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DE L'INSTITUTION DES NOVICES.

 

DE L'INSTITUTION DES NOVICES.

LIVRE PREMIER.

LIVRE II

 

LIVRE PREMIER.

 

CHAPITRE PREMIER. Ce que les novices doivent considérer en tout temps.

 

Vous devez, en premier lieu, considérer toujours ce que vous vous êtes proposé en venant , pourquoi vous êtes venu , à cause de qui vous êtes venu. Quel a donc été votre but en venant? N'est-ce pas Dieu seul? N'est-ce pas lui que vous avez eu l'intention de chercher comme récompense de votre travail dans la vie éternelle? Si donc vous êtes entré en religion en vue de Dieu seul, aucun exemple mauvais ne doit exercer sur vous d'influence , ni vous empêcher d'accomplir ce que vous vous êtes proposé. Vous êtes venu pour le servir, ce Dieu à qui toute créature doit être soumise, car personne ne peut rien avoir dont il ne soit l'auteur , et ainsi chacun doit lui rapporter tout ce qu'il est , tout ce qu'il sait et tout ce qu'il peut. Si tous les êtres obéissent à leur Créateur selon leur capacité , combien plus est tenu de le faire l'Homme

 

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qu'il a créé non-seulement comme le reste des êtres , mais qu'il a embelli de l'intelligence , ennobli par la liberté , établi maître du monde , formé à son image, l'homme dont il a pris la nature, qu'il a instruit par ses paroles et ses exemples, racheté de la damnation éternelle au prix de son propre sang, rempli de l'Esprit-Saint , l'homme à qui il a donné sa chair en nourriture, qu'il a environné de soins comme une mère son enfant, et établi héritier de sa félicité céleste? Voilà comment nous sommes tenus, de préférence à toutes les créatures, d'aimer par-dessus toutes choses le Dieu dont l'amour nous a distingués entre toutes les créatures.

 

CHAPITRE II. De l'obéissance.

 

Comme vous ne vous confiez pas à vous-même jusqu'à vous flatter de connaître entièrement la volonté de Dieu , vous vous êtes abandonné à votre supérieur pour être gouverné par lui, et vous avez placé votre main dans la sienne au jour de votre consécration pour être conduit par lui dans la voie du Seigneur. Ainsi il ne vous est plus permis à l'avenir de vivre selon votre volonté; mais vous devez diriger vos pas selon le commandement de votre guide, et vous éloigner soigneusement de ce qu'il vous défend. L'homme qui veut apprendre un art, doit commencer

 

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par se conformer aux règles de son maître et renoncer à ses propres idées; le malade encore en proie à la violence de la lièvre , doit observer les ordonnances de son médecin s'il désire revenir promptement et entièrement à la santé. Ainsi appliquez-vous à faire ou à dire ce que vous jugez selon la volonté de votre maître. Vous vous êtes donné à lui par amour pour le Seigneur et en vue du royaume des cieux ; vous n'êtes plus à vous , mais à celui à qui vous avez livré votre liberté , et il ne vous est plus permis de disposer de vous sans son consentement. Il est le maître de votre volonté; or, engager une chose qui nous est étrangère malgré son possesseur légitime , c'est commettre un vol , et le voleur, vous le savez , ne saurait approcher du royaume des cieux.

Nos directeurs sont les vicaires de Dieu vis-à-vis de nous, et nous devons leur obéir comme au Seigneur et non comme à des hommes; car nous ne leur sommes pas soumis à cause d'eux-mêmes, mais à cause de Dieu. Montrez-vous donc tel envers votre supérieur qu'il puisse vous ordonner librement de faire ou d'omettre ce qu'il jugera convenable : si vous lui inspirez de la crainte , le serviteur est plus grand que son seigneur, et le disciple au-dessus de son maître.

 

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CHAPITRE III. De la paix avec les supérieurs.

 

Conservez-vous toujours en paix avec vos supérieurs, ne vous permettez pas d'en médire, et n'écoutez pas volontiers les médisances dont ils pourraient être l'objet : Dieu hait d'une façon toute particulière, même dans le temps présent , ce vice dans les inférieurs. Nous en avons un exemple dans Cham (1) : Il fit connaître à ses frères la nudité de son père, et il encourut par là une malédiction irrévocable. Evitez de peser les fautes de vos supérieurs et sachez leur pardonner comme à des hommes : il est bien difficile de ne point tomber en quelque négligence au milieu de soins nombreux. Souvent aussi ce que nous blâmons en eux ne semble une faute que par un vice de notre intelligence : ils agissent en vue du bien ; mais comme nous ignorons leur intention , nous jugeons leurs actes mauvais. Gardons-nous donc d'usurper ce qui ne nous appartient pas , et de reprendre une conduite dont nous ne connaissons pas les motifs.

Honorez vos supérieurs en votre coeur , ne les méprisez pas , de peur que votre mépris ne s'étende ,jusqu'à Dieu, dont ils tiennent la place. Croyez même qu'il leur a inspiré pour le bien de votre âme les choses qu'ils vous commandent. Ne méprisez ni les

 

1Genes., 9.

 

ordonnances ni les constitutions de l'Ordre : chacune d'elles a sa raison d'être , quoique vous ne la connaissiez pas. Celui qui marche en toute simplicité dans la voie de Dieu , rien ne lui nuit ; mais tout lui est une occasion de mérite plus grand, car, dit la sainte Ecriture (1), celui qui marche simplement marche avec assurance. Le serviteur de Dieu doit s'avancer de telle sorte dans la voie des commandements , que les ordonnances humaines ne lui causent jamais la moindre gêne. Accoutumé à se faire violence à lui-même , quand même aucun point de sa règle ne viendrait l'arrêter, il se tient soigneusement en garde contre tout ce qui lui paraît peu convenable : la règle sert à retenir ceux-là seulement qui ne respectent pas les bornes de la discipline.

Je n'en dirai pas plus long sur l'obéissance , qui est en religion le principe de tout , et je passe à d'autres sujets. Je commence par les exercices corporels , pour de là traiter des exercices de l'esprit; car, selon saint Paul , ce qui est spirituel ne vient pas d'abord, mais ce qui est animal et ensuite ce qui est spirituel (2) .

 

CHAPITRE IV. Du lever.

 

Accoutumez-vous, si vous le pouvez commodément, à vous éveiller un peu avant matines , afin de diriger votre esprit vers Dieu par la prière , et de vaquer

 

1 Prov., 10. — 2 I Cor., 15.

 

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ensuite avec plus de liberté et de ferveur à l'oraison et au chant des louanges célestes. En vous éveillant , rejetez loin de vous toutes les pensées dont votre coeur peut être rempli , les songes de la nuit à l'aide desquels le démon cherche à vous occuper, et offrez à Dieu les prémices de votre journée par quelque sainte pensée ou une pieuse méditation. Joignez-y quelque exercice corporel ou génuflexion jusqu'à ce que vous ayez conçu un sentiment de dévotion et que vous vous soyez débarrassé des vaines pensées dont l'esprit est habituellement assiégé en ce moment. En agissant ainsi , vous serez durant tout le jour plus fervent et plus libre en chacune de vos actions.

 

CHAPITRE V. Comment on doit se conduire au choeur.

 

Durant l'office divin gardez-vous de vous livrer à la paresse et à l'ennui , mais contraignez votre corps à servir votre esprit. Demeurez plein de respect à l'église, chantez avec allégresse et dévotion en présence des anges qui sont là proches de vous. Ne portez point vos regards çà et là sans une grave raison. Ayez en horreur profonde les rires et les paroles inutiles dans un lieu où vous devez vous tenir avec crainte et révérence en présence du Dieu de majesté. Prononcez distinctement et intégralement les paroles des psaumes. Evitez d'aller et de venir par le choeur,

 

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et ne sortez pas avant la fin des heures si vous n'y êtes contraint.

Efforcez-vous à l`avance , si vous le pouvez , de disposer votre coeur à concevoir quelque sentiment de dévotion dès le commencement de l'office. Si nous sommes si languissants et si tièdes durant les saints offices , c'est qu'auparavant nous n'avons été animés d'aucune bonne pensée; et comme nous sommes entrés froids au choeur, nous en sortons dissipés. Appliquez-vous de suite , en commençant, à porter toute votre attention sur ce que vous chantez et à bannir toutes les vaines imaginations ; autrement c'est à peine si vous pourrez vous soustraire à leur tumulte. Tâchez également, après l'office, de vous conserver dans la dévotion que vous avez conçue, et de ne pas vous répandre aussitôt sur des frivolités. Si intérieurement vous n'éprouvez aucun sentiment de piété , gardez au moins avec humilité au dehors la discipline et la gravité dans voire maintien , à cause du respect dû à Dieu et pour le bon exemple des autres.

 

CHAPITRE VI. Comment il faut demeurer au chapitre.

 

Parlez peu au chapitre et encore moins à l'église , à moins d'une grande utilité, et alors faites-le humblement , doucement et à voix basse. Accusez vos fautes avec humilité. Avez la même humilité en vos réponses

 

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quand on vous reprend et gardez-vous de vous excuser alors. Si l'on vous demande conseil , dites librement et humblement ce que vous jugez convenable. Si , au contraire, l'on ne vous interroge pas, demeurez en paix. De même évitez de défendre votre sentiment avec trop de chaleur, et contentez-vous d'avoir parlé pour l'acquit de votre conscience. Ne vous mêlez pas habituellement aux accusations contre vos fières , mais faites connaître seulement les fautes commises contre la fin et les règles de l'ordre , sans la moindre haine , avec des paroles douces et un air calme. Vous n'êtes pas tenu de dire ce que vous ne savez pas par vous-même. N'accusez personne sur un simple bruit, car souvent de tels bruits sont trompeurs. Celui qui vous a appris ce que vous ignoriez , parlera lui-même s'il est présent , et si les choses dont il vous a instruit sont vraies. S'il est absent , vous ne sauriez prouver ce que vous avanceriez , puisque vous ne l'avez pas pour témoin.

Ne vous tourmentez pas des accusations dont vous êtes l'objet , mais bornez-vous à confesser humblement vos fautes , soit grandes , soit petites; car il y a pour vous une confusion bien plus réelle à vous excuser effrontément, qu'à vous abaisser avec humilité. Si les choses dont on vous charge sont graves et fausses en même temps, si d'ailleurs elles sont de nature à donner du scandale, alors, après en avoir demandé humble-ment permission , faites connaître modestement et en peu de mots que vous ne vous reconnaissez pas coupable de pareilles fautes. Le serviteur de Dieu ne

 

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redoute pas la confusion en présence des hommes , quand sa conscience ne l'accuse pas intérieurement; mais il souffre avec patience tout ce que le Seigneur lui envoie à souffrir.

 

CHAPITRE VII. Des réprimandes.

 

Toutes les fois que vous êtes repris par votre supérieur, soit au choeur , soit ailleurs , accoutumez-vous à vous mettre à genoux aussitôt et à confesser votre faute. C'est une règle antique de la vie religieuse, une loi enseignée par saint François et les autres saints. Vos anciens vous ont appris un semblable usage ; vous devez , vous aussi , faire tous vos efforts afin de le transmettre , autant qu'il sera en vous , par vos exemples et vos paroles , à ceux qui vous suivront. Gardez-vous d'introduire ou d'apprendre vous-même aucune coutume perverse, et ne laissez point, par une négligence diabolique , une bonne coutume s'affaiblir soit chez vous , soit chez les autres , quand vous pourrez exercer modestement sur eux quelque empire. Car tout exemple, soit bon , soit mauvais, laissé à nos frères , nous rend participants dans l'enfer ou dans l'éternelle félicité des actes qui s'ensuivent.

 

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CHAPITRE VIII. Comment il faut se conduire pendant les repas.

 

Pendant le repas ne permettez point à vos yeux d’errer çà et là ; ne regardez pas de côté et d'autre; ignorez même qui est assis à votre côté , ce qu'on y fait ou ce qui se passe en face de vous. Soyez appliqué à vous seul , ou à Dieu, ou à la lecture. Mangez en observant la discipline , avec crainte et en silence ; ne suivez pas l'ardeur de votre appétit comme un homme affamé; ne promenez point sans cesse et avec inquiétude vos regards sur les mets les plus délicats, et ne cherchez pas à rassasier votre vue avant votre palais; mais sachez recevoir avec action de grâces ce que vous pouvez avoir. Aimez plutôt à souffrir quelque privation , que d'être servi copieusement. Ne témoignez aucun dédain pour ce qui vous est présenté , et ne vous laissez point aller au murmure si quelque chose manque à l'assaisonnement , comme si les mets ne sont pas assez salés , assez cuits, etc. Bien des hommes meilleurs que vous se contentent d'aliments moins recherchés et moins abondants. Si ce que vous dédaignez leur était offert, ils en feraient leurs délices.

En toutes choses , que la pauvreté de Jésus-Christ soit toujours votre amie la plus chère; embrassez-la sans réserve à table, dans le boire , le manger, le vêtement ,

 

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les meubles , les livres , la maison , et partout en un mot. Nous voyons combien les pauvres sont humbles en leur démarche , combien leur parole est simple , combien leur coeur a peu de hardiesse. Que jamais donc on ne vous entende vous plaindre parce qu'il vous manquerait quelque chose dans le boire , le manger, les habits. Estimez-vous indigne de ce que vous avez : la pauvreté extérieure accroît la grâce intérieure et multiplie les richesses d'une bonne conscience. Au contraire , l'abondance du dehors engendre la misère de notre âme.

Quant à la mesure à garder en mangeant , il est difficile de donner une règle certaine , sinon qu'il faut tenir le milieu entre les extrêmes. N'usez pas de réserve jusqu'à voir vos forces vous abandonner et à devenir incapable de soutenir le travail ordinaire de la maison. De même ne mangez pas tellement qu'après vos repas vous ne puissiez vous livrer à la prière ou à la lecture , ni faire ce qui vous est imposé. Votre propre expérience, unie à la bonne volonté, sera votre meilleure conseillère sur ce point.

 

CHAPITRE IX. Du sommeil.

 

Au dortoir, demeurez en repos afin de ne troubler personne en aucune manière , soit dans ses prières , soit dans son repos. Toutes les fois que vous vous

 

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éveillez , rappelez aussitôt à votre esprit la pensée de Dieu et de sa Passion , et rendez-lui vos actions de grâces , car il tient toujours ses yeux ouverts sur nous pendant notre sommeil afin de nous garder lui-même. Avant d'aller vous reposer, appliquez-vous à la prière ou à quelque pieuse méditation ; si vous vous endormez au milieu d'une telle occupation , votre sommeil en sera plus doux , des rêves délicieux le rempliront , vous vous éveillerez plus fervent , vous vous lèverez plein d'allégresse et vous reprendrez plus facilement les pensées de piété dont vous étiez pénétré avant votre sommeil. Sans doute les choses accomplies ou souffertes durant le repos ne peuvent nous être imputées; cependant il est inconvenant à un religieux de se laisser maîtriser comme une brute par le sommeil et de dormir les membres sans retenue ou en désordre et les mains placées dans la poitrine. C'est surtout pour nous mettre dans l'impuissance de porter nos mains sur notre corps nu et aussi pour être plus disposés à nous lever afin de prier que nous gardons nos vêtements et notre ceinture durant la nuit.

Pour la durée du sommeil, agissez comme je vous ai dit touchant la mesure des aliments. Nous devons en prendre assez pour fortifier nos membres et nos sens , et non nous livrer à un repos tellement pro-longé , que notre corps en devienne plus indolent , notre esprit plus engourdi et nos sens plus obtus. Un trop long sommeil sert d'aliment aux vices. Cependant il n'est pas toujours possible de garder le milieu en de pareilles choses ; mais on est plus proche de la

 

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vertu quand de temps à autre dans la ferveur de sa bonne volonté on retranche un peu aux besoins de la l'attire , qu'en nourrissant par la tiédeur en un corps engraissé les vices de la chair sous le prétexte trompeur de la discrétion; car, dit l'Ecriture, un homme qui vous fait du mal vaut mieux qu'une femme appliquée à vous faire du bien (1) ; c'est-à-dire , celui qui , embrasé du désir des biens célestes , afflige sa chair en la privant des choses même nécessaires , celui-là , dis-je, vaut mieux que celui qui, par sensualité, s'efforce de satisfaire tous ses besoins. Cependant une telle manière d’agir, quoique bonne et propre à faire avancer dans les voies spirituelles, exige de la prudence si l'on ne veut point voir le corps tomber au milieu de sa course avant d'avoir atteint la un du voyage, l'entendre murmurer sur sa ruine en suivant les exercices de la maison et le réduire à l'impossibilité d'observer avec les autres les rigueurs ordinaires de la règle. Ceux qui entrent après vous dans l'ordre ne font pas attention à quelles fatigues vous avez été soumis avant leur venue; ils considèrent seulement, les exemples que vous leur donnez présentement dans le travail , les veilles , la nourriture et autres observances où ils voudraient toujours être précédés par les anciens. Autrement ils se scandalisent de leur conduite , ou ils marchent sur leurs traces en épargnant leur corps plus qu'il ne convient. Ils ne remarquent pas de quels mérites l'âme de ces religieux est remplie, mais quelles austérités ils exercent au dehors. Nous

 

1 Eccl., 42.

 

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devons intérieurement à Dieu la dévotion et extérieurement au prochain le bon exemple. Si donc nous voulons remplir ce double but, la discrétion nous est nécessaire pour châtier notre corps avec prudence et l'empêcher de se révolter contre l'esprit , et aussi pour lui donner les soins convenables, ne pas le laisser succomber sous le fardeau et ne point lui fournir par son extrême faiblesse un moyen de retarder nos progrès spirituels.

 

CHAPITRE X. Des divers services de la communauté.

 

Soyez prêt à embrasser les travaux communs et les emplois les plus humbles. Aimez à servir à la cuisine, à l'église et dans les diverses charges , surtout celles qui inspirent le plus de répulsion par leur bassesse , comme de porter le bois, balayer la maison, laver la vaisselle , laver également les pieds aux frères . nettoyer et approprier leurs habits.

 

CHAPITRE Xl. De l'emploi de servant à la messe.

 

Servez volontiers à la messe, car c'est là l'office même des anges : ces esprits bienheureux s'emploient partout et avec une dévotion sans limites au service de leur Dieu. Vous recueillez des fruits nombreux

 

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en servant à l'autel. D'abord vous accomplissez une bonne oeuvre. Ensuite , c'est un acte de charité , un acte excitant le prochain à bien faire. En troisième lieu , vous remplissez un ministère de dévotion , car vous vous approchez de Dieu par la prière. Enfin , vous vous acquittez d'une fonction angélique : vous servez Dieu présent sur l'autel comme les anges eux-mêmes. Non-seulement le prêtre que vous assistez, les fidèles présents dont vous êtes le député , doivent prier pour vous alors d'une façon spéciale, mais encore l'Eglise universelle , puisque vous tenez la place de tous les chrétiens sans exception : tous, en effet, devraient s'empresser d'offrir avec actions de grâces , s'il leur était possible , leurs services à leur Dieu au moment où il descend du ciel. Le Seigneur, de son côté , ne saurait aisément s'empêcher de combler de grâces particulières , même dès cette vie , celui qui le sert de grand coeur et avec dévotion dans le sacrement de l'autel , car l'on ne peut trouver rien de plus saint ni de plus pieux qu'un tel sacrement au ciel ou sur la terre, et il est véritablement la preuve la plus éclatante de la condescendance de Dieu et de son amour pour les hommes.

Dieu ne semble pas faire moins en daignant descendre du ciel sur nos autels , que lorsqu'il a abandonné la première fois sa gloire pour se revêtir de notre nature et se faire homme. C'est là le mémorial de toute sa charité et comme l'abrégé de tous les bienfaits dont il nous a enrichis : il a renfermé en ce sacrement une figure de l'Incarnation , de la Rédemption,

 

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de la glorification et de la justification , comme peuvent le reconnaître ceux qui considèrent l'institution de l'Eucharistie , sa célébration et le fruit qu'on recueille en y participant. Il est donc avantageux de communier souvent quand on s'efforce de s'y préparer par une vive dévotion , la pratique des vertus , la garde de soi-même , et en s'abstenant non-seulement des fautes considérables , mais encore des plus légères en ses paroles , ses actions et ses pensées. Sans doute nous devons sans cesse nous montrer empressés pour tout bien sans exception , mais un tel empressement nous convient surtout lorsque nous nous disposons à recevoir Jésus-Christ ou lorsque nous le possédons déjà en notre coeur.

 

CHAPITRE XII. De la confession.

 

Confessez-vous souvent et au moins trois fois par semaine. Faites-le avec simplicité , comme si vous vous adressiez à un ange à qui tous vos secrets seraient connus. Ne vous couvrez pas du voile de l'excuse, ne cherchez pas à diminuer la grièveté de vos fautes. Ne vous repliez pas non plus en vous-même de façon à ne point faire comprendre à votre confesseur ce que vous lui dites. Spécifiez bien vos fautes, mais ne racontez pas les histoires ni les factions des autres. Avouez brièvement et sans détour, article par article , les péchés que

 

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vous vous rappelez avoir commis depuis votre dernière confession , et n'allez pas dérouler un long traité de choses générales et vous en accuser avec trop d'instance; car tout cela est de nature à ennuyer votre confesseur. Vous pouvez tous les jours confesser à Dieu de pareilles fautes dans l'oraison , et lui découvrir vos défauts relativement aux diverses vertus. Enfin , appliquez-vous à vous corriger des péchés dont vous venez de vous confesser.

 

CHAPITRE XIII. De la cellule et de l'obéissance.

 

Demeurez volontiers en votre cellule, et là occupez-vous à des choses propres à vous édifier ou imposées par votre supérieur. Vous devriez , en effet, être si disposé à obéir que , si l'on vous traçait d'heure en heure ce que vous avez à faire , vous l'acceptassiez avec empressement. Vous dey riez également avoir renoncé à tout droit sur votre liberté jusqu'à ne pouvoir dire une parole sans permission, ni pourvoir de vous-même à aucun de vos besoins. Ainsi voyons-nous qu'ont vécu autrefois les saints en Egypte et ailleurs. Si nous désirons arriver à leur gloire, il faut commencer par imiter leur vertu.

 

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CHAPITRE XIV. De la lecture.

 

Lisez la vie et les enseignements des saints afin de trouver, en vous comparant à eux , à vous humilier en tout temps , à vous instruire , à vous embraser de dévotion , à vous exciter aux saintes pratiques, à vous former à l'intelligence des Ecritures et à vous éclairer des splendeurs de la foi. Apprenez dans vos lectures à discerner la vérité du mensonge , le bien du mal , le vice de la vertu , et à connaître les divers remèdes des vices et des tentations. Lisez pour comprendre les choses et non pour devenir plus savant , ni dans un but de curiosité. Laissez de côté ce qui n'édifie pas : une lecture vaine engendre des pensées plus vaines et éteint la dévotion en notre âme.

 

CHAPITRE XV. Que l'on ne doit point désirer l'office de prédicateur ou de confesseur.

 

Ne désirez point devenir prédicateur ou confesseur: si vous êtes digne de ces emplois , le Seigneur vous y appellera ; si , au contraire, vous en êtes indigne et incapable, vous aurez à subir une confusion bien plus

 

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grande en vous y portant de vous-même. Quelquefois nous tirons peu de bien de nos prédications et du ministère de la confession; c'est que les hommes qui s'en acquittent n'ont pas été appelés de Dieu : ils sont accourus sans être envoyés; ils ont voulu produire des fruits dans les autres avant d'avoir planté en leur coeur les racines de la vertu , et ces fruits n'ont point été durables , parce qu'ils ne sont point venus en leur saison. voilà pourquoi il est écrit au livre du Lévitique (1) : Lorsque vous serez entrés dans la terre promise, et que vous y aurez planté des arbres fruitiers, vous aurez soin d'en retrancher les premiers fruits par une espèce de circoncision. Vous regarderez ces premières productions comme étant impures et vous n'en mangerez point. La quatrième année tout leur fruit sera sanctifié et consacré à la gloire du Seigneur. Et la cinquième année vous en mangerez les fruits, en recueillant ce que chaque arbre aura porté. L'arbre planté dans la terre promise est l'homme tiré du siècle et placé dans la terre de la vie religieuse où il doit produire des fruits de salut pour soi-même et pour les autres en temps opportun. Mais si ces fruits ne viennent pas dans le temps voulu , leur auteur sera impur à cause de sa présomption , et ses progrès dans les sentiers spirituels seront nuls. La première année est une pénitence sincère des fautes passées; la seconde, une persévérance véritable dans l'amendement de sa vie : la troisième, l'acquisition des bonnes habitudes; la quatrième, le mépris et le dégoût des louanges et

 

1 Lev., 19.

 

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des honneurs mondains dans la pratique du bien , la recherche unique de la gloire de Dieu et du salut des âmes.

Celui qui , avant d'être arrivé à cette année, se porte aux ministères dont nous venons de parler, ne produit aucun bien dans les âmes; il ire se rend point agréable à Dieu ; sa vanité et sa légèreté l'empêchent d'acquérir aucun mérite et de profiter aux autres. Mais après cette année, quand l'année de la pure charité est venue , il peut manger les fruits de la terre et les ramasser; sa prédication alors sera profitable aux autres, elle sera méritoire pour lui-même et abondante pour la vie éternelle.

Je vous ai dit toutes ces choses afin de vous porter à considérer à quels hommes la sainte Ecriture conseille de se livrer à la prédication. Appliquez-vous donc à vous régler d'abord au dehors par un maintien digne, au dedans par de saintes affections et de bonnes pensées. Alors seulement vous pourrez instruire utilement les autres dans la sainte doctrine, car nul ne doit oser enseigner un art s'il n'a commencé par l'apprendre soigneusement lui-même.

 

CHAPITRE XVI. De la fidélité à la discipline en tout lieu.

 

Ne vous croyez jamais tellement en sûreté et tellement solitaire que vous puissiez négliger les règles de la discipline et de la modestie dans vos regards, votre

 

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goût , votre toucher et en tout autre point , non plus que si vous étiez sous le regard de quelqu'un; car les saints anges sont avec nous et ils voient toutes nos oeuvres. Or, nous devons les craindre et respecter toujours et en tout lieu leur présence. Dieu lui-même nous voit et il est notre juge. Notre conscience nous contemple aussi ; elle est le témoin de nos actions et notre accusateur. Celui donc qui redoute plus le regard des hommes que le regard de Dieu , de sa propre conscience et des saints anges, celui-là n'aime pas le bien sincèrement. Et celui qui ne se règle pas en ses actes par amour du bien véritable, mais par la crainte de perdre un honneur passager, celui-là n'est pas un vrai serviteur de Jésus-Christ : il désire encore plaire aux hommes plutôt qu'à Dieu. Aussi l'Apôtre a-t-il écrit : Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur de Jésus-Christ (1). En effet , celui que vous craignez le plus d'offenser est celui à qui vous désirez de plaire avant tout, car personne ne peut servir deux maîtres (2).

 

CHAPITRE XVII. De la conduite à tenir avec les frères.

 

Soyez avec vos frères réservé , aimable , modeste , affable et plein de douceur. Montrez-vous empressé à rendre service et évitez d'être à charge aux autres.

 

1 Gal., 1. — 2 Mat., 6.

 

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Ne vous laissez aller à aucune plaisanterie inconvenante, à aucune parole de bouffonnerie, et n'aimez à entendre rien de semblable : car les choses que vous vous plaisez volontiers à entendre , vous les diriez de même si vous l'osiez. Or, la pureté du serviteur de Dieu doit être telle en tous ses actes et en ses paroles , qu'elle lui inspire de l'horreur non-seulement pour toute chose ouvertement contraire à la décence , mais encore pour tout ce qui est nuisible à son âme et honteux, alors même qu'un voile d'honnêteté en cache la laideur.

 

CHAPITRE XVIII. De la modestie.

 

Tous les mouvements de votre corps, vos actes extérieurs , vos paroles, vos regards , votre démarche , doivent porter l'empreinte d'une humble modestie et ne laisser voir en vous rien d'élevé , ni de hardi , ni de présomptueux. La modestie environne du plus bel éclat le religieux et surtout le jeune homme. Celui qui la méprise permet à peine de concevoir quelque espérance qu'il devienne jamais un bon religieux ou un homme vertueux. De même que la crainte de Dieu nous règle intérieurement et nous dispose à ce qui est bien , ainsi la modestie nous rend aptes au dehors à observer toute discipline. La modestie, dit saint Grégoire , est l'ornement de toutes les

 

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vertus , le témoin de l'innocence , l'indice d'une âme pudique, la gloire la plus éclatante de la discipline, la gardienne de la réputation , la compagne de la chasteté et l'étendard de toute sainteté. A'ayez jamais de familiarité avec personne jusqu'à oublier la modestie. Si quelquefois elle était portée à l'excès et qu'elle vous devînt un obstacle eu des choses avantageuses, il faudrait alors la modérer, mais non la rejeter ni la détruire en vous comme un défaut ; elle veut être réglée et changée en vertu comme les autres affections naturelles de notre âme.

 

CHAPITRE XIX. Du marcher.

 

Soyez grave en marchant, et évitez de courir sans nécessité comme un homme léger. Ne tenez pas votre corps dans une rectitude forcée , mais médiocrement incliné. N'ayez point les yeux errants çà et là , ni les bras toujours en mouvement. Que votre démarche n'ait rien de désordonné comme chez les personnes du monde; mais qu'elle soit calme et humble comme si vous sortiez d'une oraison fervente.

 

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CHAPITRE XX. De la manière de se tenir assis.

 

Quand vous êtes assis, ne vous étendez pas nonchalamment sur le côté, et n'allongez pas les jambes outre-mesure , surtout en présence des autres. Le désordre extérieur du corps est l'indice d'une âme sans dévotion.

 

CHAPITRE XXI. Du rire.

 

Riez rarement et sans éclat , plutôt en laissant voir de la bénignité que de la dissolution. Appliquez-vous beaucoup à être sérieux, mais sans mauvaise humeur ni emportement.

 

CHAPITRE XXII. De la douceur dans les paroles.

 

Que vos paroles soient toujours douces et votre réponse humble , sans aucune empreinte d'amertume , de brune dissimulé, de mépris. Au reste, prenez pour règle , quand vous parlez, de le faire de telle sorte que si un autre vous tenant un pareil langage , vous ne pussiez pas vous en fâcher.

 

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CHAPITRE XXIII. De la médisance.

 

Parlez des absents comme si vous les saviez proches de vous et à portée de vous entendre. Que nul n'ait de vous la crainte que vous ne déchiriez sa réputation en son absence. C'est un grand vice pour un religieux de dire d'un absent ce qu'il rougirait de dire devant lui. N'écoutez pas volontiers la médisance; mais fuyez-la ou arrêtez-la à propos, si vous le pouvez. Vous n'avez rien à en retirer, sinon d'estimer moins celui dont on vous entretient ou le médisant lui-même. Cherchez plutôt ù trouver en vos frères quelque sujet de louange propre à vous édifier, vous et ceux qui vous entendent.

 

CHAPITRE XXIV. Du retranchement des nouvelles du dehors.

 

Ignorez les nouvelles du dehors : elles répandent l'inquiétude dans le coeur, distraient l'esprit, dessèchent la dévotion et font perdre le temps sans aucun profit. Ne faites pas connaître toutes celles que vous savez , et ne soyez pas comme un vase sans couvercle, qui , à peine incliné, laisse tomber ce qu'il renferme ou le tient exposé continuellement à la poussière et à toutes sortes d'immondices. N'aimez pas à être dans la foule

 

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si l'on ne s'y entretient de Dieu , de choses pieuses et propres à édifier. Evitez de crier en parlant et ne soyez pas impatient de laisser s'exhaler ce que vous avez en votre âme, comme nous lisons qu'il arriva aux amis de Job. Abstenez-vous avec soin non-seulement de médire , nais encore de rapporter la médisance à celui qui en a été l'objet , de peur de l'indisposer contre le médisant sans l'humilier lui-même par votre rapport.

Peut-être celui qui a mal parlé de l'autre , n'a-t-il pas eu l'intention de le dénigrer comme celui-ci le soupçonne. Et cependant celui qui a été ainsi en jeu est excité par vos paroles à la haine ; vous le provoquez à la vengeance contre un homme qui a parlé simplement et sans penser à médire, ou qui s'est peut-être repenti aussitôt avec la résolution de se garder à l'avenir de rien de semblable. Cependant si l'on a dit d'un autre des choses qu'il lui importe de connaître, vous pouvez les lui rapporter si vous le voulez , mais salis lui indiquer celui de qui vous les tenez. De la sorte, il saura ce qu'il doit éviter dans sa conduite et il ne concevra de haine contre personne.

CHAPITRE XXV. De l'ostentation.

 

Evitez avez le plus grand soin possible toute ostentation , et ne donnez jamais à entendre à personne qu'il y ait en vous quelque chose de recommandable.

 

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si vous êtes digne de louange eu quelque point , les autres le connaîtront aisément. Si donc vous gardez le silence et vous cachez, vous plairez davantage; si, au contraire, vous cherchez à vous produire au dehors et à vous exalter, on se moquera de vous et l'on vous méprisera : ce qui dans le principe était en vous un sujet d'édification, deviendra un sujet de confusion.

 

CHAPITRE XXVI. De la trop grande abondance de paroles.

 

Les malédictions, les injures , les mensonges même légers, les serments frivoles et les discours honteux ou bouffons doivent demeurer éloignés de la bouche d'un religieux et être de sa part l'objet d'un perpétuel anathème. Aussi saint Jacques a-t-il dit : Si quelqu'un s'imaginant avoir de la religion, ne met un frein à sa langue, mais se séduit lui-même, sa religion est vaine (1) .

 

CHAPITRE XXVII. De la légèreté dans les paroles.

 

Fuyez toujours les paroles oiseuses , quelle qu'en soit l'occasion. Quand même elles vous sembleraient une faute médiocre , leur habitude causerait un grave dommage à votre avancement spirituel; et ensuite en laissant notre langue se répandre en de telles paroles.

 

1 Jac., 1

 

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comme si nous v consentions bien volontiers, nous. finissons par user d'une attention moindre et par tomber peu à peu en des fautes plus considérables. De là naissent les inquiétudes, la dissipation et de graves tourments de conscience.

 

CHAPITRE XXVIII. Des entretiens de Dieu.

 

Aimez à parler de Dieu et encore plus à en entendre parler : un pareil langage porte à la pratique de la vertu et au désir de la dévotion.

 

CHAPITRE XXIX. De la paix à garder en écoutant les antres.

 

Ecoutez humblement et pacifiquement les bonnes choses que les autres vous disent. N'aimez point à contredire comme plusieurs, quand ils entendent quelque chose de bien, ont coutume de faire dans la crainte de passer pour ignorants. A peine un autre a-t-il avancé un point , qu'ils se hâtent d'entamer une discussion sur ce point afin de paraître aussi savoir quelque chose. Ils ne cherchent point à s'édifier, mais à faire montre de leur science; et ainsi bien des conférences excellentes se trouvent négligées parmi les religieux. Gardez-vous de disputer avec personne. Cédez promptement. Si ce qu'un autre a émis est bon

 

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et véritable , il est indigne de vous de résister dans un but de vanité. Si , au contraire , sa doctrine laisse à désirer, vous parviendrez mieux à le redresser en le lui faisant remarquer pacifiquement et en lui montrant humblement la vérité, qu'en lui découvrant ses torts avec aigreur.

 

CHAPITRE XXX. De la manière de parler.

 

Lorsque vous parlez , appliquez-vous à le faire à voix basse et d'un air paisible, à être réglé et calme en vos mouvements ; tout ce que vous direz alors aura plus de poids et sera plus avantageux. Ne vous montrez point trop hardi en présence de vos anciens; mais écoutez leurs enseignements avec modestie. Il appartient aux anciens d'enseigner, et aux jeunes gens d'écouter avec humilité.

 

CHAPITRE XXXI. De l'oisiveté.

 

Ne soyez point oisif, ni appliqué à poursuivre les nouvelles et les vains bruits. Il y a en cela un double mal : vous consumez inutilement votre temps , et ensuite votre modestie et votre humilité ont à souffrir d'une telle habitude. De plus vous donnez aux antres un mauvais exemple.

 

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CHAPITRE XXXII. De l'exemple de Jésus-Christ à suivre en

toutes choses.

 

En toute vertu et en toute bonne action , ayez toujours devant les yeux le miroir sans tache et le modèle vraiment parfait de toute sainteté : la vie et les exemples du Fils de Dieu , Jésus-Christ Notre-Seigneur. Il a été envoyé du ciel sur la terre pour ouvrir devant nous la voie des vertus , nous enseigner par son exemple la loi de la sagesse , nous instruire par lui-même ; et ainsi , après avoir été formés dans le principe à son image et avoir défiguré cette image en nous par le péché, il nous est donné encore de nous réformer en prenant pour modèle sa conduite , et en imitant autant qu'il nous est possible sa vertu. Plus on s'appliquera à l'imiter de la sorte ici-bas , plus on s'approchera de lui et plus on lui sera semblable dans la gloire et la splendeur du ciel.

Gravez donc en votre coeur ses exemples et ses actions. Rappelez-vous son humilité parmi les hommes, sa bénignité envers ses disciples, sa modestie en buvant et en mangeant , sa compassion pour les pauvres , à qui il s'était fait semblable en tout et qui semblaient lui appartenir spécialement comme des membres de sa famille. Jamais il n'en méprisa aucun , jamais il n'eut de répugnance pour aucun , même pour les

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lépreux. Voyez comment il évitait de flatter les riches, combien il était libre des sollicitudes du monde exempt d'inquiétudes pour les besoins du corps , quelle pudeur brillait en son visage , quelle était sa patience au milieu des injures , et sa douceur en ses réponses. Jamais il ne chercha à se venger par une parole mordante et amère; mais il s'efforça plutôt de guérir la malice de ses ennemis par un langage plein de douceur et d'humilité.

Pensez encore combien il était réglé en tous ses mouvements et combien il était empressé au salut des âmes : par amour pour elles il voulut s'incarner et il daigna souffrir la mort. Représentez-vous comment il se montra lui-même un modèle parfait de tout bien ; comment , pour donner l'exemple , il évita tout entretien trop familier avec les personnes du sexe , en sorte que les apôtres s'étonnèrent , comme d'une chose entièrement inusitée , de le voir converser avec la samaritaine; comment il supportait avec patience le travail et les privations , comment il compatissait à l'affliction des autres; comment il témoignait son indulgence pour les imperfections des faibles; comment il évitait l'ombre même du scandale; comment il ne méprisa jamais les pécheurs , et avec quelle bonté il accueillit le repentir. Contemplez combien il fut calme en ses paroles , appliqué à la prière et empressé à servir, selon qu'il le dit en ce passage : Je suis au milieu de vous comme un serviteur (1); combien il fut sobre en ses veilles , obéissant à ses parents , éloigné

 

1 Luc., 22.

 

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de toute ostentation et de toute singularité , étranger à toute gloire terrestre et à toute puissance mondaine. Fixez en votre mémoire ces choses et les autres actions sans nombre de sa vie, et ayez toujours les yeux attachés sur lui comme sur votre modèle dans tous vos actes et vos paroles, en marchant et en demeurant en repos, assis , à table , dans le silence , dans les conversations, seul et avec les autres. Vous vous embraserez ainsi de plus en plus de sa charité, vous croîtrez en sa confiance et en son intimité , vous deviendrez plus parfait en tout genre de vertu. Que votre sagesse, votre méditation, votre étude soient donc d'avoir toujours présent à votre esprit quelque point de sa vie afin de vous exciter à marcher sur ses traces ou de vous pénétrer de son amour. Vous emploierez utilement votre temps au milieu de telles pensées et de semblables réflexions, en vous occupant à une étude aussi sainte sur la personne même de Jésus-Christ votre Seigneur; vous corrigerez votre vie sur le modèle de la sienne et de ses entretiens avec les hommes, eu tenant vos regards sans cesse fixés sur lui, pour connaître comment il a agi en telle circonstance comment , d'après vous-même, il a dû agir en telle autre. En toute occasion il a toujours été bon sans réserve; il agissait donc en tout de la l'acon la plus excellente et la plais parfaite.

 

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CHAPITRE XXXIII. De la vaine gloire et de la manière de chanter.

 

En toutes vos actions , tenez-vous en garde contre le vice d’ostentation et de jactance. Soyez simple en tout, comme il convient à un religieux et à un pauvre. N'ayez rien de prétentieux dans votre démarche ou dans vos gestes , et en chantant évitez des éclats de voix affectés. Si vous cherchez à plaire à Dieu , plus nous chanterez simplement , plus vous lui serez agréable ; si, au contraire, vous cherchez à plaire aux personnes présentes , c'est de la vaine gloire ; et si vous vous complaisez en vous-même alors, c'est une légèreté frivole. Si vous désirez par votre chant édifier vos auditeurs , plus vous le ferez en fuyant la unité, mieux vous atteindrez votre but. Dieu considère plus la dévotion et la pureté du coeur, que la beauté de la noix. Il vous sera toujours facile de faire monter vos cris jusqu'à lui , car il est proche de tous ceux qui l'invoquent dans la vérité.

Pendant l'office divin, vous devez être plus attentif à tirer des paroles de la sainte Ecriture un sens spirituel et des sentiments de dévotion , qu'à rendre les notes avec grâce et à faire parade de votre voix. Certains religieux , je le sais , s'imaginent follement, en agissant de cette manière, accomplir une œuvre agréable à Dieu. Mais si Dieu trouvait ses délices dans

 

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l'harmonie de la voix , le son des instruments de musique et le chant des oiseaux devraient le réjouir singulièrement, car leur douceur est vraiment admirable. Je le répète donc : les choses où Dieu se plaît sont la pureté de l’âme et la dévotion du coeur, et tout ce qui est sans importance à ses yeux ne doit pas non plus en avoir beaucoup pour son serviteur. Vous avez pourvu , comme il convenait , aux soins de votre maintien , de votre voix et de vos paroles , si rien en vous n'apparaît qui puisse blesser ou scandaliser les autres , si l'on n'y remarque rien de superbe, de mondain , de dissolu , d'agité par l'impatience , ou d'entaché de singularité.

 

CHAPITRE XXXIV. Des sorties hors de la maison.

 

Lorsque vous avez à sortir de la maison , retardez le plus longtemps possible afin de montrer aux hommes que vous n'avez aucun désir de semblables sorties , quand l'obéissance ou une cause raisonnable et utile ne vous en fait pas un devoir. Il est toujours avantageux à un religieux plein du désir de vaquer à Dieu et à soi-même de rester à la maison et de demeurer caché aux regards de la foule et des hommes. Le peu de dévotion acquis dans la maison , loin de s'accroître et de se conserver, est bientôt dissipé quand nous sortons au dehors. L'expérience nous a souvent

 

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fait reconnaître en nous-mêmes et dans les autres combien les sorties fréquentes , les rapports avec le monde , les occupations trop multipliées à l'extérieur sont propres à éteindre la dévotion de l'âme, à attiédir la ferveur de l'esprit , à ébranler les résolutions les plus fortes de vertu , à abattre le coeur, à affaiblir le zèle de la perfection, à apprendre l'amour des délices et la perte inutile du temps , à multiplier les paroles oiseuses , à inspirer le goût des plaisanteries et des bouffonneries, à nous rendre négligents pour l'oraison, paresseux et précipités dans la récitation du saint office. Ensuite les eaux de la tentation envahissent le vaisseau de notre coeur, à travers les fentes de la dissipation , et attirées par l'aridité de notre dévotion. Si on ne les rejette promptement par un examen attentif de l'état véritable de l'âme et une confession sincère , si une garde vigilante ne tient fortement fermé le lieu par où elles ont pénétré, elles augmentent peu à peu et finissent par plonger l'homme dans le péché et la confusion. Je ne prétends pas, sans doute , en parlant ainsi , vous inspirer de la répugnance à obéir quand on vous ordonne de sortir, mais vous ne devez pas non plus regarder comme une consolation de pouvoir errer par le monde, et pour ce qui est de vous , aimez plutôt à demeurer caché dans la solitude qu'à vous montrer au dehors, à moins que l'obéissance ou le bien des âmes ne vous en fasse un devoir, car l'obéissance est meilleure que le sacrifice (1).

 

1 II Reg., 15.

 

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CHAPITRE XXXV. De la retenue dans ses regards.

 

Quand vous sortez de la maison , évitez de promener avec trop d'empressement vos regards en tous lieux, de peur de rencontrer des objets propres à vous. causer des tentations dans la suite , à vous gêner dans l'oraison et à remplir votre âme de vains fantômes (1). David est tombé dans le crime par un regard imprudent. Peut-être n'avait-il jamais conçu un désir pervers avant d'avoir commis une semblable indiscrétion. Que vos yeux soient fixés en votre tête , ou autrement : que votre pensée soit occupée de Dieu , qu'elle soit occupée de Jésus-Christ, le chef de tous les membres de l'Eglise , et qu'elle ne vous laisse pas le temps de considérer les choses qui vous environnent au dehors, si la nécessité de trouver votre chemin ou un autre motif grave ne le demande; agissez en cela de façon à rentrer en votre cellule tel que vous. en êtes sorti , c'est-à-dire aussi rempli de dévotion , aussi pur en votre coeur, aussi vide des vains bruits. du monde et aussi empressé à observer le silence,

 

1 II Reg., 4.

 

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CHAPITRE XXXVI. Comment en voyage il faut se conduire vis-à-vis de son compagnon.

 

Demeurez en paix avec votre compagnon durant le voyage. N'entrez jamais en contestation sur aucun point avec lui , quand même vos idées seraient. meilleures ou que vos lumières l'emporteraient sur les siennes; mais taisez-vous de suite si vous voulez garder la paix de l'âme , car les disputes ont rarement. un bon résultat. Si vous n'êtes point un homme pacifique , souvenez-vous-en bien , c'est à peine si jamais vous pourrez pacifier les autres. Commencez d'abord par vous-même , et ensuite vous corrigerez plus aisément votre frère. Celui qui se sent agité, s'il se mêle de reprendre un homme agité, songe plutôt à le faire en suivant la passion de son propre coeur et avec le désir de vaincre un adversaire , qu'avec la volonté de redresser un frère par de sages conseils. Mais l'exemple de votre patience sera plus efficace que toutes les raisons possibles : la vertu ne s'enseigne pas au moyen du vice, et vous ne sauriez prêcher la patience par la colère, ni l'humilité par l'orgueil. Soyez plein d'amabilité dans vos voyages, et non dissipé si vous ne voulez point éteindre en vous l'esprit de dévotion afin de plaire aux hommes.

 

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CHAPITRE XXXVI. De l'oraison et de la méditation au milieu des exercices extérieurs.

 

Choisissez une heure pour prier et méditer, soit en route, soit au lieu où vous recevez l'hospitalité. Gardez-vous de tomber dans Lune négligence entière sur ce point, et n'allez point vous mettre dans l'esprit de différer jusqu'à votre retour à la maison. Si vous laissez trop se refroidir la ferveur de votre dévotion , vous la recouvrerez ensuite bien plus difficilement. Je ne veux pas dire qu'il vous soit possible en voyage de conserver tout-à-fait la même gravité et la même dévotion qu'à la maison; mais je désire vous voir adopter une règle à laquelle vous vous efforciez de vous conformer le plus soigneusement possible avec l'aide de Dieu.

 

CHAPITRE XXXVII. Un bon exemple à donner en conversant parmi les hommes.

 

Evitez avec tout le soin possible en vivant parmi les hommes tout ce qui peut leur être d'un mauvais exemple. Il convient d'agir ainsi à des serviteurs de

 

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Dieu qui doivent étendre l'honneur de leur maître et le préserver, autant qu'il est en leur pouvoir, de toute atteinte. Nous sommes la famille du Seigneur. Si donc un père est honoré par la bonne conduite de ses enfants et déshonoré par leurs désordres , sachez bien que toutes nos actions dans le monde tournent de même , jusqu'à un certain point, à la louange ou au mépris de Dieu. Nous avons été spécialement placés parmi les hommes pour leur être un sujet d'édification ; mais nos paroles ne sauraient produire de grands fruits si nous ne commençons par donner le bon exemple. Peut-être ne sommes-nous point assez parfaits pour offrir aux personnes du siècle des modèles accomplis de vertu ; au moins évitons de montrer en notre conduite tout ce que nous avons coutume de reprendre dans les autres; évitons d'entretenir les hommes des nouvelles frivoles du monde; ne témoignons aucun plaisir à les entendre raconter: n'aimons pas à voir apprêter pour nous des mets délicats ou nombreux; n'ayons point à notre usage des objets d'un trop grand prix ou sentant la mollesse; ne laissons échapper aucun mouvement de colère , aucun sentiment de désaccord ; ne portons jamais personne à se répandre en paroles bouffonnes ou en plaisanteries dissolues , et surtout veillons bien pour ne pas être regardés comme avares par notre amour des présents : nous tombons vite dans le mépris des hommes quand ils nous voient ambitionner et poursuivre avec ardeur les choses dont nous leur prêchons le mépris.

 

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CHAPITRE XXXVIII. De l'éloignement des personnes du sexe.

 

Veillez bien aussi , dans vos rapports avec les personnes du sexe , à ne point les regarder curieusement en face, ni à leur donner la main , ni à vous asseoir trop près d'elles, ni à leur sourire légèrement. Ne vous entretenez pas à demi-voix avec elles et ne cherchez pas les endroits écartés pour converser ensemble. Quand même il n'y aurait pour vous en cela aucun sujet de tentation , vous ne sauriez cependant éviter les soupçons des autres et vous vous exposez à des calomnies dont vous aurez à rougir et dont vous vous laverez difficilement. Agissez donc avec toute personne du sexe comme si son mari ou son supérieur était présent , comme s'il voyait toutes vos actions et entendait tontes vos paroles. Alors vienne qui voudra et vous trouve à parler avec elle, vous n'aurez à rougir en rien et l'on ne pourra dans la suite lancer contre vous la moindre accusation.

Si mes conseils ne vous déplaisent pas, je vous donne celui de ne jamais contracter d'intimité trop grande avec aucune femme, quelque religieuse et sainte qu'elle soit. Car , sans considérer le danger de la tentation dans lequel nous jette toujours une semblable intimité, alors que la crainte du mal disparaît cachée sous l'apparence du bien , sans m'occuper des

 

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accusations malheureuses ou des soupçons dont on ne manque pas ordinairement d'être l'objet de la part des autres , je dis que cette affection particulière produit une grande inquiétude en notre coeur par le désir oit l'on est de donner des preuves de son amour et de le faire connaître à la personne elle-même. Si quelquefois cela ne peut avoir lieu, alors on s'attriste, on craint l'indignation de cette personne , l'affaiblissement de son affection , et l'on se reproche de ne point assez prier pour elle. De son côté elle se trouble si elle voit que vous en saluez une autre, que vous demeurez quelque temps sans la voir ni lui témoigner aucun égard. Elle vous accuse d'en aimer d'autres de préférence à elle , de l'oublier dans vos prières et elle s'irrite. Or, de pareilles choses sont de vraies comédies , et un homme de bien doit y demeurer étranger et ne jamais permettre à son coeur de s'en occuper. La prière de telles personnes ne saurait apporter autant de profit que leur souvenir d'entraves à notre avancement spirituel , car une prière ainsi mélangée d'affection charnelle est insipide à Dieu.

Maintenant qu'une telle affection soit charnelle , vous pouvez le conclure de ce que cette personne aime mieux vous avoir auprès d'elle aux dépens de votre perfection afin de jouir souvent de votre présence, que de vous voir devenir plus parfait en vous éloignant. — Je passe sous silence les marques auxquelles on distingue l'amour spirituel de l'amour charnel , car cela m'entraînerait à trop de longueur. Contentez-vous du conseil que je vous donne si vous

 

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désirez conserver avec Dieu la paix du coeur et votre honneur religieux parmi vos frères. Rejetez loin de vous toute intimité avec les personnes du sexe; aimez d’un amour général celles qui sont bonnes et pieuses, et ne vous laissez aller à aucun sentiment d'indignation contre aucune d'elles. Révérez en votre coeur celles qui sont plus saintes , à cause de la grâce plus abondante du Saint-Esprit en elles. Ne vous entretenez avec elles que brièvement. Saluez-les avec bonté quand l'occasion se présente et que vous ne pouvez vous en dispenser sans blesser l'honnêteté. Recommandez-vous à leurs prières en peu de mots. Si elles sont sages, une telle manière d'agir devra leur être agréable; mais si elles sont importunes , il vous est plus avantageux de n'avoir aucun rapport avec elles. Lorsque vous voyez une femme mener une vie sainte, aimez-la en votre âme; mais demeurez étranger à tout amour charnel.

 

CHAPITRE XXXIX. De la liberté du coeur.

 

Soyez maître de vous-même et ne donnez de puissance sur votre coeur à personne , si ce n'est à Dieu ou à votre supérieur à cause de Dieu. Soyez tellement libre de toute occupation ou affection extérieure que vous n'ayez pas à tourmenter votre supérieur par des permissions de faire , d'aller, de donner, de recevoir.

 

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Mais aussi abandonnez-vous de si bon coeur à sa volonté qu'il puisse vous dire sans crainte : « Faites ceci, renoncez à cela, » et que vous vous y conformiez avec empressement et sans murmure intérieur. Sans une pareille disposition , vous ne sauriez vous confier beaucoup au mérite de l'obéissance que vous avez vouée à Dieu entre les mains de son représentant , de votre supérieur. Si par votre impatience et votre importunité vous voulez le réduire à vous servir et à vous accorder vos permissions selon votre désir , et que ne le voulant pas vous murmuriez, dès lors vous n'entrez plus par la porte , qui est Jésus-Christ , dans le bercail de la sainte religion ; car le Seigneur n'est pas venu faire sa volonté , mais la volonté de son Père. Vous devenez un voleur et un brigand : un voleur en ravissant une chose hors de votre puissance, votre volonté propre dont vous avez fait l'abandon à votre supérieur et que vous usurpez maintenant ; un brigand en donnant par un tel exemple la mort aux âmes des simples.

 

CHAPITRE XL. Epilogue, ou résumé de tout ce qui vient

d'être dit.

 

Je dis donc, pour parcourir en peu de nuits tout ce traité : soyez plein de dévotion pour Dieu et tenez en tout temps votre coeur uni à lui autant que vous

 

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le pourrez , comme à son modèle. Obéissez avec humilité à vos supérieurs, ne gardez vis-à-vis d'eux aucune rancune , ne les méprisez ni ne les jugez , et ne murmurez point contre eux. Soyez pacifique avec vos frères , patient quand vous avez à entendre des paroles dures et à recevoir des réprimandes. Ne jugez facilement personne. Evitez d'être soupçonneux. Montrez-vous empressé à rendre service , surtout aux infirmes, et à vous porter aux emplois les plus humbles. Appliquez-vous très-souvent à la prière. Au choeur observez la discipline et soyez tout entier occupé de Dieu. Usez d'une discrétion modeste dans la nourriture et ce qui regarde les besoins du corps. Aimez à demeurer en votre cellule. Fuyez les conversations inutiles. Parlez avec douceur et modestie. Soyez toujours aimable et surtout vrai en vos discours. Que votre parole ait pour vous la valeur d'un serment. Ne dites de mal de personne et ne prêtez pas volontiers l'oreille aux détracteurs. Ne conservez de haine contre aucun. N'ayez rien de prétentieux dans votre langage ni dans votre manière d'agir. Haïssez l'argent et aimez la pauvreté. Fuyez en toutes circonstances la société des personnes du sexe. Soyez compatissant pour les affligés et gardez en tout la chasteté.

 

LIVRE II

 

CHAPITRE PREMIER. De la soumission de la volonté chez les novices.

 

Si vous désirez faire des progrès dans les voies de l'esprit et atteindre le but que vous vous êtes proposé en venant à l'école des vertus , en embrassant la vie religieuse, ne ressemblez pas à ceux qui, en passant de longues années aux écoles de ce monde, consument leur temps et leur argent et demeurent dans l'ignorance. Ayez devant les yeux un abrégé de ce petit règlement et conformez votre vie à ses enseignements. Qu'ils servent à vous diriger dans tous vos actes , vos exercices et l'emploi de votre temps. Commencez d'abord par vous mettre sous la conduite d'un maître capable de vous rappeler par ses exemples et ses paroles les choses que je vous ai apprises, et si vous ne pouvez rencontrer un tel homme , soyez vous-même votre maître. Imposez-vous courageusement la pratique persévérante de ces avis , et n'accordez rien aux caprices de votre volonté propre. L'enfant abandonné à sa volonté, à l'entraînement du jeune âge, couvre sa mère de confusion ; il déshonore la religion qui l'a adopté. Voilà pourquoi tant d'ordres religieux sont

 

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tombés dans le mépris. On y laisse à eux-mêmes des esprits encore dans l'enfance sans un frein pour les retenir eu présence du mal , sans une verge pour les pousser vers des pratiques salutaires , et cela a lieu par la négligence des anciens ; c'est le résultat d'une condescendance déplorable. Ainsi quand le médecin est assez imprudent pour ne point contrister le malade dont la guérison lui est confiée et qu'il lui permet de prendre des aliments nuisibles , la maladie devient plus grave et se prolonge plus long temps. Vous dissimulez un vice et un désordre chez un seul ; c'est un exemple donné aux autres; ils se croiront permis impunément ce qu'ils ne voient pas condamné dans leur frère. Cependant les maîtres doivent prendre garde de briser par la sévérité de leur commandement des âmes encore bien faibles.

 

CHAPITRE II. De la négligence des supérieurs, on autrement de la mauvaise liberté.

 

Cette liberté perverse s'étend de plus en plus, et les abus dont plusieurs se rendent coupables finissent enfin par être regardés comme une loi et un droit de la communauté. Si quelqu'un s'avise de reprendre de semblables désordres, on lui en fait un reproche comme d'une superstition et d'une singularité; et comme s'il voulait fonder un nouvel ordre et introduire des usages

 

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inconnus, on le tourne en dérision, on le traite d'homme vain et en délire; il devient à charge à tout le monde; c'est un juge téméraire des actions des autres ; il aura à subir les persécutions les plus amères. Les religieux plongés dans le relâchement, et ainsi éloignés de la voie de Dieu craignent , en épargnant ceux qui sont zélés pour la justice et la discipline religieuse, de les voir en entraîner plusieurs après eux et d'être enfin forcés eux-mêmes à toutes les observances de l'ordre. Ils veillent donc pour les empêcher d'atteindre ce but; ils les chassent sous prétexte de retrancher toute singularité , et ils les oppriment parce qu'ils désirent ramener leur religion à sa première ferveur.

Ces persécutions déplaisent à plusieurs qui ont. encore une étincelle de bonne volonté; mais comme ils sont faibles , ils se laissent effrayer et cherchent, à imiter ceux qu'ils voient les plus forts par le nombre et la puissance , plutôt que de partager la tribulation des autres et d'encourir pour leur propre compte de nouveaux reproches, selon cette parole du Prophète : Celui qui s'est retiré du mal est devenu la proie des méchants. Nous avons vu des exemples de choses semblables en plusieurs ordres. Dieu préserve le nôtre de descendre à un pareil état !

 

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CHAPITRE III. De la ferveur dans la vie religieuse.

 

Celui qui , poussé par sa ferveur, a embrassé la vie religieuse sans vouloir risquer son salut dans le siècle au prix de tout ce que le monde a pu lui promettre ou lui donner, et qui , sans égard pour les richesses , les honneurs, les plaisirs, l'attachement de ses amis et l'amour de son propre corps , n'a pas hésité à se confiner dans la prison de la pénitence à cause de Dieu , celui-là , dis-je , ne doit pas être moins grand maintenant qu'aux temps passés , et abandonner aujourd'hui pour les vains propos des hommes la voie divine dont la crainte ni les caresses du monde n'ont pu alors lui fermer l'entrée. S'il redoute d'encourir la note de singularité et de devenir par là odieux aux autres, qu'il se souvienne qu'aucun saint n'est arrivé dans le ciel à une gloire singulière avant de s'être appliqué à mener parmi les hommes une vie d'une sainteté toute singulière. Mais ici je veux parler d'une singularité consistant à pratiquer la vertu et non à observer des choses de pure cérémonie, n'ayant qu'un mérite bien médiocre et quelquefois nul. L'application véritable à la sainteté consiste donc dans ce qui suit : à éviter tout péché , tout scandale , autant qu'on le peut, à se porter avec humilité et ferveur à l'exercice de toutes les vertus , et à chercher l'union intime avec

 

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Dieu par la vivacité de la dévotion intérieure. Aucun usage ne saurait être regardé comme bon s'il est opposé à de telles pratiques, s'il tend à les détruire.

Nous devons , pour la justice aussi bien que pour la foi , être prêts à souffrir non-seulement les moqueries et les dédains injurieux des hommes, mais encore les persécutions , quelles qu'elles soient , et la mort même, à l'exemple des saints des jours anciens et de ceux qui souffriront dans les derniers temps , plutôt que d'abandonner la foi et de renoncer à l'innocence en commettant le péché. Apprenons donc à supporter les petites épreuves qui nous viennent des vains propos et des plaisanteries des autres afin de savoir dans la suite surmonter par la patience des attaques plus considérables , si nous devons y être soumis. L'homme qu'un souffle léger renverse, comment soutiendra-t-il la violence de la tempête?

J'ai dit tout cela pour prémunir votre coeur contre ceux qui tenteraient de diminuer votre zèle à marcher dans le chemin des vertus. Lorsqu'un semblable zèle n'est pas entretenu soigneusement, c'est à peine si l'on peut supporter comme il convient les plaisanteries de ceux au milieu desquels l'on vit. Comme ils n'abandonnent pas à cause de nous leurs habitudes perverses et nuisibles , ainsi nous ne devons pas à cause d'eux renoncer à des pratiques excellentes et avantageuses ; car, après tout , s'ils veulent arriver à la vie , il leur faut parcourir avec nous la voie de Dieu , et non persévérer dans celle où ils sont engagés.

 

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CHAPITRE IV. De la fuite de l'oisiveté et de la vanité des sens.

 

Vous ne devez jamais demeurer oisif, ni courir après les nouvelles, ni vous livrer à des entretiens inutiles, au jeu, aux plaisanteries bouffonnes, car toutes ces choses jettent notre âme dans le vague et la laissent vide. L'habitude de pareilles choses ravit à notre coeur le fardeau de la crainte du Seigneur, elle éteint le sentiment de la dévotion chrétienne.

Ne permettez pas non plus à vos yeux d'errer çà et là, de tout regarder : c'est un indice de légèreté. Ensuite les choses du dehors produisent en nous, au moyen des yeux ou des oreilles , un bourdonnement dont la pureté de notre intelligence est obscurcie comme si elle se couvrait d'un voile de poussière, et cependant c'est par cette intelligence que notre âme se nourrit de saintes méditations.

Laissez donc de côté, sans vous en occuper, ce qui ne vous est point nécessaire, ce qui n'est d'aucune utilité ni pour votre avancement ni pour celui des autres. Gardez-vous de vous y arrêter , d’y attacher votre coeur et d'y perdre votre temps. Ayez soin de porter toujours en votre mémoire quelque bonne pensée propre à vous rappeler le souvenir de Dieu, et efforcez-vous de tenir sans cesse fixé sur lui le regard de votre âme, selon cette parole du Prophète :

 

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J'avais toujours le Seigneur présent devant mes yeux (1). Ce souvenir. retient notre coeur et l'empêche de sortir de lui-même et de se laisser ébranler par une joie frivole ou une tristesse irraisonnable. Le monde au milieu duquel nous devons naviguer est agité par les tempêtes les plus variées, et celui qui ne veut point voir le navire de son coeur brisé par leur violence et submergé dans ses tlots, ou bien jeté par les vents sur les plages les plus lointaines, doit le fixer par le lien des bonnes pensées à la pierre inébranlable, qui est Jésus-Christ. Pour qu'un tel lien ne se brise point facilement, il doit être formé au moyen d'une triple corde, c'est-à-dire de la pieuse lecture des Ecritures , de la componction d'une oraison diligente et de l'humble exercice des bonnes oeuvres. La lecture donne le sujet et comme la semence des pieuses pensées. L'oraison les arrose, les affermit et les rend parfaites; elle illumine le coeur et lui donne l'intelligence; elle fortifie la volonté et la dispose à jouir des saintes délices. Les bonnes oeuvres , surtout si elles sont engraissées par la charité, l'obéissance ou d'autres vertus, réjouissent la conscience et la remplissent d'une confiance inébranlable en Dieu, elles inter-rompent momentanément, il est vrai, le repos de la dévotion, mais ensuite elles nous font recevoir des douceurs plus abondantes et une pureté plus admirable.

 

1 Ps. 15.

 

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CHAPITRE V. De la fuite des pensées mauvaises et des occupations inutiles.

 

Lorsque vous êtes libre et en repos, tenez-vous en garde contre les pensées frivoles et perverses; ne les souffrez jamais en votre cour, même un instant, car elles y ont bientôt imprimé la souillure du vice qu'elles représentent, soit la luxure, la vaine gloire, la haine, etc. Evitez de même les occupations inutiles : elles font perdre le temps, jettent dans l'inquiétude , empêchent l'accomplissement de choses utiles et dissipent la dévotion. De même encore sachez vous soustraire à la langueur de la paresse et de l'indolence; de tels vices attiédissent l'âme, énervent le corps et lui inspirent le dégoût des bonnes oeuvres.

 

CHAPITRE VI. De la fuite de l'orgueil et de la curiosité.

 

Quand vous êtes parmi les hommes, vous avez à veiller sur deux choses par rapport à vous-mêmes et sur deux également par rapport aux autres. Par rapport à vous, ne faites rien dans le but de vous faire remarquer et d'acquérir de la gloire, soit par

 

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vos gestes, soit par vos discours, le son de votre voix, vos actions : c'est là une faute et une chose vaine. Vous pensez plaire aux autres, et peut-être leur déplaisez-vous , peut-être vous signalent-ils comme un homme avide d'une gloire frivole, peut-être même ne remarquent-ils pas ce que vous faites. Ainsi vous perdez inutilement et vainement votre peine; vous ressemblez aux insensés qui feraient les empressés autour de simples statues comme si elles étaient douées de la vie, et en vous s'accomplit cette parole du Prophète : Ceux qui veulent plaire aux hommes sont tombés dans la confusion (1).

En second lieu, ne vous laissez pas aller à une honte inutile quand vous avez à agir devant les hommes, comme parler, chanter ou faire quelque autre chose ; mais efforcez-vous d'être aussi libre alors que si vous étiez seul. Si au-dedans de vous même la honte vous tourmente, sachez la réprimer au dehors; car plus vous laissez percer un tel sentiment , plus les hommes vous considèrent, et ainsi votre confusion s'en accroît.

C'est un signe d'orgueil de rougir à l'excès des défauts que nous avons reçus de la nature, comme de la difformité du corps, de la rudesse de la voix, etc. Avoir honte de la grossièreté de son vêtement ou d'être appliqué à des emplois humiliants, c'est de l'orgueil dans un religieux pauvre. Rougissez des vices et des scandales qui offensent Dieu et causent la ruine des âmes. Rougissez en vous même de vos

 

1 Ps. 52.

 

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péchés, de votre langueur dans le service de Dieu , de votre négligence à accomplir le bien que vous pouvez et que vous devez faire; rougissez de voir le temps s'écouler sans vous trouver plus avancé dans la vertu , de votre hypocrisie qui vous porte à vous n'outrer meilleurs au dehors que vous ne vous connaissez intérieurement. Vous cachez vos vices non par crainte de nuire aux autres, mais pour ne pas leur déplaire, pour ne pas encourir leur mépris. Vous manifestez ce qui est bon en vous, pour être admiré et estimé des hommes, pour leur faire croire que vous tenez cachées d'autres bonnes oeuvres plus nombreuses et plus excellentes , et que si d'autres se montrent aux regards du monde, c'est malgré vous. C'est à peine encore si vous avez quelqu'un dans votre intimité pour vous faire connaître à lui comme vous vous connaissez; c'est à peine même si vous le faites quelquefois dans la confession. Là, sans doute, vous n'osez pas supprimer vos péchés et ne pas les accuser; mais cependant pour ceux où vous craignez d'encourir quelque défaveur, vous réglez vos paroles, vous changez, vous diminuez , vous colorez les choses afin d'en recevoir moins de confusion. Ou bien, si vous allez jusqu'à exagérer la vérité, vous vous en glorifiez, vous voulez être regardé par votre confesseur comme un saint, comme un homme d'une humilité extrême, qui s'applique à se couvrir de confusion plus qu'il ne faut dans l'aveu de ses fautes. Ensuite dans les tentations, surtout celles de la chair, votre douleur est si faible que la crainte seule du péril ou de la confusion

 

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vous les fait repousser; autant que vous l'osez, vous semblez leur sourire en votre coeur; vous vous bornez seulement à ne point consentir au mal ou à ne point vous y délecter en vous-même. Mais en cela même votre perversité apparaît plus grande : vous pourriez chasser ces tentations comme des mouches impures, et par votre négligence vous les laissez s'échauffer et se développer; elles deviennent ainsi plus dangereuses et plus difficiles à vaincre, elles jettent dans votre conscience une confusion plus grande. Voyez votre paresse dans les choses de Dieu , la pratique des vertus , l'exercice de la dévotion : la honte des hommes vous fait plus agir en ce point que le divin amour. Voyez votre ingratitude pour les bienfaits du Ciel : non-seulement vous ne témoignez pas votre reconnaissance comme il convient pour les faveurs reçues, mais encore vous recevez inutilement la grâce offerte, vous négligez celle qui vous est préparée. Lorsque vous la sentez vous sourire, vous vous livrez à des occupations futiles; semblable à un homme qui passerait son temps à tisser des toiles d'araignées, vous vous portez à des pratiques incapables de vous former un vêtement de salut.

Maintenant si vous voulez abaisser vos regards sur les choses auxquelles vous êtes obligé, comme les heures canoniales et autres exercices semblables , vous vous en acquittez avec une paresse et une négligence telles que vous n'avez à en attendre aucune récompense, mais plutôt des châtiments. Vous prononcez les paroles tant bien que mal , et vous laissez

 

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divaguer votre esprit; votre coeur est froid, et ainsi vous n'apportez aucune attention au sens des versets, vous êtes étranger à tout sentiment de dévotion. Pour les paroles elles-mêmes, combien vous échappent par trop de rapidité? Et plaise à Dieu que vous n'omettiez bien des choses en ne considérant pas si vous les avez dites ou non, ou en appuyant vos conjectures sur un mot que vous semblez saisir comme par la queue et en vous rassurant ainsi. Le Seigneur, il est vrai, dissimule nos négligences et il les regarde avec patience; mais il ne les déteste pas moins pour cela; il les compte sans en omettre aucune; il les apprécie chacune à sa valeur; il les punira sévèrement si nous ne le prévenons par une humble confession , une satisfaction rigoureuse et un amendement sérieux.

Pour ce qui concerne le soin et les commodités du corps, vous avez un zèle sans bornes, et quand il s'agit d'avancer dans les voies spirituelles, d'accomplir des actes de charité fraternelle, d'obéir à vos supérieurs, de châtier votre chair, vous êtes tout languissant. La vue cle ces défauts et autres sans nombre vous laisse sans crainte et sans douleur; vous ne les examinez ni ne cherchez à vous en corriger , comme si Dieu devait agir vis-à-vis de vous autrement qu'avec les autres, comme s'il devait ne point punir les défauts non corrigés et récompenser le bien mis de côté par votre négligence.

Rougissez en vous-même pour toutes ces choses et autres semblables, et ne vous étonnez pas si d'autres les reconnaissent en vous et vous en blâment; n'en

 

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concevez aucune indignation, mais de la honte. Dites vous à vous-même : Je découvre véritablement en moi ces défauts et bien d'autres; j'en suis dans la confusion , je m'en attriste, mais non autant que je le dois, et je ne me corrige pas comme je le pourrais et comme il conviendrait. Je comprends également par moi-même que plusieurs des défauts dont je m'afflige peuvent se trouver également chez mes frères. Que chacun donc se juge et s'examine sérieusement soi-même, en considérant d'un côté ce qu'il est, surtout quel bien lui manque , quel mal règne en lui par sa propre faute , et d'un autre côté ce qu'il doit être en vertus et en bonnes moeurs. De la sorte il s'humiliera à la vue de ses défauts, il se sentira excité à se porter aux choses qu'il sait être de son devoir ou qu'il doit posséder, et il rendra grâces à Dieu si, à l'aide de sa grâce, il reconnaît avoir fait quelques progrès.

Maintenant, quant aux autres, vous avez à vous tenir en garde sur deux points : vous ne devez pas les considérer curieusement, ni vous enquérir de leur personne, ou autrement vous ne devez pas examiner les dispositions de leur visage , leurs vêtements, leurs gestes, leurs actes, leurs paroles, leurs occupations. Si vous n'avez aucune obligation de prendre garde à tout cela, si vous n'y êtes forcé dans un but d'utilité, passez au milieu des autres comme vous feriez au milieu d'un troupeau de brebis, et n'y faites pas plus attention. Agissez de façon à ne point arrêter vos yeux sur eux pour vous en occuper , ni votre coeur pour les juger ou sonder ce qu'ils sont en leur âme , quels peuvent

 

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être leurs mérites, leurs diverses actions, etc., car un tel examen est frivole , très-souvent il repose sur le faux et même il est téméraire. Ensuite il jette le trouble dans le coeur et le souille ; il blesse la conscience et porte à négliger bien des oeuvres excellentes.

En second lieu, si vous découvrez en vos frères ou si vous entendez raconter sur leur compte quelque chose de désavantageux, passez également sans vous en occuper et oubliez-le aussitôt, abandonnant à eux-mêmes et à Dieu le soin de telles choses , surtout si votre charge ou votre intimité avec ces personnes ne vous fait pas un devoir de les reprendre ou s'il n'y a pas pour vous obligation de faire connaître leur conduite.

 

CHAPITRE VII. De la compassion pour les pécheurs.

 

Ayez pour les pécheurs la même compassion que vous auriez pour des hommes faisant naufrage au milieu de la tempête : il est bien plus déplorable d'être précipité dans l'abîme infernal que d'être englouti au fond de la mer. Priez pour eux et versez des larmes sur leur malheur, si vous le pouvez, et vous mériterez par là d'être préservé d'un semblable naufrage. — Bienheureux les miséricordieux, dit le Seigneur , parce qu'ils obtiendront miséricorde (1).

 

1 Mat., 5.

 

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Arrêtez aussi votre coeur et vos yeux sur les afflictions de tous les malheureux ; comptez avec soin et dans toute son étendue chacune de leurs misères, pesez-les diligemment, et par là vous sentirez croître en vous des sentiments de compassion. Ensuite, si vous êtes vous-même en proie à quelque calamité, elle vous semblera plus légère en comparaison de celles dont vos frères sont accablés. Comprenez aussi par ce que vous voyez, les souffrances, les fatigues, les douleurs et les privations de Jésus-Christ : il était riche , et à cause de nous il s'est rendu pauvre afin de nous enrichir des biens célestes par sa pauvreté (1).

 

CHAPITRE VIII. De trois défauts communs aux hommes.

 

Il y a trois défauts bien répandus parmi les hommes. Le premier c'est l'inclination à blâmer ce qu'ils re-marquent dans les autres d'opposé à leur sentiment. Le second est l'adulation qui les pousse à se faire des compliments réciproques , à se flatter, à s'applaudir, à vanter le mérite des autres alors même qu'ils ne s'inquiètent guère s'ils ont réellement du mérite, à se rendre des honneurs superflus, etc. ; et tout cela sans utilité , sans aucun sentiment d'affection intérieure , mais en vertu de l'usage et seulement pour faire plaisir. Le troisième consiste à nous glorifier de nous-

 

1 II Cor. 8

 

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mêmes, parce que nos actions, nos paroles, nos sentiments, notre savoir nous sont chers, et que nous les préférons à tout ce que les autres peuvent faire, soit en les exaltant, soit en nous y complaisant. Nous concevons de l'indignation si les autres ne partagent pas notre admiration; ils manquent de jugement , sans doute. Ainsi nous nous délectons en notre propre louange. Si quelquefois nous nous humilions en nous abaissant nous-mêmes, nous ne le faisons pas sans arrière-pensée, mais nous voulons par ce détour amener les autres à nous louer, car assurément ils ne doivent point nous laisser blâmer ce qui est digne de louange en nous, ou bien nous agissons souvent de la sorte afin d'être regardés comme humbles et d'attirer par là au moins l'estime des hommes s'ils ne peuvent admirer rien autre chose en nous. Celui qui serait exempt de ces trois défauts vivrait dans une grande pureté et dans un repos profond. De là ces paroles d'un poète : « Gardez-vous de reprendre, de flatter et d'aimer les louanges : votre âme demeurera exempte de souillure et elle goûtera les douceurs de la paix. »

 

CHAPITRE IX. Que l'on ne doit point courir à la poursuite des choses d'un prix élevé.

 

Ne vous inquiétez pas d'avoir des objets recherchés comme des images, des tableaux, des mouchoirs, des chapelets et autres objets précieux. Ne recevez rien

 

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de semblable en présent et n'offrez rien de tel ; tout cela occupe le coeur, déplaît à nos maîtres et nous fait remarquer parmi les autres. On reçoit souvent ces objets sans permission et on les donne de même d'une manière imprudente, parce qu'on rougit de s'adresser continuellement aux supérieurs pour obtenir leur consentement. — N'ayez aucune espèce de parfums, à moins d'y être forcé par un besoin évident. Celui qui pourrait ne posséder rien de particulier, serait heureux; il aurait coupé court à bien des distractions. Si vous voulez avoir quelque chose en propre, comme des livres pour étudier, de petits meubles, ne cherchez rien d'inutile, rien de précieux ; contentez-vous seulement du nécessaire pour le nombre et la valeur. Que votre vêtement et tous les objets à votre usage soient simples et même grossiers. Que tout ce qui est au besoin de votre corps et frappe le regard des autres soit propre et sans prétention. N'affectez point de vous distinguer par rien qui sente le luxe ni la curiosité, ou qui soit remarquable par la singularité de ses couleurs.

 

CHAPITRE X. Qu'un religieux ne doit point chercher à plaire aux hommes.

 

Appliquez-vous à ne point vous laisser ébranler par le jugement des hommes , à ne point vous réjouir outre-mesure de leur faveur , à ne pas vous attrister

 

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de leurs mépris; car souvent le jugement. du monde est aveugle , il ignore la vérité, il est fréquemment sujet à l'erreur. Vous n'êtes ni plus digne de louanges si vous êtes loué par un homme , ni moins estimable s'il vous méprise. Il est insensé celui qui s'efforce vainement de plaire au monde. L'aveugle ne saurait discerner entre la couleur , le sourd juger des sons; de même l'homme insensé est incapable d'apprécier la valeur des mérites. Lors donc qu'il vous arrive de faire quelque chose de bien, comme de prêcher, etc., ne vous inquiétez pas d'agir en cela dans le but de plaire aux hommes ; Irais, ayant invoqué le secours d'en haut, efforcez-vous de faire selon qu'il vous semblera le plus convenable à la gloire de Dieu. Si vous avez réussi, rendez grâces à l'assistance du ciel et gardez-vous de vous enorgueillir , car vous devez attribuer un tel secours non à vos mérites, mais bien plutôt aux prières et aux mérites des autres. Si le succès n'a pas répondu à votre espérance, ne vous troublez pas et ne vous laissez point aller à la honte, mais rendez encore grâces à Dieu qui vous a ainsi défendu contre l'orgueil. Quel que soit donc le résultat, qu'il soit heureux ou malheureux, demeurez intérieurement et extérieurement comme si vous étiez étranger à cette affaire. Soyez loué, soyez méprisé, que vous importe? Pour vous, gardez le silence et évitez toute excuse quand vous avez à accomplir quelque chose de semblable.

Les hommes très-souvent nous portent à certaines choses pour nous rendre méprisables et nous faire

 

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passer pour des présomptueux d'avoir eu l'audace de ne point reculer. Aussi semble-t-il mieux, plus pur et plus conforme à l'humilité de faire en toute simplicité ce que l'on a à faire, soit que l'obéissance nous l'impose, soit que la charité nous y excite. Si vous plaisez alors, c'est bien; si vous ne plaisez pas, qu'y a-t-il de perdu ? Lorsque vous avez à prêcher ou à remplir un autre ministère auquel est attaché quelque honneur, si vous avez réussi , vous êtes récompensé par le succès de votre travail ; si vos espérances ont été trompées, vous gagnez encore : vous avez le mérite de votre humiliation, et ensuite ceux que vous n'avez pas satisfaits seront moins empressés à vous demander à l'avenir de pareilles choses.

Nous sommes tous exposés à plaire à l'un , à déplaire à l'autre; il n'est pas en mon pouvoir de vous être agréable, mais cela dépend de votre volonté et d'un sentiment que je suis impuissant à vous donner. Quand je ferais de grands efforts pour vous satisfaire, peut-être même alors n'y arriverais-je pas, parce que vos pensées sont différentes des miennes. Je ne vois donc rien de mieux pour l'homme, en ce point, que de chercher à plaire à Dieu seul , à ne pas scandaliser le prochain, à ne point l'offenser sciemment, de s'en remettre avec patience et humilité au Seigneur pour les succès ou les échecs, et de dire avec l'Apôtre : C'est pour moi la moindre des choses d'être jugé par vous (1). Quand vous avez plu , attribuez-le à la bienveillance de vos auditeurs et non à votre mérite. Si,

 

1 I Cor., 4.

 

452

 

au contraire, vous déplaisez, imputez-vous-le tout entier, et pensez que, si le peu qui a paru au dehors de votre bassesse a produit un semblable effet , ce serait bien autre chose si l'on connaissait à fond lotes vos vices, vos péchés et vos nombreux désordres. Peut-être vous chasserait-on et vous lapiderait-on; du moins je parle pour moi. Je n'ai jamais autant souffert du mépris des hommes que j'en étais digne en réalité. Je ne dois donc pas m'indigner si de temps à autre l'on me méprise, mais m'étonner et regarder comme un bienfait de Dieu de n'être pas un objet d'horreur pour tout le monde.

 

CHAPITRE XI. De l'humble support de la haine et de la médisance.

 

Lorsque vous apprenez qu'on parle mal de vous, ne vous en troublez pas : si ces médisances sont conformes à la vérité, vous ne sauriez blâmer les autres de raconter ce que vous n'avez pas craint de faire. Si, au contraire, elles sont des mensonges, elles ne sauraient vous nuire. Si vous êtes blanc, quel tort vous fait-on en disant que vous êtes noir? Aucun. Vous êtes ce que vous êtes, et rien autre chose. Quand on vous regarderait comme un animal, vous n'en êtes pas moins un homme. Si les premiers mouvements d'une semblable épreuve vous troublent et vous irritent, appliquez-vous à réprimer votre colère par

 

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la patience et à souffrir en paix durant quelque temps, comme on souffre la brûlure d'un cautère ou une autre opération chirurgique en pensant au profit qu'on en retire, et bientôt vous vous trouverez soulagé et presque guéri. Et même ce sentiment, en vous forçant à combattre au-dedans de vous-même, vous est d'une grande utilité; il sert à vous purifier de vos péchés et à user la rouille de vos vices; il vous est un exercice de vertu, une source de mérites pour la gloire, une préparation à la paix. Nul ne sera couronné s'il n'a combattu selon la       loi (1).

Ne conservez donc aucun levain de rancune en votre âme. Efforcez-vous de garder vis-à-vis de tous la douceur et la paix du coeur , et n'ayez de haine pour personne, soit à cause des offenses dont vous avez été l'objet , soit à cause des vices dont vous reconnaissez les autres coupables, de peur de devenir vicieux à votre tour sous prétexte de zèle. S'il ne convient pas que vous ayez de familiarité avec certaines personnes à cause du désordre de leur vie, ayez soin, eu témoignant toute aversion pour le mal, de ne pas l'étendre jusqu'au bien de la nature dont jouissent actuellement ces personnes et jusqu'au bien de la grâce dont elles seront peut-être comblées dans la suite. Bien des hommes pervers deviendront meilleurs plus tard, et ainsi il ne faut durant cette vie désespérer d'aucun.

Si quelqu'un a de la haine contre vous , médit de vous , s'efforce de vous couvrir de confusion et dis

 

1 II Tim., 2.

 

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vous faire de la peine, vous ne le vaincrez pas en usant de représailles à son égard, mais vous l'exciterez davantage encore. Ainsi l'on s'expose à se faire mordre en menaçant un chien qui aboie; si l'on eût continué sa marche sans faire attention à ses cris, il se serait apaisé et retiré plus vite. Votre ennemi ayant pour but de vous faire de la peine et de vous provoquer, s'il vous voit irrité et affligé, il a obtenu ce qu'il se proposait et il s'applique d'autant plus à vous tourmenter que ses efforts sont couronnés d'un plus grand succès. Si, au contraire, il remarque que vous soutenez ses attaques avec patience, que vous passez sans y paraître sensible, il rougit en son coeur , il ronge lui-même son frein et il se calme de colère en reconnaissant qu'il ne saurait vous tourmenter et obtenir ainsi la fin de ses désirs; ou bien il rougit en lui-même et se repent, il se corrige, vaincu par l'exemple de votre patience. Si cependant il s'obstine et demeure le même, s'il persévère à vous persécuter, montrez que vous savez souffrir quelque chose pour Dieu : celui qui est ainsi acharné contre vous se fait plus de mal à lui-même qu'il ne saurait vous en faire. Si un homme se mordait et se déchirait en haine de vous, en quoi vous nuirait-il, je vous le demander Il vous vengerait lui-même de ses attaques; il souffrirait lui-même, et non vous, des blessures de sa fureur. Pensez de même que l'homme animé de haine contre vous est son propre bourreau, et demeurez en paix sans vous troubler le moins du inonde: la malice des autres ne saurait vous atteindre.

 

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Si votre ennemi a vomi contre vous des injures, vous devez lui montrer que vous regardez toutes ses paroles comme un bruit passager , et n'y attacher d'importance qu'autant qu'elles peuvent servir à votre édification. Quant à vous en troubler et à vous en scandaliser, elles ne doivent faire d'impression sur vous non plus que le gazouillement d'un oiseau ou les aboiements d'un chien. Passez au bruit d'un tel ramage et ne vous en inquiétez nullement. Gardez-vous de devenir semblable à votre détracteur : le vice de la médisance est détestable en lui , il le serait de même en vous Personne ne s'est jamais avisé de se déchirer la ligure ni de s'arracher les yeux pour faire dépit à son adversaire; ainsi l'homme sage s'abstient de se déshonorer afin de tirer vengeance d'une injure; il sait qu'une pareille conduite , loin d'attrister son ennemi , le remplirait de joie. Si vous souffrez patiemment les traits lancés contre vous, d'autres vous porteront compassion; ils combattront pour vous en vous voyant garder le silence, et ils s'attacheront à vous avec amour. Mais si vous voulez vous venger en résistant, ils fixeront sur vous leurs regards, ils considéreront les morsures que vous vous ferez mutuellement avec votre adversaire et vous leur serez tous deux un sujet de scandale. La doctrine de Jésus-Christ, notre Maître et notre Seigneur, lui dont vous vous êtes déclaré le disciple en faisant profession de la vie religieuse, cette doctrine nous enseigne à aimer nos ennemis, à bénir ceux qui ont de la haine contre nous (1).

 

1 Mat., 5.

 

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Elle nous enseigne à vaincre leur malice par notre bénignité. Ainsi le Seigneur lui-même change les méchants en des hommes de bien par sa patience à attendre leur conversion et en les attirant à lui par des bienfaits.

 

CHAPITRE XII. De la correction de soi-même.

 

Corrigez en vous ce que vous blâmez dans les autres, et enseignez-vous à vous-même ce que vous jugez avantageux au prochain. Dirigez votre colère contre vous , et , quand vous serez embrasé tout entier, vous pourrez échauffer vos frères. Ainsi le feu commence par brûler ce qui l'entoure et il s'étend ensuite aux objets plus éloignés. Soyez donc proche de vous quand il s'agit de vous corriger. La règle de votre esprit et le zèle de votre justice doivent être de vous réformer vous-même, car vous êtes le modèle de ce que vous voulez proposer à l'imitation des autres. Montrez en votre propre personne ce dont vous êtes capable pour le prochain. Plusieurs savent reprendre bien des choses dans les autres et régler parfaitement leur vie; mais ils laissent subsister en eux-mêmes une multitude de défauts, ils n'apportent pas la moindre diligence à régler le propre état de leur âme dans les voies de la vertu. Ils rêvent quelquefois combien ils conduiraient les choses avec perfection

 

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s'ils étaient en tel emploi, s'ils occupaient telle dignité, et ils n'apportent aucune sollicitude aux choses dont ils sont chargés, ils ne s'améliorent eu rien. Si, avertis par un autre, si , rappelés à eux-mêmes par quelque accident imprévu, ils pensent à mieux agir à l'avenir, ils ne savent point prévoir quel ordre il leur faut suivre pour cela , ou bien, s'ils le prévoient , ils ne savent point y persévérer, tant l'habitude de la dissipation ou leur langueur accoutumée est puissante à les ramener à leurs premiers. errements.

 

CHAPITRE XIII. Suite du même sujet.

 

Soyez assez puissant sur vous-même pour retirer sans retard, au moindre avertissement de votre raison, les pensées de votre coeur, vos membres et vos sens de toute espèce de mal; pour appliquer à de saintes habitudes vos yeux, vos mains, votre langue, vos oreilles, vos pensées, les contenir comme avec un frein et les empêcher d'outrepasser insolemment les limites de la discipline. Quand un oiseau ou un animal a été apprivoisé par l'esclavage, si on le relâche il est bientôt revenu à ses premiers goûts; de même nos affections intérieures et nos sens extérieurs, s'ils ne sont retenus avec les précautions les plus sages, deviennent insolents au contact de la liberté et se plient ensuite bien

 

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plus difficilement aux commandements de notre raison que dans les premiers temps de notre conversion; car les coeurs pervertis rentrent moins aisément dans les sentiers du bien que ceux qui y furent toujours étrangers. Ainsi l'animal encore jeune est plus facile à dompter ou à apprivoiser que dans sa vieillesse, l'esprit d'un jeune homme a plus d'ouverture pour les sciences que celui du vieillard; un arbre déjà robuste est plus inflexible que l'arbuste nouvellement planté et encore tendre. Examinez-vous donc souvent vous-même, considérez l'état de votre Lime et de votre corps. Voyez ce qui vous manque, en quoi vous avez perdu ou profité, quels sont les obstacles à votre avancement, comment vous pouvez y remédier soit en les évitant ou en leur résistant, soit en les dirigeant ou en les supportant. Il faut éviter et fuir le péché, résister aux vices qui nous attaquent, diriger et régler selon les principes d'une sage prudence, et de façon à les faire concourir à notre avancement, les emplois et les occupations qui pourraient nous gêner accidentellement dans l'accomplissement de nos devoirs. Il faut enfin supporter l'adversité et la rendre tolérable par l'habitude; si elle nous est si odieuse, c'est parce que nous ne voulons pas nous y accoutumer. Si vous éprouvez en votre coeur de l'antipathie pour une personne de la maison ou avec laquelle vous devez avoir des rapports, appliquez-vous à vous montrer bienveillant et affable à son égard, et bientôt vous sentirez une telle disposition s'évanouir.

 

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CHAPITRE XIV. Pourquoi l'on ne doit pas désirer beaucoup l'amitié des hommes.

 

N'ayez pas un grand désir d'être aimé : le coeur trouve là un grave sujet de distraction ; on cherche à plaire à celui dont on ambitionne l'amour, la flatterie s'en mêle et souvent même la dissimulation vient s'y joindre; on craint de ne pas lui être assez agréable et de voir ainsi diminuer son affection. Ensuite l'inquiétude s'empare de vous quand vous vous imaginez être moins aimé que vous ne l'aviez désiré ou espéré. Il y a peu d'hommes ayant une telle conformité de pensées, de sentiments et de conduite qu'il ne puisse exister entre eux quelque désaccord, et cela est opposé à l'amour. — Si vous cherchez l'affection des personnes d’un autre sexe, outre le danger des tentations, l'occupation dont votre coeur sera fatigué, les sujets continuels de trouble, vous n'échapperez ni aux soupçons ni aux remarques malignes des autres. Confiez-vous donc à Dieu, efforcez-vous d'en être aimé eu tout temps, laissez l'amour des hommes à leur bon vouloir et à la volonté divine. Un tel amour est trompeur et instable; il se lasse facilement et nous lasse de même. Il est d'une médiocre utilité et souvent nuisible. Vous serez aimé si vous en êtes digne; sinon , non ; il est juste de ne pas donner son amour à un indigne et de ne pas lui témoigner le moindre respect. Ainsi soit-il.

 

 

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