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DISCOURS SUR LE PSAUME IVLE VRAI BONHEUR. Le Prophète nous montre dans ce cantique lâme qui sélève au-dessus des biens terrestres et périssables pour trouver en Dieu le repos et le bonheur. POUR LA FIN, PSAUME CANTIQUE DE DAVID (Ps. IV, 1 ). 1. « Le Christ est la fin de la loi pour justifier tous ceux qui croiront en lui ( Rom. X, 4 ) » ; mais cette fin a le sens de perfectionnement et non de destruction. On peut se demander si tout cantique est un psaume, ou plutôt si tout psaume ne serait pas un cantique; sil y a des cantiques auxquels ne conviendrait pas le nom de psaume, et des psaumes que lon ne pourrait appeler cantiques. Mais il est bon de voir dans les Ecritures, si le titre de cantique nindiquerait pas la joie ; et le nom de psaumes indiquerait des chants exécutés sur le psaltérion, dont se servit David, au rapport de lhistoire ( I Par. XIII, 8 ), pour figurer un grand mystère, que nous napprofondirons pas ici ; cela exige de longues recherches, et une longue discussion. Ecoutons aujourdhui la parole de lHomme-Dieu, après sa résurrection, ou du disciple de lEglise qui croit et qui espère en lui. 2. « Quand je priais, le Dieu de ma justice ma exaucé (Ps. IV, 2 ) ». Ma prière, dit-il, a été exaucée par Dieu, auteur de ma justice. « Dans les tribulations, vous avez dilaté mon cur (Ibid. ), vous mavez fait passer des étreintes de la douleur aux dilatations de la joie; car la tribulation et létreinte sont le partage de lâme, chez tout homme qui fait le mal (Rom. II, 9 ) ». Mais celui qui dit: « Nous nous réjouissons dans les afflictions, sachant que laffliction produit la patience » ; jusquà ces paroles: « Parce que lamour de Dieu est répandu dans nos coeurs par lEsprit-Saint qui nous a été donné (Rom. V, 3-5 ) » : celui-là nendure point les étreintes du coeur, quoi que fassent pour les lui causer ses persécuteurs du dehors. Le verbe est à la troisième personne, quand le Prophète sécrie: « Dieu ma exaucé », et à la seconde, quand il dit: « Vous avez dilaté mon coeur »; si ce changement na point pour but la variété ou lagrément du discours, on peut sétonner quil ait voulu dabord proclamer devant les hommes quil a été exaucé, puis interpeller son bienfaiteur. Sans doute quaprès avoir dit quil a été exaucé dans la dilatation de son coeur, il a préféré sentretenir avec Dieu, afin de nous montrer par là que dans cette dilatation du coeur, Dieu lui-même se répand dans notre âme qui sentretient avec lui intérieurement. Ceci sapplique très-bien au fidèle qui croit en Jésus-Christ, et en reçoit la lumière; mais je ne vois point comment nous pourrions lentendre de Notre-Seigneur, puisque la divine sagesse unie à son humanité, ne la point abandonné un instant. Toutefois, de même que dans la prière il faisait ressortir notre faiblesse plutôt que la sienne; de même aussi, dans cette dilatation du coeur, Notre-Seigneur peut parler au nom des fidèles, dont il sattribue le rôle quand il dit: « Jai eu faim, et vous ne mavez pas nourri ; jai eu soif, et vous ne mavez point donné à boire (Matt. XXV, 35 ), et le reste. De même encore Notre-Seigneur peut dire : « Vous avez dilaté mon coeur», en parlant au nom de quelque humble fidèle, qui sentretient avec Dieu dont il ressent en son âme lamour répandu par lEsprit-Saint qui a été donné. « Ayez pitié de moi, écoutez mes supplications (Ps. IV, 2 ) ». Pourquoi cette nouvelle prière, lorsque déjà il sest dit exaucé et dilaté? Serait-ce à cause de nous dont il est dit : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous lattendons par la patience (Rom. VIII, 25 )? » ou bien demanderait-il à Dieu de perfectionner ce qui est commencé chez celui qui a cru? 3. « Enfants des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis (Ps. IV, 3 ) ?» Du moins, si vos égarements ont duré jusquà lavènement du Fils de Dieu, pourquoi prolonger au delà cette torpeur de vos âmes? Quand cesserez-vous de vous tromper, sinon en présence de la vérité? « A quoi bon vous éprendre des vanités, et rechercher le mensonge (Ibid. )? » Pourquoi demander à des choses sans prix, un bonheur que peut seule vous donner la vérité, qui donne à tout le reste la consistance ? « Car vanité des vanités, tout est vanité. Qua de plus lhomme de tout le labeur dans lequel il se consume sous le soleil (Eccl. I, 2,4)?» Pourquoi vous laisser absorber par lamour des biens périssables ? Pourquoi rechercher comme excellents des biens sans valeur? Cest là une vanité, un mensonge ; car vous prétendez donner la durée auprès de vous à ce qui doit passer comme une ombre. 4. « Et sachez que le Seigneur a glorifié son saint (Ps. IV, 4 ) ». Quel saint, sinon celui quil a ressuscité dentre les morts, et quil a fait asseoir à sa droite dans les cieux? Le Prophète excite ici les hommes à se détacher du monde pour sattacher à Dieu. Si cette liaison « et sachez »paraît étrange, il est facile de remarquer dans les Ecritures, que cette manière de parler est familière à la langue des Prophètes. Vous les voyez souvent commencer ainsi: « Et le Seigneur lui dit, et la parole du Seigneur se fit entendre à lui (Ezéch., I, 3 ) ». Cette liaison que ne précède aucune pensée, et qui ne peut y rattacher la pensée suivante, nous montrerait la transition merveilleuse entre lémission de la vérité par la bouche du Prophète, et la vision qui a lieu dans son âme. Ici néanmoins, on pourrait dire que la première pensée : « Pourquoi aimer la vanité et rechercher le mensonge ? » signifie: gardez-vous daimer la vanité, et de courir après le mensonge; après viendrait fort bien cette parole: « Et sachez que le Seigneur a glorifié son Saint ». Mais un Diapsalma, qui sépare ces deux versets, nous empêche de les rattacher lun à lautre. On peut, avec les uns, prendre ce Diapsalma, pour un mot hébreu qui signifie: Ainsi soit-il! ou avec dautres, pour un mot grec désignant un intervalle dans la psalmodie ; en sorte quon appellerait Psalma le chant qui sexécute, Diapsalma un silence dans le chant, et que Sympsalma, indiquant lunion des voix, pour exécuter une symphonie, Diapsalma en marquerait la désunion, un repos, une discontinuation. Quel que soit le sens que lon adopte, il en résulte du moins cette probabilité, quaprès un Diapsalma le sens est interrompu et ne se rattache point à ce qui précède. 5. « Le Seigneur mexaucera quand je crierai vers lui (Ps. IV, 4 ) ». Cette parole me paraît une exhortation à demander le secours de Dieu, dans toute la force de notre coeur, ou plutôt avec un gémissement intérieur et sans bruit. Comme cest un devoir de remercier Dieu du don de la lumière en cette vie, cen est un aussi, de lui demander le repos après la mort. Que nous mettions ces paroles dans la bouche du prédicateur fidèle, ou de notre Seigneur, elles signifient: « Le Seigneur vous exaucera quand vous linvoquerez ». 6. « Mettez-vous en colère, mais ne péchez point (Ps. IV, 5 ) ». On pouvait se demander : Qui est digne dêtre exaucé, ou comment ne serait-il pas inutile pour le pécheur de sadresser à Dieu? Le Prophète répond donc : « Entrez en colère, mais ne péchez point ». Réponse qui peut sentendre en deux manières ; ou bien : « Même dans votre colère, ne péchez point », cest-à-dire, quand sélèverait en vous ce mouvement de lâme que, par un châtiment du péché, nous ne pouvons dominer, que du moins il soit désavoué par cette raison, par cette âme que Dieu a régénérée intérieurement, afin que du moins nous fussions soumis à la loi de Dieu par lesprit, si par la chair nous obéissons encore à la loi du péché (Rom. VII, 25). Ou bien : Faites pénitence, entrez en colère contre vous-mêmes, à cause de vos désordres passés, et ne péchez plus à lavenir. « Ce que vous dites, dans vos curs », suppléez: « dites-le », de manière que la pensée complète soit celle-ci : Dites bien de coeur ce que vous dites, et ne soyez pas un peuple dont il est écrit: « Ce peuple mhonore des lèvres, et les coeurs sont loin de moi (Isa. XXIX, 13 ). Soyez contrits dans le secret de vos demeures (Ps. IV, 5 )». Le Prophète avait dit dans le même sens: « Dans vos curs », cest-à-dire dans ces endroits secrets où le Seigneur nous avertit de prier après en avoir fermé les portes (Matt. VI, 6 ). Ce conseil : « Soyez contrits », ou bien recommande cette douleur de la pénitence qui porte lâme à saffliger, à se châtier elle-même, pour échapper à cette sentence de Dieu qui la condamnerait aux tourments, ou bien cest un stimulant qui nous tient dans léveil, afin que nous jouissions de la lumière du Christ. Au lieu de : « Repentez-vous », dautres préfèrent: « Ouvrez-vous », à cause de cette expression du psautier grec : katanugete, qui a rapport à cette dilatation du coeur nécessaire à la diffusion de la charité par lEsprit-Saint. 7. « Offrez un sacrifice de justice, et espérez au Seigneur (Ps. IV, 6 ) ». Le Psalmiste a dit ailleurs: « Le sacrifice agréable à Dieu est un cur contrit (Id. L, 19 ) ». Alors un sacrifice de justice peut bien sentendre de celui quoffre une âme pénitente. Quoi de plus juste que de sirriter plutôt contre ses propres fautes que contre celles des autres, et de simmoler à Dieu en se châtiant? Ou bien, par sacrifice de justice faudrait-il entendre les bonnes oeuvres faites après la pénitence? Car le « Diapsalma» placé ici pourrait fort bien nous indiquer la transition de la vie passée à une vie nouvelle; en sorte que le vieil homme étant détruit ou du moins affaibli par la pénitence, lhomme devenu nouveau par la régénération, offre à Dieu un sacrifice de justice, quand lâme purifiée soffre et simmole sur lautel de la foi, pour être consumée par le feu divin ou par le Saint-Esprit. En sorte que : « Offrez un sacrifice de justice et espérez dans le Seigneur », reviendrait à dire : Vivez saintement, attendez le don de lEsprit-Saint, afin que vous soyez éclairés par cette vérité à laquelle vous avez cru. 8. Néanmoins « espérez dans le Seigneur » est encore obscur. Quespérons-nous, sinon des biens? Mais chacun veut obtenir de Dieu le bien quil préfère, et lon trouve rarement un homme pour aimer les biens invisibles, ces biens de lhomme intérieur, seuls dignes de notre attachement, puisquon ne doit user des autres que par nécessité, et non pour y mettre sa joie. Aussi le Prophète, après avoir dit : « Espérez dans le Seigneur », ajoute avec beaucoup de raison : « Beaucoup disent: Qui nous montre des biens (Ps. IV, 6 )?» discours et question que nous trouvons journellement dans la bouche des insensés et des méchants qui veulent jouir ici-bas dune paix, dune tranquillité que la malignité des hommes les empêche dy trouver. Dans leur aveuglement, ils osent accuser lordre providentiel, et se roulant dans leurs propres forfaits, ils pensent que les temps actuels sont pires que ceux dautrefois. Ou bien aux promesses que Dieu nous fait de la vie future, ils opposent le doute et le désespoir, et nous répètent sans cesse Qui sait si tout cela est vrai, ou qui est revenu dentre les morts pour nous en parler? Le Prophète expose donc admirablement et en peu de mots, mais seulement aux yeux de la foi , les biens que nous devons chercher. Quant à ceux qui demandent : « Qui nous montrera la félicité? » il répond : « La lumière de votre face est empreinte sur nous, ô Dieu (Ibid. 7) ». Cette lumière qui brille à lesprit et non aux yeux, est tout le bien réel de lhomme. Selon le Prophète, « nous en portons lempreinte », comme le denier porte limage du prince. Car lhomme à sa création reflétait limage et la ressemblance de Dieu (Gen. I, 26 ), image que défigura le péché: le bien véritable et solide pour lui est donc dêtre marqué de nouveau par la régénération. Tel est, je crois, le sens que de sages interprètes ont donné à ce que dit le Sauveur, en voyant la monnaie de César : « Rendez à César ce qui est de César, et à Dieu ce qui est de Dieu (Matt. XXII, 21 ) », comme sil eût dit : Il en est de Dieu comme de César, qui exige que son image soit empreinte sur la monnaie; si vous rendez cette monnaie au prince, rendez à Dieu votre âme marquée à la lumière de sa face. « Vous avez mis la joie dans mon coeur » . Ce nest donc point à lextérieur que doivent chercher la joie, ces hommes lents de coeur, aimant la joie et recherchant le mensonge, mais à lintérieur, où Dieu a gravé le signe de sa lumière. Car lApôtre la dit : « Le Christ habite chez lhomme (133) intérieur (Ephés. III, 17 )», auquel il appartient de voir cette vérité dont le Sauveur a dit: « La vérité, cest moi (Jean, XIV, 6 ) ». Il parlait par la bouche de saint Paul, qui disait : « Voulez-vous éprouver le pouvoir de Jésus-Christ qui parle en moi (II Cor. XIII, 3 )?» et son langage nétait point extérieur, mais dans lintimité du coeur, dans ce lieu secret où nous devons prier (Matt. VI, 6). 9. Mais les hommes, en grand nombre, épris des biens temporels, incapables de voir dans leurs coeurs les biens réels et solides, nont su que demander: « Qui nous montrera les biens? » Cest donc avec justesse quon peut leur appliquer le verset suivant « Ils se sont multipliés à la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile (Ps. IV, 8 ) ». Et sil est dit « leur froment », ce nest pas sans raison ; car il y a aussi un froment de Dieu, « qui est le pain vivant descendu du ciel (Jean, VI, 51 ) ». Il y a un vin de Dieu, puisquils « seront enivrés dans labondance de sa maison (Ps. XXXV, 9 ) ». Il y a aussi une huile de Dieu, dont il est dit « Votre huile a parfumé ma tête (Ibid. XXII, 5 ) ». Ces hommes nombreux, qui disent: « Qui nous montrera les biens? » et ne voient pas le royaume de Dieu qui est en eux-mêmes (Luc, XVII, 22 ), « se sont donc multipliés par la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile». Se multiplier, en effet, ne se dit pas toujours de labondance, mais quelquefois de la pénurie, alors quune âme enflammée pour les voluptés temporelles dun désir insatiable, devient la proie de pensées inquiètes qui la partagent, et lempêchent de comprendre le vrai bien qui est simple. Cest dune âme en cet état quil est dit : « Le corps qui se corrompt appesantit lâme, et cette habitation terrestre accable lesprit dune foule de pensées (Sag. IX, 15 ) ». Partagée par cette foule innombrable de fantômes que lui causent les biens terrestres, sapprochant delle sans relâche pour sen éloigner, ou la récolte de son froment, de son vin et de son huile, elle est loin daccomplir ce précepte : « Aimez Dieu dans sa bonté, et recherchez-le dans la simplicité de lâme (Id. I, 1 )». Cette simplicité est incompatible avec ses occupations multiples. Mais , à lencontre de ces hommes nombreux qui se jettent sur lappât des biens temporels, et qui disent: « Qui nous montrera les biens » que lon ne voit point des yeux, mais quil faut chercher dans la simplicité du coeur? lhomme fidèle dit avec transport: « Cest en paix que je mendormirai dans le Seigneur et que je prendrai mon repos (Ps. IV, 9 )». Il a droit despérer en effet que son coeur deviendra étranger aux choses périssables, quil oubliera les misères de ce monde, ce que le Prophète appelle justement un sommeil et un repos, et ce qui est la figure de cette paix que nul trouble ninterrompt. Mais un tel bien nest point de cette vie, nous devons lattendre seulement après la mort, comme nous lenseignent encore les paroles du Prophète qui sont au futur, car il nest pas dit : Jai pris mon sommeil, mon repos; non plus que : Je mendors, je me repose; mais bien : « Je dormirai, je prendrai mon repos. Alors ce corps corruptible sera revêtu dincorruptibilité, ce corps mortel sera revêtu dimmortalité, et la mort elle-même sera absorbée dans la victoire (I Cor. XV, 54 ) » . De là ce mot de lApôtre: « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous lattendons par la patience (Rom. VIII, 25 ). 10. Aussi le Prophète a-t-il eu raison dajouter : « Parce que cest vous, Seigneur, qui mavez singulièrement affermi, dune manière unique, dans lespérance (Ps. IX, 10 ) ». Il ne dit point ici: qui maffermirez, mais bien : « Qui mavez affermi ». Celui-là donc qui a conçu une telle espérance jouira certainement de ce quil espère. Ladverbe « singulièrement», est plein de sens, car on peut lopposer à cette foule qui se multiplie, par la récolte de son froment, de son vin et de son huile, e-t qui sécrie : « Qui nous montrera les biens? »Cette multitude périra, mais lunité subsistera dans les saints, dont il est dit dans les Actes des Apôtres : « La multitude de ceux qui « croyaient navait quun coeur et quune âme (Act. IX, 32 ) ». Il nous faut donc embrasser la singularité, la simplicité, cest-à-dire nous soustraire à cette foule sans nombre de choses terrestres qui naissent pour mourir bientôt, et nous attacher à ce qui est un et éternel, si nous voulons adhérer au seul Dieu, notre Seigneur.
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