HOMÉLIE XIII

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HOMÉLIE XIII.

JEAN REND TÉMOIGNAGE DE LUI, ET IL CRIE, EN DISANT : VOICI CELUI DONT JE VOUS DISAIS, CELUI QUI DOIT VENIR APRÈS MOI, EST AVANT MOI, PARCE QU'IL EST PLUS ANCIEN QUE MOI. (VERSET 15.)

 

ANALYSE.

 

158

 

1. Le prédicateur ne perd point sa récompense par la paressé de ses auditeurs. Saint Jean l'évangéliste fait souvent valoir le témoignage de saint Jean-Baptiste, pourquoi?

2 et 3. Témoignage de saint Jean-Baptiste

4. Rien de plus beau ni de plus brillant qu'une vie bien réglée.— Les dons faits de biens mal acquis sont rejetés.

 

1. Courons-nous en -vain? est-ce inutilement fille nous travaillons? Jetons-nous la semence sur des pierres? Tombe-t-elle le, long du chemin ou demeure-t-elle cachée dans des épines 1? J'ai peur, je tremble que mon labourage ne soit inutile, quoique d'ailleurs je ne puisse rien perdre de la récompense qui est attachée à ce travail. La condition du laboureur est autre que celle du prédicateur de la parole souvent le laboureur,. après avoir travaillé toute une année, après avoir souffert tant de peines et de sueurs , ne récolte rien qui réponde à ses soins; et alors rien ne peut plus le dédommager de ses peines; triste et confus il revient de l'aire dans sa maison , auprès de sa femme et de ses enfants, et n'a personne à qui il puisse demander la récompense de ses longs travaux. Nous n'avons rien de pareil à craindre : quand bien même la terre que nous avons cultivée ne donne aucun fruit; si nous avons employé tous nos soins et toutes nos peines, le Seigneur de la terre et du laboureur ne permettra pas que nous soyions frustrés de nôs espérances, mais il nous donnera une rémunération. « Chacun » , dit l'Ecriture, « recevra sa récompense particulière selon son travail » (I. Cor. III, 8) ; et non pas selon l'événement. Pour preuve que cela est ainsi, écoutez ce que dit le Seigneur: « Vous donc, fils de l'homme, exhortez ce peuple, pour voir s'ils écouteront enfin et s'ils

 

1. Allusion à la parabole des semences. Saint Matthieu, XIII ; saint Marc, IV, l ; saint Luc, VIII, 4.

 

comprendront ». Et voici l'explication d'Ezéchiel : « Si la sentinelle » , dit-il, « avertit de ce qu'il faut fuir et de ce qu'il faut suivre, elle a lié livré son âme, quoique personne ne l'écoute (1) ». (Ezéch. II, 5, 6.)

Toutefois; encore que nous ayions cette ferme consolation, encore que nous soyions sûrs de la récompensé , lorsque nous ne vous voyons pas profiter de nos instructions, nous ne sommes ni plus consolés ni en meilleure disposition que les laboureurs, qui gémissent et pleurent, qui sont honteux et confus; Telle est la charité d'un prédicateur, telle est la sollicitude pastorale. Moïse pouvait se délivrer de l'ingrate nation des Juifs et obtenir un plus glorieux gouvernement , celui d'un peuple beaucoup plus nombreux. Dieu lui dit: « Laisse-moi faire, et je les exterminerai, et je t'établirai chef d'un plus grand peuple». (Exod. XXXII, 10.) Mais comme il était saint et serviteur de Dieu; comme il était vrai ami et homme de bien, il ne put même pas entendre cette parole; au contraire, il aima mieux périr avec le peuple qui lui avait été confié , qu'être sauvé sans lui et élevé à une. plus haute dignité.

Tel doit être celui à qui est confié le soin dés âmes; car si un père qui a de méchants enfants veut continuer néanmoins à être appelé leur père et ne consentirait point à en changer, il serait absurde que continuellement

 

1. On ne lit point ces deux passages, ni dans les Septante, ni dans la Vulgate. L'auteur en prend seulement. le sens.

 

159

 

un maître changeât de disciples, qu'il les abandonnât pour prendre tantôt ceux-ci, tantôt ceux-là et ensuite d'autres, sans s'attacher jamais à aucun.

Mais, Dieu nous garde de rien craindre de semblable à votre sujet ! Nous avons au contraire cette confiance de croire que votre foi croît toujours de plus en plus en Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que la charité mutuelle que vous avez les uns pour les autres et pour tous les hommes s'augmente chaque jour. Ce que nous venons de dire, nous l'avons dit pour ajouter encore à votre zèle et vous faire croître en vertu. Si les yeux de votre âme ne sont point chassieux, si la corruption de la malice ne les obscurcit pas et n'en trouble pas la clairvoyance, vos pensées pourront atteindre à la profondeur des matières que nous avons à traiter.

Qu'est-ce qu'on nous propose aujourd'hui ? « Jean rend témoignage de lui, et il crie en disant : Voici Celui dont je vous disais: Celui qui doit venir après moi est avant moi, parce  qu'il est plus ancien que moi ». Notre évangéliste fait souvent paraître Jean , le produit à tout instant et en toute occasion, et fait valoir souvent son témoignage. Et ce n'est pas sans raison : il fait preuve en cela d'une extrême prudence. Comme les Juifs admiraient extraordinairement cet homme, (Josèphe, qui s'étend beaucoup sur son éloge, attribue à la mort qu'Hérode lui fit souffrir et la guerre (1), et la ruine de Jérusalem (2)) ; comme, dis-je, les Juifs l'admiraient extraordinairement, l'évangéliste, pour les couvrir de confusion, leur répète souvent son témoignage. Et véritablement les autres évangélistes renvoient leurs auditeurs, sur chaque action qu'ils rapportent, aux anciens prophètes qu'ils leur citent. Quand ils racontent la naissance du Fils de Dieu, ils disent: « Or ; tout cela se fit pour accomplir ce que le Seigneur avait dit par le Prophète, en ces termes (Matth. 1, 22) : Une Vierge concevra, et elle enfantera un fils ». (Isaïe, VII, 14.) Quand ils décrivent les pièges qu'on lui tendait; les exactes recherches, les poursuites

 

1. La guerre qu'Arétas, roi de Pétra, déclara à Hérode le Tétrarque.

2. Ce que le saint Docteur rapporte ici de Josèphe ne nous paraît pas tout à fait conforme à ce que nous lisons dans son histoire. Voici le passage : Plusieurs Juifs ont cru que cette défaite de l'armée d'Hérode était une punition de Dieu à cause de Jean , surnommé Baptiste. C'était un homme de grande piété qui exhortait les Juifs à embrasser la vertu, à exercer la justice , et à recevoir le Baptême, après s’être rendu agréable à Dieu en ne se contentant pas de ne point commettre quelque péché, mais en joignant la pureté du corps à celle de l'âme. Aussi, comme une grande quantité de peuple le suivait pour écouter sa doctrine, Hérode, craignant que le pouvoir qu'il aurait sur eux, n'excitât quelque sédition, Parce qu'ils seraient toujours prêts à entreprendre tout ce qu'il leur ordonnerait, crut devoir prévenir ce mal pour n'avoir pas sujet de se repentir d'avoir attendu trop tard à y remédier. Pour cette raison il l'envoya prisonnier dans la forteresse de Machera, dont nous venons de parler. Et les Juifs attribuèrent la défaite de son armée à un juste châtiment de Dieu d'une action si injuste ». Arn. d'And. hist. de Josep. in-fol. Tom. I, p. 689. N. 781.

 

 

qu'on faisait pour le perdre, et le massacre qu'Hérode fit des innocents, ils produisent ce que Jérémie avait autrefois prophétisé « On a entendu un grand bruit dans Rama, on y a ouï des cris mêlés de plaintes et de soupirs : Rachel pleurant ses enfants » . (Jérém. XXXI, 15.) Et quand ils rapportent son retour de l'Égypte, ils citent cette prédiction d'Osée: « J'ai rappelé mon Fils d'Égypte ». (Osée, XI , 1.) Partout ils en usent de même; mais saint Jean , qui parle avec plus d'élévation que les autres évangélistes, apportant un témoignage plus clair et plus récent, ne produit pas seulement des morts, mais un homme vivant qui avait montré Jésus-Christ présent et qui l'avait baptisé: non toutefois pour prouver qu'il fallait croire en Jésus-Christ sur le témoignage du serviteur, mais pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs. Car comme on n'aurait pas reçu le Seigneur s'il n'avait pris la forme de serviteur, de même la plus grande partie des Juifs n'aurait pas cru à sa parole, s'il n'y eût accoutumé leurs oreilles par une voix semblable à la leur.

2. Ajoutons que l'évangéliste, en en usant ainsi, avait en vue un autre résultat, grand et merveilleux : comme celui qui avance quelque chose de grand sur son propre compte, se rend suspect ; et déplaît souvent à ceux qui l'entendent, voici venir un nouveau témoin pour appuyer son autorité de la sienne : et aussi comme la multitude a coutume d'accourir à la voix qui lui est naturelle et familière, parce qu'elle a moins de peine à la reconnaître , c'est pour cela que la voix du ciel ne s'est fait entendre qu'une ou deux fois, et que la voix de Jean-Baptiste se fait ouïr très-souvent. En effet, ceux qui s'élevaient au-dessus de la faiblesse et de la grossièreté du peuple, qui s'étaient dépouillés des choses sensibles et terrestres , étaient capables d'entendre la voix du ciel, et n'avaient pas tant de besoin de celle de l'homme , puisqu'ils obéissaient à la première et se laissaient guider par elle ; mais il fallait une voix plus humble à ceux qui [159] étaient encore attachés à la terre, et plongés dans les ténèbres. Voilà donc pourquoi Jean-Baptiste, s'étant entièrement dépouillé des choses terrestres, n'a pas eu besoin d'avoir des hommes pour maîtres, mais il a reçu sa doctrine du ciel. Car il dit : « Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau m'a dit : Celui sur qui vous verrez descendre le Saint-Esprit, est le Fils de Dieu ». (Jean, I, 33, 34.) Les Juifs au contraire qui n'étaient encore que des enfants, et qui ne pouvaient atteindre à cette élévation, avaient pour maître un homme qui leur annonçait non sa propre doctrine, mais celle du ciel.

Que dit donc celui-ci? « Il rend témoignage de lui, et il crie, en disant » . Que veut dire ce mot : « Il crie? » il prêche avec confiance, avec liberté, exempt de toute crainte. Et quelle est cette prédication, ce témoignage, ce cri? « Voici celui dont je vous disais : Celui qui est venu après moi, est avant moi , parce qu'il est plus ancien que moi ». Ce témoignage est obscur et bien terrestre encore ; en effet, Jean n'a point dit : Celui-ci est le Fils unique de Dieu; il a dit : « Voici celui dont je vous disais : Celui qui est venu après moi, est avant moi, parce qu'il est plus ancien que moi ». De même que les mères des petits oiseaux ne montrent pas tout d'un coup, ni dans un seul jour à leurs petits la manière de voler, mais qu'au commencement elles ne font que les faire sortir de leur nid, les laissent ensuite reposer, puis les remettent au vol ; et le. lendemain leur font faire de plus grands efforts, les excitant de la sorte peu à peu et insensiblement à s'élever à une hauteur convenable :ainsi le bienheureux Jean-Baptiste n'amène pas sur-le-champ les Juifs à ce qu'il y a de plus sublime, mais il commence par les élever un peu de terre, en leur disant que Jésus-Christ lui est supérieur. Ce n'était pas peu en effet que ses auditeurs pussent croire que celui quine s'était point encore fait voir, et qui n'avait point opéré de miracles, était supérieur à Jean, cet homme si illustre et si admirable, vers qui tout le peuple accourait, et qu'on regardait comme un ange.

Ainsi il tâchait d'abord, et s'efforçait de persuader à ses auditeurs que celui dont il rendait témoignage , était plus grand que le témoin; que celui qui devait venir était au-dessus de celui qui était venu; et que l'inconnu surpassait l'homme célèbre. Voyez avec quelle prudence Jean-Baptiste rend témoignage ! Non-seulement il montre Jésus, lorsqu'il est présent ; mais il le prédit avant qu'il paraisse. Car telle est l'allusion renfermée dans ces paroles : « Voici celui dont je vous disais ». C'est ainsi que, selon saint Matthieu, il disait à tous ceux qui venaient à lui : « Pour moi, je vous a baptise dans l'eau ; mais il en doit venir un autre qu' est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers ». (Matth. III , 11 ; Marc, I, 7; Luc, III, 17.) Pourquoi donc a-t-il ainsi parlé, avant que Jésus vînt?.C'est afin que quand il paraîtrait, son témoignage trouvât créance, les esprits y étant disposés par les discours tenus auparavant à son sujet, et que le vil vêtement qu'il portait ne nuisît pas à son crédit. Si les Juifs n'eussent rien ouï dire de Jésus-Christ, avant de le voir, s'ils n'eussent reçu qu'en le voyant ce grand et admirable témoignage, la simplicité et la pauvreté de ses habits aurait sans doute fait tort à la majesté de sa parole. En effet, Jésus-Christ marchait dans les rues si simplement et si pauvrement vêtu, que les femmes de Samarie , les femmes de mauvaise vie, les publicains, tous osaient librement et hardiment l'approcher et lui parler.

3. Si les Juifs donc; comme je l'ai dit, avaient entendu ces paroles, et vu sa personne en même temps, ils auraient ri du témoignage de Jean-Baptiste; mais ayant souvent entendu ce témoignage avant la venue de Jésus-Christ, et ce qu'ils en avaient ouï dire leur ayant inspiré le désir de le voir, tout le contraire est arrivé : ils ont pu voir ce Sauveur annoncé, sans rejeter sa doctrine , et la foi qu'ils ont eue en lui sur ce qu'ils en avaient ouï dire le leur a fait regarder comme plus grand encore.

Ces paroles : « Celui qui doit venir après moi », signifient : celui qui doit prêcher, et non pas naître, après moi. Saint Matthieu le déclare, en disant: « Il vient un homme après moi » ; où il ne parle point de la naissance du Fils de Marie; mais de sa venue pour prêcher. En effet, si l'évangéliste eût voulu parler de sa naissance, il ne se serait pas servi d'un temps présent, mais d'un temps passé ; il n'aurait pas dit : « Il vient », mais : « Il est venu». Car Jésus-Christ était déjà né, lorsque Jean-Baptiste disait ces choses.

Mais que veut dire ce mot : « Il est avant moi »? Entendez : il est plus illustre et plus célèbre que moi. De plus, quoique je sois venu [161] prêcher le premier, ne croyez pas pour cela que je sois plus grand que lui : je suis de beaucoup inférieur à lui, et si inférieur, que je ne suis pas digne d'être même regardé comme son serviteur. Et c'est là ce que signifient ces paroles : « Il est avant moi » : idée que saint Matthieu exprime autrement, en disant : « Et je ne suis pas digne de délier les cordons de ses souliers (1) ». (Matth. III, 11.) Or que ces paroles : « Il est avant; moi », ne s'entendent point de la naissance de Jésus-Christ, celles qui suivent le montrent visiblement : si Jean-Baptiste avait voulu qu'elles s'entendissent de la naissance, il lui eût été inutile d'ajouter : « Parce qu'il est plus ancien que moi ». Qui en effet eût été assez stupide et assez fou pour ignorer que celui qui était né avant lui était plus ancien que lui ? Que si l’on entend ces paroles, de cette existence qui est avant les siècles, elles ne signifient autre chose que ceci : « Celui qui vient après moi, est avant moi » ; autrement il aurait parlé inconsidérément, et ce serait en vain qu'il aurait produit la raison de cette ancienneté. Encore une fois, s'il avait voulu parler de la naissance, il devait construire sa phrase d'une autre façon, et dire : « Celui qui vient après moi, est plus ancien que moi, parce qu'il est né avant moi » : car que quelqu'un soit avant, on en peut justement donner cette raison, qu'il est né le premier; mais on n'établit point qu'une personne est née avant une autre en disant qu'elle est la première.

Ce que nous disons là est juste et bien fondé, volis le savez tous : c'est des choses obscures, qu'il faut donner la raison et l'explication , et non de celles qui sont claires et évidentes. Si ce discours tombait sur la naissance, il n'y aurait ni doute, ni difficulté à admettre que le premier est le premier né mais comme Jean parle de la dignité et de la prééminence, il a raison d'ôter la difficulté qui y paraissait. Effectivement, il est vraisemblable que plusieurs auraient eu des doutes, et n'auraient pu concevoir comment et pour quelle raison celui qui est venu après, est avant, c'est-à-dire, est plus honorable. Voilà pourquoi Jean-Baptiste en donne aussitôt la raison : c'est parce que, dit-il, « il est plus ancien que

 

1. Saint Matthieu, que cite le saint Docteur, dit : « Et je ne suis pu digne de porter ses souliers ». Mais saint Marc et saint Luc disent : « de dénouer le cordon de ses souliers ». (Marc, 1, 7; Luc, III, 16.) Tout revient au même. La différence ne doit point arrêter.

 

moi » : Ce n'est pas, dit-il, que, me trouvant d'abord devant lui, il ait réussi à prendre le pas sur moi : mais il est plus ancien que moi, quoiqu'il vienne après moi.

Mais comment, direz-vous, si Jean a en vue l'éclatant avènement du Christ et la gloire qui doit l'accompagner, parle-t-il d'une chose qui n'était point encore, comme si déjà elle était arrivée ? car il ne dit pas : il sera, mais il est c'est parce que depuis la plus haute antiquité les prophètes étaient dans l'usage d'annoncer les choses futures, comme si elles étaient déjà accomplies. Isaïe,. parlant de la mort de Jésus-Christ, n'a point dit : « Il sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger » : ce qui devait arriver; mais : « Il a été mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger (1) ». (Is. LIII, 7, 70.) Et toutefois il ne s'était point encore incarné; mais le prophète raconte ce qui devait arriver, comme étant déjà accompli. Et David, prédisant le crucifiement, n'a point dit : ils perceront mes mains et mes pieds ; mais: « Ils ont percé mes mains et mes pieds ». Et : « ils ont partagé entr'eux mes habits, et ils ont jeté le sort sur ma robe ». (Ps. XXI, 18 et 19.) Et parlant du traître Judas, qui n'était point né encore, il dit . « Celui qui mangeait avec moi, a fait éclater sa trahison contre moi ». (Ps. XL, 10.) De même, rapportant ce qui s'est passé, lorsqu'il était attaché sur la croix, il dit : « Ils m'ont donné du fiel pour ma nourriture, et dans ma soif ils m'ont présenté du vinaigre à boire ». (Ps. LXVIII, 26.)

4. Voulez-vous que nous vous apportions encore d'autres autorités, ou celles-là vous suffisent-elles? pour moi, je le crois. Si nous n'avons pas donné toute son étendue au sujet que nous venons d'examiner, du moins nous l'avons suffisamment approfondi. Et certes il n'y a pas un moindre travail à ceci qu'à cela, et nous craindrions de vous ennuyer, si nous vous arrêtions plus longtemps sur cette question. Finissons donc: cela est juste. Mais par où finirons-nous le mieux? C'est en rendant à Dieu la gloire qui lui est due, et cela, non-seulement par nos paroles, mais encore plus par nos oeuvres.

Que votre lumière luise, dit Jésus-Christ, « afin qu'ils voient vos bonnes couvres, et « qu'ils glorifient votre Père qui est dans les

 

1. Il faut observer que c'est ici la leçon des Septante. Notre Vulgate dit : « Il sera mené à la mort ».

 

162

 

cieux ». (Matth. V, 16.) Rien en effet n'est plus brillant, mes chers frères, qu'une vie bien réglée. Le sage le déclare: « La voie des justes », dit-il, « brillera comme la lumière». (Prov. IV, 18.) Certes, elle éclairera non-seulement ceux qui allument leurs lampes parleurs bonnes oeuvres, et qui marchent dans la voie droite, mais encore tous leurs voisins : mettons donc de l'huile dans ces lampes, afin que le feu en soit plus vif et la lumière plus abondante. Ce n'est pas seulement aujourd'hui que cette huile a une grande force, elle a fait aussi merveilleusement éclater la vertu de ceux qui ont vécu au temps des sacrifices. C'est pourquoi Dieu dit : « C'est l'huile que je veux, et non le sacrifice ». (Osée, VI, 6; Matth. IX, 13.) Et en vérité, rien de plus juste. L'autel des sacrifices était inanimé, mais notre autel est animé; le feu consumait tout, tout se réduisait en cendres et se dissipait, la fumée s'évanouissait dans l'air : mais ici, il n'arrive rien de semblable; il se produit d'autres fruits. C'est ce que déclare saint Paul, lorsque, décrivant les trésors de charité des Corinthiens, il dit : « Cette obligation, dont nous sommes les ministres, ne supplée pas seulement aux besoins des saints; mais elle est riche et abondante envers Dieu, par le grand nombre d'actions de grâces qu'elle lui fait rendre ». Et encore : « Parce que ces saints se portent à glorifier Dieu de la soumission que vous témoignez à l'Evangile de Jésus-Christ, et de la bonté avec laquelle vous faites part de vos biens, soit à eux, soit à tous les autres, et à témoigner par les prières qu'ils font pour vous, l'amour qu'ils vous portent ». (II Cor. IX, 12, 13, 14.) Ne voyez-vous pas qu'ici l'offrande aboutit à des actions de grâces, à un tribut d'hommages, à des prières continuelles de la part des pauvres secourus, à un redoublement de charité?

Sacrifions donc, mes chers enfants, sacrifions tous lès jours sur ces autels. Ce sacrifice est plus excellent que les prières, que le jeûne et mainte autre pratique, pourvu qu'on le

 

1. Saint Chrysostome lit ici elaion  (huile) et non eleon (miséricorde) : ces deux mots se prononçant de même, la confusion s'explique aisément. Au reste, le sens est le même puisque l'huile est prise dans l'Ecriture pour le symbole de la miséricorde. Voyez, dans le commentaire sur saint Matthieu, l'explication de la parabole des dix vierges. (Chap. XXV.)

 

fasse d'un bien acquis légitimement par un honnête travail, et qui ne soit point souillé d'avarice, de rapine ou de violence. Telles sont les oblations que Dieu reçoit; il hait, il rejette les autres. Il ne veut pas qu'on l'honore au détriment d'autrui ; un pareil sacrifice est impur et profane; il irritera plutôt Dieu qu'il ne l'apaisera. C'est pourquoi nous devons apporter tous nos soins et toute notre vigilance à ne pas outrager, sous prétexte d'hommage, celui que nous voulons honorer. Si Caïn, pour avoir offert à Dieu la moindre et la plus vile partie de ses biens (Gen. IV), sans toutefois avoir fait tort à personne, fut puni, ne recevront-ils pas un plus rigoureux châtiment, ceux qui lui présenteront les fruits de leurs rapines et de leur avarice ? Si Dieu nous a donné ce précepte, c'est pour que nous fassions l'aumône au prochain, et non pour que nous l'opprimions. Celui qui ravit le bien d'autrui et le donne à un autre, celui-là n'est point miséricordieux, mais injuste et souverainement criminel. Comme donc on ne tire pas de l'huile d'une pierre, la cruauté de même ne produit pas l'humanité. On ne peut pas appeler aumône ce qui sort de cette source impure.

Je vous conjure donc, mes frères, de n'être point seulement zélés et attentifs à donner l'aumône, mais encore de ne pas la faire au préjudice du prochain. Car « si l'un prie et que l'autre maudisse, de qui Dieu exaucera-t-il la voix ? » (Eccl. XXXIV, 29.) Si nous sommes ainsi vigilants sur nous-mêmes, nous pourrons, par la grâce de Dieu, obtenir ses bontés, sa clémence, sa miséricorde, la rémission de tous les péchés que nous avons commis pendant notre vie, et éviter le fleuve de feu. Fasse le ciel que nous nous en garantissions tous, et que tous nous entrions dans lé royaume des cieux, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.

 

 

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