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LETTRE 11
CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES, SES FRERES, SALUT
Je n'ignore pas, mes très chers frères, que la crainte de Dieu que nous devons tous
avoir, vous porte à vaquer assidûment, la où vous êtes, à la prière et à
d'instantes supplications. Je crois, cependant, devoir encore inviter votre religieuse
sollicitude à ne pas se borner, pour apaiser le Seigneur et L'apitoyer, à la seule
parole, mais à Lui faire entendre vos supplications par des jeûnes, des prières, et par
tous les moyens possibles de détourner sa Colère. Il faut bien nous rendre compte, en
effet, et confesser que les ravages de cette affreuse tourmente qui a désolé si
fortement notre troupeau, et le désole encore, sont la suite de nos péchés, de notre
négligence à suivre la voie du Seigneur, et à observer les préceptes qu'Il nous a
donnés pour notre salut. Notre Seigneur a fait la Volonté de son Père, et nous nous ne
faisons pas la Volonté de Dieu; nous marchons dans les chemins de l'orgueil; nous nous
abandonnons à la jalousie et aux querelles, nous laissons la simplicité et la bonne foi,
renonçant au siècle en paroles seulement et non en actes, pleins de complaisance pour
nous-mêmes, de sévérité pour les autres. Voilà pourquoi nous recevons des coups que
nous méritons. Il est écrit, en effet : "Te serviteur qui connaît la volonté
de son maître et ne lui obéit pas recevra un grand nombre de coups". (Lc 12,47).
Quels coups, quelles verges ne méritons-nous pas, alors que les confesseurs mêmes, qui
devraient être l'exemple des autres, ne se conduisent pas comme il faut. Aussi, pendant
que certains se vantaient insolemment, et s'enflaient d'orgueil parce qu'ils avaient
confessé le Christ, les tortures sont venues, que le bourreau ne termine point, que la
sentence de condamnation ne limite point, que la mort ne console point, des tortures qui
ne laissent pas facilement le patient aller recevoir sa couronne, mais qui le tourmentent
jusqu'à ce qu'elles le fassent tomber, à moins que, sauvé par la Bonté divine, on ne
tire avantage des tourments eux-mêmes, en obtenant la gloire, non par la fin du supplice,
mais par une prompte mort.
Nous souffrons ces maux par notre faute et selon nos mérites; la divine censure nous a
prévenus : "S'ils abandonnent ma loi et ne marchent pas selon mes ordonnances,
s'ils violent mes préceptes et n'observent pas mes commandements, Je visiterai, la verge
à la main, leurs oeuvres perverses, et Je punirai leurs iniquités à coups de
fouet". (Ps 88,31-33). Nous sentons donc la morsure des fouets et des verges parce
que nous n'apaisons pas Dieu par nos bonnes actions, et que nous ne Lui offrons pas de
satisfaction pour nos péchés. Implorons cependant du fond du coeur de toute notre âme,
la Miséricorde de Dieu, car Il ajoute : "Mais, pour ma Miséricorde, Je ne la
leur retirerai point". (Ps 88,34). Demandons et nous recevrons; et, si nous sommes
quelque temps sans recevoir et que cela traîne, à cause de la gravité de nos fautes,
frappons, car on ouvre à celui qui frappe, à une condition pourtant : c'est qu'à
la porte frappent avec insistance, prières, gémissements et larmes, et qu'enfin notre
prière parte de coeurs unis.
En effet, et c'est ce qui m'a engagé surtout et poussé à vous écrire, vous saurez que
le Seigneur daignant Se manifester à nous, il nous a été dit au cours d'une
apparition : "Demandez, et vous recevrez". Puis, avis fut donné au peuple
présent de prier pour certaines personnes déterminées. Mais, dans la prière, il y eut
des paroles et des sentiments qui ne s'accordaient point, et cela déplut fort à celui
qui avait dit : "Demandez, et vous recevrez", de voir que le peuple
chrétien n'était pas à l'unisson et qu'on ne trouvait point parmi les frères unité de
vues, ni simplicité et union des coeurs. Il est écrit cependant : "Dieu qui
fait habiter dans une maison à eux, ceux qui s'entendent". (Ps 67,7). Nous lisons
aussi dans les Actes des Apôtres : "La multitude des croyants n'avait qu'un
coeur et qu'une âme";(Ac 4,32) et le Seigneur nous a instruits de sa propre
Bouche : "Le commandement que Je vous donne, dit-Il, c'est de vous aimer les uns
les autres", (Jn 15,17) et encore : "Je vous le déclare, si deux d'entre
vous sont d'accord sur la terre pour demander quelque chose, elle leur sera accordée,
quelle qu'elle soit, par mon Père qui est dans les cieux". (Mt 18,19). Que si deux
fidèles qui s'accordent ont tant de pouvoir, que serait-ce si tous s'accordaient. Si tous
les frères s'entendaient conformément aux instructions de paix que le Seigneur nous a
données, il y a longtemps que nous aurions obtenu de la divine Bonté ce que nous
demandons, et nous ne serions pas si longtemps ballottés au milieu d'épreuves qui
mettent en péril notre salut et notre foi. Que dis-je ? les maux présents ne se seraient
pas abattus sur la communauté, si les frères n'avaient eu qu'un coeur et qu'une âme.
En effet, on a vu encore le Père de famille assis sur son siège, ayant à sa droite un
jeune homme. Ce jeune homme, anxieux, un peu triste, et comme mécontent, était assis, se
tenant le menton avec la main, d'un air affligé. Un autre, qui était à gauche, portait
un filet qu'il semblait sur le point de lancer pour prendre les gens qui étaient tout
autour. Comme celui qui avait cette vision se demandait ce que cela voulait dire, il lui
fut répondu que le jeune homme qui était ainsi assis à droite était triste et affligé
parce qu'on n'observait pas ses préceptes, tandis que celui qui était à gauche se
réjouissait parce que l'occasion lui était fournie d'obtenir du père de famille la
permission de sévir. Cette apparition fut de longtemps antérieure à l'éclosion de la
présente tempête dévastatrice, et nous en voyons l'accomplissement : tandis que
nous méprisons les ordres du Seigneur, que nous n'observons pas les prescriptions
salutaires de la loi qui nous a été donnée, l'ennemi a obtenu le droit de nous faire du
mal, de jeter son filet et d'en envelopper ceux qui sont moins armés, ou moins sur leurs
gardes pour repousser ses attaques.
Prions donc avec insistance et ne cessons de gémir. Car ce reproche aussi, mes très
chers frères, nous a été fait, il n'y a pas longtemps, dans une vision, que nous sommes
somnolents dans nos prières, et que nous ne parlons pas à Dieu comme des gens qui
veillent. Et Dieu alors, qui aime celui qu'Il reprend, quand Il reprend quelqu'un ne le
reprend que pour l'encourager, ne le corrige que pour le sauver. Secouons donc et brisons
les liens du sommeil, et prions avec insistance et attention, selon le précepte de
l'apôtre Paul : "Persévérez dans la prière, et veillez en priant". En
effet, les apôtres ne cessaient pas de prier le jour et la nuit, et le Seigneur
Lui-même, notre Maître, a prié fréquemment et veillé dans la prière, comme nous le
lisons dans l'évangile : "Il alla prier sur la montagne, et il passait la nuit
à invoquer Dieu". (Lc 6,12). A coup sûr, quand Il faisait tant que de prier,
c'était pour nous, puisqu'Il n'était pas personnellement pécheur, mais portait
seulement nos péchés. Et il est si vrai que c'était pour nous, qu'Il s'efforçait
d'apaiser son Père, que nous lisons en un autre endroit : "Et le Seigneur dit
à Pierre : Voici que Satan a demandé à vous secouer comme le froment; mais moi
J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point". (Lc 22,31). C'est pour nous
et pour nos péchés qu'Il peine et veille, et prie : quelle raison de plus pour nous
de persévérer dans les prières et les supplications, et d'invoquer d'abord le Seigneur
Lui-même, puis, par Lui, de donner satisfaction à Dieu le Père ! Nous avons pour avocat
et pour intercesseur pour nos péchés Jésus Christ notre Seigneur et notre Dieu, à une
condition toutefois : c'est que nous regrettions d'avoir péché dans le passé, et
que, confessant nos transgressions, qui nous rendent actuellement désagréables au
Seigneur, pour l'avenir du moins nous promettions de marcher dans ses voies et de
respecter ses commandements. Notre Père nous corrige et nous protège, à condition que
nous restions fidèles, et qu'au milieu des tribulations et des persécutions nous nous
tenions fermement attachés à son Christ. Il est écrit : "Qui nous séparera
de l'amour du Christ ? la tribulation ? la détresse ? la faim ? la nudité ? le danger ?
le glaive ?" (Rom 8,35). Rien de tout cela ne peut séparer de lui ceux qui croient
en Lui, rien ne peut arracher à son Corps, et à son Sang ceux qui y sont attachés.
Cette persécution n'est qu'un moyen de sonder notre coeur. Dieu a voulu que nous fussions
secoués et éprouvés, comme il a de tout temps éprouvé ceux qui Lui appartiennent,
sans que jamais, au cours de ces épreuves, le secours ait manqué à ceux qui croient en
Lui.
Enfin, au moindre de ses serviteurs, charge de fautes nombreuses et indigne de sa
considération, Il a daigné, dans sa Bonté pour nous, envoyer un message :
"Faites lui savoir, a-t-il dit, d'être tranquille parce que la paix va venir; s'il y
a un peu de délai, c'est parce qu'il y a encore quelques chrétiens à mettre à
l'épreuve". La divine Bonté daigne aussi nous recommander la sobriété dans le
boire et le manger, de peur que notre coeur, maintenant animé d'une vigueur céleste, ne
se laisse énerver par les douceurs du siècle, ou que notre âme, appesantie par une trop
grande abondance d'aliments, ne soit plus autant en éveil pour la prière.
Je ne devais pas cacher ces faits, et en garder la connaissance pour moi seul, puisque
chacun de nous peut en profiter pour sa gouverne. Vous-mêmes enfin, vous ne devrez pas
les tenir secrets, mais en faire passer le récit aux frères pour qu'ils le lisent.
Arrêter en effet les avertissements dont le Seigneur daigne nous favoriser; serait le
fait de celui qui ne veut pas que son frère soit instruit et averti. Qu'ils sachent donc
que nous sommes mis à l'épreuve par notre Maître, et que la foi qui leur a fait croire
en Lui ne défaille pas dans le choc de la tribulation présente. Que chacun,
reconnaissant ses fautes, se dépouille maintenant du moins des oeuvres du vieil homme.
"Quiconque regarde derrière soi, après avoir mis la main à la charrue, n'est point
fait pour le royaume de Dieu." (Lc 9,62). Enfin la femme de Loth, délivrée du
danger, ayant, contre la défense qui lui en avait été faite, regardé en arrière, se
perdit. Tournons notre attention, non vers ce qui est derrière, où le diable nous
rappelle, mais vers ce qui est devant, où le Christ nous appelle. Levons les yeux vers le
ciel, afin que la terre ne nous prenne pas avec ses appâts et ses charmes. Que chacun
invoque Dieu, non pour soi seulement, mais pour tous les frères. C'est la manière dont
le Seigneur nous a appris à prier. Il ne recommande pas à chacun une prière privée,
mais Il nous ordonne de prier pour tous d'une prière commune, et d'un commun accord. Si
le Seigneur nous voit humbles et calmes, unis les uns aux autres, redoutant sa colère,
corrigés et amendés par la tribulation présente, Il nous mettra à couvert des attaques
de l'ennemi. L'avertissement a précédé, le pardon suivra.
Nous, cependant, ne cessons pas de demander et d'espérer recevoir. D'un coeur droit et
d'un commun accord, supplions le Seigneur, L'implorant avec des gémissements et des
larmes, comme doivent l'implorer des gens qui sont entre des malheureux abattus qui se
frappent la poitrine et des fidèles qui craignent de succomber à leur tour, entre une
foule de blessés qui sont par terre, et un petit nombre qui tient bon. Demandons que la
paix nous soit promptement rendue, que le secours vienne qui dissipe nos ténèbres et nos
périls, que les changements annoncés par Dieu se produisent : la restauration de
son Église, la sécurité de notre salut; après les ténèbres la lumière, après les
orages et les tempêtes la douce sérénité. Demandons-Lui que son Affection paternelle
vienne à notre secours, qu'Il opère les merveilles de sa Puissance, afin que les
blasphèmes orgueilleux des persécuteurs soient confondus, que ceux qui sont tombés se
soumettent à une pénitence plus régulière, et que la foi ferme et constante de ceux
qui persévèrent soit glorifiée. Je souhaite, mes très chers frères, que vous vous
portiez toujours bien, et que vous vous souveniez de nous. Saluez les frères en mon nom,
et priez-les de se souvenir de nous. Adieu.
LETTRE 12
CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT
Quoique je sache bien, mes très chers frères, que mes lettres vous ont fréquemment
recommandé de veiller avec zèle sur ceux qui ont glorieusement confessé le Seigneur et
qui sont en prison, cependant j'insiste encore auprès de vous afin que rien ne manque au
point de vue des soins à ceux a qui rien ne manque au point de vue de la gloire. Plût à
Dieu que le rang que j'occupe me permit d'être présent là-bas : c'est de grand
coeur qu'accomplissant mon ministère ordinaire je remplirais auprès de nos chers frères
tous les bons offices de la charité. Que du moins vos bons soins me remplacent et fassent
ce qu'il convient de faire à l'égard de ceux que la divine Bonté a honores pour la foi
et le courage qu'ils ont montré. Les corps mêmes de ceux qui, sans avoir été
martyrisés, meurent en prison et sortent ainsi glorieusement de ce monde doivent être
aussi l'objet d'une vigilance particulière et de soins spéciaux. La vaillance de ces
confesseurs et leur gloire ne sont pas moindre que celle des martyrs et, par conséquent,
il n'y a point de raison de ne pas les joindre à leur troupe bienheureuse. En ce qui les
concerne, ils ont enduré tout ce qu'ils étaient prêts à endurer. Celui qui s'est
offert aux tourments et à la mort, aux regards de Dieu, a souffert en réalité tout ce
qu'il a accepté de souffrir. Ce n'est pas lui qui a manqué aux supplices, ce sont les
supplices qui lui ont manqué : "Celui qui m'aura confessé devant les hommes Je
le confesserai, à mon tour, devant mon Père", (Mt 10,32) dit le Seigneur. Ils l'ont
confessé. "Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé." (Mt
10,22). Ils ont persévéré, et, jusqu'à la fin, sans défaillance et sans tache, ils
ont soutenu les mérites de leur courage. Il est encore écrit : "Soyez fidèle
jusqu'à la mort et Je vous donnerai la couronne de vie". (Ap 2,10). Jusqu'à la
mort, ils sont restés fidèles, inébranlables, invincibles. Quand à la volonté de
confesser le Christ et à la confession même s'ajoute la mort dans la prison et dans les
chaînes, la gloire du martyre est consommée.
Enfin, tenez note des jours ou ils sortent de ce monde, afin que nous puissions joindre
leur mémoire à celles des martyrs. D'ailleurs, Tertullus, notre frère si dévoué et si
fidèle, au milieu des sollicitudes que lui imposent les services de tout genre qu'il rend
aux frères, ne manque pas de s'occuper aussi des corps de ceux qui meurent là-bas. Il
m'a écrit et me fait connaître les jours où nos bienheureux prisonniers passent à
l'immortalité par une mort glorieuse et nous offrons ici, en leur mémoire, des oblations
et des sacrifices que bientôt, avec la Protection de Dieu, nous célébrerons là-bas
avec vous.
Que les pauvres aussi, comme je vous l'ai souvent écrit, fassent l'objet de vos soins,
j'entends ceux qui, debout encore et combattant courageusement avec nous, n'ont pas
abandonné le camp du Christ. Nous leur devons d'autant plus d'affection et de soins que
ni la pauvreté n'a pu les réduire, ni la tourmente de la persécution les abattre et
que, servant fidèlement le Seigneur, ils ont donné un exemple de foi aux autres pauvres.
Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien
et que vous vous souveniez de nous. Saluez de ma part la communauté des frères. Adieu.
LETTRE 13
CYPRIEN AU PRETRE ROGATIANUS ET AUX AUTRES FRERES QUI ONT CONFESSÉ LA FOI. SALUT.
Déjà antérieurement, frères très chers et très vaillants, je vous avais écrit
pour exalter votre foi et votre courage, et maintenant de nouveau ma lettre a pour objet
principal de venir joyeusement célébrer encore et sans cesse votre nom glorieux.
Qu'est-ce, en effet, qui pourrait me paraître ou plus grand ou meilleur que de voir votre
gloire de confesseurs rayonner sur le troupeau du Christ ? Tous les frères doivent s'en
réjouir, mais, dans la joie commune, la part de l'évêque est plus grande. L'honneur
d'une Église est l'honneur de son chef. Autant nous pleurons sur ceux que la tempête
ennemie a fait tomber, autant nous sommes heureux à cause de vous que le démon n'a pu
vaincre.
Nous vous exhortons cependant, par notre commune foi, par la charité vraie qui est dans
notre coeur, à prendre soin, vous qui avez vaincu l'ennemi dans ce premier engagement, de
soutenir votre gloire avec un ferme et persévérant courage. Nous sommes encore dans le
siècle, encore sous les armes, combattant encore tous les jours pour notre vie. Il faut
donner vos soins à ce que ces débuts soient suivis de progrès et que de si heureux
commencements trouvent leur consommation. C'est peu d'avoir su acquérir quelque
chose : il est plus important de savoir conserver ce qu'on a acquis; ce n'est pas un
résultat obtenu qui sauve aussitôt l'homme, mais le succès final. Le Seigneur nous
l'apprend avec l'autorité de son enseignement, quand Il dit : "Te voilà
guéri, à l'avenir ne pèches plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de
pire". (Jn 5,14). Pensez qu'Il tient le même langage à celui qui l'a
confessé : "Vous voilà confesseur : ne péchez plus, de peur qu'il ne
vous arrive quelque chose de moins bon". Salomon et Saul et beaucoup d'autres, quand
ils n'ont plus su se maintenir dans les voies du Seigneur, n'ont pu conserver la grâce
qui leur avait été donnée; comme ils s'écartaient des enseignements du Seigneur la
grâce du Seigneur s'est écartée d'eux.
Nous devons persévérer dans le chemin étroit de l'honneur. Tous les chrétiens doivent
se montrer irréprochables, vivant dans le calme, la simplicité et la paix, selon la
parole du Seigneur, qui ne regarde que ceux qui sont humbles, paisibles, ayant la crainte
de ses enseignements. A plus forte raison la pratique de ces vertus s'impose à des
confesseurs qui, comme vous, sont devenus l'exemple de leurs frères, et dont les moeurs
doivent être proposées comme un modèle à la conduite des autres. De même que les
Juifs se sont aliéné la Bienveillance divine, parce qu'à cause d'eux le Nom de Dieu est
blasphémé parmi les nations, de même, mais en raison inverse, ceux-là sont chers à
Dieu, dont la bonne conduite fait louer son Nom. On lit en effet dans l'Écriture cet
avertissement du Maître : "Que votre lumière brille devant les hommes afin
qu'ils voient que vos oeuvres sont bonnes et qu'ils glorifient votre Père qui est dans
les cieux." (Mt 5,16). L'apôtre Paul dit aussi : "Brillez comme des
luminaires dans le monde". (Ph 2,15). Et Pierre fait la même exhortation :
"Comme des étrangers et des voyageurs, abstenez-vous des désirs charnels qui
combattent contre l'esprit, tenant une bonne conduite parmi les Gentils, afin que, s'ils
sont tentés de vous critiquer, ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient le
Seigneur". (1 Pi 2,11-12). C'est ce que la plupart d'entre vous observent à ma
grande joie : devenus meilleurs pour avoir glorieusement confessé le Christ, ils
gardent leur gloire par une vie d'ordre et de vertu.
Mais j'entends dire que quelques-uns parmi vous font tache dans la masse et rabaissent
l'honneur de la majorité par leur mauvaise conduite. Vous qui avez à coeur de conserver
votre bon renom, vous devez les exhorter, les retenir et les corriger. Quelle honte pour
votre nom s'attache aux fautes commises lorsque l'un se montre, au pays, en état
d'ivresse et faisant des folies, tandis qu'un autre banni de sa patrie y revient pour s'y
faire prendre et y périr, non comme chrétien, mais comme violateur des lois. J'entends
dire que certains s'enflent d'orgueil, alors qu'il est écrit : "Ne
t'enorgueillis pas, mais crains. Si le Seigneur n'a pas épargné les branches naturelles,
il pourrait ne pas t'épargner non plus". (Rom 11,20-21). Notre-Seigneur "S'est
laissé conduire comme une brebis à l'immolation et, comme un agneau qui se laisse tondre
sans bêler, il n'a pas ouvert la bouche". (Is 53,7). "Je ne suis pas, dit-il,
entêté et je ne contredis point. J'ai présenté mon dos aux fouets et ma figure aux
soufflets. Et je n'ai pas détourné mon visage des outrages et des crachats." (Ez
50,5-6). Qui donc, vivant en Lui et par Lui, ose s'élever et s'enorgueillir, oubliant
tout à la fois et les actes qu'Il a faits et les préceptes qu'Il nous a donnés par
Lui-même et par ses apôtres ? Que si "le serviteur n'est pas au-dessus du
maître", (Jn 15,20) que ceux qui suivent le Seigneur marchent sur ses traces avec
humilité, avec calme, en silence. Car celui qui aura été inférieur deviendra
supérieur. Le Seigneur dit en effet : "Celui qui aura été le plus petit parmi
vous, celui-là sera grand". (Lc 9,48).
Qu'est-ce encore que cet autre mal, et combien détestable, que nous avons appris avec la
plus grande douleur : il s'en trouve parmi vous qui souillent, par une promiscuité
infamante, un corps qui était le temple de Dieu, et des membres que la confession du
Seigneur avait sanctifiés davantage et illuminés de nouveau; ils n'hésitent pas à
coucher dans les locaux ou couchent les femmes. Quand ils n'auraient la conscience
souillée d'aucun commerce impur, c'est déjà un grand crime que de scandaliser et de
donner des exemples pernicieux. Il ne doit pas non plus exister entre vous de luttes ni de
rivalités, car le Seigneur nous a laissé sa paix et il est écrit : "Vous
aimerez votre prochain comme vous-même. Si, au contraire, vous vous dévorez
d'accusations mutuelles, prenez garde que vous ne soyez détruits les uns par les
autres". (Gal 5,14-15). Abstenez-vous aussi, je vous en prie, des outrages et des
injures : car, d'une part, les diseurs d'injures n'entreront pas dans le royaume de
Dieu, et, d'autre part, une langue qui a confessé le Christ doit se conserver pure et
incorruptible et garder son honneur; celui qui n'a que des paroles de paix, de bonté, de
justice, selon le précepte du Christ, celui-là confesse le Christ tous les jours. Nous
avions renoncé au siècle au moment de notre baptême, mais c'est maintenant que nous y
renonçons en vérité, maintenant que, dans l'épreuve, abandonnant tout ce qui nous
appartenait, nous avons suivi le Seigneur, et que nous restons debout et vivants, par la
foi en Lui et la crainte de son Nom.
Fortifions-nous par des exhortations mutuelles et faisons de plus en plus des progrès
dans la vie chrétienne, afin que, quand Celui en qui nous vivons nous aura, dans sa
Miséricorde, donné la paix qu'Il promet de nous donner, nous revenions à notre Église
renouvelés et presque devenus d'autres hommes. Alors, tous, tant nos frères que les
Gentils, nous recevront corrigés et amendés, et après avoir admiré précédemment la
vaillance de notre conduite, ils admireront la belle tenue de nos moeurs.
Bien que notre clergé ait reçu de moi des instructions détaillées, jadis, lorsque vous
étiez encore en prison, et de nouveau tout récemment, afin qu'on vous fournit tout ce
qui pouvait vous être nécessaire soit pour l'habillement soit pour la nourriture,
cependant, j'ai encore pris personnellement sur les menus fonds que j'avais avec moi 250
sesterces * que je vous envoie, (j'en avais envoyé dernièrement 250 autres). Victor,
qui, de lecteur, a été fait diacre et qui est avec moi, vous en a, de son côté,
envoyé 175. Je suis heureux quand j'apprends que nombre de nos frères rivalisent de
dévouement affectueux à votre égard et donnent de leur argent pour soulager vos
nécessités. Je souhaite, mon très cher frère, que vous vous portiez toujours bien.
* Le sesterce valait alors environ 0,27 (en 1928)
LETTRE 14
CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES
J'aurais bien souhaité, mes très chers frères, de pouvoir saluer notre clergé tout
entier sain et sauf. Mais puisque la tempête de la persécution, qui a abattu la plus
grande partie de notre peuple fidèle, a mis le comble à notre douleur en saccageant
aussi une portion de notre clergé, nous demandons à notre Seigneur que vous, du moins,
que nous savons demeurés fermes dans la foi et la vertu, nous puissions plus tard vous
saluer toujours debout grâce à la divine Miséricorde. Bien que j'eusse des raisons
pressantes d'aller en personne près de vous, d'abord par désir et impatience de vous
revoir (ce qui est le plus ardent de mes voeux), ensuite pour que nous fussions en mesure
d'étudier en commun ce que demande le gouvernement de l'Église, et, après l'avoir
examiné tous ensemble, d'en décider exactement, cependant, il m'a paru préférable de
rester encore caché provisoirement pour ménager des intérêts qui ne me sont point
personnels, mais qui ont trait à la paix commune et à notre salut à tous. Sur cela
Tertullus, notre très cher frère, vous donnera des explications. C'est lui qui, avec le
dévouement empressé qu'il apporte d'ailleurs au service de la cause de Dieu, m'a encore
donné le conseil d'être prudent et circonspect, et de ne point témérairement m'exposer
en public, surtout dans un endroit où j'avais été tant de fois réclamé pour le
supplice et recherché.
Comptant donc sur votre affection et votre esprit religieux, que je connais bien, je vous
exhorte par la présente lettre et vous invite à veiller, vous dont la présence là où
vous êtes n'excite aucune colère, et ne comporte guère de dangers, à tenir ma place
pour faire ce que le service de la religion réclame. Que l'on ait toujours, dans la
mesure et de la façon qu'il sera possible, soin des pauvres, j'entends de ceux qui,
debout dans une inébranlable fermeté de foi, n'auraient pas quitté le troupeau du
Christ; que par vos Soins, les secours nécessaires pour supporter leur indigence leur
soient fournis, de peur que ce que leur foi les a empêchés de faire sous l'effort de la
tempête, sous l'empire du besoin la nécessité le leur fasse faire. Que les confesseurs
glorieux soient aussi l'objet de soins particuliers. Je sais que la sympathie et l'amitié
des frères se sont chargées de la plupart d'entre eux. S'il en est pourtant qui manquent
de vêtements ou de ressources, conformément à ce que je vous avais écrit, alors qu'ils
étaient encore en prison, qu'on leur fournisse ce dont ils ont besoin. Mais qu'en même
temps ils apprennent de vous, et se mettent bien dans l'esprit ce que, d'après
l'enseignement des Écritures; la discipline ecclésiastique demande : c'est à
savoir qu'ils doivent être humbles, modestes, paisibles, garder l'honneur de leur nom,
afin que glorieux par le témoignage de leur bouche, ils soient glorieux aussi par leurs
moeurs, et se rendent dignes, en servant bien le Seigneur en toutes choses, de mettre le
comble à leur gloire, et de parvenir à la céleste couronne. Il leur reste plus à faire
qu'ils n'ont déjà fait, car il est écrit : "Ne louez personne avant la
mort"; (Ec 11,30) et encore : "Soyez fidèle jusqu'à la mort, et je vous
donnerai la couronne de vie"; (Ap 2,10) et le Seigneur Lui-même dit :
a"Celui qui aura souffert jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé". (Mt 1022).
Qu'ils imitent le Seigneur qui, lorsque le temps de sa passion approchait, ne se montra
pas plus fier mais plus humble. C'est alors qu'Il lava les pieds de ses disciples en
disant : "si Je vous ai lavé les pieds, Moi qui suis votre Maître et Seigneur,
vous devez, vous aussi, laver les pieds des autres. Car Je vous ai donné l'exemple, afin
que ce que J'ai fait pour vous, vous le fassiez pour les autres". (Jn 13,14-15).
Qu'ils imitent aussi l'apôtre Paul qui, après la prison plusieurs fois subie, après le
fouet, après les bêtes, demeura en tout doux et humble, et mêmes après le troisième
ciel et le paradis, ne montrait aucune arrogance. "Je n'ai, disait-il, mangé
gratuitement le pain de personne, mais j'ai travaillé et me suis fatigué, peinant le
jour et la nuit, pour n'être à charge à aucun d'entre vous." (2 Th 3,8).
Ces enseignements, je vous en prie, faites-les pénétrer dans I'esprit de nos frères.
Parce que celui-là sera élevé qui se sera abaissé, il y a lieu pour eux maintenant de
redouter davantage les embûches de l'adversaire, qui attaque d'autant plus qu'on est plus
fort, et qui, plus acharné à cause de sa défaite, s'efforce de vaincre son vainqueur.
Le Seigneur fera que moi aussi je les pourrai voir et disposer leurs âmes à conserver
leur gloire. Je souffre, en effet, quand j'entends dire que certains parmi vous courent
ça et là sans mesure ni retenue, passent le temps à des frivolités ou à des
querelles, souillent en eux-mêmes, en dormant dans une promiscuité irrégulière, des
membres du Christ, qu'ils ont confessé, et ne se laissent pas conduire par les prêtres
et les diacres, mais font si bien que les moeurs perverses de quelques-uns déshonorent la
gloire de beaucoup de bons confesseurs. Ils devraient craindre, au contraire, qu'ils ne
soient condamnés par leur jugement et leur témoignage et privés de leur société.
Celui-là seul, en effet, est un confesseur glorieux et véritable, dont l'Église, par la
suite, n'a point à rougir, mais dont elle reste fière.
Quant à ce que m'ont écrit nos confrères dans le sacerdoce, Donatus, Fortunatus,
Novatus et Gordianus, je n'ai pu y répondre tout seul, m'étant fait une règle, dès le
début de mon épiscopat, de ne rien décider sans votre conseil et sans le suffrage du
peuple, d'après mon opinion personnelle. Quand par la grâce de Dieu je serai retourné
près de vous, alors, en commun, comme le veut la considération que nous avons les uns
pour les autres, nous traiterons de ce qui a été fait ou qui est à faire. Je souhaite,
frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien, et que vous
vous souveniez de moi. Saluez bien de ma part les frères qui sont près de vous et
recommandez-moi à leur souvenir. Adieu.
LETTRE 15
CYPRIEN AUX MARTYRS ET CONFESSEURS SES TRES CHERS FRERES, SALUT.
La sollicitude épiscopale et la crainte de Dieu me pressent, très courageux et très
heureux martyrs, de vous rappeler par cette lettre que ceux qui conservent avec tant de
dévouement et de courage leur foi au Seigneur doivent en même temps observer aussi sa
loi et sa discipline. Si tous les soldats du Christ doivent garder les commandements de
leur général, à plus forte raison l'obéissance à ses commandements s'impose-t-elIe à
vous plus qu'à personne, à vous qui êtes devenus pour les autres le modèle du courage
et de la crainte de Dieu. Je pensais, à la vérité, que les prêtres et les diacres qui
sont près de vous vous avertissaient et instruisaient pleinement de la loi évangélique,
comme cela s'est toujours fait dans le passé sous nos prédécesseurs : les diacres
alors allaient à la prison et les martyrs réglaient leurs demandes sur leurs conseils et
les préceptes des Écritures. Mais, maintenant, j'éprouve la plus grande des peines, en
apprenant que, non seulement on ne leur suggère pas de se conformer aux préceptes
divins, mais encore qu'on les en empêche plutôt. Ainsi, ce qui est fait par vous, au
regard de Dieu avec prudence, avec déférence au regard de son pontife, est annulé par
certains prêtres, qui ne tiennent compte ni de la crainte de Dieu, ni de l'honneur de
l'évêque. Vous m'avez envoyé une lettre, où vous demandiez qu'on examinât vos désirs
et qu'on donnât la paix à certains lapsi, lorsque la fin de la persécution nous aura
permis de nous rapprocher et de nous réunir; et eux, contre la loi de l'évangile, contre
votre demande déférente à mon égard, avant toute pénitence, avant la confession de la
plus grande et de la plus grave des fautes, avant l'imposition des mains par l'évêque et
le clergé pour la réconciliation, ils ne craignent pas d'offrir le sacrifice pour eux et
de leur donner l'eucharistie, c'est-à-dire de profaner le Corps sacré du Seigneur;
l'Écriture dit, en effet : "Celui qui mangera le pain; ou qui boira le calice
du Seigneur indignement, aura à répondre du Corps et du Sang du Seigneur". (1 Cor
11,27).
Les lapsi, à la vérité, sont excusables en ce point. Qui donc n'aurait hâte de passer
de la mort à la vie ? Qui ne s'empresserait de recouvrer la santé ? Mais c'est le devoir
des chefs de s'en tenir à la règle, et d'instruire l'empressement ou l'ignorance, de
peur qu'au lieu d'être des pasteurs, comme ils le doivent, ils ne deviennent des
bouchers. Accorder à quelqu'un ce qui doit tourner à sa ruine, c'est le tromper. On ne
relève pas celui qui est tombé en procédant ainsi, mais plutôt, avec une offense faite
à Dieu, on le pousse vers le précipice. Que par vous, du moins, ils soient instruits,
eux qui auraient dû enseigner; qu'ils réservent vos demandes et vos désirs à la
décision de l'évêque, attendant un temps propice où leur soit accordée la
réconciliation que vous sollicitez. Ainsi, la paix aura d'abord été donnée par notre
Seigneur à la mère; et alors on examinera la question de la paix à donner aux fils,
selon les désirs exprimés par vous.
J'apprends, d'autre part, que quelques-uns vous pressent sans vergogne et que votre
modestie souffre violence. Je vous prie, en conséquence, aussi instamment que je le puis
faire, de vous souvenir de l'évangile, et de considérer attentivement ce qui a été
accordé dans le passé par les martyrs vos prédécesseurs, et quelle a été leur
circonspection en toutes choses; je vous demande de peser vous aussi avec soin et prudence
les désirs exprimés, d'examiner, comme des amis de Dieu, destinés à être un jour des
juges avec Lui, et la conduite, et les oeuvres, et les mérites de chacun, de faire aussi
entrer en ligne de compte la nature et la qualité des fautes. Il ne faut pas que notre
Église, parce que quelque chose se trouverait avoir été précipitamment ou mal à
propos promis par vous, ou réglé par nous, ait à rougir devant les Gentils eux-mêmes.
Nous sommes visites en effet, et repris fréquemment, et avertis de veiller à
l'observation sans défaillance des commandements du Seigneur. J'apprends d'ailleurs que
cela n'a pas cessé non plus chez vous, et que la divine censure en avertit un bon nombre
d'observer la discipline de l'Église. Cela se peut faire, si vous réglez sur un examen
religieusement attentif l'octroi des demandes qui vous sont adressées, sachant
reconnaître et réprimer ceux qui font acception de personnes dans la distribution de vos
bienfaits et y cherchent l'occasion d'une complaisance ou celle d'un trafic illicite.
J'ai écrit, à ce sujet, au clergé et au peuple deux lettres, et j'ai mandé qu'on vous
les fît lire l'une et l'autre. Mais il y a encore une autre chose que vous devez régler,
et corriger avec le soin que vous apportez en tout : c'est de désigner nommément
ceux à qui vous désirez qu'on donne la paix. J'apprends, en effet, que certains
reçoivent des billets conçus ainsi : "La communion pour lui et les
siens". Jamais les martyrs n'ont fait cela, et ne se sont exposés à ce qu'une
demande obscure et imprécise nous rende odieux dans l'avenir. La formule est large, qui
dit : "Lui et les siens" et l'on peut nous présenter des vingtaines, des
trentaines et plus, de personnes qui affirment être les proches, les alliés, les
affranchis, les cohabitants de celui qui a reçu le billet. Voilà pourquoi je vous prie
de recommander ceux que vous voyez vous-mêmes, que vous connaissez, dont vous savez
qu'ils ont accompli une grande partie de leur pénitence, et de les désigner nommément
dans le billet : de cette façon, les lettres que vous nous enverrez ne donneront pas
atteinte à la foi et à la discipline Je souhaite, frères très vaillants et très
chers, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez de
nous. Adieu.
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