OEUVRES
SPIRITUELLES
DE S. BONAVENTURE V
De l'Ordre des
Frères-Mineurs,
Cardinal-Évêque d'Albane,
TRADUITES PAR M.
L'ABBÉ BERTHAUMIER,CURÉ DE SAINT-PALLAIS.
TOME CINQUIÈME
CONTENANT
La Légende de saint
François, —
l'Exposition de la règle des Frères-Mineurs, —
Réponses à quelques objections touchant la règle de saint
François, — l'Alphabet
des religieux, —
Autre Alphabet — Conférences,—
le Miroir de la discipline.
PARIS.
LOUIS VIVÈS,
LIBRAIRE-ÉDITEUR
RUE CASSETTE,
23.
1855
PRÉFACE
Cette deuxième série des
Oeuvres de saint Bonaventure comprend ses écrits sur la vie religieuse.
Là , comme dans ses autres ouvrages , nous
retrouverons le grand maître, le directeur habile , sage et discret , l'homme
initié à tous les secrets de la perfection , le docteur plein de tendresse et
de piété, et, pour tout dire en un mot, le serviteur sage et prudent appliqué
à faire fleurir l'héritage confié à ses soins. C'est dans les écrits du plus
humble et du plus fervent des enfants
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de saint
François qu'il faut apprendre à connaître
l'ordre séraphique dont les vertus, les travaux et la science consolent l'Eglise
depuis six siècles. Rien de plus ignoré que l'esprit des ordres religieux au
moyen-âge. Nous les jugeons avec les idées d'une éducation frivole et
incapable d'étendre ses regards au-delà du cercle étroit dans lequel elle
s'agite , et nos jugements se trouvent le plus
souvent aussi contraires à la vérité qu'injurieux à la sainte Eglise. Le
moyen-âge et surtout le siècle de saint Louis et
de saint Bonaventure était le siècle des grandes idées ,
le siècle de la charité, de l'honneur, de la politesse exquise et véritable,
le siècle des vertus civiles et chrétiennes, et ces vertus se montraient
florissantes surtout dans les ordres religieux. Bien des hommes de talent se
sont appliqués à démontrer cette vérité; mais quand l'erreur a persévéré
pendant des siècles , quand elle se présente
appuyée d'un côté sur des noms souvent honorables mais
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indignement abusés, et de
l'autre sur tous les instincts des passions les plus viles, il faut de longues
années pour la dissiper. Elle a été entamée largement de nos
jours , et la science rectifie ses jugements
d'autrefois; mais l'impiété ignorante et orgueilleuse a trop d'intérêts
engagés dans la question actuelle pour jeter un regard eu arrière. Il est plus
facile de déverser le mépris sur les enfants les plus glorieux de l'Eglise et
les bienfaiteurs les plus insignes de l’humanité que d'aller interroger leurs
savants ouvrages , que de s'initier aux mystères de
leur charité et, de sonder par des études pénibles combien leurs oeuvres
étaient en rapport avec les besoins réels de la société. Nous n'entreprendrons
pas une démonstration sur ce sujet.; notre
démonstration se trouve dans l'ouvrage dont nous offrons la traduction.
L'ordre de saint
François a reparu parmi nous ; son retour a
été salué comme une bénédiction du Ciel ; mais beaucoup ignorent
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encore, même parmi leurs amis
, quels sont ces hommes vénérables revêtus des livrées de la pauvreté, quel
est leur esprit, quels sont leurs désirs. A leurs amis comme à leurs ennemis,
nous offrons le secret de toute leur vie , et ce
secret nous est livré par un des hommes les plus chers à l'ordre séraphique.
Les ouvrages de cette nouvelle
série commencent par la vie de saint
François. Il était juste de présenter un
modèle accompli de la perfection religieuse avant d’en tracer les règles et
les devoirs. La vie toute divine et toute miraculeuse du saint patriarche est
bien en vérité , pour ses enfants et pour tous les
chrétiens, l'exhortation la plus puissante à la vertu. Elle est racontée avec
une tendresse admirable : c'est le coeur d'un fils écrivant les actions d'un
père bien-aimé.
Bien des choses pourront
sembler extraordinaires et même puériles dans cette vie au commun des
lecteurs. Mais les hommes sages et instruits des
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voies de Dieu en jugeront
autrement.
François d'Assise sera à leurs veux l'homme
revenu aux beaux jours de la création et remis en possession de la puissance
donnée à Adam sur toutes les créatures. S'il voit en elles toutes des frères
et des soeurs, c'est qu'il les considère comme autant d'oeuvres de la main de
sou Créateur; s'il prêche aux animaux privés de raison le Dieu qui leur donna
la vie , c'est que le souvenir des bienfaits du ciel le transporte ; le
premier besoin de son coeur est la reconnaissance , et il s'est rappelé que le
Prophète-Roi aussi invitait le feu et la grêle ,
la neige et les tempêtes, les montagnes et les collines, l'arbre penché vers
la terre sous le fardeau de ses fruits et le cèdre superbe , tous les animaux
, depuis le reptile qui se traîne dans la fange jusqu'à l'oiseau qui s'élève
aux régions les plus pures de l'air ; il s'est rappelé, dis-je, que le
Prophète les invitait à louer le Seigneur et à s'unir, dans un concert
solennel , à l'homme créé pour connaître,
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aimer, bénir et célébrer son
nom sur la terre , et à l'ange déjà en possession de soli inénarrable
félicité.
Ce serait au reste faire
preuve d'une ignorance singulière, que de regarder les touchants récits de la
vie de saint
François comme des choses particulières au
moyen-âge. Sulpice Sévère nous raconte, dans son grave et beau latin, un grand
nombre de faits semblables, et les solitudes de l'Egypte ont été témoins de la
plupart des merveilles qui, huit siècles plus tard, se renouvelèrent en la
personne de l'humble et séraphique
François d'Assise.
Après la vie du saint
patriarche vient l'explication de sa règle. L'ordre des pauvres du Seigneur
avait vu le relâchement s'introduire en plusieurs de ses maisons. Les hommes
fervents en avaient gémi ; mais d'autres s'efforçaient de faire plier la règle
à leurs désirs , et il était devenu nécessaire d'en
préciser le sens. C'est ce que
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saint Bonaventure a fait avec
toute l'autorité de sa vertu et de son génie ; mais il ne borne pas là ses
efforts : il fait aimer cette règle si austère et il apprend à ses frères à la
regarder comme un trésor inestimable.
Nous avons retranché dans
cette Explication la plus grande partie d'une réponse à une objection
contenue dans le chapitre quatrième , sur la
manière dont les frères mineurs possèdent. La question se trouve traitée en
plusieurs autres endroits, et cette réponse, sans grande importance
aujourd'hui, nous a paru d'une longueur telle que nous avons cru pouvoir
l'abréger sans nuire en rien à la substance de ce livre.
Le troisième traité de ce volume est une série de
réponses à diverses questions touchant la règle de saint
François. Cette règle eut dès le commencement
des adversaires nombreux , et saint Bonaventure dut
plus d'une fois prendre la plume pour leur répondre. Nous n'avons traduit de
toutes ces
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controverses que ce seul
ouvrage. Notre but a été de nous borner aux oeuvres spirituelles de notre
saint, et en nous arrêtant à ce livre, nous avons voulu seulement donner une
idée des questions alors agitées contre les ordres religieux. Ces
questions , comme on le verra , sont en partie les
mènes que celles soulevées de nos jours. L'Eglise du Seigneur, toujours pleine
de vie et de force , puise dans sa charité inépuisable des secours
proportionnés avec les besoins de l'homme , et de son tronc à jamais intact de
nouvelles tiges s'élancent potin ombrager des misères nouvelles ; mais ses
ennemis sont condamnés à la stérilité. Leurs cris se sont répétés de siècle en
siècle , et les attaques lancées contre les enfants
de saint Ignace étaient à peu près les mêmes que celles dont saint Thomas et
saint Bonaventure avaient fait justice. Il en sera de même jusqu'à la fin du
temps. Les noms changent , mais les objections sont
les mêmes, à moins qu'elles ne dépassent en
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ineptie les anciennes, et le
principe est également le mate : haine à l'Eglise ignorance profonde de son
esprit, impatience de son joug : Gravis est nobis
ad videndum , quoniam
dissimilis est aliis
vita illius, et
immutatae sunt
viae illius (1).
Ensuite viennent l'Alphabet
des religieux, huit Conférences et le Miroir de la discipline.
L'Alphabet est un
résumé de tout ce qui peut conduire promptement un religieux à la perfection.
Les Conférences roulent
sur l'Incarnation du Verbe , la crainte du
Seigneur, l'obéissance , la modestie , le silence , la dévotion , la diligence
et la discipline. Ces conférences renferment d'excellentes choses en peu de
mots ; mais sont-elles de saint Bonaventure? Nous avons lieu d'en douter. Il
est dit à la fin de la septième : « Toute celte conférence est tirée du pieux
livre intitulé :
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Imitation de Notre-Seigneur
Jésus-Christ. Or , chacun sait quelles
controverses ont été soulevées sur l'époque où l'Imitation fut composée
et sur son auteur. Ces controverses seraient résolues si l'on pouvait prouver
que ces conférences sont réellement de saint Bonaventure. Cependant nous
n'avons pas cru devoir en omettre la traduction, et nous avons pensé que la
tendre piété dont elles sont empreintes nous excuserait facilement auprès de
nos lecteurs de leur avoir donné un ouvrage dont l'authenticité peut être
contestée.
Le Miroir de la discipline
est un livre écrit en faveur des novices. Il contient des enseignements sans
nombre sur la manière de se conduire dans les différents actes de la vie, et
l'on pourrait sans crainte l'appeler un traité de politesse chrétienne. Le
docteur séraphique descend en beaucoup de chapitres des hauteurs de son génie
pour se faire petit avec les commençants et les former à cette honnêteté
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parfaite qui a son principe et
sa force dans la religion , et n'est plus qu'hypocrisie ou vanité lorsqu'elle
s'appuie sur une autre base. C'est dans ce traité qu'il faut aller apprendre
les usages de la société catholique du treizième siècle, et reconnaître si nos
progrès nous donnent le droit de mépriser les beaux jours de l'Eglise.
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