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DISCOURS SUR LE PSAUME IX.LES ACTES MYSTÉRIEUX DE JÉSUS-CHRIST. Ces actes secrets consistent dans son avènement, tellement humble que les Juifs ne lont point connu, et dans cette sagesse mystérieuse qui lui fait abandonner aux impies les prospérités temporelles; piège funeste auquel ils seront, pris! tandis quil attire à lui les justes en les châtiant dès ici-bas. 1. Ce psaume a pour titre: « Pour la fin, psaume de David, pour les secrets du Fils (Ps. IX, 1 )». On peut se demander quels sont ces mystères du Fils: mais comme ce Fils nest point précisé, nous devons comprendre que cest le Fils unique de Dieu. En effet, le psaume qui porte en inscription : Pour le fils de David, ajoute: « Quand il fuyait devant son fils Absalon (Id. III, 1) ». Nominer celui-ci, cétait ne laisser aucun doute sur le fils dont il était question; et toutefois il nest pas dit seulement : « Devant la face du fils Absalon », mais bien: « De son fils ». Or, ici comme il nest pas dit: «Son fils », et comme dailleurs beaucoup de passages regardent les Gentils, le psaume ne peut sentendre dAbsalon ; et dailleurs la guerre que ce fils de perdition fit à son père, na aucun rapport avec les Gentils, puisque le peuple seul dIsraël se divisa contre lui-même (II Rois, XV. ). Ce psaume est donc le chant des mystères du Fils unique de Dieu. Car le Sauveur se veut désigner lui-même, quand il dit simplement: Le Fils, sans rien ajouter; ainsi dans ce passage: « Si le Fils vous délivre, vous aurez la vraie liberté (Jean, VIII, 36 ) », il ne dit pas: «Le Fils de Dieu », mais simplement : Le Fils, laissant à juger de qui il est fils. Cette expression ne convient quà ce Fils par excellence, que lon peut reconnaître dans notre langage, quand même il ne serait pas désigné plus spécialement. Cest ainsi que nous disons : Il pleut, il lait beau, il tonne, -et autres manières de parler, sans préciser qui fait ces choses, parce que lauteur par excellence soffre de lui-même à notre esprit, sans être plus désigné. Quels sont donc les mystères du Fils? Dabord cette expression nous fait comprendre que le Fils a des actes connus, dont on distingue ceux que lon appelle secrets ou mystérieux. Or, comme nous croyons à deux avènements du Sauveur, lun accompli et que les Juifs nont pas compris; lautre à venir, que nous attendons tous; comme le premier, ignoré des Juifs, a été avantageux aux Gentils, on peut fort bien entendre par les mystères ou les secrets du Fils, ce premier avènement, où laveuglement a frappé une pat-tic dIsraël, jusquà ce que la plénitude des nations entrât dans lEglise (Rom. XI, 25 ). Pour lhomme attentif, lEcriture insinue aussi deux jugements, lun occulte, et lautre évident. Le jugement occulte se fait actuellement, selon cette parole de saint Pierre: « Voici le temps où Dieu va commencer le jugement par la maison du (161) Seigneur (I Pierre, IV, 17 ) ». Ce jugement occulte est don la peine qui stimule chaque homme à se purifier, ou lavertit de retourner à Dieu, ou le frappe dun aveuglement qui le perdra. sil méprise la voix et les corrections du Seigneur. On appelle manifeste, ce jugement dans lequel Jésus-Christ viendra juger les vivants et les morts, où tous confesseront que cest de lui que viendront et aux bons la récompense, et aux méchants le supplice. Mais cette confession faite alors, loin de remédier au malheur, portera la damnation à son comble. Il est probable que le Seigneur parlait de ce double jugement, dont lun est occulte et lautre manifeste, quand il disait: « Celui qui croit en moi, a passé de la mort à la vie, et ne tombera point au jugement (Jean, V, 24 ) » ; cest-à-dire au jugement visible. Car, passer de la mort à la vie, par une de ces afflictions, dont le Seigneur châtie ceux quil reçoit parmi ses enfants, cest là le jugement occulte. « Celui qui ne croit point », disait-il encore, « est déjà jugé (Id. III, 18 ) », cest-à-dire, que le jugement occulte de Dieu le prépare au jugement manifeste. Le Sage nous parle aussi de ces deux sortes de jugements, quand il dit: « Votre jugement les a livrés à la dérision comme de jeunes insensés; et ceux que ce jugement na pas corrigés ont éprouvé le sévère jugement de Dieu (Sag. XII, 25, 26 ) ». Ils sont donc réservés aux châtiments justes et sévères du jugement manifeste, ceux que ne redresse point le jugement secret du Seigneur. Ce psaume alors nous entretient des mystères du Fils, cest-à-dire et de cet avènement dans son humilité, si utile aux nations, quand il tenait les Juifs dans laveuglement, et de cette peine dont Dieu se sert dans le secret, non pour damner les pécheurs, mais soit pour exercer la foi de ceux qui se convertissent, soit pour déterminer les autres à se convertir, soit afin de préparer à la damnation par laveuglement ceux qui demeurent dans limpénitence. 2. « Je vous confesserai, Seigneur, dans toute létendue de mon cur (Ps. IX, 2 ) » Douter quelque peu de sa providence, ce nest point confesser Dieu de tout son coeur; mais comprendre, dans les mystérieux desseins de la sagesse divine, combien se dérobe à nos regards la récompense de celui qui dit: « Nous goûtons la joie dans les afflictions (Rom. V, 3 ) » ; comment toutes les peines corporelles qui nous affligent doivent aboutir à exercer ceux qui se convertissent à Dieu, ou à porter les pécheurs à se convertir, ou à préparer à la dernière et juste vengeance les pécheurs endurcis; et de la sorte, rapporter au gouvernement de la divine Providence, tous ces événements que les insensés attribuent témérairement au hasard, et nullement à laction divine; cest là confesser Dieu. « Je publierai toutes vos merveilles ». Cest publier toutes les merveilles de Dieu, que découvrir la main de Dieu, non-seulement dans ce quelle opère de visible sur le corps, mais dans son action invisible et bien supérieure sur les âmes. Car les hommes terrestres et qui jugent par les yeux, verront une plus grande merveille dans la résurrection corporelle de Lazare, que dans la résurrection spirituelle de Paul le persécuteur (Jean, XI, 44 ; Act. IX. ). Mais comme un miracle visible est pour lâme un appel à la lumière, et quun miracle invisible éclaire celle qui obéit à cet appel; cest raconter toutes les merveilles de Dieu, que croire aux miracles visibles, et de là sélever à lintelligence des miracles invisibles. 3. « Je me réjouirai en vous, et en vous je tressaillerai dallégresse (Ps. IX, 3 ) ». Ni ce monde, ni les voluptés de la chair, ni les saveurs qui flattent le palais et la langue, ni les odeurs suaves, ni lharmonie des sons passagers, ni les couleurs si variées des corps, ni les vaines louanges des hommes, ni les épousailles et une postérité périssable, ni la surabondance des biens temporels, ni létude profane de ce que renferment les espaces, ou de tout ce quamène la succession des temps, rien de tout cela, Seigneur, « nest le sujet de ma joie; mais en vous, je tressaille dallégresse », ou plutôt dans ces mystères du Fils, qui a « marqué sur notre front lempreinte de votre lumière, ô mon Dieu (Id. IV, 7 ) ». Car « vous les cacherez, dit le Prophète, dans le secret de votre face (Id. XXX, 21 )». Cest donc vous qui faites la joie et lallégresse de ceux qui racontent vos merveilles ; et il racontera vos merveilles, celui que nous annonce le Prophète, et qui viendra faire, non sa propre volonté, mais la volonté de son Père qui la envoyé (Jean, VI, 38 ). 4. Nous commençons donc à voir que cest Jésus-Christ qui parie dans ce psaume. Car le (162) verset suivant porte : « Je chanterai votre nom, ô Très-Haut, car vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière (Ps. IX, 4 ) ». Or, quand lennemi de Jésus-Christ rebroussa-t-il en arrière, sinon quand il lui fut dit : « Retire-toi en arrière, Satan (Matt. IV, 10 )?» Car alors celui qui voulait par la tentation se mettre en avant, dut reculer en arrière, puisquil échoua dans ses tentatives de séduction, et nobtint aucun avantage. Lhomme terrestre est en arrière, mais lhomme céleste, quoique venu le dernier, est néanmoins en avant. « Le premier homme est terrestre, et vient de la terre, le second est céleste, et vient du ciel (I Cor. XV, 47 ) ». Cest de la race du premier que venait celui qui a dit: « Celui qui vient après moi a été fait avant moi (Jean, I, 15 ) », et lapôtre saint Paul, oubliant ce qui est derrière lui, se porte à ce qui est en avant (Philip. III, 13 ). Lennemi donc rebroussa en arrière quand il échoua auprès de lhomme céleste quil tentait, et il se retourna vers les hommes terrestres quil pouvait dominer. Nul homme, dès lors, ne peut prendre le devant sur cet ennemi, et le fa-ire rebrousser en arrière, si ce nest celui qui a échangé limage de lhomme terrestre contre limage de lhomme céleste (I Cor. XV, 49 ). Nous pouvons encore, sans absurdité, par « mon ennemi » entendre, si nous laimons mieux, ou le pécheur en générai, ou lhomme idolâtre. Alors ces paroles : « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière», nexprimeront point un châtiment, nais un bienfait, et un bienfait tel quon ne peut rien lui comparer. Quoi de plus heureux que dabjurer son orgueil, et de renoncer à précéder le Christ, comme si nous étions en santé mais sans avoir besoin du médecin; mais de préférer suivre le Christ qui, appelant son disciple à la perfection, lui dit : « Suivez-moi (Matt. XIX, 21 )? » Il vaut mieux néanmoins appliquer au démon cette parole: « Vous avez fait rebrousser mon ennemi en arrière ». Car le démon a été forcé de reculer, même dans la persécution des justes, et il est plus avantageux pour nous de subir ses poursuites, que de le suivre, comme sil était pour nous un guide et un chef, Chantons donc le nom du Très-Haut qui a fait rebrousser lennemi en arrière, puisquil est bien mieux pour nous de fuir ses poursuites, que de le suivre quand il veut nous conduire. Car nous avons une retraite et un asile caché dans les mystères du Fils : « Et le Seigneur deviendra notre refuge (Ps. LXXXIX, 1 ). » 5. « Ils seront abattus et anéantis en votre présence (Ps. IX, 5 ) ». Qui donc tombera pour être anéanti, sinon le pécheur et limpie? « Il tombera », parce quil naura plus de force; « il sera anéanti », parce quil cessera dêtre impie ; « en votre présence », cest-à-dire, quand il vous connaîtra, comme fut anéanti celui qui a dit : « Je vis, non pas moi, mais le Christ vit en moi (Gal. II, 20 )». Mais pourquoi « limpie sera-t-il abattu et anéanti en votre présence? » Cest, répond le Prophète: « Parce que vous mavez rendu justice, et que vous vous êtes déclaré pour ma cause (Ps. IX, 5 ) » ; cest-à-dire, vous avez tourné à mon avantage et ce jugement dans lequel je parus être jugé, et cette condamnation que les hommes prononcèrent contre moi, en dépit de ma justice et de mon innocence. Car tout cela servit au Fils de Dieu pour notre délivrance: ainsi le pilote appelle sien, le vent qui lui sert pour une heureuse navigation. 6. « Vous êtes monté sur votre siége, vous qui jugez avec équité (Id. 5 ) ». Tel peut être le langage du Fils à son Père, dans le même sens quil disait: « Vous nauriez aucun pouvoir sur moi sil ne vous était donné den-haut (Jean, XIX, 11 ) », regardant comme un effet de léquité de son Père et de ses propres secrets, que le juge des hommes ait été jugé pour le salut des hommes. Peut-être est-ce lhomme qui dit à Dieu : « Vous êtes monté sur votre trône, vous qui jugez dans léquité » ; désignant son âme sous le nom dun trône, et alors son corps serait la terre, appelée escabeau des pieds du Seigneur (Isa. LXVI. ) : car Dieu était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde (II Cor. V, 19 ). Peut-être est-ce lâme de lEglise, déjà parfaite, sans tache et sans ride (Eph. V, 27 ), digne des secrets du Fils, parce que le roi la introduite dans sa demeure secrète (Cant. I, 3 ), lâme de lEglise qui dit à son Epoux: « Vous êtes monté sur « votre trône, vous qui jugez avec justice » , parce que vous êtes ressuscité dentre les morts, pour vous élever au ciel et vous asseoir à la droite du Père. On peut, sans blesser les règles de la foi, donner à ces paroles, lune ou lautre de ces trois interprétations. 7. « Vous avez châtié les nations, et le (163) méchant a péri (Ps. IX, 6 ) ». Il est mieux dappliquer ces paroles à Jésus-Christ que den faire son langage. Quel autre a châtié les nations pour en faire disparaître limpie, comme il le fit, après son-ascension? Car alors il envoya lEsprit-Saint, dont furent remplis les Apôtres qui prêchèrent avec confiance la parole de Dieu et accusèrent avec liberté les péchés des hommes. Leurs réprimandes firent disparaître limpie, qui fut justifié et devint pieux. « Vous avez effacé son nom pour le siècle, et « dans les siècles des siècles(Ibid.) », Le nom de limpie a disparu, car on ne peut appeler impie celui qui croit au vrai Dieu; son nom est donc effacé pour le siècle, cest-à-dire, pendant que sécouleront les jours du siècle. « Et dans les siècles des siècles ». Quest-ce que le siècle du siècle, sinon la durée dont le siècle nest que limage et comme lombre? Car cette révolution des temps qui se succèdent, alors que la lune croît et décroît, que le soleil revient chaque année dans sa gloire, que le printemps, que lété, que lautomne et que lhiver ne sen vont que pour revenir encore, tout cela nous donne une certaine image de léternité. Mais la durée qui subsiste dans une immuable continuité, sappelle siècle de ces siècles qui sécoulent; elle est pour eux, comme le vers que vous avez dans lesprit à légard de celui que vous prononcez de la voix. Le premier se comprend, le second sentend, a sa mesure dans le premier, qui est loeuvre de lart et qui demeure, tandis que le second passe dans lair avec le son de la voix. Cest ainsi que le siècle qui passe trouve son modèle dans le siècle immuable, que lon appelle siècle des siècles. Celui-ci demeure chez le divin ouvrier, il est en permanence dans la sagesse et dans la puissance de Dieu : tandis que celui-là en mesure laction dans chaque créature. Peut-être encore nest-ce quune répétition, et quaprès avoir dit: « Dans le siècle», pour quon ne lentendît point du siècle qui sécoule, le Prophète aura ajouté : « Et dans le siècle du siècle ». Car il y a dans la version grecque : eis ton aiona, kai eis ton aiona tou aionos . Ce que plusieurs versions latines ont exprimé, non point en disant: « Dans le siècle, et dans le siècle du siècle»; mais bien: « Dans léternité et dans le siècle des siècles». Le nom de limpie est donc détruit pour léternité, cest-à-dire, que jamais à lavenir il ny aura plus dimpies; et si leur nom ne peut subsister dans ce siècle, il ne tiendra point dans le siècle des siècles. 8. « Les framées de lennemi ont fait défaut jusquà la fin (Ps. IX, 7 ). ». Ici, lennemi est au singulier, et non au pluriel. Or, cet ennemi, dont les armes ont fait défaut, quel est-il, sinon le démon, dont les armes sont les mille formes de lerreur, quil emploie comme des glaives pour tuer les âmes? Mais à lencontre de ces glaives, et pour les anéantir, il y a le glaive du Seigneur, dont il est dit au psaume septième : « il brandira son glaive, si vous ne retournez à lui ». Cest lui peut-être qui est le terme où doit échouer la force des glaives ennemis, qui doivent prévaloir jusquà lui. Aujourdhui, il travaille en secret, mais au dernier jugement, il resplendira de tout son éclat. Cest lui encore qui détruit les cités; car, après avoir dit que la puissance doit être en défaut, le Prophète ajoute: « Et vous avez détruit leurs cités». Une âme devient la ville de Satan, quand les conseils artificieux et mensongers lui établissent en quelque sorte une cour, qui se fait obéir par ses membres chacun dans son usage, comme par autant de satellites et de ministres ; les yeux servent la curiosité, les oreilles ses instincts licencieux, et elles recueillent tout propos qui porte à la débauche, les mains exercent la rapine et toute violence criminelle, et les autres membres soumis à une semblable tyrannie, travaillent dans ces desseins pervers. La populace de cette ville consisterait dans ces appétits sensuels et ces mouvements tumultueux de lâme, qui soulèvent journellement dans lhomme des conflits séditieux. Il y a donc une cité partout où vous trouverez un roi, une cour, des ministres et un peuple. Et dans les villes déréglées nous ne verrions point tant de maux,- sils nexistaient dabord dans chacun des citoyens, qui sont pour les cités des germes et des éléments. Ces cités donc, Jésus-Christ les détruit quand il en chasse le prince, ainsi quil est dit : « Le prince de ce siècle a été chassé dehors (Jean, XII, 31 ) » : la parole de la vérité porte le ravage dans ces royaumes, y étouffe les pernicieux desseins, y réprime les affections honteuses, y réduit en servitude laction des membres et des sens, qui doivent servir à loeuvre de la justice et du bien; et ainsi saccomplit cette parole de lApôtre : (164) « Que le péché ne règne plus dans notre corps mortel (Rom. VI, 12 ) », et le reste du passage. Alors lâme apaisée se trouve en état dacquérir le repos et le bonheur éternel. « Leur mémoire a péri avec fracas (Ps. IX, 7 )»,cest-à-dire, la mémoire des impies. « Avec fracas », limpiété ne se détruit pas sans bruit. Car nul homme narrive au calme du silence, à la paix profonde, sil na dabord fait à ses vices une guerre bruyante. Ou bien, « avec fracas», signifierait que la mémoire de limpie périt avec ce fracas que fait ordinairement limpiété. 9. « Tandis que le Seigneur demeure éternellement (Id. IX, 8 ). A quoi bon dès lors ces frémissements des nations et ces vaines machinations des peuples contre le Seigneur et contre son Christ (Id. II, 1, 2 ) », puisque le Seigneur demeure éternellement? « Il a préparé son «trône pour le jugement, et il jugera lunivers dans léquité Id. IX, 9 ) ». Cest quand il a été jugé quil a préparé son trône. La patience quil a montrée nous méritait le ciel, et ce Dieu caché dans lhomme, stimulait notre foi. Cest là le jugement occulte du Fils. Mais parce quil doit venir dune manière visible et dans sa gloire pour juger les vivants et les morts, il sest préparé un trône par un jugement caché. « Et il jugera ouvertement le monde « selon la justice », cest-à-dire quil rendra à chacun selon son mérite , en plaçant les agneaux à sa droite et les boucs à sa gauche (Matt. XXV, 33 ). « Il jugera les peuples dans la justice », cest la répétition de ce qui vient dêtre dit, « quil jugera lunivers dans léquité ». Dieu donc ne jugera point à la manière des hommes qui ne voient point le coeur, et qui en viennent plus souvent à renvoyer les coupables quà les condamner ; mais il jugera dans léquité, selon la justice, selon le témoignage de la conscience, et selon que leurs pensées les accuseront ou les défendront (Rom. II, 15 ). 10. « Et le Seigneur est devenu le refuge du pauvre (Ps. IX, 10 ) ». Quelles que soient les poursuites de cet ennemi qui a dû rebrousser eu arrière, comment nuirait-il à ceux qui trouvent un asile dans le Seigneur? Il sera leur refuge, si dans ce monde, dont Satan est le prince, ils choisissent la pauvreté, ne sattachant à rien de ce qui échappe à notre avidité pendant cette vie, ou que nous abandonnons à la mort. Cest à ces pauvres que le Seigneur sert de refuge. « Il est leur appui dans les jours de bonheur, dans la tribulation (Ps. IX, 10 ) ». Cest lui qui fait le pauvre, puisquil chante celui quil reçoit au nombre de ses enfants (Héb. XII, 6 ). Car le Prophète nous explique « lappui dans les jours de bonheur », quand il ajoute: « Dans la tribulation ». Lâme, en effet, ne se tourne vers Dieu, quen répudiant le monde, alors que la fatigue et la douleur viennent se mêler à ses plaisirs si frivoles, si dangereux et si funestes. 11. « Quils espèrent en vous ceux qui connaissent votre nom (Ps. IX, 11 ) », en cessant de mettre leur espoir dans les richesses, et dans les autres charmes de ce monde. Lâme qui se détache du monde, et qui cherche en qui mettre son espérance, se réfugie avec bonheur dans la connaissance du nom même de Dieu. A la vérité, ce nom se trouve aujourdhui dans toutes les bouches; mais le connaître, cest connaître aussi Celui dont il est le nom. Car un nom nest pas tel par lui-même, il na de valeur que dans sa signification. Or, il est dit : « Le Seigneur est son nom (Jér. XXXIII, 2 ) ». Connaître son nom, cest donc se mettre avec plaisir à son service. « Et quils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom ». Le Seigneur dit encore à Moïse « Je suis celui qui suis (Exod. III, 14 ), et tu diras aux enfants dIsraël : Celui qui est, ma envoyé. Que ceux-là donc, Seigneur, espèrent en vous qui connaissent votre nom », de peur quils ne mettent leur espoir dans les biens qui passent avec la rapidité du temps, qui nont rien que le futur et le passé. A peine ce quils ont de futur est-il arrivé, quil est déjà passé. On latteint avec empressement, on le perd avec douleur. Mais dans la nature divine, il ny a rien de futur qui ne soit point encore, rien de passé qui ne soit plus; être, cest là tout ce quelle est, cest léternité. Quils cessent donc de mettre leur espoir et leur amour dans les biens du temps, quils élèvent leur espérance jusquà léternité, ceux qui connaissent le nom de celui qui a dit : « Je suis celui qui suis », et dont il est écrit : « Celui qui est, ma envoyé. Parce que vous nabandonnerez pas, Seigneur, ceux qui vous cherchent ». Le chercher, cest ne plus chercher des biens passagers et périssables, puisque « nul ne peut servir deux maîtres (Matt. VI, 21 ) ». (165) 12. « Chantez au Seigneur qui habite en Sion (Ps. IX, 12 ) », est-il dit à ceux qui cherchent le Seigneur, et quil nabandonne pas. Il habite Sion, qui signifie contemplation, et nous offre limage de lEglise actuelle, comme Jérusalem figure lEglise à venir ou la cité des saints qui jouissent déjà de la vie des anges, puisque Jérusalem signifie vision de la paix. Or, la contemplation précède la vision, comme lEglise dici-bas précède la cité immortelle et éternelle qui nous est promise; mais elle ne la précède que dans lordre du temps sans la surpasser en dignité, car la fin où nous tendons est plus honorable que leffort que nous faisons pour y arriver; or, notre effort actuel, cest la contemplation, par laquelle nous arriverons à la vision. Mais si dès aujourdhui le Seigneur nhabitait dans lEglise. de la terre, la plus attentive contemplation pourrait aboutir à lerreur. Aussi est-il dit : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (I Cor. III, 17 ) »; et : « Le Christ habite dans lhomme intérieur et dans vos coeurs par la foi (Eph. III, 16, 17 )». Il nous est donc ordonné de chanter au Seigneur qui habite en Sion, afin que nous chantions de concert les louanges du Dieu qui habite en son Eglise. « Annoncez parmi les peuples ses merveilles (Ps. IX, 12 ) ». Cest ce qui a été fait, et se fera toujours. 13. « Le Seigneur sest souvenu deux, en recherchant leur sang répandu (Id. 13 )». Comme si les Apôtres, envoyés porter lEvangile aux peuples, répondaient à cette injonction: « Publiez ses merveilles parmi les peuples », et disaient : « Seigneur, qui pourra croire à notre parole (Isa. LIII, 1 )? » et: « Chaque jour, votre amour nous fait égorger ? ». Le Prophète a raison dajouter que pour les chrétiens persécutés, le fruit de la mort sera la grande acquisition de léternité : « Parce que le Seigneur se souvient deux et venge leur sang ». Mais pourquoi le Prophète a-t-il choisi de préférence cette expression : « Leur sang ? » Répondrait-il à cette question que pourrait lui faire un homme ignorant et faible dans la foi: « Comment prêcheront-ils chez ces infidèles qui doivent les égorger (Ps. XLIII, 22 )? » et dirait-il : « Le Seigneur se souviendra deux, et vengera leur sang », cest-à-dire, viendra le dernier jugement pour mettre à découvert la gloire des victimes et le châtiment des bourreaux? Car nul nentendra cette expression: « Dieu sest souvenu deux », comme sil avait pu les oublier; mais parce que le dernier jugement ne doit arriver quaprès un long espace de temps, le Prophète saccommode au langage des hommes faibles, qui simaginent que Dieu oublie, parce quil agit avec plus de lenteur queux-mêmes ne voudraient. Cest pour eux encore quil est dit plus bas : « Il na point oublié le cri des pauvres (Ps. IX, 13 ) » cest-à-dire, il na point oublié, comme vous le pensez; et comme si, après avoir entendu ce mot : « Il sest souvenu », ils disaient: « Il avait donc oublié»: «Non», dit le Prophète, «il noublie point le cri du pauvre». 14. Mais quel est, dirai-je, ce cri du pauvre que le Seigneur noublie point? Est-ce le cri exprimé dans les paroles suivantes: « Prenez-moi, Seigneur, en pitié , voyez à quelle humiliation me réduisent mes ennemis (Id. 14 )?» Pourquoi donc ne disait-il pas au pluriel: « Prenez-nous en pitié, Seigneur, et voyez à quelle humiliation nous réduisent nos ennemis ? » comme si tant de pauvres criaient ensemble; et dit-il: « Prenez-moi en pitié, Seigneur », comme sil ny avait quun seul pauvre? Est-ce que celui-là seul parle au nom des saints qui, étant riche, sest fait pauvre pour nous (II Cor. VIII, 9 ) ? Lui aussi dirait alors: « Cest vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je publie vos louanges aux portes de la ville de Sion (Ps. IX, 15 ) ». Car cest Jésus-Christ qui relève lhomme, non-seulement cet homme dont il sest revêtu, et qui est le chef de lEglise ; mais chacun de nous, qui sommes les membres de son corps, et il nous élève au-dessus des convoitises dépravées qui sont les portes du trépas, puisque cest par là que nous allons à la mort. Et la mort est déjà dans ces joies que procurent les jouissances, quand nous acquérons ce quil était criminel de désirer : « Car la convoitise est la racine de tous les maux (Tim. VI, 10 ) ». Aussi peut-on lappeler porte de la mort, car une veuve qui vit dans les délices est déjà morte (Id. V, 6 ). Or, cest par la convoitise que nous entrons dans les délices, comme par les portes de la mort. Mais les portes de Sion sont les saints désirs qui aboutissent à la vision de la paix dans la sainte Eglise. Cest donc dans ces portes quil nous faut publier toutes les louanges du Seigneur, afin (166) que lon ne donne pas aux chiens ce qui est saint, ni les perles aux pourceaux (Matt. VII, 6 ), Les premiers préfèrent aboyer toujours, plutôt que de rechercher avec soin; les autres ne veulent ni aboyer ni chercher, mais se vautrer dans la fange de leurs voluptés. Mais quand on loue le Seigneur avec de saintes affections, alors il accorde à ceux qui demandent, il se manifeste à ceux qui le cherchent, il ouvre à ceux qui frappent. Ces portes de la mort sentendraient-elles des sens du corps, des yeux qui souvrirent en Adam, quand il eut goûté du fruit défendu (Gen. III, 7 ), et au-dessus desquels sélèvent ceux qui ne recherchent point les biens visibles, mais les invisibles? « Ce qui est visible, en effet, nest que temporel, tandis que les biens invisibles sont éternels (II Cor. IV, 18 ) » ; et alors les portes de Sion ne seraient-elles pas les sacrements et les principes de la foi que Dieu veut bien ouvrir à ceux qui frappent, afin quils parviennent à connaître les secrets du Fils? « Car ni loeil na vu, ni loreille na entendu, ni le coeur de lhomme na compris, ce que Dieu a préparé à ceux qui laiment (Id. II, 9 ) » ici finirait alors ce cri des pauvres, qui nest point en oubli pour le Seigneur. 15. Voyons la suite. « Je serai dans la joie, à la vue du Sauveur qui vient de vous (Ps. IX, 16 ) » ; cest-à-dire, je trouverai mon bonheur dans le Sauveur que vous mavez donné , qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ, la force et la sagesse de Dieu (I Cor. I, 24 ). Tel est donc le langage de lEglise, affligée ici-bas et sauvée par lespérance: tant que le jugement du Fils est caché, elle sécrie avec espoir : « Je tressaillerai dans s le Sauveur que vous mavez donné »; parce que sur la terre, elle est sous le poids des violences ou des erreurs de lidolâtrie. « Les nations sont tombées dans la fosse quelles avaient creusée (Ps. IX, 16 ) ». Voyons ici comment le pécheur a toujours trouvé son châtiment dans ses propres oeuvres, et comment ceux qui ont voulu faire violence à lEglise sont demeurés dans la dégradation quils voulaient lui faire subir. Ils voulaient tuer des corps, et eux-mêmes tuaient leurs âmes. « Leur pied sest engagé dans le piège queux-mêmes avaient «caché (Ibid. ) ». Ce piége caché, cest la pensée fourbe, et par le pied de lâme, on peut comprendre lamour, qui sappelle convoitise et débauche quand il est dépravé, affection et charité quand il est droit. Cest lamour qui pousse lâme vers le lieu où elle veut arriver; et ce lieu nest point un espace occupé par une forme corporelle, mais le plaisir où elle se réjouit que lamour lait fait aboutir. Or, la convoitise aboutit au plaisir dangereux, la charité aux chastes délices. De là vient que la convoitise est appelée une racine (Tim. VI, 10 ). La charité aussi est appelée racine, quand il sagit de ces divines semences qui tombent dans les lieux pierreux, où elles doivent se dessécher sous les feux du soleil, parce quelles nont pas une racine profonde (Matt. XIII, 5 ) ; ainsi sont stigmatisés ceux qui reçoivent avec joie la parole de la vérité, mais qui cèdent facilement aux persécutions, parce que la charité seule peut résister. LApôtre dit encore : « Afin que nous ayons la charité pour base et pour racine, et que par là nous puissions résister (Eph. III, 17 ) ». Donc le pied des pécheurs, ou lamour, sengage dans le piége quils avaient caché, parce quen goûtant le plaisir dun acte trompeur, livrés quils sont par le Seigneur aux désirs dun coeur déréglé (Rom. I, 24 ), ils se laissent enlacer par ce plaisir, de manière à noser plus en dégager leur affection pour la porter à des objets sérieux. Au premier effort quils tenteront, ils gémiront dans leur âme, comme le forçat qui veut dégager des fers son pied captif; et, succombant à la douleur, ils ne voudront plus se sevrer de ces plaisirs homicides. Ainsi donc, « dans ce piège quils avaient caché », ou dans leurs desseins artificieux, «leur pied demeure « engagé », cest-à-dire, leur amour est arrivé par la fraude à cette joie futile qui enfante la douleur. 16. « On reconnaît le Seigneur à léquité de ses jugements (Ps. IX, 17) ». Tels sont en effet les jugements de Dieu, quil ne sort point du calme de sa félicité, ni des secrets de sa sagesse qui servent dasile aux âmes bienheureuses, pour lancer contre les pécheurs le fer, la flamme, ou les bêtes féroces, et les livrer aux tourments. Comment donc sont-ils tourmentés, et comment le Seigneur exerce-t-il ses jugements? « Cest dans loeuvre de ses mains », dit le Prophète, « que le pécheur sest enlacé». 17. Il y a ici : « Cantique de Diapsalma (Graec. LXX, ode diapsalmatos ) ». Autant que je puis en juger, cest lindice dune joie secrète, causée par la séparation (167) actuelle, non de lieu, mais daffection, entre les pécheurs et les justes, commise dans laire on sépare déjà le bon grain de la paille. Le Prophète continue : « Que les pécheurs soient précipités dans lenfer (Ps. IX, 18 )». Quils soient livrés en leurs propres mains alors que Dieu les épargne, et enlacés dans leurs joies mortelles. « Ainsi que toutes les nations qui oublient le Seigneur (Ps. IX, 18 )», car elles ont refusé de connaître le Seigneur, et il les a livrées au sens réprouvé (Rom. I, 28 ). 18. « Car le pauvre ne sera pas éternellement en oubli (Ps. IX, 19 ) » : lui qui paraît oublié maintenant, quand le bonheur de cette vie semble sépanouir pour les pécheurs, et que la tristesse est pour le juste; mais, dit le Prophète, « la patience des affligés ne périra pas éternellement ». Cette patience leur est nécessaire maintenant pour supporter les impies, dont ils sont séparés déjà par laffection, jusquà ce quils le soient tout à fait au dernier jugement. 19. « Levez-vous, Seigneur, et que lhomme ne saffermisse point (Ps. IX, 20 )». Le Prophète appelle de ses soupirs le jugement dernier; mais avant quil arrive : « Que les nations, dit-il, soient jugées en votre présence », cest-à-dire dans le secret et sous loeil de Dieu, puisquil ny a pour le comprendre que le petit nombre des saints et des justes. « Seigneur, faites peser sur eux le joug dun législateur (Id. 21 ) » ; qui serait, si je ne me trompe, lAntéchrist, dont lApôtre a dit « que lhomme de péché se révélera (I Thess. II, 3 ). Que les peuples sachent bien quils ne sont que des hommes» », et puisquils refusent dêtre délivrés par le Fils de Dieu, dappartenir au Fils de lhomme, dêtre enfants des hommes, ou des hommes nouveaux, quils soient assujettis à lhomme, cest-à-dire au vieil homme du péché, puisquils sont eux-mêmes des hommes. CONTINUATION DU PSAUME IX,INSCRITE DANS LHÉBREU SOUS LE NUMÉRO X. 20. Comme lAntéchrist ou lhomme de péché sélèvera, croit-on, jusquà un tel degré de vaine gloire, déploiera un tel pouvoir sua tous les hommes et sur les élus de Dieu, que plusieurs auront la faiblesse de croire que Dieu ne sintéresse plus aux hommes; le Prophète, après un Diapsalma, exprime en quelque sorte les gémissements et les plaintes que soulève le retard du jugement. « Pourquoi dit-il, pourquoi, Seigneur, tant vous éloigner (Ps. IX, 1 ) ? » Et aussitôt linterrogateur, comme sil avait une illumination soudaine, ou comme sil neût demandé ce quil savait bien que pour nous lapprendre, ajoute: « Vous vous dérobez dans le temps propice, dans la tribulation »; cest-à-dire, vous vous dérobes à propos, et vous suscitez la tribulation pour attiser dans les coeurs le désir de votre avènement; plus est longue la soif qui les dévore, et plus agréable sera la source de vie. Aussi le Prophète a-t-il pénétré la cause de ces retardements, quand il dit: « Lorgueil du méchant est un stimulant pour le pauvre ». Cest chose incroyable et vraie néanmoins, que la vue des pécheurs embrase les petits dune vive ardeur, de sainte espérance qui les porte à une vie meilleure. La même raison mystérieuse a fait permettre à Dieu quil y eût des hérésies. Tel nest pas sans doute le dessein des hérétiques, mais la sagesse de Dieu sait tirer avantage de leur perversité, elle qui crée et qui règle la lumière, qui règle seulement les ténèbres (Gen. I, 3, 4 ), afin quen les comparant à la lumière, on trouve celle-ci plus gracieuse, (168) comme en face de lhérésie on se trouve plus heureux de rencontrer la vérité. Cette comparaison fait découvrir dans le monde les hommes dune vertu éprouvée, que Dieu seul connaissait. 21. «Ils se prennent dans les pensées quils enfantent»; cest-à-dire que leurs pensées perverses deviennent des liens qui les enchaînent. Mais pourquoi des liens? « Parce que le pécheur est loué dans les desseins de son âme (Ps. IX, 3 )». Les paroles de la flatterie garrottent lâme dans ses péchés; car on se plaît à faire ce qui, non seulement ne laisse à craindre aucun blâme, mais attire les applaudissements. « Et parce que lon applaudit à celui qui fait le mal; les coupables sont enlacés dans les pensées quils enfantent ». 22. «Limpie a irrité le Seigneur ». Ne félicitons point lhomme qui prospère en cette vie, dont les fautes demeurent sans vengeance, et rencontrent lapplaudissement. Cest là le plus grand effet de la colère divine. Il faut quun pécheur ait bien irrité Dieu, pour être ainsi traité, pour ne point ressentir le châtiment qui corrige. « Il a donc irrité le Seigneur, qui, dans sa grande colère, ne le recherchera point (Id. 4 )». La colère de Dieu est à son comble quand il ne recherche plus nos péchés , quil paraît les oublier, ny faire aucune attention, et quil permet que limpie arrive à la richesse et aux honneurs, par la fraude et les forfaits cest ce que nous verrons surtout dans lantéchrist, que les hommes croiront heureux jusquà le prendre pour un Dieu. Mais la suite du psaume va nous montrer combien cette colère de Dieu est redoutable. 23. « Dieu nest point en sa présence ses voies sont toujours souillées (Id. 5 )». Celui qui a goûté les vrais plaisirs et les joies de lâme, comprend combien il est malheureux dêtre privé de la lumière de la vérité. Si la privation des yeux du corps, qui nous dérobe cette lumière du jour, est regardée comme une grande calamité parmi les hommes, quel ne sera point le malheur dun homme qui prospère dans ses péchés, jusquà navoir plus Dieu en sa présence, et ne marche que dans des voies souillées, cest-à-dire que ses pensées et ses desseins sont criminels? « Vos jugements ne sont plus rien à ses yeux ». Lâme qui a conscience de sa culpabilité, et qui ne se voit point châtiée, simagine que Dieu ne la juge point; et ainsi les jugements du Seigneur ne sont plus devant ses yeux, ce qui est pour elle une terrible damnation. « Il se rendra maître de ses ennemis (Ps. IX, 5 ) ». Car on croit quil vaincra tous les rois, et régnera seul sur la terre; et même saint Paul qui nous lannonce, va jusquà dire: « Il sassoira dans le temple de Dieu, et sélèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, et adoré (II Thess. II, 4 ) ». 24. Et comme il est livré aux convoitises de son coeur, et destiné aux dernières vengeances, voilà que par de criminels artifices il va sélever au comble de cette gloire vaine et futile, et à la domination. De là vient que le Prophète ajoute: « Il a dit dans son coeur: A moins de faire le mal, je ne passerai point de race en race (Ps. IX, 6 ) », cest-à-dire, mon nom et ma gloire ne sen iront pas dâge en âge à la postérité, si la ruse du mal ne me fait acquérir une telle domination que les siècles futurs ne puissent en garder le silence. Car lesprit pervers qui ne connaît pas le bien, qui est étranger aux lumières de la justice, cherche par des actions criminelles à se frayer le chemin dune renommée si éclatante, quelle retentisse dans les siècles. Et ceux qui ne peuvent se signaler par le bien, veulent au moins se rendre fameux par le crime, et répandre au loin leur renommée. Tel est, je crois, le sens de ces paroles : « Ce nest que par le mal que je passerai de génération en génération ». On peut encore appliquer ces paroles à lhomme dont lesprit vain et plein derreur ne croit pouvoir passer de cette vie mortelle à la vie éternelle que par la voie du crime Cest ce qui est rapporté de Simon (Act. VIII, 9, 23 ), qui croyait pouvoir sélever au ciel par les coupables artifices de la magie, et passer de la nature humaine à la nature divine. Faut-il sétonner maintenant que cet homme de péché, qui doit personnifier en lui-même toute la malice et toute limpiété, dont tous les faux prophètes nont donné que lébauche, qui aura le don des miracles au point de séduire les justes, sil était possible, aille jusquà dire en son cur : « Je ne puis que par le mal être fameux dâge en âge? » 25. « Sa bouche est pleine de blasphèmes, damertume et de fourberie (Ps. IX, 7 ) » Cest en effet (169) un horrible blasphème, que daspirer au ciel par daussi coupables artifices, et de prétendre à la vie éternelle, avec de semblables mérites. Aussi nest-ce que sa bouche qui est pleine de ce blasphème; car sa prétention ne peut aboutir, et ne demeurera dans sa bouche que pour sa perdition, de lui qui osait bien se promettre le ciel au moyen de cette amertume et de cette fourberie, cest-à-dire au moyen de cette exaltation, et de ces embûches qui lui gagnaient la foule. « Sous sa langue est le travail et la douleur ». Nul travail nest plus pénible que linjustice et limpiété; et ce travail engendre la douleur, parce quil est non-seulement sans profit, mais encore nuisible. Travail et douleur qui caractérisent ce langage: « Ce nest que par le mal que je puis passer dâge en âge ». Aussi est-il dit que cela est « sous sa langue», et non dans sa langue, parce quil renfermera ces pensées dans lintérieur de son âme, et tiendra aux hommes un tout autre langage, afin quon le regarde comme le champion du bien et de la justice, et même comme le Fils de Dieu. 26. « Il se met en embuscade avec les riches (Ps. IX, 8 ) ». Quels riches, sinon ceux quil comblera des biens de ce monde? Il se mettra donc, est-il dit, en embuscade avec eux, parce quil fera ostentation de leur faux bonheur pour tromper les hommes ; et ceux-ci, pris du désir, fatal dacquérir de semblables richesses, négligent les biens éternels et tombent ainsi dans ses piéges. « Il veut tuer linnocent dans lobscurité (Id. 9 ) ». Par « obscurité » il entend, je crois, létat de lâme qui discerne à peine ce quil faut désirer, de ce quil faut fuir; et tuer linnocent, cest amener au péché celui qui était sans tache. 27. « Ses yeux sont en arrêt sur le pauvre ». Car il sattache principalement à poursuivre les justes, dont il est dit : « Bienheureux ceux qui sont pauvres de gré, car le royaume des cieux leur appartient (Matt. V, 3 ). Il les « épie en secret, comme le lion en sa bauge ». Il appelle lion dans sa bauge, celui qui emploie la violence et lartifice. La première persécution de lEglise fut violente, car alors on contraignait les chrétiens à sacrifier, par la proscription, les tourments et la mort lautre persécution soulevée par les hérétiques et les faux frères, et qui dure encore, est caractérisée par lartifice; la troisième et la plus dangereuse sera celle de lantéchrist, qui sera caractérisée par lartifice et par la violence. Il aura la force par lempire, et lartifice de la séduction par les prodiges. La violence est précisée par cette expression, « dans sa bauge ». Les paroles suivantes nous expriment le même sens, mais dans lordre inverse: « Il tend des embûches pour enlever le pauvre ». Voilà bien la ruse; et « pour le ravir après lavoir attiré », marque la violence; car « lattirer » nous montre quà force de le tourmenter, il parvient à sassujettir lhomme pauvre. 28. La suite répète encore ce qui vient dêtre dit : « Il lhumiliera dans un piég », cest la ruse. « Il sinclinera et tombera, quand il aura les pauvres sous sa domination (Ps. IX, 10 ) », cest la violence. Le piège désigne bien les fourberies, et la domination indique évidemment la terreur. « Il humiliera donc le pauvre dans son piége », dit avec raison le Prophète; car plus paraîtront merveilleux les signes quil entreprendra dopérer, et plus les saints dalors seront méprisés, et tomberont dans lopprobre; et comme ils doivent lui résister dans leur innocence et leur justice, il passera pour les avoir vaincus par léclat de ses prodiges. Mais à son tour « il sinclinera et tombera, après les avoir dominés», cest-à-dire, quand il aura tourmenté par toutes sortes de supplices les serviteurs de Dieu qui lui résisteront. 29. Mais pourquoi sera-t-il abaissé jusquà tomber? Cest qu « il a dit dans son cur : Dieu a tout oublié, il a détourné sa face pour ne rien voir à jamais (Id. 11 )». Cest pour lesprit humain un abaissement et une chute effroyable, de trouver sa félicité dans le crime, et de croire à son pardon, quand il est frappé daveuglement, et réservé pour cette dernière et exemplaire vengeance marquée par le Prophète qui sécrie : « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main (Id. 12 ) »: cest-à-dire, manifestez votre puissance. Il avait dit plus haut : « Levez-vous, Seigneur, et que lhomme ne saffermisse point, que les peuples soient jugés en votre présence (Psal. Prim. IX, 20 ) », cest-à-dire, dans ce secret que Dieu seul peut pénétrer. Cest ce qui est arrivé quand limpie est parvenu à ce que les hommes regardent comme un grand bonheur, et que Dieu les a soumis à un législateur, tel quils le (170) méritaient, et dont il est dit : « Etablissez sur eux un législateur, et que ces peuples sachent bien quils sont des hommes (Psal. Secun. IX, 14 ) ». Et après ce châtiment juste et secret, il est dit: « Levez-vous, Seigneur, ô mon Dieu, étendez votre main », non plus dans le secret, mais dans la splendeur de votre gloire. «Noubliez point à jamais les opprimés», comme limagine limpie qui dit: « Le Seigneur a tout oublié; il a détourné sa tête pour ne rien voir à jamais (Psal. Secun. IX, 11 ). » Car cest bien nier que Dieu voie à jamais, ou jusquà la fin, que dire quil ne prend aucun soin des actions des hommes sur la terre. La terre est, en effet, la fin des choses, comme le dernier des éléments, où les hommes travaillent dans un ordre admirable, mais ordre qui leur échappe dans leurs travaux, car il appartient aux secrets du Fils. Donc, au milieu du labeur pénible dici-bas, lEglise, comme un navire au milieu des flots et des tempêtes, semble éveiller le Seigneur qui dort, afin quil commande aux vents déchaînés et ramène le calme. « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, lui dit-elle, étendez votre main, et noubliez point les pauvres sur la terre». 30. La connaissance du dernier jugement nous a fait dire avec joie : «Pourquoi limpie a-t-il irrité le Seigneur (Id. 13 )? » De quoi lui a servi de commettre ces forfaits? « Il disait dans son coeur : Dieu ne les recherchera point. Vous le voyez, Seigneur», poursuit le Prophète, « mais vous considérez le travail et la colère, pour les livrer entre vos mains (Id. 14 )». Prononçons bien ces paroles pour en voir le sens; une fausse prononciation nous amène lobscurité. Limpie a dit dans son coeur : «Dieu ne recherchera point les crimes », comme si le Seigneur voyant ce quil lui en coûtera de labeur et de peine pour les faire tomber entre ses mains, et dédaignant le labeur comme la colère, pardonne à ces impies, pour ne point prendre la peine de les châtier, ni se troubler par la colère. Cest ce qui arrive souvent aux hommes, qui dissimulent plutôt que de châtier, afin de sépargner la peine de la colère. 31. « Cest à vous que le pauvre abandonne sa défense (Ibid. ) » . Car il nest pauvre, ou plutôt il na méprisé tous les biens passagers de cette vie que pour mettre en vous seul son espoir. « Vous serez le protecteur de lorphelin (Psal. secun. IX, 14 ) cest-à-dire de celui pour qui le monde est mort, ce monde qui était son père, qui lavait engendré selon la chair, de celui qui peut dire : « Le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde (Gal. IX, 14 ) ». Dieu devient un père à de tels orphelins; et le Sauveur enseigne à ses disciples à le devenir, quand il dit: « Nappelez ici-bas personne votre père ( Matt. XXIII, 9 )». Lui-même en donne lexemple tout le premier, en disant : « Quelle est ma mère, ou quels sont mes frères (Id. XII, 48 ) ? » Cest de là que certains hérétiques très-dangereux ont avoué quils navaient pas de mère; ils nont point vu quen prenant ces paroles à la lettre, les disciples nauraient point eu de pères. Car sil dit lui-même : « Quelle est ma mère? » il leur donnait cet enseignement: « Nappelez ici-bas personne votre père ». 32. « Brisez le bras de limpie et du méchant (Ps. IX, 15 ), de cet homme dont il est dit plus haut, quil se rendra maître de tous ses ennemis. Son bras, cest sa puissance, à laquelle est opposée cette puissance du Christ, dont le Prophète a dit: « Levez-vous, Seigneur, mon Dieu, étendez votre main (Id. 5 ). On recherchera son péché; mais lui, ne reparaîtra plus » à cause de ce péché; cest-à-dire, on le jugera sur ses crimes, et ces crimes lauront fait disparaître. Alors quy a-t-il détonnant dans les paroles suivantes: « Le Seigneur sera roi des siècles et de léternité; nations, vous serez retranchées de la terre qui lui appartient (Id. 16 )?» Il désigne .par nations, les pécheurs et les impies. 33. « Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres (Id. 17 ) ». Ce désir dont ils étaient embrasés, quand au milieu des angoisses et des tribulations, ils soupiraient après le jour du Seigneur : « Votre oreille, ô Dieu, a entendu que leur coeur était prêt ». Cette préparation du coeur est celle que le Prophète a chantée dans un autre Psaume: « Mon cur est préparé, ô Dieu, mon coeur est préparé (Id. LVI, 8 ) » ; et dont saint Paul dit: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous lattendons par la patience (Rom. VI, 25 ) ». Par loreille de Dieu, nous ne devons rien entendre de corporel, mais cette puissance qui le porte à nous exaucer: et pour ne plus revenir à ce sujet, (171) quand lEcriture attribue à Dieu ces membres qui sont en nous visibles et corporels, nous devons entendre sa puissance daction. Car il ne faut rien voir ici de corporel, quand Dieu écoute, non plus le son de la voix, mais la préparation du coeur. 34. « Vous rendrez justice à lorphelin et au pauvre (Ps. IX, 18 )»; cest-à-dire à celui qui ne se conforme pas au monde, et qui nest point superbe. Juger lorphelin, nest pas rendre justice à lorphelin. On juge lorphelin même en le condamnant, maison lui rend justice quand on prononce en sa faveur. «Afin que lhomme ne cherche plus à sagrandir sur la terre (Ibid. ) ». Car ce sont des hommes ceux dont il est dit : « Seigneur, élevez au-dessus deux un législateur, afin que les peuples sachent bien quils sont des hommes (Ps. Prim. IX, 21 ) ». Mais celui quil est question délever en cet endroit sera un homme aussi, et cest de lui quil est dit «Afin que lhomme renonce à sagrandir sur la terre ». Ce qui arrivera quand le Fils de lhomme viendra juger cet orphelin qui sest dépouillé du vieil homme et qui a ainsi comme exalté son Père. 35. Les secrets du Fils dont il est
beaucoup parlé dans ce Psaume, seront suivis des manifestations de ce même Fils, dont il
est quelque peu fait mention à la fin. Mais le sujet indiqué par le titre, en occupe la
principale partie. On peut même ranger parmi les secrets du Fils le jour de son
avènement, quoique sa présence doive être manifestée pour tous. Car il est dit de ce
jour quil nest connu de personne, ni des Anges, ni des Vertus, ni même du
Fils de lhomme (Matt. XXIV, 36 ). Or, quel secret est plus impénétrable que
celui que lon dit être dérobé au juge même, non quil lignore, mais parce quil ne doit point le révéler?
Si toutefois quelquun veut attribuer ces secrets du Fils, non plus au Fils de Dieu,
mais au Fils de David même, dont tout le psautier porte le nom, car tous les Psaumes sont
appelés Psaumes de David, quil écoute ces paroles adressées à Notre-Seigneur: «
Fils de David, ayez pitié de nous (Matt. XX, 30 ) », et quil
reconnaisse ce même Seigneur Jésus-Christ dont les secrets ont inspiré le titre du
Psaume. Il en est de même de ces paroles de lAnge: « Dieu lui donnera le trône de
David son père (Luc, I, 32 ) ». Cette interprétation nest point
démentie par cette question du Christ aux Juifs : « Si le Christ est Fils de David,
comment David inspiré de lEsprit-Saint, lappelle-t-il son Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon
Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusquà ce que jabatte vos ennemis à
vos pieds (Matt. XXII, 11 ; Ps. CIX, 1 ) ?» Cette parole sadressait à
des hommes ineptes qui, dans le Christ dont ils attendaient larrivée, ne voyaient
quun homme, et non point la puissance et la sagesse de Dieu. Dieu donc les formait
à croire selon la vérité la plus pure, que le Christ est le Seigneur de David,
puisquil était au commencement le Verbe, Dieu en Dieu, par qui tout a été fait;
quil est aussi le fils de David, puisque selon la chair il est né de la race de
David, Le Seigneur ne dit pas que le Christ nest point fils de David; mais bien : Si
vous êtes certain quil est son fils, apprenez encore quil est son Seigneur;
ne vous arrêtez pas à voir dans le Christ sa qualité de fils de lhomme, ce qui
fait quil est fils de David, pour abandonner sa qualité de Fils de Dieu qui le rend
Seigneur de David. (172)
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