation à les mépriser.

 

1. Tout ce passage est fort obscur; l'obscurité tient à l'ignorance où nous sommes des prodiges qu'on voyait alors, et qui n'arrivent plus aujourd'hui. Et pourquoi n'arrivent-ils plias aujourd'hui ? Voici que le besoin d'expliquer l'obscurité nous suggère une question nouvelle. Pourquoi ce qui arrivait alors, ne se présente-t-il plus aujourd'hui ? Remettons à un autre jour la dernière partie de la question. En attendant, disons ce qui se passait autrefois. Donc, autrefois qu'arrivait-il? Après le baptême, tout de suite, on parlait différentes langues, et il y avait plus que le don des langues; un grand nombre de personnes prophétisaient; quelques-unes manifestaient encore d'autres facultés puissantes. En effet, on venait de quitter les idoles, les nouveaux venus n'avaient aucune idée claire; ils n'avaient pas appris ce qui se trouve dans les anciens livres; alors, au moment du baptême, ils recevaient l'Esprit. L'Esprit, ils ne le voyaient pas, puisqu'il est invisible, mais la grâce donnait une preuve sensible de la merveilleuse opération. L'un parlait la langue des Perses; un autre, celle de Rome; un autre, celle des Indes; un autre encore, fane autre langue, et tout de suite ; et c'était, pour les hommes du dehors, la preuve que l'Esprit-Saint était dans celui qui parlait.

Voilà pourquoi l'apôtre, exprimant ce fait, dit : « La manifestation de l'Esprit a été don« née à chacun pour l'utilité ». Il donne ce nom de manifestation de l'Esprit aux dons et aux grâces spirituelles. Les apôtres, ayant reçu ce premier signe de la présenté de l'Esprit, les fidèles aussi reçurent le don des langues; et non-seulement ce don, mais d'autres encore, en très-grand nombre. Car beaucoup de personnes ressuscitaient les morts, et chassaient les démons, et opéraient encore beaucoup de miracles du même genre. Ils avaient donc tous leur part de ces dons ; les uns plus, les autres moins. Mais le don des langues était toujours le plus ordinaire.

Et ce fut ce don qui fut une cause de schisme à Corinthe, non par sa nature propre, (487) mais par l'ingratitude de ceux qui le recevaient. En effet, les mieux partagés devenaient superbes à l'égard de ceux qui l'étaient moins bien; ces derniers, à leur tour, s'affligeaient, portaient envie à ceux qui recevaient des dons plus magnifiques. C'est ce que montre Paul dans la suite de sa lettre; les fidèles recevaient un coup mortel, la charité s'éteignait; l'apôtre s'applique avec ardeur à corriger ce mal. Le même désordre eut lieu à Rome, mais y fut moins grand; aussi, dans l'épître aux Romains, l'apôtre touche ce point, mais d'une manière enveloppée, et sans y insister; il dit : «. Car, comme dans un seul corps nous avons plusieurs membres, et que tous ces membres n'ont pas la même fonction ; de même, quoique nous soyons plusieurs, nous ne «sommes néanmoins qu'un seul corps en Jésus-Christ, étant tous réciproquement membres les uns des autres. C'est pourquoi comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon l'analogie et la règle de la foi; que celui qui est appelé au ministère s'attache à son ministère; que celui qui a reçu le don d'enseigner s'applique à enseigner ». (Rom. XII, 4-7.) Que ce fut aussi pour eux une occasion de concevoir de l'orgueil, c'est ce que l'apôtre donnait à entendre dès le commencement par ces paroles : « Or, je vous exhorte a tous, selon le ministère qui m'a été donné a par grâce, de ne vous point élever au-delà de ce que vous devez, dans les sentiments que vous avez de vous-mêmes; mais de vous a tenir dans les bornes de la modération, selon la mesure du don de la foi que Dieu a départi à chacun de vous». (Ibid. 3.)

Voilà donc comment il parle aux Romains (chez eux la maladie de la discorde, la maladie de l'orgueil n'avait pas fait de grands ravages) mais ici, avec les Corinthiens, l'apôtre s'applique ardemment à la correction; la maladie avait fait de grands progrès. Et ce n'était pas, chez eux, la seule cause de trouble; il y avait aussi, dans ce pays-là, des devins en grand nombre; ce qui n'est pas étonnant dans une ville infectée des moeurs grecques et païennes; cette cause, ajoutée aux autres, les bouleversait, produisait mille chutes. Voilà pourquoi l'apôtre commence par établir la différence entre la divination et la prophétie. S'ils ont reçu le don de discernement des esprits, c'est pour pouvoir distinguer et reconnaître quel était celui qui parlait au nom de l'Esprit-Saint, quel autre parlait au nom de l'esprit impur. La démonstration de la vérité des prophéties ne pouvait pas se faire sur-le-champ; car ce n'est pas au moment où la prophétie est prononcée, mais au moment où elle doit se réaliser, que la prophétie fournit la preuve de sa vérité; il n'était donc pas facile de la reconnaître, de distinguer le prophète de l'imposteur. En effet, le démon, ce monstre de perfidie et d'impureté, suscitait de faux prophètes, ayant eux aussi la prétention d'annoncer l'avenir. Comme donc les fausses prophéties ne pouvaient être convaincues de fausseté, puisque les prédictions n'avaient pu encore se réaliser, la tromperie était facile, et le mensonge et la vérité ne se reconnaissaient qu'à la fin. Voilà pourquoi, pour prévenir l'erreur qui aurait trompé ceux qui entendaient les prophéties, avant le terme de leur accomplissement, l'apôtre donne un signe qui permette de distinguer, même avant l'événement, le vrai prophète de l'imposteur. C'est de là qu'il prend occasion de parler des faveurs de l'Esprit, et il corrige les querelles que ces faveurs ont suscitées.

C'est par les devins qu'il entre en matière, et il commence ainsi : « Pour ce qui est des dons spirituels, mes frères, je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir ». Il appelle ces signes « spirituels », parce que c'est le Saint-Esprit seul qui les opère , l'homme n'étant pour rien dans de pareils miracles. Et au moment d'engager la discussion, il commence, ainsi que je l'ai dit, par établir la différence entre la divination et la prophétie, par ces paroles : « Vous vous souvenez bien qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu'on vous menait vers les idoles muettes » ; voici la pensée de l'apôtre : Lorsque quelqu'un autrefois auprès des idoles était saisi de l'esprit impur, et parlait en devin de l'avenir; l'esprit impur se saisissait de lui, s'en rendait maître, le poussait et l'entraînait où il voulait, sans que cet homme sût ce qu'il disait. Car c'est là le propre du devin; il est hors de lui; c'est une violence qu'il subit ; on le pousse, on le traîne; il est comme un furieux dont on s'empare; pour le prophète, il n'en est pas ainsi. Calme, maître de sa pensée, parlant avec mesure, il a conscience de toutes ses paroles. (488) Vous pouvez donc, à ces marques, sans attendre l'événement, faire la distinction du devin et du prophète. Et voyez comment l'apôtre rend son discours non suspect; il appelle en témoignage ceux-mêmes que l'expérience a pu instruire; je ne mens pas, dit-il, je n'accuse pas au hasard les païens; je ne suis pas un ennemi qui forge des histoires ; soyez vous-mêmes mes témoins; car vous savez bien vous-mêmes qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner. Si on soupçonne leur témoignage parce que ce sont des fidèles, eh bien ! l'emprunterai aux hommes qui sont hors de l'Église, un témoignage qui sera une preuve éclatante. Écoutez donc Platon qui dit formellement que les devins, et ceux qui rendent des oracles, disent souvent de fort belles choses, mais sans avoir conscience des paroles qu'ils prononcent. Écoutez aussi un autre poète faisant la même observation : Il s'agit d'un homme, qu'après certaines initiations et pratiques superstitieuses, on avait livré au démon; cet homme faisait entendre des prédictions, mais, dans tout le cours de ses prédictions, il était violemment renversé, déchiré, incapable de supporter la violence du démon; brisé, rompu, il allait rendre l'âme, il s'écrie, en s'adressant à ceux qui présidaient à cette magie :

 

Assez, car un mortel ne soutient pas un Dieu.

 

Et encore :

 

Assez, au lieu de fleurs épanchez l'onde pure

Sur mes pieds ; baignez-moi, rendez-moi ma nature.

 

Ces paroles et d'autres semblables (il en est un grand nombre que l'on pourrait citer) nous montrent deux choses à là fois : la nécessité, qui contraint les démons à la servitude ; la violence subie par ceux qui se sont une fois livrés au démon, et qui sont sortis de l'état naturel de. leur âme. Quant à la Pythie (je suis bien forcé d'étaler encore une autre honte des païens, il vaudrait mieux n'en pas parler; il est peu convenable, pour nous, de nous occuper de pareilles aberrations; il est pourtant nécessaire de mettre au jour ces infamies, afin de vous faire comprendre le délire de cette conduite, le ridicule de ceux qui ont recours aux devins) ; donc on rapporte que cette femme, la, Pythie, s'asseyait sur le trépied d'Apollon, les jambes écartées; ensuite l'esprit pervers, s'échappant de l'enfer, per genitales ejus partes subiens, la remplissait de son délire, et alors la malheureuse, les cheveux épars, comme une bacchante, écumait, et c'est dans cet état qu'elle faisait entendre les paroles de son ivresse furieuse; je sais bien que vous avez honte, que vous rougissez à de tels récits, mais voilà la haute sagesse de ces païens, cherchez-la dans ce honteux délire.

2. C'est donc pour corriger ces habitudes et toutes celles du même genre, que Paul disait: « Vous vous souvenez bien qu'étant païens, vous vous laissiez entraîner, selon qu'on vous menait vers les idoles muettes ». Et, comme il s'adressait à des auditeurs parfaitement instruits, il n'insiste pas sur tous les détails, il ne veut pas les fatiguer; il se contente de leur rappeler les faits en général, et aussitôt il termine et reprend ce qu'il s'est proposé. Maintenant que signifie : « Vers les idoles muettes? » Ces devins étaient traînés vers ces idoles, mais si elles étaient muettes, comment pouvaient-ils s'en servir? Pourquoi le démon entraînait-il auprès de ces statues ces malheureux, captifs et enchaînés? Le dé. mon voulait, par là, donner, à l'imposture, une certaine vraisemblance. Il ne fallait pas que la pierre parût muette; il s'efforçait donc d'y attacher des hommes pour qu'on pût attribuer aux idoles les discours que ces hommes faisaient entendre. Mais il n'en est pas de même chez nous ; nous ne devons rien au démon, je veux dire que nous ne lui devons pas les paroles de nos prophètes. En effet, dans leurs discours , tout exprimait ce qu'ils voyaient clairement; dans leurs discours, la prophétie, pleine de décence,.avait conscience d'elle-même et s'exprimait en toute liberté, Aussi était-il en leur pouvoir, et de parler et de ne pas parler-, nulle nécessité ne les contraignait; ils avaient en partage, et la puissance, et l'honneur de cette puissance. Voilà pourquoi Jonas prend la fuite; pourquoi Ezéchiel, diffère; pourquoi Jérémie refuse. Dieu n'exerce pas sur eux de contrainte, il agit par conseils, par exhortations, par des menaces; il ne répand pas de ténèbres dans leur esprit., C'est le propre du démon d'exciter le tumulte, le délire, de répandre dans les âmes l'obscurité; Dieu au contraire illumine; il enseigne en faisant comprendre à l'esprit ce qu'il faut. Voilà donc la première différence entre le devin et le prophète.

 

489

 

Maintenant, il en est une seconde, que l'apôtre indique par ces paroles: « Je vous déclare donc que nul homme, parlant par l'Esprit de Dieu, ne dit anathème à Jésus» ; ensuite, une autre différence encore : « Et que nul ne peut confesser que Jésus est le Seigneur, sinon par le Saint-Esprit (3) ».Quand vous voyez, dit l'apôtre, un homme qui, loin de proclamer le nom de Jésus, lui dit : Anathème, c'est un devin; au contraire, quand vous voyez un homme qui ne parle qu'au nom de Jésus, vous devez croire que cet homme est animé par l'Esprit. Que penserons-nous donc, me dira-t-on, des catéchumènes car si nul ne peut prononcer le nom de Notre-Seigneur Jésus, que par la grâce de l'Esprit-Saint ; que dirons-nous de ceux qui prononcent bien ce nom, mais sans avoir encore reçu l'Esprit? Ce n'est pas d'eux que l'apôtre s'occupe en ce moment, il n'y en avait point alors; il ne parle que des fidèles et des infidèles. Eh quoi, n'y a-t-il aucun démon qui nomme Dieu? Est-ce que les démoniaques ne disaient pas : « Nous savons que,vous êtes le Fils de Dieu ? » (Marc, I, 24,) Est-ce qu'ils ne disaient pas à Paul : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut ? » (Act. XVI, 17.) Mais ils parlaient ainsi sous les coups de fouet; mais ils étaient forcés; au contraire, livrés à eux-mêmes et ne subissant pas les coups de fouet , jamais ils ne rendaient ce témoignage. Ici, il peut être à propos de rechercher pourquoi le démon tenait ce langage, et d'où vient que Paul le réprimanda. C'est que Paul imitait son maître; le Christ aussi réprimanda les démons; le Christ ne voulait pas de leur témoignage. Pourquoi ? parce que le démon n'agissait ainsi que pour tout confondre, pour arracher, aux apôtres, leur autorité ; pour persuade à la foule de se fier à lui. Si ce malheur fût arrivé, il n'aurait pas été difficile aux démons d'inspirer de la confiance, et ils auraient introduit, parmi les hommes, leur perversité. C'est pour prévenir ce désastre, pour exterminer, dès le commencement, l'imposture, qu'alors même que les imposteurs disent vrai, le Christ leur ferme la bouche, afin que, quand ils diront leurs mensonges, personne ne soit prêt à les croire, afin que tous leurs discours trouvent les oreilles fermées.

Après la distinction entre les devins et les prophètes , après avoir marqué le premier et le second signe qui les distinguent, l'aôtre s'occupe enfin des miracles. Et ce n'est pas sans raison qu'il passe à ce sujet ; il veut faire cesser la discorde qu'a causée la diversité des prérogatives ; il veut persuader, à ceux qui en ont moins, de ne pas s'affliger; à ceux qui en ont plus, de ne pas s'enorgueillir. Voilà pourquoi il commence ainsi : « Or il y a diversité de dons spirituels , mais il n'y a qu'un même Esprit (4) ». Il s'occupe d'abord de celui qui a un don moins considérable, et qui , pour cette raison , s'afflige. Pourquoi; lui dit-il, vous tourmentez-vous? Parce que vous n'avez pas reçu autant qu'un autre? Mais pensez donc que ceci est un don qu'on vous fait, non une dette qu'on vous paie , et cette pensée vous consolera. Voilà pourquoi l'apôtre s'empresse de dire : « Il y a diversité de dons spirituels ». Il ne dit pas, de signes ni de miracles, mais : « De dons spirituels ». Ce mot « dons » est pour persuader non-seulement qu'on ne doit pas s'affliger, mais qu'on doit rendre à Dieu des actions de grâces. Et en outre, dit-il, réfléchissez encore à ceci qu'alors même que votre don est moindre , vous avez cependant été jugé digne de puiser à la même source que celui qui reçoit plus; vous avez un honneur égal, car vous ne pouvez pas dire qu'il a reçu de l'Esprit, lui, et que vous n'avez reçu que d'un ange; aussi bien pour vous que pour lui, c'est l'Esprit qui a été donné. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : « Mais il n'y a qu'un même Esprit ».

3. C'est pourquoi, s'il y â différence dans le don, il n'y en a pas dans celui qui l'a fait; car c'est à la même source que vous avez puisé , vous et l'autre. « Il y a diversité de ministère,  mais il n'y a qu'un même Seigneur ». Pour donner une autorité , à là fois plus considérable et plus douce à la consolation, il ajoute : « Et le Fils et le Père (5) ». Et voici qu'il appelle ces dons d'un autre nom, afin de retirer, du changement même de nom, un surcroît de consolation. Voilà pourquoi il dit : « Ily a diversité de ministère, mais il n'y a qu'un « même Seigneur ». En effet , celui qui n'entend parler que de don, et qui reçoit moins, peut avoir sujet de se plaindre; mais quand il s'agit de ministère, il n'en est pas de même; car un ministère suppose du travail et des sueurs. Qu'avez-vous donc à vous plaindre, dit l'apôtre, si le Seigneur a commandé à un autre un plus grand travail, et vous a (490) ménagé? « Et il y a diversité d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu qui opère tout en tous. Or les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, sont donnés à chacun pour l'utilité (6, 7) ». Et que signifie « opérations? » que signifie « dons? » Va-t-on me demander que signifie « ministère? » Les noms seuls sont différents; les choses sont les mêmes. Le don n'est pas autre chose que le ministère, et c'est encore la même chose que l'opération, car l'apôtre dit : « Remplissez votre ministère » (II Tim. IV, 5) ; et : « Je glorifie mon ministère » (Rom. XI, 13) ; et il écrit à Timothée : « C'est pourquoi je vous, avertis de rallumer ce don de Dieu qui est en vous » (II Tim. I, 6); et il écrit encore aux Galates : « Car celui qui a opéré dans Pierre pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi opéré en moi, pour me rendre l'apôtre des gentils ». (Galat. II, 8.) Voyez-vous comme il ne fait aucune différence entre les dons du Père et du Saint-Esprit? Ce n'est pas qu'il confonde les personnes; loin de nous cette pensée, mais il montre l'égalité d'honneur; car ce qu'accorde la libéralité de l'Esprit, c'est Dieu qui l'opère, et c'est le Fils qui le dispense et le fournit, selon l'apôtre. Si une des personnes était moindre que l'autre, la troisième moindre que la seconde, assurément l'apôtre n'aurait pas disposé ainsi sa consolation; il ne se serait pas avisé de ce moyen pour consoler celui qui s'afflige.

Et maintenant l'apôtre a encore une autre manière de consoler; c'est que la mesure même du don est précisément dans l'intérêt de celui qui l'a reçu, quelle qu'en soit l'infériorité. En effet, après avoir dit : « Le même Esprit, le même Seigneur, le même Dieu » ; après avoir ainsi réconforté celui qui se plaint, il ajoute une autre consolation: « Or, les dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, sont donnés à chacun pour l'utilité ». En effet, on aurait pu dire : que m'importe, que ce soit le même Seigneur, le même Esprit, le même Dieu, si moi j'ai moins reçu ? L'apôtre dit que la mesure même a son utilité. Il entend par ces dons du Saint-Esprit, qui se font connaître au dehors, les signes miraculeux, et c'est avec raison. En effet, pour moi fidèle, ce qui me prouve qu'un tel possède l'Esprit, c'est qu'un tel a été baptisé; au contraire, pour l'infidèle, il n'y a aucune preuve que les signes. C'est pourquoi la consolation qui en résulte, n’est pas à dédaigner. Les dons ont beau être divers, la manifestation n'en est pas moins la même. Que vous ayez reçu beaucoup, reçu peu, vous le manifestez également. C'est pourquoi, si vous tenez à montrer que vous possédez l'Esprit, vous possédez suffisamment la preuve qui le manifeste. Puis donc que c'est un seul et même auteur qui accorde les dons, puisque chaque don est gratuit, puisque la manifestation qui le révèle, en découle, puisque la mesure est dans votre plus grand intérêt, gardez-vous de vous plaindre, comme si vous étiez méprisés. Dieu ne veut pas vous faire honte; ce n'est pas pour vous mettre en état d'infériorité , qu'il agit ainsi envers -vous; c'est parce qu'il vous ménage, c'est parce qu'il considère votre intérêt. Recevoir un fardeau que l'on ne peut porter, c'est là ce qui est inutile , nuisible, et fait pour causer du chagrin. « L'un reçoit du Saint-Esprit, le don de parler dans une haute sagesse; un autre reçoit du même Esprit, le don de parler avec science ; un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit; un autre reçoit du même Esprit, la grâce de guérir les maladies (8, 9) ». Voyez-vous partout cette réflexion : « Du même Esprit, parle même Es« prit? » L'apôtre sait bien qu'il en résulte une grande consolation. « Un autre, le don de faire des miracles; un autre, le don de prophétie; un autre, le nom du discernement des esprits; un autre, le don de parler diverses langues; un autre, le don de l’interprétation des langues (10) ». Ce qui constituait la plus haute sagesse, c'est ce que l'apôtre a exprimé en dernier lieu , et il ajoute : « Or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses (11) ». Le baume consolateur universel, c'est que tous cueillent les fruits de la même racine, prennent au même trésor, s'abreuvent au même courant. Voilà pourquoi il reprend sans cesse la même observation; pour effacer l'inégalité apparente, pour consoler. Plus haut, il montre le Saint-Esprit; le Fils, le Père communiquant leurs dons; ici, au contraire, il lui suffit de montrer l'Esprit, afin de vous apprendre, par cela même, l'égalité de dignité.

Maintenant, que signifie « le don de parler « dans une haute sagesse? » C'est le don de Paul, le don de Jean, le fils du tonnerre. Qu'est-ce que le don de parler avec science? c'est le don (491) d'un grand nombre de fidèles, possédant la science, mais incapables d'enseigner, incapables de communiquer aux autres ce qu'ils savaient. « Un autre reçoit le don de la foi » ; il ne s'agit pas de la foi qui regarde les dogmes, mais de la foi des miracles, de laquelle le Christ dit : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : transporte-toi d'ici là, et elle s'y transporterait ». (Matth. XVII, 19.) C'est la foi que demandaient les apôtres : « Augmentez en nous la foi » (Luc, XVII , 5) ; c'est là la mère des miracles. Le pouvoir des opérations miraculeuses, et la grâce de guérir les maladies, ce n'est pas la même chose : celui qui avait la grâce de guérir les maladies, ne faisait que soigner les malades; quant à celui qui opérait des miracles, il avait aussi le pouvoir de châtier; car le pouvoir ne consiste pas seulement à guérir, mais à punir aussi ; c'est ainsi que Paul a frappé de cécité , que Pierre a puni de mort. « Un autre, le don de prophétie; un autre , le don du discernement des esprits». Qu'est-ce que cela veut dire, du discernement des esprits? » C'est deviner quel homme est animé par l'Esprit ; quel homme n'est pas animé par l'Esprit; quel homme est prophète, quel homme est un imposteur. C'est ce qu'il disait aux Thessaloniciens : « Ne méprisez pas les prophéties; éprouvez tout, et approuvez ce qui est bon ». Il y avait alors une infection de faux prophètes, le démon faisant tous ses efforts pour substituer le mensonge à la vérité. « Un autre, le don des langues; un autre; le don de l'interprétation des langues ». Le premier savait bien ce qu'il disait, mais sans pouvoir l'expliquer à un autre; celui qui savait interpréter, possédait les deux dons , ou l'un des deux.

4. Or, ce don paraissait considérable, car c'était le premier qu'avaient reçu les apôtres; et, parmi les Corinthiens, un grand nombre jouissaient de ce privilège; le don de l'enseignement était moins considéré : voilà pourquoi l'apôtre met celui-ci au premier rang, et le don des langues au dernier. C'est, en effet, pour l'enseignement que le don des langues existe aussi bien que celui de la prophétie et des miracles.

Rien n'égale le don de l'enseignement, et voilà pourquoi l'apôtre disait : « Que les prêtres qui gouvernent bien , soient doublement honorés, principalement     ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l'instruction des peuples ». (I Tim. V, 17.) Et il écrit à Timothée : « En attendant que je vienne, appliquez-vous à la lecture, à l'exhortation et à l'instruction; ne négligez pas la grâce qui est en vous ». (I Tim. IV, 13, 14.) Voyez-vous comme il donne , à ce talent, le nom de grâce. Ensuite, la consolation qu'il a déjà proposée, en disant : « Le même Esprit », il la répète ici : « C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît».

Or, ici, l'apôtre fait plus que consoler; il ferme encore la bouche aux contradicteurs, lorsqu'il dit : « Distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît ». C'est qu'il faut savoir user de sévérité, il ne faut pas seulement se borner à guérir ; c'est ainsi que, dans l'épître aux Romains, il dit : « Qui êtes-vous pour contester avec Dieu ? » (Rom. IX, 20.) Il fait de même ici : « Distribuant à chacun « selon qu'il lui plaît » , et il montre que ce qui appartient au Père, appartient en même temps à l'Esprit, car, de même qu'en parlant de Dieu, Paul dit : « Il n'y a qu'un même Dieu, qui opère tout en tous » ; de même, en parlant de l'Esprit : « Or, c'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses ». Mais, dira-t-on, c'est un Esprit mis en mouvement par Dieu; l'apôtre n'en dit rien nulle part.; c'est vous qui forgez cette idée. En effet, lorsque l'apôtre dit : « Qui opère tout en tous », c'est des hommes qu'il parle, et certes il ne va pas compter l'Esprit parmi les hommes; vous aurez beau entasser mille extravagances, mille inepties. En effet, si l'apôtre dit : « Par l'Esprit », afin de prévenir l'erreur qui prendrait ce « par » pour une diminution de l'énergie de l'Esprit, qui s'imaginerait que l'Esprit est mis en mouvement, l'apôtre a bien soin d'ajouter . « Que l'Esprit opère », non pas qu'il est mis en mouvement de manière à opérer; « que l'Esprit opère, selon qu'il lui plaît », non pas selon l'ordre qu'il reçoit. En effet, de même que le Fils dit, en parlant du Père : « Il réveille et vivifie les morts » , et semblablement de « lui-même : « Il vivifie ceux qu'il lui plaît » (Jean, v, 21); de même, en parlant de l'Esprit , il dit ailleurs, qu'il fait tout avec une souveraine puissance, que rien ne résiste à (492) sa volonté (car cette expression : « L'Esprit souffle où il veut » (Ibid. III , 8), quoique appliquée au vent, prouve néanmoins ce que nous disons.) Et maintenant ici l'apôtre dit : « Il opère toutes choses, selon qu'il veut ». Ecoutez ce qui prouve encore que l'Esprit n'est pas de ceux que met en mouvement une opération étrangère, mais que l'Esprit opère par lui-même : « Car », dit l'apôtre, « qui connaît ce qui est dans l'homme, sinon  l'esprit de l'homme? Ainsi nul ne connaît ce qui est en Dieu que l'Esprit de Dieu ». (I Cor. II, 11.) Que l'esprit de l'homme, c'est-à-dire son âme, n'ait pas besoin d'une opération du dehors pour connaître ce qui la concerne, c'est ce que tout le monde sait. Et, de même, l'Esprit-Saint se suffit à lui-même pour connaître ce qui concerne Dieu. C'est ainsi que l'Ecriture dit : l'Esprit-Saint connaît les secrets de Dieu, comme l'âme humaine connaît les secrets de l'homme. Si notre âme n'est pas excitée à cette connaissance par une opération qui lui soit étrangère , à bien plus forte raison ; est-ce vrai de celui qui connaît la profondeur de. Dieu. Et il n'y a pas une opération quelconque , étrangère à lui, qui le porte à donner ses grâces aux apôtres.

Maintenant, j'ajouterai ici une autre réflexion que j'ai déjà faite. Quelle est-elle ? Si l'Esprit était inférieur, et d'une autre substance, la consolation présentée par l'apôtre aurait été nulle; à quoi aurait-il servi d'apprendre que c'est le même Esprit? Quand on reçoit les présents d'un roi, la plus grande des jouissances, c'est que le roi vous a fait lui-même le présent; au contraire, on s'afflige de recevoir d'un esclave, d'être forcé de lui savoir gré du don que l'on a reçu. Ainsi, voilà encore une preuve que l'Esprit n'est pas d'une substance servile, mais royale. Voilà pourquoi, de même que l'apôtre a consolé les fidèles par ces paroles : « Il y a diversité de ministères, mais il n'y a qu'un même Seigneur; il y a diversité d'opérations surnaturelles, mais il n'y a qu'un même Dieu »; de même qu'après avoir dit plus haut : « Il y a diversité de dons spirituels, mais il n'y a qu'un même Esprit » ; après toutes ces observations, il ajoute encore : « C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons, selon qu'il lui plait ». Donc, ne nous tourmentons pas, dit l'apôtre, ne nous affligeons pas en disant : Pourquoi ai-je reçu ceci, pourquoi n'ai-je pas reçu cela? N'exigeons pas de comptes de l'Esprit-Saint. Comprenez que le don qu'il vous a fait, il vous l'a fait dans votre intérêt, qu'il l'a mesuré dans votre intérêt; aimez-le donc, et réjouissez-vous de ce que vous avez reçu; ne vous affligez pas, de n'avoir pas reçu d'autres dons; au contraire, rendez grâces à Dieu de n'avoir pas reçu plus que vous ne pouviez supporter.

5. Et maintenant, si, en ce qui concerne les dons spirituels, il faut fuir une curiosité inquiète, à bien plus forte raison faut-il y renoncer, en ce qui concerne les biens de la terre; il faut se tenir en repos, et ne pas s'enquérir curieusement pourquoi un tel est-il riche, pourquoi un tel est-il pauvre? Assurément, chaque homme n'a pas reçu de Dieu la richesse; il en est beaucoup qui doivent leur fortune à l'injustice, à la rapine, à l'avarice. Celui qui nous a ordonné de fuir la richesse, comment nous aurait-il donné ce qu'il nous défend de recevoir? Mais je veux réfuter plus énergiquement encore ceux qui nous contredisent ici. Eh bien ! faisons remonter notre discours jusqu'au temps où Dieu a départi les richesses, et, répondez-moi, pourquoi Abraham était-il riche, et Jacob manquant de pain? N'étaient-ils pas également justes l'un et l'autre? Dieu n'a-t-il pas dit également des trois : « Je suis le Dieu d'Abraham, et d'Isaac, et  de Jacob? » (Exode, III, 6.) Pourquoi donc l'un était-il riche, tandis que l'autre se louait comme un mercenaire? ou plutôt : Pourquoi l'injuste et fratricide Esaü était-il riche, et Jacob si longtemps dans la servitude? Pourquoi encore Isaac vécut-il si longtemps dans la tranquillité ; Jacob, au contraire, dans les fatigues et dans les douleurs? Aussi disait-il: « Mes jours ont été peu nombreux et malheureux ». (Gen. XLVII, 19.) Pourquoi David, qui fut un prophète et un roi, a-t-il passé tout le temps de sa vie dans les tourments? Pourquoi Salomon, son fils, durant quarante années, a-t-il joui plus que personne de la sécurité, de la profonde paix, a-t-il été comblé de gloire, d'honneurs, a-t-il eu tous les plaisirs? Pourquoi, parmi les prophètes, l'un était-il plus affligé, l'autre moins ? C'est qu'il était (le l'intérêt de chacun d'eux qu'il en fût ainsi.

Aussi faut-il dire, pour chacun d'eux : « Vos jugements sont un abîme très-profond ». (Psal. XXXV, 7.) Si Dieu n'exerçait pas ces (493) grands personnages, ces hommes admirables, en les soumettant aux mêmes traitements ; s'il éprouvait, celui-ci par la pauvreté, cet autre, par les richesses; celui-ci, en lui accordant la vie tranquille; cet autre, en le soumettant aux afflictions; à bien plus forte raison, devons-nous méditer cette conduite appliquée à nous-mêmes. Et, en outre, une pensée que nous devons méditer, c'est que, des nombreux malheurs qui nous arrivent , la cause n'est pis dans la volonté de Dieu, mais dans notre perversité. Ne dites donc pas : pourquoi celui-ci est-il riche, quoique pervers ; celui-là pauvre, quoique juste? car la réponse est facile; le juste ne reçoit aucune atteinte de la pauvreté; au contraire, elle rehausse sa gloire; lé méchant ne trouve, dans les richesses, qu'une voie qui le conduit au châtiment, s'il ne se convertit; et, de plus, même avant le châtiment, les richesses lui ont causé des maux innombrables, et l'ont précipité dans mille gouffres : ce que Dieu permet, tout ensemble pour montrer la liberté de l'homme, et, en même temps, pour nous apprendre à ne pas courir aux richesses, avec une fureur insensée. Quoi donc, objectera-t-on, le méchant qui est riche ne souffre-t-il aucun mal ? Si l'homme de bien est riche, nous disons que c'est justice; si, au contraire, c'est un méchant, que dirons-nous? qu'il est, par cela même, misérable. En effet, les richesses s'ajoutant à la perversité, ne font qu'aggraver le mal; mais voici un homme de bien, et cependant il est pauvre? Eh bien, il ne reçoit aucune atteinte; mais c'est un méchant, et il est pauvre; donc c'est justice et c'est avec raison , et cette pauvreté est dans son intérêt.

Cependant, objectera-t-on, il a reçu des richesses de ses ancêtres, et il les gaspille entre des courtisanes et des parasites, et il ne souffre aucun mal. Que dites-vous? Il se livre à la fornication et il. ne souffre aucun mal ? Il s'enivre, et vous trouvez sa vie délicieuse ? Il dépense sa fortune honteusement, et vous le trouvez digne d'envie? Et quelle plus grande dégradation que d'assurer la mort de son âme ? Mais vous-mêmes, à la vue d'un malheureux aux membres contournés, mutilés, vous croiriez devoir l'inonder de vos larmes; et quand vous voyez son âme toute mutilée, vous croyez que cet homme est heureux? Mais il ne sent rien, direz-vous; voilà justement pourquoi il faut le plaindre, comme on fait des insensés.

Celui qui a conscience de sa maladie, appelle tout de suite le médecin; il endure les remèdes au contraire, pour celui qui ne sent pas son mal, il n'y a pas de délivrance possible ; et est-ce là, je vous le demande, celui dont vous vantez le bonheur? Mais gardons-nous de nous trop étonner; il est grand le nombre de ceux qui sont étrangers à la sagesse. Aussi supportons-nous les derniers châtiments, sommes-nous punis, sans espérance de nous voir délivrés du supplice. De là; les colères, les découragements; les perturbations continuelles ; Dieu nous montre une vie exempte de douleurs, la vie consacrée à la vertu, et nous, abandonnant ce chemin , nous en prenons un autre, le chemin de la fortune et des richesses, rempli d'innombrables maux, et nous agissons comme celui qui ire saurait pas distinguer la beauté dés corps, qui ne regarderait que le vêtement , que les ornements extérieurs, qui verrait une belle femme, douée d'une naturelle beauté, et passerait son chemin, pour aller vers une laide, une femme difforme et mutilée, mais recouverte d'une belle toilette, et qui la prendrait pour épouse. C'est l'image de ce qui arrive à bien des gens, en ce qui concerne la vertu et la méchanceté. Ils choisissent la laideur à cause des ornements qui l'affublent au dehors ; mais la beauté, ils la répudient à cause de cette nudité même, qui aurait dû fixer leur préférence.

6. Aussi j'ai honte de voir, chez ces païens insensés, une sagesse sinon de conduite, mais au moins de doctrine, qui ne se méprend pas sur la condition mobile et passagère des choses présentes. Il en est, chez nous, qui ne reconnaissent pas cette vanité ; leur jugement même est corrompu, malgré tant d'avertissements de l'Ecriture, qui ne cessent de nous crier

« Le méchant parait à ses yeux comme un néant, mais le Seigneur glorifie ceux qui le craignent (Psal. XIV, 4). La crainte du Seigneur a tout surpassé (Eccli. XXV, 14). Crains  Dieu, et garde ses commandements, car c'est là tout l'homme (Ecclé. XII , 13). Ne portez pas envie aux méchants ; ne craignez point, en voyant un homme devenu riche (Psal. XLVIII, 17). Toute chair n'est que de l'herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs ». (Isaïe, XL, 6.) Malgré tant de paroles du même genre, que nous entendons chaque jour, nous sommes encore rivés à la terre. Les enfants ignorants, à qui on apprend (494) leurs lettres tous les jours, se trompent souvent, quand on les leur demande sans suite, et disent une lettre pour une autre, provoquant ainsi mille éclats de rire; vous faites de même, quand nous vous exposons la suite de ces vérités; vous les apprenez tant bien que mal; mais lorsqu'il nous arrive de volis interroger au dehors, sans suivre l'ordre; quand nous vous demandons quel est le premier des biens, quel est le second, que faut-il mettre après tout le reste ? Votre ignorance se révèle, d'une manière ridicule. N'est-ce pas, je vous le demande, le comble du ridicule, pour nous qui attendons l'immortalité , les biens que 1'œil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, qui ne sont pas entrés dans le coeur de l'homme, de faire effort, pour nous assurer des choses d'ici-bas, et de les regarder comme dignes de notre envie? Si vous avez encore besoin d'apprendre que les richesses ne sont rien, que les choses présentes ne sont qu'une ombre et un songe, qu'elles se dissipent comme la fumée, qu'elles s'envolent, restez à la porte; tenez-vous dans les vestibules, vous n'êtes pas encore dignes d'entrer dans le palais du souverain. Si vous ne savez pas encore distinguer ce qu'il y a d'instable, ce qu'il y a là dedans de perpétuel va-et-vient, quand donc arriverez-vous au mépris des richesses? Si vous prétendez posséder cette science, cessez alors de vous informer avec une curiosité inquiète, de demander pourquoi, celui-ci est-il riche, pourquoi cet autre est-il pauvre ?

Vous ressemblez, par vos questions, à celui qui se promènerait en demandant : pourquoi celui-ci est-il blanc, pourquoi cet autre est-il noir; pourquoi ce nez aquilin, pourquoi ce nez camard ? De même que cela ne nous intéresse en rien, de même que nous. importe que tel soit pauvre ou soit riche? Bien plus, cela nous intéresse bien moins que ce que nous venons de dire ; tout doit se rapporter à l'usage que l'on en fait; quoique pauvre, vous pouvez montrer une âme belle et sage; quoique riche, vous êtes le plus malheureux de tous si vous fuyez la vertu; car ce que nous devons rechercher, c'est ce qui porte à la vertu. Si nous avons ces ressources, les autres ne nous servent de rien. Aussi, ces questions perpétuelles , qui prouvent que tant de gens s'intéressent à ce qui est indifférent, et ne tiennent aucun compte de ce qui les regarde, sont-elles des questions insensées ; ce qui nous regarde, c'est la vertu et la sagesse. Un long intervalle vous en sépare; de là, la perturbation dans les pensées; de là, les flots des passions; de là, les tempêtes. Déchu de la gloire suprême, de l'amour du ciel, ne désirant plus que la gloire présente, on est esclave et prisonnier. D'où vient, dira-t-on, notre amour pour la gloire de ce monde? de notre indifférence pour la gloire du ciel? Et cette indifférence même d'où vient-elle ? de notre négligence. Et notre négligence? de notre mépris. Et notre mépris? de la déraison, qui fait que nous nous attachons au présent, que nous ne nous appliquons pas à examiner la nature des choses. Cette déraison même, d'où vient-elle? de ce que nous ne nous attachons pas à la lecture des livres saints; de ce que nous ne conversons pas avec les saints; de ce que nous fréquentons les réunions des méchants. Mettons un terme à ce désordre : ne souffrons pas que les flots, poussant les flots, nous emportent dans une mer de malheurs, nous étouffent, nous arrachent toute vie; il en est temps encore, réveillons-nous, et, debout sur le roc, je dis le roc de la doctrine et de la parole de Dieu, abaissons nos regards sur la tempête de la vie présente. C'est ainsi que nous l'éviterons nous-mêmes, et que nous sauverons les autres du naufrage , parla grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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