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TREIZIÈME HOMÉLIE.

 

ANALYSE. L'orateur félicite le peuple d'être enfin sorti de ses alarmes, et de voir succéder le calme à l'orage. — Après une description très-étendue et fort pathétique des informations rigoureuses faites au nom et en présence des commissaires, il reprend un sujet qu'il avait commencé à traiter dans l'homélie précédente ; il parle de la loi naturelle, de la conscience, et des divers moyens que la bonté divine emploie pour nous ramener à la vertu, ou pour nous y conformer. — Il régnait un abus parmi les habitants d'Antioche ; ils se permettaient un usage indiscret des serments dans les circonstances publiques et particulières. — Saint Jean Chrysostome voulait déraciner cet abus; il y revient sans cesse dans presque toutes les homélies qui précèdent ; il reconnaît dans celle-ci que la plupart des habitants se sont corrigés ; mais il désirerait que l'on vit dans tous une réforme entière. — Il les exhorte, en finissant, à joindre une ardeur efficace au zèle qui l'anime pour leur salut, parce qu'en vain s'intéressera- t-i1 vivement à leur perfection, s'ils n'y travaillent eux-mêmes avec toute l'ardeur dont ils sont capables.

 

1. Je commencerai par les mêmes paroles dont je me servis hier et les jours d'auparavant, et je dirai encore : Dieu soit béni ! quelle différence entre les jours passés et les jours présents ! quel orage alors grondait sur nos têtes ! de quel calme jouissons-nous aujourd'hui ! Le tribunal redoutable établi dans la ville jetait le trouble dans l'âme de tous les citoyens, et rendait le jour aussi triste que la nuit même. Non que les rayons du soleil eussent perdu de leur éclat, mais nos yeux étaient obscurcis par la crainte et par la tristesse. Afin donc de rendre notre joie encore plus vive, je vais rapporter une partie des alarmes que nous avons éprouvées : ce récit pourra nous être utile à nous et à ceux qui viendront après nous. Il est agréable, lorsqu'on est sauvé du naufrage, lorsqu'on est arrivé au port, de se rappeler l'agitation des flots, la violence des vents et de la tempête. C'est un plaisir pour ceux qui ont été malades, quand ils ont recouvré la santé, de faire aux autres le détail des maladies qui les ont conduits aux portes de la mort. Oui, sans doute, quand les maux ont disparu, nous avons d'autant plus de satisfaction à en parler, que l'âme n'est plus oppressée par la crainte, et que le souvenir des maux qui ont précédé nous fait mieux sentir la douceur de notre bien-être actuel.

        Effrayés par les supplices dont on les menaçait, la plus grande partie des citoyens s'étaient retirés dans les déserts, dans le fond des vallées, dans les lieux les plus obscurs et les plus inconnus; chassées de tout côté par l'épouvante, les femmes fuyaient les maisons, les hommes la place publique, et l'on voyait à peine une ou deux personnes marcher ensemble, la mort peinte sur le visage. Nous nous transportâmes donc au prétoire pour voir les suites de cette malheureuse affaire; et là, à la vue des restes de la ville rassemblés, ce prétoire, lieu où s'assemblaient les juges pour rendre la justice (60) qui nous étonnait davantage, c'est qu'au milieu de cette multitude qui assiégeait les portes, il régnait un morne et profond silence comme dans une solitude parfaite : tous se regardaient les uns les autres, et chacun, sans oser interroger son voisin ni répondre à ses questions, se tenait en garde et dans fa défiance, parce qu'il en avait déjà vu plusieurs enlevés tout à coup de la place publique, et traînés dans les prisons. Ainsi tous en commun nous portions nos regards au ciel, nous élevions nos mains en silence, attendant notre secours d'en-haut, invoquant le Seigneur, le conjurant d'assister les malheureux qui allaient subir un jugement, d'adoucir le coeur des juges, de les porter à rendre une sentence favorable. Et comme ceux qui des bords de la mer aperçoivent des infortunés qui font naufrage, séparés d'eux par un vaste océan, hors d'état de les joindre, de leur présenter une main secourable, de les arracher au péril qui les menace, leur tendent les bras de dessus le rivage, versent des larmes, supplient Dieu de les assister au milieu de la tempête : de même, nous, sans pouvoir proférer une parole, nous invoquions en esprit le Très-Haut, nous le conjurions de présenter la main aux malheureux qui allaient paraître au tribunal, comme s'ils eussent été jetés au milieu des flots, de ne pas permettre qu'ils fussent engloutis et que la sentence des juges leur fît essuyer un triste naufrage.

Voilà ce qui se passait devant les portes du prétoire. Pénétrant plus avant dans les cours, nous apercevions un spectacle plus effrayant encore; des troupes de soldats armés de piques et d'épées, étaient placées en cet endroit pour donner. toute sûreté aux juges renfermés dans les salles. Tous les parents des accusés, leurs, femmes, leurs mères, leurs filles, leurs pères, se tenaient aux portes du tribunal : or, dans la crainte que si les accusés étaient traînés au supplice, leurs parents hors d'eux-mêmes et ne pouvant tenir contre un pareil spectacle, n'excitassent quelque trouble et quelque tumulte, les soldats les intimidaient pour les écarter, et jetaient d'avance la frayeur dans leur âme. Mais ce qu'il y avait de plus touchant, on voyait la mère et la sueur d'un des infortunés qui attendaient leur sentence, couchées aux portes de la salle où étaient les juges, se rouler par terre à la vue de tous les assistants, le visage voilé, et pénétrées de honte, autant du moins que l'excès du malheur laissait de place à ce sentiment dans leurs âmes. Sans être accompagnées de personne, sans amie ni suivante, seules au milieu de tant de soldats, dans l'extérieur le plus simple et le plus négligé, elles se traînaient aux portes du tribunal plus affligées et plus souffrantes que ceux mêmes qui subissaient le jugement, entendant les paroles des bourreaux, les coups de verges, les gémissements des misérables `sur lesquels ils tombaient, et ressentant à chaque coup de plus cruelles douleurs que ceux mêmes qui étaient frappés. En effet, comme la preuve des charges dépendait de la déposition des esclaves mis à la torture, lorsqu'elles entendaient les coups de verges dont on frappait quelque malheureux pour lui faire déclarer les coupables, lorsqu'elles entendaient ses gémissements, elles levaient les yeux au ciel, elles conjuraient le Très-Haut de lui donner le courage et la patience, elles tremblaient que n'ayant pas la force de supporter les tourments, il ne se trouvât comme dans la nécessité de dénoncer leurs parents et de les perdre; enfin elles étaient dans l'état de navigateurs battus par les flots. Lorsque ceux-ci aperçoivent de loin une vague qui s'élève, qui s'enfle par degrés, et qui menace d'engloutir leur navire, ils sont morts d'épouvante .avant qu'elle ne soit venue crever sur eux : de même ces malheureuses femmes, à chaque parole, à chaque gémissement qu'elles entendaient, tremblant que les esclaves vaincus par les douleurs de la torture ne fussent forcés de déclarer un de leurs proches, s'alarmaient et se représentaient mille morts. Il y avait tourments au dedans du tribunal, et tourments au dehors. D'une part c'étaient les bourreaux qui torturaient, de l'autre c'était le sentiment impérieux de la nature et sa sympathie puissante qui mettait à la gêne le coeur d'une mère et d'une sueur. Les lamentations des accusés et celles de leurs proches se faisaient entendre également. Les juges eux-mêmes gémissaient au fond de leur âme, affligés de se voir contraints de présider à cette scène douloureuse.

2. Moi, qui étais présent, qui voyais des mères et leurs filles, auxquelles leur sexe et leur condition imposaient une retraite sévère, paraître alors, aux yeux des hommes; qui voyais étendues sur la poussière des personnes accoutumées à reposer sur le duvet; qui enfin voyais des femmes environnées dans leurs maisons d'esclaves et de suivantes attentives à (61) les servir, entourées du faste de l'opulence, dépouillées maintenant de tout cet appareil , se traîner aux pieds des assistants, implorer leur compassion, supplier chacun d'eux de protéger pour sa part et de défendre leurs parents qu'on allait juger : témoin de ce spectacle lugubre, je m'écriais avec l'Ecclésiaste : Vanité des vanités, et tout n'est que vanité. (Eccl. XII, 8.) Je sentais que cette autre parole n'était que trop confirmée parce qui se passait sous nos yeux : Toute la gloire de l'homme est comme la fleur des champs; l'herbe sèche, et la fleur tombe. (Is. XL, 6, et 17.) Alors sans doute les richesses, la naissance, les titres, les amis, tous les autres avantages s'évanouissaient, devenaient inutiles par l'attentat dont on poursuivait la punition. Et comme un oiseau dont on a enlevé les petits, lorsqu'il ne retrouve plus à son retour la tendre famille à laquelle il apportait la nourriture accoutumée, encore qu'il ne puisse l'arracher des mains d'un chasseur cruel, vole cependant autour de lui, et témoigne par là toute sa douleur : de même les femmes dont les fils enlevés de leurs bras dans leurs maisons, étaient tenus renfermés, comme pris dans un filet et dans un piège, ces malheureuses mères séparées de leurs enfants qu'elles ne pouvaient joindre, qu'elles ne pouvaient arracher des mains des satellites, montraient du moins toute leur affliction en s'efforçant d'approcher, en se roulant aux portes du tribunal, en gémissant et en se lamentant. Frappé de ce spectacle, je pensais au jugement dernier, à ce jugement terrible, et je me disais à moi-même : Si une mère, une soeur, un père, si nul autre, quelque innocent qu'il puisse être, ne peut soustraire dés accusés à leurs juges qui ne sont que des hommes, qui pourra nous secourir dans le jugement redoutable de Jésus-Christ? qui osera dire un mot en notre faveur? qui entreprendra de dérober des coupables aux supplices éternels auxquels ils seront condamnés? Toutefois c'étaient les premiers à la ville, les principaux de la noblesse qui étaient alors jugés ; et ils se seraient trouvés trop heureux si, dépouillés de leur fortune et de la liberté même, on leur eût permis seulement. de vivre.

Les approches de la nuit augmentaient encore les inquiétudes de tous les citoyens; ils attendaient avec impatience l’issue du Jugement; ils demandaient à Dieu due la sentence pût être différée, ils le priaient d'inspirer aux juges la volonté de remettre tout à la décision du prince, persuadés que ce délai pourrait opérer quelque heureux changement. Tout le peuple adressait donc' en commun des prières à un Dieu plein de miséricorde, il le conjurait de sauver les restes de la ville, de ne pas permettre qu'elle fût ruinée de fond en comble. Tous invoquaient le ciel et faisaient ces demandes les larmes aux yeux. Mais aucune de ces représentations ne put alors fléchir les juges, qui n'étaient occupés qu'à informer scrupuleusement de l'attentat commis envers l'empereur. Ils finirent par faire charger de chaînes les accusés; et l'on vit passer au milieu de la place publique, pour être jetés en prison, des hommes riches, qui entretenaient des coursiers superbes, qui avaient donné des jeux publics, et qui pouvaient citer mille occasions où ils avaient prodigué leurs richesses pour le plaisir ou pour l'utilité du,peuple. On confisqua tous leurs biens, et on scella leurs portes du sceau public. Les femmes chassées des maisons dé leurs époux se voyaient réduites à l'état déplorable de la femme de Job. Elles allaient de maison en maison, et passaient d'un lieu à un autre pour chercher un asile. Il leur était d'autant plus difficile d'en trouver, que chacun appréhendait qu'on ne lui fît un crime d'avoir reçu un parent des coupables, et de lui avoir rendu quelque bon office.. Ceux que l'on punissait avec tant de sévérité, se trouvaient trop heureux, au milieu de tant d'afflictions, de pouvoir au moins conserver leurs jours :-. ni la perte des biens, ni celle de l'honneur, ni l'affront d'être traînés en. prison à la vue de tout le peuple, rien en un mot né les touchait. L'excès de leurs disgrâces et la crainte d'un plus grand mal encore, avaient préparé leur âme, et l'avaient affermie contre leurs maux actuels. Ils sentaient alors combien la pratique de la vertu est facile, et que c'est uniquement faute de réflexion et de vigilance qu'il nous en coûte tant pour prendre de l'empire sur nous-mêmes. Ces hommes, pour qui naguère les moindres pertes étaient sensibles, saisis d'une frayeur violente, se voyaient alors tranquillement dépouiller de tous leurs biens, menacés qu'ils étaient d'un danger plus grand, et regardaient comme' un bonheur insigne qu'on ne leur ôtât pas la vie. Si donc nous étions bien pénétrés de la crainte de l'enfer et des tourments horribles qui attendent les pécheurs, nous ferions sans regret à la loi de Dieu le (62) sacrifice de nos fortunes et de nos personnes, convaincus que nous y gagnerions infiniment, que nous en retirerions l'inestimable avantage d'être délivrés des maux à venir.

Le récit lamentable que je viens de vous faire a pu attrister vos âmes et consterner vos cœurs ; mais qu'aucun de vous ne m'en sache mauvais gré ! Comme je dois vous entretenir d'idées un peu abstraites, et que j'ai besoin de votre part d'une attention plus recueillie, j'ai voulu, en vous offrant le tableau de vos infortunes, remplir vos âmes d'une tristesse salutaire, qui, vous élevant au-dessus des soins de cette vie, vous rendît plus attentifs, et disposés à recevoir mes paroles.

3. J'ai assez prouvé dans le discours précédent qu'il existe une loi naturelle, une loi. qui nous enseigne ce qui est honnête et ce qui ne l'est pas; mais pour vous convaincre de plus en plus de cette même vérité, je vais la reprendre aujourd'hui et la traiter de nouveau. Nous sommes tous une preuve que Dieu en formant l'homme lui a donné la connaissance du vice et de la vertu. Nous avons honte de commettre une faute devant ceux mêmes qui dépendent de nous : et souvent un maître qui allait visiter une courtisane, venant à rencontrer un de ses esclaves un peu vertueux, a rougi, et est rentré dans sa maison. Nous accuse-t-on d'un trait de méchanceté, nous prenons le reproche pour une injure; éprouvons-nous quelque dommage, nous traînons en justice celui qui nous le cause : tant il est vrai que nous savons distinguer le vice de la vertu ! Aussi Jésus-Christ, pour nous apprendre qu'il ne nous commande rien d'extraordinaire, rien qui passe les forces de notre nature, mais que ses préceptes étaient déjà gravés au fond de notre âme, Jésus-Christ, après le récit de plusieurs béatitudes, disait : Faites aux autres hommes ce que vous voulez qu'ils vous fassent. (Matth. VII, 12.) Il n'est pas besoin de longs discours, de lois fort étendues, d'un grand nombre de préceptes : votre volonté doit vous servir de loi. Voulez-vous qu'on vous fasse du bien, faites du bien aux autres; voulez-vous qu'on soit touché de vos maux, soyez touché des maux de votre prochain : voulez-vous qu'on ne vous épargne pas les louanges, n'en soyez pas avare pour autrui; voulez-vous être aimé, aimez; voulez-vous qu'on vous accorde des distinctions, distinguez vous-même les autres, soyez à vous-même votre juge et votre législateur. Craignez aussi de faire aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'ils vous fissent. Par ce second précepte, Dieu nous détourne du mal, comme par le premier il nous porte à la pratique du bien. Vous ne voudriez pas être outragé, n'outragez pas votre frère; vous ne voudriez pas qu'on vous portât envie, ne portez envie à personne; vous ne voudriez pas être trompé, ne trompez jamais. En un mot, si dans toutes nos démarches, nous nous en tenons à ces deux principes, nous n'aurons pas besoin d'autres préceptes. Dieu a mis dans notre esprit la connaissance de la vertu, et il en a laissé à notre volonté l'exercice et la pratique.

Je vais tâcher de rendre cette vérité encore plus claire, supposé qu'elle ait encore besoin d'être éclaircie. Pour savoir si la sagesse est une vertu, nous n'avons besoin ni de préceptes ni de discours. Cette connaissance est gravée au dedans de nous-mêmes, et il n'est pas nécessaire de nous fatiguer, de prendre beaucoup de peine, de faire de grandes recherches pour nous convaincre que la sagesse est une chose bonne et utile; nous sommes tous d'accord sur cet article, et personne ne dispute sur ce qui est du ressort de la vertu. Ainsi nous croyons que l'adultère est une action mauvaise, et nous n'avons besoin ni de leçon ni d'étude pour nous assurer que c'est un mal; mais dans ces sortes de jugements nous trouvons tous en nous-mêmes les instructions convenables. Nous louons la vertu que nous ne pratiquons pas, comme nous haïssons le vice auquel nous nous abandonnons; et c'est un des plus grands bienfaits de Dieu d'avoir rendu notre conscience et notre volonté, antérieurement à toute pratique, amies de la vertu et ennemies du vice.Ainsi, je le répète, la connaissance de l'une et de l'âtre est gravée dans l'âme de tous les hommes, et nous n'avons pas besoin de maître pour savoir les distinguer. Quant à la pratique, elle est remise entre les mains de la volonté, et elle exige de notre part des efforts et du travail. Pourquoi? c'est que si Dieu eût tout abandonné à la nature, nous n'aurions mérité dès lors ni prix ni couronne. Et comme la brute ne pourrait recevoir ni éloge ni récompense pour les qualités qu'elle doit à un instinct naturel, de même nous ne recevrions aucun salaire de nos vertus , parce que les qualités naturelles sont moins l'ouvrage et le mérite de celui qui les possède que de celui (63) qui les donne. Voilà donc pourquoi Dieu n'a pas tout abandonné à la nature. Il n'a pas permis non plus que la volonté portât seule tout le fardeau, qu'elle fût chargée seule de la connaissance et de la pratique, de peur que le travail de la vertu ne la rebutât; mais la conscience nous fait connaître ce qui est bien, et la volonté donne pour sa part le travail nécessaire pour le pratiquer. Il ne nous en coûte aucune peine pour connaître que la sagesse est une vertu, parce que cette connaissance est naturelle; mais pour pratiquer cette même sagesse, il faut réprimer nos affections déréglées, n'épargner aucune peine ni aucun travail, parce que lâ pratique de la vertu, ne venant pas de la nature, ainsi que la connaissance de cette même vertu, demande toute notre attention et toute notre vigilance. Mais un autre moyen par lequel Dieu nous allége encore le fardeau des devoirs, c'est de nous faire produire sans aucun effort plusieurs bons mouvements. Par exemple, il nous est naturel à tous de nous indigner en voyant des malheureux qu'on opprime, au point que nous devenons sur-le-champ ennemis des hommes injustes, quoique nous n'ayons pas souffert de leur injustice; il nous est naturel de nous réjouir pour ceux qui sont secourus et défendus dans l'oppression, de nous attendrir sur les malheurs d'autrui, et de nous chérir mutuellement, amour fraternel que nous trouvons toujours au dedans de nous-mêmes, quoique dans certaines circonstances il cède à de méprisables passions et à un vil intérêt. Convaincu de cette bienveillance réciproque, le Sage a dit : Tout animal aime son semblable, et l'homme aime son prochain. (Eccl. XIII, 19.)

4. Dieu nous fournit, outre la conscience, plusieurs maîtres pour nous instruire. Il donne les pères aux enfants, les maîtres aux esclaves, les maris aux épouses, les instituteurs aux jeunes gens, les législateurs et les juges aux citoyens, enfin les amis à leurs amis. Souvent nos ennemis ne nous sont pas moins utiles que nos amis mêmes ; et lorsqu'ils nous reprochent nos fautes, ils nous réveillent malgré nous, et nous engagent à nous corriger. Or, Dieu nous ouvre toutes ces sources d'instructions, afin qu'il nous soit plus facile de connaître et de pratiquer ce qui nous est vraiment utile, la multitude des motifs qui nous y portent ne nous permettant pas de le perdre de vue. Si nous méprisons nos parents, les magistrats nous feront rentrer dans le devoir. Nous mettons-nous au-dessus des magistrats, nous ne pourrons jamais échapper aux reproches de la conscience. Fermons-nous l'oreille à cette voix intérieure, dédaignons-nous ses avertissements, l'opinion publique opérera notre réforme. Si nous bravons cette opinion, la crainte des lois pourra nous rendre plus sages. Jeunes, nous sommes réglés par nos pères et par nos instituteurs; les législateurs et les juges prennent leurs places, et nous contiennent lorsque nous sommes plus avancés en âge. Les esclaves négligents sont ramenés au devoir, sans parler des autres moyens , par l'autorité de leurs maîtres, et les femmes par celle de leurs maris. En un mot, nous trouvons de toute part des digues qui nous arrêtent et qui nous empêchent de nous laisser entraîner dans le vice. A tout ce que nous venons de dire, ajoutez les maladies et les divers contre-temps, qui sont pour nous de rudes, mais d'utiles leçons. La pauvreté nous contient, les dangers nous arrêtent, les punitions nous corrigent, sans parler de mille autres freins semblables. Un père, un instituteur, un magistrat, un juge, un législateur ne vous imposent pas; vous n'êtes sensible ni aux réprimandes d'un ami, ni aux reproches d'un ennemi; vous n'êtes contenu et corrigé ni par un mari ni par un maître, ni par la conscience; mais les infirmités corporelles font souvent cesser le désordre, mais les punitions judiciaires répriment les plus audacieux. Et ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que les malheurs d'autrui nous sont fort utiles à nous-mêmes, et que les peines infligées à d'autres nous instruisent comme si elles tombaient sur nous. La même chose a lieu dans les bonnes actions; et comme on devient meilleur en voyant les méchants punis, ainsi on est quelquefois excité à bien faire en voyant les bons se bien conduire.

C'est ce qui est arrivé par rapport à l'usage indiscret des serments. Plusieurs qui ont vu d'autres renoncer à cette habitude criminelle, frappés de cet exemple, y ont renoncé eux-mêmes. Qu'on ne me dise pas que le plus grand nombre s'est corrigé : cela ne suffit point, je veux que tous se corrigent; et tant que je verrai des coupables, je ne puis me taire. Le bon Pasteur avait cent brebis, et tout occupé d'une seule qui était égarée, il ne songeait pas aux quatre-vingt-dix-neuf qui lui restaient, jusqu'à ce qu'il eût trouvé celle qui (64) était perdue et qu'il l'eût rendue au troupeau. (Matth. XVIII, 12.) Ne voyez-vous pas qu'il en est de même du corps? Un seul ongle nous est-il enlevé par un. accident, tout le corps s'afflige pour la partie malade. Ne me dites donc point qu'il en reste fort peu qui ne se soient pas corrigés ; mais considérez que le peu qui reste pourra corrompre les autres. Il n'y avait à Corinthe qu'un seul fornicateur, et saint Paul gémissait comme si toute la ville eût été souillée. (Il Cor. II.) L'Apôtre avait raison; sans doute; il savait que si le coupable n'était pas corrigé, le vice ne tarderait pas à faire des progrès, et infecterait bientôt toute la ville. J'ai vu dernièrement les principaux d'Antioche chargés de chaînes dans le tribunal, et traînés au milieu de la place publique. Quel traitement pour de tels personnages ! s'écriaient les uns. Il ne faut pas s'étonner, disaient les autres : dans les crimes qui attaquent les princes on ne considère pas le rang des sujets; mais dans les crimes qui attaquent Dieu, doit-on considérer le rang des hommes?

5. Pleins de ces réflexions, travaillez, mes frères, à vous exciter vous-mêmes; car tout notre zèle est inutile si vos efforts ne le secondent. Pourquoi? c'est qu'il n'en est pas de l'instruction comme des autres arts : l'artiste qui a commencé un vase en or ou en argent, le retrouve le lendemain dans l'état où il l'avait laissé la veille. Tous les ouvriers, de quelque profession qu'ils soient, lorsqu'ils .retournent à leurs ouvrages, les retrouvent pareillement tels qu'ils les avaient quittés. C'est tout le contraire pour nous, parce que nous ne fabriquons pas des vases inanimés, mais que nous formons des âmes raisonnables; aussi nous arrive-t-il de ne pas vous trouver tels que nous vous laissons, et après que nous, avons pris beaucoup de peine pour vous redresser et vous corriger, pour vous rendre plus fervents, vous rencontrez dans le monde, au sortir de nos instructions, mille écueils qui détruisent notre ouvrage, et qui nous préparent de nouvelles difficultés encore plus grandes. Je vous conjure donc de seconder nos travaux, et de vous montrer, après nous avoir entendu, aussi jaloux de votre salut . éternel, que nous nous montrons dans nos discours zélé pour votre réforme. Que ne puis-je mériter pour vous ! que ne puis-je vous assurer la récompense de ce que je pourrais faire de bien ! je ne vous aurais pas fatigués et importunés. Mais non, cela n'est pas possible, et Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres. De même qu'une tendre mère, qui voit son fils tourmenté par la fièvre, assise près de ce fils malade que consume une ardeur brûlante, lui dit en soupirant: O mon cher enfant ! que ne puis-je souffrir pour toi ! que ne puis-je faire passer dans mes veines le feu qui te dévore! Ainsi moi je vous dis : Que ne puis-je travailler et mériter pour vous tous ! Mais, je le répète, cela n'est pas possible, il faut absolument que chacun rende compte de ses actions, et l'on.,ne verra personne, au sortir de ce monde, puni ou récompensé pour un autre. Je gémis donc et je m'afflige quand je songe que je ne pourrai au jour du jugement vous défendre et vous justifier, moi surtout qui n'aurai pas assez de crédit auprès, du Seigneur, et quand.j'aurais ce crédit, je ne suis ni plus saint que Moïse, ni plus juste que Samuel. Quoiqu'ils fussent arrivés au comble de la vertu, Dieu ne permit pas que leur zèle pût suppléer à la froideur et à l'indifférence des hommes de leur nation. Puis donc que nous sommes punis et sauvés par nos propres, oeuvres, je vous exhorte, entre autres choses, à remplir avec zèle le précepte sur les serments, afin qu'emportant d'ici d'heureuses espérances, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis, par la grâce et la bonté de Jésus-Christ Notre-Seigneur; par qui et avec qui la gloire soit au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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