Matthieu 26,36-51

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HOMÉLIE LXXXIII.

« APRÈS CELA JÉSUS S’EN VINT EN UN LIEU APPELÉ GETHSEMANI, ET DIT A SES DISCIPLES: ASSEYEZ-VOUS ICI PENDANT QUE J’IRAI LA POUR PRIER. PUIS PRENANT AVEC LUI PIERRE ET LES DEUX FILS DE ZÉBÉDÉE, IL COMMENÇA D’ÊTRE DANS LA TRISTESSE ET DANS L’ABATTEMENT; ET ALORS IL LEUR DIT : MON ÂME EST TRISTE JUSQU’À LA MORT, DEMEUREZ ICI ET VEILLEZ AVEC MOI ». (CHAP. XXVI, 36, 37, 38, JUSQU’AU VERSET 51.)

ANA LYSE.

1. Jardin de Gethsemani, prière, agonie du Sauveur. — Sommeil des disciples.

2. Judas accomplit son crime.

3 et 4. Contre les avares — À quels excès de cruauté l’avarice porte les âmes qu’elle possède. — Que c’est inutilement que les riches cherchent de beaux ameublements. — Combien les maisons des pauvres sont préférables à celles des grands. — Que nous devons imiter Jésus-Christ dans l’amour qu’il a témoigné de la pauvreté.


 

1.Comme ces trois disciples étaient plus attachés à Jésus-Christ que tous les autres, il les prend avec lui, et il leur dit : « Asseyez-vous ici pendant que j’irai là pour prier ». C’était son habitude de se retirer à l’écart pour prier: il le faisait pour nous apprendre à chercher, par son exemple, le repos et la tranquillité, lorsque nous nous appliquons à la prière. li choisit donc ces trois disciples pour être près de lui, et il leur dit: « Mon âme est triste (40) «jusqu’à la mort ». Pourquoi ne mène-t-il pas aussi tous les autres? C’est parce qu’il craignait qu’ils ne tombassent dans l’abattement en le voyant dans une si grande tristesse. Il ne voulut en rendre témoins que ceux qui avaient vu sa gloire sur la montagne , et alors même il les laissa un peu loin de lui.

« Et s’en allant un peu plus loin, il se prosterna le visage contre terre, priant et disant: Mon Père, s’il est possible que ce calice passe «loin de moi; toutefois, non ma volonté, mais la vôtre (39). Ensuite étant venu vers ses disciples, et les ayant trouvés qui dormaient, il dit à Pierre : Quoi! vous n’avez pu veiller une heure avec moi (40)? Veillez et priez, afIn que vous ne tombiez point dans la tentation : l’esprit est prompt, mais la chair est faible (44) ». Ce n’est pas sans sujet qu’il s’adresse particulièrement à saint Pierre, quoique les autres fussent aussi endormis que lui. Il voulut le piquer ainsi par la raison que nous avons déjà rapportée, et lui reprocher sa tiédeur après tant de protestations qu’il avait faites de mourir pour lui. Mais comme tous les autres disciples avaient dit aussi bien que saint Pierre qu’ils mourraient plutôt que de le renoncer : « Tous ses disciples », dit l’Evangile, « dirent la même chose »; après avoir fait ce reproche en particulier à saint Pierre, il leur parle à tous pour leur représenter leur faiblesse, à eux qui, après avoir promis de mourir même avec lui, ne peuvent pas veiller durant une heure pour prendre part à la profonde tristesse de leur maître. Ils se laissent abattre de sommeil pendant que Jésus-Christ était dans une agonie qui faisait sortir une sueur de sang de tout son corps.

Le Fils de Dieu, mes frères, permit cette sueur si extraordinaire, afin qu’on reconnût visiblement que cette tristesse n’était point une fiction , et que les hérétiques ne pussent dire qu’il n’était triste qu’en apparence. Ce fut pour la même raison qu’un ange lui apparut pour le fortifier, et qu’il donna d’autres preuves si convaincantes de la crainte dont il était saisi, qu’il n’y a point de personne raisonnable qui les puisse faire passer pour un jeu et pour une feinte. Sa prière s’explique encore par les mêmes principes. Cette parole : « Que ce calice, s’il se peut, s’éloigne de moi », montre l’humanité; mais celle-ci : « Néanmoins, non ma volonté, mais la vôtre », fait voir la résignation d’une âme forte et vertueuse et nous apprend à obéir à Dieu en dépit des répugnances de la nature.

Comme il n’eût pas suffi pour instruire des esprits peu intelligents, de leur montrer seulement un visage empreint de tristesse, Jésus-Christ y joint des paroles. D’un autre côté, comme une démonstration en paroles eût été insuffisante aussi, si elle n’eût été appuyée d’une démonstration par les faits, Jésus-Christ unit les faits aux paroles afin de convaincre les plus opiniâtres qu’il s’est fait homme et qu’il est mort réellement. Si, malgré tant de preuves convaincantes, l’incrédulité de quelques-uns subsiste encore sur ce point, quelle n’est pas été cette incrédulité en l’absence de ces preuves ! Ainsi remarquez, mes frères, en combien de manières Jésus-Christ prouve, et par ses paroles et par ses actions, la vérité de la chair et de l’humanité qu’il a prise.

« Il vient donc à Pierre », et lui dit: « Quoi! vous n’avez pu veiller une heure avec moi»? Ils dormaient tous, et il ne reprend que Pierre, pour lui reprocher sans doute cette présomption avec laquelle il venait de protester qu’il mourrait plutôt que de le renoncer jamais. Ce mot «avec moi » n’est pas mis non plus au hasard et il a bien aussi sa portée. C’est comme si le Sauveur disait: Vous n’avez pu veiller une heure avec moi, et vous pourriez mourir pour moi? On trouve encore la même intention et la même allusion dans ce qui suit : « Veillez et priez afin que vous ne tombiez point dans « la tentation ». Il s’efforce par cet avis de les délivrer de la vanité, et de leur ôter cette enflure d’une vaine présomption pour leur inspirer l’humilité et la contrition du coeur, en leur apprenant qu’ils doivent rendre grâces à Dieu de tout, et lui attribuer le bien qu’ils font.

Cet avertissement, tantôt il l’adresse à saint Pierre, tantôt aux autres en général. Il dit à saint Pierre: « Simon, Simon, Satan a demandé à vous cribler tous comme on crible le froment, mais j’ai prié pour vous ». Et il dit en général aux autres : « Priez afin que vous « n’entriez point dans la tentation ». Ainsi il a soin partout de réprimer leur orgueil, et de les tenir dans la crainte. Mais afin qu’il ne parût pas trop sévère, il adoucit ce qu’il avait dit par cette parole qu’il ajoute : « L’esprit est prompt, mais la chair est faible». Car, encore une vous désiriez mépriser la mort, la (41) chair néanmoins en a tant d’horreur, que vous ne le pourrez faire , si Dieu ne vous assiste de son Saint-Esprit. La même pensée se retrouve encore exprimée plus loin.

« Il s’en alla donc prier encore une seconde fois en disant : « Mon Père , si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonté soit faite(42) ». Il fait voir, dans cette prière, combien il était attaché à la volonté de Dieu, et combien nous devions travailler à nous y rendre conformes. «Il retourna ensuite vers eux, et il les trouva dormant (43) ». Car, outre qu’ils étaient en pleine nuit, « leurs yeux étaient encore appesantis par la tristesse ».

« Et les quittant, il s’en alla encore prier pour la troisième fois, usant des mêmes paroles (44)». Il prie par deux ou trois fois pour prouver qu’il était homme par cette triple prière; car dans l’usage de 1’Ecriture, ces sortes de répétitions sont une marque de vérité. C’est ainsi que Joseph dit à Pharaon : « Pour cet autre second songe qui vous est apparu, ce n’est que pour vous confirmer la vérité du premier ». (Gen, XLI, 32.) Dieu n’a permis cela qu’afin qu’il ne vous restât plus aucun doute. C’est pour cette raison que Jésus-Christ fait ici deux et trois fois la même prière, afin qu’on ne pût douter de la vérité de sa chair.

Mais pourquoi retourne-t-il encore la seconde fois à ses disciples? Pour les reprendre de ce qu’ils étaient tellement plongés dans la tristesse qu’ils ne s’apercevaient même plus de sa présence. Il ne leur fait plus néanmoins de reproche, mais il se retire un peu; montrant quelle était leur faiblesse, puisque même après la réprimande qu’il leur avait faite, ils n’en étaient pas plus vigilants. Et il est à remarquer qu’à la troisième fois il ne les réveille point, et qu’il ne les reprend plus, de peur de les troubler encore davantage : il se retire sans leur parler, et va prier encore, puis retournant à eux, il leur dit : « Dormez maintenant et reposez-vous (45) ». Quoiqu’ils eussent alors plus besoin de veiller que jamais, il leur commande néanmoins de dormir pour leur témoigner qu’ils n’avaient pas même la force d’envisager les maux, et qu’ils fuyaient aussitôt qu’ils en sentaient les approches. Il leur marque encore, en leur ordonnant de dormir alors , qu’il n’avait aucun besoin de leurs secours, pour se délivrer des Juifs, et que de toute nécessité il devait être livré.

« Dormez maintenant et reposez-vous. Voici l’heure qui est proche, et le Fils de l’homme va être livré entre les mains des pécheurs ». Il montre encore par ces paroles qu’il ne lui arrivait rien dans cette rencontre que par une conduite admirable de sa sagesse. Car en disant « qu’il sera livré entre les mains des pécheurs », il montre que sa mort n’était que l’effet de leurs crimes; et qu’ainsi c’était son Père même qui l’abandonnait à la fureur des méchants, quoiqu’il fût l’innocence même.

2. « Levez-vous, allons : Celui qui me doit trahir est bien près d’ici (46) ». Toutes ses paroles ne tendent qu’à faire comprendre à ses disciples que sa passion, sa croix et sa mort ne seraient point un effet de sa faiblesse ou de quelque nécessité dont il ne se pouvait dispenser s’il l’eût voulu; mais seulement l’accomplissement d’un ordre établi de son Père par une providence admirable et auquel il s’était volontairement soumis. Car sachant que celui qui le devait trahir était proche, non-seulement il ne fuit pas, mais il va même au devant de lui. « Il parlait encore, lorsque Judas, un des douze, arriva, et avec lui une grande troupe de gens armés d’épées et de bâtons, qui avaient été envoyés par les princes des prêtres, et par les sénateurs du peuple juif (47) ». Les honorables instruments pour des prêtres! vous l’entendez, ils viennent avec des épées et des bâtons. Et avec eux, dit l’évangéliste, se trouvait Judas, l’un des douze. Il l’appelle encore une fois l’un des douze, la honte ne peut l’empêcher de l’appeler ainsi.

« Or, celui qui le trahissait leur avait donné ce signal. Celui que je baiserai est celui que vous cherchez : Saisissez-vous-en (48) ». Considérez, mes frères, combien ce disciple devait avoir l’âme noire et corrompue pour agir de la sorte. De quels yeux put-il alors regarder son maître? ou de quelle bouche l’osa-t-il baiser? Disciples malheureux, quels sont vos desseins? quelles sont vos pensées? qu’osez-vous entreprendre? Et, quel signal donnez-vous pour livrer votre maître? « Or, celui qui le trahit leur avait donné ce signal : Celui que « je baiserai », dit- il, « est celui que vous cherchez : Saisissez-vous-en (48). Aussitôt, venant à Jésus, il lui dit: Je vous salue, mon maître, et il le baisa (49) ». Il se fiait en la douceur de Jésus-Christ, et il prenait pour marque de sa trahison un signal qui suffisait (42) lui seul pour le confondre et pour le rendre indigne de tout pardon, puisqu’il trahissait un maître qu’il savait lui-même être si bon et si doux. Mais pourquoi donnait-il ce signal aux Juifs? Parce qu’il avait souvent vu que Jésus- Christ était passé sans être reconnu au milieu de ceux qui venaient pour le prendre. Ce qui néanmoins serait encore arrivé cette fois, s’il n’eut voulu se laisser prendre. C’est pour faire comprendre ceci à Judas, qu’il frappa d’aveuglement tous ces hommes. « Qui cherchez-vous » ? leur demanda-t-il; ils ne le connaissaient pas, et cependant ils avaient des lanternes et des flambeaux, et Judas avec eux. Lorsqu’ils eurent répondu « Jésus », il leur dit : « Je suis celui que vous cherchez ». Mais il dit à Judas: « Mon ami, qu’êtes-vous venu faire ici (50)? » Après qu’il a fait voir quelle était sa force et sa puissance, il permet alors qu’on le prenne. Mais saint Luc marque que jusqu’au moment même où Judas commettait une action si noire, Jésus-Christ ne cessait point de l’avertir: « Judas », lui dit-il, « vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser »? Et vous ne rougissez point de vous servir de ce signal pour accomplir votre perfidie? Cependant ce reproche si modéré ne peut retenir ce coeur de pierre. Il le baise, et Jésus-Christ de son côté souffre ce baiser parricide, pour s’abandonner lui-même entre les mains des pécheurs.

« En même temps ils s’avancèrent, ils mirent la main sur Jésus, et se saisirent de lui (50) ». Ils le prirent la nuit même où ils avaient mangé la Pâque, tant ils étaient bouillants d’impatience et de fureur. Toute cette rage néanmoins eût été inutile et sans aucun effet, si Jésus-Christ n’eût permis qu’elle agît sur sa personne : mais cette condescendance du Sauveur n’excuse point la perfidie de Judas. Elle l’augmente au contraire et la redouble, puisque ce traître, ayant tant de preuves de la bonté de son maître, ne laissait pas de le traiter avec une dureté si inhumaine.

Que cet exemple, mes frères, nous inspire de l’horreur pour l’avarice, puisqu’elle inspire cette fureur à Judas, et qu’elle rend cruelles et impitoyables toutes les âmes qu’elle possède. Si l’avare n’épargne pas sa propre vie, comment pourrait-il épargner celle des autres? On le voit tous les jours, cette passion est si furieuse, qu’elle va même au delà de cette rage que l’amour brutal inspire aux âmes dont il se rend maître. Rougissons, mes frères, lorsque nous voyons que tant de gens renoncent aux plaisirs infâmes plutôt par le mouvement de leur avarice, que par l’amour de Jésus-Christ, et par le désir d’être chastes.

Je ne cesserai jamais de parler contre ce vice. Car enfin dans quel dessein amassez-vous tant de richesses? Pourquoi voulez-vous ainsi appesantir votre fardeau? Pourquoi voulez-vous vous rétrécir vos liens, et vous resserrer vos chaînes? Pourquoi voulez-vous vous accabler de nouveaux soins? Croyez si vous voulez que l’or de toutes les mines du monde, et que tout l’argent qui est dans le sein de la terre est à vous. Regardez tout ce qu’il y a dans les trésors publics comme s’il vous appartenait; si tout cela était à vous, qu’en auriez-vous autre chose que l’inquiétude de le garder? Si vous craignez de telle sorte de toucher à ce que vous possédez déjà; si vous le conservez aussi religieusement que s’il appartenait à des étrangers, combien seriez-vous plus avare si vous étiez encore plus riche? Car plus un avare a de bien, plus il le ménage.

Mais je sais, me direz-vous, que je suis riche, et que tous ces biens sont à moi. Vous ne cherchez donc les richesses que pour satisfaire votre esprit, et non pour en user? Les hommes, me direz-vous, m’en honorent davantage, et j’en suis plus craint. Dites plutôt que vous en êtes plus en butte aux riches et aux pauvres, aux voleurs et aux calomniateurs. Voulez-vous véritablement qu’on vous craigne, et qu’on tremble devant vous? Retranchez d’abord tout ce qui peut donner prise aux hommes sur vous, et dont ceux qui s’efforcent de vous nuire peuvent se servir pour vous faire tort.

3. N’avez-vous jamais entendu ce proverbe: Que cent hommes ensemble ne peuvent dépouiller un seul homme nu? Sa pauvreté est comme un rempart qui le défend contre toutes leurs violences; et il n’y a point de roi, ni d’empereur qui le puisse vaincre. Tout le monde, au contraire, peut aisément nuire à l’avare, et non-seulement les hommes, mais les vers. Que dis-je, les vers? le temps seul lui enlève ses trésors, et les consume par la rouille. Après cela, où est le plaisir et le repos d’esprit qu’on trouve dans les richesses? Pour moi, je vous avoue que je n’y vois que des sujets d’affliction et de misère, des soins, des divisions, (43) des querelles, des piéges, des haines, des craintes, une avidité continuelle et insatiable, et un chagrin qui ne donne point de relâche. Un avare au milieu des richesses est, selon l’expression de l’Ecriture, comme un eunuque auprès d’une vierge, il brûle d’un feu qu’il ne peut éteindre. (Eccl. XX, 2.)

Qui pourrait dire tous les maux que ce vice entraîne, et qui sont comme sa suite inséparable? Combien l’avare est-il à charge à tout le monde? Combien ses domestiques le haïssent-ils? Combien ses voisins en ont-ils d’horreur? Combien les magistrats, combien les ministres, combien les riches et les pauvres, combien les fermiers et les laboureurs, combien sa femme même et ses enfants qu’il traite comme des esclaves, enfin combien tout le monde ensemble le déteste-t-il? Il se rend le jouet et la fable de tous les hommes. Il est le sujet de l’entretien et du divertissement de toutes les compagnies. On le raille et on le déchire partout.

Voilà l’état où se jette un avare; ou plutôt voilà un faible crayon et une ombre du véritable malheur dans lequel il se précipite, puisqu’il n’y a point de paroles qui le puissent égaler. Comparez avec cela les déplorables satisfactions qu’il retire de ses richesses. Je passe, dit-il, pour riche dans l’esprit du monde. Quel est ce misérable plaisir de passer pour riche, et de devenir en même temps l’objet de l’envie? Cette réputation n’est-elle pas un nom vain et une pure chimère qui n’a rien de, réel et de véritable?

Vous me direz peut-être qu’il suffit que l’avare se contente, et qu’il se satisfasse dans cette pensée. Et moi je vous demande s’il lui est avantageux de se réjouir de ce qui le devrait faire pleurer, puisque ses richesses ne servent qu’à le rendre lâche, efféminé, et inutile à toute chose. Il n’ose entreprendre un voyage, il craint la mort infiniment plus que tous les autres. Il aime plus l’argent que la vie; il ne se plait pas même à voir la lumière du soleil, ni la beauté de cet astre, parce qu’il ne devient pas plus riche en le regardant, et que ses rayons ne sont pas de l’or qu’il puisse serrer dans ses coffres.

Mais vous m’objecterez qu’on ne peut pas nier qu’il n’y en ait au moins plusieurs qui jouissent fort longtemps de leurs richesses, qui en usent avec plaisir, qui sont toujours dans les délices et dans les festins, et qui tâchent de satisfaire leur sensualité en toute chose. Ce sont certainement ceux qu’on doit regarder comme les plus misérables, et je les plains encore plus que ces avares qui se contentent de posséder leurs richesses sans en user. Ces derniers s’abstiennent au moins de tous les autres vices, et ils ne s’attachent qu’au seul amour de l’argent qui les dominent, au lieu que les autres, outre cet amour insatiable pour l’argent dont ils brûlent, sont encore les esclaves de beaucoup de vices qui sont autant de tyrans auxquels ils sont forcés d’obéir.

« Ils servent leur ventre », comme dit saint Paul, et ils s’en font un Dieu; ils se plongent dans les plaisirs, et ils s’abandonnent à toutes sortes d’excès. Ils donnent leur bien à des infâmes et à des prostituées. Le soin d’avoir une table magnifique est la plus grande de leurs affaires. Ils se font suivre partout d’une troupe de flatteurs. Ils s’abandonnent à toutes sortes de passions, dont le déréglement ruine la nature et remplit leur corps et leur âme d’une infinité de maladies. Ils ne se servent jamais des choses pour la seule nécessité, ils en passent toujours les bornes, et ils ne travaillent par ce luxe et par ces superfluités qu’à se perdre sans ressource, et pour ce monde et pour l’autre. Ils tombent par cette recherche si raffinée de leurs délices dont ils croient ne pouvoir se passer, dans la même erreur où tombent ces personnes qui font de grandes dépenses pour s’embellir, et qui croient que ces profusions sont nécessaires.

Mais celui-là seul, mes frères, est véritablement dans le plaisir et est véritablement riche, qui est le maître de ses richesses, et qui en sait user’ sagement. Les autres ne sont que les esclaves de leurs biens, et ils ne s’en servent que pour nourrir leurs passions, et pour multiplier leurs maux et leurs maladies. Où sera donc la paix et le repos dans cette âme toujours troublée, toujours tourmentée de ses passions? Si les richesses trouvent un homme peu sensé et peu solide, elles lui gâtent tout à fait l’esprit; et si elles le trouvent un peu déréglé, elles le rendent entièrement vicieux.

Vous me direz peut-être : A quoi sert la sagesse, lorsqu’on n’a rien? Que sert au pauvre d’être prudent puisqu’il est pauvre? Je ne m’étonne pas de cette demande. Je sais que ceux qui n’ont point d’yeux ne peuvent voir la beauté de la lumière. Salomon dit que « le Sage a autant d’avantage sur l’insensé que (44) la lumière en a sur les ténèbres ». (Ecclé. II, 43.) Comment peut-on instruire quelqu’un qui est dans un si profond aveuglement? Car l’avarice est une sorte de nuit qui obscurcit toutes choses, ou plutôt qui les fait voir autrement qu’elles ne sont en elles-mêmes. Un. homme qui serait dans des ténèbres épaisses, ne pourrait discerner .la beauté d’un vase très-précieux, ou le prix des diamants ou des étoffes de pourpre qu’on lui montrerait. L’avare de même ne peut comprendre la beauté des choses spirituelles. Renoncez donc à cette passion, et vous commencerez alors à juger équitablement des choses ,et selon ce qu’elles sont en elles-mêmes. C’est ce qu’on ne peut bien faire que lorsqu’on est pauvre. Ce qui paraît être quelque chose et n’est rien en effet, ne trahira son néant en aucun autre état aussi bien que dans celui d’une vertueuse pauvreté.

4. Mais quelle est cette frénésie qui fait que vous avez horreur des pauvres, et qui vous fait dire que leur pauvreté est la honte et de leur vie et de leur maison? Dites-nous donc, je vous prie, quelle est cette infamie que la pauvreté apporte avec elle, et en quoi la maison du pauvre est déshonorée. Ses lits à la vérité ne sont pas d’ivoire , ses vases ne sont pas d’argent ni d’une matière précieuse. Tout y est de terre ou de bois. Mais c’est en cela même que consiste la gloire de sa maison. Le mépris de tout cet ornement extérieur fait que l’âme s’applique tout entière à elle-même, et qu’elle met tous ses soins à devenir belle et précieuse aux yeux de Dieu. Lorsqu’un homme au contraire est tout occupé des choses de ce monde, il témoigne dès-là une bassesse dont tout homme sage devrait rougir.

C’est au contraire dans les maisons des riches qu’on ne voit rien de beau ni rien d’honnête aux yeux de la foi. Car, à quoi ressemblent ces tapisseries relevées d’or et de soie, ces lits d’argent et ces autres ornements si précieux, sinon à la magnificence et aux décorations des théâtres? Qu’y a-t-il donc de plus indigne d’un chrétien, que de rendre sa maison semblable à une salle de bal et de comédie? Ainsi, les maisons des riches ressemblent à des théâtres, et celles des pauvres sont semblables à celle de l’apôtre Paul ou du patriarche Abraham. Après cela, peut-on douter lesquelles de ces maisons nous doivent paraître plus belles et mieux parées?

Pour mieux comprendre ceci, je vous prie d’entrer en esprit, et par la pensée dans la maison de Zachée, et de considérer de quelle manière il l’orna lorsque Jésus-Christ y devait entrer. Il n’alla point emprunter de ses voisins leurs plus magnifiques meubles. Il ne s’empressa point de tirer de ses coffres de riches tapisseries. Il ne voulut point d’autres ornements pour recevoir Jésus-Christ, que ceux qui plaisent à Jésus-Christ: « Je donne», dit-il, « la moitié de mes biens aux pauvres; et je rends au quadruple tout ce que j’ai pris ». (Luc, XIX, 7.) Parons de cette manière nos maisons, mes frères, pour mériter d’y recevoir le Sauveur. Nous ne pouvons lui rien préparer qui lui plaise davantage. Ces ornements, dont je vous parle, ne se font que dans le ciel. C’est de là qu’ils descendent sur la terre; et partout où ils se trouvent, là se trouve aussi le Roi du ciel. Si vous pensez à quelque autre magnificence, et à ce luxe qui ne satisfait que les yeux, c’est le démon et ses anges que vous recevez dans votre coeur.

Lorsque le même Sauveur alla chez Matthieu, qui était encore publicain, que fit celui-ci pour se préparer à le recevoir, sinon de commencer à s’orner au dedans de lui-même par une charité ardente, qui le porta à quitter tout pour suivre le divin Maître? (Matth. IX, 10.) Ainsi, Corneille le Centenier orna sa maison, non par les pierres précieuses, mais par les prières et par les aumônes: et ces ornements lui ont mérité un palais dans le ciel, où il habite éternellement. (Act. X, 4.) Une maison n’est point méprisable parce qu’on y voit des vases pauvres, des meubles mal arrangés, des lits en désordre, des murailles nues et toutes noircies de fumée. Mais ce qui la déshonore véritablement, c’est le déréglement de ceux qui l’habitent. Jésus-Christ nous a assez persuadés de cette vérité, lorsqu’il n’a pas dédaigné d’entrer dans de pauvres cabanes, et dans des maisons de boue, quand ceux qui y demeuraient étaient riches en vertus; au lieu qu’il fuit les maisons des méchants et des impies, quand elles seraient toutes pleines d’or. Peut-on nier donc que le lieu où Dieu même habite ne soit préférable à tous les palais du monde? et que les maisons des méchants, quelque magnifiques qu’elles soient, sont au contraire devant Dieu comme des amas de boue et des lieux d’ordure et d’infection?

Je dis ceci, mes frères, non pas des riches qui usent bien de leurs richesses, mais de ces (45) riches avares qui volent et qui pillent tout le monde. On ne travaille jamais dans ces maisons à satisfaire simplement le nécessaire. On donne tout au luxe et aux plaisirs. Mais ceux d’entre les riches qui sont sages ne font point ces dépenses superflues. C’est pour ce sujet, mes frères, qu’il n’est point marqué que Jésus-Christ soit entré dans les palais des princes. Il a fui ces maisons superbes des rois de la terre, et il a été chercher des maisons de publicains, et des cabanes de pécheurs.

Si vous voulez donc attirer Jésus-Christ chez vous, travaillez à orner votre maison par l’aumône, par la prière, par les supplications, et par les veilles. Ce sont là les ornements qui plaisent au Roi que nous servons. Les autres ne plaisent qu’au démon qui est l’ennemi de Jésus-Christ. Ainsi, que les chrétiens ne rougissent plus de voir leurs murailles nues, puisque lorsque leurs maisons sont sans ces ornements extérieurs , ils les parent beaucoup mieux lar la sainteté de leur vie. Que les riches au contraire ne se glorifient point de leurs meubles somptueux, mais qu’ils en rougissent plutôt, et qu’ils préfèrent à leurs bâtiments magnifiques une petite cabane, puisque c’est là qu’ils mériteront de recevoir Jésus-Christ en cette vie, et d’être reçus de lui dans l’autre, par la grâce et par la miséricorde du même Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui est la gloire et t’empire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. (46)

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