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HISTOIRE DES VARIATIONS
DES ÉGLISES PROTESTANTES.

LIVRE XIV.

Depuis 1601 et dans tout le reste
du siècle où nous sommes.

 

SOMMAIRE.

 

Les excès de la Réforme sur la prédestination et le libre arbitre, aperçus en Hollande. Arminius, qui les reconnaît, tombe en d'autres excès. Partis des remontrants et contre-remontrants. Le synode de Dordrect, où les excès de la justification calvinienne sont clairement approuvés. Doctrine prodigieuse sur la certitude du salut, et la justice des hommes les plus criminels. Conséquences également absurdes de la sanctification des enfants décidée dans le synode. La procédure du synode justifie l'Eglise romaine contre les protestants. L'arminianisme en son entier dans le fond, malgré les décisions de Dordrect. Le pélagianisme toléré et le soupçon du socinianisme, seule cause de rejeter les arminiens. Inutilité des décisions synodales dans la Réforme. Connivence du synode de Dordrect sur une infinité d'erreurs capitales, pendant qu'on s'attache aux dogmes particuliers du calvinisme. Ces dogmes reconnus au commencement comme essentiels, à la fin se réduisent presque à rien. Décret de Charenton pour recevoir les luthériens à la communion. Conséquence de ce décret, qui change l'état des controverses. La distinction des articles fondamentaux et non fondamentaux, oblige enfin à reconnaître l'Eglise romaine pour une vraie Eglise où l'on peut faire son salut. Conférence de Cassel entre les luthériens et les calvinistes. Accord où l'on pose des fondements décisifs pour la communion sous une espèce. Etat présent des controverses en Allemagne. L'opinion de la grâce universelle prévaut en France. Elle est condamnée à Genève et chez les Suisses. La question décidée par le magistrat. Formule établie. Erreur de cette formule sur le texte hébreu. Autre décret sur la foi fait à Genève. Cette église accusée par M. Claude de faire schisme avec les autres églises par ses nouvelles décisions. Réflexions sur le Test, où la réalité demeure en son entier. Reconnaissance de l'église anglicane protestante  que la messe et l'invocation des saints peuvent avoir un bon sens.

 

On avait tellement outré la matière de la grâce et du libre arbitre dans la nouvelle Réforme, qu'il n'était pas possible à la fin qu'on ne s'y aperçût de ces excès. Pour détruire le pélagianisme dont on s'était entêté d'accuser l'Eglise romaine, on s'était jeté

 

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aux extrémités opposées; le nom même du libre arbitre faisait horreur. Il n'y en avait jamais eu, ni parmi les hommes, ni parmi les anges : il n'était pas même possible qu'il y en eût, et jamais les stoïciens n'avaient fait la fatalité plus roide ni plus inflexible. La prédestination s'étendait jusqu'au mal, et Dieu n'était pas moins cause des mauvaises actions que des bonnes : tels étaient les sentiments de Luther; Calvin les avait suivis; et Bèze, le plus renommé de ses disciples, avait publié une Briève exposition des principaux points de la religion chrétienne, où il avait posé ce fondement : Que Dieu fait toutes choses selon son conseil défini, voire même celles qui sont méchantes et exécrables (1).

Il avait poussé ce principe jusqu'au péché du premier homme, qui, selon lui, ne s'était pas fait sans la volonté et ordonnance de Dieu, à cause « qu'ayant ordonné la fin, » qui était de glorifier sa justice dans le supplice des réprouvés, « il faut qu'il ait quant et quant ordonné les causes qui amènent cette fin (2), » c'est-à-dire les péchés qui amènent à la damnation éternelle, et en particulier celui d'Adam, qui est la source de tous les autres ; de sorte que « la corruption du principal ouvrage de Dieu, » c'est-à-dire du premier homme, « n'est point avenue à l'aventure, ni sans le décret et juste volonté de Dieu (3). »

Il est vrai que cet auteur veut en même temps « que la volonté de l'homme, qui a été créée bonne, se soit faite méchante (4) : » mais c'est qu'il entend et qu'il répète plusieurs fois que ce qui est volontaire est en même temps nécessaire (5); de sorte que rien n'empêche que la volonté de pécher ne soit toujours la suite fatale d'une dure et inévitable nécessité; et si les hommes veulent « répliquer qu'ils n'ont pu résister à la volonté de Dieu, » Bèze ne leur dit pas ce qu'il faudrait dire, que Dieu ne les porte pas au péché, mais il répond seulement « qu'il les faut laisser plaider contre celui qui saura bien défendre sa cause. »

Cette doctrine de Bèze était prise de Calvin, qui soutient en termes formels, « qu'Adam n'a pu éviter sa chute, et qu'il ne laisse

 

1 Exp. de la foi, chez Riv., 1560, chap. II, concl. 1.— 2 Ibid., cap. III, Conc., tom. IV, V, p. 35.— 3 Ibid., Conc., VI, p. 38. — 4 Ibid., 39. — 5 Ibid., 29, 90, 91, cap. III, Conc., VI, p. 40.

 

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pas d'en être coupable, parce qu'il est tombé volontairement (1) ; » ce qu'il entreprend de prouver dans son Institution (2); et il réduit toute sa doctrine à deux principes : l'un, que la volonté de Dieu apporte dans toutes choses, et même dans nos volontés, sans en excepter celle d'Adam, une nécessité inévitable; l'autre, que cette nécessité n'excuse pas les pécheurs. On voit par là qu'il ne conserve du libre arbitre que le nom, même dans l'état d'innocence; et il ne faut pas disputer après cela s'il fait Dieu auteur du péché, puisqu'outre qu'il tire souvent cette conséquence (3), on voit trop évidemment par les principes qu'il pose, que la volonté de Dieu est la seule cause de cette nécessité imposée à tous ceux qui pèchent.

Aussi ne dispute-t-on plus à présent du sentiment de Calvin et des premiers réformateurs sur ce sujet-là; et après avoir avoué ce qu'ils en ont dit, « même que Dieu pousse les méchants aux crimes énormes, et qu'il est en quelque sorte cause du péché, » on croit avoir suffisamment justifié la Déforme de ces expressions si pleines d'impiété, à cause « qu'on ne s'en est point servi depuis plus de cent ans (4); comme si ce n'était pas une assez grande conviction du mauvais esprit dans lequel elle a été conçue, de voir que ses auteurs se soient emportés à de tels blasphèmes.

Telle était donc la fatalité que Calvin et Bèze avaient enseignée après Luther; et ils y avaient ajouté les dogmes que nous avons vus touchant la certitude du salut et l'inamissibilité de la justice (5). C'était-à-dire que la vraie foi justifiante ne se perd jamais : ceux qui l'ont sont très-assurés de l'avoir; et sont par là, non-seulement assurés de leur justice présente, comme le disaient les luthériens, mais encore de leur salut éternel, et cela d'une certitude infaillible et absolue : assurés par conséquent de mourir justes, quelques crimes qu'ils puissent commettre ; et non-seulement de mourir justes, mais encore de le demeurer dans le crime même, parce qu'on ne pouvait sans cela soutenir le sens qu'on donnait à ce passage de saint Paul : « Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance (6). »

 

1 Lib. De aet. Dei prœdest., Opusc. ; 704, 705. — 2 Lib. III, cap. 23, n. 7, 8, 9. — 3 De prœdest. de occult. Provid., etc. — 4 Jur., Jugem. sur les méth., sect. XVII, p. 142, 143. — 5 Ci-dessus, liv. IX, n. 3 et suiv. — 6 Rom., XI, 29.

 

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C'est ce que Bèze décidait encore dans la même Exposition de la Foy, lorsqu'il y disait qu'aux élus seuls, « était accordé le don de la foi : que cette foi, qui est propre et particulière aux élus consiste à s'assurer, chacun endroit soi, de son élection ; » d'où il s'ensuit que « quiconque a ce don de la vraie foi doit être assuré de la persévérance. » Car comme il dit : « Que me sert de croire, puis que la persévérance de la foi est requise, si je ne suis assuré que la persévérance me sera donnée (1)? » Il compte ensuite parmi les fruits de cette doctrine « qu'elle seule nous apprend d'assurer notre foi pour l'avenir; » ce qu'il trouve de telle importance, que ceux, dit-il, « qui y résistent, il est certain qu'ils renversent le principal fondement de la religion chrétienne. »

Ainsi cette certitude qu'on a de sa foi et de sa persévérance n'est pas seulement une certitude de foi, mais encore le principal fondement de la religion chrétienne : et pour montrer qu'il ne s'agit pas d'une certitude morale ou conjecturale, Bèze ajoute, « que nous pouvons savoir si nous sommes prédestinés au salut, et être assurés de la glorification que nous attendons, et sur laquelle Satan nous livre tous les combats, voire, dis-je, assurés, continue-t-il, non point par notre fantaisie, mais par conclusions aussi certaines que si nous étions montés au ciel pour ouïr cet arrêt de la bouche de Dieu (2). » Il ne veut pas que le fidèle aspire à une moindre certitude ; et après avoir exposé les moyens d'y parvenir, qu'il met dans la connaissance certaine que nous avons de la foi qui est en nous, il conclut que par là « nous apprenons que nous avons été donnés au Fils selon la prédestination et propos de Dieu : » par conséquent, poursuit-il, « puis que Dieu est immuable, puis que la persévérance en la foi est requise à salut, et qu'étant faits certains de notre prédestination, la glorification y est attachée d'un lien indissoluble, comment douterons-nous de la persévérance, et finalement de notre salut (3). »

Comme les luthériens, aussi bien que les catholiques, détestaient ces dogmes, et que les calvinistes lisaient les écrits des premiers avec une prévention plus favorable, l'horreur de ces sentiments

 

1 Ch. VIII, Conc., I, p. 66. — 2 Ibid., Conc., III. p. 121. — Ibid.

 

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inouïs jusqu'à Calvin, se répandait peu à peu dans les églises calviniennes. On se réveillait, on trouvait horrible qu'un vrai fidèle ne pût craindre pour son salut contre ce précepte de l'Apôtre : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement (1). » Si c'est une tentation et une faiblesse de craindre pour son salut, comme on est forcé de le dire dans le calvinisme, pourquoi saint Paul commande-t-il cette crainte, et une tentation peut-elle tomber sous le précepte?

La réponse qu'on apportait ne contentait pas. On disait : Le fidèle tremble quand il se regarde lui-même, parce qu'en lui-même, tout juste qu'il est, il n'a que mort et que damnation, et qu'enfin il serait damné s'il était jugé à la rigueur. Mais assuré de ne le pas être, qu'a-t-il à craindre? L'avenir, dit-on, parce que s'il abandonnait Dieu, il périrait : faible raison, puisqu'on tient d'ailleurs la condition impossible, et qu'un vrai fidèle doit croire comme indubitable qu'il aura la persévérance. Ainsi en toutes façons la crainte que saint Paul inspire est bannie, et le salut assuré.

Si on répondait que sans craindre pour le salut, il y avait assez d'autres châtiments qui donnaient de justes sujets de trembler, les catholiques et les luthériens répliquaient que la crainte dont parlait saint Paul regardait manifestement le salut : « Opérez, dit-il, votre salut avec crainte et tremblement. » L'Apôtre inspirait une terreur qui allait jusqu'à craindre de faire naufrage dans la foi, aussi bien que dans la bonne conscience (2) , et Jésus-Christ avait dit lui-même : « Craignez celui qui peut envoyer l’âme et le corps dans la géhenne (3) ; » précepte qui regardait les fidèles comme les autres, et ne leur faisait rien craindre de moins que la perte de leur âme. On ajoutait à ces preuves celles de l'expérience : les idolâtries et la chute affreuse d'un Salomon, orné sans doute dans ses commencements de tous les dons de la grâce ; les crimes abominables d'un David; et chacun outre cela sentait les siens. Quoi donc ! est-il convenable que sans être assuré contre les crimes, on le soit contre les peines; et que celui qui une fois s'est cru vrai fidèle, soit obligé de croire que le pardon lui est assuré dans quelques abominations qu'il puisse tomber? Mais perdra-t-il cette

 

1 Phil., II, 2. — 2 I Tim., I, 19. — 3 Matth., X, 28.

 

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certitude dans son crime? Il perdra donc nécessairement le souvenir de sa foi et de la grâce qu'il a reçue. Ne la perdra-t-il pas ? Il demeurera donc aussi assuré dans le crime que dans l'innocence ; et pourvu qu'il raisonne bien selon les principes de sa secte, il y trouvera de quoi condamner tous les doutes qui pourraient jamais lui venir dans l'esprit sur son retour : de sorte qu'en continuant de vivre dans le désordre, il sera certain de n'y mourir pas : ou bien il sera certain de n'avoir jamais été vrai fidèle, lorsqu'il croyait l'être le plus ; et le voilà dans le désespoir, ne pouvant jamais espérer plus de certitude de son salut qu'il en avait eu alors, ni, quoi qu'il fasse, s'assurer jamais dans cette vie qu'il ne retombera plus dans l'état déplorable où il se voit. Quel remède à tout cela, sinon de conclure que la certitude infaillible, qu'on vante dans le calvinisme, ne convient pas à cette vie, et qu'il n'y a rien de plus téméraire ni de plus pernicieux.

Mais combien l'est-il davantage de se tenir assuré, non pas de recouvrer la grâce perdue et la vraie foi justifiante, mais de ne la perdre pas dans le crime même; d'y demeurer toujours juste et régénéré ; d'y conserver le Saint-Esprit et la semence de vie, comme on le croit constamment dans le calvinisme, si on suit Calvin et Bèze et les autres docteurs principaux de la secte (1) ? Car, selon eux, la foi justifiante est propre aux seuls élus, et ne leur est jamais ravie; et Bèze disait dans l'Exposition tant de fois citée, « que la foi, encore qu'elle soit quelquefois comme ensevelie ès élus de Dieu pour leur faire connaître leur infirmité, ce néanmoins jamais ne va sans crainte de Dieu et charité du prochain (2). » Et un peu après il disait deux choses de l'esprit d'adoption : l'une, que ceux qui ne sont plantés en Eglise que « pour un temps, » ne le reçoivent jamais; l'autre, que ceux qui sont entrés dans le peuple de Dieu par cet esprit d'adoption, n'en sortent jamais (3).

On appuyait cette doctrine sur ces passages : « Dieu n'est point comme l'homme, en sorte qu'il mente : ni comme le Fils de l'homme, en sorte qu'il se repente (4). » Ce qui avait aussi fait dire

 

1 Ci-dessus, liv. IX, n. 15.— 2 Chap. IV, Conc., XIII, p. 74. — 3 Ibid., chap. V, Concl., VI, p. 90.— 4 Chap. IV, Conc., XIII, p. 74.

 

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à saint Paul, « que les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance (1). » Mais quoi! ne perdait-on aucun don de Dieu dans les adultères, dans les homicides, dans les crimes les plus noirs, ni même dans l'idolâtrie ? Et s'il y en a quelques-uns qu'on puisse perdre du moins pour un temps et dans cet état, pourquoi la vraie foi justifiante et la présence du Saint-Esprit ne seront-elles pas de ce nombre, puisqu'il n'y a rien de plus incompatible avec l'état de péché que de telles grâces?

Sur cette dernière difficulté on faisait encore une demande d'une extrême conséquence; et je prie qu'on la considère attentivement, parce qu'elle fera la matière d'une importante dispute dont nous aurons à parler. On demandait donc à un calviniste : Ce vrai fidèle, David, par exemple, tombé dans un adultère et un homicide, serait-il sauvé ou damné s'il mourait en cet état avant que d'avoir fait pénitence ? Aucun n'a osé répondre qu'il serait sauvé : car aussi comment soutenir, étant chrétien, qu'on serait sauvé avec de tels crimes? Ce vrai fidèle serait donc damné s'il mourait en cet état ; ce vrai fidèle en cet état a donc cessé d'être juste, puisqu'on ne dira jamais d'un juste qu'il serait damné s'il mourait en l'état où il est.

Répondre qu'il n'y mourra pas, et qu'il fera pénitence s'il est du nombre des prédestinés, ce n'est rien dire; car ce n'est pas la prédestination, ni la pénitence qu'on fera un jour, qui nous justifie et nous rend saints ; autrement un infidèle prédestiné serait actuellement sanctifié et justifié, avant même que d'avoir la foi et la pénitence, puisqu'avant que de les avoir, constamment il était déjà prédestiné, constamment Dieu avait déjà résolu qu'il les aurait.

Que si on répond que cet infidèle n'est pas actuellement justifié et sanctifié, parce qu'il n'a pas encore eu la foi et la pénitence, encore qu'il les doive avoir un jour, au lieu que le vrai fidèle les a déjà eues : c'est un nouvel embarras, puisqu'il s'ensuivrait que la foi et la pénitence une fois exercées par le fidèle, le justifient et le sanctifient actuellement et pour toujours, encore qu'il cesse de les exercer, et même qu'il les abandonne par des crimes

 

1 Rom., XI, 29.

 

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abominables : chose plus horrible à penser que tout ce qu'on a pu voir jusqu'ici dans cette matière.

Au reste, ce n'est point ici une question chimérique ; c'est une question que chaque fidèle, quand il pèche, se doit faire à lui-même : ou plutôt c'est un jugement qu'il doit prononcer : Si je mourais en l'état où je suis, je serais damné. Ajouter après cela : Mais je suis prédestiné, et je reviendrai un jour; et à cause de ce retour futur, dès à présent je suis saint et juste, et membre vivant de Jésus-Christ : c'est le comble de l'aveuglement.

Pendant que les catholiques et les luthériens mieux écoutés qu'eux dans la nouvelle Réforme, poussaient ces raisonnements, plusieurs calvinistes revenaient : et voyant d'ailleurs parmi les luthériens une doctrine plus douce, ils s'y laissaient attirer. Une volonté générale en Dieu de sauver tous les hommes ; en Jésus-Christ une intention sincère de les racheter et des moyens suffisants offerts à tous : c'est ce qu'enseignaient les luthériens dans le livre de la Concorde. Nous l'avons vu : nous avons vu même leurs excès touchant ces moyens offerts, et la coopération du libre arbitre (1) : ils entraient tous les jours de plus en plus dans ces senti-mens; et on commençait à les écouter dans le calvinisme, principalement en Hollande.

Jacques Arminius, célèbre ministre d'Amsterdam et depuis professeur en théologie dans l'académie de Leyde, fut le premier à se déclarer dans l'académie contre les maximes reçues par les églises du pays : mais un homme si véhément n'était pas propre à garder de justes mesures. Il blâmait ouvertement Bèze, Calvin, Zanchius et les autres qu'on regardait comme les colonnes du calvinisme (2). Mais il combattait des excès par d'autres excès ; et outre qu'on le voyait s'approcher beaucoup des pélagiens, on le soupçonnait, non sans raison, de quelque chose de pis : certaines paroles qui lui échappaient le faisaient croire favorable aux sociniens, et un grand nombre de ses disciples tournés depuis de ce côté-là ont confirmé ce soupçon.

 

1 Ci-dessus, liv. VIII, n. 52 et suiv.; Epit., XI ; Concord., p. 621; Solid. repet., 669, 805 et seq. — 2 Act. Syn. Dordr., edit. Dordr., 1620, prœf. ad Ecc. ante Synod. Dord.

 

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Il trouva un terrible adversaire en la personne de François Gomar, professeur en théologie dans l'académie de Leyde (a), rigoureux calviniste s'il en fut jamais. Les académies se partagèrent entre ces deux professeurs : la division s'augmenta : les ministres prenaient parti : Arminius vit des églises entières dans le sien : sa mort ne termina pas la querelle; et les esprits s'échauffèrent tellement de part et d'autre sous le nom de Remontrants et Contre-remontrants, c'était-à-dire d'Arminiens et de Gomaristes, que les Provinces-Unies se voyaient à la veille d'une guerre civile.

Le prince d'Orange Maurice eut ses raisons pour soutenir les gomaristes. On croyait Barneveld, son ennemi, favorable aux arminiens; et la raison qu'on en eut, c'est qu'il proposa une tolérance mutuelle, et qu'on imposa silence aux uns et aux autres (1).

C'était en effet ce que souhaitaient les remontrants. Un parti naissant et faible encore, ne demande que du temps pour s'affermir : mais les ministres, parmi lesquels Gomar prévalait, voulaient vaincre, et le prince d'Orange était trop habile pour laisser fortifier un parti qu'il croyait autant opposé à sa grandeur qu'aux maximes primitives de la Réforme.

Les synodes provinciaux n'avaient fait qu'aigrir le mal en condamnant les remontrants ; il en fallut enfin venir à un plus grand remède : ainsi les Etats-Généraux convoquèrent un synode national, où ils invitèrent tous ceux de leur religion en quelque pays qu'ils fussent. A cette invitation l'Angleterre, l'Ecosse, le Palatinat, la Hesse, les Suisses, les républiques de Genève, de Brème, d'Embden, et en un mot tout le corps de la Réforme qui n'était pas uni aux luthériens, députèrent, à la réserve des François, qui en furent empêchés par des raisons d'Etat ; et de tous ces députés joints à ceux de toutes les Provinces-Unies, fut composé ce fameux synode de Dordrect, dont il nous faut maintenant expliquer la doctrine et la procédure.

 

1 Act. Syn. Dordr., édit. Dordr., 1620, prœf. ad Ecc. ante Synod. Dordr.

(a) 1ère édit. : Dans l'académie de Groningue. Dans la revue de plusieurs de ses ouvrages, à la fin du VI° Avertissement aux protestants, Bossuet dit : « Il ne fut à Groningue qu'après la mort d'Arminius.

 

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L'ouverture de cette assemblée se fit le 14 novembre 1618, par un sermon de Baltasar Lydius ministre de Dordrect. Les premières séances furent employées à régler diverses choses de discipline ou de procédure; et ce ne fut proprement que le 13 décembre, dans la trente-unième séance, que l'on commença à parler de la doctrine.

Pour entendre de quelle manière on y procéda, il faut savoir qu'après beaucoup de livres et de conférences, la dispute s'était enfin réduite à cinq chefs. Le premier regardait la prédestination; le second, l'universalité de la rédemption ; le troisième et le quatrième qu'on traitait toujours ensemble, regardaient la corruption de l'homme et la conversion ; le cinquième, regardait la persévérance.

Sur ces cinq chefs les remontrants avaient déclaré en général en plein synode, par la bouche de Simon Episcopius, professeur en théologie à Leyde, qui paraît toujours à leur tête, que des hommes de grand nom et de grande réputation dans la Réforme avaient établi des choses qui ne convenaient ni avec la sagesse de Dieu, ni avec sa bonté et sa justice, ni avec l'amour que Jésus-Christ avait pour les hommes, ni avec sa satisfaction et ses mérites, ni avec la sainteté de la prédication et du ministère, ni avec l'usage des sacrements, ni enfin avec les devoirs du chrétien. Ces grands hommes qu'ils voulaient taxer, étaient les auteurs de la Réforme, Calvin, Bèze, Zanchius, et les autres qu'on ne leur permettait pas de nommer, mais qu'ils n'avaient pas épargnés dans leurs écrits. Après cette déclaration générale de leur sentiment , ils s'expliquèrent en particulier sur les cinq articles (1) ; et leur déclaration attaquait principalement la certitude du salut et l'inamissibilité de la justice, dogmes par lesquels ils prétendaient qu'on avait ruiné la piété dans la Réforme, et déshonoré un si beau nom. Je rapporterai la substance de cette déclaration des remontrants, afin qu'on entende mieux ce qui fit la principale matière de la délibération, et ensuite des décisions du synode.

Sur la prédestination, ils disaient « qu'il ne fallait reconnaître en Dieu aucun décret absolu, par lequel il eût résolu de donner

 

1 Sess. XXXI, p. 112.

 

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Jésus-Christ aux élus seuls, ni de leur donner non plus à eux-seuls par une vocation efficace, la foi, la justification, la persévérance et la gloire; mais qu'il avait ordonné Jésus-Christ Rédempteur commun de tout le monde, et résolu par ce décret de justifier et sauver tous ceux qui croiraient en lui, et en même temps leur donner à tous les moyens suffisants pour être sauvés ; que personne ne périssait pour n'avoir point ces moyens, mais pour en avoir abusé ; que l'élection absolue et précise des particuliers se faisait en vue de leur foi et de leur persévérance future, et qu'il n'y avait d'élection que conditionnelle; que la réprobation se faisait de même en vue de l'infidélité et de la persévérance dans un si grand mal (1). »

Ils ajoutaient deux points dignes d'une particulière considération : l'un, que tous les enfants des fidèles étaient sanctifiés, et qu'aucun de ces enfants qui mouraient devant l'usage de la raison n'était damné : l'autre, qu'à plus forte raison aucun de ces enfants qui mouraient après le baptême avant l'usage de la raison, ne l'était non plus (2).

En disant que tous les enfants des fidèles étaient sanctifiés, ils ne faisaient que répéter ce que nous avons vu clairement dans les confessions de foi calviniennes ; et s'ils étaient sanctifiés, il était évident qu'ils ne pouvaient être damnés en cet état. Mais après ce premier article, le second semblait inutile; et si ces enfants étaient assurés de leur salut avant le baptême, ils l'étaient beaucoup plus après. Ce fut donc avec un dessein particulier qu'on mit ce second article ; et les remontrants voulaient noter l'inconstance des calvinistes, qui d'un côté, pour sauver le baptême donné à tous ces enfants, disaient qu'ils étaient tous saints et nés dans l'alliance, de laquelle par conséquent on ne leur pouvait refuser le signal : et qui, pour sauver de l'autre côté la doctrine de l'inamissibilité de la justice, disaient que le baptême donné aux enfants n'avait son effet que dans les seuls prédestinés; en sorte que les baptisés qui vivaient mal dans la suite n'avaient jamais été saints, pas même avec le baptême qu'ils avaient reçu dans leur enfance.

 

1 Sess. XXXI, 112. —2 Art. 9, 10, ibid.

 

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Remarquez, je vous en conjure, lecteur judicieux, cette importante difficulté : elle porte coup pour décider sur l'inamissibilité, et il sera curieux de voir ce que dira ici le synode.

A l'égard du second chef, qui regarde l'universalité de la rédemption, les remontrants disaient que « le prix payé par le Fils de Dieu n'était pas seulement suffisant à tous, mais actuellement offert pour tous et un chacun des hommes; qu'aucun n'était exclus du fruit de la rédemption par un décret absolu, ni autrement que par sa faute ; que Dieu fléchi par son Fils, avait fait un nouveau traité avec tous les hommes, quoique pécheurs et damnés (1). » Ils disaient que par ce traité il s'était obligé envers tous à leur donner ces moyens suffisants dont ils avaient parlé : « qu'au reste la rémission des péchés méritée à tous n'était donnée actuellement que par la foi actuelle, par laquelle on croyait actuellement en Jésus-Christ : » par où ils faisaient entendre que qui perdait par ses crimes la foi actuelle qui nous justifie, perdait aussi avec elle la grâce justifiante et la sainteté. Enfin ils disaient encore « que personne ne devait croire que Jésus-Christ fût mort pour lui, si ce n'est ceux pour lesquels il était mort en effet : de sorte que les réprouvés, tels que quelques-uns les imaginaient, pour lesquels Jésus-Christ n'était pas mort, ne devaient pas croire qu'il fût mort pour eux (2). » Cet article allait plus loin qu'il ne paraissait. Car le dessein était de montrer que selon la doctrine de Calvin et des calvinistes, qui posaient pour dogme indubitable que Jésus-Christ n'était mort en aucune sorte que pour les prédestinés, et n'était mort en aucune sorte pour les réprouvés, il s'ensuivait que pour dire : Jésus-Christ est mort pour moi, il fallait être assuré d'une certitude absolue de sa prédestination et de son salut éternel, sans que jamais on pût dire : « Il est mort pour moi, mais je me suis rendu sa mort et la rédemption inutiles : » doctrine qui renversait toutes les prédications, où l'on ne cesse de dire aux chrétiens qui vivent mal, qu'ils se sont rendus indignes d'avoir été rachetés par Jésus-Christ. C'était aussi l'un de ces articles où les remontrants soutenaient qu'on renversait dans la Réforme toute la sincérité

 

1 Sess. XXXIV, p. 115 et seqq. — 2 Art. 4, ibid.

 

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et la sainteté de la prédication, aussi bien que ce passage de saint Pierre : « Ils ont renié le Seigneur qui les avait rachetés, et se sont attirés une soudaine ruine (1). »

Sur le troisième et quatrième chefs, après avoir dit que la grâce était nécessaire à tout bien, non-seulement pour l'achever, mais encore pour le commencer, « ils ajoutaient que la grâce efficace n'était pas irrésistible (2). » C'était leur mot, et celui des luthériens dont ils se vantaient de suivre la doctrine. Ils voulaient dire qu'on pouvait résister à toute sorte de grâces ; et par là, comme chacun voit, ils prétendaient « qu'encore que la grâce fût donnée également, Dieu en donnait ou en offrait une suffisante à tous ceux à qui l'Evangile était annoncé, même à ceux qui ne se convertissaient pas ; et l'offrait avec un désir sincère et sérieux de les sauver tous, sans qu'il fît deux personnages, faisant semblant de vouloir sauver, et au fond ne le voulant pas, et poussant secrètement les hommes aux péchés qu'il défendait publiquement (3). » Ils en voulaient directement dans tous ces endroits aux auteurs de la Réforme et à la vocation peu sincère qu'ils attribuaient à Dieu, lorsqu'il appelait à l'extérieur ceux que dans le fond il avait exclus de sa grâce, les prédestinant au mal.

Pour montrer combien la grâce était résistible (il faut permettre ces mots que l'usage avait consacrés pour éviter la longueur) ils avaient mis un article qui disait a que l'homme pouvait par la grâce du Saint-Esprit faire plus de bien qu'il n'en faisait, et s'éloigner du mal plus qu'il ne s'en éloignait (4); » ainsi il résistait souvent à la grâce, et la rendait inutile.

Sur la persévérance ils décidaient que « Dieu donnait aux vrais fidèles régénérés par sa grâce des moyens pour se conserver dans cet état : qu'ils pouvaient perdre la vraie foi justifiante, et tomber dans des péchés incompatibles avec la justification, même dans des crimes atroces; y persévérer, y mourir, s'en relever aussi par la pénitence, sans néanmoins que la grâce les contraignît à la faire (5). » Voilà ce qu'ils pressaient avec plus de force, « détestant, disaient-ils, de tout leur cœur ces dogmes impies et

 

1 II Petr., II, 1. — 2 Ead. sess., p. 116 et seq.— 3P. 117. — *> Art. 1, ibid., 117. — 5 Ead. sess., p. 117, 118 et seq.

 

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contraires aux bonnes mœurs, qu'on répandait tous les jours parmi les peuples ; que les vrais fidèles ne pouvaient tomber dans des péchés de malice, mais seulement dans des péchés d'ignorance et de faiblesse : qu'ils ne pouvaient perdre la grâce : que tous les crimes du monde assemblés en un ne pouvaient rendre inutile leur élection, ni leur en ôter la certitude; chose, ajoutaient-ils, qui ouvrait la porte à une sécurité charnelle et pernicieuse : qu'aucun crime, quelque horribles qu'ils fussent, ne leur étaient imputés : que tous péchés présents et futurs leur étaient remis par avance : qu'au milieu des hérésies, des adultères et des homicides pour lesquels on pourrait les excommunier, ils ne pouvaient totalement et finalement perdre la foi (1). »

Ces deux mots, totalement et finalement, étaient ceux sur lesquels principalement roulait la discussion. Perdre la foi et la grâce de la justification totalement, c'était la perdre tout à fait un certain temps; la perdre finalement, c'était la perdre à jamais et sans retour. L'un et l'autre était tenu impossible dans le calvinisme, et les remontrants détestaient l'un et l'autre de ces excès.

Ils concluaient la déclaration de leur doctrine, en disant que comme le vrai fidèle pouvait dans le temps présent être assuré de sa foi et de sa bonne conscience, il pouvait aussi être assuré pour ce temps-là, s'il y mourait, de son salut éternel; qu'il pouvait aussi être assuré de pouvoir persévérer dans la foi, parce que la grâce ne lui manquerait jamais pour cela : mais qu'il fût assuré de faire toujours son devoir, ils ne voyaient pas qu'il le «pût être, ni que cette assurance lui fût nécessaire (2). »

Si l'on veut maintenant comprendre en peu de mots toute leur doctrine, le fondement en était qu'il n'y avait point d'élection absolue, ni de préférence gratuite par laquelle Dieu préparât à certaines personnes choisies, et à elles seules, des moyens certains pour les conduire à la gloire : mais que Dieu offrait à tous les hommes, et surtout à tous ceux à qui l'Evangile était annoncé, des moyens suffisants de se convertir, dont les uns usaient et les autres non, sans en emploier aucun autre pour ses élus, non plus que pour les réprouvés ; de sorte que l'élection n'était jamais

 

1 Art. 6, ibid., p. 118. — 2 Art. 1 et 8, ibid., 119.

 

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que conditionnelle, et qu'on en pouvait déchoir en manquant à la condition. D'où ils concluaient, premièrement qu'on pouvait perdre la grâce justifiante, et totalement, c'est-à-dire toute entière, et finalement, c'est-à-dire sans retour; secondement, qu'on ne pouvait en aucune sorte être assuré de son salut.

Encore que les catholiques ne convinssent pas du principe, ils convenaient avec eux des deux dernières conséquences, qu'ils établissaient néanmoins sur d'autres principes qu'il ne s'agit pas d'expliquer ici; et ils convenaient aussi que la doctrine calvinienne contraire à ces conséquences était impie, et ouvrait la porte à toutes sortes de crimes.

Les luthériens convenaient aussi en ce point avec les catholiques et les remontrants. Mais la différence des catholiques et des luthériens est que les derniers, en niant la certitude de persévérer, reconnaissaient une certitude de la justice présente, en quoi ils étaient suivis par les remontrants : au lieu que les catholiques différaient des uns et des autres, en soutenant qu'on ne pouvait être assuré ni de ses bonnes dispositions futures, ni même de ses bonnes dispositions présentes, dont au milieu des ténèbres de notre amour-propre nous avions toujours sujet de nous défier ; de sorte que la confiance que nous avions du côté de Dieu n'ôtait pas tout à fait le doute que nous avions de nous-mêmes.

Calvin et les calvinistes combattaient la doctrine des uns et des autres, et soutenaient aux luthériens et aux remontrants que le vrai fidèle était assuré non-seulement du présent, mais encore de l'avenir, et assuré par conséquent de ne perdre jamais, ni totalement, c'est-à-dire tout à fait, ni finalement, c'est-à-dire sans retour, la grâce justifiante ni la vraie foi une fois reçue.

L'état de la question et les différents sentiments sont bien entendus; et pour peu que le synode de Dordrect ait voulu parler clairement, on comprendra sans difficulté quelle en aura été la doctrine; d'autant plus que les remontrants après leur déclaration avaient sommé ceux qui se plaindraient qu'on expliquait mal leur doctrine, de rejeter nettement tout ce dont ils se croiraient injustement accusés, et priant aussi le synode de s'expliquer précisément

 

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sur des articles dont on se servait pour rendre toute la Réforme odieuse (1).

Si jamais il a fallu parler nettement, c'est après une telle déclaration et dans de semblables conjonctures. Ecoutons donc maintenant la décision du synode.

Il prononce sur les cinq chefs proposés en quatre chapitres ; car, comme nous avons dit, le troisième et le quatrième chefs allaient toujours ensemble. Chaque chapitre a deux parties : dans la première on établit; dans la seconde on rejette et on improuve. Voici la substance des canons, car c'est ainsi qu'on appela les décrets de ce synode.

Sur la prédestination et élection l'on décidait « que le décret en est absolu et immuable ; que Dieu donne la vraie et vive foi à : tous ceux qu'il veut retirer de la damnation commune, et à eux seuls : que cette foi est un don de Dieu ; que tous les élus sont dans leur temps assurés de leur élection, quoique non pas en même degré et en égale mesure ; que cette assurance leur vient non en sondant les secrets de Dieu, mais en remarquant en eux avec une sainte volupté et une joie spirituelle les fruits infaillibles de l'élection, tels que sont la vraie foi, la douleur de ses péchés et les autres ; que le sentiment et la certitude de leur élection les rend toujours meilleurs ; que ceux qui n'ont pas encore ce sentiment efficace et cette certaine confiance, la doivent désirer; et enfin que cette doctrine ne doit faire peur qu'à ceux qui attachés au monde ne se convertissent pas sérieusement (2). » Voilà déjà pour les seuls élus avec la vraie foi la certitude du salut : mais la chose s'expliquera bien plus clairement dans la suite.

L'article XVII décide « que la parole de Dieu déclarant saints les enfants des fidèles, non par nature, mais par l'alliance où ils sont compris avec leurs parents, les parents fidèles ne doivent pas douter de l'élection et du salut de leurs enfants qui meurent dans ce bas âge (3). »

En cet article le synode approuve la doctrine des remontrants, à qui nous avons ouï dire précisément la même chose (4) : il n'y a

 

1 Ead. sess., p. 1211, 122. — 2 Sess. XXXVI, p. 349 et seq., ibid., art. 12 et seq.; p. 251. — 8 Art. 17, 252. — 4 Ci-dessus, n. 23.

 

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donc rien de plus assuré parmi nos adversaires, qu'un article qu'on voit également enseigné des deux partis : la suite nous fera voir quelles en sont les conséquences.

Parmi les articles rejetés on trouve celui qui veut que « la certitude du salut dépende d'une condition incertaine (1) ; » c'est-à-dire que l'on condamne ceux qui enseignent qu'on est assuré d'être sauvé en persévérant à bien vivre, mais qu'on n'est pas assuré de bien vivre ; qui était précisément la doctrine que nous avons ouï enseigner aux remontrants. Le synode déclare absurde « cette certitude incertaine, » et par conséquent établit une certitude absolue, qu'il tâche même d'établir par l'Ecriture : mais il ne s'agit pas des preuves ; il s'agit de bien poser la doctrine, et d'entendre que le vrai fidèle, selon les décrets de Dordrect, non-seulement doit être assuré de son salut, supposé qu'il fasse bien son devoir, mais encore qu'il doit être assuré de le bien faire, du moins à la fin de sa vie. Ce n'est pourtant rien encore, et nous verrons cette doctrine bien plus clairement décidée.

Sur le sujet de la rédemption et de la promesse de grâce, on décide « qu'elle est annoncée indifféremment à tous les peuples : c'est par leur faute que ceux qui n'y croient pas la rejettent, et c'est par la grâce que les vrais fidèles l'embrassent; mais les élus sont les seuls à qui Dieu a résolu de donner la foi justifiante, par laquelle ils sont infailliblement sauvés. » Voilà donc une seconde fois la vraie foi justifiante dans les élus seuls : il faudra voir dans la suite ce qu'auront ceux qui ne continuent pas à croire jusqu'à la fin.

Le sommaire du quatrième chapitre est qu'encore que Dieu appelle sérieusement tous ceux à qui l'Evangile est annoncé, en sorte que s'ils périssent ce n'est pas la faute de Dieu : il se fait néanmoins quelque chose de particulier dans ceux qui se convertissent, Dieu les appelant efficacement, et leur donnant la foi et la pénitence. La grâce suffisante des arminiens, avec laquelle « le libre arbitre se discerne lui-même, » est rejetée comme un dogme pélagien (2). La régénération est représentée comme se faisant « sans nous, » non par « la parole extérieure, ou par une

 

1 Ci-dessus, art. 1, p. 254. — 2 Art. 12, p. 263.

 

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persuasion morale, » mais par une opération qui ne laisse pas « au pouvoir de l'homme d'être régénéré ou non (1) » d'être converti ou non : et néanmoins, dit-on dans cet article, quand la volonté est « renouvelée, » elle est non-seulement « poussée et mue de Dieu, » mais « elle agit étant mue de lui; et c'est l'homme qui croit et qui se repent. »

La volonté n'agit donc que quand elle est convertie et renouvelée. Mais quoi ! n'agit-elle pas quand on commence à désirer sa conversion, et à demander la grâce de la régénération? ou bien est-ce qu'on l'avait déjà quand on commençait à la demander ? C'est ce qu'il fallait expliquer, et ne pas dire généralement que la conversion et la régénération se fait sans nous. Il y aurait bien d'autres choses à dire ici ; mais il ne s'agit pas de disputer : il suffit historiquement de bien faire entendre la doctrine du synode.

Il dit au XIIIe article que la manière dont se fait en nous cette opération de la grâce régénérante est inconcevable : il suffit de concevoir que par cette grâce le fidèle « sait et sent qu'il croit et qu'il aime son Sauveur. » Il sait et sent : voilà dans l'ordre de la connaissance ce qu'il y a de plus certain, savoir et sentir.

Nous lisons dans l'article XVI que de même que le péché n'a pas ôté la nature à l'homme, ni son entendement, ni sa volonté, ainsi la grâce régénérante n'agit pas en lui « comme dans un tronc et dans une bûche : » elle conserve les « propriétés » à la volonté, et ne « la force point malgré elle; » c'est-à-dire qu'elle ne la fait point « vouloir sans vouloir. » Quelle étrange théologie! N'est-ce pas vouloir tout embrouiller que de s'expliquer si faiblement sur le libre arbitre?

Parmi les erreurs rejetées, je trouve celle qui enseigne « que dans la vraie conversion de l'homme, Dieu ne peut répandre par infusion des qualités, des habitudes et des dons; et que la foi par laquelle nous sommes premièrement convertis, et d'où nous sommes appelés fidèles, n'est pas un don et une qualité infuse de Dieu, mais seulement un acte de l'homme (2). » Je suis bien aise d'entendre l'infusion de ces nouvelles qualités et habitudes : elle

 

1 Art. 12, p. 26S. — 2 Art. 6, p. 267:

 

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nous sera d'un grand secours pour expliquer la vraie idée de la justification, et faire voir par quel moyen elle peut être obtenue de Dieu. Car je ne crois pas qu'on puisse douter qu'en ceux qui sont en âge de connaissance, ce ne soit un acte de foi inspiré de Dieu, qui nous impètre la grâce d'en recevoir l'habitude avec celle des autres vertus. Cependant l'infusion de cette habitude n'en sera pas moins gratuite, comme on verra en son temps : mais passons, il faut maintenant venir au dernier chapitre, qui est le plus important, puisqu'il y fallait expliquer précisément et à fond ce qu'on aurait à répondre aux reproches des remontrants sur la certitude du salut et l'inamissibilité de la justice.

Sur l'inamissibilité, voici ce qu'on dit :

« Que dans certaines actions particulières les vrais fidèles peuvent quelquefois se retirer, et se retirent en effet, par leur vice, de la conduite de la grâce pour suivre la concupiscence, jusqu'à tomber dans des crimes atroces; que par ces péchés énormes ils offensent Dieu, se rendent coupables de mort, interrompent l'exercice de la foi, font une grande blessure à leur conscience, et quelquefois perdent pour un temps le sentiment de la grâce (1). » O Dieu, est-il bien possible que dans cet état détestable ils ne perdent que le sentiment de la grâce, et non pas la grâce même, et ne la perdent que quelquefois ! Mais il n'est pas encore temps de se récrier; voici bien pis : « Dieu, dans ces tristes chutes, ne leur ôte pas tout à fait son Saint-Esprit, et ne les laisse pas tomber jusqu'à déchoir de la grâce de l’adoption et de l'état de la justification, ni jusqu'à commettre le péché à mort, ou contre le Saint-Esprit, et être damnés (2). » Quiconque donc est vrai fidèle et une fois régénéré par la grâce, non-seulement ne périt pas dans ses crimes, mais dans le temps qu'il s'y abandonne, il ne déchoit pas de la grâce de l'adoption et de l'état de la justification. Peut-on mettre plus clairement Jésus-Christ avec Bélial, et la grâce avec le crime ?

A la vérité le synode semble vouloir préserver les vrais fidèles de quelques crimes, lorsqu'il dit qu'ils ne sont pas « délaissés jusqu'à tomber dans le péché à mort, ou contre le Saint-Esprit, »

 

1 Art. 4, 5, p. 271. — 2 Art. 6 et seq.

 

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que l'Ecriture nomme irrémissible : mais s'ils entendent par ces mots quelque autre péché que celui de l'impénitence finale, on ne sait plus ce que c'est, n'y ayant aucun pécheur dans quelque désordre qu'il soit tombé, à qui on ne doive faire espérer la rémission de ses crimes. Laissons néanmoins au synode telle autre explication de ce péché qu'il voudra s'imaginer : c'est assez que nous voyions clairement selon sa doctrine, que tous les crimes qu'on peut nommer, par exemple un adultère aussi long et un homicide autant médité que celui d'un David, l'hérésie, l'idolâtrie même avec toutes ses abominations, où constamment, selon le synode, le vrai fidèle peut tomber, compatissent « avec la grâce de l'adoption et l'état dé la justification. »

Et il ne faut pas dire que par cet état le synode entende seulement le droit au salut qui reste toujours au vrai fidèle, c'est-à-dire selon le synode, au prédestiné, en vertu de la prédestination : car au contraire il s'agit ici du droit immédiat qu'on a au salut par la régénération et la conversion actuelle, et de l'état par lequel on est non pas destiné, mais en effet en possession tant de la vraie foi que de la justification. La question est, en un mot, non pas de savoir si on aura un jour cette grâce, mais si on en peut déchoir un seul moment après l'avoir eue : le synode décide que non. Remontrants, ne vous plaignez pas; on vous parle du moins franchement, comme vous l'avez désiré ; et tout ce que vous dites qu'on croit de pernicieux dans le parti que vous accusez, tout ce que vous y rejetez avec tant d'horreur, y est décidé en termes formels. Mais pour ôter toute équivoque, il faut voir dans le synode ces mots essentiels : Totalement et finalement, sur lesquels nous avons fait voir que roulait toute la dispute (1) : il faut voir, dis-je, si l'on permet aux remontrants d'assurer qu'un vrai fidèle puisse « déchoir et totalement et finalement de l’état de justification. » Le synode, pour ne nous laisser aucun doute de son sentiment contre la perte totale, dit « que la semence immortelle, par laquelle les vrais fidèles sont régénérés, demeure toujours en eux malgré leur chute. » Contre la perte finale le même synode dit qu'un

 

1 Ci-dessus, n. 27.

 

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jour réconciliés « ils sentiront de nouveau la grâce (1). » Ils ne la recouvreront pas; le synode se garde bien de dire ce mot : ils la « sentiront de nouveau. » De cette sorte, poursuit-il, il arrive que ni « ils ne perdent TOTALEMENT la foi et la grâce, ni ils ne demeurent FINALEMENT dans leur péché jusqu'à périr. »

En voilà, ce me semble, assez pour l'inamissibilité. "Voyons pour la certitude.

« Les vrais fidèles, dit le synode, peuvent être certains , et le sont de leur salut et de leur persévérance, selon la mesure de la foi par laquelle ils croient avec certitude qu'ils sont et demeurent membres vivants de l'Eglise, qu'ils ont la rémission de leurs péchés, et la vie éternelle : certitude qui ne leur vient pas d'une révélation particulière, mais par la foi des promesses que Dieu a révélées dans sa parole, et par le témoignage du Saint-Esprit, et enfin par une bonne conscience et une sainte et sérieuse application aux bonnes œuvres (2). »

On ajoute, pour ne rien laisser à dire, que « dans les tentations et les doutes de la chair qu'on a à combattre, on ne sent pas toujours cette plénitude de foi et cette certitude de la persévérance (3) : » afin que toutes les fois qu'on sent quelque doute, et qu'on n'ose pas se promettre avec une entière certitude de persévérer toujours dans son devoir, on se sente obligé à regarder ce doute comme un mouvement qui vient de la chair et comme une tentation qu'il faut combattre.

On compte ensuite parmi les erreurs rejetées, « que les vrais fidèles puissent déchoir, et déchaient souvent totalement et finalement de la foi justifiante, de la grâce et du salut; ci qu'on ne puisse durant cette vie avoir aucune assurance de la future persévérance sans révélation spéciale (4) ; » on déclare que cette doctrine ramène les doutes des papistes, parce qu'en effet cette certitude sans révélation spéciale était condamnée dans le concile de Trente (5).

On demandera comment on accorde avec la doctrine de l'inamissibilité ce qui est dit dans le synode, que par les grands crimes

 

1 Art. 7, 8, p. 272. — 2 Ibid., art. 9. p. 272, 273. — 3 Ibid., art. 2. — 4 Art. 3, p. 274. — 5 Conc. Trid., sess. VI, cap. XII, can. 16.

 

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les fidèles qui les commettent « se rendent coupables de mort (1). » C'est ce qu'il est bien aisé de concilier avec les principes de la nouvelle Réforme, où l'on soutient que le vrai fidèle, quelque régénéré qu'il soit, demeure toujours par la convoitise « coupable de mort; » non-seulement dans ses péchés grands et petits, mais encore dans ses bonnes œuvres ; de sorte que cet état qui nous rend coupables de mort n'empêche pas que, selon les termes du synode, on ne demeure « en état de justification et de grâce. »

Mais enfin n'avons-nous pas dit que nos réformés ne pouvaient nier et ne niaient pas en effet, que si on mourait dans ses crimes sans en avoir fait pénitence, on serait damné? Il est vrai, la plupart l'avouent ; et encore que le synode ne décide rien en corps sur cette difficulté, elle y fut proposée, comme nous verrons, par quelques-uns des opinants. A la vérité, il est bien étrange qu'on puisse demeurer dans une erreur où l'on ne peut éviter une contradiction aussi manifeste que celle où l'on reconnaît qu'il y a un état de grâce dans lequel néanmoins on serait damné si on y mourait. Mais il y a bien d'autres contradictions dans cette doctrine : en voici une sans doute qui n'est pas moins sensible que celle-là. Dans la nouvelle Réforme la vraie foi est inséparable de l'amour de Dieu et des bonnes œuvres qui en sont le fruit nécessaire : c'est le dogme le plus constant de cette religion; et voici néanmoins contre ce dogme la vraie foi, non-seulement sans les bonnes œuvres, mais encore dans les plus grands crimes. Patience, ce n'est pas encore tout : je vois une autre contradiction non moins manifeste dans la nouvelle Réforme, et selon le décret du synode même : tous les enfants des fidèles sont saints, et leur salut est assuré (2). En cet état ils sont donc vraiment justifiés : donc ni ils ne peuvent déchoir de la grâce, et tout sera prédestiné dans la nouvelle Réforme : ni, ce qui est bien plus étrange, ils ne peuvent avoir d'enfant qui ne soit saint et prédestiné comme eux ; ainsi toute leur postérité est certainement prédestinée, et jamais un réprouvé ne peut sortir d'un élu. Qui l'osera dire? Et cependant qui pourra nier qu'une si visible et si étrange absurdité ne soit clairement renfermée dans les principes

 

1 Ci-dessus, n. 44. — 2 Ibid., n. 37.

 

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du synode et dans la doctrine de l'inamissibilité? Tout y est donc plein d'absurdités manifestes : tout s'y contredit d'une étrange sorte : mais aussi est-ce toujours l'effet de l'erreur de se contredire elle-même.

Il n'y a aucune erreur qui ne tombe en contradiction par quelque endroit : mais voici ce qui arrive quand on est fortement prévenu. On évite premièrement, autant qu'on peut, d'envisager cette inévitable et visible contradiction : si on ne peut s'en empêcher, on la regarde avec une préoccupation qui ne permet pas d'en bien juger; on croit s'en défendre en s'étourdissant par de longs raisonnements et par de belles paroles : ébloui de quelques principes spécieux dont on s'entête, on n'en veut pas revenir. Eutychès et ses sectateurs n'osaient dire que Jésus-Christ ne fût pas tout ensemble vrai Dieu et vrai homme : mais éblouis de cette unité mal entendue qu'ils imaginaient en Jésus-Christ, ils voulaient que les deux natures se fussent confondues dans l'union ; et se faisaient un plaisir et un honneur de s'éloigner par ce moyen plus que tous les autres (quoique ce fût jusqu'à l'excès), de l'hérésie de Nestorius qui divisait le Fils de Dieu. Ainsi on s'embrouille, ainsi on s'entête, ainsi les hommes prévenus vont devant eux avec une aveugle détermination, sans vouloir ni pouvoir entendre, comme dit l'Apôtre, « ni ce qu'ils disent eux- mêmes, ni les choses dont ils parlent avec assurance (1) : » c'est ce qui fait tous les opiniâtres; c'est par là que périssent tous les hérétiques.

Nos adversaires se font un objet d'un agrément infini dans la certitude qu'ils veulent avoir de leur salut éternel. N'attendez pas que jamais ils regardent de bonne foi ce qui peut leur ôter cette certitude. S'il ne faut pour la maintenir que dire qu'on est assuré de ne mourir pas dans le crime, encore qu'on y tombât par une malice déterminée, et même qu'on en formât la détestable habitude, ils le diront. S'il faut pousser à toute outrance ce passage de saint Paul : « Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance (2), » et dire que Dieu n'ôte jamais tout à fait ni dans le fond ce qu'il a donné : ils le diront, quoi qu'il en arrive, quelque

 

1 I Tim., I, 7. — 2 Rom., XI, 29.

 

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contradiction qu'on leur montre, quelque inconvénient, quelque affreuse suite qu'on leur fasse voir dans leur doctrine : autrement, outre qu'ils perdraient le plaisir de leur certitude et l'agrément qu'ils ont trouvé dans la nouveauté de ce dogme, il faudrait encore avouer qu'ils auraient tort dans le point qu'ils ont regardé comme le plus essentiel de leur Réforme, et que l'Eglise romaine qu'ils ont blâmée et tant haïe aurait raison.

Mais peut-être que cette certitude qu'ils enseignent n'est autre chose dans le fond que la confiance que nous admettons. Plût à Dieu! Personne ne nie cette confiance : les luthériens la soutenaient; et cependant les calvinistes leur ont dit cent fois qu'il fallait quelque chose de plus. Mais sans sortir du synode, les arminiens admettaient cette confiance ; car sans doute ils n'ont jamais dit qu'un fidèle tombé dans le crime dont il se repent, dût désespérer de son salut. Le synode ne laisse pas de les condamner, parce que contents de cette espérance, ils rejettent la certitude. Les catholiques enfin admettaient cette confiance; et la sainte persévérance, que le concile de Trente veut qu'on reconnaisse comme un « don spécial de Dieu (1); » il veut qu'on l'attende avec confiance de sa bonté infinie : cependant, parce qu'il rejette la certitude absolue, le synode le condamne et accuse les remontrants, qui niaient aussi cette certitude, de retomber par ce moyen dans les doutes du papisme. Si le dogme de la certitude absolue et de l'inamissibilité eût causé autant d'horreur au synode qu'une si affreuse doctrine en doit exciter naturellement dans les esprits, les ministres qui composaient cette assemblée n'auraient pas eu assez de voix pour faire entendre à tout l'univers que les remontrants, que les luthériens, que les catholiques, qui les accusent d'un tel blasphème, les calomnient, et toute l'Europe eût retenti d'un tel désaveu : mais au contraire, loin de se défendre de cette certitude et de cette inamissibilité que les remontrants leur objectaient, ils l'établissent, et condamnent les remontrants pour l'avoir niée. Quand ils se croient calomniés, ils savent bien s'en plaindre. Ils se plaignent, par exemple à la fin de leur synode, de ce que leurs ennemis, et entre autres les remontrants, les accusent « de

 

1 Conc. Trid., sess., VI, can. 15, 16, 22.

 

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faire Dieu auteur du péché ; de lui faire réprouver les hommes sans aucune vue du péché ; de lui faire précipiter les enfants des fidèles dans la damnation, sans que toutes les prières de l'Eglise, ni même le baptême les en puissent retirer (1). » Que ne disent-ils de même qu'on les accuse à tort d'admettre la certitude et l'inamissibilité dont nous parlons? Il est vrai qu'ils disent dans ce même lieu qu'on les accuse « d'inspirer aux hommes une sécurité charnelle, en disant qu'aucun crime ne nuit au salut des élus, et qu'ils peuvent en toute assurance commettre les plus exécrables. » Mais est-ce assez s'expliquer pour des gens à qui l'on demande une réponse précise? Ne leur suffit-il pas, pour s'échapper, d'avoir reconnu des crimes, par exemple, « ce péché à mort et contre le Saint-Esprit, » quel qu'il soit, où les élus et les vrais fidèles ne tombent jamais? Et s'ils voulaient que les autres crimes fussent autant incompatibles avec la vraie foi et l'état de grâce, n'auraient-ils pas pu le dire en termes exprès, au lieu qu'en termes exprès ils décident le contraire?

Concluons donc que des trois articles dans lesquels nous avons fait consister la justification calvinienne (2), les deux premiers, qui étaient déjà insinués dans les confessions de foi (3), c'est-à-dire la certitude absolue de la prédestination et l'impossibilité de déchoir finalement de la foi et de la grâce une fois reçue, sont expressément définis dans le synode de Dordrect; et que le troisième article, qui consiste à savoir si le vrai fidèle pouvait du moins perdre quelque temps, et tant qu'il vivait dans le crime, là grâce justifiante et la vraie foi (4), quoiqu'il ne fût exprimé en aucune confession de foi, est semblablement décidé selon la doctrine de Calvin et l'esprit de la nouvelle Réforme.

On peut encore connaître le sentiment de tout le synode par celui du célèbre Pierre Dumoulin ministre de Paris : c'était assurément de l'aveu de tout le monde, le plus rigoureux calviniste qui fût alors et le plus attaché à la doctrine que Gomar soutenait contre Arminius. Il envoia à Dordrect son jugement sur cette

 

1 Syn. Dord. Concl., sess. CXXXVI, p. 275. —2 Ci-dessus, liv. IX, n. 2, 3 et suiv. — 3 Conf. de foi de Fr., art. 18, 19, 20, 21, 22; Dim., 18, 19, 36. — 4 Ci-dessus, liv. IX, Conf. Belg., art. 24; Syn. Gen., 1 part., p. 139.

 

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matière, qui fut lu et approuvé de tout le synode et inséré dans les actes. Il déclare qu'il n'avait pas eu le loisir de traiter toutes les questions : mais il établit tout le fond de la doctrine du synode, lorsqu'il décide que nul n'est justifié que celui qui est glorifié (1) : par où il condamne les arminiens en ce qu'ils enseignent « qu'il y a des justifiés qui perdent la foi et sont damnés (2). » Et encore plus clairement dans ces paroles (3) : « Quoique le doute du salut entre quelquefois dans l'esprit des vrais fidèles, Dieu commande néanmoins dans sa parole que nous en soyons assurés ; et il faut tendre de toutes ses forces à cette certitude, où il ne faut pas douter que plusieurs n'arrivent ; et quiconque est assuré de son salut, l'est en même temps que Dieu ne l'abandonnera jamais, et ainsi qu'il persévérera jusqu'à la fin. » On ne peut pas plus clairement regarder le doute comme une tentation et une faiblesse, et la certitude comme un sentiment commandé de Dieu. Ainsi le fidèle n'est pas assuré qu'il ne tombera pas dans les plus grands crimes, et qu'il n'y demeurera pas longtemps comme David : mais il ne laisse pas d'être assuré que Dieu « ne l'abandonnera jamais, et qu'il persévérera jusqu'à la fin. » C'est un abrégé du synode : aussi résolut-on dans cette assemblée de rendre grâces à Dumoulin pour le jugement très-exact qu'il avait porté sur cette matière, et pour son consentement avec la doctrine du synode.

Quelques-uns ont voulu douter si la certitude que le synode établit dans chaque fidèle pour son salut particulier est une certitude de foi : mais on cessera de douter, si on remarque que la certitude dont il est parlé est toujours exprimée par le mot de croire, qui dans le synode ne se prend que pour la vraie foi ; joint que cette certitude, selon le même synode, n'est que la foi des promesses appliquées par chaque particulier à soi-même et à son salut éternel, avec le sentiment certain qu'on a dans le cœur de la sincérité de sa foi : de sorte qu'afin qu'il ne manque aucun genre de certitude, on a celle de la foi jointe à celle de l'expérience et du sentiment.

Ceux de tous les opinants qui expliquent le mieux le sentiment du synode, sont les théologiens de la Grande-Bretagne : car après

 

1 Sess. CIII, CIV, p. 289, 300. — 2 Ibid., p. 291. — 3 Ibid., p. 300.

 

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avoir avoué avec tous les autres dans le fidèle une espèce de doute de son salut, mais un doute qui vient toujours de la tentation, ils expliquent très-clairement « qu'après la tentation l'acte par lequel on croit qu'on est regardé de Dieu en miséricorde et qu'on aura infailliblement la vie éternelle, n'est pas un acte d'une opinion douteuse, ni d'une espérance conjecturale où l’on pourrait se tromper, cui falsum subesse potest; mais un acte d'une vraie et vive foi excitée et scellée dans les cœurs par l'esprit d'adoption (1) : » en quoi ces théologiens semblent aller plus avant que la confession anglicane (2), qui paraît avoir voulu éviter de parler si clairement sur la certitude du salut, comme on a vu (3).

Quelques-uns ont voulu penser que ces théologiens anglais n'étaient pas de l'avis commun sur la justice qu'on attribuait aux fidèles tombés dans les grands crimes pendant qu'ils y persévèrent , comme fit David ; et ce qui peut faire douter, c'est que ces docteurs décident formellement « que ces fidèles sont en état de damnation et seraient damnés s'ils mouraient (4) : » d'où il s'ensuit qu'ils sont déchus de la grâce de la justification, du moins pour ce temps. Mais c'est ici de ces endroits où il faut que tous ceux qui sont dans l'erreur tombent nécessairement en contradiction : car ces théologiens se voient contraints par leurs principes erronés à reconnaître d'un côté que les fidèles ainsi plongés dans le crime seraient damnés s'ils mouraient alors ; et de l'autre, « qu'ils ne déchaient pas de l'état de la justification (5). »

Et il ne faut pas se persuader qu'ils confondent ici la justification avec la prédestination : car au contraire, c'est ce qu'ils distinguent très-expressément; et ils disent que ces fidèles plongés dans le crime, non-seulement ne sont pas déchus de leur prédestination, ce qui est vrai de tous les élus, « mais qu'ils ne sont pas déchus de la foi, ni de ce germe céleste de la régénération et des dons fondamentaux sans lesquels la vie spirituelle ne peut subsister (6) ; de sorte qu'il est impossible que les dons de la charité et de la foi s'éteignent tout à fait dans leurs cœurs (7) : ils ne

 

1 Sent. Theol. Mag. Brit., c. de persev. certit. quoad nos, Th., III, p. 218; ibid., Th., IV, p. 219. — 2 Conf. Ang., art. 17; Syn. Gen., I, p. 102.— 3 Ci-dessus, liv. X n. 23. —  4 Sent. Theol. Mag. Brit., c. de persev. certit. quoad nos, Th., III, IV. — 5 Ibid., VII, II, p. 212. —6 Ibid., Th., V, p. 213; IV, p. 214. — 7 Ibid., p. 215.

 

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perdent point tout à fait la foi, la sainteté, l'adoption (1) : ils demeurent dans la justification universelle, qui est la justification très-proprement dite, dont nul crime particulier ne les peut exclure (2) : » ils demeurent dans la justification, « dont le renouvellement intérieur et la sanctification est inséparable (3) ; » en un mot, ce sont des saints qui seraient damnés s'ils mouraient.

On était bien embarrassé, selon ces principes, à bien expliquer ce qui restait dans ces saints plongés dans le crime. Ceux d'Embden demeuraient d'accord que « la foi actuelle n'y pouvait rester, et qu'elle était incompatible avec le consentement aux  péchés griefs. » Ce qui ne se perdait pas, « c'était la foi habituelle, celle, disaient-ils, qui subsiste en l'homme lors qu'il dort, ou qu'il n'agit pas (4) : » mais aussi « cette foi habituelle répandue dans l'homme par la prédication et l'usage des sacrements, est la vraie foi vive et justifiante (5) ; » d'où ils concluaient que le fidèle parmi ces crimes énormes ne perdait « ni la justice, ni le Saint-Esprit : » et lorsqu'on leur demandait s'il n'était pas aussi bon de dire qu'on perdait « la foi et le Saint-Esprit » pour les recouvrer après, que de dire qu'on en perdait seulement « le sentiment et l'énergie, » sans perdre la chose : ils répondaient qu'il ne fallait pas ôter au fidèle la consolation de ne pouvoir jamais perdre « la foi ni le Saint-Esprit en quelque crime qu'il tombât contre sa conscience. Car ce serait, disaient-ils, une froide consolation de lui dire : Vous avez tout à fait perdu la foi et le Saint-Esprit, mais peut-être que Dieu vous adoptera et vous régénérera de nouveau afin que vous lui soyez réconcilié (6). » Ainsi à quelque péché que le fidèle s'abandonne contre sa propre conscience , on lui est si favorable, qu'on ne se contente pas pour le consoler, de lui laisser l'espérance du retour futur à l'état de grâce ; mais il faut qu'il ait encore la consolation d'y être actuellement (7) parmi ses crimes.

Il restait encore la question, savoir ce que faisaient dans les fidèles ainsi livrés au péché la foi et le Saint-Esprit, et s'ils y

 

1 Sent. Theol. Mag. Brit., c. de persev. certit. quoad nos ; Th., VII. — 2 Ibid., Th., VI. — 3 Ibid., p. 214, 218. — 4 Jud. Theol. Embd., de V, art., chap. I. n. 44, 52, p. 266, 267. — 5 Ibid., n. 45; ibid., 270. — 6 Ibid., n. 50, 51.— 7 Ibid., n. 30, p. 265.

 

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étaient tout à fait sans action. On répondait qu'ils n'étaient pas sans action ; et l'effet qu'ils produisaient, par exemple dans David, était qu'il ne péchait pas «tout entier : » Peccavit David, at non totus (1) ; et qu'il y avait un certain péché qu'il ne commettait pas. Que si enfin l'on poussait la chose jusqu'à demander quel était donc « ce péché où l'homme pèche tout entier, » et dans lequel le fidèle ne tombe jamais, on répondait que « ce n'était pas une chute particulière du chrétien en tel et tel crime contre la première ou la seconde table, mais une totale et universelle défection et apostasie de la vérité de l'Evangile, par laquelle l'homme n'offense pas Dieu en partie et à demi, mais par un mépris obstiné il en méprise la majesté toute entière, et s'exclut absolument de la grâce (2). » Ainsi jusqu'à ce qu'on en soit venu à ce mépris obstiné de Dieu et à cette apostasie universelle, on a toujours la consolation «d'être saint, d'être justifié et régénéré» et d'avoir «le Saint-Esprit » habitant en soi.

Ceux de Brême ne s'expliquent pas moins durement, lorsqu'ils disent que « ceux qui sont une fois vraiment régénérés, ne s'égarent jamais assez pour s'écarter tout à fait de Dieu par une apostasie universelle, en sorte qu'ils le haïssent comme un ennemi, qu'ils pèchent comme le diable par une malice affectée, et se privent des biens célestes : c'est pourquoi ils ne perdent jamais absolument la grâce et la faveur de Dieu (3) ; » de sorte qu'on demeure dans cette grâce, bien régénéré, bien justifié, pourvu seulement qu'on ne soit pas un ennemi déclaré de Dieu et aussi méchant qu'un démon.

Ces excès sont si grands que les protestants en ont honte, et qu'il y a eu même quelques catholiques qui n'ont pu se persuader que le synode de Dordrect y fût tombé. Mais enfin voilà historiquement avec les décrets du synode les avis des principaux opinants. Et afin qu'on ne doutât point de tous les autres, outre ce qui est inséré dans les actes du synode, que tout y fut décidé avec un consentement unanime de tous les opinans sans en excepter un seul (4), j'ai expressément rapporté les opinions où ceux qui

 

1 Jud. Theol. Embd., de V art., ch. I, n. 54, p. 267.— 2 Ibid., n. 60, p. 268.— 3 Jud. Brem., de V art., n. 12,13, p. 254, 255.— 4 Sess. CXV, CXXX, et prœf. ad Ecc.

 

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veulent excuser le synode de Dordrect trouvent le plus d'adoucissement.

Outre ces points importants, nous en voyons un quatrième expressément décidé dans ce synode ; et c'est celui de la sainteté de tous les enfants des fidèles. On s'était expliqué différemment sur cet article dans les actes de la nouvelle Réforme (1). Nous avons vu cette sainteté des enfants formellement établie dans le Catéchisme des calvinistes de France, et il est dit expressément que tous les enfants des fidèles sont sanctifiés et naissent dans l'alliance : mais nous avons vu le contraire dans l'accord de ceux de Genève avec les Suisses (2), et la sanctification des petits enfants même baptisés y est restreinte aux seuls prédestinés. Bèze semble avoir suivi cette restriction dans l'Exposition déjà citée (3) : mais le synode de Dordrect prononce en faveur de la sainteté de tous les enfants des fidèles, et ne permet pas aux parents de douter de leur salut (4) ; article dont nous avons vu qu'il suit plus clair que le jour, selon les principes du synode, que tous les enfants des fidèles et tous les descendants de ces enfants jusqu'à la consommation des siècles, si leur race dure autant, sont du nombre des prédestinés.

Si toutes ces décisions, qui paraissent si authentiques, font un fondement si certain dans la nouvelle Réforme, qu'on soit privé du salut et retranché de l'Eglise en les rejetant, c'est ce que nous avons à examiner en expliquant la procédure du concile.

La première chose que j'y remarque, c'est une requête des remontrants, où ils exposent au synode qu'ils ont été condamnés, traités d'hérétiques et excommuniés par les contre-remontrants, leurs collègues et leurs parties ; qu'ils sont pasteurs comme les autres, et qu'ainsi naturellement ils devraient avoir séance dans le synode avec eux : que si on les en exclut comme parties dans le procès, leurs parties doivent être exclues aussi bien qu'eux ; autrement qu'ils seraient ensemble juges et parties, qui est la chose du monde la plus inique (3).

C'était visiblement les mêmes raisons pour lesquelles tous les

 

1 Ci-dessus, liv. IX, n. 10, 11, 12, 19. — 2 Ibid., n. 20, 21. — 3 Expos. de la Foi, chap. IV, Conc. XIII, p. 80.— 4 Sess. XXXVI, cap. de prœdest., art. 17; ci-dessus, n. 37. — 5 Sess. XXV, p. 65 et seq.

 

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protestants avaient récusé le concile des catholiques, pour lesquelles les zuingliens en particulier s'étaient élevés contre le synode des ubiquitaires, qui les avait condamnés à Iène, comme on a vu (1). Les remontrants ne manquaient pas de se servir de ces exemples. Ils produisaient principalement les griefs contre le concile de Trente, où les protestants avaient dit : « Nous voulons un concile libre, un concile où nous soyons avec les autres, un concile qui n'ait pas pris parti, un concile qui ne nous tienne pas pour hérétiques : autrement nous serions jugés par nos parties (2). » Nous avons vu que Calvin et les calvinistes avaient allégué les mêmes raisons contre le synode de Iène. Les remontrants se trouvaient dans le même état, quand ils voyaient François Gomar et ses adhérents assis dans le synode au rang de leurs juges, et se voyaient cependant exclus et traités comme coupables : c'était préjuger contre eux avant l'examen de la cause ; et ces raisons leur paraissaient d'autant plus convaincantes, que c'était visiblement celles de leurs pères contre le concile de Trente, comme ils le faisaient voir par leur requête (3).

Après qu'on eut lu cette requête (4), on leur déclara « que le synode trouvait fort étrange que les accusés voulussent faire la loi à leurs juges, et leur prescrire des règles; et que c'était faire injure non-seulement au synode, mais encore aux Etats-Généraux qui les avaient convoqués, et qui leur avaient commis le jugement; qu'ainsi ils n'avaient qu'à obéir (5). »

C'était leur fermer la bouche par l'autorité du Souverain ; mais ce n'était pas satisfaire à leurs raisons, ni aux exemples de leurs pères, lorsqu'ils avaient décliné le jugement du concile de Trente. Aussi n'entra-t-on guère dans cet examen : les délégués des Etats, qui assistaient au synode avec toute l'autorité de leurs supérieurs, jugèrent que les remontrants n'étaient pas recevables dans leurs demandes (6), et leur ordonnèrent d'obéir à ce qui serait réglé par le synode, qui de son côté déclara leurs propositions insolentes, et la récusation qu'ils faisaient de tout le synode comme étant partie

 

1 Ci-dessus, liv. VIII, n. 42. — 2 Ibid., p. 70 81. — 3 Syn. Dord., ibid., p. 70, 71, 72, etc., 81, etc. — 4 Ibid., p. 80. — 5 Sess., XXVI, p. 82, 83. — 6 Ibid., p. 81.

 

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dans le procès, injurieuse non-seulement au synode même, mais encore à la suprême autorité des Etats-Généraux.

Les remontrants condamnés changèrent leurs requêtes en protestation contre le synode. On délibéra dessus (1); et comme les raisons qu'ils alléguaient étaient les mêmes dont les protestants s'étaient servis pour éluder l'autorité des évêques catholiques, les réponses qu'on leur fit étaient les mêmes que les catholiques avaient employées contre les protestants. On leur disait que ce n'avait jamais été la coutume de l'Eglise de priver les pasteurs du droit de suffrage contre les erreurs pour s'y être opposés : que ce serait leur ôter le droit de leur charge pour s'en être fidèlement acquittés, et renverser tout l'ordre des jugements ecclésiastiques : que par les mêmes raisons les ariens, les nestoriens et les eutychiens auraient pu récuser toute l'Eglise, et ne se laisser aucun juge parmi les chrétiens : que ce serait le moyen de fermer la bouche aux pasteurs, et de donner aux hérésies un cours entièrement libre. Après tout, quels juges voulaient-ils avoir? Où trouverait-on dans le corps des pasteurs ces gens neutres et indifférents qui n'auraient pris aucune part aux questions de la foi et aux affaires de l'Eglise (2)? Ces raisons ne souffraient point de réplique : mais par malheur pour nos réformés, c'était celles qu'on leur avait opposées lorsqu'ils déclinèrent le jugement des évêques qu'ils trouvaient en place au temps de leur séparation.

Ce qu'on disait de plus fort contre les remontrants, « c'est qu'ils étaient des novateurs, » et qu'ils étaient « la partie la plus petite aussi bien que la plus nouvelle, » qui de voit par conséquent être jugée « par la plus grande, par la plus ancienne, par celle qui était en possession et qui soutenait la doctrine reçue jusqu'alors (3). » Mais c'est par là que les catholiques devaient le plus l'emporter ; car enfin quelle antiquité l'église belgique réformée alléguait-elle aux remontrants? Nous ne voulons pas, disait-elle, laisser affaiblir la doctrine que nous avons toujours soutenue depuis cinquante ans (4); car ils ne remontaient pas plus haut. Si cinquante ans donnaient à l'église qui se disait réformée tant de

 

1 Sess., XXVII, p. 93. — 2 Ibid., n. 83, 87, 97, 98, 100, 104, 106. — 3 P. 97, 103, etc. — 4 Prœf. ad Ecc, ont. Syn. Dord.

 

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droit contre les arminiens nouvellement sortis de son sein, quelle devait être l'autorité de toute l'Eglise catholique fondée depuis tant de siècles?

Parmi toutes ces réponses qu'on faisait aux remontrants sur leurs protestations, ce qu'on passait le plus légèrement, c'était la comparaison qu'ils faisaient de leurs exceptions contre le synode de Dordrect avec celles des réformés contre les conciles des catholiques et ceux des luthériens. Les uns disaient « qu'il y avait grande différence entre les conciles des papistes et des luthériens, et celui-ci. Là on écoute des hommes, le Pape et Luther ; ici on écoute Dieu. Là on apporte des préjugés ; et ici il n'y a personne qui ne soit prêt à céder à la parole de Dieu. Là on a des ennemis en teste; et ici on n'a d'affaire qu'avec ses frères. Là tout est contraint; ici tout est libre (1). » C'était résoudre la question par ce qui en faisait la difficulté. Il s'agissait de savoir si les gomaristes ne venaient pas avec leurs préjugés dans le synode ; il s'agissait de savoir si c'était des ennemis ou des frères ; il s'agissait de savoir qui avait le cœur plus docile pour la vérité et la parole de Dieu ; si c'était les protestants en général plutôt que les catholiques, les disciples de Zuingle plutôt que ceux de Luther, et les gomaristes plutôt que les arminiens. Et pour ce qui est de la liberté, l'autorité des Etats qui intervenait partout, et qu'aussi on avait toujours à la bouche dans le synode (2), celle du prince d'Orange ennemi déclaré des arminiens, l'emprisonnement de Grotius et des autres chefs du parti, et enfin le supplice de Barneveld, font assez voir comment on était libre en Hollande sur cette matière.

Les députés de Genève tranchent plus court; et sans s'arrêter aux luthériens, à qui aussi quatre ans qu'ils avaient au-dessus des zuingliens ne pouvaient pas attribuer l'autorité de les juger, ils répondaient à l'égard des catholiques (3) : « Il a été libre à nos pères de protester contre les conciles de Constance et de Trente, parce que nous ne voulons avoir aucune sorte d'union avec eux; au contraire nous les méprisons et les haïssons : de tout temps ceux qui déclinaient l'autorité des conciles se séparaient de leur

 

1 Pag. 99. — 2 Sess. XXV, p. 80; sess. XXVI, p. 81, 82, 83, etc. — 3 Ibid., p. 103.

 

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communion. » Voilà toute leur réponse; et ces bons théologiens n'auraient rien eu à opposer au déclinatoire des arminiens, s'ils avaient rompu avec les églises de Hollande, et qu'ils les eussent haïes et méprisées ouvertement.

Selon cette réponse, les luthériens n'avaient que faire de se mettre tant en peine de ramasser des griefs contre le concile de Trente, ni de discuter qui était partie ou qui ne l'était pas dans cette cause. Pour décliner l'autorité du concile où les catholiques les appelaient, ils n'avaient qu'à dire sans tant de façon : Nous voulons rompre avec vous, nous vous méprisons, nous vous haïssons et nous n'avons que faire de votre concile. Mais l'édification publique et le nom même de chrétien ne souffrait pas une telle réponse. Aussi n'est-ce pas ainsi que répondirent les luthériens : au contraire ils déclarèrent, et même à Augsbourg dans leur propre Confession, qu'ils en appelaient au concile, et même au concile que le Pape assemblerait (1). Il y a une semblable déclaration dans la Confession de Strasbourg (2) ; ainsi les deux partis protestants étaient d'accord en ce point. Ils ne voulaient donc pas rompre avec nous : ils ne nous haïssaient pas; ils ne nous méprisaient pas tant que le disent ceux de Genève. S'il est donc vrai, selon eux, que les remontrants devaient se soumettre au concile de la Réforme, parce qu'ils ne voulaient pas rompre, les protestants, qui témoignaient ne vouloir non plus se séparer de l'Eglise catholique, devaient se soumettre à son concile.

Il ne faut pas oublier une réponse que fit tout un synode de la province de Hollande au déclinatoire des remontrants : c'est le synode tenu à Delpht un peu avant celui de Dordrect (3). Les remontrants objectaient que le synode qu'on voulait assembler contre eux ne serait pas infaillible comme l'étaient les apôtres, et ainsi ne les lierait pas dans leur conscience. Il fallait bien avouer cela, ou nier tous les principes de la Réforme : mais après l'avoir avoué, ceux de Delpht ajoutent ces mots : « Jésus-Christ qui a promis aux apôtres l'esprit de vérité dont les lumières les conduiraient en toute vérité (4), a aussi promis à son Eglise d'être avec elle

 

1 Ci-dessus, liv. III, n. 62. — 2 Conf. Argen., peror.; Synt. Gen., I part., p. 199. — 3 24 octobre 1618. — 5 Syn. Delph., int. Act. Dord., sess. XXVI, p. 86.

 

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jusqu'à la fin des siècles (1), et de se trouver au milieu de deux ou trois qui s'assembleraient en son nom (2) ; » d'où ils concluaient un peu après « que lorsqu'il s'assemblerait de plusieurs pays clés pasteurs pour décider selon la parole de Dieu ce qu'il faudrait enseigner dans les églises , il fallait avec une ferme confiance se persuader que Jésus-Christ serait avec eux selon sa promesse. »

Les voilà donc enfin obligés à reconnaître deux promesses de Jésus-Christ pour assister aux jugements de son Eglise. Or les catholiques n'ont jamais eu d'autre fondement pour croire l'Eglise infaillible. Ils se servent du premier passage pour montrer qu'il est toujours avec elle considérée dans son tout. Ils se servent du second pour faire voir qu'on devrait tenir pour certain qu'il serait au milieu de deux ou de trois, si on était assuré qu'ils fussent vraiment assemblés au nom de Jésus-Christ. Or ce qui est douteux de deux ou trois qui se seraient assemblés en particulier, est certain à l'égard de toute l'Eglise lorsqu'elle est assemblée en corps : on doit donc alors tenir pour certain que Jésus-Christ y est par son esprit, et ainsi que ses jugements sont infaillibles; ou qu'on nous dise quel autre usage on peut faire de ces promesses dans le cas où les applique le synode de Delpht.

Il est vrai que c'est dans le corps de l'Eglise universelle et de son concile œcuménique qu'on trouve l'accomplissement assuré de ces promesses. C'était aussi à un tel concile que les remontrants avaient appelé. On leur avait répondu « qu'il était douteux si et quand on pourrait convoquer ce concile œcuménique ; qu'en attendant le national convoqué par les Etats serait comme œcuménique et général, puis qu'il serait composé des députés de toutes les églises réformées ; que s'ils se trouvaient grevés par ce synode national, il leur serait libre d'en appeler au concile œcuménique, pourvu qu'en attendant ils obéissent au concile national (3). »

La réflexion qu'il faut faire ici, est que parler de concile œcuménique, c'était parmi les nouveaux réformés un reste du langage de l'Eglise. Car que voulait dire ce mot dans ces nouvelles églises? Elles n'osaient pas dire que les députés de toutes les églises réformées fussent un concile œcuménique représentant

 

1 Matth., XXVIII, 20. — 2 Matth., XVIII, 20. —3 Prœf. ad Ecc., ant. Syn. Dor.

 

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l'Eglise universelle. C'était, disait-on, non pas un concile œcuménique , mais « comme un concile œcuménique. » De quoi donc devait être composé un vrai concile œcuménique? Y fallait-il avec eux les luthériens, qui les avaient excommuniés? ou les catholiques? ou enfin quelles autres églises? C'est ce que les calvinistes ne savaient pas ; et en l'état où ils s'étaient mis en rompant avec tout le reste des chrétiens, ce grand nom de Concile œcuménique, si vénérable parmi les chrétiens, n'était plus pour eux qu'un nom en l'air, auquel il ne répondait aucune idée dans leur esprit.

La dernière observation que j'ai à faire pour la procédure regarde les confessions de foi et les catéchismes reçus dans les Provinces-Unies. Les synodes provinciaux obligèrent les remontrants à y souscrire : ceux-ci le refusèrent absolument, parce qu'ils crurent qu'il y avait des principes d'où suivait assez clairement la condamnation de leur doctrine. On les avait traités d'hérétiques et de schismatiques sur ce refus ; et néanmoins on était d'accord dans les synodes provinciaux (1); et il fut expressément déclaré dans le synode de Dordrect que ces confessions de foi, loin de passer pour une règle certaine, pouvaient être examinées de nouveau : de sorte qu'on obligeait les remontrants à souscrire à une doctrine de foi, même sans y croire.

Nous avons déjà observé ce qui est marqué dans les actes, que les canons du synode contre les remontrants furent établis avec un consentement unanime de tous les opinants, « sans en excepter un seul (2). » Les prétendus réformés de France n'avaient pas eu permission de se trouver à Dordrect, quoiqu'ils y fussent invités ; mais ils en reçurent les décisions dans leurs synodes nationaux, et entre autres dans celui de Charenton en 1620, où l'on en traduisit en français tous les canons ; et la souscription en fut ordonnée avec serment en cette forme : « Je reçois, approuve et embrasse toute la doctrine enseignée au synode de Dordrect comme entièrement conforme à la parole de Dieu et confession de foi de nos églises : la doctrine des arminiens fait dépendre l'élection de Dieu

 

1 Syn. Delph., in Act. Dord., sess. XXV, p. 91; sess. XXXII, p. 123. — 2 Sess. CXXV, CXXX, Prœf. ad Eccl.

 

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de la volonté des hommes, ramène le paganisme, déguise le papisme, et renverse toute la certitude du salut (1). » Ces derniers mots font connaître ce qu'on jugeait de plus important dans les décisions de Dordrect ; et la certitude du salut y paraît comme un des caractères des plus essentiels du calvinisme.

Encore tout nouvellement la première chose qu'on a exigée des ministres de ce royaume réfugiés en Hollande dans ces dernières affaires de la religion, a été de souscrire aux actes du synode de Dordrect ; et tant de concours, tant de serments, tant d'actes réitérés semblent faire voir qu'il n'y a rien de plus authentique dans tout ce parti.

Le décret même du synode montre l'importance de cette décision, puisque les remontrants y sont privés du ministère, de leurs chaires de professeurs en théologie et de toutes autres fonctions tant ecclésiastiques qu'académiques, jusqu'à ce qu'ayant satisfait à l'Eglise, ils lui soient pleinement réconciliés et reçus à sa communion (2) : » ce qui montre qu'ils étaient traités d'excommuniés, et que la sentence d'excommunication portée contre eux dans les églises et synodes particuliers était confirmée ; après quoi le synode supplie les Etats de ne souffrir pas qu'on enseigne « une autre doctrine que celle qui venait d'être définie, et d'empêcher les hérésies et les erreurs qui s'élevaient; » ce qui regarde manifestement les articles des arminiens, qu'on avait qualifiés « d'erronés et de sources d'erreurs cachées. »

Toutes ces choses pourraient faire voir qu'on a regardé ces articles comme fort essentiels à la religion. Cependant M. Jurieu nous apprend bien le contraire : car après avoir supposé « que l'Eglise romaine du temps du concile de Trente, était du moins dans les sentiments des Arminiens, » il poursuit ainsi : « Si elle n'eût point eu d'autres erreurs, nous eussions très-mal fait de nous en séparer : il eût fallu tolérer cela pour le bien de la paix, parce que c'est une Eglise dont nous faisions partie, et qui ne s'était pas confédérée pour soutenir la grâce selon la théologie de saint Augustin, etc. (3). » Et c'est aussi ce qui lui fait conclure, que

 

1 Syn. de Char., cap. XXIII. — 2 Sent. Syn. de Remonst., sess. CXXXVIII, p. 280. — 3 Syst. de l'Egl., lib. II, cap. III, p. 255.

 

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ce qui fait « qu'on a retranché les remontrants de la communion, c'est parce qu'ils n'ont pas voulu se soumettre à une doctrine premièrement que nous croyons conforme à la parole de Dieu ; secondement , que nous nous étions obligés par une confession confédérée de soutenir et de défendre contre le pélagianisme de l'Eglise romaine (1). »

Sans lui avouer ses principes, ni ce qu'il dit de l'Eglise romaine, il me suffit d'exposer ses sentiments, qui lui font dire dans un autre endroit, que « les églises de la confession des Suisses et de Genève retrancheraient de leur communion un semi-pélagien et un homme qui soutiendrait les erreurs des remontrants ; mais que ce ne serait pourtant pas leur dessein de déclarer cet homme damné, comme si le semi-pélagianisme damnait (2). » Il demeure donc bien établi, par le sentiment de ce ministre, que la doctrine des remontrants peut bien exclure quelqu'un de la confédération particulière des églises prétendues réformées; mais non pas en général de la société des enfants de Dieu ; ce qui montre que ces articles ne sont pas de ceux qu'on appelle fondamentaux.

Enfin le même docteur, dans le Jugement sur les méthodes, où il travaille à la réunion des luthériens avec ceux de sa communion, reconnaît, que « pour arrêter un torrent de pélagianisme qui allait monder les Pays-Bas, le synode de Dordrect a dû opposer la méthode la plus rigide et la plus exacte à ce relâchement pélagien (3). » Il ajoute que dans cette vue « il a pu imposer à son parti la nécessité de soutenir la méthode de saint Augustin, et obliger non tous les membres de sa société, mais au moins tous ses docteurs, prédicateurs, et autres gens qui se mêlent d'enseigner, sans pourtant obliger à la même chose les autres églises et les autres communions. » D'où il résulte que le synode, loin d'obliger tous les chrétiens à ses dogmes, ne prétend pas même y obliger tous ses membres, mais seulement ses prédicateurs et ses docteurs : ce qui montre ce que c'est au fond que ces graves décisions de la nouvelle Réforme, où après avoir tant vanté l'expresse parole de Dieu, tout aboutit enfin à obliger les docteurs à enseigner

 

1 Syst. de l'Egl., lib. II, cap. X, p. 305. — 2 Ibid.,  cap. III, p. 249. — 3 Jug. sur les méth., sect. 18, p. 159; 160.

 

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d'un commun accord une doctrine que les particuliers ne sont obligés ni de croire ni de professer.

Et il ne faut pas répondre que c'est ici de ces dogmes qui ne doivent pas venir à la connaissance du peuple : car outre que tous les dogmes révélés de Dieu sont faits pour le peuple comme pour les autres, et qu'il y a certains cas où il n'est pas permis de les ignorer, celui qui fut défini à Dordrect devait être plus que tous les autres un dogme très-populaire, puisqu'il s'agissait principalement de la certitude que chacun devait avoir de son salut : dogme où l'on mettait dans le calvinisme le principal fondement de la religion chrétienne (1).

Tout le reste des décisions de Dordrect aboutissant, comme on a vu, à ce dogme de la certitude, il n'était pas question de spéculations oiseuses, mais de la pratique qu'on jugeait la plus nécessaire et la plus intime de la religion ; et néanmoins M. Jurieu nous a parlé de cette doctrine, non tant comme d'un dogme principal, que comme d'une méthode qu'on a été obligé de suivre ; et non pas comme étant la plus certaine, mais comme étant la plus rigide. Pour arrêter, disait-il, ce torrent de pélagianisme, il a fallu lui opposer la méthode la plus rigide et la plus exacte, et décider, ajoute-t-il, beaucoup de choses au préjudice de la liberté, qui a toujours été de disputer pour et contre entre les réformés (2) : » comme si c'était ici une affaire de politique, ou qu'il y eût autre chose à considérer dans les décisions de l'Eglise, que la pure vérité révélée de Dieu clairement et expressément par sa parole, sur laquelle aussi, après qu'elle a été bien reconnue, il n'est plus permis de biaiser.

Mais ce qu'enseigne le même ministre en un autre endroit est encore bien plus surprenant, puisqu'il déclare aux arminiens, que ce n'est point proprement l'arminianisme, mais le socinianisme qu'on rejette en eux. « Ces messieurs les remontrants, dit-il (3), ne se doivent pas étonner que nous offrions la paix aux sectes qui paraissent être dans les mêmes sentiments qu'eux à l'égard du synode de Dordrect, et que nous ne la leur présentions pas. Leur

 

1 Ci-dessus, n.  6. — 2 Jug. sur les méth., sect. 18, p. 59. — 3 Ibid., sect. 16, p. 137.

 

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semi-socinianisme fera toujours une muraille de séparation entre eux et nous. » Voilà donc ce qui fait la séparation. C'est « qu'aujourd'hui, poursuit-il, le socianisme est entre eux dans les lieux les plus élevés. » On voit bien que sans cet obstacle on pourrait s'unir avec les arminiens, sans s'embarrasser de ce torrent de pélagianisme dont ils inondaient les Pays-Bas, ni des décisions de Dordrect, ni même de la confédération de tout le calvinisme pour les prétendus sentiments de saint Augustin.

M. Jurieu n'est pas le seul qui nous a révélé ce secret du parti. Le ministre Mathieu Bochart nous avait appris avant lui que « si les remontrants n'eussent différé du reste des calvinistes que dans les cinq points décidés dans le synode de Dordrect, l'affaire eût pu s'accommoder (1) : » ce qu'il confirme par le sentiment des autres docteurs de la secte (2), et par celui du synode même (3).

Il est vrai qu'il dit en même temps qu'encore qu'on fût disposé à tolérer dans les particuliers paisibles et modestes les sentiments opposés à ceux du synode, on n'eût pas pu les souffrir dans les ministres, qui doivent être mieux instruits que les autres : mais c'en est toujours assez pour faire voir que ces décisions qu'on opposait an pélagianisme (4), quoique faites par le synode avec un si grand appareil et avec tant de fréquentes déclarations qu'on n'y suivait autre chose que la pure et expresse parole de Dieu, ne sont pas fort essentielles au christianisme; et ce qui est plus étonnant, qu'on répute pour gens modestes des particuliers, qui après avoir connu la décision de tous les docteurs, et comme parle M. Bochart, « de toutes les églises du parti autant qu'il y en a dans l'Europe (5), » croient encore pouvoir mieux entendre la saine doctrine, non seulement que chacune d'elles en particulier, mais encore qu'elles toutes ensemble.

Il est même très-assuré que les docteurs dans lesquels on ne voulait point tolérer les sentiments opposés à ceux du synode, se sont ouvertement relâchés sur ce sujet. Les ministres qui ont écrit dans les derniers temps, et entre autres M. de Beaulieu, que nous avons vu à Sedan un des plus savants et des plus pacifiques de

 

1 Diallact., cap. VIII, p. 126, etc. — 2 Ibid., 130. — 3 Ibid., 127. — 4 Ibid., 126 et seq. — 5 Ibid., 127.

 

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tous les ministres, adoucissent le plus qu'ils peuvent le dogme de l'inamissibilité de la justice, et même celui de la certitude du salut (1) : et deux raisons les y portent : la première est l'éloignement qu'en ont eu les luthériens, à qui ils veulent s'unir à quelque prix que ce soit ; la seconde est l'absurdité et l'impiété qu'on découvre dans ces dogmes, pour peu qu'ils soient pénétrés. Les docteurs peuvent bien s'y accoutumer en conséquence des faux principes dont ils sont imbus ; mais les gens simples et de bonne foi ne croiront pas aisément que chacun pour être fidèle doive s'assurer qu'il n'a point à craindre la damnation, dans quelque crime qu'il se plonge; encore moins qu'il soit assuré d'y conserver la sainteté et la grâce.

Toutes les fois que nos réformés désavouent ces dogmes impies, louons-en Dieu; et sans disputer davantage, prions-les seulement de considérer que le Saint-Esprit ne pouvait pas être en ceux qui les ont enseignés, et qui ont fait consister une grande partie de la Réforme dans de si indignes idées de la justice chrétienne.

Il résulte néanmoins de là qu'après tout ce grand synode a été inutile, et qu'il ne guérit ni les peuples, ni les pasteurs mêmes pour qui principalement il a été fait, puisque ce qu'on appelle pélagianisme dans la Réforme, qui est ce que le synode a voulu détruire, demeure en son entier : car je demande qui est guéri de ce mal? Ce n'est pas déjà ceux qui n'en croient pas le synode; et ce n'est non plus ceux qui le croient : car, par exemple, M. Jurieu, qui est de ce dernier nombre et qui paraît demeurer si ferme dans la confédération, comme il l'appelle, des églises calviniennes contre le pélagianisme, au fond ne l'improuve pas, puisqu'il soutient, comme on a vu (2), qu'il n'est pas contraire à la piété. Il ressemble à ces sociniens, qui interrogés s'ils croient la divinité éternelle du Fils de Dieu, répondent bien qu'ils la croient : mais si on les pousse plus loin, ils disent que la croyance contraire au fond n'est pas opposée à la piété et à la vraie foi. Ceux-là sont vrais ennemis de la divinité du Fils de Dieu, puisqu'ils en tiennent le

 

1 Thes. De art. just., part. II, Th. XLII, XLIII; item., Th. An homo solis nat. virib., etc., coroll. 2, 3, 4, 5, 6, etc. — 3 Ci-dessus, n. 83, 84, 87.

 

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dogme pour indifférent : M. Jurieu est pélagien et ennemi de la grâce dans le même sens.

En effet quel est le but de cette parole : « Dans les exhortations il faut nécessairement parler à la pélagienne? » Ce n'est pas là le discours d'un théologien, puisque si le pélagianisme est une hérésie, et une hérésie qui rende inutile la croix de Jésus-Christ, comme on l'a tant prêché même dans la Réforme (1), il en faut être éloigné jusqu'à l'infini dans l'exhortation, loin d'y en conserver la moindre teinture.

Ce ministre ne s'entend pas mieux lorsqu'il excuse les pélagiens ou les semi-pélagiens de la Confession d'Augsbourg avec les arminiens qui en suivent les sentiments, sous prétexte que « pendant qu'ils sont semi-pélagiens de parole et pour l'esprit, ils sont disciples de saint Augustin pour le cœur (2); » car ne sait-il pas que l'esprit gâté a bientôt corrompu le cœur ? On est trop attaché à l'erreur, quand on ne se réveille pas lors même que la vérité nous est présentée, principalement par un synode de toute la communion dont on est.

Quand donc M. Jurieu dit d'un côté que le pélagianisme ne damne pas (3), et que de l'autre on ne « rendra jamais de vrais chrétiens et de vrais dévots, pélagiens et semi-pélagiens (4), tout subtil théologien qu'il est, il ne pouvait pas montrer plus clairement qu'il ne songe pas à ce qu'il dit, et qu'en voulant tout sauver on perd tout.

Il croit aussi avoir évité ces excès de faire Dieu auteur du péché, où il prétend qu'on ne tombe plus dans son parti depuis cent ans (5) et il y retombe lui-même dans le même livre où il prétend montrer qu'on les évite. Car enfin tant qu'on ôtera au genre humain la liberté de son choix, et qu'on croira que le libre arbitre subsiste avec une entière et inévitable nécessité, il sera toujours véritable que ni les hommes ni les anges prévaricateurs n'ont pas pu ne pas pécher; et qu'ainsi les péchés où ils sont tombés sont une suite nécessaire des dispositions où leur Créateur les a mis. Or M. Jurieu est de ceux qui laissent en leur entier cette inévitable

 

1 Meth., sect. 16, p. 131. — 2 Meth., sect. 14, p. 113, 114. — 3 Ci-dessus, q. 83, 84, 87. — 4 Meth., sect. 15, p. 113, 121. —5 Ci-dessus, n. 4.

 

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nécessité, lorsqu'il dit que nous ne savons de notre âme, sinon qu'elle pense, et qu'on ne peut pas définir ce qu'il faut pour être libre (1). Il avoue donc qu'il ignore si ce n'est point cette inévitable et fatale nécessité qui nous entraîne au mal comme au bien, et il se replonge dans tous les excès des premiers réformateurs, dont il se vante qu'on est sorti depuis un siècle.

Pour éviter ces terribles inconvénients, il faut du moins savoir croire, si on n'est pas parvenu jusqu'à l'entendre, qu'on ne peut admettre sans blasphème et sans faire Dieu auteur du péché, cette invincible nécessité que les remontrants ont reprochée aux prétendus réformateurs, et dont le synode de Dordrect ne les a pas justifiés.

Et en effet, je remarque qu'on ne dit rien dans tout le synode contre ces damnables excès. On a voulu épargner les réformateurs, et sauver d'un blâme éternel les commandements de la Réforme.

Mais du moins il ne fallait pas ménager les remontrants, qui opposaient aux excès des réformateurs des excès qui n'étaient pas moins criminels.

On imprima en Hollande en 1618, un peu devant le synode, un livre avec ce titre : Etat des controverses des Pays-Bas, où l'on fait voir que c'était la doctrine des remontrants : Qu'il pouvait survenir à Dieu quelques accidents; qu'il était capable de changement; que sa prescience sur les événements particuliers n'était pas certaine; qu'il agissait par discours et par conjecture en tirant comme nous une chose de l'autre (2) : et d'autres erreurs infinies de cette nature, où l'on prenait le parti de ces philosophes, qui de peur de blesser notre liberté, ôtaient à Dieu sa prescience. On faisait voir qu'ils s'égaraient jusqu'à faire Dieu corporel, jusqu'à lui donner trois essences, et le reste qu'on peut apprendre de ce livre qui est très-net et très-court. Ce livre fut composé pour préparer au synode qu'on allait tenir, la matière de ses délibérations: mais on n'y parla point de toutes ces choses, ni de beaucoup d'autres aussi essentielles que les remontrants remuaient. On fut seulement soigneux de conserver les articles qui étaient particuliers

 

1 Meth., sect. 15, 129, 130.— 2 Specim. Controv. Belg., ex offic. Elzev., p. 2, 4, 7, etc.

 

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au calvinisme, et on eut plus de zèle pour ces opinions que pour les principes essentiels du christianisme.

Les complaisances que nous avons vu qu'on avait pour les luthériens n'en obtenaient rien pour l'union, et ils persistaient à tenir tout le parti des sacramentaires pour excommunié. Enfin les prétendus réformés de France, dans leur synode national de Charenton, firent ce décret mémorable, où ils déclarent «que les Allemands et autres suivant la Confession d'Augsbourg, attendu que les églises de la Confession d'Augsbourg conviennent avec les autres réformées aux principes et points fondamentaux de la vraie religion , et qu'il n'y a en leur culte ni idolâtrie, ni superstition, pourront, sans faire abjuration , être reçus à la sainte table, à contracter mariage avec les fidèles de notre confession, et à présenter comme parrains des enfants au baptême, en promettant au consistoire qu'ils ne les solliciteront jamais à contrevenir directement ou indirectement à la doctrine reçue et professée en nos églises, mais se contenteront de les instruire dans les principes desquels nous convenons tous. »

En conséquence de ce décret il a fallu dire que la doctrine de la présence réelle prise en elle-même « n'a aucun venin : » qu'elle n'est pas contraire « à la piété ni à l'honneur de Dieu, ni au bien des hommes : qu'encore que l'opinion des luthériens sur l'Eucharistie induise aussi bien que celle de Rome la destruction de l'humanité de Jésus-Christ, cette suite néanmoins ne leur peut être mise sus sans calomnie, vu qu'ils la rejettent formellement (1) : » de sorte qu'il demeure pour constant qu'en matière de religion il ne faut plus faire le procès à personne sur ce qu'on tire de sa doctrine, quelque claire que paroisse la conséquence, mais sur ce qu'il avoue en termes formels.

Jamais les sacramentaires n'avaient fait de si grande avance envers les luthériens. La nouveauté de ce décret ne consiste pas à dire que la présence réelle et les autres dont on dispute entre les deux partis, ne regardent pas les fondements du salut; car il faut demeurer d'accord de bonne foi que dès le temps de la conférence de Marpourg (2) c'est-à-dire dès l'an 1529, les zuingliens offrirent

 

1 Daillé, Apol., cap. VII, p. 43 ; id. Lettre à Mongl.— 2 Ci-dessus, liv. II, n. 45.

 

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aux luthériens de les tenir pour frères malgré leur doctrine de la présence réelle ; et dès lors ils ne croyaient pas qu'elle fût fondamentale : mais ils voulaient que la fraternité fût mutuelle et également reconnue de part et d'autre ; ce qui leur étant refusé par Luther, ils demeurèrent de leur côté sans tenir pour frères ceux qui ne voulaient pas prononcer le même jugement en leur faveur : au lieu que dans le synode de Charenton ce sont les sacramentaires seuls qui reconnaissent pour frères les luthériens, encore qu'ils en soient tenus pour excommuniés.

La date de ce décret de Charenton est mémorable : il fut fait en 1631. Le grand Gustave foudroyait en Allemagne, et à ce coup on crut dans toute la Réforme que Rome même allait devenir sujette au luthéranisme. Dieu en avait décidé autrement : l'année d'après, ce roi victorieux fut tué dans la bataille de Lutzen, et il fallut rétracter tout ce qu'on en avait vu dans les prophéties.

Cependant le décret était fait, et les catholiques remarquaient le plus grand changement qu'on pût jamais voir dans la doctrine des prétendus réformés.

Premièrement toute l'horreur qu'on avait inspirée au peuple contre la doctrine de la présence réelle, a paru manifestement injuste et calomnieuse. Les docteurs en diront ce qu'il leur plaira : c'était principalement à la présence réelle que l'aversion des peuples était attachée. On leur avait représenté cette doctrine, non-seulement comme charnelle et grossière, mais encore comme brutale et pleine de barbarie, par laquelle on devenait des Cyclopes, des mangeurs de chair humaine et de sang humain, des parricides qui mangeaient leur père et leur Dieu. Mais maintenant, depuis le décret de ce synode, il demeure pour constant que toutes ces exagérations, dont on avait longtemps fasciné les simples, sont calomnieuses ; et la doctrine qu'on faisait passer pour si impie et si inhumaine n'a plus rien de contraire à la piété.

Dès là même elle devient très-croyable, et même très-nécessaire ; car ce qui obligeait le plus à détourner le sens de ces paroles : « Si vous ne mangez ma chair et si vous ne buvez mon sang (1), » et encore de celles-ci : « Mangez, ceci est mon corps; buvez, ceci

 

1 Joan., VI, 54.

 

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est mon sang (1), » à des sens spirituels et métaphoriques, c'est qu'elles semblaient induire au crime, en obligeant de manger de la chair humaine et de boire du sang humain : de sorte que c'était le cas d'interpréter spirituellement, selon la règle de saint Augustin, ce qui paraissait porter au mal. Mais maintenant cette raison n'a plus même la moindre apparence; tout ce crime imaginaire s'est évanoui, et rien n'empêche qu'on ne prenne au pied de la lettre la parole de notre Sauveur.

        On avait fait horreur au peuple de la doctrine catholique comme d'une doctrine qui détruisait la nature humaine en Jésus-Christ, et ruinait le mystère de son ascension. Mais maintenant on ne doit point être effrayé de ces conséquences, et on en est quitte pour les nier sans qu'on puisse les imputer à qui les nie.

Ces horreurs, qu'on avait mises dans l'esprit des peuples, étaient à vrai dire dans leur esprit le véritable sujet de leur rupture avec l'Eglise. Qu'on lise dans tous les actes des prétendus martyrs la cause pour laquelle ils ont souffert, on verra partout que c'est la doctrine contraire à la présence réelle. Que l'on consulte un Mélanchthon, un Sturmius, un Peucer, tous les autres qui ne voulaient pas que l'on condamnât cette doctrine des zuingliens : leur principale raison fut que c'était pour cette doctrine que mouraient tant de fidèles en France et en Angleterre. En mourant pour cette doctrine, ces malheureux martyrs croyaient mourir pour un fondement de la foi et de la piété : maintenant cette doctrine est innocente, et n'exclut ni de la table sacrée, ni du royaume des cieux.

Pour conserver dans le cœur des peuples la haine du dogme catholique, il a fallu la tourner contre un autre objet que la présence réelle. La transsubstantiation est maintenant le grand crime : ce n'est plus rien de mettre Jésus-Christ présent, de mettre un même corps en divers lieux, de mettre tout un corps dans chaque parcelle : la grande erreur est d'avoir ôté le pain : ce qui regarde Jésus-Christ est peu de chose ; ce qui regarde le pain est l'essentiel.

On a changé toutes les maximes qui avaient jusqu'alors passé pour constantes touchant l'adoration de Jésus-Christ. Calvin et

 

1 Matth., XXVI, 20, 27, 28.

 

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les autres avaient démontré que partout où Jésus-Christ, un objet si adorable, était tenu pour présent d'une présence aussi spéciale que celle qu'on reconnaissait dans l'Eucharistie, il n'était pas permis de le frustrer de l'adoration qui lui est due (1). Mais maintenant, ce n'est pas assez que Jésus-Christ soit quelque part pour y être adoré, il faut qu'il commande qu'on l'adore : « qu'il déclare sa volonté pour être adoré en tel lieu ou en tel état (2); » autrement , tout Dieu qu'il est, il n'aura de nous aucun culte. Bien plus, il faut qu'il se montre : « Si le corps de Christ est en un lieu invisiblement et d'une manière imperceptible à tous les sens, il ne nous oblige pas à l'adorer en ce lieu-là. » Sa parole ne suffit pas, il faut le voir : on a beau entendre la voix du roi, si on ne le voit de ses yeux, on ne lui doit rien, ou du moins il faut qu'il dise expressément que son intention est d'être honoré; autrement on agira comme s'il n'y était pas. Si c'était le roi de la terre, on n'hésiterait pas à lui rendre ce qui lui est dû dès qu'on sait qu'il est quelque part : mais honorer ainsi le Roi du ciel, ce serait une idolâtrie, et on aurait peur qu'il ne crût qu'on adore un autre que lui.

Mais voici une nouvelle finesse. Le luthérien, qui croit Jésus-Christ présent, le reçoit comme son Dieu : il y met sa confiance, il l'invoque, et le synode de Charenton décide « qu'il n'y a ni idolâtrie, ni superstition dans son culte : » mais s'il fait un acte sensible d'adoration, il idolâtre; c'est-à-dire qu'il est permis d'avoir le fond de l'adoration, qui est le sentiment intérieur; mais il n'est pas permis de le témoigner, et on devient idolâtre en faisant paraître par quelque posture de respect le sentiment de vénération vraiment sainte qu'on a dans le cœur.

Mais, dit-on, c'est que si le luthérien adorait Jésus-Christ dans l'Eucharistie où il est avec le pain, il serait à craindre que l'adoration ne se rapportât au pain comme à Jésus-Christ (3), et en tout cas qu'on ne crût que ce fût l'intention de l'y rapporter : sans doute, lorsque les Mages ont adoré Jésus-Christ, ou dans sa crèche, ou dans un berceau, il fallait craindre qu'ils n'adorassent avec

 

1 Cont. Vestph., Cont. Heshus.— 2 Dial. du ministre Boch., sur le Syn. de Char., I, 24; Ejusd. Dial., II part., cap. VII; Sedani, p. 21. — 3 Dial., etc., p. 24.

 

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Jésus-Christ ou le berceau, ou la crèche; ou enfin que la sainte Vierge et saint Joseph ne les prissent pour des adorateurs du berceau où reposait le Fils de Dieu. Voilà les subtilités que le décret de Charenton a voit amenées.

D'ailleurs la doctrine de l'ubiquité qu'on avait traitée avec raison autant parmi les sacramentaires que parmi les catholiques comme une doctrine monstrueuse, où l'on confond les deux natures de Jésus-Christ, devient la doctrine des saints.

Car il ne faut pas s'imaginer que les défenseurs de cette doctrine soient exceptés de l'union : le synode parle en général des églises de la Confession d'Augsbourg, dont on sait que la plus grande partie est ubiquitaire ; et les ministres nous apprennent que l'ubiquité n'a rien de mortel (1), quoiqu'elle renverse, plus expressément que n'ont jamais fait les eutychiens, la nature humaine de Notre-Seigneur.

En un mot, on compte pour peu tout ce qui ne change rien dans le culte, et encore dans le culte extérieur : car la croyance qu'on a au dedans n'est pas un obstacle à la communion ; il n'y a que le respect qu'on rend au dehors qui fait le péché ; et voilà où nous réduisent ceux qui ne nous prêchent que l'adoration en esprit et en vérité.

On voit bien, sans qu'il soit besoin que j'en avertisse, qu'après le synode de Charenton, ni l'inamissibilité de la justice, ni la certitude du salut ne sont plus un fondement nécessaire de la piété, puisque les luthériens sont admis à la communion avec la doctrine contraire.

Il ne faut non plus nous parler de la prédestination absolue et des décrets absolus comme d'un article principal, puisqu'on ne doit pas nier, selon M. Jurieu, « qu'il n'y ait de la piété dans ces grandes communions de protestants, dans lesquelles on traite si mal et les décrets absolus, et la grâce efficace par elle-même (2). » Le même ministre demeure d'accord que les protestants d'Allemagne font entrer « la prévision de la foi dans cet amour gratuit, par lequel Dieu nous a aimés en Jésus-Christ (3). » Ainsi le décret

 

1 Boch., ibid., 17; Dial., II part., cap. VII. — 2 Jugement sur les méth., sect. 14, p. 113. — 3 Ibid., sect. 18, p. 158.

 

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de la prédestination ne sera pas un décret absolu et indépendant de toute prévision, mais un décret conditionnel, qui renferme la condition de la foi future ; et c'est ce que M. Jurieu ne condamne pas.

Mais voici les deux plus remarquables nouveautés qu'ait introduites le décret de Charenton dans la Réforme prétendue : c'est premièrement la dispute sur les points fondamentaux ; et secondement, la dispute sur la nature de l'Eglise.

Sur les points fondamentaux les catholiques leur ont dit : Si la présence réelle, si l'ubiquité , si tant d'autres points importants, dont on dispute depuis plus d'un siècle entre les luthériens et les calvinistes, ne sont point fondamentaux, pourquoi ceux dont vous disputés avec l'Eglise romaine le seront-ils davantage? Ne croit-elle pas la Trinité, l'Incarnation, tout le Symbole? A-t-elle mis un autre fondement que Jésus-Christ? Tout ce que vous lui objectez sur ce sujet pour lui montrer qu'elle en a un autre, sont autant de conséquences qu'elle nie, et qui selon vos principes ne doivent pas lui être imputées. Où donc mettez-vous précisément ce qui est fondamental dans la religion? De rapporter maintenant ici tout ce qu'ils ont dit sur les points fondamentaux, les uns d'une façon, les autres de l'autre, et la plupart confessant qu'ils n'y voient goutte et que c'est chose qui se sent plutôt qu'elle ne s'explique, ce serait s'engager dans l'infini, et se jeter avec eux dans le labyrinthe où ils ne trouveront jamais d'issue.

L'autre dispute n'a pas été moins importante : car dès qu'une fois on a eu posé pour principe que ceux qui retiennent les principaux fondements de la foi, quelque séparés qu'ils soient de communion , sont au fond la même Eglise et la même société des enfants de Dieu, dignes de sa sainte table et de son royaume : les catholiques demandent comment on les peut exclure de cette Eglise et du salut éternel. Il n'est plus ici question de regarder l'Eglise romaine comme une église qui exclut tout le monde, et que tout le monde doit exclure ; car on voit que les luthériens, qui excluent les calvinistes, ne sont pas exclus. Voilà ce qui a produit ce nouveau système d'église qui fait tant de bruit, et où enfin il a fallu comprendre l'Eglise romaine.

 

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Les protestants d'Allemagne n'ont pas été partout également durs envers les calvinistes. En 1661, il se tint une conférence à Cassel entre les calvinistes de Marpourg et les luthériens de Hintel, où l'accord fut réciproque et où les deux partis se tinrent pour frères. J'avoue que cette union fut sans conséquence dans le reste de l'Allemagne, et je n'ai pu même savoir quelle en a été la suite entre ceux qui la contractèrent : mais il y eut dans l'accord un point important que je ne dois pas oublier.

Les calvinistes reprochaient aux luthériens que dans la célébration de l'Eucharistie, ils omettaient la fraction, dont l'institution était divine (1). C'est la doctrine commune du calvinisme, que la fraction fait partie du sacrement comme étant un symbole du corps rompu que Jésus-Christ voulait donner à ses disciples; que c'est pour cette raison que Jésus-Christ l'a pratiquée ; qu'elle est de commandement, et qu'elle se trouve enfermée par Notre-Seigneur dans cette ordonnance : Faites ceci. C'est ce que soutenaient les calvinistes de Marpourg ; c'est ce que niaient les luthériens de Rintel. On ne laissa pas de s'unir, quoique chacun persistât dans son avis : et il fut dit par ceux de Marpourg « que la fraction appartenait non pas à l'essence, mais seulement à l'intégrité du sacrement comme y étant nécessaire par l'exemple et le commandement de Jésus-Christ : qu'ainsi les luthériens ne lais-soient pas sans la fraction du pain d'avoir la substance de la Cène, et qu'on pouvait se tolérer mutuellement. »

Un ministre, qui a répondu à un Traité de la Communion sous les deux espèces, a examiné cette conférence que l'on avait objectée (2) : le fait a passé pour constant, et le ministre est convenu que la fraction , quoique commandée par Jésus-Christ, n'appartenait pas à l'essence, mais à la seule intégrité du sacrement. Voilà donc l'essence du sacrement manifestement séparée du commandement divin, et on a trouvé des raisons pour dispenser de ce qu'on dit que Jésus-Christ a commandé : après quoi je ne vois plus comment on peut presser le commandement  de prendre les deux espèces, puisque quand nous serions convenus que

 

1 Coll. Cass., quœst. de fract. pan. — 2 Traité de la Comm. sous les deux espèces, II part., chap. XII; La Roq., Rép., II part., chap. XVII, p. 207.

 

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Jésus-Christ les a commandées, nous serions toujours reçus à miner si ce précepte divin regarde l'essence, ou seulement l'intégrité.

On peut voir dans le même colloque l'état présent des controverses en Allemagne entre les luthériens et les calvinistes ; et on voit que la doctrine constante des théologiens de la Confession d'Augsbourg est que la grâce est universelle ; qu'elle est résistible; qu'elle est amissible ; que la prédestination est conditionnelle, et présuppose la prescience de la foi ; enfin que la grâce de la conversion est attachée à une action purement naturelle, et qui dépend de nos propres forces, c'est-à-dire du soin d'entendre la prédication (1) : ce que le docte Beaulieu confirme par plusieurs témoignages, auxquels nous pourrions en ajouter beaucoup d'autres, si la chose n'était constante, ainsi qu'on l'aura pu voir par le témoignage de M. Jurieu (2), et si nous n'avions déjà parlé de cette matière (3).

En effet on a pu voir dans cette histoire (4), combien Mélanchthon avait adouci parmi les luthériens l'extrême rigueur avec laquelle Luther soutenait les décrets absolus et particuliers (5), et on y enseignait unanimement que Dieu voulait sérieusement et sincèrement sauver tous les hommes ; qu'il leur offrait Jésus-Christ comme Rédempteur ; qu'il les appelait à lui par la prédication et par les promesses de son Evangile; et que son esprit était toujours prêt à être efficace en eux, s'ils écoutaient sa parole : que c'est enfin attribuer à Dieu deux volontés contraires, de dire que d'un côté il propose son Evangile à tous les hommes, et de l'autre qu'il n'en veuille sauver qu'un très-petit nombre. Par une suite de la complaisance qu'on avait pour les luthériens, Jean Cameron Ecossais, célèbre ministre et professeur en théologie dans l'académie de Saumur, y enseigna une vocation et une grâce universelle, qui se déclarait envers tous les hommes par les merveilles des œuvres de Dieu, par sa parole et les sacrements. Cette doctrine de Cameron fut fortement et ingénieusement défendue par Amirauld et Testard ses

 

1 Thes de au. An.hom. in stat. pecc. solis nat. viribus, etc.; thes. 31, et seq. — 2 Ci-dessus, n. 109. — 3 Ci-dessus, liv. VIII, n. 48 et suiv. — 4 Ibid., n. 22 et suiv. — 5 Epit., tit. de Prœd. conc., p. 617 ; Solida repetit., cod. tit., p. 804.

 

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disciples, professeurs en théologie dans la même ville. Toute cette académie l'embrassa : Dumoulin se mit à la tête du parti contraire, et engagea dans ce sentiment l'académie de Sedan où il pouvait tout, et nous avons vu de nos jours toute la Réforme partagée en France avec beaucoup de chaleur entre Saumur ei Sedan. Malgré les censures des synodes, qui supprimaient la doctrine de la grâce universelle, sans néanmoins la qualifier d'hérétique ou d'erronée, les plus savants ministres en entreprirent la défense. Daillé en fit l'apologie, où Blondel mit une préface très-avantageuse aux défenseurs de ce sentiment ; et la grâce universelle triompha dans Sedan, où le ministre Beaulieu l'a enseignée de nos jours.

Elle ne réussissait pas également hors du royaume, et principalement en Hollande, où on la croyait opposée au synode de Dordrect. Mais au contraire Blondel et Daillé firent voir que les théologiens de la Grande-Bretagne et de Brème avaient soutenu dans le synode « une volonté et intention universelle » de sauver tous les hommes, une grâce suffisante donnée à tous, grâce sans laquelle on ne pouvait pas rétablir en soi-même l'image de Dieu (1). C'est ce qu'avaient dit publiquement les théologiens dans le synode, et n'en avaient pas moins mérité les congratulations et les louanges de toute cette compagnie.

Genève toujours attachée aux rigoureuses propositions de Calvin, fût fort ennemie de l'universalité, qui cependant fut portée jusque dans son sein par des ministres français. Déjà elle partageait toutes les familles, lorsque le magistrat y mit la main. Du conseil des Vingt-Cinq, la question fut portée à celui des Deux-Cents. Ces magistrats ne rougirent point de faire disputer leurs pasteurs et leurs professeurs devant eux, et s'érigèrent en juges d'une question de la plus fine théologie. Il vint de puissantes recommandations de la part des Suisses pour la grâce particulière contre la grâce universelle : un rigoureux décret partit, par lequel la dernière fut proscrite. On publia la formule d'un

 

1 Dall., Apol., tract. II, part.; Blond. Act. auth., 8, et seq., p. 77; Jud., Theol. Mag. Brit., de art. 2, int. Act. Syn. Dord., II part., p. 287; Jud., Brem., ibid., p. 115 et seq.

 

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théologien, que les Suisses avaient approuvée, où le système de la grâce universelle était déclaré « non médiocrement éloigné de la saine doctrine révélée dans les Ecritures, » et afin que rien n'y manquât, le souverain magistrat ordonna que tous les ministres, docteurs et professeurs souscriraient à la formulé avec ces mots : « Ainsi je le crois : ainsi je le professe : ainsi je l'enseignerai. » Ce n'est pas là une soumission de police et d'ordre; c'est un pur acte de foi ordonné par l'autorité séculière : c'est à quoi se termine la Réforme, à soumettre l'Eglise au siècle, la science à l'ignorance et la foi au magistrat.

Cette formule helvétique avait encore une autre partie, où sans se mettre en peine ni des Septante, ni des Targums, ni de l'original samaritain, ni de tous les vieux interprètes et de toutes les anciennes leçons, on canonisait jusqu'aux points du texte hébreu que nous avons, qu'on déclarait net de toute faute de copistes jusqu'aux moindres, et de toute atteinte du temps. Les auteurs de ce décret ne sentirent pas combien ils s'immolaient à la risée de tous les savants, même de leur communion ; mais ils s'attachaient aux vieilles maximes de la Réforme encore ignorante. Ils étaient fâchés de voir que les leçons de la Vulgate, qu'on avait prises autrefois comme autant de falsifications, étaient tous les jours de plus en plus approuvées par les savants du parti : et en fixant le texte original, suivant que nous l'avons aujourd'hui, ils croyaient s'affranchir de la nécessité de la tradition, sans songer que sous le nom de Texte hébreu, au lieu des traditions ecclésiastiques et de celle de l'ancienne Synagogue, ils consacraient celles des rabbins.

Il s'est fait encore à Genève un autre décret sur la foi en 1675, où l'on confirma celui de 1649, par lequel on ajoutait « deux nouveaux articles à la Confession de foi : » l'un, « pour dire que l'imputation du péché d'Adam était antérieure à la corruption; » l'autre, « pour dire que, dans l'ordre des décrets divins l'envoi de Jésus-Christ est après le décret de l'élection. » On ordonna que tous ceux qui refuseraient de souscrire à ces deux nouveaux articles de foi seraient exclus et déposés du ministère et de toute fonction ecclésiastique.

 

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Cette décision fut trouvée étrange dans le parti même; et Turretin, ministre et professeur à Genève, en reçut de grands reproches de M. Claude, comme il paraît par une lettre de ce ministre du 20 juin 1675, que Louis Dumoulin, fils du ministre Pierre Dumoulin et oncle du ministre Jurieu, a fait imprimer (1).

M. Claude se plaint dans cette lettre de ce qu'on sollicite les Suisses « à dresser un formulaire » conforme à celui de Genève, « contenant les mêmes points et les mêmes restrictions, pour être ajoutées à leur Confession de foi (2) : » et on voit par une remarque de Dumoulin, insérée dans la même lettre (3), que les Suisses ont en effet frappé ce coup que M. Claude trouvait si terrible.

Cependant le même ministre soutient qu'il n'est pas permis d'ajouter « ainsi de nouveaux articles de foi à ceux de sa Confession, et qu'il est dangereux de remuer les anciennes bornes qui ont été plantées par nos pères (4). » Plût à Dieu que nos réformés eussent toujours eu devant les yeux cette maxime du Sage (5), où ils sont si souvent contraints de revenir pour terminer les divisions qu'ils voient naître incessamment dans leur sein ! M. Claude la propose à ceux de Genève, et s'étonne que cette église « fasse ainsi de nouveaux articles de foi et de nouvelles lois de prédication (6) : » il prétend qu'en user ainsi, c'était se faire soi-même des dieux, et rompre l'unité avec toutes les églises qui ne sont pas de son sentiment, c'est-à-dire avec « celles de France, avec celles d'Angleterre, avec celles de Pologne, de Prusse et d'Allemagne (7); » que ce n'est point ici une simple affaire de discipline où les églises puissent varier; que c'est se désunir dans des « points de doctrine, immuables de leur nature; » qu'on « ne peut pas en bonne conscience enseigner diversement ;   » de sorte que ce n'est pas seulement « se faire un ministère particulier, » mais encore jeter « les semences d'une funeste division » dans la foi même, et en un mot « fermer son cœur » aux autres églises (8).

 

1 Fasc. epist., 1676, p. 83, 94. — 2 Ibid., p. 95. — 3 P. 101. — 4 Ibid., p. 85. — 5 Prov., XXII, 28. — 6 Fasc. epist., 1676, p. 89. — 7 Ibid., p. 90, 91, 98, 103. — 8 Ibid., 93, 100.

 

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Si on veut maintenant savoir jusqu'où l'église de Genève portait sa rigueur, on l'apprendra dans la même lettre; car elle marque « qu'on exigeait la signature des articles avec une sévérité inconcevable ; qu'on l'exigeait même de ceux qui s'adressaient à Genève pour y recevoir la vocation, dans le dessein d'aller servir ailleurs; qu'on leur imposait la même nécessité de la souscription qu'à ceux de Genève même; qu'on l'exigeait des pasteurs déjà reçus avec la même rigueur, bien qu'ils eussent déjà vieilli dans les travaux du ministère (1) : » et cela, dit M. Claude (2), c'est, «autant qu'il est en eux, ravir partout la charge à tous ceux qui sont de différents sentiments (c'est-à-dire à tout le reste des églises), et se condamner eux-mêmes, comme ayant entretenu jusques-ici une paix injuste avec des gens à qui il fallait déclarer la guerre (3). »

Toutes ces remontrances n'ont rien opéré; l'église de Genève est demeurée ferme, aussi bien que celle des Suisses, persuadées l'une et l'autre que leurs déterminations étaient appuyées sur la parole de Dieu : ce qui continue à faire voir que sous le nom de cette parole, c'est ses propres imaginations que chacun adore; que si l'on n'a quelque autre principe pour convenir du sens de cette parole, il n'y aura jamais entre les églises qu'une union politique extérieure, telle qu'elle est demeurée avec ceux de Genève, qui dans le fond avaient rompu avec tous les autres; et que pour trouver quelque chose de fixe, il faut, à l'exemple de M. Claude, ramener les esprits à cette maxime du Sage, « qu'il ne faut pas remuer les bornes plantées par nos pères (4); » c'est-à-dire qu'il s'en faut tenir aux décisions qu'ils ont faites sur la foi.

Le fameux serment du Test mérite bien d'avoir place dans cette histoire, puisqu'il a été un des actes principaux de la religion en Angleterre. Le voici comme il avait été résolu au Parlement tenu à Londres en 1678. « Moi N. je proteste, testifie et déclare solennellement et sincèrement en la présence de Dieu, que je crois que dans le sacrement de la Cène du Seigneur il n'y a aucune transsubstantiation des éléments du pain et du vin dans le corps et le sang de Christ, dans et après la consécration faite par quelque

 

1 P. 94, 95. — 2 p. 91. — 3 P. 100. — 4 Prov., XXII, 28.

 

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personne que ce soit ; et que l'invocation ou adoration de la Vierge Marie ou tout autre Saint, et le sacrifice de la messe, de la manière qu'ils sont en usage à présent dans l'Eglise romaine, est superstition et idolâtrie. » Ce qu'il y a de particulier dans cette profession de foi, c'est premièrement qu'elle ne s'attaque qu'à la transsubstantiation, et non pas à la présence réelle; en quoi elle suit la correction qu'Elisabeth avait faite à la réforme d'Edouard VI. On y ajoute seulement ces mots,  « dans et après la consécration, » qui permettent manifestement de croire la présence réelle avant la manducation, puisqu'ils n'en excluent, comme on voit, que le seul changement de substance.

Ainsi un Anglais bon protestant, sans blesser sa religion et sa conscience, peut croire que le corps et le sang de Jésus-Christ sont réellement et substantiellement présents dans le pain et dans le vin aussitôt après la consécration. Si les luthériens en croyaient autant, il est certain qu'ils l'adoreraient. Aussi les Anglais n'y apportent-ils aucun obstacle dans leur Test : et comme ils reçoivent l'Eucharistie à genoux, rien ne les empêche d'y reconnaître ni d'y adorer Jésus-Christ présent dans le même esprit que nous faisons : après cela, nous incidenter sur la transsubstantiation, est une chicane peu digne d'eux.

Dans les paroles suivantes du Test on condamne, comme des actes « de superstition et d'idolâtrie, l'invocation » ou, comme ils l'appellent, « l'adoration » de la Sainte Vierge et des Saints, et le sacrifice de la messe, non absolument, mais « de la manière qu'ils sont en usage dans l'Eglise romaine. » C'est que les Anglais sont trop savants dans l'antiquité pour ignorer que les Pères du quatrième siècle, sans maintenant remonter plus haut, ont invoqué la sainte Vierge et les Saints. Ils savent que saint Grégoire de Nazianze approuve expressément dans la bouche d'une martyre la piété qui lui fit demander à la sainte Vierge, «qu'elle aidât une vierge qui était en péril (1). » Ils savent que tous les Pères ont fait et approuvé solennellement, dans leurs homélies, de semblables invocations adressées aux Saints, et se sont même servis du terme d'invocation à leur égard. Pour le terme d'adoration, ils savent

 

1 Orat. XVIII, in Cyp.

 

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aussi qu'il est équivoque, aussi bien parmi les saints Pères que dans l'Ecriture; et qu'il ne signifie pas toujours rendre à quelqu'un les honneurs divins ; que c'est aussi pour cette raison que saint Grégoire de Nazianze n'a pas fait difficulté en plusieurs endroits de dire qu'on adorait les reliques des martyrs, et que Dieu ne dédaignait pas de confirmer une telle adoration par des miracles (1). Les Anglais sont trop instruits dans l'antiquité pour ignorer cette doctrine et ces pratiques de l'ancienne Eglise, et trop respectueux envers elle pour l'accuser de superstition et d'idolâtrie : c'est ce qui leur fait apporter la restriction qu'on voit dans leur Test, et supposer dans l'Eglise romaine une manière d'invocation et d'adoration différente de celle des Pères, parce qu'ils ont bien senti que sans cette précaution le Test n'aurait non plus été souscrit en bonne conscience par les protestants habiles que par les catholiques.

Cependant dans le fait il est constant que nous ne demandons aux Saints que la société de leurs prières non plus que les anciens, et que nous n'honorons dans leurs reliques que ce qu'ils y ont honoré. Si nous prions quelquefois les Saints non pas de prier, mais de donner et de faire, les savants Anglais conviendront que les anciens l'ont fait comme nous (2), et que comme nous ils l'ont entendu dans le sens qui fait attribuer les grâces reçues, non-seulement au souverain qui les distribue, mais encore aux intercesseurs qui les obtiennent ; de sorte qu'on ne trouvera jamais aucune véritable différence entre les anciens que les Anglais ne veulent pas condamner, et nous qu'ils condamnent, mais par erreur et en nous attribuant ce que nous ne croyons pas.

J'en dis autant du sacrifice de la messe. Les Anglais sont trop versés dans l'antiquité, pour ne savoir pas que de tout temps dans les saints mystères et dans la célébration de l'Eucharistie, on a offert à Dieu les mêmes présents qu'on a ensuite distribués aux peuples, et qu'on les lui a offerts autant pour les morts que pour les vivants. Les anciennes liturgies, qui contiennent la forme de

 

1 Basil., Orat. in Mam., p. 185; Greg. Nyss., Orat. in Theod.; Amb., Serm. de S. Vit., Exhort. virg., n. 4, 7, 9 et seq.; Greg. Naz., Orat. in Jul., I, in Machab., etc.; ibid., p. 397 et seq. — 2 Greg. Naz., Orat. funeb.; Ath. et Basil., Orat. XX, p. 373.

 

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cette oblation, tant en Orient qu'en Occident, sont entre les mains de tout le monde; et les Anglais n'ont eu garde de les accuser ni de superstition ni d'idolâtrie. Il y a donc une manière d'offrir à Dieu pour les vivants et pour les morts le sacrifice de l'Eucharistie, que l'église anglicane protestante ne trouve ni idolâtre ni superstitieuse ; et s'ils rejettent la messe romaine, c'est en supposant qu'elle est différente de celle des anciens.

Mais cette différence est nulle : une goutte d'eau n'est pas plus semblable à une autre que la messe romaine est semblable, quant au fond et à la substance, à la messe que les Grecs et les autres chrétiens ont reçue de leurs pères. C'est pourquoi l'Eglise romaine, lorsqu'elle les reçoit à sa communion, ne leur propose pas une autre messe. Ainsi l'Eglise romaine n'a point au fond d'autre sacrifice que celui qu'on a offert en Orient et en Occident dès l'origine du christianisme, de l'aveu des protestants d'Angleterre.

De là il résulte clairement que la doctrine romaine, tant sur l'invocation et l'adoration que sur le sacrifice de la messe, n'est condamnée dans le Test qu'en présupposant que Rome reçoit ces choses dans un autre sens, et les pratique dans un autre esprit que celui des Pères ; ce qui visiblement n'est pas : de sorte que sans hésiter, et sans parler des autres raisons, on peut dire que l'abrogation du Test n'est autre chose que l'abrogation d'une calomnie manifeste faite à l'Eglise romaine (a).

 

(a) Comme la première édition venait d'être imprimée tout entière, Bossuet fit une Addition importante au livre XIV, et la mit à la fin de l'ouvrage. Alors il n'aurait pu, sans sacrifier une partie considérable de l'impression, la joindre au livre XIV, cela est vrai; mais quand il fit la deuxième édition, l'espace était libre, la place inoccupée; rien ne gênait plus son choix : cependant il ne revint point au livre XIV; il laissa la note complémentaire à l'endroit qu'il lui avait donné la première fois. C'est donc la, c'est après l'Histoire des Variations que l'auteur voulait son complément. Nous avons suivi sa pensée. Les anciens éditeurs ont adopté le même ordre; ceux de ce siècle ont réformé l'avis de Bossuet.

 

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