STATUES III

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TROISIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE. L'évêque Flavien se rend auprès de l'empereur pour plaider la cause d'Antioche.- Le peuple doit l'aider par ses prières : Puissance de la prière. — Il faut jeûner ; mais le jeûne n'a aucun mérite, si l'on ne renonce au péché. — II faut éviter surtout la médisance : elle outrage le prochain, l'Eglise, Dieu lui-même ; elle est un obstacle à l'avancement spirituel. — Dieu est toujours prêt à nous pardonner , si nous voulons nous repentir. — La patience et la bonté de Dieu mise en regard de la sévérité de l'homme.

 

1. Quand je vois inoccupé ce siège du pontife, quand mes regards n'y aperçoivent plus le pasteur de nos âmes, je pleure et je me réjouis en même temps. Je pleure l'absence d'un père, et je me réjouis d'un voyage entrepris pour nous sauver et pour arracher à la colère de l'empereur un peuple si nombreux. Ce départ, c'est pour vous un honneur, pour le Pontife une glorieuse couronne. Oui, c'est un honneur pour vous d'avoir un si bon père; oui, il se couvre lui-même de gloire en se montrant si plein de bienveillance envers ses enfants , et en confirmant par ses oeuvres cette parole de Jésus-Christ : Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Cette parole, il l'a entendue, et il court donner sa vie pour nous tous. Tant de motifs pourtant le retenaient et le contraignaient, pour ainsi dire, de rester à Antioche! C'était d'abord son grand âge, une vieillesse si avancée; c'étaient ensuite ses infirmités, la rigueur de la saison, l'approche d'une fête qui semblait exiger sa prébence, enfin l'état désespéré de son unique sueur presque mourante. Mais rien n'a pu l'arrêter, ni la parenté, ni la vieillesse, ni la rigueur de la saison, ni les difficultés du voyage. Il ne songe qu'à ses enfants, il veut les sauver, il brise toute entrave, et ce vieillard s'élance comme un jeune homme, et son ardeur lui donne, pour ainsi dire, des ailes. Si le Christ, disait-il, s'est livré lui-même pour nous, qui pourrait nous pardonner de ne point tout entreprendre , de ne. point tout souffrir pour sauver ce peuple qui nous est confié? Le patriarche Jacob, disait-il encore, chargé de garder des troupeaux, des brebis privées de raison, obligé de rendre compte à un homme, passait des nuits sans dormir, supportait le chaud, le froid, toutes les intempéries des saisons, pour n'en point perdre une seule; et nous qui devons rendre compte à Dieu lui-même, nous ne secouerions pas l'indolence et l'hésitation, quand il s'agit de venir en aide à notre troupeau ! Plus ce troupeau l'emporte sur celui de Jacob, plus les hommes l'emportent sur les animaux, plus le Seigneur est (557) au-dessus de l'homme, plus aussi devons-nous montrer d'empressement et d'ardeur.

Le Pontife le sent bien, il s'agit non d'une ville seulement, mais de l'Orient tout entier. Notre ville, en effet, est la reine et la mère de toutes les autres villes de ces contrées; et c'est pourquoi il s'est exposé à tant de dangers, sans qu'aucun obstacle ait pu le retenir. Aussi, j'en ai la confiance, son espoir ne sera point déçu. Non, tant de zèle, tant de sollicitude ne peuvent échapper aux regards du Seigneur, qui ne permettra pas que son serviteur revienne sans avoir réussi. Je le sais aussi, la seule présence du saint Pontife, son seul regard fixé sur le pieux empereur désarmera sa colère. Non-seulement les paroles des saints, mais encore les traits de leur visage exhalent une grâce toute céleste. Notre Père est plein de sagesse, et de plus il est versé dans la connaissance des saintes lettres. Il dira donc à l'empereur ce que Moïse disait à Dieu. Pardonnez-leur ce péché; si vous ne leur pardonnez, faites-moi mourir avec eux. (Exod. XXXII, 31, 32.) II saura mettre à profit les circonstances. Il rappellera qu'autrefois, dans ce jour sacré de la Pâque dont on va célébrer l'anniversaire, le Christ pardonna à l'univers entier. Il exhortera le prince à imiter le Sauveur, et il invoquera cette belle parabole des dix mille talents et des cent deniers. Notre Père, je le sais encore parle sans détours ; il n'hésitera pas à l'effrayer' par cette parabole et ne craindra pas de lui dire . Prends garde d'entendre toi-même au jour du jugement cette terrible parole : Méchant serviteur, je t'ai remis toutes tes dettes, parce que tu m'en as prié; et toi aussi tu aurais dû les remettre à tes semblables. Il y va de ton intérêt bien plus que du leur, puisqu'en leur remettant quelques fautes, tu obtiens le pardon des fautes bien plus grandes que tu as commises. Il ajoutera cette prière que le prince apprit à réciter lors de son initiation à nos saints mystères : Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Cette faute, dira-t-il, ce n'est point la ville qui l'a commise, mais des étrangers qu'elle a reçus dans ses murs, hommes qui agissent sans réflexion, emportés par leur audace et par la violence de leurs passions. Serait-il juste de plonger dans la désolation une ville tout entière pour le crime d'un petit nombre, et de sévir contre des innocents? — Et quand même ils seraient tous coupables ; ah ! ils ont bien expié leur faute ! Il y a si longtemps que la crainte les dévore, que chaque jour ils s'attendent à mourir, qu'ils vivent comme des bannis et des exilés, plus malheureux que des prisonniers, voyant par avance leur sang inonder la ville, et ne conservant plus aucun espoir de prolonger leur existence. Contente-toi de ce châtiment; ne reste pas davantage en proie à la colère; montre-toi plein d'humanité pour tes semblables, et ainsi rends-toi propice le souverain juge. Songe à la grandeur de cette cité. Il s'agit non pas d'une. de deux, de trois, de dix personnes, mais de la capitale de l'univers. C'est là que les disciples de l'Evangile prirent pour la première fois le nom de chrétiens. Rends honneur à Jésus-Christ; respecte une ville qui la première proclama ce nom si plein de douceur et que tous doivent ambitionner. Les apôtres y vécurent, les justes l'ont habitée. Jusque-là jamais crime n'y avait été commis contre les empereurs, et tout le passé témoigne des moeurs de notre ville. Si les séditions s'y succédaient sans relâche, il faudrait punir tant d'insolence; mais puisque rien de semblable ne s'est encore produit, n'est-il pas évident que cette faute n'est point une conséquence des moeurs d'Antioche, mais l'acte insensé des impudents et des audacieux qui l'ont envahie ?

2. Tels et plus nombreux même seront les moyens du Pontife, et il les exposera avec plus de hardiesse encore. L'empereur entendra ces discours. Son humanité et le dévouement du Pontife nous donnent lieu de tout espérer. Mais surtout nous avons confiance dans la miséricorde de Dieu. Oui, il se tiendra près de l'empereur pour apaiser son âme, près du. Pontife pour enflammer son langage. Il dirigera les paroles du Pontife, il disposera l'âme du prince à la bienveillance, à l'indulgence, au pardon. De toutes les villes, en effet, la nôtre n'est-elle pas la plus chère à Jésus-Christ et pour vos vertus et pour les vertus de vos ancêtres? Comme parmi les apôtres, Pierre fut le premier à confesser Jésus-Christ; ainsi parmi les villes, comme je vous le dirai, Antioche a vu la première ses habitants se couronner, pour ainsi parler, du beau titre de chrétien.

Autrefois Dieu promit de sauver une ville s'il s'y trouvait seulement dix justes. Ici, il y a non pas dix, non pas vingt justes, non pas quarante, mais beaucoup plus encore qui servent Dieu avec fidélité. Comment pourrions-nous (558) donc ne pas espérer toute sorte de biens, et ne pas avoir confiance dans le salut commun ? Il en est qui disent : Les menaces d'un roi ressemblent à la colère du lion (Proverb. XIX, 13) ; et ils tombent dans l'abattement et ils se lamentent. Quel langage leur tiendrons-nous donc? Celui qui a dit (Isai. XI, 6, 7) : On verra paître ensemble le loup et l'agneau, et le léopard se reposer avec le chevreau, et le lion se nourrir de paille comme le boeuf, celui-là pourra changer aussi le lion en une brebis pleine de douceur. Adressons-lui nos prières et nos voeux, et il apaisera la colère du prince, et il nous délivrera de toutes nos angoisses. Notre Père se rend en ambassade auprès de l'empereur ; envoyons aussi, pour ainsi parler, une ambassade au roi des cieux. Aidons le Pontife par nos prières. La prière commune de l'Eglise a un grand pouvoir, si, quand nous prions, nos âmes sont affligées par la tristesse et nos coeurs brisés par le repentir. Il n'est pas besoin de passer les mers et d'entreprendre un long voyage. Que chacun de nous, à l'église, dans sa maison, invoque Dieu avec ardeur, et Dieu nous exaucera. Et quelle preuve vous en donnerai-je ? C'est qu'il veut que nous recourions toujours à lui, qu'en toute circonstance nous l'implorions, que nous ne fassions rien, que nous ne disions rien sans l'invoquer. Les hommes nous accueillent par l'indifférence, l'hésitation, le mécontentement, toutes les fois que nous persistons à les importuner. Dieu fait tout le contraire. Ce qui l'indigne, ce ne sont pas nos instances auprès de lui, mais notre négligence à demander son secours. Ecoutez ces reproches qu'il adresse aux Juifs : Vous avez formé un dessein et vous ne m'avez point consulté; vous avez formé des alliances, mais sans implorer mon Esprit. (Isaïe, XXX, 1.) Et ceux qui aiment n'en agissent-ils pas toujours de la sorte? Ils veulent être chargés des affaires de leurs amis, et ceux-ci ne doivent rien faire, rien dire sans leur concours. Aussi n'est-ce pas seulement en cette circonstance, mais ailleurs encore que Dieu se plaint en disant : Ils ont régné, et sans mon. assistance; ils ont commandé, et ne m'en ont rien dit. (Osée, VIII, 4.) Ayons donc sans cesse recours à lui, et il saura remédier à tous nos maux. L'homme vous a glacés de terreur? Recourez au Dieu très-haut, il ne vous arrivera rien de fâcheux. C'est ainsi que les anciens, hommes et femmes, détournaient les malheurs dont ils étaient menacés. Il y avait parmi les Hébreux une femme nommée Esther : écoutez comment elle sut arracher le peuple Juif tout entier à une ruine imminente. Le roi de Perse avait décrété la mort de tous les Juifs sans exception, et nul n'osait affronter sa colère. Une femme cependant, dépouillée de ses riches vêtements, couverte d'un sac, prosternée sur la cendre, suppliait la divine miséricorde de pénétrer avec elle jusqu'au trône du roi: Donne, ô Seigneur, à mes paroles un charme irrésistible et mets sur mes lèvres un discours persuasif. (Esth. XIV, 13.) Implorons ainsi le Seigneur en faveur de notre pasteur. Si par sa prière une femme a pu apaiser la fureur d'un barbare, notre Pontife priant avec toute une Eglise pour une si grande ville, ne pourra-t-il pas fléchir le plus humain, le plus doux des empereurs? Lui qui a reçu le pouvoir de remettre les péchés commis contre Dieu lui-même, ne pourra-t-il pas effacer une faute commise envers un homme? Lui aussi il est prince, et d'un rang plus élevé que l'empereur. Car les lois divines ont mis dans ses mains cette tête royale ; et quand il s'agit de demander au ciel quelque faveur, c'est l'empereur qui s'adresse au prêtre et non le prêtre à l'empereur. Lui aussi, il a une cuirasse, la cuirasse de la justice; il a un baudrier, celui de la vérité; des chaussures, celles de l'Evangile de la paix; il a un glaive, non pas un glaive d'acier, mais le glaive de l'esprit; et sur sa tête il porte une auguste couronne. Voilà une brillante armure, des armes précieuses, une ressource assurée, une force redoutable. Ainsi donc l'élévation de son rang, sa propre grandeur d'âme, et par-dessus tout sa confiance dans le Seigneur lui inspireront à la fois assez de hardiesse et de prudence en face de l'empereur.

3. Ne désespérons donc point de notre salut; mais prosternons-nous devant Dieu, prions, implorons, conjurons ce roi du ciel, touchons-le par nos larmes. Le jeûne que nous célébrons sera comme l'auxiliaire de nos prières et suivra comme pas à pas nos supplications. L'hiver passé, à l'approche de l'été, le nautonier rend à la mer son navire; le soldat nettoie ses armes, et apprête son coursier pour les combats; le laboureur aiguise sa faux, le voyageur entreprend avec confiance une longue route; l'athlète quitte ses vêtements pour s'exercer à la lutte; nous aussi, dans ces jours de jeûne qui sont comme un été spirituel, nettoyons nos armes comme les soldats, (559) aiguisons nos faux comme les laboureurs; comme des nautoniers, opposons les pensées de notre esprit aux flots des mauvaises passions; comme des voyageurs, entrons dans la route qui mène au ciel, et comme des athlètes, dépouillons-nous pour combattre : car le fidèle est un laboureur, un pilote, un soldat, un athlète et un voyageur. Aussi l'apôtre saint Paul dit-il : Ce n'est point contre la chair et le sang que nous avons à lutter, mais contre les principautés et les puissances; revêtez donc l'armure de Dieu. (Ephés. VI, 12.) Ne sommes-nous pas des athlètes, des soldats? Si vous êtes des athlètes, il vous faut descendre nus dans l'arène; si vous êtes des soldats, vous devez vous tenir tout armés pour le combat. Et comment pouvez-vous être l'un et l'autre en même temps? Comment cela? Je vais vous le dire. Dépouillez-vous des choses du siècle, et vous serez un athlète; revêtez-vous des armes spirituelles et vous serez un soldat. Rejetez loin de vous les sollicitudes de la vie; car c'est le temps du combat ; revêtez les armes de l'esprit, car il nous faut soutenir contre les démons une guerre terrible. Soyons nus pour ne donner dans cette lutte aucune prise à Satan, notre ennemi; soyons armés de toute pièce, pour ne recevoir par aucun point le coup mortel. Cultivez avec soin vos âmes, arrachez-en toutes les épines, semez-y les principes de la piété, fixez-y les belles plantes de la sagesse, cultivez-les avec le plus grand soin, et vous ressemblerez à un laboureur, et c'est à vous que saint Paul dira: Le laboureur qui travaille avec ardeur doit récolter des fruits abondants (II Tim . II, 6.) Cet art, il s'y adonnait lui-même. N'écrivait-il pas aux Corinthiens: J'ai planté, Apollon a arrosé, Dieu a donné l'accroissement ? (I Cor. III, 6.) Votre faux s'est émoussée par la gourmandise; aiguisez-la par le jeûne. Prenez le chemin qui conduit au ciel, entrez dans la voie rude et étroite et marchez. Et comment y entrerez-vous? comment marcherez-vous? C'est en châtiant votre corps et en le réduisant en servitude. Dans un chemin étroit, quel embarras qu'un corps chargé d'embonpoint ! Apaisez les flots orageux de la concupiscence, repoussez la tempête des pensées coupables, sauvez le navire à force d'habileté, et vous serez un sage pilote. Or, le jeûne est le fondement de cette vie spirituelle , et c'est lui qui nous enseigne la pratique. Je veux parler non d'un jeûne quelconque, mais d'un jeûne parfait qui consiste non-seulement à se priver de nourriture, mais encore à s'abstenir du péché. Le jeûne, en effet, ne peut opérer notre salut, s'il ne réunit certaines conditions. En effet, dit l'Apôtre, l'athlète n'est point couronné, s'il n'a point combattu selon les règles. (II Tim. II, 5.) Quand nous jeûnons, ne nous exposons pas à perdre la couronne promise au jeûne, et apprenons quelles sont les conditions d'un jeûne véritable. Le pharisien jeûna et cependant il revint du temple privé des avantages du jeûne, afin que vous sachiez bien qu'il nef sert à rien de jeûner, si l'on se borne à une simple privation de nourriture. Les Ninivites jeûnèrent, et firent ainsi violence à la miséricorde divine; les Juifs jeûnèrent aussi, mais en vain, et ils s'en retournèrent accablés du poids de leurs péchés. Puisqu'il est dangereux de jeûner quand on ne sait comment il faut jeûner, apprenons donc les conditions qui rendent le jeûne profitable. Autrement, ce serait courir en aveugles, ce serait frapper l'air inutilement, ce serait nous battre contre une ombre. Le jeûne est un remède. Mais un remède, eût-il opéré mille guérisons, reste souvent inutile par la maladresse de celui qui l'emploie : il faut l'appliquer en temps opportun, en telle ou telle quantité, et tenir compte du tempérament, du climat, de la saison, du régime, et de beaucoup d'autres circonstances. En négliger une seule, c'est mettre en péril tout le reste. Si, pour un remède de ce genre, il faut tant de précautions, avec quels soins ne devons-nous pas étudier et examiner quand il s'agit de guérir nos âmes et de remédier à nos pensées !

4. Voyons donc comment jeûnèrent les Ninivites, et comment ils apaisèrent la colère de Dieu? Que les hommes, les bêtes de somme, les brebis, les boeufs, s'abstiennent de nourriture, dit le Prophète ! (Jon. III, 7.) Eh quoi ! Les animaux eux-mêmes vont jeûner ! Les chevaux, les mulets seront couverts de sacs en signe de pénitence ! Oui, répond-il. A la mort d'un riche, on revêt de sacs non-seulement les serviteurs et les servantes, mais encore les chevaux; conduits par les palefreniers, ils suivent leur maître jusqu'à sa dernière demeure: tout cela pour faire sentir la grandeur de la perte et pour inspirer la compassion. Ainsi dans le péril extrême de cette ville les animaux eux-mêmes furent revêtus de sacs et soumis au jeûne. Les animaux, dit le Prophète, ne peuvent entendre (560) dire que Dieu est irrité; que la faim leur fasse sentir que Dieu inflige une punition. Si la ville était détruite, continue-t-il, non-seulement les hommes qui l'habitent, mais aussi les animaux seraient ensevelis sous ses ruines. Puisqu'ils auraient leur part du châtiment, ne doivent-ils pas aussi participer au jeûne? Les Ninivites firent d'ailleurs ce que font les prophètes. Si le ciel menace les hommes de quelque fléau destructeur, si les coupables, couverts de confusion, n'ont plus d'espoir dans leurs prières, s'ils sont sans excuse et indignes de pardon, les prophètes, ne sachant à quel moyen recourir, comment venir en aide à ces malheureux condamnés, se prennent à déplorer la mort des animaux, à supplier en leur faveur, à mettre en avant leur sort si digne de pitié et si lamentable. La famine désolait la Judée ; une excessive sécheresse brûlait ce pays, et causait d'affreux ravages. Alors un des prophètes disait : Les génisses ont bondi près de leurs étables, les troupeaux de boeufs ont versé des larmes, parce qu'il n'y avait plus de pâturages; tous les animaux de la terre ont levé les yeux vers vous, parce que les sources étaient desséchées. (Joël, 1, 7.) Un autre déplore à peu près en ces termes les maux que la sécheresse avait produits: Les biches ont mis bas leurs faons dans la campagne, et les ont abandonnés, parce qu'il n'y avait pas d'herbe. Les onagres se sont arrêtés dans les bois, et ont aspiré l'air, comme le dragon; leurs yeux se sont fermés, parce qu'il n'y avait pas de foin. (Jérém. XIV, 5.) Et c'est pourquoi vous avez entendu aujourd'hui ces paroles de Joël: Que l'époux quitte la chambre nuptiale, que l'épouse sorte du lit nuptial, et que les enfants cessent de presser les mamelles de leur mère. (Joël, II, 16.) Pourquoi , je vous prie, invite-t-il à la prière cet âge encore si tendre? N'est-ce pas pour la même raison? Puisque tous les hommes parvenus à la maturité de l'âge ont irrité le Seigneur, et provoqué son courroux il faut, dit-il, que cet âge innocent cherche à l'apaiser.

Mais, comme je le disais, voyons ce qui peut calmer cette colère si terrible ? Suffit-il du jeûne et des signes extérieurs de la pénitence? Non, non, mais il faut changer de vie. En voulez-vous une preuve. Ecoutez ce que dit le Prophète. Après avoir parlé de la colère de Dieu et du jeûne des Ninivites, il nous apprend que Dieu leur pardonna, et nous en dit le motif. Dieu vit leurs oeuvres (Jon. 111, 10), dit-il. Et quelles oeuvres? Leurs jeûnes? Leurs habits de pénitence? Rien de tout cela; il n'en est pas même fait mention. Tous, dit le Prophète, abandonnèrent leurs voies perverses, et le Seigneur se repentit de les avoir menacés de si grandes calamités. Vous le voyez, ce n'est pas le jeûne qui les arrache au danger; c'est le changement de vie qui apaise le Seigneur et le leur rend favorable. Si je vous dis ces choses, ce n'est point pour vous faire mépriser le jeûne, mais bien pour vous porter à l'estimer davantage. Ce qui relève le jeûne, ce n'est pas l'abstinence de nourriture, mais la fuite du péché. Ne voir dans le jeûne qu'une privation de nourriture, c'est lui faire outrage. Si vous jeûnez vraiment, montrez-le par vos oeuvres? Quelles seront ces oeuvres, me demandez-vous? Si vous voyez un pauvre, ayez pitié de lui; si vous voyez votre ennemi, réconciliez-vous avec lui; si votre ami accomplit une action digne d'éloge, ne lui portez point envie; si vos yeux aperçoivent une belle femme, ne vous arrêtez point. Ce n'est pas seulement notre bouche qui doit jeûner, mais nos yeux, nos oreilles, nos pieds, nos mains, tous nos membres. Que nos mains jeûnent, c'est-à-dire qu'elles soient pures de toute rapine et de toute avarice. Que nos pieds jeûnent, c'est-à-dire qu'ils s'abstiennent de courir à des spectacles illicites. Que nos yeux jeûnent, c'est-à-dire qu'ils s'habituent à ne jamais lancer de regards immodestes, à ne jamais se fixer avec curiosité sur des objets dangereux. Les yeux vivent de spectacles; s'ils sont illégitimes et défendus, le jeûne en souffre et le salut de l'âme est en péril : légitimes et permis, ils sont un ornement du jeûne. Ne serait-il pas absurde en effet de se priver d'une nourriture d'ailleurs permise, et de rassasier cependant ses yeux d'un aliment qui leur est interdit ? Vous ne mangez point de viande? Eh bien ! ne vous nourrissez point d'impureté par vos yeux. Que les oreilles jeûnent aussi; et leur jeûne consiste à n'écouter ni médisances ni calomnies. Vous ne prêterez point l'oreille aux vains discours (Exod. XXIII, 1), dit la sainte Ecriture.

5. Que la bouche jeûne, en s'abstenant de toute parole déshonnête et injurieuse. A quoi bon nous priver de la chair des oiseaux et des poissons, si nous déchirons, si nous dévorons nos frères? Le médisant dévore la chair de son frère, il déchire la chair du prochain. Et c'est pourquoi saint Paul dit cette parole (564) terrible : Si vous vous déchirez et si vous vous dévorez les uns les autres; ne voyez-vous pas que vous allez vous faire mourir les uns les autres (Gal V, 15.) ? Vos dents ne se sont point enfoncées dans la chair, mais votre médisance, votre soupçon, s'est enfoncé dans les âmes, vous les avez blessées; vous les avez accablées de mille maux, la vôtre, celle qui vous écoute et beaucoup d'autres. Celui qui vous entend médire, ne l'avez-vous point rendu pire qu'il n'était ? Pécheur, il péchera plus facilement encore, depuis qu'il a rencontré son pareil; juste, les péchés d'autrui lui donneront de l'arrogance et de l'orgueil, et il aura de lui-même une haute opinion. Bien plus, c'est l'Eglise tout entière que vous avez blessée. Ceux qui vous écoutent, ce n'est pas à-un seul qu'ils imputent les fautes dont vous parlez, mais à tout le peuple chrétien. Les infidèles ne diront pas que tel ou tel est un impudique et un débauché, mais ils poursuivront de leurs calomnies tous les chrétiens. N'est-ce pas, en outre, donner occasion de blasphémer le Seigneur? Si nous vivons saintement, le nom de Dieu est glorifié; mais si nous péchons, on le blasphème et on l'outrage. Vous couvrez de honte celui dont vous révélez le péché, vous le portez à l'impudence et vous en faites votre ennemi. Enfin vous méritez d'être puni, en vous occupant de choses quine vous concernent en rien. Ne venez pas me dire : Je suis un détracteur, si je mens; mais si je dis la vérité, je ne mérite pas ce nom car dire du mal d'autrui, même sans mentir, c'est encore une faute. Le pharisien ne disait que la vérité, quand il adressait tant de reproches au publicain; et cependant quel profit lui en revint-il ? Ce publicain n'était-il pas un publicain et un pécheur? C'était un publicain, tout le monde le sait. Néanmoins ce pharisien, pour avoir médit de lui, se retira dépouillé de tous ses mérites. Voulez-vous corriger votre frère ? Versez des larmes, priez Dieu, avertissez dans le secret, donnez des conseils, exhortez. C'est ce que faisait saint Paul : Puissé-je, quand j'arriverai, ne pas avoir à m'humilier devant Dieu, ne pas avoir à pleurer un grand nombre de ces pécheurs qui n'auraient point fait pénitence de leurs débauches, de leurs fornications et de leurs impuretés! (II Cor. XII, 21.) Montrez-vous charitable envers le pécheur ! Faites-lui sentir que le zèle et l'affection seuls vous font agir, et nullement le désir de le couvrir d'ignominie. Prenez-lui les pieds,

baisez-les, et n'en ayez pas honte, si vous tenez à le guérir. Ne voyez-vous pas les médecins en agir de la sorte? S'ils ont affaire à des malades difficiles, ils les caressent, ils les prient, pour les décider à prendre un remède salutaire. Telle doit être aussi votre conduite révélez le mal au ministre de Dieu, et vous prouverez ainsi votre zèle, votre vigilance, votre sagesse. Voilà pour les médisants. Ceux qui les écoutent volontiers, je les exhorte à se boucher les oreilles et à imiter le prophète qui disait: Je m'acharnais contre celui qui en secret parlait mal de son prochain. (Ps. C, 5.) Dites Avez-vous à louer quelqu'un, à décerner quelque éloge? -J'ouvre mes oreilles, pour recevoir l'huile de vos paroles; mais si vous avez à médire du prochain, votre discours n'aura pas accès jusqu'à mon âme. Car je ne puis me souiller de boue et d'ordure. Que me reviendra-t-il de savoir que cet homme est un méchant? Ou plutôt ne serait-ce pas un malheur pour moi de l'apprendre ? Dites-lui : Demandons-nous comment nous rendrons compte de nos propres péchés; et soumettons notre propre vie à ce laborieux examen.

Quelle excuse, quel pardon oserons-nous espérer, si nous scrutons avec tant de curiosité les fautes d'autrui, quand nous ne songeons pas même aux nôtres ? Se baisser en passant pour plonger ses regards dans l'intérieur d'une maison, c'est s'avilir et se couvrir d'ignominie; serait-il moins ignoble de s'enquérir de la conduite des autres? Le comble du ridicule chez ces gens, qui, laissant de côté leurs affaires, se préoccupent ainsi du prochain, c'est que tout en confiant quelque secret, ils prient, ils conjurent de n'en parler à personne. N'est-ce pas assez dire qu'ils auraient dû se taire eux-mêmes? Si vous recommandez de n'en point parler, à plus forte raison ne fallait-il pas en parler vous-même tout le premier ? C'est un secret que vous deviez garder, vous le révélez, et vous voudriez ensuite qu'il ne fût pas violé. Si vous voulez que personne autre ne le sache, ne dites rien vous-même. Mais quand vous n'avez pas su vous-même garder le secret, en vain faites-vous promettre aux autres de tenir caché ce que vous venez de leur confier. Mais la médisance a son charme, dites-vous; au contraire, on se trouve bien de ne pas médire. Celui qui médit ne tarde pas à s'inquiéter, il soupçonne, il craint, il se repent, il se mord les lèvres, il tremble que ses paroles (562) ne soient rapportées, il redoute quelque grand danger pour lui-même, et pour ceux de qui il tenait le secret, une haine dont il se serait bien passé. Mais celui qui contient sa langue, vit en pleine sécurité et ne ressent que de la joie. Avez-vous entendu quelque discours ? dit l'Ecclésiaste (XIX, 10); qu'il meure au dedans de vous ; alors, soyez-en sûr, il ne vous brisera pas. Qu'est-ce à dire? qu'il meure en vous ! c'est-à-dire, étouffez-le, enfouissez-le , tenez-le immobile; appliquez-vous surtout à ne pas supporter que l'on médise devant vous. Si parfois vous accueillez quelques paroles médisantes, engloutissez-les, tuez-les, livrez-les à l'oubli , afin de ressembler à ceux qui ne les ont pas entendues, et de passer ainsi votre vie sans trouble et sans inquiétude. Si les détracteurs savent que vous les détestez plus que leurs victimes, ils perdront leur coupable habitude, ils se corrigeront, ils vous remercieront, ils vous regarderont comme des sauveurs et des bienfaiteurs. Dire du bien de quelqu'un, faire son éloge, c'est une preuve d'amitié; dire du mal, calomnier, c'est une source d'inimitié, de haine, et la matière de discordes sans fin. Si nous prenons si peu gardé à nos propres défauts, c'est que nous sommes sans cesse occupés à rechercher ceux d'autrui. Le médisant qui toujours épie les moeurs du prochain, n'a pas le temps de songer aux siennes. Il dépense toute son ardeur à cette vaine curiosité, et chez lui règne le désordre. Qu'il nous suffise de foiré quelques progrès, en consacrant nos loisirs à l'examen de nos propres péchés. Mais si vous ne songez qu'aux péchés du prochain, quand donc.pourrez-vous songer aux vôtres ?

6. Fuyons donc, fuyons la médisance, c'est le gouffre du fond duquel le démon nous tend ses piéges. C'est pour nous rendre négligents, pour charger davantage notre conscience, qu'il nous entraîne dans cette funeste habitude. Non-seulement nous rendrons compte des coupables discours tenus par nous; mais nous aggravons par là même nos fautes, en nous privant de toute excuse. Quiconque en effet recherche avec méchanceté les oeuvres d'autrui, celui-là n'obtiendra jamais de pardon pour les siennes. Au moment de prononcer la terrible sentence, Dieu ne considérera pas seulement la nature de nos fautes, mais aussi les jugements que nous aurons portés sur celles de nos frères. Aussi nous a-t-il avertis en nous disant : Ne jugez pas, si vous ne voulez pas être jugés. (Matth. VII, 1.) Car ce qui alors aggravera infailliblement nos fautes, déjà par elles-mêmes dignes de châtiment, ce sera le jugement que nous aurons porté sur notre frère. Si l'humanité, la douceur, la clémence, enlèvent aux fautes une partie de leur gravité, la méchanceté, la cruauté, le refus du pardon, y ajoutent un nouveau degré de malice. Bannissons donc loin de nos lèvres toute espèce de médisance, et soyons-en bien persuadés : aurions-nous de la cendre pour toute nourriture, c'est en vain que nous mènerions cette vie austère, si nous ne nous abstenions de médire. Ce n'est pas ce qui entre dans l'homme qui le souille, mais bien ce qui sort de sa bouche. Si en passant vous voyiez un homme remuer des immondices, ne l'accableriez-vous pas d'outrages et d'injures ? agissez-en de la sorte envers les médisants. Ces immondices remuées font moins de mal par leur puanteur aux fibres du cerveau que cette discussion des péchés d'autrui, que la révélation d'actions coupables n'attriste et ne trouble l'âme de ceux qui l'entendent. Oui, abstenons-nous de la détraction, des discours déshonnêtes, du blasphème; ne parlons mal, ni du prochain ni de Dieu. Combien de détracteurs, en effet, ont poussé la folie jusqu'à parler mal de Dieu lui-même après avoir mal parlé de leurs frères ! Que nos angoisses présentes vous fassent sentir toute la gravité de ce péché !

Voici qu'un homme a été outragé, et tous nous craignons, et tous nous tremblons, et ceux qui se sont rendus coupables, et ceux mêmes à qui leur conscience ne reproche rien. Or, Dieu chaque jour est accablé d'outrages ! Que dis-je? chaque jour ! Mais à toute heure ! et par les riches, et par les pauvres, par ceux qui vivent heureux, et par ceux qui souffrent, par les calomniateurs et par ceux qui sont calomniés, et personne ne songe à s'en inquiéter. S'il a permis que votre semblable fût outragé, c'est afin de vous instruire par le danger que vous courez, et de vous faire sentir quelle est l'étendue de sa bonté pour les hommes. C'est la première, l'unique insulte dont vous vous soyez rendus coupables, et cependant vous n'espérez déjà plus ni pardon ni indulgence. Dieu, nous l'irritons chaque jour sans nous repentir jamais, et il nous supporte avec une ineffable longanimité. Oh ! que le Seigneur est plein de clémence ! Les auteurs du crime, on s'en est saisi, on les a jetés en (563) prison, et ils ont expié leur faute; et cependant tous encore nous tremblons. Dieu entend chaque jour nos blasphèmes, et personne ne se convertit, et cela quand ce souverain Maître nous témoigne tant de clémence et de douceur. Il suffit pourtant de confesser son péché pour en obtenir le pardon. Chez les hommes, c'est tout le contraire; l'aveu de la faute amène un châtiment plus sévère ; et c'est ce qui est arrivé dans cette ville. Les uns, en effet, ont péri par le fer, d'autres parle feu, d'autres dévorés par les dents des bêtes féroces; et ce n'étaient pas seulement des hommes, mais encore des enfants. Rien ne put les arracher au supplice. En vain le peuple s'agita; en vain l'on objecta la faiblesse de l'âge, cette fureur inspirée, semblait-il, à quelques-uns par le démon lui-même, ces coactions intolérables, la pauvreté, la complicité de toute une ville; en vain l'on promit qu'à l'avenir de pareils forfaits ne se renouvelleraient point. Rien ne put obtenir le pardon. On entraînait les coupables au lieu du supplice, et pour qu'on ne pût les sauver, des soldats armés faisaient bonne garde autour d'eux. Leurs mères les suivaient et de loin jetaient les yeux sur leurs fils infortunés, sans oser proférer une plainte; l'effroi triomphait de l'amour, et la crainte l'emportait sur la nature. On s'afflige en regardant du rivage de malheureux naufragés qui se noient, mais on ne peut leur porter secours et les sauver. La fureur des flots s'y oppose ! Ainsi la crainte des soldats retenait ces malheureuses mères; non-seulement elles n'osaient approcher pour les arracher à leurs bourreaux, mais elles n'osaient même pas les plaindre. Sentez-vous maintenant tout ce qu'il y a d'ineffable dans la divine miséricorde? Oui, elle est infinie ! Oui, le discours est impuissant à la redire ! Ici la victime de vos outrages, c'est un homme comme vous; c'est la première insulte qu'il ait endurée, et encore il était loin d'ici; il n'a rien vu, rien entendu; aucun des coupables n'a cependant été pardonné. Rien de tout cela ne peut se dire de Dieu. Entre l'homme et Dieu il y a une distance qu'aucune parole ne saurait exprimer; tous les jours on l'accable d'outrages, qu'il voit et qu'il entend; et il n'a point lancé sa foudre, et les eaux de la mer n'ont point inondé la terre pour engloutir les hommes, et la terre ne s'est point entr'ouverte pour les dévorer; mais il supporte avec longanimité, mais il promet le pardon à ceux qui l'offensent, pourvu qu'ils se repentent et qu'ils consentent à ne plus l'offenser !

Ah ! il y a lieu de nous écrier : Qui dira la puissance du Seigneur ? Qui pourra célébrer dignement ses louanges? (Ps. CV, 2.) Que de pécheurs ont non-seulement renversé, mais encore foulé aux pieds les images de leur Dieu ! Quand vous torturez un débiteur, quand vous le dépouillez, quand vous l'entraînez de vive force, n'est-ce pas l'image de Dieu que vous foulez aux pieds? Ecoutez saint Paul vous dire que l'homme ne doit pas se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu. (I Cor. XI, 7.) Et Dieu lui-même ne dit-il pas Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ? (Gen. I, 26.) Mais, dites vous, la substance de l'homme est bien différente de celle de Dieu. Et l'airain d'une statue est-il de la même substance que l'empereur? Cependant ceux qui ont osé lui faire outrage ont été châtiés. Les hommes, il est vrai, ne sont pas de la même substance que Dieu, mais ils ont été appelés les images de Dieu, et à ce titre, il faut les honorer. Et vous, cependant, pour un peu d'or vous les foulez aux pieds, vous les tourmentez, vous les maltraitez, et vous n'avez pas encore expié vos fautes.

7. Puissiez-vous aujourd'hui opérer en vous une heureuse transformation ! Oui, je vous le prédis, je vous l'affirme, si, une fois cet orage apaisé, nous restons dans notre engourdissement, nous aurons à souffrir des maux pires que ceux qui nous menacent. Ce qui m'effraye maintenant, c'est moins le courroux de l'empereur, que notre indolence. Il ne suffit pas d'avoir prié deux ou trois jours pour obtenir assistance, mais il faut changer de vie, renoncer à nos mauvaises dispositions, et persévérer dans la vertu. A quoi sert aux malades de suivre un traitement de trois ou quatre jours, s'ils n'ont d'ordinaire une vie bien réglée ? Une conversion de quelques jours n'offre pas plus d'avantages aux pécheurs, s'ils ne persévèrent dans le bien. A quoi bon se purifier, dit l'Ecriture, pour se souiller de nouveau ? A quoi bon aussi faire pénitence pendant trois jours pour retourner ensuite à son premier état de vie ? Ayons donc plus de persévérance que par le passé. Chaque fois qu'il survient un tremblement de terre, une famine, une sécheresse, nous devenons sages et vertueux, mais pour trois ou quatre jours ; et ensuite les désordres reprennent. Vous en (564) voyez les résultats. Ah ! si nous ne l'avons point fait plus tôt, du moins aujourd'hui persévérons dans notre piété, dans notre vertu, pour ne pas nous exposer à de nouveaux châtiments. Dieu ne pouvait-il pas empêcher ce qui est arrivé ? Nul doute qu'il ne le pût. Il l'a permis, afin que la crainte inspirée par un homme rendît plus sages ceux qui le méprisaient lui-même. Ne me dues pas qu'un grand nombre de coupables ont échappé, et, qu'on a puni bien des innocents. Ce n'est pas seulement dans la circonstance présente que se tiennent ces discours, mais dans bien d'autres circonstances analogues. Que leur répondrai-je? Un innocent a été puni; c'est qu'il avait commis quelque faute plus grave encore, sans vouloir ensuite se corriger, et aujourd'hui il a subi la peine qu'il méritait.

C'est ainsi que Dieu en agit habituellement. Quand nous avons péché, il ne se venge pas sur-le-champ; mais il attend, il nous donne le temps de nous repentir et de, nous corriger. Mais si, pour n'avoir pas été punis, nous nous imaginons que nos fautes sont oubliées, si nous vivons à l'abri de toute inquiétude, la vengeance éclate au moment où nous y songeons le moins. Aussi, quand après notre péché nous n'avons pas été châtiés, ne nous rassurons point, si nous n'avons changé de vie nous tomberons alors que nous n'y penserons pas. Si donc, mes chers auditeurs, si vous avez péché et que vous n'ayez pas été punis, ne vous croyez pas à l'abri de tout danger; mais au contraire, tremblez davantage, sachant bien qu'il est facile à Dieu de se venger quand il le voudra; s'il ne vous a point punis alors, c'était pour vous donner le temps de faire pénitence. Ne dites donc point: celui-ci malgré son innocence a succombé, et cet autre, qui était coupable, a échappé au supplice. Cet innocent que l'on a puni, a subi la peine de fautes antérieures. Et celui qui vient d'échapper, tombera dans un . autre piège. Si tels sont nos sentiments, jamais nous ne mettrons en oubli nos fautes personnelles,; mais nous craindrons, nous tremblerons sans cesse, nous nous hâterons de nous les rappeler, pour ne pas tomber sous les coups de la justice divine. Ce qui mieux que tout le reste réveille en nous le souvenir de nos fautes, c'est la punition et le châtiment; les frères de Joseph nous en sont une preuve. Il s'était écoulé treize ans depuis qu'ils avaient vendu le juste; craignant d'en être punis, et tremblant pour leur vie, ils se souvinrent de leur péché et se dirent entre eux: Oui, nous sommes pécheurs, nous avons vendu notre frère Joseph. (Gen. XLII, 21) Voyez-vous comment la crainte leur remit leur crime devant les yeux? Au moment.où ils le commirent, ils n’y songèrent pas; mais quand ils se virent menacés d’un châtiment, ils se le rappelèrent aussitôt. En présence de tant de motifs, hâtons-nous donc de changer de vie et de nous convertir et pendant, que durent encore les angoisses, revenons à la piété et  la vertu. Voici trois recommandations que je veux vous faire, et soyez-y, fidèles. pendant ce jeûne quadragésimal : Abstenez-vous de médire, n'ayez de haine pour personne, et mettez fin à cette funeste habitude. de jurer. Quand on vous impose un tribut, chacun de vous s'en va dans sa maison, appelle sa femme et ses enfants ; on cherche, on se demande où l'on prendra pour payer la somme exigée. Pourquoi. n'en exigeriez-vous pas aussi quant à ces injonctions spirituelles? Rentrés chez vous, appelez vos femmes et vos fils, et dites-leur : On nous impose aujourd'hui un tribut spirituel, un tribut qui doit nous délivrer des maux présents, un tribut qui loin de nous appauvrir, nous. enrichira; il s'agit de n'avoir de haine pour personne, de ne plus médire, de ne plus jurer.

Allons, considérons, examinons, cherchons ensemble comment mettre en pratique ces recommandations.. Mettons-y tout notre zèle, avertissons-nous les uns les autres; reprenons-nous les uns les autres ; afin de ne point quitter cette terre avec des dettes, de ne point avoir à emprunter, comme firent les vierges folles, et de ne point encourir la perte du salut éternel. Si nous savons ainsi régler notre vie, je vous l'affirme, je vous le promets, nous apporterons quelque remède à nos maux, et nous échapperons au danger qui nous menace; mais surtout nous jouirons un jour du bonheur éternel. J'aurais dû vous recommander la pratique de toutes les vertus ensemble; mais il vaut mieux, je crois, vous amener peu à peu à accomplir d'abord quelques préceptes de la loi, pour aborder ensuite les autres. De même que c'est en remuant son champ partie par partie que le laboureur arrive au terme de ses travaux; de même nous aussi, par l'exacte observation de ces trois commandements durant cette sainte quarantaine, après avoir fortement (565) établi dans nos âmes cette bonne habitude, nous accomplirons plus facilement les autres préceptes, et nous finirons par atteindre le sommet de la vertu ; nous vivrons ici-bas remplis d'une douce espérance, et, après notre mort, nous nous présenterons avec confiance devant le Christ pour aller jouir des biens qu'il nous réserve. Puissions-nous tous être trouvés dignes de cette éternelle félicité, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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