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DIX-NEUVIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE. Ce discours fut prononcé le cinquième dimanche de carême, et à la suite d'une fête des martyrs et de la translation de leurs reliques. — Comme cette fête attirait encore un grand concours de gens des campagnes environnantes, saint Chrysostome fait l'éloge de leur foi et de leur simplicité, et il montre que ces vertus rendent leur ignorance bien supérieure à toute la science des anciens philosophes. — Il attaque ensuite le blasphème et le jurement; il en développe les suites funestes, et décrit tous les malheurs que le parjure du roi Sédécias attira sur le royaume de Juda. — Il oppose aussi le peu de violence que l'on s'impose pour se corriger aux efforts persévérants des comédiens, bateleurs et danseurs de cordes pour réussir dans leurs exercices; et il termine en exprimant le voeu qu'Antioche obtienne la gloire d'avoir entièrement détruit la criminelle habitude du serment et du parjure.

 

1. Vous avez célébré, ces jours derniers, la fête des saints martyrs, vous avez goûté une joie toute spirituelle, et vous avez fait éclater une pieuse allégresse. On a exposé à vos yeux des corps percés de coups : vous avez vu des poitrines ouvertes par le fer, dont le sang semblait encore découler, et vous avez pot jurer de la variété comme de la rigueur des tourments. Vous avez admiré en ces martyrs un courage surhumain, vous avez baisé leurs couronnes teintes de sang, et vous avez triomphalement promené ces saintes reliques par toutes les rues de la cité. Malade, et obligé de rester renfermé, je n'ai pu, à taon grand regret, assister à cette fête, mais je n'ai point laissé que de prendre part à votre joie : je n'ai pu me mêler à vos rangs, mais je rite suis uni à votre allégresse. Car, telle est la force de la charité, qu'elle supplée à l'absence par la communication de la joie, et qu'elle nous rend propres les plaisirs de nos frères. C'est ainsi que du fond de ma demeure je me réjouissais avec vous : et aujourd’hui, à peine convalescent, j'accours ici tout empressé de contempler vos riants visages, et de participer à la solennité de ce jour, car je rie puis nommer autrement cet immense concours de nos frères qui par leur présence ajoutent à la gloire de cette ville, et honorent notre assemblée.

Sans doute ce peuple n'entend point notre langage, mais il n'est pas étranger à notre foi, il vit dans une paisible tranquillité, et ses moeurs sont aussi modestes que sages et réglées. Il ignore le théâtre et ses scandales, les courses de chevaux, les rendez-vous des courtisanes, et le tumulte des grandes villes. Le (104) luxe et la volupté sont inconnus parmi ce peuple, et la sagesse s'y épanouit en tout son éclat. La cause en est que sa vie est laborieuse et qu'à ses yeux l'agriculture est une véritable école de vertus. Il s'applique donc à la culture de la terre, ce premier de tous les arts que Dieu nous a révélés. Car Adam, avant même son péché, et quand il jouissait d'une entière liberté, devait cultiver la terre. Ce n'était point, il est vrai, un travail pénible et fatigant, mais une occupation douce et agréable. Le Seigneur, dit l'Ecriture, plaça l'homme dans le paradis pour le cultiver et le garder. (Gen. II, 15).

C'est ainsi que nous voyons ces bons laboureurs tantôt diriger la charrue et creuser de profonds sillons, et tantôt expliquer à leurs serviteurs la doctrine sainte ; tantôt arracher soigneusement de leurs champs les ronces et les épines, et tantôt déraciner dans les âmes les germes du péché, car ils ne rougissent point des travaux de l'agriculture, comme nos citadins; et ils n'ont honte que de l'oisiveté, parce qu'ils savent qu'elle enseigne le mal, et. que dès l'origine elle a perverti tous ceux qui s'y abandonnent. Voilà donc de véritables philosophes qui le sont, non par l'habit, mais par le sentiment et la vertu. Quant aux philosophes païens, ils ne sont que des acteurs et des comédiens, puisque toute leur philosophie consiste à porter un manteau, une longue barbe et une robe flottante. Nos laboureurs au contraire méprisent tout ce vain extérieur : ils rejettent le bâton et la barbe, et ne s'attachent qu'à orner leur âme des préceptes de la vraie philosophie, et qu'à les réaliser par la pratique des vertus. Oui, prenez au hasard un de ces hommes qui vivent dans les champs, et qui semblent ne devoir connaître que la bêche et la charrue, et interrogez-le sur ces grandes vérités, au sujet desquelles les philosophes païens ne peuvent malgré toutes leurs recherches et leurs longs discours, nous donner une réponse satisfaisante, et il vous répondra avec une rare précision et une grande sagesse. Ajoutons encore à leur gloire qu'ils conforment leur vie à leur croyance. Ils savent donc que nous avons une âme immortelle, et que nous devons comparaître au jugement redoutable du Seigneur pour y rendre compte de toutes nos actions. C'est pourquoi ils dirigent toutes leurs oeuvres vers cette fin suprême, et se montrent supérieurs aux frivolités de notre luxe. Car le Sage leur a appris que tout est vanité, et vanité des vanités. (Eccli. I, 2.) Aussi ne cherchent-ils aucune des pompes du monde.

Ils savent également ce que Dieu nous a révélé de sa nature et de ses attributs. Prenez donc un philosophe païen, s'il vous est possible d'en rencontrer aujourd'hui, et parcourez avec lui, sur ces questions, les plus célèbres ouvrages de l'antiquité. Rapprochez ensuite de ces longues dissertations les réponses précises de nos laboureurs, et vous verrez combien ceux-ci sont sages, et ceux-là insensés. Parmi ces derniers, les uns soutiennent que Dieu est étranger au gouvernement du monde, et qu'il ne l'a point créé; et les autres affirment que la vertu ne se suffit point à elle-même, et que tout le bonheur consiste dans l'or, l'éclat et la noblesse. Mars à ces extravagances, et à mille autres plus ridicules encore, nos laboureurs, si ignorants d'ailleurs, en toutes autres choses, opposent le dogme d'un Dieu qui a tiré le monde du néant, qui le gouverne, et qui doit juger tous les hommes. Eh ! qui n'admirerait ici la puissance du Christ? il fait que des gens ignorants et grossiers surpassent autant en sagesse ces présomptueux philosophes que des vieillards consommés en prudence surpassent de jeunes étourdis.

Peu importe donc que leur langage soit impoli, puisque leur esprit est doué de sagesse 1 et de quelle utilité est à un philosophe païen la grâce et l'urbanité de sa parole si, dans le fond de l'âme, il n'est qu'un insensé? Que dirions-nous d'un soldat qui porterait une épée dont la garde serait d'argent, et la lame de plomb? C'est ainsi que la parole des philosophes est parée de science et d'éloquence, et que leur pensée est tellement vide de sens et de sagesse , qu'ils ne disent rien de bon ni d'utile. Chez nos laboureurs, au contraire, l'esprit est tout rempli d'une sublime philosophie, et leur vie est conforme à leur croyance. on ne trouve point parmi eux ces femmes qui ne songent qu'à la toilette et au luxe des vêtements, et qui emploient le fard et les couleurs. Car ils ont banni de leurs campagnes toute cette corruption des moeurs. C'est pourquoi ils retiennent facilement la femme dans cette humble soumission que l'Apôtre lui recommande; et ils gouvernent aisément une famille qui borne son ambition à se procurer la nourriture et le vêtement.

 

105

 

Sans doute ces bons laboureurs ne connaissent point la délicatesse de nos parfums. Mais les champs émaillés de mille fleurs odorantes leur en fournissent de plus exquis. Chez eux le corps est aussi robuste que l'âme est pure. Ne nous en étonnons point; ils ignorent les raffinements de nos tables, non moins que les transports de l'ivresse, et ils ne mangent qu'autant qu'il est nécessaire pour vivre. Ne méprisons donc point la simplicité de leurs vêtements, et admirons plutôt la sagesse de leurs moeurs. Eh ! qu'importe un riche habit, si l'âme est nue et indigente! Nous devons louer et estimer l'homme non d'après ses vêtements, mais d'après les qualités de son âme; pénétrez donc dans le secret de cette âme, et vous verrez en sa source cette beauté et cette richesse qui s'épanchent au dehors par les paroles, la croyance et les moeurs.

2. Que toute la philosophie païenne se cache et qu'elle rougisse de sa prétendue sagesse qui n'est qu'une véritable folie l Ses docteurs n'ont gagné pendant leur vie qu'un nombre bien restreint de disciples; et encore les ont-ils perdus au moindre danger. Mais les apôtres de Jésus-Christ, ces hommes qui n'étaient que des pêcheurs, des publicains et des faiseurs de tentes, ont en peu d'années amené l'univers à la vérité de l'Evangile. Les persécutions elles-mêmes, quoique sans cesse renaissantes, n'ont pu arrêter les progrès de leur prédication ; et aujourd'hui les lumières de la foi se répandent avec tant d'éclat qu'elles éclairent et rendent savants de grossiers laboureurs et des pâtres ignorants. Louons aussi l'ardente charité qui est en eux le principe de tout bien, et qui leur a fait entreprendre un si long voyage pour visiter et embrasser des frères.

Eh bien ! en reconnaissance de ces témoignages d'amitié et d'affection, je vous demande de pourvoir à leurs besoins, afin qu'ils s'en retournent heureusement. Pour moi, j'aborde de nouveau la question du jurement, et puissé-je en détruire entièrement la criminelle habitude l mais il faut auparavant vous rappeler ce que j'ai déjà dit sur ce sujet. Lorsque les Juifs revinrent dans la Palestine après la captivité de Babylone, le prophète Zacharie leur rapporta la vision suivante : Je voyais une faux qui volait dans les airs : sa longueur était de vingt coudées, et sa largeur de dix; et il me fut dit : c'est la malédiction qui sort sur toute la terre; elle viendra dans la demeure du parjure pour la ruiner et en détruire les bois et les pierres. (Zach. V, 1-4.) La citation de cette prophétie m'amena à rechercher pourquoi le Seigneur ajoute au châtiment personnel du parjure, la ruine de sa maison ; et je vous dis qu'il veut donner cet éclat à la punition d'un grand crime, afin qu'elle nous soit un salutaire avertissement. A la mort du parjure, son cadavre est enseveli et confié à la terre, mais le souvenir de son iniquité survit à la destruction du corps ; car tous ceux qui voient les ruines de sa maison, et qui en apprennent la cause s'instruisent à éviter les mêmes péchés : c'est ce que nous prouve l'exemple de Sodome. Pour punir les moeurs infâmes de ses habitants, Dieu fit descendre du ciel une pluie de feu qui dévora la terre elle-même ; en sorte qu'aujourd'hui encore le sol atteste ce terrible châtiment. (Gen. XIX.)

Et observez ici la bonté du Seigneur. On ne voit plus ces pécheurs se consumer au milieu des flammes; car la terre recouvre leurs cendres, mais cette même terre conserve les marques d'une violente ignition, et son aspect seul est une voix éloquente qui se fait entendre aux yeux, et qui crie à toutes les générations n'incitez pas les crimes de Sodome, si vous ne voulez en partager les châtiments. C'est qu'en effet toute parole s'efface en présence de ces traces toujours visibles de la vengeance divine. Je pourrais en appeler au témoignage de nombreux voyageurs sur lesquels le récit de l'Ecriture n'avait d'abord produit qu'une légère impression. Mais quand ils ont eu visité ces contrées, et qu'ils ont vu cette terre stérile, ces vestiges d'un terrible incendie, et ce sol qui n'est qu'une couche de cendre et de poussière, ils sont revenus saisis d'effroi, et profondément touchés de cette grande leçon. Car la nature du châtiment est en rapport avec la nature du crime, et de même que les Sodomites empêchaient la sainte fécondité du mariage, Dieu pour les punir a rendu cette contrée stérile et inféconde. Il menace donc de renverser la maison du parjure, afin que son exemple nous corrige.

3. Je poursuis aujourd'hui ce sujet, et ce ne sont plus deux ou trois maisons dont je veux vous citer la ruine, mais c'est la destruction entière d'une cité célèbre, d'un peuple religieux, d'une nation spécialement chérie de Dieu, et d'une tribu échappée à mille périls, (106) Jérusalem était la ville bien-aimée du Seigneur; elle possédait l'arche sainte, le temple et l'ensemble du culte divin. Là avaient paru les prophètes, et l'Esprit-Saint y avait répandu ses dons; là reposaient l'arche, les tables de la loi et l'urne d'or; et là se montraient souvent les esprits célestes. Jérusalem, au milieu de guerres fréquentes et de mille incursions des barbares, paraissait comme environnée d'une enceinte plus dure que le diamant, en sorte que toujours elle s'était ri de ses ennemis, et que même parmi les ravages de toute la Palestine, elle ne subit aucun grave désastre. Bien plus, elle faisait souvent éprouver à ses ennemis des pertes considérables, et elle était l'objet d'une providence si particulière que le Seigneur disait lui-même: J'avais trouvé Israël comme une grappe de raisin dans le désert, et j'avais choisi leurs pères comme ces premiers fruits qui paraissent au sommet du figuier. (Osée, IX, 10.) Il ajoutait encore en parlant de Jérusalem : Quand on trouve une olive agi sommet de l'arbre, on dit : ne la perdons pas. (Isaïe, LXV, 8.) Cependant cette cité chérie de Dieu, après avoir échappé à mille dangers, obtenu le pardon de bien des fautes, et évité seule les maux de sa captivité, fut ruinée une première fois , et ensuite plusieurs autres fois par suite d'un parjure. Comment cela arriva-t-il? je vais vous le dire.

Sédécias, roi de Jérusalem, s'était engagé par serment envers Nabuchodonosor, roi de Babylone, à lui demeurer soumis et fidèle; il trahit ensuite son serment, et s'étant allié par un parjure, au roi d'Egypte, il éprouva les terribles châtiments que je vais raconter. Mais il est d'abord nécessaire de rapporter la parabole qui dans Ezéchiel annonce ces événements. Le Seigneur me parla, dit le Prophète, et il me dit : Fils de l'homme, propose cette énigme, et raconte cette parabole. Voici les paroles du Seigneur Dieu : un aigle énorme , avec de grandes ailes, un corps immense et des serres nombreuses dirigea son vol vers le Liban. (Ezéch. XVII, 1-3.) Ici l'aigle signifie le roi de Babylone ; et le prophète lui donne de grandes ailes, un corps immense et des serres nombreuses pour marquer la multitude de ses soldats, la grandeur de sa puissance et la rapidité de son attaque, car ce que sont à un aigle les ailes et les serres, les soldats et les chevaux le sont à un roi. Or, l'aigle dirige son vol vers le Liban. Cette expression dirige son vol marque dans le roi de Babylone un dessein fixe et arrêté; et le Liban désigne la Judée parce qu'elle s'étend au pied de cette montagne. Le prophète continue ensuite à symboliser ainsi le traité et le serment du roi Sédécias. Et cet aigle prit de la racine, et il la confia à la terre comme une semence, afin qu'elle prît racine sur les grandes eaux, et il la planta sur la surface de la terre. Lorsque cette semence eut germé, elle forma une vigne étendue, mais basse, dont les branches regardaient cet aigle, et dont les racines étaient sous lui. (Ezéch. XVII, 5.) Ici Jérusalem est la vigne; et parce que ses branches regardent l'aigle, et que ses racines sont sous lui, Jérusalem a fait alliance avec le roi de Babylone, et lui est devenue tributaire.

Cependant le prophète nous révèle l'iniquité de cette vigne. Et il parut, dit-il, un autre aigle, le roi d'Egypte ; cet aigle était énorme, et avait de grandes ailes et des serres nombreuses ; et voilà que la vigne porta ses racines et étendit ses branches vers cet aigle, afin qu'il l'arrosât de ses eaux fécondes. C'est pourquoi le Seigneur dit : cette vigne prospérera-t-elle? pourra-t-elle  subsister, vivre et ne pas périr? (Ezéch. XVII, 7, 9.) Le prophète pouvait-il marquer plus expressément le parjure de Sédécias? et pour montrer que ce parjure est la cause unique et réelle de sa ruine, il ajoute : Le premier aigle arrachera les racines encore tendres de cette vigne, il enlèvera ses fruits, et desséchera ses rejetons. Bien plus, Jérusalem doit périr moins sous les coups de l'homme que sous ceux de la vengeance divine. Aussi observe-t-il que pour la détruire entièrement, cet aigle n'aura besoin ni de la force de son bras, ni de la multitude de son peuple. (Ezéch. XVII, 9.)

Telle est la parabole contre Jérusalem, et le prophète en donne lui-même l'explication. Voilà, dit-il, que le roi de Babylone vient à Jérusalem; et après quelques autres détails, il poursuit ainsi : et il fera, alliance avec son roi, mais celui-ci deviendra parjure, et enverra des ambassadeurs au roi d'Egypte pour en obtenir des chevaux et une grande armée. Enfin la prophétie se termine prie ces paroles qui prouvent que tors les malheurs de Sédécias doivent être imputés à son parjure. Il mourra au milieu de Babylone, au séjour du roi qui l'avait établi roi, parce qu'il a méprisé mes menaces, dit le Seigneur, et transgressé mes lois. Il périra (107) donc et ce ne sera point out milieu dune grande armée, uni d'un peuple nombreux, parce qu'il a violé son serment, et qu'il a brisé le pacte de l'alliance. Le serment qu'il a méprisé, et l'alliance qu'il a rompue, pèseront sur sa tête ; et l'étendrai mon rets sur lui. (Ezée. XVII, 16-20.) Voyez-vous comme le prophète répète plusieurs fois que Sédécias s'est attiré tous ses malheurs par son parjure, car le Seigneur est implacable pour un tel crime.

Mais s'il punit le parjure, comme nous le voyons par les désastres de Jérusalem, il châtie aussi le retard affecté qu'on met à remplir un serment, tant il est zélé pour en faire observer les saints engagements. Il arriva donc, dit l'Ecriture, qu'en la neuvième année du règne de Sédécias, le dixième jour du dixième mois, Nabuchodonosor, roi de Babylone, vint avec toute son armée contre Jérusalem, et mit le siège devant la ville, et il éleva des retranchements tout autour, et la ville fut enfermée et investie jusqu'à la onzième année du roi Sédécias, et jusqu au neuvième jour du mois, et la famine s'établit dans la ville, et le peuple de la terre n'avait pas de pain, et la ville fut ouverte. (IV Rois, XXV, 1-4.) Sans doute le Seigneur pouvait dès le premier jour livrer Jérusalem à ses ennemis, et en soumettre les habitants à Nabuchodonosor; mais il différa ce châtiment pendant trois ans, et leur fit éprouver toutes les duretés d'un long siège , afin que pressés au dehors par la terreur des armes, et au dedans par les rigueurs de la famine, ils contraignissent Sédécias à se rendre aux Assyriens, et à expier ainsi son parjure. Au reste ce n'est point ici de ma part une simple conjecture; c'est la vérité même, et pour s'en convaincre, il suffit de citer les paroles suivantes du prophète Jérémie : Si vous sortez, dit-il à Sédécias, pour aller vers les princes du roi de Babylone, votre âme vivra, et celte ville ne sera point brûlée, et vous vous saurerez, vous et votre maison; mais si vous n'allez pas vers les princes du roi de Babylone, cette ville sera livrée aux mains des Chaldéens, et ils la brûleront, et vous n'échapperez pas à leurs mains. Et le roi Sédécias dit à Jérémie: je suis troublé à cause des juifs qui ont fui vers les Chaldéens ; je crains qu'ils ne m'abandonnent entre leurs mains, et qu'ils ne se jouent de moi. Or Jérémie répondit: Ils ne vous livreront point; mais écoutez la parole du Seigneur que je vous annonce, et vous vous en trouverez bien, et votre âme vivra. Si vous ne voulez point sortir, voici ce que le Seigneur m'a montré. Toutes les femmes restées dans lei maison du rai de Juda seront conduites aux princes du roi de Babylone, et elles diront: Ces hommes qui parlaient de paix, vous ont séduit; ils ont prévalu contre vous, et ils ont engagé vos pas sur un terrain glissant; ils se sont éloignés de vous; et voici qu'ils livreront toutes vos femmes et vos enfants aux Chaldéens; et vous n'éviterez pas leurs mains, mais vous serez pris par le roi de Babylone, et il brûlera cette ville. (Jéré. XXXVIII, 17-23.)

Cependant Sédécias ne voulut point croire le prophète, et il persista dans son péché et son iniquité. C'est pourquoi Jérusalem fut prise après un siège de trois ans : et ce délai prouvait assez toute la patience du Seigneur, et toute l'ingratitude de Sédécias. Les Chaldéens entrèrent donc dans Jérusalem avec une grande facilité, et ils en incendièrent le temple, le palais et les maisons. Le chef de l'armée détruisit par le feu toutes les plus belles maisons de Jérusalem, et il en abattit les murailles. On eût dit que cet incendie allumé par des mains barbares agissait selon les ordres et la direction du serment qui avait été violé. Le général de l'armée transporta à Babylone tout le peuple qui était demeuré dans la ville, et les transfuges qui s'étaient rendus au roi de Babylone. Et les Chaldéens, dit encore l'Ecriture, brisèrent les colonnes d'airain qui étaient dans le temple du Seigneur, et les soubassements, et la mer d'airain qui étaient dans la maison du Seigneur; et ils transportèrent à Babylone les cuves d'airain, les fourchettes, les coupes, les mortiers et tous les vases d'airain qui servaient au temple. Ils prirent aussi les encensoirs et les coupes d'or et d'urgent. Et Nabazardan, chef de l'armée, emporta les deux colonnes, la mer et les vases que Salomon avait faits pour le temple du Seigneur. Il emmena aussi Saraïas, grand prêtre, et Sophonie qui était le premier au-dessous de lui, et les trois portiers, et l'eunuque de la ville qui commandait l'armée, et cinq de ceux qui étaient toujours devant le roi, et Saphan, chef de l'armée, et le secrétaire du roi, et soixante des principaux citoyens. Il les conduisit au roi de Babylone qui les condamna et les fit mourir. (IV Rois, XXV, 13-21.)

Rappelez-vous maintenant cette faux qui vole dans les airs, qui pénètre dans la maison (108) du parjure, et qui en détruit les murs, les bois et les pierres : et voyez comme le crime de la foi violée entre dans Jérusalem, renverse son temple et ses maisons, ses superbes édifices et ses murailles, en sorte que cette ville n'est plus qu'un amas de ruines. Ajoutons encore que ni le saint des saints, ni les vases sacrés, ni nulle autre considération ne purent arrêter la vengeance divine, parce qu'un parjure avait été commis. Tel fut le terrible châtiment de Jérusalem; mais celui de Sédécias fut plus triste encore et plus affreux. Cette même faux volante qui avait rasé les édifices de sa capitale l'atteignit dans sa fuite. Sédécias, dit l'Ecriture, sortit de la ville pendant la nuit, par une porte dérobée, parce que les Chaldéens environnaient l'enceinte des murailles, et l'armée des Chaldéens poursuivit le roi et le prit. Et après l'avoir pris, les Chaldéens l'amenèrent au roi de Babylone qui entra en jugement avec lui. Il fit mourir les fils de Sédécias sous les yeux de leur père, et il lui creva les yeux, l'enchaîna et l'emmena à Babylone. (IV Rois, XXV, 4-7).

Mais que signifie cette parole : il entra en jugement avec lui. Elle marque que Nabuchodonosor demanda à Sédécias les raisons de sa perfidie, et qu'il en discuta avec lui le châtiment. C'est pourquoi il fit mourir ses enfants en sa présence pour le rendre témoin de leur supplice, et puis il lui creva les yeux. Et maintenant voulez-vous savoir les raisons de ce barbare traitement? C'était pour que ce prince servît d'exemple aux peuples étrangers et aux juifs qui habitaient parmi eux. L'aspect de ce prince privé de la vue devait leur faire comprendre combien est énorme le péché du parjure. Ajoutons encore que sur la route tous ceux qui le voyaient passer enchaîné et aveugle pouvaient apprécier la grièveté de la faute par la sévérité du supplice. Il est vrai qu'un prophète dit que Sédécias ne verrait point la ville de Babylone ( Ezéch. XII, 15),  et qu'un autre affirme qu'il y serait conduit. (Jérém. XXXII, 5. ) Mais ces deux prophéties ne se contredisent point, et toutes deux sont véritables. Car Sédécias ne vit point Babylone, et néanmoins il y fut amené. Il ne vit point cette ville, parce qu'il fut privé de la vue dans la Judée. Il convenait en effet que là où il avait violé son serment il reçût le châtiment de son parjure : et il fut amené à Babylone, parce qu'il fut fait prisonnier. Or; comme Sédécias éprouva un double châtiment, la perte de la vue et la perte de la liberté, chaque prophète en a parlé séparément. L'un a signalé le premier par ces mots : Il ne verra pas Babylone, et l'autre, le second, par ceux-ci : Il sera conduit à Babylone.

4. Instruits par cet exemple, et rapprochant l'entretien de ce jour de nos précédents discours, faites donc, mes frères, je vous en supplie, faites entièrement cesser parmi vous la criminelle habitude du serment. Dans ces temps anciens, où Dieu était indulgent envers les Juifs, et n'en exigeait pas une haute sainteté, il punit néanmoins un parjure par la ruine de Jérusalem et l'esclavage de son roi. Quels châtiments réserve-t-il donc aux chrétiens qui se parjurent malgré les défenses expresses de sa loi, et au mépris de la perfection évangélique? Car ne croyez pas qu'il vous suffise de venir ici, et d'écouter ma parole-. Ce ne serait pour vous qu'un titre à un jugement plus sévère, et à un châtiment inévitable, si toujours avertis, vous ne vous corrigez jamais. Quelle excuse alléguer, et quel pardon espérer? Dès notre première enfance jusqu'à notre extrême vieillesse, nous fréquentons l'église, et nous sommes instruits de nos devoirs. Et cependant nous demeurons toujours les mêmes,et nous n'avons aucun zèle pour nous corriger. En vain voudrait-on s'excuser sur l'habitude. Ce qui m'irrite et m'indigne, c'est que l'on ne puisse vaincre une habitude mauvaise. Mais si nous ne surmontons point l'habitude, comment triompher de la concupiscence, dont le principe est en nous-mêmes? La volonté seule constitue la malice des mouvements de la nature; et ici je dois accuser de cette criminelle habitude votre négligence bien plus que votre volonté.

Vous doutez peut-être que les progrès d'un si grand mal viennent moins de la difficulté de se corriger que de notre lâcheté à l'entreprendre; trais il suffit de penser que souvent, et sans espoir d'aucune récompense, on exécute des choses bien plus difficiles. Combien les oeuvres que commande le démon sont-elles pénibles et laborieuses, et toutefois on ne lui oppose jamais la difficulté de l'exécution. A quel supplice, je vous le demande, ne se soumet pas le jeune homme qui se livre aux mains de bateleurs et d'histrions. Ils mettent ses membres à la torture, et les.plient en tous sens. Ils lui apprennent a se former en cercle, à rouler comme une roue sur le sol, à (109) détourner les yeux et à faire de telles contorsions qu'il semble changer de sexe. Et cependant ni le travail ni la honte d'un si infâme métier ne le rebutent point. On en voit d'autres qui sur des tréteaux semblent voler avec leurs bras, ou qui lancent en l'air des poignards et les reçoivent par le manche. Combien doivent-ils l'aire rougir ces chrétiens que rebute le moindre effort pour pratiquer la vertu ! Que dire de ceux qui portent sur le front un arbre aussi fixe et solide que si ses racines pénétraient dans la terre? Ce n'est pas tout: de jeunes enfants prennent leurs ébats sur les branches de cet arbre, et sans l'aide des mains ou de tout autre membre, notre hercule le maintient sur son front ferme et immobile. Un autre enfin marche sur une faible corde avec autant de sécurité que s'il courait sur un terrain solide.

L'art a rendu faciles toutes ces choses qui effrayent d'abord l'imagination, mais rien de semblable ne se rencontre ici; est-il donc si difficile de s'abstenir de jurer? est-ce un travail si pénible, et une science si élevée? ou s'expose-t-on à quelque danger? Appliquez-vous-y avec un peu de soin, et bientôt vous en viendrez à bout. Mais .ne me dites pas: j'ai déjà fait beaucoup. Car si vous n'achevez entièrement, vos premiers essais deviendront inutiles, et votre oeuvre tout entière périra par le côté même que vous aurez négligé; souvent une maison s'écroule, parce qu'on néglige de remplacer une tuile cassée, il en est de même d'un habit; une déchirure qui n'est point reprise emporte tout le vêtement. Faites encore la moindre ouverture à une levée, et le fleuve entier s'y précipitera. C'est ainsi qu'en vain vous vous fortifiez de toutes parts, si par un seul endroit vous laissez au démon une libre avenue. Fermez donc cette avenue, afin que vous assuriez votre repos.

Je vous ai montré la faux volante, et la tête du saint précurseur; je vous ai raconté l'histoire de Saül, et les malheurs de la captivité; et je vous ai rappelé le précepte de Jésus-Christ, qui nous défend le parjure, et même tout serment, comme une invention du démon et une habitude criminelle. Enfin je vous ai prouvé que presque toujours le parjure suivait le serment. Eh bien ! gravez ces enseignements dans votre coeur. Ne voyez-vous pas que les femmes et les enfants portent l'Evangile au cou, comme un sûr préservatif? Hésiteriez-vous donc à imprimer en votre mémoire les préceptes et les lois de ce même Evangile? il ne faut point pour cela en acheter un exemplaire à prix d'or et d'argent; il suffit d'avoir une volonté bonne et sincère, et un peu de zèle et de vigilance. Ce livre sacré, en se gravant ainsi dans le plus intime de votre âme, vous sera une défense plus assurée que si vous le portiez extérieurement. Ainsi chaque matin, quand vous sortirez de votre lit, ou de votre demeure, souvenez-vous de cette parole de Jésus-Christ : Je vous dis de ne point jurer. (Matth. V, 34.) Et cette parole seule vous sera un utile avertissement. Vous voyez donc que la chose n'est pas bien difficile, et qu'il suffit d'une légère attention.

En voulez-vous une preuve évidente? la voici. Appelez votre fils, et effrayez-le par la menace d'un rigoureux châtiment s'il se permet encore de jurer, et vous verrez que bientôt il se corrigera de cette habitude. Mais ne serait-il pas étrange que de jeunes enfants, par crainte de leurs parents, s'abstinssent de faire des serments, et que nous-mêmes nous ayons pour Dieu moins de respect et de révérence? Je répète donc ce précédent avis: imposons-nous l'obligation de ne traiter aucune affaire publique ou particulière que nous ne nous soyons corrigés. Alors la nécessité viendra en aide à la vertu, et nous surmonterons facilement notre mauvaise habitude. Mais quelle gloire en rejaillira sur nous et sur cette ville ! Oui, quel honneur, si on publie par toute la terre que dans Antioche on est vraiment chrétien, et que pour n'importe quelles raisons on n'y prononce aucun blasphème ! Tout d'abord les villes voisines l'apprendront, et bientôt les contrées les plus éloignées ne l'ignoreront point. Car les nombreux marchands qui nous viennent ici ne manqueront point, à leur retour, d'en instruire leurs concitoyens. Quand on veut louer les autres cités, on vante leurs ports, leurs places publiques et l'abondance de leurs marchés; mais faites qu'on loue Antioche d'une singularité tout exceptionnelle, en disant que tous ses habitants préféreraient qu'on leur coupât la langue plutôt que de proférer un jurement. Cette louange ne vous sera pas moins glorieuse et utile que grandement méritoire, et en effet les autres villes envieront votre gloire et se formeront sur votre exemple. Or, si le Seigneur récompense magnifiquement la conversion d'un ou de deux pécheurs, que réservera-t-il à ceux qui auront servi de (110) modèle à toutes les nations? N'épargnez donc ni soins, ni efforts, ni travail peur accomplir une oeuvre si importante, et sachez que vos vertus, et même celles de vos frères seront pour vous auprès du Seigneur, un riche trésor de mérites et un titre à ses divines libéralités. Puissions-nous en jouir à jamais dans le ciel en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire et l'empire maintenant, toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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