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ONZIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE. Action de grâces pour le pardon accordé aux habitants d'Antioche. — Merveilles de la création. — Le corps humain. — Les yeux. — Les sourcils. — Le cerveau. — Le coeur. — Supériorité de l'homme sur les animaux. — Avantages que l'homme retire des diverses espèces d'animaux. — Il faut s'abstenir de jurer et se préparer à célébrer dignement la fête de Pâques.

 

            1. Quand je songe à la tempête que nous venons de traverser et au calme qui lui succède, je ne cesse de m'écrier: Béni soit Dieu qui fait toutes choses, et qui produit tous ces changements, qui fait briller la lumière après les ténèbres, qui nous conduit aux portes de l'enfer et qui nous en retire, qui châtie et ne donne point la mort ! (Amos, V, 8 ; Job, XXXVII, 15 ; I Rois, II, 6 ; I Cor. VI, 9.) Et c'est là ce que vous devez aussi continuellement répéter, ce que vous ne devez point vous lasser de redire. Si Dieu nous a témoigné sa bienveillance par de si importants bienfaits, pourrait-il nous pardonner de ne pas faire entendre au moins des paroles de reconnaissance ? Je vous exhorte donc à ne jamais cesser de lui rendre grâces. Si nous nous montrons reconnaissants pour ces premières faveurs, nous en obtiendrons de bien plus grandes encore. Aimons donc à lui redire: Béni soit Dieu qui nous a donné de pouvoir vous présenter avec confiance cette nourriture spirituelle , et qui vous permet d'entendre nos discours, l'âme libre de toute inquiétude! Béni soit Dieu ! car il nous a délivrés des périls extérieurs; nous accourons maintenant avides d'entendre la parole sainte ; nous pouvons nous réunir, exempts d'angoisses, de frayeurs et de soucis. Nous avons recouvré la paix, secoué cette crainte qui nous rendait plus malheureux que les matelots ballottés sur une mer orageuse et menacés de faire naufrage. Tout le jour mille rumeurs venaient nous troubler, nous effrayer, nous agiter, et sans cesse inquiets, nous nous demandions avec empressement :  « Qui est venu du camp de l'empereur? Que vient nous annoncer ce messager? Ce que l'on dit, devons-nous y croire ou n'y pas croire ? Et les nuits se passaient sans sommeil, et nous regardions en pleurant cette cité qui allait périr. Si nous avons nous-même gardé le silence ces jours derniers, c'est que cette ville était, pour ainsi dire, déserte; tous ses habitants avaient pris la fuite, et ceux qui restaient, on les voyait comme enveloppés d'un nuage de tristesse. L'âme ainsi plongée dans la tristesse, peut-elle encore se rendre attentive? Quand les amis de Job se furent approchés de lui, qu'ils eurent contemplé la ruine de sa maison, qu'ils l'eurent contemplé lui-même assis sur son fumier et tout couvert d'ulcères, ils (45) déchirèrent leurs vêtements, ils se prirent à gémir, ils s'assirent et demeurèrent silencieux (Job, II, 11-13), montrant par là que rien ne sied mieux d'abord à la douleur que le repos et le silence. Quelles paroles en effet eussent été capables de soulager une pareille affliction? Les Juifs, esclaves de Pharaon, contraints par ce prince à pétrir la boue pour en faire des briques, virent arriver Moïse au milieu d'eux, et ils ne pouvaient prêter l'oreille à ses paroles, car ils étaient en proie au découragement et à la douleur. Et devons-nous être surpris que des hommes pusillanimes se soient ainsi laissé abattre par le malheur, quand nous voyons succomber les disciples mêmes de Jésus-Christ. Après le festin mystique, quand le Sauveur les entretenait loin de la foule, ne lui demandaient-ils pas sans cesse : « Où allez-vous? »

Il leur prédit les maux qui devaient bientôt fondre sur eux, les guerres, les persécutions qui les attendaient; il leur annonça que le monde entier les haïrait, qu'on les flagellerait, qu'on les jetterait en prison, qu'on les traduirait devant les tribunaux, qu'on les bannirait; ces paroles les remplirent de crainte et de tristesse, et comme accablés sous le poids de si terribles prédictions, leurs âmes demeurèrent stupéfaites. Témoin de cette consternation , Jésus-Christ la leur reprocha en leur disant : Je m'en vais ci mon Père, et personne de vous n'ose désormais me demander: où allez-vous? Mais depuis que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre coeur. » (Jean, XVI, 5, 6.) C'est aussi la tristesse qui nous a imposé silence ces jours passés: nous attendions ce moment si opportun. Quelque raisonnable que puisse être une demande, n'attendra-t-on point, pour la faire, une occasion favorable, afin de trouver bien disposé celui dont on espère obtenir une faveur? A plus forte raison l'orateur doit-il parler à propos, c'est-à-dire s'adresser à un auditeur capable d'attention, libre de toute inquiétude et de toute tristesse. Et c'est ce que nous nous sommes proposé nous-même.

2. Maintenant donc que vous avez secoué la tristesse, je veux vous remettre en mémoire nos précédents entretiens, et vous faciliter, en les résumant, l'intelligence de ce discours. Nous traitions de la création de l'univers, et nous disions que Dieu, tout en lui donnant une grandeur et une beauté merveilleuses, lui a laissé cependant de nombreuses imperfections, et l'a assujetti à la corruption. Ces deux caractères, on peut aisément les apercevoir dans la nature, et c'est dans notre intérêt que le Seigneur en a agi de la sorte. Cette beauté du monde nous fait admirer la puissance du Créateur, ses défauts nous empêchent d'adorer la créature. Et ne remarquons-nous pas aussi ces mêmes caractères dans notre propre corps? Beaucoup parmi les ennemis de la vérité et beaucoup aussi parmi les chrétiens se demandent pourquoi il a été créé sujet à la corruption et à la mort. Bon nombre de gentils et d'hérétiques vont jusqu'à prétendre qu'il n'est pas l'ouvrage de Dieu. N'est-il pas indigne de Dieu, disent-ils, d'avoir créé ces substances grossières, ces sueurs, ces larmes, ces fatigues, ces maladies, et tant d'autres choses encore? Puisque nous avons -entrepris ce sujet, voici ce que je pourrais répondre d'abord : Que me parlez-vous de l'homme qui a péché , qui est dépouillé de sa gloire, qui est sous le poids d'une condamnation? Si vous désirez savoir quel était notre corps au sortir des mains de Dieu, allons dans le .paradis, et voyons cet homme que Dieu venait d'y placer. Son corps n'était sujet ni à la corruption ni à la mort; semblable à une statue d'or que l'on retire de la fournaise et qui brille du plus vif éclat, il n'éprouvait aucune de ces infirmités que nous y remarquons aujourd'hui. La fatigue ne le tourmentait point, la sueur ne le gênait point, les soucis ne venaient point l'assiéger, la tristesse ne pouvait l'envahir, en un mot, il était exempt de toute espèce d'incommodités. Mais l'homme ne sut pas demeurer sage au sein du bonheur, il outragea son bienfaiteur, il aima mieux se fier au père du mensonge qu'à ce Dieu., souverain Seigneur de toutes choses, qui l'avait comblé de gloire; il voulut devenir Dieu lui-même, et conçut des prétentions trop au-dessus de son mérite. Alors Dieu l'instruisit en le châtiant; il le condamna à la corruption et à la mort; il l'enchaîna dans une multitude d'infirmités, non par haine ou par aversion, mais dans son intérêt, et pour réprimer cet orgueil si funeste, si pernicieux, si prompt à se faire jour, dont il fallait arrêter les progrès. Il lui fit sentir qu'il était mortel et corruptible, et lui persuada ainsi de ne jamais concevoir, de ne jamais rêver de telles destinées. Car le démon lui avait dit : Vous serez comme des dieux. (Gen. III, 5.) Pour arracher de son âme cette folle pensée, il le rendit sujet dans son corps à toute sorte de maladies et de douleurs, et l'avertit par sa nature même de ne jamais concevoir une pareille ambition. Que tel ait été le dessein du Créateur, sa conduite à l'égard de l'homme nous le fait bien voir : c'est après avoir songé à s'égaler à Dieu que l'homme subit ce rigoureux châtiment. Voyez encore la sagesse du Seigneur. Ce n'est pas Adam qui meurt le premier, mais son fils Abel, afin que le premier homme ayant sous les yeux ce cadavre livide et infect, il pût puiser dans ce spectacle une grande leçon de sagesse, apprendre ce qu'il était devenu par son péché, et renoncer désormais à cet orgueil si coupable. Tout cela ne vous manifeste-t-il pas l'intention du Seigneur? Ce que je vais dire ne le manifeste pas moins clairement. Notre corps est comme enchaîné par des infirmités de toute sorte ; on voit tous les hommes mourir, se corrompre, tomber en putréfaction, devenir poussière; les philosophes païens s'accordent tous pour définir l'homme un animal raisonnable et mortel; si donc malgré tant de témoignages, plusieurs ont osé se proclamer immortels et accréditer cette prétention dans beaucoup d'esprits; s'ils n'ont pas craint de se faire passer pour des dieux et de recevoir les honneurs divins, lorsque cependant tout leur dit qu'ils doivent mourir; à quel comble d'impiété n'en seraient point venus la plupart des hommes, si la mort ne s'était chargée de leur apprendre que la nature humaine est périssable et corruptible? Ecoutez ce que dit l'Ecriture d'un roi barbare, en proie à cette démence : J'élèverai mon trône au-dessus des astres du ciel, et je serai semblable au Dieu très-haut. Mais le Prophète se rit d'un pareil langage , et lui montre la fin qui l'attend : on étendra sous toi la corruption, et les vers seront le vêtement qui te recouvrira. (Isaie, XIV, 13, 14.) Et voici ce que veut dire le Prophète : Tu es un homme, tu dois t'attendre à mourir, et tu n'as pas craint de songer à une semblable entreprise ! Le roi de Tyr, lui aussi, rêvait ces projets insensés et voulait passer pour un dieu: Non, tu n'es pas un dieu, lui dit Ezéchiel, tu es un homme, et les vers en te rongeant te le diront assez. (Ezéch. XXVIII, 9.) Ce fut donc pour nous soustraire dès le principe à l'orgueil et à l'idolâtrie, que Dieu opéra ce changement dans notre corps.

Et qu'y a-t-il d'étonnant dans ce changement? Ne s'est-il pas produit dans nos âmes quelque chose d'analogue? Dieu ne les a pas créées sujettes à la mort, il a permis qu'elles soient immortelles; mais l'oubli, l'ignorance, la tristesse, les soucis, voilà autant de maux qui les asservissent; et Dieu l'a voulu pour les empêcher de concevoir à la vue de leur grandeur des sentiments au-dessus de leur propre mérite. Si, en effet, malgré tant de défauts, plusieurs ont osé dire que l'âme faisait partie de la substance divine, quelle borne auraient-ils mis à leur folie, si l'âme eût été exempte de ces imperfections? Ce que je disais de la création de l'univers, je le dis aussi de notre corps, et je vois ici un double motif d'admiration. J'admire la Providence qui a fait le corps humain sujet à la corruption, je l'admire en second lieu, parce qu'au sein même de cette corruption elle a révélé sa puissance et son infinie sagesse. Ne pouvait-elle pas le composer d'âne plus riche matière? sans doute. Voyez le firmament et le soleil. Cet éclat que nous admirons dans ces créatures, ne pouvait-elle pas en revêtir notre corps? Mais nous savons la cause de son imperfection. Et cette imperfection ne déprécie en rien la puissance du Créateur, elle ne fait que la manifester davantage. Le peu de prix de la matière ne fait-il pas ressortir la prodigieuse habileté de l'artiste qui avec de la boue et de la cendre a su réaliser une si belle harmonie, produire des sens si variés et capables d'inspirer de si hautes pensées ?

3. Oui, plus vous critiquerez le peu de prix de la substance, plus vous devrez admirer la beauté de l'art. J'admire le sculpteur qui avec de l'or fait une belle statue; mais j'admire bien plus encore celui qui avec une boue sans consistance compose, à force d'habileté, une oeuvre d'art d'une beauté surprenante et inouïe. C'est un grand avantage pour l'artiste d'avoir à travailler une matière aussi précieuse que l'or; mais quand il façonne de la boue, il n'a d'autre ressource que celle de son talent. Voulez-vous comprendre tout ce qu'il y a de sagesse dans ce Dieu qui nous a créés? demandez-vous quel usage on fait habituellement de l'argile. On s'en sert pour fabriquer des tuiles ou des vases. Or avec cette même argile, Dieu, ce merveilleux artiste, a su organiser cet a-il si beau, qui ravit d'admiration quiconque l'examine; il a su lui donner assez d'énergie pour pénétrer les profondeurs de l'atmosphère, pour embrasser dans une prunelle si étroite des corps si nombreux, des montagnes, des forêts, des collines, des mers, le firmament. Ne m'objectez point ces larmes , ces (47) humeurs qui en troublent la sérénité; c'est une conséquence de la faute originelle ; mais songez à la beauté de cet organe , à cette énergie qui lui permet de parcourir de si vastes espaces sans se fatiguer, sans éprouver de douleur. Les pieds, pour peu qu'ils aient marché, se fatiguent et refusent tout service ; 1'œil qui pénètre à de si grandes profondeurs, qui étend si loin son action, ne ressent toutefois aucune souffrance.. N'est-ce pas le plus utile de tous nos organes? Aussi Dieu a-t-il permis qu'il ne se fatiguât point; il a voulu qu'il pût nous servir toujours sans embarras, sans aucune gêne. Et qui pourrait redire toute la puissance de cet organe? Que fais-je moi-même en vous parlant de cette prunelle, où réside la faculté de voir ? Y a-t-il rien de plus vil en apparence que les paupières, et cependant ne suffit-il pas de les considérer pour avoir une haute idée de la sagesse du Créateur. De même que l'épi de blé est protégé par ces barbes, qui, comme autant de traits repoussent les oiseaux et les empêchent de briser, en s'y reposant, ce chaume si fragile; de même aussi pour protéger nos yeux, il y a tout autour comme deux rangs de barbes et de pointes, les cils, destinés à arrêter la poussière et tout ce qui pourrait faire mal à l'organe de la vue et gêner le mouvement des paupières. Et les sourcils ne vous révèlent-ils pas aussi cette admirable sagesse? Qui ne serait frappé de la place qui leur est assignée? Ils ne s'avancent pas outre mesure pour ne pas nuire à la vue; ils ne sont pas trop retirés non plus; mais comme un toit en saillie, ils dominent les paupières pour recevoir la sueur qui tombe de la tête et qui pourrait blesser les yeux. Aussi sont-ils formés eux-mêmes de poils assez nombreux et assez serrés pour arrêter la sueur, ils recouvrent exactement l'orbite des yeux, et en augmentent la beauté. Tout cela est certes bien digne d'admiration, et voici qui ne l'est pas moins.

Les cheveux ne cessent de croître , à ce point qu'on est obligé de les couper. Pourquoi n'en est-il pas de même des sourcils? Ce n'est point l'œuvre du hasard ; Dieu l'a voulu ainsi, pour qu'ils, ne puissent pas, en se développant, mettre comme un voile devant les yeux, ce qui se remarque chez les hommes d'un âge très-avancé. Qui pourrait dire tout ce qu'il y a de sagesse dans l'organisation du cerveau? D'abord Dieu l'a composé d'une substance molle, parce qu'il est le siège de toutes les sensations; ensuite, afin de protéger cette substance si délicate, il l'a renfermée dans une boite osseuse; mais pour qu'elle ne soit point comme broyée par ces os qui l'entourent, Dieu l'en a séparée par une membrane, et même par deux membranes, dont l'une est tendue au-dessous du crâne, et l'autre appliquée sur le cerveau lui-même : la première est plus dure que la seconde. Ce n'est point là cependant la seule propriété de ces membranes; grâce à elles, le cerveau ne reçoit pas immédiatement les coups portés sur la tête; ce sont les membranes qui les reçoivent d'abord, et ainsi elles empêchent le cerveau d'en éprouver aucun dommage. Le crâne n'est pas d'une seule pièce, il se compose de plusieurs os qui sont comme soudés les uns avec les autres; et c'est encore un moyen de préserver le cerveau de certains dangers.

Par ces jointures en effet peuvent s'échapper les vapeurs qui l'entourent, et qui, sans cela, pourraient le suffoquer.; si on le frappe quelque part, il n'est point lésé dans son ensemble. Que cette enveloppe soit d'une seule pièce, elle se ressentira tout entière de la blessure faite en un point quelconque. Ce qui est impossible du moment qu'elle est divisée en .un grand nombre de parties. L'os situé dans la partie qui a reçu le coup est seul endommagé, le reste demeure intact; grâce à cette division, le mal ne peut point s'étendre à la partie voisine. Voilà pourquoi le Seigneur a composé le crâne de plusieurs os. Et de même que celui qui construit une maison la recouvre de tuiles; de même le Créateur a enveloppé la tête d'une boîte osseuse, il y a fait croître les cheveux, et c'est. pour la tête comme un casque qui la protège. Ne remarquons-nous pas la même attention en ce qui concerne le coeur? Le coeur est le plus important de tous nos organes; c'est en lui que réside le principe même de la vie, et pour peu qu'il soit blessé, la mort arrive ; aussi Dieu l'a-t-il entouré d'os épais et très-durs : les côtes le protègent par devant et les épaules par derrière. Autour du coeur il y a des membranes comme autour du cerveau. Quand il est agité , quand il palpite sous l'influence de la colère ou d'autres passions, il pourrait se briser contre les parois osseuses qui l'enveloppent, et éprouver ainsi de vives douleurs; mais Dieu a étendu tout autour de lui de nombreuses membranes; un peu (48) au-dessous il a mis le poumon, sur lequel il s'agite comme sur un lit de duvet; et ainsi quelque violents que soient ses mouvements, il n'y a rien à craindre pour lui. Mais pourquoi vous parler du cerveau et du coeur? N'y a-t-il pas dans les ongles eux-mêmes de quoi montrer la sagesse divine, soit qu'on en examine la forme, soit qu'on en étudie la nature et la place? J'aurais pu vous dire aussi pourquoi nos doigts sont d'inégale longueur, et soulever bien d'autres questions encore. Mais ce que j'ai dit est bien suffisant pour faire briller la sagesse de Dieu aux regards d'une âme attentive. Laissons donc le soin de traiter ces questions aux esprits studieux et abordons une autre objection.

4. Voici donc ce que l'on nous objecte encore. Si l'homme est le roi des animaux, comment se fait-il que les animaux l'emportent sur lui en force , en agilité, en -vitesse? Le cheval ne va-t-il point plus vite que l'homme, le boeuf n'a-t-il pas plus de force que lui, l'aigle plus de légèreté, le lion plus de vigueur? -Que répondre à une pareille objection? Mais c'est en cela surtout que nous apparaît la sagesse de Dieu; c'est par là aussi que nous pouvons apprécier la gloire dont il nous a revêtus. Oui, le cheval va plus vite que l'homme; mais quand il s'agit de voyager rapidement, l'homme peut ce que ne pourrait pas le cheval. Le cheval le plus vif, le plus robuste, peut à peine fournir deux cents stades en un jour; l'homme attellera successivement plusieurs chevaux à son char et pourra parcourir ainsi jusqu'à. deux mille stades.

Ces avantages que le cheval tire de sa rapidité, l'homme les trouve, et plus nombreux encore, dans sa raison et dans son industrie. Sans doute ses pieds sont moins rapides que ceux du cheval; mais les pieds du cheval sont à la disposition de l'homme aussi bien que les siens propres. Est-il un seul animal qui puisse en mettre un autre sous le joug et l'employer à son usage? L'homme au contraire triomphe de tous les animaux, et grâce à l'intelligence qu'il a reçue de Dieu, il contraint chacun d'eux à le servir de la manière la plus avantageuse. Si les pieds de l'homme eussent été aussi robustes que ceux du cheval, que de services ils n'auraient pu lui rendre! Auraient-ils pu vaincre les obstacles qu'offrent certains lieux, gravir les montagnes, monter sur les arbres? Le sabot dont le pied du cheval est armé , s'opposerait à de pareilles tentatives. Ainsi donc, bien que les pieds de l'homme soient plus tendres, cependant ils sont d'une grande utilité ; leur peu de rapidité ne nuit pas à l'homme , puisque ceux du cheval sont à son service; ils se distinguent d'ailleurs par la facilité avec laquelle ils parcourent les sites les plus variés. L'aigle, il est vrai, a des ailes légères; mais j'ai pour moi la raison et l'habileté qui me permettent d'abattre tous les oiseaux et de m'en saisir. Et si vous voulez voir mes ailes, j'en ai de bien plus légères, sur lesquelles je m'élève non pas à dix ou à vingt stades, non pas jusqu'au ciel seulement, mais au-dessus du ciel même, au-dessus du ciel dés cieux, jusqu'au trône où est assis le Christ à la droite de Dieu. Les animaux ont dans leurs corps des armes naturelles. Le boeuf a ses cornes, le sanglier ses défenses, le lion ses griffes; ce n'est point dans notre corps que, Dieu a placé nos armes, mais hors de notre corps, pour montrer que l'homme est un animal pacifique et qu'il ne doit pas être toujours armé; tantôt en effet nous déposons nos armes, tantôt nous les saisissons. C'est donc pour ne point me gêner, pour ne point me charger inutilement, pour ne pas me contraindre de porter sans cesse mes armes, que Dieu ne les a pas jointes à ma nature. Ce n'est pas seulement par la raison que nous l'emportons sur les animaux ; mais aussi par notre corps. Dieu l'a proportionné à la noblesse de notre âme, et l'a rendu apte à observer ses préceptes. Il n'a point voulu nous donner un corps tel quel; mais un corps qui fût capable de venir en aide à une substance raisonnable. S'il en eût été autrement, il eût gêné les opérations de notre âme, et ne le voit-on pas par les maladies qui surviennent? Pour peu en effet qu'il y ait de changement dans la constitution du corps, l'âme est troublée dans un grand nombre de ses fonctions : il suffit que le cerveau éprouve un peu plus de chaleur ou de froid que d'habitude. Le corps lui-même prouve donc bien la providence de Dieu; non-seulement Dieu l'avait créé dès l'origine plus beau qu'il n'est aujourd'hui, non-seulement aujourd'hui même il lui conserve encore de nombreux avantages, mais plus tard il le ressuscitera plus glorieux qu'il n'était dès le principe.

Si vous voulez savoir encore tout ce que Dieu a déployé de sagesse dans l'organisation (49) de notre corps, je vous montrerai un spectacle que saint Paul semble ne pouvoir se lasser d'admirer. Si un membre l'emporte sur l'autre, ce n'est point d'une manière absolue; les uns ont plus de beauté, par exemple, mais les autres ont plus de force. Ainsi, 1'œi1 est beau, mais les pieds ont la force en partage ; la tête est un membre précieux, mais elle ne peut dire aux pieds. je n'ai pas besoin de vous. Tout cela peut se remarquer aussi clans les animaux, et les différents ordres qui composent la société. Le roi a besoin de ses sujets, et les sujets; du roi, comme la tête a besoin des pieds. Parmi les animaux les uns ont plus de vigueur, les autres plus de beauté; les uns servent à charmer nos yeux, d'autres à nourrir nos corps, d'autres à les vêtir. Ainsi le paon réjouit notre vue, les poules et les porcs nous fournissent des aliments ; les brebis et les chèvres nous .donnent des vêtements, le boeuf et l'âne nous Aident dans nos travaux. Il en est d'autres, qui, sans nous offrir ces avantages, exercent nos forces. Les bêtes sauvages n'accroissent-elles pas la force des chasseurs, ne nous instruisent-elles pas en nous inspirant de la crainte, ne nous rendent-elles pas plus circonspects, et leurs membres ne sont-ils pas d'une très-grande ressource pour la médecine ? Si donc on vient vous dire comment pouvez-vous être roi des animaux, vous qui craignez un lion? Répondez : cette crainte n'avait pas lieu quand l'homme était en honneur auprès de Dieu, quand il avait le paradis pour séjour; mais depuis que j'ai offensé le Seigneur, je suis devenu le sujet de mes esclaves; non complètement toutefois, car il me reste une certaine habileté au moyen de laquelle je puis en triompher. Ne voit-on pas dans les riches maisons des fils qui, tout nobles qu'ils sont, tremblent devant des serviteurs? et s'ils viennent à faire une faute, leur anxiété ne redouble-t-elle point? Voilà ce que l'on peut répondre encore au sujet du serpent, des scorpions et des vipères: c'est le péché qui nous les a rendus si terribles.

5. Ces remarques, on les peut faire non-seulement au sujet de notre corps, des diverses classes de la société, des animaux; on peut observer aussi la même variété parmi les arbres. Ne voit-on pas en effet l'arbre qui a le moins d'apparence l'emporter par une qualité spéciale sur un autre qui a bien plus d'élévation ? Chacun d'eux a son utilité, pour que tous nous soient nécessaires, et fassent mieux connaître l'infinie sagesse de Dieu. Que la nature corruptible de votre corps ne soit donc point pour vous un motif d'accuser le Seigneur; au contraire n'en mettez que plus d'empressement à l'adorer, et admirez de plus en plus sa sagesse et sa providence. Oui, admirez cette sagesse qui dans un corps périssable. a su établir une si belle harmonie ; admirez sa providence, qui en le faisant sujet à la mort, a voulu réprimer l'orgueil de l'âme et la punir de sa folie.

Mais pourquoi Dieu ne l'a-t-il pas créé ainsi dès le principe , dira-t-on? Dieu vous répondra en vous rappelant ce qui est arrivé, et il vous tiendra pour ainsi dire ce langage : Je vous réservais une plus grande gloire, mais vous vous êtes rendus indignes de mes présents, en me forçant à vous chasser du paradis; cependant je ne veux point vous abandonner, et si vous sortez de votre péché, je vous ramènerai dans le ciel. Si je vous ai laissés si longtemps vous corrompre et tomber en poussière, c'est afin que ces longues années puissent affermir en vous la doctrine de l'humilité, et que vous ne retourniez jamais à votre première erreur. Rendons grâces à ce Dieu si bon pour de si nombreux bienfaits; oui, remercions-le pour tant de soins qu'il nous a prodigués, mais que l'expression de notre reconnaissance nous soit utile à nous-mêmes. Mettons tout notre zèle à observer ce commandement que je vous ai si souvent rappelé. Non, je ne cesserai de vous le redire tant que vous ne vous serez point corrigés. On ne nous demandera pas de vous adresser peu ou beaucoup d'avertissements, mais de vous avertir jusqu'à ce que nous vous ayons persuadés. Dieu disait aux Juifs par son prophète : Si vous jeûnez pour ensuite vous livrer aux procès et aux disputes, pourquoi donc jeûnez-vous? (Isaïe, LVIII, 4, 5.) Et ne vous dit-il pas aussi par notre organe : Si vous jeûnez pour jurer, et pour être parjures, pourquoi jeûnez-vous ? Comment pourrons-nous célébrer la pâque? Comment recevrons-nous la victime sainte? Comment participerons-nous aux redoutables mystères avec une langue sans cesse occupée à violer là loi du Seigneur; avec une langue sans cesse occupée à blesser notre âme ? On n'oserait toucher la pourpre royale avec des mains souillées , et nous oserons recevoir le corps du Seigneur sur une langue souillée par le péché ! Le serment est l'oeuvre  (50) du malin esprit; le sacrifice appartient au Seigneur. Qu'y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres, et quel accord peut exister entre Jésus-Christ et Bélial ? (II Cor. VI, 14,15.) Vous avez fait des efforts, je le sais bien, pour sortir de cette coupable habitude. Mais il n'est pas facile de s'en corriger, si l'on est seul à combattre; réunissons-nous donc, formons des associations. Vous savez ce que font les pauvres pour se procurer des festins. un seul ne pourrait en faire les frais, ils se mettent plusieurs ensemble et chacun paie son écot. Eh bien ! c'est ce qu'il nous faut faire aussi. Laissés à nous-mêmes, nous languissons; associons nos efforts, apportons le tribut de nos conseils, de nos avertissements, de nos exhortations, de nos reproches, de nos menaces, et l'empressement de chacun nous réformera tous. Puisque nous voyons mieux les défauts du prochain que les nôtres, chargeons-nous de surveiller les autres, et confions-leur aussi le soin de nous surveiller nous-mêmes : qu'il y ait une généreuse émulation pour terrasser enfin cette honteuse habitude, pour arriver pleins de confiance à cette grande solennité et participer à la sainte victime avec une bonne conscience et le coeur rempli d'espérance, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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