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LE LUNDI DE LA SEPTUAGÉSIME.Le serpent dit à la femme : « Pourquoi Dieu vous a-t-il commandé de ne pas manger du fruit de tous les arbres du Jardin? » Tel est le début de l'entretien que notre première mère consent à lier avec l'ennemi de Dieu ; et déjà le salut du genre humain est en péril. Rappelons-nous tout ce qui s'est passé jusqu'à cette heure fatale. Dieu, dans sa puissance et dans son amour, a créé deux êtres sur lesquels il a versé toutes les richesses de sa bonté. Il a ouvert devant eux une destinée immortelle, accompagnée de toutes les conditions d'un bonheur parfait. La nature entière leur est soumise ; une postérité innombrable doit sortir d'eux et les entourer à jamais de sa tendresse filiale. Bien plus, le Dieu de bonté qui les a créés daigne descendre jusqu'à la familiarité avec eux, et dans leur innocence, cette condescendance adorable ne les surprend pas. Mais ceci n'est rien encore. Après l'épreuve qui doit les en rendre dignes, le Dieu qu'ils ne connaissent jusque-là que par des bienfaits d'un ordre inférieur, leur prépare une félicité au-dessus de toutes leurs pensées. Il a résolu de se faire connaître à eux tel qu'il est, de les associer à sa gloire, de rendre infini leur bonheur, en même temps qu'il sera éternel. Voilà ce que Dieu a fait, ce qu'il a préparé pour ces deux êtres qui, tout à l'heure, étaient encore dans le néant. En retour de tant de dons gratuits et 154 magnifiques, Dieu ne leur demande qu'une seule chose : qu'ils reconnaissent son domaine sur eux. Rien ne doit leur être plus doux ; rien aussi n'est plus juste en soi. Tout ce qui est en eux et hors d'eux n'est qu'un produit de l'inépuisable munificence du Dieu qui les a arrachés au néant ; leur vie tout entière ne doit donc être que fidélité, amour et reconnaissance. Comme expression de cette fidélité, de cet amour et de cette reconnaissance, le Seigneur ne leur a posé qu'un seul précepte, qui consiste à s'abstenir du fruit d'un seul arbre. L'observation de ce commandement facile est l'unique compensation qu'il exige pour tous les bienfaits qu'il a répandus sur eux. Cette compensation suffit à la souveraine équité ; elle doit donc être acceptée par eux avec un saint orgueil, comme le lien qui les unit à Dieu, comme le seul moyen qu'ils ont de s'acquitter envers lui. Mais voici ce qui arrive. Une voix qui n'est pas celle de Dieu, la voix d'une créature se fait entendre à la femme. Pourquoi Dieu vous a-t-il fait ce commandement ? » Et la femme s'arrête à écouter cette voix, et son cœur n'est pas saisi d'indignation d'entendre demander pourquoi le divin bienfaiteur a porté tel ou tel précepte ? Elle ne fuit pas avec horreur celui qui ose peser la valeur des ordres de Dieu ; elle ne lui déclare pas qu'une telle question lui semble sacrilège. Elle reste, et va répondre. L'honneur de Dieu ne la touche plus. Que nous paierons cher cette insensibilité et cette imprudence ! Eve répond : « Nous mangeons du fruit des arbres qui sont dans le jardin ; mais pour ce qui est des fruits de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a commandé de n'en point mante ger et de n'y point toucher, de peur que nous ne 155 mourrions » Ainsi, la femme ne se contente pas d'écouter la question du serpent : elle répond, elle engage conversation avec l'esprit pervers qui la tente. Elle s'expose au danger ; sa fidélité est déjà compromise. Si les termes dont elle use dans sa réponse font voir qu'elle n'avait pas oublié le commandement du Seigneur, on y sent déjà comme un doute qui tient de l'orgueil et de l'ingratitude. L'esprit du mal s'aperçoit qu'il a éveillé dans ce cœur l'amour de l'indépendance, et que s'il peut rassurer sa victime sur les suites de la désobéissance, elle est à lui désormais. Il poursuit donc, avec autant d'audace que de perfidie : « Assurément vous ne mourrez point ; mais Dieu sait que le jour où vous en aurez mangé, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » C'est la rupture même avec Dieu que le serpent propose ici à la femme. Il vient d'allumer en elle ce perfide amour de soi, qui est le souverain mal de la créature, et qu'elle ne peut satisfaire qu'en brisant les liens qui l'attachent au Créateur. Le souvenir des bienfaits, le cri de la reconnaissance,l'intérêt personnel, tout est oublié. Comme l'ange rebelle, l'homme ingrat veut devenir Dieu ; comme lui il sera brisé. IN DOMINICA TYROPHAGI.Réveille-toi, mon âme
infortunée ; pleure aujourd'hui sur tes actions : viens repasser le souvenir de
ce malheur qui fit paraître la nudité dans Eden, au jour où tu te vis privée
des délices et des joies éternelles de ce séjour. Créateur de toutes choses,
dans votre bonté et votre miséricorde, après m'avoir tiré de la poussière et
m'avoir donné une âme, vous me fîtes le commandement de vous louer avec vos
Anges. Créateur et Seigneur, dans la
munificence de votre bonté, vous aviez planté un jardin délicieux dans Eden, et
vous m'aviez commandé de jouir de ses fruits si beaux, si agréables, et qui ne
devaient pas se flétrir. O mon âme infortunée ! tu
avais reçu de Dieu la faculté de jouir des voluptés d'Eden, à la condition de
ne pas manger le fruit défendu de la science ; pourquoi as-tu violé la loi de
Dieu? (Vierge, Mère de Dieu, fille
d'Adam par le sang, mais devenue Mère du Christ-Dieu par la grâce, rappelez-moi
dans Eden d'où j'ai été expulsé.) Le serpent trompeur, envieux
de ma gloire, a murmuré la fourberie aux oreilles d'Eve ; j'ai été trompé à mon
tour ; hélas ! me voilà exilé du séjour de vie. J'ai étendu une main téméraire
et goûté le fruit de la science, que Dieu m'avait défendu même de toucher, et
tout aussitôt en proie à la plus cruelle angoisse, j'ai perdu la gloire divine. O mon âme infortunée !
comment n'as-tu pas pressenti la tromperie ? Comment n'as-tu pas deviné la
fraude et la jalousie de l'ennemi ? Mais non, ton esprit s'est obscurci, ettu
as oublié le commandement de ton auteur. (O mon espoir ! ô ma
protection ! Vierge auguste ! vous qui seule avez pu voiler la nudité
d'Adam tombé, par votre merveilleux enfantement : vous, ô très pure,
enveloppez-moi d'un vêtement d'incorruptibilité.) |