HOMÉLIE XLVI

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HOMÉLIE XLVI.

LES JUIFS SE MIRENT DONC A MURMURER CONTRE LUI DE CE QU’IL AVAIT DIT : JE SUIS LE PAIN VIVANT, QUI SUIS DESCENDU DU CIEL, ET ILS DISAIENT : N'EST-CE PAS LA JÉSUS FILS DE JOSEPH, DONT NOUS CONNAISSONS LE PÈRE ET LA MÈRE? COMMENT DONC DIT-IL QU'IL EST DESCENDU DU CIEL? (VERS. 41, 42, JUSQU'AU VERSET 53.)

 

ANALYSE.

 

1. Dieu attire à lui les hommes sans détruire leur liberté ; réfutation des Manichéens sur ce sujet.

2. Différence entre la manne et le véritable pain, de vie.

3 et 4. Grandeur et excès de l'amour de Jésus-Christ dans, la divine Eucharistie. — Quel amour nous-mêmes ne devons-nous pas avoir pour lui. — Effets admirables de cet auguste, sacrement ; Jésus-Christ, de lui et de nous, ne fait qu'un seul, corps, dont il est le Chef, et nous les membres. — Il a pris notre chair pour être de même nature que nous. — vertu du sang de Jésus-Christ. — Economie et dispensation de ce précieux sang. — Les mystères que Jésus-Christ à confiés à son Église, l’autel sur lequel il est immolé, sont véritablement terribles et redoutables. — De la sainte Table sortent des sources d'eau et de lumière : leurs effets.— Ceux qui participent aux saints mystères deviennent tout d'or. —  Le sang de Jésus-Christ est le prix de la rédemption de tout le monde : c'est avec quoi il a acheté et embelli l’Église son épouse. — Selon les dispositions avec lesquelles on approche de la sainte Table, on y reçoit ou la vie ou la mort :   Quiconque reçoit indignement le corps de Jésus-Christ, sera puni comme ceux qui l'out crucifié. — Veiller, être attentif sur soi, penser aux biens dont le Seigneur nous a comblés : cette pensée calme les passions et les réprime.

 

1. Saint Paul, écrivant aux Philippiens, dit de quelques-uns d'entre eux, « qu'ils font leur

Dieu de leur ventre, et qu'ils mettent leur gloire dans leur propre honte » ( III, 19) : [321] Que la même chose pouvait se dire aussi des Juifs, ce qui précède le fait voir, et aussi ce que disaient ceux qui venaient trouver Jésus-Christ. Car quand il leur donnait à manger et qu'il les rassasiait, ils l'appelaient prophète et le voulaient faire roi; mais lorsqu'il leur fait connaître la nourriture spirituelle et la vie éternelle; lorsqu'il les détourne des choses terrestres, lorsqu'il leur parle de la résurrection et qu'il élève leur esprit, lorsqu'enfin ils devaient le plus l'admirer; c'est alors qu'ils se mettent à murmurer, et qu'ils se retirent. Cependant s'il était le prophète, comme auparavant ils l'avaient reconnu en disant : « Voici celui de qui Moïse a parlé : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophète comme moi, d'entre vos frères, c'est lui que  vous écouterez » (Deut. XVIII, 15); ils devaient donc l'écouter quand il disait : « Je suis descendu du ciel ». Mais ils ne l'écoutaient point, et au contraire ils se mettaient à murmurer, gardant néanmoins encore quelque respect pour lui, à cause du miracle qu'il venait de faire pour eux : c'est aussi pour cette raison qu'ils ne le contredisaient pas ouvertement, quoique par leurs murmures ils fissent assez éclater leur dépit et leur colère, de ce qu'il ne leur donnait pas la nourriture qu'ils désiraient. Et en murmurant ils lui faisaient ce reproche : « N'est-ce pas là le fils de Joseph? » ce qui montre qu'ils n'avaient nulle connaissance de son admirable génération; c'est pour cela qu'ils l'appelaient encore fils de Joseph. Et toutefois le divin Sauveur ne les reprend point, il ne leur dit pas : Je ne suis point le fils de Joseph : non qu'il fût le fils de Joseph, mais parce qu'ils n'étaient pas encore capables d'entendre parler de son admirable génération. Que s'ils ne pouvaient point encore comprendre sa naissance charnelle, bien moins auraient-ils compris sa génération ineffable et céleste. S'il ne leur découvrit pas le secret de sa naissance terrestre, à plus forte raison n'aurait-il pas entrepris de leur révéler un mystère aussi sublime. Cependant c'était pour eux un sujet de scandale que de le croire de naissance vulgaire: néanmoins, il ne leur découvre pas la vérité, de peur qu'en étant une pierre d'achoppement, il ne fît qu'en mettre une autre à la place.

A ces murmures, que répond donc Jésus-Christ? « Personne ne peint venir à moi, si mon Père qui m'a envoyé ne l'attire (44) ».

Les manichéens s'emparent de ces paroles malentendues pour s'élever contre la liberté de l'homme, et dire que nous ne pouvons rien faire de nous-mêmes, et toutefois ces paroles prouvent invinciblement que notre volonté est libre et qu'il dépend de nous de vouloir. Eh quoi ! si l'on peut venir à lui, dit le manichéen, quel besoin a-t-on d'être attiré? Mais que le Père nous attire, cela ne détruit pas notre libre arbitre, cela fait seulement connaître que nous avons besoin d'aide et de secours : le Sauveur ne dit point que, pour venir, on a besoin d'un grand secours. Il montre ensuite de quelle manière le Père attire. Car, de peur que les Juifs ne se figurent ici encore une action sensible, il ajoute : « Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père, si ce n'est celui gui est né de Dieu, c'est celui-là qui a vu le Père (46) ». Comment attire-t-il ? dit le manichéen. Déjà depuis longtemps un prophète l'a expliqué par ces paroles : « Ils seront tous enseignés de Dieu (45) ». Remarquez ici, mes frères, quelle est la dignité et l'excellence de la foi : Ceux que le Père attire, ne sont point instruits par les hommes, ni par le ministère d'un homme, mais par Dieu même. C'est pourquoi, afin de persuader ce qu'il dit, il les renvoie aux prophètes. Et s'il est dit que tous seront enseignés de Dieu, objecte encore le manichéen, pourquoi en est-il qui ne croient pas ? parce que ce que dit là le prophète, il le dit seulement de la plupart : à le bien prendre, il ne parle pas absolument de tous, mais de tous ceux qui voudront « croire». En effet, le Maître se présente à tous, prêt à les enseigner tous, à leur donner sa doctrine qu'il répand sur tous.

« Et je le ressusciterai au dernier jour ». Dans ces paroles la dignité du Fils éclate merveilleusement. Le Père attire, et le Fils ressuscite. L'Ecriture ne divise point les oeuvres du Père et du Fils : et comment le pourrait-elle? mais elle montre une égalité de puissance, de même qu'en cet endroit : « Et mon Père qui m'a envoyé rend témoignage de moi ». Après, de peur que quelques-uns ne cherchassent avec trop de curiosité à sonder ces paroles, il les a renvoyés aux Ecritures; ici de même il les renvoie aux prophètes, il les leur cite fréquemment, pour leur faire voir qu'il n'est pas contraire au Père.

Mais, direz-vous, auparavant par qui les hommes ont-ils été enseignés ? est-ce qu'ils [322] n'ont pas été enseignés de Dieu? qu'est-il en ceci de si extraordinaire et de si admirable? C'est qu'alors des hommes servaient de ministres pour instruire les hommes des choses divines, et que maintenant c'est Jésus-Christ et le Saint-Esprit qui les instruisent. Jésus-Christ conclut ensuite par ces paroles : « Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père; si ce n'est celui qui est né de Dieu » : où il ne parle pas de ceux qui sont nés de Dieu en tant que cause, mais de celui qui est engendré de sa substance. S'il disait : Nous sommes tous nés de Dieu, on dirait: En quoi donc le Fils l’emporte-t-il sur les autres, en quoi diffère-t-il d'eux?

Et pourquoi, dira-t-on encore, ne l'a-t-il pas plus clairement expliqué ? c'est à cause de la faiblesse et de la grossièreté des Juifs. Si, lorsqu'il a dit : « Je suis descendu du ciel », ils s'en sont si fort scandalisés, ne se seraient-ils pas encore beaucoup plus scandalisés et irrités, s'il avait dit: Je suis engendré de la propre substance du Père? Il se dit le pain de Dieu, parce que c'est lui qui nous donne cette vie et la vie future. Voilà pourquoi il ajoute: « Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement (52) ». Mais ici Jésus-Christ appelle pain la doctrine du salut et la foi en lui, ou bien son corps; car l'une et l'autre chose fortifie et vivifie l'âme. Cependant il a dit ailleurs « Celui qui écoutera ma parole, ne mourra jamais » (Jean, VIII, 52), et ils s'en sont scandalisés. Maintenant ils ne se scandalisent point, peut-être, parce qu'ils le considéraient et le respectaient encore à cause des pains qu'il leur avait donnés à manger.

2. Remarquez, mes frères, la différence que met le divin Sauveur entre ce pain et la manne, différence qu'il tire de l'effet que produisent l'un et l'autre. Premièrement, il montre que la manne n'a rien produit de nouveau, en disant : « Vos pères ont mangé la manne dans le désert; et ils sont morts (49) ». En second lieu, il s'attache principalement à les convaincre qu'ils ont reçu de beaucoup plus grands biens que leurs pères, faisant allusion par là à Moïse même et aux hommes admirables de ce temps. C'est pourquoi, ayant dit que ceux qui avaient mangé la manne étaient morts, il a incontinent ajouté : « Celui qui mange de ce pain, vivra éternellement ». Or, ce n'est pas sans raison qu'il a mis ce mot: « Dans le désert ». C'est pour leur faire entendre que la manne n'a pas duré longtemps et qu'elle n'est pas venue jusque dans la terre promise, mais ce pain n'est pas de même nature. « Et le pain que je donnerai, c'est ma chair que je dois livrer pour la vie du monde (52) ».

Il est probable que quelqu'un demandera ici avec étonnement quelle était l'opportunité d'un langage qui, loin d'être utile ou édifiant, ne pouvait que nuire à ceux qui étaient déjà édifiés. « Dès lors », dit l'évangéliste, « plusieurs de ses disciples se retirèrent de sa suite (Jean, VI, 67) et dirent : Ces paroles sont bien dures, et qui peut les écouter? » (Ibid. 61.) En effet, Jésus-Christ aurait pu ne découvrir et ne communiquer ces mystères qu'à ses disciples seuls, comme dit saint Matthieu : « Etant en particulier, il expliquait tout à ses disciples». (Matth. XIII, 36.) Que répondrons-nous à cela ? Nous répondrons qu'aujourd'hui encore de telles paroles sont très-utiles et très-nécessaires. Comme les Juifs pressaient instamment Jésus-Christ de leur donner des viandes à manger, mais des viandes corporelles et sensibles; et que, rappelant la nourriture qui avait été donnée à leurs pères, ils vantaient la manne comme quelque chose de grand, il voulut leur faire connaître que ces choses n'étaient que des ombres et des figures, et que la nourriture qu'il leur promettait était seule la vérité : voilà pourquoi Jésus leur parle de cet aliment spirituel.

Mais, repartirez-vous, il fallait dire : Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et moi je vous ai donné du pain. Mais la différence était grande : les Juifs regardaient le pain comme inférieur à la manne, parce que celle-ci était tombée du ciel, et que le miracle des pains avait été fait sur la terre. Comme donc ils demandaient une nourriture qui leur fût envoyée du ciel, c'est pour cela même que le divin Sauveur leur disait souvent : « Je suis descendu du ciel ». Que si quelqu'un demande pourquoi il leur a parlé des mystères, nous répondrons que c'était là , un temps propre. à les en entretenir. L'obscurité des paroles excite et réveille toujours l'auditeur et le rend plus attentif. Ils né devaient donc pas se,choquer, ni s'en scandaliser; mais plutôt il fallait interroger, chercher à s'éclaircir et à s'instruire; loin de là, ils se retirent. Ils l'appelaient prophète : s'ils le croyaient tel, il fallait donc ajouter foi à ce qu'il disait. C'est pourquoi, qu'ils se soient choqués et scandalisés, [323] cela vient uniquement de leur folie et non de l'obscurité des paroles. Considérez ici, je vous prie, mes frères, de quelle manière le Sauveur gagne le coeur de ses disciples et se les attache; car ce sont eux qui lui disent . « Vous avez les paroles de la vie éternelle : à qui irions-nous, Seigneur (69)? »

Au reste, Jésus-Christ dit ici que c'est lui-même qui donnera; il ne dit pas que c'est son Père : « Le pain que je donnerai » , dit-il, « c'est ma chair » que je dois livrer « pour la vie du monde ». Mais le peuple ne parle pas de même; il dit au contraire : « Ces paroles sont bien dures ». Et voilà pourquoi ils se retirent. Cependant cette doctrine n'était point nouvelle, elle n'était point différente de celle qu'on leur avait enseignée. Déjà auparavant Jean-Baptiste leur avait insinué la même vérité, lorsqu'il appela Jésus agneau. Mais, direz-vous, ils n'avaient point compris ce que cela voulait dire. Je le sais : les disciples eux-mêmes ne l'avaient pas entendu. S'ils n'avaient pas encore une trop claire connaissance de la résurrection, puisqu'ils ignoraient ce qu'avait voulu dire Jésus par ces paroles : « Détruisez ce temple et je le rétablirai en trois jours » (Jean, XI, 19), ils comprenaient bien moins les paroles de Jean-Baptiste, qui étaient plus obscures. En effet, ils avaient appris que les prophètes étaient ressuscités, quoique l'Ecriture ne le dise pas clairement : mais que quelqu'un eût mangé de la chair « d'un homme », c'est ce qu'aucun d'eux n'avait dit : toutefois, ils étaient dociles et soumis à Jésus-Christ. Ils le suivaient, et ils confessaient qu'il avait les paroles de la vie éternelle. Car c'est le devoir d'un disciple de ne pas examiner avec trop de curiosité les paroles de son maître, mais d'écouter, d'obéir et d'attendre une occasion pour demander ensuite l'explication de ce qu'il n'a point compris. Pourquoi donc en est-il autrement arrivé, dira-t-on, et pourquoi les Juifs rebroussèrent-ils chemin? Ce fut là un pur effet de leur folie. Lorsque cette douteuse et dangereuse question : « Comment », entre dans l'esprit, l'incrédulité y entre alors avec elle. Ainsi, Nicodème se trouble et s'embarrasse ; ainsi il dit : « Comment un homme peut-il «entrer une seconde fois dans le sein de sa mère? » (Jean, III, 4.) Ainsi se troublent ceux-ci, et ils disent : « Comment celui-ci nous peut-il donner sa chair à manger? (53) »

Si vous demandez comment cela se peut faire, pourquoi ne dites -vous pas de même des pains : Comment Jésus a-t-il multiplié cinq pains en tant d'autres ? c'est qu'alors ils ne se mettaient en peine que de se rassasier, et qu'ils ne faisaient point d'attention au miracle. Mais ici, direz-vous, l'expérience les a instruits. Donc aussi, vu l'expérience qu'ils avaient déjà faite, ils auraient dû croire plus facilement. Le Sauveur a fait précéder le grand miracle des pains, afin qu'ayant reconnu sa puissance et l'efficacité de sa parole, ils n'y fussent plus incrédules dans la suite. Que si les Juifs, en ce temps-là, n'ont point profité de sa doctrine , ni de sa parole , nous , aujourd'hui , nous en retirons réellement tout le fruit et tout l'avantage. C'est pourquoi il faut apprendre quel est le miracle qui s'opère dans nos mystères, pourquoi ils nous ont été donnés, quel profit, quel avantage il nous en doit revenir. « Nous ne sommes tous qu'un seul corps », dit l’Ecriture, « et les membres de sa chair et de ses os ». Que ceux qui sont initiés à nos saints mystères écoutent attentivement ce que je vais dire.

3. Afin donc que nous devenions tels non-seulement par l'amour, mais encore réellement, mêlons-nous à cette chair divine. C'est l'effet que produit l'aliment que le Sauveur nous a octroyé pour nous faire connaître l'ardeur et l'excès de son amour. Voilà pourquoi il a uni, confondu son corps avec le nôtre, afin que nous soyons tous comme un même corps, joint à un seul chef. En effet, c'est là le témoignage et la marque d'un ardent amour. Job insinue cette vérité, quand il dit de ses serviteurs qu'ils l'aimaient si fort, qu'ils auraient souhaité de le manger. Car pour marquer leur vif et tendre attachement, ils disaient : « Qui nous donnera de sa chair pour nous en rassasier? » (Job. XXXI , 31.) Voilà ce que Jésus-Christ a fait pour nous; il nous a donné sa chair à manger pour nous engager à avoir pour lui un plus grand amour, et nous montrer celui qu'il a pour nous; il ne s'est pas seulement fait voir à ceux qui ont désiré le contempler, mais encore il s'est donné à toucher, à manier, à manger, à broyer avec les dents, à absorber de manière à contenter le plus ardent amour.

Sortons donc de cette table, mes frères, comme des lions remplis d'ardeur et de feu, terribles au démon, pleins du souvenir de [324] notre chef, et de cet ardent amour dont il nous a donné de si vives marques. Souvent les parents confient à des nourrices leurs enfants; moi, au contraire, je les nourris de ma chair, je me donne moi-même à manger. Je veux tous vous annoblir et vous donner à tous une bonne espérance des biens à venir. Celui qui s'est livré pour vous dans ce monde vous fera dans l'autre beaucoup plus de bien encore. J'ai voulu être votre frère pour l'amour de vous; j'ai pris votre chair et votre sang afin que l'un et l'autre fût commun entre nous : je vous rends cette chair et ce sang, par lesquels je suis devenu de même nature que vous. Ce sang forme en nous une brillante et royale image : il produit une incroyable beauté, il ne laisse pas la noblesse de l'âme se flétrir, lorsqu'il l'arrose souvent et la nourrit. Les aliments ne se tournent pas d'abord en sang, mais auparavant ils se convertissent en quelqu'autre chose. Mais ce sang se répand dans l'âme aussitôt qu'on l'a bu , il l'arrose et la nourrit. Ce sang, quand on le reçoit dignement, met en fuite les démons, il appelle et fait venir à nous les anges, et même le Seigneur des anges. Car, aussitôt que les démons voient le sang du Seigneur, ils fuient, mais les anges accourent. Ce sang, par son effusion, a lavé et purifié tout le monde.

Saint Paul, dans son Epître aux Hébreux, dit sur ce sang bien des choses qui sont pleines d'une admirable sagesse. C'est ce sang qui a purifié l'intérieur du temple et le Saint des saints. (Héb. IX.) Que si le symbole de ce sang, et dans le temple des Hébreux, et dans la ville capitale de l'Egypte, seulement jeté par aspersion sur les jambages des portes, a eu tant de puissance et de vertu, la vérité en a bien une plus grande et plus efficace. C'est ce sang qui a consacré l'autel d'or : le grand prêtre n'osait entrer dans le sanctuaire sans en avoir auparavant été arrosé. C'est avec ce sang que se faisait la consécration des prêtres : ce sang figuratif lavait les péchés; si donc la figure a eu tant de vertu et de puissance , si la mort a eu tant de frayeur de l'ombre, combien, je vous prie, craindra-t-elle la vérité? Ce sang est la sanctification et le salut de l'âme. C'est lui qui la lave, la purifie, l'orne, l'enflamme c'est lui qui rend notre intelligence plus brillante que le feu, notre âme plus resplendissante que l'or. C'est ce sang qui, ayant été répandu, a ouvert le ciel.

4. Les mystères que Jésus-Christ a confiés à son Eglise sont véritablement terribles : l'autel, sur lequel est immolée cette divine -victime, est véritablement redoutable. (Gen. II, 10.) Du Paradis sortait une source qui se partageait de tous côtés en des fleuves d'eau sensible : de cette table rejaillit une source qui répand des fleuves d'eau spirituelle. Ce ne sont pas des saules stériles qui s'élèvent autour de cette fontaine, mais des arbres dont la hauteur atteint jusqu'au ciel, qui portent toujours du fruit dans la saison, qui jamais ne se flétrissent. Si quelqu'un est échauffé, qu'il aille à cette fontaine, il y tempérera sa fièvre car elle dissipe la chaleur et rafraîchit tout ce qui est brûlé et en feu, non ce qui est échauffé par l'ardeur du soleil, mais ce que des flèches de feu ont enflammé. C'est d'en-haut, c'est du ciel que cette fontaine prend sa source et qu'elle tire son origine; c'est là qu'elle se renouvelle. Elle donne naissance à plusieurs ruisseaux que l'Esprit-Saint fait couler, et dont le Fils fait la distribution : Ce n'est pas avec le hoyau qu'il leur trace leur route, mais il ouvre notre coeur et nous dispose à les recevoir. Cette source est une source de lumière qui répand les rayons de la vérité.

Là se trouvent les vertus célestes, qui contemplent la beauté des sources et des canaux, parce qu'ils en connaissent la vertu mieux que nous, et qu'ils voient plus clairement cette lumière inaccessible. Et comme s'il pouvait se faire que quelqu'un mit sa main ou sa langue dans de l'or fondu, il la retirerait toute dorée, de même ceux qui participent aux saints mystères dont nous parlons, changent plus véritablement leur âme en or. Ce fleuve fait bouillonner l'eau à plus gros bouillons et avec plus de véhémence que le feu , mais il ne brûle pas; seulement il lave, il purifie. Les autels, les cérémonies et les sacrifices de l'ancienne loi étaient des figures qui nous annonçaient d'avance ce précieux sang. Voilà le prix de la rédemption de tout le monde; voilà avec quoi Jésus-Christ a acheté son Eglise, c'est par ce sang qu'il l'orne et l'embellit tout entière. De même que celui qui achète des esclaves donne de l'or et les habille d'une étoffe d'or, s'il veut les orner et les parer, ainsi Jésus-Christ nous a achetés et ornés par son sang. Ceux qui participent à ce sang vivent dans la société des anges, des archanges et des puissances des cieux; ils sont revêtus de la robe royale de [325] Jésus-Christ et équipés des armes spirituelles. Mais c'est trop peu dire; ils sont revêtus du roi même.

Or, comme c'est là quelque chose de grand et d'admirable, si vous approchez de cette table avec une véritable pureté de coeur, vous vous approchez du salut; mais si votre conscience est impure, vous vous précipitez au supplice et vous avez attiré sur vous la vengeance du Seigneur : car, dit saint Paul, « quiconque en mange et en boit d'une manière indigne du Seigneur, mange et boit sa propre condamnation ». (I Cor. XI, 29.) S'il est vrai que ceux qui souillent la pourpre royale sont punis comme s'ils l'avaient mise en pièces, doit-on s'étonner que ceux qui reçoivent le corps de Jésus-Christ avec une âme impure, soient condamnés au même supplice que ceux qui le percèrent de clous? Remarquez combien est terrible le supplice que l'apôtre expose à nos yeux ! « Celui qui a violé la loi de Moïse », dit-il, « est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux       ou trois témoins. Combien donc croyez-vous que méritera de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le         Fils de  Dieu, qui aura tenu pour une chose vile et profané le sang de l'alliance, par lequel il avait été sanctifié ». (Héb. X, 28, 29.) Veillons donc sur nous-mêmes, mes très-chers frères, puisque nous avons eu le bonheur de recevoir de si grands biens, et lorsqu'il nous vient dans l'esprit quelque mauvaise pensée, lorsque nous nous sentons portés à dire quelque parole honteuse, ou lorsque nous nous apercevons qu'il s'élève en nous quelque mouvement de colère ou quelqu'autre mauvais sentiment, pensons alors en nous-mêmes aux bienfaits dont le Seigneur nous a honorés, représentons-nous combien grand et excellent est l'esprit que nous avons reçu. Cette pensée réprimera et calmera nos passions. Jusqu'à quand nous attacherons-nous aux choses présentes? Quand nous réveillerons-nous? Jusqu'à quand serons-nous nonchalants, indifférents pour notre salut? Considérons la grandeur et la magnificence des dons de Dieu, rendons-lui des actions de grâces, glorifions-le, non-seulement par la foi, mais encore par les oeuvres, afin que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire appartient, et au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi-soit-il.

 

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