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LETTRE 56
CYPRIEN A FORTUNATUS, AHYMNUS, OPTATUS,
PRIVATIANUS, DONATULUS, SES FRERES, SALUT.
Vous m'avez écrit, frères très chers, que pendant votre séjour dans la ville de
Capsa (1) pour l'ordination d'un évêque, des nouvelles vous avaient été apportées par
Superius, notre frère et collègue, au sujet de nos frères Ninus, Clementianus et Plorus
qui avaient été arrêtés pendant la persécution. En confessant le Nom du Seigneur ils
avaient d'abord triomphé de la violence du magistrat et de l'assaut d'un peuple furieux.
Soumis ensuite, devant le proconsul (2), à des peines plus graves, ils ont été domptés
par la violence des tourments, et cédant à des supplices prolongés, ils ont déchu du
haut degré de gloire où ils tendaient, dans la plénitude de leur force et de leur
courage. Cependant après cette chute grave, non volontaire mais forcée, ils n'ont cessé
depuis trois ans de faire pénitence. Vous avez cru devoir nous consulter pour savoir s'il
était permis de les admettre dès maintenant à la communion.
A dire vrai, pour ce qui est de mon sentiment intime, je crois que la Miséricorde du
Seigneur ne leur manquera pas. Il est établi, en effet, qu'ils ont été au combat,
qu'ils ont confessé le Nom du Seigneur, vaincu la violence des magistrats et l'assaut
d'un peuple furieux en y opposant une fidélité inébranlable, ils ont souffert
l'emprisonnement, résisté longtemps au milieu des menaces du proconsul et des
rugissements du peuple qui les entourait, aux supplices qui les déchiraient, et dont la
répétition prolongée faisait un vrai crucifiement. Ainsi ce qui, au dernier moment,
leur a été soustrait par l'infirmité de la chair, se trouve compensé par leurs
précédents mérites, et c'est assez, je pense, pour de tels chrétiens d'avoir perdu
leur gloire, sans que nous ayons à les exclure du pardon, et à les priver de la bonté
paternelle et de notre communion. Nous estimons donc qu'il peut leur suffire d'avoir gémi
pendant trois ans constamment et douloureusement, avec toutes les marques du repentir. Du
moins, je ne crois pas que ce soit accorder la paix imprudemment et à la légère, que de
l'accorder à ceux dont nous voyons que la bravoure antérieurement ne s'est pas dérobée
à la lutte, et qui peuvent, si la bataille se livre de nouveau, recouvrer leur gloire.
Puisque le Concile (3) a décidé que ceux qui font pénitence seront secourus en cas de
danger causé par la maladie, et qu'on leur donnera la paix, ceux-là doivent à coup sûr
passer d'adord, quand il s'agit de recevoir la paix, qui ne sont pas tombés par
lâcheté, mais qui, ayant combattu et reçu des blessures, n'ont pu, à cause de la
faiblesse de la chair, porter jusqu'au bout la couronne de leur confession glorieuse.
Souhaitant de mourir, il ne leur fut pas donné d'être mis à mort, et les tortures,
après tant de résistance, les meurtrirent jusqu'au moment où elles eurent, non point
vaincu la foi qui est invincible, mais lassé la chair, qui est faible.
Cependant, puisque vous m'avez demandé de traiter de ce même objet à fond avec d'autres
collègues, une chose si importante réclame, en effet, une étude plus approfondie et
plus sérieuse, ou plusieurs mettent leurs lumières en commun. Mais, d'autre part,
presque tous, en ce début des fêtes de Pâques, demeurent chez eux avec les frères.
Quand donc ils auront satisfait au devoir de célébrer ces solennités, et seront venus
auprès de moi, je m'en entretiendrai plus à fond avec chacun d'eux. De cette manière,
nous prendrons un parti ferme et vous transmettrons un avis émanant de plusieurs
évêques. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.
(1) Capsa, en Byzacène (Gafsa).
(2) La persécution semble s'être aggravée à l'arrivée du proconsul, en avril.
(3) A l'assemblée du printemps.
LETTRE 57 (4)
CYPRIANUS, LIBERALIS, CALDONIUS, NICOMEDES, CAECICILIUS, JUNIUS, MARRUTIUS, FELIX,
SUCCESSUS, FAUSTINUS, FORTUNATUS, VICTOR, SATURNINUS, UN AUTRE SATURNINUS, ROGATIANUS,
TERTULLUS, LUCJANUS, SATTIUS, SECUNDINUS, UN AUTRE SATURNINUS, EUTYCHES, AMPLUS, UN AUTRE
SATURNINUS, AURELIUS, PRISCUS, HERCULANEUS, VICTORICUS, QUINTUS, HONORATUS, MANTHANEUS,
HORTENSIANUS, VERIANUS, JAMBUS, DONATUS, POMPONIUS, POLYCARPUS, DEMETRIUS, UN AUTRE
DONATUS, PRIVATIANUS, FORTUNATUS, ROGATUS ET MONNULUS, A CORNEILLE LEUR FRERE, SALUT.
Nous avions décidé (5), frère très cher, après en avoir délibéré entre nous,
que ceux qui, au cours des hostilités de la persécution, avaient été renversés par
l'adversaire, feraient longtemps pénitence plénière; et que s'ils étaient mis en
danger par le mauvais état de leur santé, ils recevraient la paix sous le coup de la
mort. En effet, il n'eût pas été légitime - et la bonté paternelle, la Clémence de
Dieu s'y serait <opposée - de fermer l'Église à ceux qui frappaient à la porte, ni
de refuser a ceux qui pleuraient et demandaient pardon le secours des espérances
salutaires, en les laissant partir vers le Seigneur sans la communion et la paix.
Lui-même n'a-t-Il pas permis et réglé, que ce qui aurait été lié sur la terre serait
aussi lié dans le ciel, et que là pourrait être pardonné ce qui l'aurait d'abord été
ici dans l'Église ? Mais, de plus, nous voyons que le jour de nouvelles hostilités
approche (6); des signes nombreux, continuels nous avertissent d'être armés, équipés
pour la guerre que l'ennemi nous déclarer de préparer aussi par nos exhortations le
peuple que Dieu a daigné nous confier, et de rassembler dans le camp du Seigneur tous les
soldats sans exception qui demandent des armes et réclament le combat. Cédant donc à
cette nécessité, nous avons été d'avis que ceux qui ne se sont pas éloignés de
l'Église du Seigneur et qui n'ont pas cessé de faire pénitence, de pleurer et de
demander pardon au Seigneur depuis le premier jour de leur chute, doivent recevoir la
paix, et être armés et équipes pour le combat qui est imminent
Il faut, en effet, obéir aux signes et aux avertissements fondés; ainsi les pasteurs
n'abandonneront pas leurs brebis au péril, mais plutôt tout le troupeau sera réuni, et
les soldats du Seigneur armés pour les combats de la guerre spirituelle. C'était avec
raison qu'on prolongeait plus longtemps la pénitence des repentants, en venant au secours
des malades seulement au moment de la mort, quand régnaient le calme et la tranquillité
qui permettaient de faire attendre les larmes de ceux qui pleuraient, et de ne venir à
leur secours que tard, lorsque la maladie les mettait en danger de mort. Mais, maintenant,
ce n'est pas à des infirmes, mais à des forts que la paix est nécessaire; ce n'est pas
à des mourants, mais à des vivants que la communion doit être rendue. De cette
manière, ceux que nous excitons et animons au combat ne resteront pas sans armes et
découverts, mais seront protégés par le Corps et le Sang du Christ; l'Eucharistie
devant être une défense à ceux qui la reçoivent, ceux que nous voulons voir défendus
contre l'adversaire seront munis du secours de la nourriture dominicale. Comment les
instruire et les inviter à répandre leur sang en confessant le Nom du Christ, si nous
leur refusons le Sang du Christ quand ils vont combattre ? Comment les rendre capables de
boire à la coupe du martyre, si nous ne les admettons pas d'abord à boire dans l'Église
la coupe du Seigneur en vertu du droit attaché à notre communion ?
Des distinctions doivent être faites, frère très cher. Ceux qui ont apostasié et qui,
retournés au monde auquel ils avaient renoncé, y vivent en païens, ceux qui, transfuges
passés à l'hérésie, prennent tous les jours contre l'Église des armes parricides, ne
sauraient être traités comme ceux qui ne quittent pas le seuil de l'Église, implorant
constamment et avec larmes les consolations de la paternelle bonté divine, déclarant
être prêts pour le combat, et debout pour le Nom de leur Seigneur et pour leur salut.
Dans les conjonctures présentes, nous donnons la paix non à ceux qui dorment, mais à
ceux qui veillent; nous donnons la paix non pour qu'on vive dans les délices, mais sous
les armes; nous donnons la paix non pour le repos, mais pour le combat. Si, conformément
à ce que nous entendons dire et que nous souhaitons, ils restent vaillamment debout, et,
avec nous, jettent par terre l'adversaire dans la lutte, nous n'avons pas de regret
d'avoir donné la paix à de tels courages; bien mieux, c'est un grand honneur pour notre
épiscopat et une gloire d'avoir donné la paix à des martyrs, puisque ainsi, en
évêques qui célébrons quotidiennement le sacrifice divin, nous avons préparé à Dieu
des victimes et des hosties. Si au contraire (que Dieu détourne ce malheur de nos frères
!) quelqu'un des lapsi, nous trompe, demandant la paix hypocritement et au moment où la
lutte menace, se faisant réadmettre dans notre communion sans être disposé à lutter,
c'est lui-même qu'il trompe et qu'il joue, lui qui cache une chose dans son coeur et en a
une autre sur les lèvres. Nous, autant qu'il nous est donné de voir et de juger, nous
voyons l'extérieur de chacun; quant à sonder le coeur, et à pénétrer l'âme, nous ne
le pouvons pas. De cela juge Celui qui sonde les choses cachées et qui en connaît .
Il doit bientôt venir et juger des secrets et des mystères du coeur. Les méchants ne
doivent pas faire tort aux bons, mais plutôt les bons rendre service aux méchants. Et la
paix ne doit pas être refusée à ceux qui rendront témoignage au Christ parce qu'il y
en a qui refuseront de le faire : la paix doit être donnée à tous ceux qui
porteront les armes; autrement notre ignorance risquerait de laisser de côté tel ou tel
qui doit être couronné au terme du combat.
Qu'on ne dise pas : "Celui qui supporte le martyre est baptisé dans son sang;
il n'est pas nécessaire qu'il reçoive la paix de l'évêque, lui qui doit avoir la paix
de sa gloire et obtenir une plus grande récompense du jugement favorable du
Seigneur." D'abord celui-là ne peut pas être apte au martyre que l'Église n'arme
pas pour le combat, et le coeur fait défaut que ne remonte pas, que n'enflamme pas la
communion eucharistique. Le Seigneur dit dans son évangile : "Quand ils vous
auront traduits devant les tribunaux, ne songez pas à ce que vous pourrez dire. Ce que
vous aurez à dire vous sera donné à l'heure même. Ce n'est pas vous en effet qui
parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20). Quand Il dit
qu'en ceux qui, ayant été traduits, confessent le Nom du Christ, c'est l'Esprit du Père
qui parle, comment celui-là pourra-t-il être trouvé prêt et apte à la confession qui
n'a pas auparanant, en recevant la paix, recouvré l'esprit du Père, Lequel parle
Lui-même pour confirmer ses serviteurs, et confesse en nos personnes. Puis, s'il laisse
tous ses biens pour fuir, et qu'étant en un endroit caché et solitaire, il tombe entre
les mains de brigands, ou meure de langueur et de fièvres, ne vous sera-t-il pas imputé
à crime qu'un si bon soldat, qui a abandonné tout ce qu'il avait, et a négligé maison
et parents ou enfants pour suivre le Seigneur, meure sans la paix et en dehors de la
communion ? Est-ce qu'une accusation ou de négligence lâche ou de dureté cruelle ne
sera pas portée contre nous les pasteurs, pour n'avoir voulu ni soigner pendant la paix,
ni armer pendant la guerre, des ouailles à nous confiées et commises à nos soins ?
Est-ce que le Seigneur ne nous adressera pas le reproche qu'Il crie par la bouche de son
prophète : "Vous buvez le lait et vous vous revêtez de la laine; vous tuez les
brebis grasses sans paître le troupeau; à ce qui était débile, vous n'avez pas
cherché à rendre des forces, ni la santé à ce qui était malade; à ce qui était
meurtri, vous n'avez pas appliqué de bandage; ce qui s'écartait, vous ne l'avez pas
rappelé, et ce qui s'était perdu, vous ne l'avez pas recherché; ce qui était fort,
vous l'avez accablé de fatigue, et mes brebis se sont dispersées, parce qu'il n'y a
point de pasteurs, et elles sont devenues la proie de toutes les bêtes sauvages, et il
n'y a eu personne pour aller à leur recherche, et les rappeler. En conséquence voici ce
que dit le Seigneur : "Voici que je viens aux pasteurs; je leur redemanderai mes
brebis et les leur retirerai des Mains, de manière qu'ils ne les paissent plus;
désormais, ils n'en seront plus les pasteurs; J'arracherai mes brebis à leur bouche pour
les paître Moi-même avec justice". (Ez 34,3-6 et 10,16).
Afin donc qu'à notre bouche, qui, en refusant la paix, montre plutôt la rigueur d'une
cruauté humaine que la Bonté de la Paternité divine, les brebis à nous confiées ne
soient point arrachées par le Seigneur, nous avons pris des résolutions, sous
l'inspiration du saint Esprit. D'après les avertissements du Seigneur à nous donnés par
des visions répétées et très claires, en raison de l'attaque de l'ennemi qui nous est
annoncée et montrée comme imminente, nous avons décidé de rassembler dans le camp les
soldats du Christ. et, chaque cas particulier examine, de donner la paix a ceux qui sont
tombés dans le combat, ou plutôt de fournir des armes à ceux qui vont combattre. Nous
espérons que la pensée de la Bonté du Père céleste vous fera approuver notre
décision. Que si, parmi nos collègues il s'en trouve un pour penser qu'à l'approche de
la lutte il ne faut pas donner la paix aux frères et aux soeurs, il rendra compte au
Seigneur au jour du jugement, de ce qu'il montre ou de sévérité inopportune, ou de
dureté inhumaine. Pour nous, conformément à ce que réclamait la foi, la charité, la
sollicitude de l'heure, nous avons fait connaître ce que nous savions : que le jour
de la lutte approchait, qu'un ennemi violent allait se lever contre nous, qu'un combat
venait, non point tel que le précédent, mais beaucoup plus violent et plus acharne, que
l'annonce nous en était faite fréquemment de la part de Dieu, que la Providence, la
Bonté du Seigneur nous en donnait l'avis réitéré. De son Secours et de sa
Bienveillance nous pouvons être assurés, nous qui avons confiance en Lui. Il annonce à
ses soldats qu'il y aura bataille, il leur donnera, quand ils se battront, la victoire. Je
souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(4) Cette lettre synodale émane du concile de 252.
(5) On avait pris cette résolution au concile du printemps, en 251.
(6) La persécution qu'on redoutait était celle de Gallus.
LETTRE 58
CYPRIEN AUX FIDELES DE THIBARIS (7), SALUT.
J'avais pensé, mes frères très chers, et voulais, si les affaires et le temps le
permettaient, aller en personne, selon le désir que fréquemment vous aviez exprimé,
auprès de vous, pour encourager, vaille que vaille, votre communauté par mes paroles.
Mais je suis tellement retenu par des affaires urgentes, qu'il ne m'est pas possible de
m'éloigner beaucoup d'ici, ni de quitter longtemps, le peuple à la tête duquel nous a
mis la divine Bonté : je vous envoie donc, en attendant, cette lettre à ma place.
Recevant souvent des inspirations, avis que Dieu daigne nous envoyer, nous avons voulu
porter à votre connaissance les inquiétudes que nous donnent ces avertissements. Vous
devez donc savoir et tenir pour certain que la persécution est suspendue sur nos têtes,
que ce jour vient, que la fin du monde et le temps de l'Antichrist approchent. Ainsi nous
devons tous nous tenir près pour le combat, ne penser à rien qu'à la gloire de la vie
éternelle et à sa couronne de la confession du Seigneur, sans nous imaginer, d'ailleurs,
que ce qui vient est tel que ce qui est passé. Un combat plus sérieux et plus acharné
est imminent : les soldats du Christ doivent s'y préparer avec un robuste courage
considérant que chaque jour le calice du sang du Christ leur est donné à boire, afin
qu'ils soient en état de verser eux-mêmes leur sang pour le Christ. On veut en effet
être trouvé avec le Christ, quand on reproduit ce que le Christ a enseigné et a fait,
selon la parole de l'apôtre Jean : "Celui qui dit qu'il demeure dans le Christ,
il doit marcher lui-même comme le Christ a marché". (Jn 2,6). De même l'apôtre
Paul nous exhorte et nous instruit en disant : "Nous sommes les enfants de Dieu;
si nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers et les cohéritiers du
Christ, à condition que nous souffrions avec Lui pour être glorifiés avec Lui".
(Rom 8,16-17).
C'est tout cela que nous devons considérer, afin que personne ne regrette rien du monde
qui va périr, mais qu'on suive le Christ, qui vit éternellement, et fait vivre ses
serviteurs qui ont foi en son Nom. Le temps vient, en effet, mes très chers, que le
Seigneur a prédit depuis longtemps et dont Il nous a annoncé l'approche en disant :
"Une heure viendra, où quiconque vous fera mourir croira honorer Dieu. Mais ils
feront ainsi parce qu'ils n'ont connu ni mon Père ni Moi. Mais je vous ai dit ces choses,
afin que, quand viendra leur heure, vous vous souveniez que Je vous l'ai prédite".
(Jn 16,2-4). Que personne ne s'étonne que nous soyons assaillis de persécutions
constantes, que des alarmes nous inquiètent sans cesse. Le Seigneur nous a prédit
d'avance que cela aurait lieu à la fin des temps. Il nous a formés à notre service de
soldats par l'enseignement et l'encouragement de sa parole. L'apôtre Pierre aussi nous a
appris que les persécutions ont lieu afin que nous soyons éprouvés, et qu'à l'exemple
des justes qui nous ont précédés, nous soyons, nous aussi, unis par la mort et la
souffrance à la charité de Dieu. Il a mis, en effet, ceci dans son épître :
"Mes très chers, ne vous étonnez pas de l'incendie qui s'allume peur vous, il a
pour but de vous éprouver, et ne vous découragez pas comme s'il vous arrivait quelque
chose d'extraordinaire. Mais toutes les fois que vous avez part aux Souffrances du Christ,
réjouissez-vous, afin qu'à la manifestation de sa Gloire, vous tressailliez de joie. Si
l'on vous outrage pour le Nom du Christ, vous êtes heureux, parce que le Nom du Seigneur,
un Nom de majesté et de puissance, repose sur vous, et qu'il est par eux en blasphème,
par vous en honneur." (Pi 4,12-14). Les apôtres n'ont fait que nous enseigner ce
qu'ils avaient appris de l'enseignement dominical, et des instructions venues du ciel, le
Seigneur Lui-même confirmant leur parole et disant : "Il n'est personne qui,
abandonnant sa maison, son champ, ses parents, ses frères ou ses soeurs, ou son épouse
pour le royaume de Dieu, ne reçoive sept fois autant dès ce monde et dans le siècle à
venir la vie éternelle". (Lc 18,29-30). Et encore : "Heureux serez-vous,
quand les hommes vous prendront en haine, vous écarteront, vous chasseront et maudiront
votre nom à cause du Fils de l'homme. Réjouissez-vous ce jour-là et tressaillez
d'allégresse car voici que votre récompense est grande dans le ciel". (Lc 6,22-23).
Le Seigneur a voulu que nous nous réjouissions et que nous tressaillions dans les
persécutions, parce que quand les persécutions viennent, c'est alors que se donnent les
couronnes de la foi, alors que font leurs preuves les soldats du Christ, alors que les
cieux s'ouvrent aux martyrs. Nous ne nous sommes pas engagés dans la milice pour ne
penser qu'à la paix, refuser le service et nous y dérober, quand le Seigneur, le Maître
de l'humilité, de la patience, de la souffrance, a fourni Lui-même avant nous le même
service. Ce qu'Il a enseigné, Il a commencé par le faire, et nous exhortant à souffrir,
Il a auparavant souffert Lui-même pour nous. Ayons devant les yeux, frères très chers,
que Celui que le Père a constitué seul juge, et qui viendra juger, a déjà fait
connaître le sens dans lequel il jugera et conduira son enquête future. Il a prédit et
proclamé qu'Il confesserait devant son Père ceux qui Le confesseraient et qu'Il
renierait ceux qui Le renieraient. Si nous pouvions échapper à la mort, nous
craindrions, à bon droit, de mourir. Mais puisqu'il est inévitable qu'un mortel meure,
saisissons l'occasion que nous offre la divine promesse et la divine Bonté; subissons la
mort, pour recevoir l'immortalité, et ne craignons pas d'être tués, puisqu'il est sur
que quand on nous tue, on nous couronne.
Et que personne, frères très chers, en voyant le peuple de nos frères mis en fuite par
la crainte de la persécution, et dispersé, ne se trouble de ne plus les trouver réunis,
et de n'entendre plus les évêques les instruire. Nous ne pouvons être tous ensemble,
nous qui n'avons pas le droit de donner la mort, et qui ne pouvons pas ne pas la recevoir.
En ces jours, chacun de nos frères peut se trouver, provisoirement et par la force des
circonstances, séparé, non d'esprit mais de corps, du troupeau : qu'il ne se laisse
pas émouvoir par l'horreur de cet exil; où qu'il se trouve éloigné et caché, que la
solitude ne l'épouvante pas. Il n'est pas seul celui que le Christ accompagne dans sa
fuite; il n'est pas seul celui qui, conservant le temple de Dieu ou qu'il soit, n'est
jamais sans Dieu. Et, si pendant qu'il fuit dans la solitude et la montagne, il est tué
par un brigand, attaqué par un fauve, accablé par la faim, la soif, ou le froid, ou, si
pendant qu'il se hâte sur les mers dans une navigation précipitée, la tempête et la
tourmente le font périr dans les flots, le Christ a les yeux sur son soldat, où qu'il
combatte; quand il meurt dans la persécution, pour l'honneur de son Nom, Il lui donne la
récompense qu'Il a promis de donner au jour de la résurrection. La gloire du martyre
n'est pas moindre de ne pas mourir publiquement et devant beaucoup de monde, quand la
raison de mourir est de mourir pour le Christ. L'attestation du martyre est suffisante,
quand il a pour témoin Celui-là même qui éprouve les martyrs, et les couronne.
Imitons, frères très chers, Abel le juste, qui inaugura le martyre en subissant le
premier la mort pour la justice. Imitons Abraham, cet ami de Dieu, qui n'hésita pas à
offrir de ses propres mains son fils comme victime, obéissant à Dieu avec une foi
dévouée. Imitons les trois enfants, Ananias, Azarias, Misaël, qui, sans se laisser
effrayer par leur âge, ni décourager par la captivité, lorsque la Judée eut été
vaincue, et Jérusalem prise, vainquirent un roi dans son propre royaume par la vaillance
de leur foi. Sommés d'adorer la statue qu'avait fait édifier le roi Nabuchodonosor, ils
se montrèrent plus forts que les menaces du roi et que les flammes, faisant cette
déclaration et attestant leur foi par ces paroles : "O roi Nabuchodonosor, il
n'est pas besoin que nous vous répondions à ce sujet. Le Dieu que nous servons est assez
puissant pour nous tirer de la fournaise ardente, et Il nous délivrera de vos mains. Et
quand même cela ne serait pas, sachez que nous ne servons pas vos dieux, et que nous
n'adorons pas la statue que vous avez fait élever". (Dan 3,16-18). Ils croyaient
selon la foi, qu'ils pouvaient échapper, mais ils ajoutèrent "quand même cela ne
serait pas", afin de faire savoir au roi qu'ils pouvaient aussi mourir pour le Dieu
qu'ils honoraient. C'est là du courage et de la foi : croire et savoir que Dieu peut
nous délivrer de la mort qui menace, et cependant ne pas craindre la mort et ne pas
céder, pour donner une plus grande preuve de sa foi. La vigueur incorruptible et
invincible de l'Esprit saint a éclaté par leur bouche et l'on voit la vérité de ce que
le Seigneur a proclamé dans son évangile : "Quand on vous aura arrêtés, ne
songez pas à ce que vous direz. Ce, que vous aurez à dire vous sera donné à l'heure
même. Ce n'est pas vous, en effet, qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en
vous". (Mt 10,19-20). Il a dit que la manière dont nous devons parler et répondre
nous sera donnée et suggérée par Dieu à l'heure même, et que ce n'est pas nous qui
parlons, mais l'Esprit de Dieu notre Père. Ce Dieu ne S'éloigne point et ne Se sépare
point de ceux qui Le confessent, c'est Lui même qui parle et qui est couronné en nous.
Ainsi, encore, Daniel, comme on le sommait d'adorer l'idole de Bel, au moment où tout le
peuple et le roi l'adoraient, voulant rendre honneur à son Dieu, éclata en paroles
pleines de foi et de liberté : "Je n'honore que le Seigneur, mon Dieu, qui a
créé le ciel et la terre". (Dan 14,4).
Dans l'histoire des Macchabées, les supplices douloureux des bienheureux martyrs, les
tourments multiples des sept frères, et cette mère qui anime ses fils, et meurt
elle-même avec eux, ne nous donnent-ils pas des exemples de grand courage et de grande
foi ? Ne nous excitent-ils pas, par les souffrances qu'ils endurèrent, au triomphe du
martyre. Et les prophètes à qui l'Esprit saint donna la connaissance de l'avenir, et les
apôtres que le Seigneur avait choisis, est-ce que, en se laissant mettre à mort, ces
justes ne nous apprennent pas à mourir à notre tour pour la justice ? La Naissance du
Christ fut aussitôt marquée par des martyres d'enfants, ceux qui avaient deux ans et
au-dessous étant égorgés à cause de son Nom. Un âge impropre au combat fut en état
de conquérir la couronne. Pour qu'il fût bien établi que ceux-là sont innocents qui se
font égorger pour le Christ, l'enfance innocente fut mise à mort à cause de son Nom. Il
fut bien montré que personne n'est exempt de la persécution, lorsque meure des enfants
de cet âge subirent le martyre. Combien le cas serait grave pour un serviteur portant le
nom de chrétien de ne pas vouloir souffrir quand son Maître, le Christ, a souffert le
premier; combien lâche pour nous de ne pas consentir à souffrir pour nos péchés, quand
Lui, qui n'avait pas de péché propre, a souffert pour nous ! Le fils de Dieu a souffert
pour faire de nous des fils de Dieu, et le fils de l'homme ne veut pas souffrir pour
continuer d'être fils de Dieu ! Si nous sommes en proie à la haine du monde, le Fils de
Dieu l'a éprouvée avant nous; si nous souffrons ici bas des outrages, l'exil, les
tourments, l'Auteur, le Maître du monde a souffert un traitement pire encore; et Il nous
le rappelle : "Si le monde, dit-Il, vous haït, souvenez-vous qu'il M'a haï
d'abord. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui lui appartiendrait; mais, parce
que vous n'êtes pas du monde, et que Je vous ai choisis et tirés du monde, c'est pour
cela que le monde vous haït. Souvenez-vous de la parole que Je vous ai dite : Le
serviteur n'est pas au-dessus de son maître. S'ils M'ont persécuté, ils vous
persécuteront aussi". (Jn 15,18-20). Notre Maître et notre Dieu a fait tout ce
qu'Il a enseigné, de telle façon que le disciple n'est pas excusable, qui reçoit un
enseignement et ne fait pas ce qu'on lui enseigne.
Et que personne d'entre vous, frères très chers, ne se laisse tellement effrayer par la
persécution qui s'annonce et la venue prochaine de l'Antichrist, qu'il ne trouve plus
dans les exhortations évangéliques et les préceptes et les avertissements célestes,
des armes contre tous les dangers. L'Antichrist vient, mais après lui vient le Christ.
L'ennemi rôde et exerce ses ravages, mais le Seigneur le suit aussitôt et venge nos
souffrances et nos blessures. L'adversaire se fâche et fait des menaces, mais il y a
quelqu'un qui peut nous tirer de ses mains. Celui-là doit être craint, à la colère de
qui personne ne peut échapper, comme il nous en avertit Lui-même : "Ne
craignez pas, dit-Il, ceux qui peuvent tuer le corps, mais ne peuvent tuer l'âme.
Redoutez plutôt celui qui peut tuer le corps et l'âme, en le jetant dans la
géhenne". (Mt 10,28). Et encore : "Celui qui aime son âme la perdra, et
celui qui hait son âme en ce monde, la sauvera pour la vie éternelle." (Jn 12,25).
L'Apocalypse aussi nous met en garde et nous avertit : "Si quelqu'un adore la
bête et son image, et en reçoit la marque sur son front et sur la main, il boira du vin
de la Colère de Dieu mêlé dans la coupe de sa Colère; il sera puni par le feu et par
le soufre sous les yeux des saints anges et de l'Agneau, et la fumée de leur supplice
montera dans les siècles des siècles. Il n'aura point de repos le jour ni la nuit, celui
qui adore la bête et son image". (Ap 14,9-11).
Pour concourir dans les épreuves agonistiques du siècle, on s'exerce, on s'entraîne, et
l'on s'estime fort honoré si, sous les yeux du peuple et en présence de l'empereur, on a
eu le bonheur de recevoir la couronne. Voici une épreuve sublime et magnifique, qu'honore
l'attribution de la couronne céleste, où Dieu nous regarde combattre, et, étendant ses
Regards sur ceux dont Il a daigné faire ses enfants, jouit du spectacle de notre lutte.
Pendant que nous sommes martyrisés, et soutenons le combat de la foi, Dieu nous regarde,
ses anges nous regardent, le Christ nous regarde. Quelle gloire pour nous, quelle heureuse
fortune, d'avoir Dieu pour président de l'épreuve quand nous sommes aux prises, le
Christ pour juge du combat quand nous sommes couronnés. Armons-nous, frères très chers,
de toutes nos forces, et préparons-nous à la lutte, avec une âme incorruptible, une foi
entière, un courage prêt au sacrifice. Que l'armée de Dieu sorte du camp et marche au
combat qui nous est offert. Que ceux qui sont restés debout s'arment, afin que celui qui
n'a point fléchi garde sa gloire tout entière. Que ceux qui sont tombés s'arment aussi,
afin que le tombé recouvre ce qu'il a perdu. Que l'honneur anime les uns, la douleur les
autres. Le bienheureux Apôtre nous apprend à nous armer et à nous préparer, quand il
dit : "La lutte que nous avons à soutenir n'est point contre des êtres de
chair et de sang, mais contre les puissances et les princes de ce monde et de ces
ténèbres, contre les esprits de perversité répandus dans les airs. C'est pourquoi
revêtez-vous d'une armure entière, afin que vous puissiez résister, au jour mauvais.
Ainsi quand vous aurez achevé de vous armer, vous vous dresserez, les reins ceints de
vérité, portant la cuirasse de justice, les pieds chaussés, tout prêts à aller
annoncer l'évangile de la paix, prenant le bouclier de la foi pour éteindre les traits
enflammés de l'ennemi, portant le casque du salut et le glaive de l'esprit, qui est la
parole de Dieu." (Ep 6,12-17).
Prenons ces armes, revêtons-nous de ces défenses spirituelles et célestes, afin qu'au
jour mauvais nous puissions résister aux menaces du diable, et lutter contre lui.
Couvrons-nous de la cuirasse de justice, afin que notre poitrine soit armée et défendue
contre les traits de l'ennemi, que l'enseignement évangélique soit pour nos pieds une
armure défensive, afin, que quand le serpent sera foulé et écrasé, il ne puisse nous
mordre ou nous faire tomber. Portons courageusement le bouclier de la foi, afin que sur
lui s'émoussent les traits de l'ennemi. Prenons aussi pour en couvrir notre tête le
casque spirituel, afin de protéger nos oreilles pour qu'elles n'écoutent point des
édits funestes, de protéger nos yeux pour qu'ils se refusent à regarder des statues
abominables, de protéger notre front pour que le signe de Dieu y soit gardé sans
altération, de protéger notre bouche pour que notre langue confesse victorieusement le
Seigneur son Dieu. Armons aussi notre main du glaive spirituel, afin qu'elle repousse avec
mépris et sans peur, des sacrifices funestes, et que se souvenant de l'eucharistie où
elle reçoit le Corps du Seigneur, elle s'attache à Lui pour recevoir ensuite de Lui la
récompense des célestes couronnes.
Quel grand, quel beau jour, frères très chers, que celui où le Seigneur passera la
revue de son peuple, et d'un regard divin examinera les mérites de chacun, ou Il enverra
les méchants dans la géhenne, et condamnera aux flammes éternelles du feu vengeur ceux
qui nous auront persécutés, tandis qu'à nous, Il nous paiera le prix de notre foi et de
notre dévouement ! Quelle ne sera pas notre gloire et notre bonheur : être admis à
voir Dieu, avoir l'honneur de participer aux joies du salut et de la lumière éternelle
dans la compagnie du Christ le Seigneur notre Dieu, rencontrer Abraham, Isaac et Jacob,
tous les patriarches, les apôtres, les prophètes, les martyrs, jouir au royaume des
cieux dans la compagnie des justes et des amis de Dieu, des joies de l'immortalité
acquise, y goûter "ce que l'oeil de l'homme n'a pas vu, ce que son oreille n'a pas
entendu, ce que son coeur n'a point éprouvé" ! (1 Cor 2,9). Que nous devions
recevoir plus que le juste prix de ce que nous faisons ou souffrons ici-bas, c'est ce que
l'Apôtre proclame : "Les souffrances de ce temps ne sont pas comparables à la
gloire à venir qui sera manifestée en nous." (Rom 8,18). Quand cette manifestation
viendra, quand la gloire de Dieu brillera en nous. nous serons aussi heureux et charmés
de l'honneur dont le Seigneur daignera nous combler, que resteront tristes et malheureux
ceux qui, abandonnant Dieu ou se révoltent contre Lui, ont fait la volonté du diable, et
doivent avec lui être torturés par un feu qui ne pourra s'éteindre.
Que ces pensées, frères très chers, soient bien fixées dans nos esprits. Que ce nous
soit une préparation aux armes, un exercice de jour et de nuit, d'avoir devant les yeux,
de nous représenter sans cesse, dans notre esprit et dans nos sens, les supplices des
méchants, et les récompenses des justes, les peines dont le Seigneur menace ceux qui Le
renient, et au contraire la gloire qu'Il promet à ceux qui confessent son Nom. Si le jour
de la persécution nous trouve dans ces pensées et dans ces méditations, le soldat du
Christ, instruit par ses enseignements et ses avertissements, n'a point peur du
combat : il est prêt pour la couronne. Je souhaite, frères très chers, que vous
vous portiez toujours bien.
(7) Thibaris ville de la proconsulaire, aujourd'hui Thibar, près de Teboursouck
(Tunisie).
LETTRE 59
CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.
J'ai lu, frère très cher, les lettres que vous m'avez envoyées par notre frère
l'acolyte Saturus. Elles sont pleines d'affection fraternelle, d'esprit de discipline
ecclésiastique, et de vigueur épiscopale. Vous m'y faites connaître que Felicissimus
(8), ennemi du Christ non depuis peu, mais excommunié depuis longtemps a cause de ses
crimes particulièrement nombreux et graves, et condamné par une sentence portée non
seulement par moi, mais par un grand nombre de mes collègues dans l'épiscopat, a été
rejeté par vous à Rome. Venu avec une troupe de factieux et de désespérés, il a
trouvé devant lui cette plénitude de vigueur avec laquelle doivent agir des évêques,
et vous l'avez chassé de l'Église, d'où il avait été depuis longtemps chassé avec
ses semblables par le Dieu tout-puissant, et par le jugement de rigueur du Christ notre
Seigneur et notre Juge. Il ne faut pas en effet que ce voleur de l'argent à lui confié,
ce corrupteur de vierges, ce ravageur de tant de foyers, continue d'outrager de sa
présence infamante, de son contact impur et honteux, l'épouse du Christ qui est pure,
sainte et sans tache.
Malheureusement, mon frère, la lecture d'une autre correspondance que vous avez jointe a
votre première lettre, m'a passablement étonnée. J'y ai remarque que les menaces et les
moyens d'intimidation des gens qui sont allés à Rome ont fait sur vous quelque
impression, parce qu'ils vous ont abordé, d'après ce que vous m'écrivez, en vous
menaçant en furieux de lire publiquement les lettres qu'ils apportaient, si vous ne les
receviez point, et de dire de moi mille choses infamantes, honteuses, dignes de leur
bouche. Si les choses en sont à ce point, frère très cher, que l'on ait peur de
l'audace des pires individus et que ce qu'ils ne peuvent obtenir par droit et justice, les
méchants l'obtiennent par des menaces furieuses et désespérées, c'en est fait de la de
la vigueur du gouvernement épiscopal, du pouvoir sublime et divin d'administrer
l'Église. Nous ne pouvons pas plus longtemps demeurer chrétiens, si les choses en sont
venues à ce point, que nous craignions les menaces ou les embûches de gens perdus de
scélératesse. Les Gentils nous menacent, et les Juifs, et les hérétiques et tous ceux
dont le diable possède les coeurs et les âmes; chaque jour leur rage se manifeste par
des clameurs furieuses. Il ne faut cependant pas céder parce qu'ils menacent, ou bien
c'est que l'adversaire et l'ennemi est plus grand que le Christ, puisqu'il exige tant et
montre tant d'arrogance dans ce monde. Nous devons conserver, frère très cher, une foi
inebanlable, et notre courage doit rester ferme, immobile, opposant à toutes les vagues
et à tous les assauts des flots qui mugissent, la force et la stabilité d'un rocher. Il
n'importe pas d'ou vient à un évêque la menace ou le danger, puisqu'il vit exposé aux
dangers et aux menaces, et que cependant menaces et dangers lui sont une source de gloire.
Ce ne sont pas seulement en effet aux menaces des Gentils et des Juifs que nous devons
penser et nous attendre, quand notre Seigneur Lui-même a été arrêté par ses frères,
et trahi par celui-là même qu'il avait choisi pour en faire un de ses apôtres ; quand
nous voyons au commencement du monde le juste Abel assassiné par son frère, Jacob
poursuivi par un frère acharné à sa perte, Joseph enfant vendu par ses frères; quand
nous lisons aussi dans l'évangile cette prédiction que les gens de la maison en
deviendront les ennemis, et que ceux dont les âmes étaient unies par un lien sacré se
livreront les uns les autres. Peu importe qui livre ou persécute, quand c'est Dieu qui
permet d'être livré et couronné. Ni pour nous ce n'est un déshonneur de souffrir de
nos frères ce qu'a souffert Christ, ni pour eux ce n'est une gloire de faire ce qu'a fait
Judas. Mais quelle est cette outrecuidance, quelle est, de la part de ceux qui font ces
menaces, cette arrogance orgueilleuse et vaine, d'aller me menacer là-bas, quand ils
m'ont ici présent à leur disposition. Les injures pour lesquelles ils se déchirent
quotidiennement eux-mêmes ne nous effraient pas; les bâtons, les pierres, les glaives
que ces parricides ont toujours à la bouche, ne nous font point trembler. Autant qu'il
est en eux, ils sont homicides aux Yeux de Dieu. Ils ne peuvent cependant tuer que si Dieu
leur permet de tuer. Nous ne devons mourir qu'une fois, et eux cependant, par leur haine,
leurs paroles et leurs méfaits, ils nous mettent à mort tous les jours.
Mais, frère très cher, ce n'est pas une raison d'abandonner la discipline
ecclésiastique, ou de nous relâcher de notre fermeté dans l'exercice de l'autorité
épiscopale, parce que nous sommes en butte à des critiques ou soumis à des procédés
d'intimidation. L'Écriture divine est la qui nous dit : "L'homme présomptueux
et obstinés, l'homme qui se vante, ne gagnera rien, lui qui enfle son orgueil comme
l'enfer." (Hab 2,5). Et encore : "Ne craignez pas les paroles du pécheur,
car sa gloire se tournera en excréments et en vers. Il s'élèvera aujourd'hui et demain
on ne le trouvera plus. Il sera retourné en sa poussière, et ses pensées se seront
évanouies." (1 Mac 2,62-63). Et encore : "J'ai vu l'impie s'exalter et
s'élever au-dessus des cèdres du Liban : je n'ai fait que passer, il n'était plus.
Je l'ai cherché, et n'en ai plus trouvé la place". (Ps 36,35-36). La superbe,
I'orgueil, la prétention arrogante et dédaigneuse, ne vient pas de l'enseignement du
Christ,- Il recommande l'humilité -; elle naît de l'esprit de l'antichrist, à qui le
Seigneur par son prophète adresse ce reproche : "Tu as dit en ton coeur :
Je monterai au ciel, j'établirai mon séjour au-dessus des plus hautes étoiles, je
siégerai sur une montagne au-dessus des hautes montagnes, vers l'Aquilon. Je monterai sur
les nuées, je serai semblable au Très-Haut". (Is 14,13-16).). Et il ajoute :
"Et toi, tu descendras aux enfers dans les fondements de la terre : et ceux qui
te verront, s'étonneront de ton sort." L'Écriture divine en un autre endroit menace
d'un châtiment pareil ceux qui ressemblent à cet orgueilleux : "Le Seigneur
des armées a son jour contre l'insolent et l'orgueilleux, contre celui qui s'enfle et
s'élève." (Is 2,12). Ainsi chacun se montre par son langage et ses paroles, et il
découvre en parlant si c'est le Christ qu'il a au coeur, ou l'antichrist. C'est ce que le
Seigneur dit dans son évangile : "Race de vipères, comment pourriez-vous dire
des choses bonnes, étant mauvais ? ce qui sort de la bouche vient de l'abondance du
coeur. L'homme bon tire de bonnes choses de son bon trésor, et l'homme mauvais de son
mauvais trésor tire des choses mauvaises". (Mt 12,34-35). Aussi le riche pécheur
qui implore le secours de Lazare reposant dans le sein d'Abraham et dans un lieu de
rafraîchissement, tandis que lui-même en proie aux tourments est brûlé dans les
flammes ardentes, est châtié surtout dans sa bouche et dans sa langue, parce que
c'était surtout sa langue et sa bouche qui avaient péché.
Il est écrit : "Ceux qui injurient n'obtiendront pas le royaume de Dieu";
(1 Cor 6,10) et le Seigneur déclare dans son évangile : "Celui qui dira à son
frère 'Insensé' et celui qui lui dira 'Raca' (9) sera passible de la géhenne de
feu". (Mt 5,22). Comment dès lors ceux-là pourront-ils échapper à la Colère
vengeresse du Seigneur qui accablent de tels outrages non seulement des frères, mais
même des évêques, à qui Dieu daigne accorder tant d'honneur que quiconque refusait
d'obéir à son prêtre, jugeant ici-bas pour un temps, était aussitôt mis à mort ?
Dans le Deutéronome en effet, le Seigneur Dieu parle ainsi : "Tout homme qui
agira orgueilleusement, n'écoutant point le prêtre ou le juge qui sera en fonction en
ces jours-là, sera mis à mort, et tout le peuple qui le saura sera saisi de frayeur, et
ils ne se comporteront plus en impies à l'avenir". (Dt 17,12-13). De même parlant
à Samuel, objet du mépris des Juifs, le Seigneur dit : "Ce n'est pas vous
qu'ils ont méprisé, mais c'est Moi qu'ils ont méprisé"; (1 Sam 8,7) et le
Seigneur dit encore dans son évangile : "Celui qui vous écoute, M'écoute, et
celui qui M'a envoyé, et celui qui vous rejette Me rejette, et celui qui m'a
envoyé". (Lc 10,16). Quand Il eut guéri le lépreux : "Va, lui dit-il, et
montre-toi au prêtre". (Mt 8,4). Et plus tard, au temps de sa passion, un serviteur
du grand-prêtre lui ayant donné un soufflet en lui disant : "C'est ainsi que
vous répondez au pontife !" Il ne répondit pas une parole violente à l'adresse du
pontife, et n'enleva rien à l'honneur sacerdotal, mais affirmant et montrant davantage
son innocence : "Si J'ai mal parlé, dit-Il, reprochez-moi ce que j'ai dit de
mal; et si J'ai bien parlé, pourquoi Me frappez-vous ?" (Jn 18,22-23). De même plus
tard, dans les Actes des Apôtres, le bienheureux apôtre Paul, à qui l'on venait de
dire : "C'est ainsi que vous vous emportez en outrages contre le Grand
prêtre", quoique depuis le crucifiement du Seigneur ces prêtres-là fussent devenus
des sacrilèges, des impies, des meurtriers, et qu'ils n'eussent plus rien de l'honneur et
de l'autorité sacerdotale, cependant, pensant qu'il y avait encore en celui-là le nom,
quoique vain, et comme une ombre, de grand-prêtre, Paul lui répondit : "Je ne
savais pas, mes frères, qu'il fût pontife. Il est écrit en effet : 'Tu
n'outrageras point un prince de ton peuple'." (Ac 23,4-5).
Quand il y a de tels exemples, et beaucoup d'autres de même nature, par où Dieu daigne
affirmer l'autorité et la puissance épiscopale, que pensez-vous que soient ceux qui, se
faisant les ennemis des évêques, et se mettant en révolte contre l'Église catholique,
ne se laissent toucher ni par les menaces de Dieu qui nous avertit, ni par les rigueurs
vengeresses du jugement qui doit venir ? Jamais en effet les hérésies n'ont surgi
d'ailleurs, jamais les schismes n'ont eu une autre source : c'est toujours qu'on
n'obéit pas à l'évêque de Dieu, que l'on ne songe plus qu'il n'y a dans l'Église
qu'un évêque, qu'un juge, tenant pour un temps la place du Christ. Si, conformément aux
enseignements divines toute la communauté des frères lui obéissait, personne ne
remuerait d'intrigues contre le sentiment du collège des évêques, personne n'oserait,
après le jugement de Dieu, I'approbation du peuple, l'accord des évêques, s'établir
juge non des évêques, mais de Dieu; personne ne déchirerait l'Église en rompant le
lien de l'unité; personne n'aurait assez de suffisance et d'orgueil pour s'en aller au
dehors fonder une nouvelle secte séparée : à moins que quelqu'un n'ait une
témérité si sacrilège, un tel égarement d'esprit, qu'il pense pouvoir se passer du
jugement de Dieu pour devenir évêque, alors que le Seigneur dit dans son
évangile : "Est-ce qu'on n'a pas deux passereaux pour une obole ? et pourtant
aucun d'eux ne tombe à terre sans la volonté de votre Père." (Mt 10,29). Quand Il
déclare que les choses les moins importantes n'arrivent pas sans que Dieu le veuille,
quelqu'un peut-il penser que les plus hautes et les plus grandes se font dans l'Église de
Dieu sans que Dieu le sache ou le permette ? Et ses évêques c'est-a-dire ses intendants,
seront-ils établis sans son ordre ? C'est n'avoir point la foi dont nous vivons, c'est ne
pas rendre honneur à Dieu, souverain de toutes choses. Assurément des évêques se font
sans la volonté de Dieu, mais ce sont ceux qui se font hors de l'église, ceux qui se
font contre l'ordre et l'enseignement évangélique, comme le Seigneur Lui-même
l'établit en disant dans les Douze Prophètes : "Ils se font un roi, et ce
n'est point par moi". (Os 8,4). Et encore : "Leurs sacrifices sont comme un
pain de deuil : tous ceux qui en mangent, seront souillés". (Os 9,4). Et par la
bouche d'Isaïe aussi l'Esprit saint fait cette déclaration : "Malheur à vous,
enfants rebelles. Voici ce que dit le Seigneur : Vous avez tenu conseil sans Moi;
vous avez fait une convention sans mon Inspiration; vous accumulez péché sur
péché." (Is 30,1).
Au surplus - je le dis, parce que j'y suis provoqué, je le dis avec douleur, je le dis
parce que j'y suis forcé - quand un évêque est élu à la place d'un évêque
décédé, quand il est choisi en une période de paix par le suffrage du peuple tout
entier, quand il est protégé par le secours de Dieu en temps de persécution, uni
d'ailleurs dans une même foi avec tous ses collègues, apprécié du peuple durant quatre
ans d'épiscopat, aux jours de calme tout entier au service de la discipline, aux jours de
tempête porté sur les listes de proscription avec sa qualité d'évêque jointe à son
nom, plusieurs fois réclamé pour être exposé au lion dans le cirque, honoré d'un
témoignage de Dieu dans l'amphithéâtre, réclamé de nouveau pour le lion par la
clameur populaire à l'occasion de sacrifices qu'un édit affiché ordonnait à la
population dans les jours même où, j'écrivais cette lettre : Quand un tel
évêque, dis-je, frère très cher, est vu en butte aux attaques de quelques
désespérés et égarés qui sont hors de l'Église, on sait qui attaque, et que ce n'est
pas le Christ, Lui qui établit ou protège les évêques, mais celui qui, étant
l'adversaire du Christ et l'ennemi de son Église, ne poursuit un évêque mis à la tête
de l'Église que pour pouvoir, en enlevant le pilote, travailler avec plus d'acharnement
et de violence à provoquer le naufrage de l'Église elle-même.
Aucun chrétien qui se souvient de l'évangile et retient les recommandations de
l'Apôtre, qui nous a prévenus, ne doit se laisser émouvoir, frère très cher, si, à
la fin des temps, certains hommes orgueilleux, rebelles et ennemis des évêques de Dieu,
ou bien s'éloignent de l'Église, ou bien travaillent contre elle : le Seigneur et
ses apôtres ont prédit qu'il y aurait de telles gens à notre époque. Et que l'on ne
s'étonne pas que le serviteur établi sur la famille du Maître, soit abandonné de
certaines personnes, quand le Maître Lui-même, qui faisait les plus grandes merveilles,
et donnait à la Puissance de Dieu son Père le témoignage de ses oeuvres, a été
abandonné par ses disciples. Et pourtant, il n'a pas, Lui, fait des reproches ou de
graves menaces à ceux qui s'éloignaient, mais se tournant vers ses apôtres, il leur a
dit : "Est-ce que vous aussi, vous voulez vous en aller ?" Il a respecté
la loi d'après laquelle l'homme, laissé à sa volonté et à son libre arbitre, se porte
de lui-même ou à la mort ou au salut. Pierre cependant, sur qui l'Église avait été
bâtie par le même Christ, parlant de lui seul pour tous et répondant par la voix de
l'Église, lui dit : "A qui irions-nous ? Tu as la parole de la vie éternelle;
et nous croyons et nous savons que tu es le Christ, Fils du Dieu vivant". (Jn
6,67-69). Il veut faire entendre que ceux qui s'éloignent du Christ périssent par leur
faute; mais que l'Église qui croit au Christ, et qui reste fidèle à ce qu'elle sait, ne
s'éloigne jamais de Lui; il montre que ceux-là sont l'Église qui demeurent dans
l'Église de Dieu, tandis que ces autres ne représentent pas une plantation faite par le
Père, que l'on voit non pas rester en place comme le blé, mais s'agiter au souffle de
l'ennemi comme la paille que le vent emporte. C'est d'eux que Jean dit, dans son
épître : "Ils se sont séparés de nous, mais ils n'étaient pas des nôtres;
s'ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous". (Jn 2,19). De même
Paul nous avertit de ne pas nous émouvoir lorsque des méchants s'en vont de l'Église,
et de ne point avoir une foi moins vive quand des mécréants s'éloignent : "Eh
quoi, dit-il, si quelques-uns d'entre eux sont devenus infidèles, est-ce que leur
incrédulité a anéanti la Fidélité de Dieu ? Écartons cette pensée : car Dieu
est véridique, et tout homme est menteur". (Rom 3,3-4).
Quant à nous, frère, notre devoir est de donner nos soins à ce que personne ne
s'éloigne de l'Église par notre faute; mais si quelqu'un s'en écarte de son propre
mouvement et par une faute personnelle, et refuse ensuite de faire pénitence et de
revenir à l'église, nous pouvons croire qu'au jour du jugement nous ne serons pas
déclarés coupables, nous qui avons cherché à lui garder la santé, et que ceux-là
seuls resteront soumis aux châtiments qui n'auront pas voulu suivre nos salutaires
conseils, et guérir. Les outrages de ces pervers ne doivent point nous troubler, ni nous
empêcher de rester attachés à la règle droite et sûre, puisque l'Apôtre aussi nous
instruit en disant : "si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais pas
serviteur du Christ". (Gal 1,10). Il faut voir si nous voulons servir les hommes ou
Dieu. Si l'on plaît aux hommes, le Seigneur est offensé. Si au contraire nous faisons
tous nos efforts pour plaire à Dieu, nous devons dédaigner les outrages et les attaques
des hommes.
Je ne vous ai pas, frère très cher, écrit immédiatement au sujet de Fortunatus, ce
pseudo-évêque institué par quelques hérétiques opiniâtres. C'est que l'affaire
n'était pas telle qu'elle dût être portée en hâte à votre connaissance, comme si
elle avait été importante et redoutable; aussi bien vous connaissiez assez ce
Fortunatus, un des cinq prêtres sortis de l'Église, et excommuniés récemment par une
sentence de personnages nombreux et graves, mes collègues dans l'épiscopat, qui vous en
ont écrit l'année dernière. De même vous deviez connaître Felicissimus, le
porte-drapeau de la révolte, dont le nom aussi se trouve dans les lettres que nous
envoyèrent jadis nos collègues. Il n'a pas été seulement excommunié ici par ces
évêques, mais encore il a été récemment chassé par vous de l'Église, à Rome. Je me
dis que tout cela était connu de vous, j'étais sûr que votre mémoire et votre sens de
la discipline n'en oubliait rien : je n'ai donc pas jugé qu'il fallût, en hâte et
d'urgence, vous annoncer ces folies d'hérétiques. Il n'est pas de la dignité de la
noble Église catholique de s'occuper de ce que les hérétiques et les schismatiques font
de mal chez eux. On dit en effet que le parti de Novatien s'est fait un pseudo-évêque du
prêtre Maximus que Novatien nous avait jadis envoyé comme son représentant, et que nous
avions rejeté de notre communion. Je ne vous avais pas cependant écrit ces nouvelles,
car nous n'en faisons pas de cas, et, d'autre part, je vous avais tout récemment envoyé
la liste des évêques d'ici, qui sont à la tête de nos frères, et que l'hérésie n'a
point entamés. Nous avons décidé d'un commun avis de vous envoyer cette liste, afin de
vous fournir un moyen abrégé de déjouer l'erreur, de voir nettement la vérité, et de
vous faire connaître, à vous et à vos collègues, quels sont ceux à qui vous
devez-écrire et de qui vous devez recevoir des lettres. De cette manière si quelqu'un,
en dehors de ceux dont notre liste renferme les noms, osait vous écrire, vous saurez bien
qu'il s'est souillé d'un sacrifice ou d'un billet ou qu'il fait partie des hérétiques,
c'est-à-dire que c'est un dévoyé et un profane. Ayant cependant l'occasion d'un clerc
de mon intimité dans la personne de l'acolyle Felicianus que vous aviez envoyé avec
notre collègue Perseus, j'ai mis dans la lettre que je lui confiais, entre autres choses
dont je devais vous informer, un mot sur ce Fortunatus. Mais notre frère Felicianus dut
retarder son départ tant à cause du vent que parce que nous devions lui remettre
d'autres lettres, et Felicissimus se hâtant d'aller vers vous, l'a prévenu. Ainsi
toujours les scélérats se pressent, comme si leur hâte pouvait prévaloir contre
l'innocence.
Je vous mandais donc, frère, par Felicianus qu'on avait vu arriver à Carthage, Privatus
(10), un hérétique de vieille date, de la colonie de Lambèse, condamné il y a
plusieurs années, en raison de fautes nombreuses et graves, par la sentence de
quatre-vingt-dix évêques, et aussi, ce que vous savez comme nous, très sévèrement
blâmé par des lettres de nos prédécesseurs Fabianus et Donatianus. Il avait déclaré
vouloir plaider sa cause devant nous au concile que nous avons tenu aux dernières Ides de
mai. N'y ayant pas été admis, il a fait de ce Fortunatus un pseudo-évêque digne
d'être son collègue. Avec lui était venu aussi un certain Félix dont, lui-même avait
jadis, en dehors de l'Église, et dans l'hérésie, fait un pseudo-évêque. D'autres
encore accompagnaient l'hérétique Privatus , c'étaient Jovinus et Maximus, que des
sacrifices et des crimes abominables établis a leur charge avaient fait condamner par la
sentence de neuf de nos collègues, et qui avaient été de nouveau excommuniés par
plusieurs d'entre nous dans le concile de l'année dernière. A ces quatre, un cinquième
s'est joint, Repostus de Sutururca, qui non seulement est tombé lui-même au cours de la
persécution, mais encore a fait tomber par ses conseils sacrilèges la plus grande partie
de son peuple. Ces cinq personnages, avec un petit nombre de chrétiens qui avaient
sacrifié ou dont la conscience n'était pas en paix, se sont élu un évêque dans la
personne de Fortunatus. Ainsi leurs crimes s'accordant, le gouvernant serait pareil aux
gouvernés.
Par la, vous pouvez, frère très cher, juger des autres mensonges que ces hommes
scélérats et pervers ont répandus. Pas plus de cinq pseudo-évêques, apostats ou
hérétiques, ne sont venus à Carthage, pour associer Fortunatus à leur folie. Ils n'ont
pas craint cependant, comme vous nous l'écrivez, de publier en vrais fils du diable
pleins de mensonges, qu'il y avait vingt-cinq évêques ! Ce mensonge, ils le publiaient
ici aussi d'avance parmi nos frères, disant que vingt-cinq évêques devaient venir de
Numidie pour s'élire un évêque. Quand leur mensonge eut été mis à nu et confondu par
la présence à leur réunion de seulement cinq naufragés excommuniés par nous, ils ont
navigué vers Rome avec leur cargaison de mensonges, comme si la vérité ne pouvait pas
naviguer derrière eux, et en établissant les faits, confondre leurs langues menteuses.
C'est une vraie folie, frère, que de ne pas penser, de ne pas savoir que les mensonges ne
trompent pas longtemps, que la nuit dure jusqu'à ce que luise le jour, et que, quand la
clarté du jour a paru et que le soleil s'élève, les ténèbres et l'ombre se retirent
devant la lumière, qui met fin aux brigandages qui se donnaient carrière à la faveur de
la nuit. Enfin, si vous leur demandiez les noms, il ne les pourraient pas donner, même en
en inventant. Il y a chez eux une telle pénurie, même de méchants, que parmi les
apostats ou les hérétiques ils n'en pourraient réunir vingt-cinq. Cependant, pour
tromper les simples et ceux qui sont au loin, ils exagèrent le nombre, comme si, même en
le supposant exact, l'Église pouvait être vaincue par l'hérésie, ou la justice par
l'injustice.
Il ne faut pas d'ailleurs, frère très cher, que je fasse maintenant comme eux, et que je
suive la série de crimes qu'ils ont commis ou commettent encore. Nous devons considérer
ce qu'il convient que disent ou écrivent les évêques de Dieu; et c'est moins le
ressentiment qui doit parler chez nous que la réserve. Il ne faut pas que je paraisse
répondre à leurs attaques en articulant contre eux plutôt des injures que des crimes et
des fautes réelles. Je ne parle donc pas de leurs vols au détriment de l'Église, je
passe sous silence leurs cabales, leurs adultères, et divers genres de crimes. Il y a un
fait, où la cause même de Dieu, et non la mienne ou celle des hommes, est intéressée,
sur lequel je ne crois pas qu'on doive se taire. C'est que dès le premier jour de la
persécution, alors que les fautes de ceux qui avaient failli étaient encore toutes
récentes, et que non seulement les autels du diable, mais les mains mêmes et la bouche
des lapsi fumaient encore de sacrifices abominables, ils n'ont cessé de communiquer avec
les lapsi et de s'opposer à ce qu'ils fissent pénitence. Dieu proclame :
"Celui qui sacrifie aux dieux sera déraciné; on ne doit sacrifier qu'au Seigneur
seul"; (Ex 22,20) et notre Seigneur dit dans son évangile : "Celui qui
M'aura renié, Je le renierai". (Mt 10,33). Et en un autre endroit, l'Indignation, la
Colère divine ne peut se tenir de dire : "Vous leur avez versé des libations,
vous leur avez présenté des offrandes. Et Je ne m'indignerais pas de ces
sacrilèges !" (Is 57,6) dit le Seigneur. Et ils s'opposent à ce qu'on prie
Dieu, qui déclare Lui-même être indigné ! Ils s'opposent à ce qu'on tâche d'adoucir
par des prières et des oeuvres satisfactoires le Christ qui proclame qu'Il renie celui
qui Le renie !
Dans le temps même de la persécution nous avons écrit des lettres à ce sujet (11) et
nous n'avons pas été écouté. Dans un concile où nous étions nombreux, nous avons
décidé d'un commun accord, et en joignant des menaces à notre décision, que les
frères auraient à faire pénitence, et que personne ne devrait avoir la témérité de
donner la paix à ceux qui ne se conduiraient pas en pénitents. Et eux, sacrilèges à
l'égard de Dieu, et de ses évêques, emportés d'une fureur téméraire, s'éloignant de
l'Église et levant contre elle des armes parricides, ils travaillent à permettre à la
malice du diable d'achever son oeuvre, à empêcher la divine Bonté de soigner les
blessés dans son Église. Ils corrompent par leurs mensonges la pénitence de malheureux,
empêchant que Dieu qui est irrité ne reçoive satisfaction, que celui qui a rougi
d'être chrétien ou a craint les tourments, ne cherche ensuite le Christ son Seigneur,
que l'Église ne voie revenir à elle celui qui s'était éloigné de l'Église. On
travaille à mettre obstacle au rachat des fautes par de justes réparations et marques de
douleur, à empêcher les blessures d'être lavées par des larmes. La vraie paix est
supprimée par le mensonge d'une paix fausse, le sein d'une mère ou l'on trouverait le
salut se ferme par l'opposition d'une marâtre, et l'on n'entend pas comme il faudrait des
pleurs et des gémissements sortir du coeur et de la bouche des lapsi. De plus la bouche
et la langue des laps, qui ont péché au Capitole, sont forcées de dire des injures aux
évêques. Ils poursuivent d'outrages et d'insultes les confesseurs, les vierges et tous
les justes que leur foi a distingués et glorifiés dans l'Église. Pourtant à la
vérité, ils n'atteignent pas tant la modestie, l'humilité et la pudeur des nôtres,
qu'ils ne font de tort à leur propres espérances et à leur propre vie. Ce n'est pas, en
effet, celui qui s'entend dire, mais celui qui dit des injures, qui est à plaindre; ce
n'est pas non plus, celui qui reçoit des coups d'un frère, mais celui qui en donne, qui
est déclaré coupable contre la loi. Quand des méchants font tort à des innocents,
ceux-là subissent eux-mêmes le tort qui croient le faire. Bref, c'est de là que leur
vient cet étourdissement de l'esprit, cet affaiblissement du sens, cette espèce
d'aliénation mentale : c'est une marque de la Colère de Dieu que de ne plus
comprendre les fautes et de ne point, par conséquent, les faire suivre de la pénitence.
Il est écrit : "Dieu leur a donné un esprit de léthargie", (Is 29,10)
afin de les empêcher de revenir, de se soigner, de se guérir, après leur faute, par des
prières et de justes réparations. L'apôtre Paul dit dans une épître : "Ils
n'ont pas eu l'amour de la vérité, qui les eût sauvés. C'est pourquoi Dieu leur
enverra des illusions, de manière qu'ils croient au mensonge, et que tous ceux-là soient
jugés qui n'ont pas cru à la vérité, mais se plaisent dans l'injustice". (2 Th
2,10). Le plus haut degré de bonheur est de ne pas pécher, le second, c'est de
reconnaître ses fautes. Là c'est l'innocence entière et immaculée qui conserve, ici
c'est le remède qui vient après, et qui guérit. Ces deux biens, les lapsi les ont
perdus, et ainsi pour eux n'existe plus la grâce que le baptême donne avec la
sanctification, et la pénitence ne reste pas non plus qui guérit la faute. Pensez-vous
donc, frère, que ce soient des péchés légers, des manquements sans gravité, que
d'empêcher qu'on implore la Majesté de Dieu irrité, qu'on redoute la colère et le feu
et le jour du Seigneur, et, à l'approche de l'Antichrist, de désarmer la foi du peuple
qui combat, en affaiblissant la vigueur de la discipline et la crainte du Christ ? Aux
laïcs de voir ce qu'ils ont à faire : les évêques ont le devoir de se donner plus
de peine pour affirmer et procurer la Gloire de Dieu, et nous ne devons pas paraître rien
négliger en ce point quand le Seigneur nous avertit en disant : "Et maintenant,
voici mon décret pour vous, ô prêtres. Si vous n'écoutez pas, et si vous ne prenez pas
à coeur d'honorer mon Nom, Je lancerai contre vous la malédiction, et Je maudirai vos
bénédictions." (Mal 2,1-2). Est-ce donc rendre honneur à Dieu, de mépriser à ce
point sa Majesté et son Autorité ? Alors qu'Il Se déclare indigné et irrité contre
ceux qui sacrifient, et les menace de peines éternelles, de supplices sans fin, des
sacrilèges viennent dire de ne point songer à sa Colère, de ne point craindre son
Jugement, de ne point frapper à la porte de l'Église; des prêtres, supprimant la
pénitence et ne voulant pas que l'on fasse aucune confession de son crime, méprisant les
évêques et foulant aux pieds leur autorité, donnent la paix avec des paroles
trompeuses; et pour empêcher que ceux qui sont tombés ne se relèvent, ou que ceux qui
sont hors de l'Église n'y reviennent, ceux qui n'ont pas la communion offrent la
communion aux autres !
Il ne leur a pas suffi de s'éloigner de l'évangile, d'ôter aux lapsi l'espoir de la
satisfaction et de la pénitence, d'empêcher des coupables impliqués dans des affaires
de fraude, souillés d'adultères ou de sacrifices abominables, de revenir à l'Église
pour y faire la confession de leurs fautes, et de les priver ainsi de tout sentiment et de
tout fruit de pénitence, d'avoir formé en dehors de l'Église et contre l'Église un
parti de perversité, où viendrait se réfugier la bande de pécheurs qui ne veulent pas
prier Dieu et donner satisfaction. Après tout cela, ils se sont encore fait sacrer un
pseudo-évêque par des hérétiques, et c'est dans ces conditions qu'ils osent passer la
mer, pour venir au siège de Pierre et l'Église principale, d'où l'unité épiscopale
est sortie, et y apporter des lettres de schismatiques et de profanes. Ils ne
réfléchissent donc pas que ce sont là les mêmes Romains dont l'Apôtre a loue la foi
et auprès de qui la perfidie ne saurait avoir accès. Quelle raison d'ailleurs
peuvent-ils avoir de se mettre en route, et d'annoncer qu'ils ont élu un pseudo-évêque
contre les évêques ? Ou bien, en effet, ils sont toujours contents de ce qu'ils ont
fait, et alors ils persévèrent dans leur crime, ou bien ils en sont mécontents et s'en
détournent, et alors ils savent où ils doivent revenir. Il a été réglé par nous,
d'un commun accord, (solution équitable et juste), que les causes doivent être entendues
là où le délit a été commis; une portion du troupeau a d'ailleurs été attribuée à
chacun des pasteurs pour la conduire et la gouverner, sauf à rendre compte à Dieu de sa
conduite. Il faut donc que ceux à qui nous sommes préposés ne courent pas çà et la,
et ne cherchent pas à rompre la concorde d'évêques unis, en suscitant des conflits par
leurs cabales et leurs mensonges audacieux, mais ils doivent plaider leur cause là ou ils
peuvent avoir des accusateurs et des témoins de leurs délits : à moins que
quelques personnages perdus de scélératesse ne doivent l'emporter sur l'autorité des
évêques d'Afrique, qui les ont déjà jugés, et ont prononcé récemment encore, avec
toute la gravité de leur jugement, qu'ils avaient la conscience chargée d'un grand
nombre de crimes. Leur cause a été examinée, la sentence prononcée, et il ne convient
pas à l'autorité épiscopale d'encourir le reproche d'inconstance ou de légèreté,
quand le Seigneur nous instruit en disant : "Que votre parole soit : Cela
est, cela est; cela n'est pas, cela n'est pas". (Mt 5,37).
Si l'on fait, en y comprenant les prêtres et les diacres, le compte de ceux qui ont jugé
leur cause l'an passé, ceux qui ont pris part au jugement et à l'enquête sont plus
nombreux que ceux qui semblent encore unis à Fortunatus. Vous devez en effet savoir,
frère très cher, que depuis qu'il a été fait pseudo-évêque par les hérétiques, il
a été abandonné de presque tout le monde. Ceux, en effet, qui auparavant s'en
laissaient imposer par des paroles prestigieuses, et l'assurance qu'ils reviendraient tous
en même temps à l'Église, quand ils virent qu'un pseudo-évêque avait été élu,
s'aperçurent qu'ils avaient été joués et trompés; et ils reviennent chaque jour, ils
frappent à la porte de l'Église. Nous cependant, qui devons rendre compte au Seigneur de
notre administration, nous étudions scrupuleusement et examinons soigneusement ceux qu'il
faut recevoir dans l'Église. Certains en effet ont contre eux des griefs si graves, ou
une opposition si ferme et si absolue des frères, qu'on ne peut absolument pas les
recevoir, car alors il y aurait scandale et péril pour un grand nombre. Il n'y a pas
lieu, en effet, de conserver des parties gâtées, si elles doivent corrompre des parties
saines, et le pasteur n'est pas bienfaisant ni avisé qui mêle au troupeau des brebis
atteintes de maladies contagieuses en s'exposant à contaminer le troupeau tout entier. Ne
faites pas attention à leur nombre : mieux vaut un fils craignant Dieu que mille
impies, comme dit le Seigneur par son prophète : "O mon fils, ne te réjouis
pas d'avoir des fils en grand nombre, s'ils sont impies, car la crainte de Dieu n'est pas
en eux ." O si vous pouviez, frère très cher, vous trouver ici près de nous quand
ces égarés, ces dévoyés reviennent du schisme; vous verriez quel mal j'ai à amener
nos frères à être patients, et à calmer leur indignation pour permettre de recevoir
les coupables et de travailler à les guérir. S'ils sont heureux et s'ils se félicitent
de voir revenir ceux qui peuvent être supportés, et qui sont en effet moins coupables,
ils murmurent en revanche et résistent quand des esprits incorrigibles, emportés, des
hommes souillés ou d'adultères ou de sacrifices, et orgueilleux après tout cela,
reviennent à l'Église pour y corrompre à l'intérieur les âmes honnêtes. J'obtiens à
peine par la persuasion, j'arrache plutôt au peuple la réadmission de ceux qui sont dans
ce cas. D'ailleurs la rigoureuse indignation des frères s'est trouvée justifiée par le
fait que tel ou tel qui, malgré l'avis contraire et l'opposition du peuple, avait été
reçu grâce à ma facilité, est devenu pire qu'auparavant, et n'a pu rester fidèle à
la pénitence, parce que la pénitence avec laquelle il était venu n'était pas sincère.
Que dirai-je de ceux qui sont allés vers vous avec Félicissimus, députés par le
pseudo-évêque Fortunatus, vous portant des lettres aussi fausses que celui qui les
envoie lui-même, que leur conscience chargée de crimes, leur vie détestable et
honteuse, et telle que s'ils étaient dans l'Église, ils devraient en être chassés ?
Comme ils se sentent coupables, et qu'ils n'osent venir ou s'approcher du seuil de
l'Église, mais errent çà et là par la province pour circonvenir nos frères et les
dépouiller, déjà connus de tous et de partout chassés pour leurs crimes, ils passent
la mer pour aller aussi vers vous. Ils ne peuvent en effet avoir le front de s'approcher
de nous, ou de rester parmi nous, à cause de fautes, des plus honteuses et des plus
graves, que les frères pourraient leur reprocher. S'ils veulent se soumettre à notre
jugement, qu'ils viennent. S'ils peuvent avoir quelque excuse ou quelque défense, voyons
quel sentiment ils ont de leur devoir de satisfaire, quels fruits de pénitence ils
apportent. Ni l'Église, ici, ne se ferme, ni l'évêque ne se refuse à personne. Notre
patience, notre facilité, notre bonté sont à la disposition de ceux qui viennent à
nous. Je souhaite que tous reviennent à l'Église, je souhaite que tous nos compagnons de
combat soient dans le camp du Christ, dans la maison du Père qui est Dieu. Je pardonne
tout; je ne veux point connaître une foule de torts qui existent, et cela par désir de
rassembler tous les frères. Même les fautes commises contre Dieu, je ne les pèse pas
dans la balance d'une religion scrupuleuse. Je pèche presque moi-même en pardonnant plus
de péchés qu'il ne faut. J'ouvre mes bras, avec un amour entier et prompt, à ceux qui
reviennent avec de vrais sentiments de pénitence, à ceux qui confessent leur faute avec
humilité et simplicité.
Mais s'il en est qui pensent pouvoir revenir à l'Église non par des prières, mais par
des menaces, ou qui croient qu'ils s'en ouvriront l'accès non par des larmes, et des
oeuvres satisfactoires; mais par des moyens d'intimidation, qu'ils sachent bien que devant
de telles dispositions l'Église du Seigneur reste fermée; qu'ils sachent que le camp du
Christ, invincible, vaillant et défendu par Dieu Lui-même, ne cède pas à des menaces.
Un évêque de Dieu qui s'attache à l'évangile en tant qu'il garde les préceptes du
Christ, peut être tué, il ne peut être vaincu. Nous avons des exemples de courage et de
foi dans la conduite du grand pontife Zacharie. On ne put l'effrayer par la menace de la
lapidation; il fut tué dans le temple de Dieu, criant et répétant ce que nous crions
nous aussi et répétons contre les hérétiques : "Voici ce que dit le
Seigneur. Vous avez abandonné les voies du Seigneur, et le Seigneur à son tour vous
abandonnera".(2 Chr 24,20). Il ne faut pas en effet, parce que quelques personnes
emportées et perverses abandonnent les voies salutaires du Seigneur, et n'ayant pas une
conduite sainte sont abandonnées par le saint Esprit, que nous oubliions nous aussi
l'enseignement divin. Il ne faut pas penser que les crimes de ces furieux prévalent sur
les jugements des évêques, ou que des efforts humains puissent plus pour attaquer que la
Protection divine ne peut pour défendre.
Faudra-t-il donc, frère très cher, voir abdiquer à ce point la dignité de l'Église
catholique, la majesté du peuple resté fidèlement et incorruptiblement dans l'Église,
l'autorité même et le pouvoir épiscopal ? Quoi, ceux-là prétendraient juger d'un chef
de l'Église qui sont hors de l'Église et hérétiques; des malades, de celui qui est
bien portant; des blessés, de celui qui est sans blessure; ceux qui sont tombés, de
celui qui est debout; les accusés, d'un juge; les sacrilèges, d'un ministre sacré. Que
reste-t-il alors, sinon que l'Église se retire devant le Capitole, et que les évêques
s'éloignant et emportant l'autel du Seigneur, les statues des Dieux et les idoles
viennent avec leurs autels dans l'endroit sacré où s'assemble notre clergé; et que
Novatien enfin trouve une nouvelle et plus riche matière à déclamer, à vitupérer
contre nous, en voyant ceux qui ont sacrifié et nié publiquement le Christ, non
seulement priés de revenir et admis sans pénitence, mais encore devenant les maîtres
par la crainte qu'ils inspirent ? S'ils demandent la paix, qu'ils déposent les armes;
s'ils veulent satisfaire, que signifient leurs menaces ? D'ailleurs s'ils menacent, qu'ils
sachent bien qu'ils n'effraient pas les évêques de Dieu. L'antichrist non plus, quand il
viendra, n'entrera point dans l'Église par ses menaces, et on ne cédera point à ses
armes et à sa violence parce qu'il annonce l'intention de tuer ceux qui résisteront. Ils
nous arment, les hérétiques, lorsqu'ils pensent nous effrayer par leurs menaces; ils ne
nous jettent point la face contre terre, mais plutôt ils nous redressent et nous
enflamment, lorsqu'ils donnent aux frères une paix pire que la persécution. Nous
souhaitons sans doute que le crime n'accomplisse point ce que la fureur leur fait dire, et
que péchant en paroles impies et cruelles, ils ne pèchent pas aussi en actes. Nous
prions et nous supplions Dieu qu'ils ne cessent de provoquer et d'irriter, pour que leurs
coeurs s'adoucissent; que, délivrés de leur fureur, ils reviennent au calme, que leurs
coeurs couverts des ténèbres du péché reconnaissent la lumière de la pénitence, et
que, plutôt que de répandre eux-mêmes le sang d'un évêque, ils demandent qu'un
pontife répande pour eux des prières. Mais s'ils s'obstinent dans leur fureur, s'ils
persévèrent cruellement dans leurs tentatives perfides et leurs menaces, il n'y a point
d'évêque de Dieu qui soit si faible, si déchu et si bas, si anéanti par l'humaine
infirmité, qu'il ne se redresse contre les ennemis de Dieu et ses assaillants, et dont la
vigueur et l'énergie même de Dieu qui le protège ne relève et n'anime la faiblesse.
Que nous importe de quelle main, ou à quelle heure nous serons tués, puisque c'est de la
main du Seigneur que nous devons recevoir notre récompense. Ceux là ont un sort digne de
larmes et de lamentations, que le diable aveugle au point qu'ils ne pensent plus aux
supplices éternels de la géhenne, et travaillent à nous donner une idée de la venue de
l'antichrist qui approche.
Je sais, frère très cher, que, comme le demande la mutuelle affection que nous nous
devons et que nous nous portons, vous lisez toujours mes lettres au clergé si florissant
qui siège avec vous et au peuple si nombreux et si saint des fidèles de Rome. Cette fois
cependant j'insiste, et je vous prie de faire à ma demande ce que vous faites les autres
fois de vous-même et par égard pour moi : afin que, si les racontars venimeux
semés perfidement contre moi avaient fait impression sur quelques fidèles, la lecture de
cette lettre les chasse de leurs oreilles et de leurs coeurs, et qu'aucune calomnie
hérétique n'entame de sa morsure ni n'altère de sa souillure l'affection des gens de
bien.
Au surplus, que nos frères fuient à l'avenir et évitent les entretiens de ceux dont la
parole "étend ses ravages comme le chancre." (2 Tim 2,17). Ainsi que le dit
l'Apôtre : "Les mauvais entretiens corrompent les bons naturels". (1 Cor
15,33). Et encore : "Quant au fauteur de divisions, évite-le après un avis,
sachant qu'un tel homme est dévoyé, et condamné par son propre jugement". (Tit
3,10-11). Et l'Esprit saint parle par la bouche de Salomon : "L'homme pervers,
dit-il, porte la perdition dans sa bouche, et ses lèvres cachent le feu". (Pro
16,27). Et il donne encore l'avertissement suivant : "Mets une haie d'épines à
tes oreilles et n'écoute pas la langue perverse". (Ec 28,24). Et encore :
"Le méchant écoute ce que dit la langue perverse, le juste ne fait pas attention
aux lèvres qui mentent". ( Pro 17,4). Je sais que les frères qui sont avec vous,
défendus par votre prudence, et tenus en éveil par leur propre vigilance, ne sauraient
se laisser prendre et tromper par les hérétiques et leurs poisons, que les préceptes et
les enseignements divins règnent chez eux autant que la crainte de Dieu. Cependant un
excès ou de sollicitude pour vous ou d'affection nous a décidé à vous écrire ces
choses, afin que nul rapport ne soit noué avec de telles gens, qu'on n'ait avec eux aucun
commerce, ni de table ni d'entretiens, et que nous soyons aussi séparés d'eux qu'ils
sont éloignés de l'Église. Il est écrit : "Si quelqu'un méprise l'Église,
qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain". (Mt 18,17). Et le bienheureux
Apôtre ne conseille pas seulement, mais ordonne de se séparer de telles gens :
"Nous vous prescrivons, dit-il, de vous éloigner de tous les frères qui ne marchent
pas droit, et ne se conforment pas à l'enseignement reçu de nous". (2 Thes 3,6). Il
ne peut y avoir de société entre la foi et l'infidélité. Celui qui n'est pas avec le
Christ, qui est l'adversaire du Christ, l'ennemi de son unité et de sa paix, ne peut
être uni à nous. S'ils viennent avec des prières, des intentions de satisfaire, qu'on
les écoute. S'ils adressent des insultes et des menaces, qu'on les repousse. Je souhaite,
frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(8) Sur Félicissimus et Novatus voir les lettres 41, 42 et 43.
(9) Le mot 'raca' signifie probablement la même chose que 'fatue'. Il se rattache à
l'araméen 'rêquâ' et a l'hébreu 'rêq' qui signifie "vide,vain", Ces mots
d'après saint Jérôme (In Matthieu I,5) équivalent ici à l'injure habituelle
"sans cervelle".
(10) Sur Privatus de Lambèse voir la lettre 36.
(11) Par exemple la lettre 43. Quant au concile c'est celui du printemps de 251.
LETTRE 50
CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.
Nous avons reçu, frère très cher, les glorieux témoignages de votre foi, de votre
courage, et votre belle confession nous a donné tant de joie que nous nous considérons
comme participant à vos mérites et à votre gloire. Comme il n'y a entre nous qu'une
Église, qu'une âme et qu'un coeur, quel évêque ne se réjouirait de la gloire d'un
autre évêque comme d'une gloire propre à lui-même, et quel est le groupe de frères
qui ne serait heureux de voir des frères dans la joie ? On ne saurait dire toute
l'allégresse, toute la satisfaction qui s'est manifestée ici, quand nous avons appris
ces heureuses nouvelles de votre courage; quand nous avons su que vous avez servi de chef
aux frères dans la confession, mais aussi que la confession du chef a été rehaussée
par la conformité de sentiment des frères. Ainsi en marchant à la gloire le premier,
vous avez eu beaucoup de compagnons de gloire; vous avez décidé les fidèles à être
confesseurs, en vous montrant prêt, le premier, à confesser pour tous. Nous ne savons
que louer le plus en vous, ou bien votre foi prompte et ferme, ou bien cette affection des
frères qui ne permet pas de séparation. Le courage de l'évêque marchant le premier
s'est montré publiquement, l'union des frères suivant l'évêque s'est affirmée de
même. Il n'y a eu chez vous qu'un coeur et qu'une voix, et toute l'Église de Rome a
confessé Jésus Christ.
On a vu briller, frère très cher, cette foi dont le bienheureux Apôtre vous a fait
honneur. Le courage glorieux d'aujourd'hui et cette fermeté de résolution, il les voyait
d'avance en esprit, et louant l'avenir en célébrant vos belles actions, il n'exaltait
les pères que pour encourager les fils. En étant unis, en étant forts, vous avez donné
aux autres frères de grands exemples de force et d'union. Vous avez montré qu'il faut
avoir très vive la crainte de Dieu et s'attacher fermement au Christ, que le peuple doit
se tenir avec les évêques dans le péril, que les frères ne doivent point se séparer
des frères dans la persécution, que ceux qui sont unis ne peuvent être vaincus; que le
Dieu de paix accorde aux pacifiques ce qu'ils lui demandent tous ensemble. L'ennemi
s'était élancé, menaçant, violent, pour jeter le trouble dans le camp du Christ. Mais
il a été repoussé aussi vigoureusement qu'il avait attaqué, et il a rencontré autant
de courage et de résistance qu'il apportait de menaces et de terreur. Il avait cru
pouvoir encore procéder comme il a coutume de faire contre les serviteurs de Dieu, et les
renverser d'un coup de surprise, comme de jeunes recrues sans expérience, qui auraient
été mal préparées à son attaque et insuffisamment sur leurs gardes. S'attaquant
d'abord à un en particulier, il avait essayé de faire ce que fait le loup qui cherche à
séparer une brebis du troupeau, I'épervier qui écarte une colombe de la volée.
N'étant pas assez fort contre tous ensemble, il cherche à surprendre des individus
isolés. Mais vigoureusement repoussé par la foi d'une armée unie, il s'aperçut que les
soldats du Christ veillaient, sur leurs gardes maintenant, et qu'ils étaient debout en
armes pour le combat, qu'ils ne pouvaient être vaincus, mais que s'il s'agissait de
mourir ils le pouvaient, que ce qui les rend invincibles, c'est précisément qu'ils ne
craignent pas de mourir. Ils virent qu'ils ne rendent point coup pour coup à ceux qui les
attaquent, puisqu'il n'est point permis à des innocents de tuer même des coupables, mais
qu'ils sont tout disposés à donner leur sang et leur vie, afin que, quittant un monde
où va se développant tant de cruauté et de méchanceté, ils s'éloignent plus
promptement des méchants et des cruels. Quel glorieux spectacle aux Yeux de Dieu sous les
Regards du Christ ! Quelle joie pour son Église, quand on vit qu'au combat présenté par
l'ennemi, ce n'étaient pas les soldats un à un qui marchaient, mais le camp tout entier.
Tous en effet, sans aucun doute, seraient venus, s'ils avaient su, puisque chacun de ceux
qui ont su est accouru en tout hâte. Que de lapsi y ont trouvé l'occasion de se relever
par une confession glorieuse ! Ils se sont redressés courageusement, et le sentiment
même du regret de leur faute les a rendus plus courageux. Ainsi, il apparaît que jadis
ils ont été surpris, que la nouveauté de l'attaque et l'inaccoutumance les a
déconcertés et épouvantés, qu'ils se sont repris ensuite, que la crainte de Dieu les a
ramenés à une foi sincère, et leur a rendu leurs forces, les armant d'une constance,
d'une énergie à toute épreuve et qu'enfin maintenant ils ne sollicitent plus le pardon
d'une faute, mais aspirent à la couronne du martyre.
Que fait là-dessus Novatien, frère très cher ? Renonce-t-il à son erreur ? ou bien,
comme c'est la coutume des insensés, nos bonheurs et nos succès ne le rendent-ils pas
plus furieux ? L'éclat plus grand dont jouissent ici la charité et la foi ne fait-il pas
croître là dans la même mesure la folie des querelles et de la jalousie ? Il ne soigne
pas sa blessure, le malheureux, mais il se blesse lui-même et les siens plus grièvement;
il fait entendre les éclats de sa voix pour la perte des frères; et lance les traits
empoisonnés de sa faconde, plutôt buté par la perversité d'une philosophie profane
qu'adouci par la sagesse du Seigneur, déserteur de l'Église, ennemi de la miséricorde,
meurtrier du repentir, docteur de l'orgueil, corrupteur de la vérité, destructeur de la
charité ? Sait-il maintenant reconnaître quel est l'évêque de Dieu, quelle est
l'Église et la maison du Christ, quels sont les serviteurs de Dieu que le diable
tourmente, quels sont les chrétiens que l'antichrist attaque ? L'adversaire du Seigneur
ne cherche pas ceux qu'il a déjà soumis; il ne se montre pas impatient de renverser ceux
qu'il a fait siens. Hostile à l'Église, en guerre avec elle, ceux qu'il en a éloignés,
et conduits dehors, sont comme des captifs et des vaincus qu'il dédaigne et laisse de
côté. Ceux qu'il ne cesse d'inquiéter sont ceux en qui il voit que le Christ habite.
D'ailleurs quand même, parmi ceux-là l'un ou l'autre viendrait à être arrêté, il
n'aurait pas à s'en applaudir, comme s'il avait confessé le Nom du Christ; il est trop
clair que, quand des gens de cette sorte sont mis à mort hors de l'Église, ce n'est pas
là récompense de foi, mais châtiment d'infidélité; et que ceux-là n'habitent pas
parmi les frères unis dans la maison de Dieu, qu'une fureur de discorde, ainsi qu'on l'a
vu, a éloignés de la divine maison de la paix.
Nous vous exhortons autant que nous pouvons, frère très cher, au nom de l'affection
mutuelle qui nous unit, puisque la divine Providence nous prévient et que les salutaires
avis de la divine Bonté nous avertissent de l'approche du jour où il faudra lutter, à
persévérer dans les jeûnes, les veilles, les prières, avec tout le peuple chrétien.
Ne cessons de gémir et de prier.Voilà en effet pour nous les armes célestes qui nous
permettent de rester debout, et de tenir; voilà les défenses spirituelles, et les
armures divines qui nous protègent. Pensons l'un à l'autre, dans l'union des coeurs et
des âmes; prions chacun de notre côté l'un pour l'autre; dans les moments de
persécution et les difficultés, soutenons-nous par une charité réciproque, et si à
l'un de nous Dieu fait la grâce de mourir bientôt et de précéder l'autre, que notre
amitié continue auprès du Seigneur, que la prière pour nos frères et nos soeurs ne
cesse pas de s'adresser à la Miséricorde du Père. Je souhaite, frère très cher, que
vous vous portiez toujours bien.

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